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Baize-JES-Oral..pdf 1 Les processus de transfert de particules argileuses menant à la formation des luvisols et des planosols... ...et contribuant à d’autres pédogenèses Denis BAIZE et Marcel JAMAGNE

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Les processus de transfert de particules argileuses menant à la formation des luvisols

et des planosols... ...et contribuant à d’autres pédogenèses

Denis BAIZE et Marcel JAMAGNE

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Un PROBLÈME de VOCABULAIRE Dès 1966, à propos des sols ferrallitiques, Aubert et Segalen signalaient que les termes " lessivé" et " lessivage" étaient source de confusions.

Aujourd’hui nous avons pris la bonne habitude de distinguer :

• La lixiviation = entraînement de matières sous formes ioniques.

• Le départ sélectif de particules argileuses hors des horizons supérieurs est nommé éluviation.

• Les transferts verticaux de particules argileuses avec accumulation absolue dans des horizons plus profonds correspondent à l’illuviation ou argilluviation : ils mènent à la formation progressive de luvisols.

• Les transferts latéraux avec évacuation des particules fines dans les eaux de nappes hypodermiques temporaires circulant latéralement mènent à un appauvrissement en argile superficiel et, progressivement, à la formation de planosols.

• La "dégradation géochimique" c’est l’altération in situ des minéraux argileux, en milieu acide et temporairement réducteur.

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Les CONDITIONS OPTIMALES de l’ARGILLUVIATION (1)

Pour qu’il y ait argilluviation importante, il faut 3 conditions simultanées :

i) un climat suffisamment pluvieux où les précipitations sont très nettement supérieures à l’évapotranspiration ;

ii) un matériau parental suffisamment perméable ;

iii) la présence de particules argileuses dispersables et "entraînables" ;

� c’est pourquoi l’argilluviation ne peut pas se développer dans des sables quartzeux purs : car pas de particules argileuses ;

� Il ne faut pas non plus que les particules argileuses soient immobilisées dans des agrégats très stables Ex. fourni par Faivre et Chamarro (1995) dans les Andes de Colombie. Développés dans les mêmes matériaux très argileux, à la même altitude et à quelques hm de distance, des brunizems (A = 48 % en surface) coexistent avec des planosols (A = 6 %). Seule cause : une ≠ de stabilité des agrégats, liée à une ≠ d’activité de la macrofaune, liée à une ≠ de pédoclimat.

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Les CONDITIONS OPTIMALES de l’ARGILLUVIATION (2) En conséquence, les matériaux parentaux les plus favorables à l’argilluviation verticale sont les lœss et limons lœssiques car : • ce sont des matériaux essentiellement limoneux, assez grossiers (LG >> LF),

déposés par le vent, non tassés et donc poreux ; • ils se décarbonatent vite (car CaCO3 < 15 %) ; • leur méso-porosité s’accroît encore après la dissolution des particules

calcaires.

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MORPHOLOGIE et FONCTIONNEMENT des LUVISOLS (1) Quand l’illuviation verticale de particules fines est le processus dominant (liée à un fonctionnement hydrique lui aussi vertical), favorisée par l’existence d’un matériau et d’un climat favorables et d’une position topographique plane...

... elle a, au bout d’une certaine durée, des conséquences morphologiques majeures.

• une nette différenciation texturale s’installe progressivement entraînant un contraste croissant entre des horizons supérieurs appauvris en argile, de teintes claires, à la structure mal affirmée et peu stable (horizons Ae et E) et des horizons de moyenne profondeur enrichis en argile, de teintes assez vives et montrant des structures polyédriques bien affirmées (horizons BT).

• Dans cet horizon BT, les agrégats et tous les macropores montrent des revêtements argileux ou argilo-ferrugineux, bien visibles surtout en lames minces.

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Vue d’une lame mince en lumière polarisée et analysée – Les vides sont en noir

Le revêtement argileux lité est en jaune

Son épaisseur est de l’ordre d’un demi millimètre.

La masse correspondant aux revêtements argileux observés dans l’horizon BT n’est en général pas suffisante pour expliquer la différence des taux d’argile constatée entre horizons E et horizons BT.

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MORPHOLOGIE et FONCTIONNEMENT des LUVISOLS (2) La chronoséquence des luvisols issus de matériaux lœssiques a été étudiée par Jamagne. Les 4 stades principaux sont : Néoluvisols - Luvisols Typiques – Luvisols Typiques rédoxiques – Luvisols Dégradés.

L’ horizon BT se colmate peu à peu au cours du temps et devient de moins en moins perméable ce qui génère au contact entre horizons E et BT la stagnation des eaux pluviales et des conditions d’oxydo-réduction de durée et d’intensité croissantes.

Combinée à une acidification progressive, cette évolution débouche sur le processus de "dégradation géochimique" et morphologique.

Jamagne a montré que, dans les luvisols les plus différenciés, les transferts verticaux affectaient également les limons fins.

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MORPHOLOGIE et FONCTIONNEMENT des LUVISOLS (3)

décarbonatation + brunification argilluviation "dégradation"

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Faux-Perche

Gâtinais de l’Yonne

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RÉPARTITION des LUVISOLS

Les luvisols issus de limons lœssiques (récents = 10.000 ans – ou "anciens" = 50.000 ans) représentent de grandes superficies dans la moitié nord de la France et en Belgique.

Ces sols ont été particulièrement bien étudiés par la thèse et les travaux de Jamagne (Bassin parisien) et Ducloux (Vendée). Également observés lors de nb cartographies dans ≠ régions : Favrot (Normandie), Bégon (Oise), Isambert (Beauce, Faux Perche, Vexin), Roque (Brie, Sundgau), Chrétien (Plaine de la Saône), pédologues des chambres d’agriculture en région Centre (Boischaut Nord, Gâtine Tourangelle), etc.

Des sols similaires ont été décrits par Bornand développés dans des formations loessiques recouvrant certaines terrasses de la vallée du Rhône.

AUTRES LUVISOLS

Il existe également des luvisols sableux en surface. Par ex. ceux développés dans des "formations calcaires redistribuées" qui contiennent des particules argileuses mobilisables. C’est le cas des sols de la bordure sud de la Forêt de Fontainebleau (A.M. Robin) et de ceux de la plaine de Pierrelaye (van Oort).

Le mélange [sables quartzeux + poudre calcaire] se décarbonate ���� libère des particules argileuses qui migrent en profondeur pour former un BT sablo-agileux rougeâtre.

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FONCTIONNEMENT des LUVISOLS SOUS AGRICULTURE INTENSIVE – Des QUESTIONS TOUJOURS PENDANTES

Des interrogations demeurent relatives aux fonctionnements présent et futur des luvisols sous l’influence croissante des activités humaines et des changements climatiques.

En milieu forestier, l’argilluviation est elle toujours active aujourd’hui dans les Luvisols Typiques ? Le climat actuel est-il toujours aussi « lessivant » ?

En contexte cultivé drainé (Néoluvisols, Luvisols Typiques rédoxiques), y a-t-il encore entraînement des particules argileuses ?

Certaines réponses sont fournies par les travaux de Pascale Mercier (cf. son exposé).

• Y a-t-il encore entraînement des particules argileuses ? OUI !

• Cet entraînement est-il plutôt accéléré ? OUI !

• Les particules mobilisées dans l’horizon labouré quittent-elles

le solum via les drains pour partir dans les ruisseaux ? OUI !

• Continuent elles à aller vers l’horizon BT ? NON !

Est-ce vrai également pour les Luvisols Dégradés ?

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IMPACTS ANTHROPIQUES

Des éléments de réponse ont été fournis récemment par la thèse de D. Montagne (2006) :

Site d’étude : des Luvisols Dégradés à dégradation diffuse des plateaux du Gâtinais (Yonne) – une parcelle cultivée, drainée en 1988 (soit 16 ans seulement avant les prélèvements)... et une parcelle boisée voisine.

Une quantification de quatre types de volumes a été faite dans les horizons [Eg&BTgd] à ≠ distances des drains (de 60 cm à 4 m) :

• volumes beiges : volumes éluviés • volumes blancs : volumes dégradés • volumes ocre : volumes de BT intacts • volumes noirs : nodules et films ferro-manganiques.

A plus de 2 m des drains, rien ne semble modifié.

Mais à 60 cm des drains, les pertes en argile liées au fonctionnement du réseau de drainage sont de 45 % du stock initial. Il en va de même pour le fer.

Il y a donc un impact spectaculaire sur l’évolution morphologique des sols, en 16 ans seulement, sur 1/5 de la surface de la parcelle !

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2 IDÉES SUPPLÉMENTAIRES • L’argilluviation verticale est probablement un processus discontinu. Il est probable

que les premières grosses pluies d’automne tombant sur un solum relativement sec provoquent des transferts importants à travers la macroporosité et de gros "micro-alluvionnements".

Dans le cadre de sa thèse (en cours à l’INRA d’Orléans) L. Quénard va mettre en œuvre une expérimentation de laboratoire pour quantifier le transfert vertical de particules (départ et accumulation). Voir son poster. • Formes des limites des horizons : L’argilluviation "mécanique" (simple transfert de par ticules) génère une limite relativement régulière et horizontale entre horizons E et BT.

En revanche, la dégradation géochimique semble naître d’abord préférentiellement le long des plus grosses fissures verticales donnant naissance à des "glosses" qui s’auto-accroissent ou s’auto-entretiennent (porosité supérieure, flux d’eau plus importants...).

Ensuite, le plus souvent, s’installe une dégradation beaucoup plus "diffuse" qui envahit irrégulièrement l’horizon BTgd.

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ARGILLUVIATION "RÉCENTE" SUPERPOSÉE à de VIEILLES PÉDOGENÈSES

Évoquons maintenant des sols ayant évolué par argilluviation après une très longue pédogenèse antérieure développée dans des matériaux très argileux. Matériaux qui sont pourtant censés mal se prêter à l’illuviation d’argile.

Ex. : les "terres d’Aubues" et les "sols issus des argiles à chailles" des plateaux de basse Bourgogne (Baize). Deux preuves de cette argilluviation verticale :

• Une différenciation texturale très marquée : A = 20 à 30 % dans les horizons supérieurs vs 40 à 70 % en profondeur

• Des revêtements argileux et ferrugineux très abondants et très nets, aussi bien sur les faces d’agrégats que sur les éléments grossiers (chailles), visibles à l’œil nu comme au microscope.

3 raisons principales : * climat suffisamment pluvieux ; * horizons argileux à belle structure fine et stable (Bruand) ����

transferts verticaux possibles ; * très longue durée.

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Les PLANOSOLS "PRIMAIRES"

i.e. issus d’une évolution directe – sans passer par une phase antérieure d’illuviation.

• Le facteur principal responsable de leur fonctionnement hydrique et de leur morphologie est l’existence d’un plancher imperméable constitué par un horizon argileux, sur lequel les eaux de pluie viennent buter avant de s’écouler latéralement, même sur des pentes très faibles.

• Les matériaux parentaux sont des sédiments argileux marins ou lagunaires denses et très peu perméables. Les horizons argileux semi-profonds ne reçoivent pas d’argiles illuviales. Les argiles les plus fines sont évacuées latéralement.

• La planosolisation, dans un long 1er temps, est un appauvrissement purement "mécanique" à dynamique latérale (en conditions de pH neutres). Plus tard, éventuellement, en contexte acide et réducteur, peut se greffer une dégradation géochimique.

• Les planosols primaires ont été décrits dans toute la moitié nord de la France, là où affleurent des roches argileuses sédimentaires : Champagne humide (Baize), Perche (Isambert), Sologne, Forêt d’Orléans (Lamotte, Brêthes), etc. Et au Luxembourg (Van den Broek).

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HÉRY (Champagne humide)

PLANOSOL TYPIQUE primaire développé dans les "sables verts" glauconieux de l’Albien.

Très fort contraste textural : en qq cm de 12 en 46 % d’argile !

Ventre apparent d’argile = désagrégation des grains de glauconie ���� argile verte imperméable

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Les "DÉGRADOSOLS" Suite à la thèse de Roussel (1980), les "dégradosols" ont été évoqués en 1987 par Aurousseau lors des premières ébauches du RP et décrit en 1990 par Aurousseau et Curmi dans le Massif armoricain, développés dans des altérites de schistes.

Sur une même toposéquence, un pôle "alocrisols" (en milieu aéré) est opposé à un pôle " dégradosols" (en milieu engorgé).

Pour ces derniers, il s’agit d’une dégradation « primaire » (i.e. non consécutive à une argilluviation). « Cette transformation géochimique est attribuée à une dégradation [des minéraux argileux] en conditions très acides et réductrices ; elle est irréversible... « La dégradation minéralogique se traduit par une perte en argile qui atteint couramment entre 50 et 80 % du stock initial dans l’horizon ED... et par un enfoncement géochimique qui peut dépasser un mètre d’épaisseur ».

Bégon et Eimberck pensent avoir aussi observé des "dégradosols" dans le Gers.

La Référence des dégradosols n’a pas encore été introduite dans le RP car il n’y a pas eu assez d’études pour justifier et étayer sa définition.

N’y a-t-il pas là convergence avec la théorie de "l’enfoncement progressif" de Legros ?

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CONCLUSIONS (1)

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CONCLUSIONS (2)

• Sous nos climats, il y a fréquemment transfert vertical ou oblique de particules argileuses dans les solums (voire au sein d’altérites – Legros, Curmi)...

... sans pour autant formation de solums ayant la morphologie générale et le fonctionnement typique des luvisols. • Ce n’est pas parce que nous observons quelques argilanes, que nous sommes

automatiquement en présence d’un horizon BT et d’un luvisol ! • De même, beaucoup de solums argileux montrent des appauvrissements

importants de leurs horizons de surface sans pour autant avoir atteint une morphologie typique ni un fonctionnement de planosols (Baize, 1995).

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CONCLUSIONS (3) • Dans les années 1970, les "sols lessivés" étaient à la mode et on en a vu partout, dès

que les horizons de surface s’avéraient nettement appauvris en argile... ... et même si les horizons profonds étaient très argileux (45 à 70 %).

• Ainsi, en Forêt d’Orléans, en Sologne et ailleurs, des sols furent désignés comme "sols lessivés" qui sont de nos jours rattachés aux planosols primaires.

• Les mots "sol lessivé" et "lessivage" sont décidément trop ambigus.

• Un horizon supérieur "lessivé" (i.e. appauvri en argile) peut être présent dans toutes sortes de solums dans lesquels le processus principal est un appauvrissement latéral (voire une dégradation géochimique primaire) et non un transfert vertical.

• Les termes luvisols et planosols sont donc plus explicites et permettent de bien distinguer les deux morphologies et les deux types de fonctionnements hydriques, vertical vs latéral.

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