La noyée de l'île aux serpents - Numilog

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LA NOYÉE

DE L'ILE AUX SERPENTS

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ROBERT MYDDA

LA NOYÉE

DE L'ILE AUX SERPENTS

P A R I S 1968

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La noyée de l'île aux Serpents

CHAPITRE I

J 'ai toujours aimé le mystère. Il m'at t irai t déjà irrésistiblement lorsque, petit enfant, je me glissais le soir auprès de ma grand-mère qui aimait à nous conter toutes sortes d'histoires terrifiantes. La lampe tempête posée à même le sol de la case allongeait démesurément nos ombres sur les murs de pisé et rendait plus mys- térieuse encore la voix basse et un peu cassée de notre aïeule.

Nous nous réunissions tous autour d'elle, frères et cousins, buvant ses paroles, nos corps à demi-nus serrés les uns contre les autres. Peu à peu, les tout-petits s 'endormaient sur la natte, mais nous, les grands, nous demandions encore des histoires jusqu 'à une heure avancée de la nuit.

Dehors, les palmiers bruissaient dans le vent du soir, parfois le cri d'un chacal rompait le silence et tous ces bruits étaient le complément, l 'atmosphère, des contes merveilleux qui nous enchantaient.

La grand-mère était contente. Comme elle dor- mait tout le long du jour à l 'ombre fraîche des manguiers, les nuits lui paraissaient longues et elle était ravie d'avoir un public tel que nous.

Mais quand vint pour moi l'âge d'aller en classe, mon père mit le holà à ces interminables récits. Il envoyait vers nous l'une de ses femmes, qui d'une voix criarde morigénait la grand-mère, et nous obligeait à nous endormir.

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C'est qu'il fallait se lever de bonne heure pour aller à l'école qui était située à près de deux kilomètres de notre habitation.

Je partais dans le froid brouillard du matin qui pâlissait les hauts palmiers flexibles. L'un après l'autre, plusieurs camarades me rejoi- gnaient en route, et nous marchions en file indienne dans la brousse poussiéreuse, nos car- tables bien en équilibre sur la tête.

J'ai toujours été un bon élève. Avec les contes de la grand-mère, j'avais tellement bien appris à écouter ! J'aimais discuter avec le maître, le soir après la classe. C'était un jeune instituteur qui avait fait ses études dans une grande école du Sénégal :

— « Rappelle-toi, Diallo, me disait-il, quand je lui parlais de ma passion pour les mystères, qu'un mystère peut toujours être éclairci pour peu qu'on s'en donne la peine. »

Cette affirmation me fut comme une décou- verte. Je compris que pour moi les histoires n'avaient jamais de fin ; je me substituais aux héros, et je n'étais content que lorsque je leur avais trouvé une solution logique dans laquelle je jouais, évidemment, un rôle prépondérant.

Lorsque j'obtins mon certificat d'études, mon père décida que je deviendrais instituteur, et pour ce faire m'envoya à l'école normale.

Mais les vacances qui précédèrent mon départ furent les plus heureuses de mon enfance.

Pour m'empêcher de traîner au village avec tous les garnements de ma génération, mon père me plaça comme « petit boy » chez le médecin qui dirigeait le dispensaire.

C'était un jeune docteur qui me prit en amitié. Il était célibataire et se déplaçait souvent pour de longues tournées en brousse. J'avais alors pour mission de m'occuper des animaux

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qu'il avait adoptés, une antilope, un singe vert, un phacochère et une douce petite biche.

Mais ce travail me laissait de longues heures de loisir et le docteur s 'étant aperçu que j 'aimais la lecture m'ouvrit sa bibliothèque et me choisit un livre qu'il désigna comme « Roman policier ».

Dans ce livre, je fis la connaissance d'un étonnant petit bonhomme, ridicule, mais si malin qu'il arrivait à résoudre les problèmes les plus compliqués, à trouver des solutions les plus inattendues, par sa seule intelligence et les déductions de ses « petites cellules grises ».

Cet être extraordinaire se nommait Hercule Poirot.

La bibliothèque du docteur était bien fournie et je retrouvai le célèbre détective dans plusieurs récits passionnants.

J 'en avais la tête tellement farcie que je vivais comme dans un rêve ! et le soir, avant de m'em- dormir, je me remémorais toutes ces aventures... Mais le héros n'en était plus Hercule Poirot, c'était moi-même, Moussa Diallo, petit Africain des bords du fleuve Sénégal.

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CHAPITRE II

Le temps de mon service militaire arriva et je fus envoyé dans une compagnie de Méharistes de la région de Kaïdi, mon pays natal.

Pour moi, ce fut un temps d'épreuves : les dures étapes à chameau, le vent de sable suffo- cant, le réveil en fanfare à l'aube, alors qu'on est rompu de la fatigue des marches de la veille, et, par dessus tout, les ordres qu'il n'était pas permis de discuter, tout cela ne me plaisait guère.

Les premiers jours surtout me parurent inter- minables, je me sentais vraiment trop dépaysé.

Un soir, alors que j'étais assis tristement au bord de la tente, regardant le ciel de feu s'éteindre derrière les dunes, une main se posa sur mon épaule :

— « Qu'est-ce qui ne va pas, mon vieux, dit une voix sympathique. »

Je levai les yeux et j 'aperçus un jeune sous- officier qui me souriait gentiment.

— « Je me présente, dit-il encore ; je me nomme Antoine Ledoux. Et toi, quel est ton nom ? »...

Ce soir-là, il resta longtemps auprès de moi. J 'appris qu'il était né à Saint-Louis du Sénégal et qu'il avait l'intention de faire une carrière militaire. Avec son visage ouvert, ses beaux yeux clairs et son lumineux sourire, il me plut immédiatement.

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A partir de ce moment-là, la vie me devint supportable, car nous nous retrouvions après la dure journée pour parler sans fin de nos projets d'avenir.

Quand il faisait trop chaud sous la tente et que le vent du désert s'était apaisé, nous nous étendions sur le sable frais, sous le grand ciel d'étoiles, la tête appuyée sur la rahla (1).

Les nuits de Mauritanie sont plus belles que sur le fleuve et les étoiles plus nombreuses. J'étais heureux de la présence d'Antoine, car j'avais enfin un ami, moi qui m'étais senti si seul et tellement perdu les premiers jours. Aussi, je lui confiai un soir ce que je n'avais jamais osé dire à personne : que je voulais devenir détective privé.

Il se mit à rire : « Qu'est-ce qui t 'att ire dans ce métier-là ? On reçoit des coups, on n'est jamais sûr d'être payé ! Mon pauvre Diallo, tu as l'esprit complètement déformé par la lecture de tes romans policiers !... Il vaudrait bien mieux que tu penses à une autre situation. Tu auras le choix, puisque tu possèdes une instruction solide. Si tu tiens absolument à arrêter des bri- gands, ne vaudrait-il pas mieux que tu te décides à entrer dans la Police officielle ? »

— « Il n'en est pas question ! Je suis beau- coup trop indépendant. Depuis que je suis mili- taire, je comprends de plus en plus qu'il me serait insupportable d'avoir toute ma vie à rece- voir des ordres. »

— « Pourtant, tu aurais un beau costume, et tu pourrais « tomber » toutes les filles ! »

— « J'espère bien arriver à les « tomber » sans cela, avec seulement mon charme person- nel, répliquai-je en riant à mon tour. »

— « Eh bien ! si tu ne veux pas entrer dans

(1) Rahla : selle de chameau.

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la Police officielle, tu peux asp i re r aux fonc- t ions admin i s t r a t ives , m ê m e les p lus hautes . T u peux deveni r député , et qui sait, a m b a s s a d e u r ou m i n i s t r e ! »

J e m e mis à r i re de nouveau : « La pol i t ique ne m ' a t t i r e pas. J e te l 'ai dit, je suis beaucoup t rop i n d é p e n d a n t . »

Malgré les object ions d 'Antoine , et tou te l ' ami t ié que j ' ava i s p o u r lui, j e savais que r ien ne p o u r r a i t éb ran le r m a décision. J e sentais , depuis m o n enfance, que m a vér i tab le voca t ion é ta i t de t r o u v e r la clé des mys tè res , de démas- q u e r de dange reux bandi t s . Tous mes rêves d ' au t re fo i s m e r evena ien t en m é m o i r e et les r o m a n s policiers que j e con t inua is à dévorer à mes m o m e n t s de loisir en fonça ien t davan tage encore cet te idée dans m a tête.

Q u a n d la b o n n e sa ison a r r iva et que les grosses cha leu r s f u r e n t passées, m a vie mi l i ta i re m e p a r u t u n peu m o i n s r u d e et les dern ie rs mois de m o n service p r e s q u e agréables , c a r le C o m m a n d a n t n o u s fit lever le c a m p p o u r al ler p l a n t e r nos ten tes p rès du village de Chinguett i .

C'est u n t rès vieux village don t la mosquée en p ier res sèches date, paraî t - i l , du XIII siècle.

Le sable envah i t ses ruel les e t il f a u t se bais- ser p o u r f r a n c h i r les por tes basses qui g a r d e n t l ' en t rée des cours et des maisons . Les femmes, paraî t - i l , son t t rès belles, ma i s à cet te saison de l ' année il ne res ta i t guère au village q u e de t rès j e u n e s filles, des en fan t s et des vieil lards.

C'est l 'époque, en effet, où les f emmes su iven t les c h a m e a u x aux pâ tu rages , p o u r boi re beau- coup de lait, afin de devenir bien grasses, comme on les a ime dans ce pays-là .

Le chef de poste, le l i eu t enan t Viguier, nous avai t pr is en ami t ié et nous pass ions des soirées ent ières à d i scu te r ou à j o u e r aux car tes a u t o u r d ' u n e boisson fra îche,

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P e n d a n t la b o n n e sa ison, les v i s i t eu r s ne m a n q u a i e n t p a s à Chinguet t i . Ce r t a ins y v e n a i e n t p o u r leur t r ava i l : des géologues, des vé t é r i na i r e s (qui s ' occupa ien t spéc i a l emen t des c h a m e a u x ) , des j o u r n a l i s t e s e t m ê m e des p e i n t r e s ou des p h o t o g r a p h e s .

Mais il y ava i t aus s i pa r fo i s q u e l q u e s t o u r i s t e s a t t i r és p a r la r é p u t a t i o n du v ieux vi l lage au seuil du déser t . E t l e u r vis i te d o n n a i t l ieu à u n e céré- mon ie q u e le l i e u t e n a n t Viguie r n o u s i n v i t a i t à cons idé re r avec le p lu s g r a n d sér ieux.

Un d i m a n c h e , vers deux h e u r e s de l ' ap rès - midi , n o u s ven ions chez lui p a s s e r u n m o m e n t avec l ' i n t en t ion de fa i re u n e belot te , l o r sque n o u s l ' a p e r ç û m e s s u r la p lu s h a u t e t e r r a s s e d u poste , des j ume l l e s à la m a i n . Il n o u s fit s igne d ' a p p r o c h e r et n o u s les t e n d i t en s o u r i a n t :

— « Regardez , dit-il, mes invi tés qu i f o n t l ' esca lade de la « D u n e de la pe t i t e r a h l a ».

D a n s les j ume l l e s , j ' a p e r ç u s t ro is pe t i t es formes , grosses c o m m e des fou rmis , qui esca la- d a i e n t p é n i b l e m e n t la p lu s h a u t e d u n e de sable, à d ro i te de la vieille mosquée .

— « C o m m e n t avez-vous appe lé cet te d u n e ? » Il se m i t à r i r e :

— « Nous l ' appe lons la « D u n e de la pe t i te r a h l a », répondi t - i l . D a n s u n i n s t a n t vous allez comprend re . J e vous invi te à la r emise des déco- ra t ions . »

Une h e u r e p lus t a r d , les invi tés a r r i v è r e n t , ex ténués , et s ' a f fa lè ren t s u r les fau teu i l s , h e u - r e u x de se r e t r o u v e r d a n s la f r a î c h e u r de la g r a n d e salle.

Le l i e u t e n a n t Viguie r p r i t a lors la pa ro l e : — « P u i s q u e vous avez fa i t l 'effor t d ' e s ca l ade r

la p lus h a u t e d u n e du poste , e t cela m a l g r é la cha leur , dit-il d ' u n ton solennel , j e vous décore de l ' o rd re de « La pe t i te r a h l a ».

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E t avec beaucoup de dignité, il accrocha au revers de leur ves ton ou de leur s aha r i enne u n e pet i te r a h l a d ' a rgen t .

J e fus l ibéré deux mois plus ta rd , h e u r e u x d ' ê t r e r e n d u à la vie civile, ma i s u n peu mélan- col ique à la pensée de qu i t t e r m o n a m i Antoine.

Le j o u r du dépar t , celui-ci me d o n n a l 'acco- lade :

— « Au revoir , m o n s i e u r le détect ive privé, m e dit-il en r i an t . Ne m 'oubl ie pas t rop vi te et envoie-moi de t e m p s en t emps de tes nouvelles.. . Tiens , repr i t - i l en foui l lan t dans sa poche, voici u n e adresse à P a r i s où tu p o u r r a s t o u j o u r s m e jo indre . C'est l ' adresse de m o n p a r r a i n qui ne m a n q u e j a m a i s de fa i re su ivre m o n courr ier . »

A ce momen t - l à , le camion qui m ' e m p o r t a i t loin de la Maur i t an i e d é m a r r a dans u n lourd n u a g e de sable et b ien tô t j e ne d is t inguai p lus q u ' u n e vague s i lhouet te qui m e fa isa i t des gestes d 'ad ieu .

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CHAPITRE III

De retour au pays, je ne m'at tardai pas long- temps dans la case de mon père, que j'étais pourtant bien heureux de revoir. Mais il avait pris une nouvelle femme et je ne me sentais plus tout à fait chez moi.

La grand-mère avait depuis quelque temps rejoint ses ancêtres, et, sans vouloir me l'avouer, c'était elle, surtout, que j 'aimais retrouver à la maison.

Je décidai donc mon père à me laisser part ir pour Dakar. Il me poussait fortement à deman- der un poste d'instituteur, mais bien que je n'en eusse aucune envie, je lui dis qu'il me serait plus facile, dans une capitale, d'obtenir satisfaction.

Je partis alors chez l 'un de mes « grands frères » employé dans une importante maison de commerce, et qui habitait « Nichon-Ville » comme on nomme là-bas l'ensemble de ces huttes rondes en ciment qui sont situées dans le « Grand Dakar ».

Je n'avais pas l 'intention d'y rester longtemps, j'étais anxieux de me lancer enfin dans l'intéres- sante carrière que j'avais choisie.

Je mis immédiatement dans les journaux une annonce ainsi conçue :

— « Jeune africain, très débrouillard, cherche situation détective privé. »

Tous les jours, je lisais les annonces, de la première à la dernière ligne, et ne manquais pas d'aller chaque matin à l'agence Havas pour y