Les parlements français et anglais sous l'Ancien Régime

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Comparaison de la démocratie anglaise et française autrefois

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Les Parlements français et anglais sous

l’Ancien Régime par Jean-Jacques TIJET

Lorsqu’une réforme est devenue nécessaire et que le moment de l’accomplir est arrivé, rien ne l’empêche et tout la sert. Heureux alors les hommes s’ils savaient s’entendre, si les uns cédaient

ce qu’ils ont de trop, si les autres se contentaient de ce qui leur manque ; les révolutions se feraient à l’amiable et l’historien n’aurait à rappeler ni excès ni malheurs ; il n’aurait qu’à montrer

l’humanité rendue plus sage, plus libre et plus fortunée...

Florent-Auguste Mignet (1796-1884) dans son Histoire de la révolution française

Depuis toujours j’ai été intrigué par l’ancienneté de la démocratie de l’Angleterre. A quelle époque et pour quelles raisons sa monarchie s’est-elle dotée d’un Parlement ? Ses membres représentaient-ils la totalité de la population ? Quelles étaient ses prérogatives ? Et dans le royaume de France quels étaient les rôles et fonctions des Parlements ? Empiétaient-ils sur ceux des Etats Généraux réunis selon le bon vouloir du Prince ? Ce sont à toutes ces questions que nous essaierons de répondre.

En Angleterre tout commence avec un roi vaincu et universellement méprisé. Le dernier fils du

couple mythique du XIIe siècle – celui constitué par Henri Plantagenêt, comte d’Anjou, duc de Normandie, roi d’Angleterre et de son épouse Aliénor, duchesse d’Aquitaine et ex-reine de France – Jean sans Terre, cruel et d’âme vile avait trahi et son père et ses frères ; en plus on le soupçonnait d’avoir fait assassiner son neveu Arthur de Bretagne1. Défait piteusement devant La Roche-aux-Moines2 (il s’était enfui sans combattre devant une armée commandée par Louis, l’héritier du trône de France) puis battu à Bouvines en juillet 1214 par le roi de France Philippe II Auguste, il était en conflit non seulement avec ses barons qui le détestaient mais également avec l’Eglise de son pays en la personne de son premier représentant l’archevêque de Canterbury, Etienne Langton3 nommé par le pape Innocent III mais qu’il n’avait pas accepté. Responsable de la mise en interdit de son royaume en mars 1208 puis excommunié en mars 1213 il sera obligé en mai 1213 de se soumettre à Rome en reconnaissant Langton comme primat d’Angleterre et en plaçant son royaume sous la protection du pape4. Affaibli et rejeté par tous il accepte de rencontrer ses barons qui, soutenus par les bourgeois de Londres, lui font signer la fameuse « Grande Charte » le 15 juin 1215 réputée être le premier document limitant le pouvoir absolu d’un prince.

Qu’en est-il exactement ? Au début du XIIIe siècle le mot liberté n’a pas le même sens qu’aujourd’hui… quoique ! Il signifie alors pour les aristocrates anglais, sauvegarde de leurs

1 N’oublions pas aussi qu’il avait enlevé Isabelle d’Angoulême, le matin des noces de celle-ci avec l’un de ses vassaux,

Hugues X de Lusignan ; dans le code féodal c’est une félonie dont prendra prétexte le roi de France – en tant que suzerain - pour

s’approprier les fiefs aquitains du roi d’Angleterre. 2 Aujourd’hui Savennières en Anjou, au sud-ouest d’Angers sur la rive droite de la Loire

33 Il a vécu en grande partie ses années d’exil (1205-1213) dans l’abbaye cistercienne de Pontigny près d’Auxerre comme

précédemment Thomas Becket et plus tard Edmond d’Abington, autres archevêques de Canterbury en butte à l’hostilité de leur

roi 4 L’Angleterre sera ainsi fief pontifical pendant près d’un siècle

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privilèges féodaux et la garantie de ceux-ci face à l’arbitraire royal « Il y a des lois de l’Etat, des lois appartenant à la communauté. Le roi doit les respecter. S’il les viole, le loyalisme cesse d’être un devoir et les sujets ont le droit de s’insurger ». Le contraste est flagrant par rapport à la royauté française : Philippe Auguste, auréolé de sa victoire prestigieuse de Bouvines, a tous les atouts en sa possession pour imposer un renforcement de son pouvoir royal en minant et affaiblissant de plus en plus les prérogatives de ses barons ! Constatons que, d’un côté – en Angleterre – les difficultés d’un roi contesté amorcent un régime royal parlementaire et de l’autre – en France – le prestige d’un roi reconnu annonce un régime royal qui deviendra absolu au fil du temps par l’absence de textes garantissant les « libertés » des uns et des autres ! On aura presque tout dit sur cette Charte – qui comporte 63 articles5 - lorsqu’on aura précisé que le roi pourra percevoir des « aides extraordinaires » ou subsides, non prévues par le droit féodal coutumier (cela va sans dire…) qu’avec l’approbation d’un Grand Conseil de barons et que l’Eglise, seule, est responsable des élections épiscopales et abbatiales (ce qui sous-entend que le roi ne peut plus désigner qui bon lui semble comme évêque d’un diocèse ou comme abbé d’un monastère). On a bien compris que ce document n’est pas, en aucune manière, un document garantissant les libertés du peuple anglais – on se moque bien des conditions de vie des vilains à cette époque des 2 côtés de la Manche – mais un ensemble de textes qui ranime la conception féodale d’une monarchie limitée. N’empêche que cette Charte fera son chemin et les conditions de son élaboration – réunion des nobles et des bourgeois des cités - sont considérées comme étant à la base d’une formation d’une société politique qui saura encadrer le pouvoir du roi.

C’est le Grand Conseil, prévu dans la Charte, qui est à l’origine du Parlement anglais. D’abord simple conseil royal (et Haute Cour de justice si besoin) composé de barons influents et de quelques bourgeois londoniens il va se transformer au fil du temps et selon les circonstances. Edouard Ier, roi de 1272 à 1303, prend l’habitude de convoquer non seulement des nobles de premier rang (les comtes) dans le cadre de son Conseil mais également des représentants de ses « communautés », 2 chevaliers (on peut se faire adouber chevalier si on est possesseur d’un revenu foncier de 20 livres) par comté et 2 bourgeois par ville d’importance (rien n’est dit par contre en ce qui concerne leur élection). Même si ces « députés » ne participent pas aux délibérations du Conseil (c’est un speaker qui leur demande leur acceptation ou leurs objections) ils prendront peu à peu l’habitude de s’entretenir entre eux. Cette pratique d’Edouard devenue peu à peu coutume est d’importance pour 2 raisons :

D’une part, les rois vont s’apercevoir que les impôts sont mieux acceptés si ceux qui doivent les payer sont d’abord consultés (le fameux principe « no taxation without representation » date de cette époque6) ; or comme leurs revenus propres (ceux en provenance de leur domaine territorial personnel) vont s’avérer de plus en plus insuffisants face à la croissance des charges due au coût des guerres devenues presque permanentes à cette époque, ils auront besoin bien souvent de demander des subsides,

D’autre part, cette association fortuite des chevaliers, la petite noblesse plus agricole et commerçante que guerrière, avec les bourgeois - qui ont beaucoup de points communs (désir d’entreprendre et de s’enrichir) - est à l’origine de la future Chambre des Communes.

Ainsi dès le début du XIVe siècle (règne du roi Edouard III) le Parlement est divisé en 2

Chambres, celle des Lords réservée aux barons (1 seul par baronnie ou comté ou duché) et celle des Communes réservée aux chevaliers – gentilshommes campagnards - et bourgeois de 70 cités environ. Convoqué par le roi et élu par la population (les électeurs de la campagne doivent posséder un bien foncier d’une certaine valeur, quant à ceux des villes c’est dans la charte de leur cité que sont définies les modalités du vote), il a dans un premier temps un rôle essentiellement fiscal c'est-à-dire la concession – si la demande est justifiée - puis le contrôle d’impôts également répartis entre

5 D’après Jean Favier dans son monumental Les Plantagenêt, origines et destin d’un empire

6 En France il faut attendre 1789 avec Mirabeau qui déclarait à ses commettants (pour se faire élire aux Etats généraux) :

« Point de réforme, point d’argent » d’après Pierre-François Tissot dans son Histoire de la Révolution

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tous, sans exception de statut social. C’est ainsi qu’Edouard III obtient des subsides en 1337 pour constituer puis entretenir une armée destinée à la conquête de la France (il nie la légitimité du roi Philippe VI de Valois et revendique sa couronne, c’est le début de la guerre de Cent Ans). Mais il garde un rôle judiciaire en conservant le droit ancestral de juger – en dernier recours - les grands féodaux du royaume. Par contre son rôle dans le domaine politique ou législatif ne sera que consultatif car il est de la responsabilité, encore pour longtemps, du roi seul et de ses conseillers. Il faut aussi remarquer l’absence de l’Eglise dans ces assemblées. Des évêques pouvaient participer au Conseil mais en tant que seigneurs féodaux et non pas comme ecclésiastiques ; la plupart, effrayés par les nombreux conflits de leur roi avec le pape, ne voulaient pas intervenir dans la vie civile et restaient à l’écart ; ils s’en tenaient à voter leurs impôts dans leurs propres assemblées comme les Convocations de Canterbury et d’York.

Ainsi encadrée on pourrait penser que la monarchie anglaise est ressortie de cette période

affaiblie, il n’en est rien au contraire. Tous les historiens aujourd’hui croient qu’elle en est la principale bénéficiaire en ayant instauré un régime apaisé sinon complètement démocratique mais au moins en excluant pour toujours un système monarchique absolu. Cependant elle ne sera pas un long fleuve tranquille car un roi (Charles Ier au milieu du XVIIe siècle), qui se réclamera de droit divin et qui n’acceptera pas les limites que lui impose traditionnellement le Parlement, sera jugé, condamné puis exécuté et une république s’ensuivra… mais ce n’est, dans la longue Histoire de l’Angleterre, qu’une péripétie ! Sourions en constatant que ce roi anglais partisan d’une monarchie absolue était marié à la sœur du roi de France Louis XIII7 !

Notons aussi que c’est après la restauration de la royauté en 1660 avec Charles II – le fils du précédent, petit-fils d’Henri IV donc – qu’apparaissent les partis politiques (embryonnaires il est vrai) si chers aux Anglais, les Tories d’un côté partisans du roi et les Whigs8 de l’autre partisans du Parlement. Il est reconnu que les élections de 1679 furent les premières à avoir l’aspect de nos consultations actuelles avec meetings et empoignades accompagnées de discours violents. Ce sont les Whigs qui les emportèrent et qui réussissent à faire voter la célèbre loi dite habeas corpus qui empêche tout emprisonnement arbitraire d’un individu en légalisant l’appel obligatoire à un juge.

Jacques II succédera à son frère Charles II mais, catholique intransigeant, il sera obligé d’abdiquer et sa destitution est reconnue comme l’affirmation du rôle du Parlement face à la couronne puisque le nouveau monarque, le couple formé par Mary – la sœur des 2 rois précédents – et Guillaume d’Orange son époux, accepte de signer en 1689 le fameux Bill of Rights qui énonce formellement le rôle du Parlement et les limites du pouvoir royal. Ces 2 actes, dont l’un garantit les droits de tout individu et l’autre qui limite les prérogatives du pouvoir, constituent le fondement de la démocratie anglaise en éloignant à jamais toute forme de gouvernement despotique. Peu de temps après - au début du XVIIIe – l’arrivée au trône de la dynastie hanovrienne permet d’établir la responsabilité des ministres – constituant le Cabinet - devant les Communes9. Ainsi, dès cette époque, l’Angleterre a « inventé » la monarchie parlementaire… qui persiste encore aujourd’hui.

Qu’en est-il dans le royaume de France à la fin du Moyen Âge ? Lors du XIIIe siècle (l’illustre

siècle de saint Louis) et jusqu’à la mort de Philippe IV le Bel (fin 1314) la dynastie capétienne est pleine de vigueur : au dépens de ses vassaux elle réussit à étendre son territoire et à accroître son pouvoir. Philippe, malgré son autorité et son prestige, est le premier roi à réunir une « assemblée générale représentative de la nation ». C’est, pour nous aujourd’hui, un peu

7 Henriette née en novembre 1609 est la dernière fille d’Henri IV et de Marie de Médicis

8 Abréviation de Whiggamores, nom gaélique donné aux rebelles écossais, Tories est d’origine irlandaise et s’applique aux

rebelles catholiques 9 A la suite d’Anne Stuart, la 2

e fille de Jacques II qui régna de 1702 à 1714 le trône revient à Georges de Hanovre, arrière-

petit-fils de Jacques Ier

(premier roi de la dynastie des Stuart de 1603 à 1625) ; il n’était pas le plus proche parent du dernier

monarque mais le premier héritier… protestant ; comme il ne maîtrisait pas la langue anglaise il ne présidait pas les séances du

conseil de cabinet : ainsi le principal ministre a pris l’habitude de tenir son autorité avec l’accord de la majorité des Communes.

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paradoxal. En réalité le roi, en charge du « bien commun » que lui reconnaît la coutume ancestrale, renforce son pouvoir en consultant les « représentants » de son royaume : il montre ainsi à ses barons – qui voudraient contester sa puissance - qu’il a l’appui de son peuple ; à bon compte semble-t-il, car leurs représentants n’osent pas, à cette époque, refuser les propositions de leur roi. Les assemblées (peut-on les qualifier d’Etats généraux ?) de 1303, 1308 et 1314 sont de ce fait bien dociles. En France et pour longtemps encore, « le royaume c’est le roi » par l’absence d’une volonté populaire à l’intérieur d’un quelconque organe de contrôle politique. Pourquoi ?

N’invoquons pas la géographie (le royaume de France est grand – en terme de superficie – donc il serait difficile de réunir rapidement et régulièrement ses représentants à Paris) ni l’Histoire (le royaume est constitué d’entités féodales anciennes avec des coutumes et des institutions différentes) pour expliquer le manque de concertation entre les représentants du peuple (bourgeoisie citadine essentiellement et gentilshommes campagnards) et le pouvoir royal mais plutôt le tempérament déjà bien français : la carence totale d’interpénétration entre les diverses couches de la population qui s’amplifiera au fil des siècles et qui sera pour beaucoup dans l’absence d’une volonté de représentation « nationale ».

Jusqu’à la fin du Moyen Âge la France est encore un ensemble de fiefs et les barons, ne

voyant pas les bouleversements qui s’opèrent dans la vie politique (l’apparition d’une bourgeoisie riche de plus en plus puissante et la déconsidération de la noblesse : décimée par ses défaites durant la guerre de Cent Ans, celle qui reste - en s’éloignant de ses terres – est de moins en moins « au service des faibles » et n’est plus capable d’assurer son rôle ancestral, la sécurité et la protection de ses sujets), restent confiner à leurs prérogatives à l’intérieur de leurs principautés ou seigneuries. Au lieu de s’unir entre eux et éventuellement avec les bourgeois des cités pour mettre en tutelle la royauté, ils veillent jalousement sur leurs fiefs en voulant conserver leurs particularismes. Le mélange des riches représentants du tiers état et de la petite noblesse rurale – qui fait en Angleterre, on l’a vu, la force de la Chambre des Communes – est inconcevable en France à la sortie du Moyen Âge.

C’est entre la deuxième défaite française de la guerre de Cent Ans, à Poitiers en septembre 1356 et le traité de Brétigny en mai 1360 que la monarchie française aurait pu se réformer. Le prestige de la fonction royale est atteint – pour la première fois depuis l’avènement du premier roi capétien en 987 - et le rôle du roi aurait pu être soumis à des limitations constitutionnelles… à l’instar de celui du roi anglais en 1215. Ce fut l’intention des Etats généraux qui débutent à la fin de 1356 ; Etienne Marcel (prévôt des marchands de Paris) et Robert Le Coq (évêque de Laon) élaborent des réformes démocratiques (…pour l’époque) inscrites dans un document appelé La grande ordonnance de mars 1357 ; ses 61 articles ont pour objectif de contrôler la monarchie par la présence de 6 représentants des Etats au Conseil du roi et de surveiller les finances royales en proposant une monnaie fixe et en supprimant – pour tous les aristocrates - la dispense de l’impôt. Elle ne sera jamais appliquée à cause de la fermeté du dauphin Charles (futur Charles V, son père Jean II le Bon est prisonnier à Londres) soutenu par les principales cités de ses provinces et de l’extrémisme d’Etienne Marcel ; celui-ci laisse envahir le palais royal et tuer deux des proches du dauphin en la présence de ce dernier puis s’allie avec les Anglais. « Hué et blâmé » par le bon peuple de Paris, redevenu raisonnable, il meurt assassiné10 par ceux-là mêmes qui l’avaient soutenu… ainsi prit fin cette tentative populaire - mais « sans assise » de la population du royaume11 - trop hardie et autoritaire pour l’époque et surtout trop désordonnée et confuse pour imposer une monarchie « sous contrôle » ! D’ailleurs Georges Duby dans son livre Le Moyen Âge ne dit pas autre chose… Trop violente, la crise déconsidéra tout projet de réforme et finalement la royauté s’en trouva raffermie…

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Le 31 juillet 1358 11

On a noté que ce fut une révolte parisienne et remarqué l’absence de la noblesse qui, déjà, fait preuve d’aucun sens

politique

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Peu à peu la France sera divisée en 2 « classes » hostiles, d’un côté la noblesse et le haut clergé - qui ne paient pas d’impôts12 – et de l’autre le reste de la population dont le petit peuple qui supportera de moins en moins les privilèges exorbitants des aristocrates, opprimé qu’il est par toute sorte de vexations séculaires et écrasé par les impôts seigneuriaux et royaux13. Les rois convoqueront les Etats généraux avec parcimonie14 et toujours dans le cas d’une crise bien souvent financière. Si en 1789 l’appel aux Etats généraux est un aveu d’impuissance de la part de Louis XVI, incapable de réformer la société (égalité de tous devant l’impôt en supprimant les 3 ordres) et de diminuer les dépenses de l’Etat, les précédentes assemblées ont été des « chambres d’enregistrement » de la volonté du prince ; d’ailleurs les 3 « états », noblesse, clergé et tiers peuvent-ils s’entendre entre eux ? De surcroit, chaque ordre est hétérogène et désorganisé : Le clergé est partagé entre le « séculier » et le « régulier » et à l’intérieur de ceux-ci entre le haut clergé (évêques, abbés des grandes abbayes et certains chanoines) riche et prestigieux et le bas clergé pauvre et déconsidéré. La noblesse n’est pas aussi un corps très uniforme, partagée qu’elle est entre la haute noblesse qui gravite autour du roi et qui récupère ses faveurs sous forme de pensions et la petite noblesse rurale qui vit difficilement de ses domaines. Ce que l’on a coutume d’appeler le « tiers état » n’est pas, loin s’en faut, une classe – elle aussi - cohérente tant les clivages sociaux apparaitront de plus en plus au fil du temps : l’élite urbaine est composée des gens de robe (magistrats) et des riches marchands qui achèteront les propriétés foncières des nobles ruraux profitant de la ruine de ceux-ci ou de leur disparition (après la guerre de Cent ans) ; ce sont ces notables qui, accaparant les charges municipales, représentent le tiers état dans les Etats généraux. Qu’ont-ils en commun avec la masse des petits artisans, des boutiquiers, des domestiques et des gens de peine qui représentent la grande majorité de la population urbaine et avec les « laboureurs-paysans » qui représentent la grande majorité de la population rurale ?

Le constat de cette société très hiérarchisée, attachée à ses coutumes ancestrales, contestataire et inégalitaire a été effectué par quelques esprits supérieurs comme Turgot (1727-1781) « Personne n’est occupé que de son intérêt particulier. Nulle part il n’y a d’intérêt commun visible » et Charles Alexandre de Calonne (1734-1802) « On ne peut faire un pas dans ce vaste royaume, sans y trouver des lois différentes, des usages contraires, des privilèges, des exceptions, des affranchissements d’impôts, des droits et des prétentions de toute espèce ». On peut croire que leur réflexion était fondée puisque l’un et l’autre ont été Contrôleur général des finances de Louis XVI pour l’un de 1774 à 1776 et pour l’autre de 1783 à 1787.

Et les fameux Parlements ? Celui de Paris est l’émanation du Conseil du roi des premiers rois

capétiens. Sous saint Louis il devient un organe distinct chargé de la justice – qu’il rend au nom du roi – dont la compétence s’étend sur l’ensemble du royaume (à l’image du pouvoir du roi) car peu à peu la souveraineté a remplacé la suzeraineté. Dès la fin du XIIIe siècle, seuls les grands féodaux relèvent de sa justice mais il est également une cour d’appel des décisions prises par la justice locale, celle des bailliages et des prévôtés ; c’est, en réalité, le tribunal suprême de tout le royaume. Il a aussi – depuis 1337 sous Philippe VI de Valois - un rôle primordial, celui d’enregistrer les lois, ordonnances et décrets émanant du conseil royal avant leur application. Cela signifie que tous les édits et actes législatifs royaux doivent être acceptés par cette assemblée avant qu’ils puissent être appliqués dans le royaume. Son pouvoir législatif limité – acceptation ou refus des lois et décrets royaux et, dans ce dernier cas seulement, formulation possible de remontrances – doit être considéré comme le seul « contre-pouvoir » à la monarchie

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Sauf à la fin du XVIIe siècle avec l’instauration de la capitation qui était un « impôt par tête » ; la population était divisée

en 22 classes et à l’intérieur de chaque classe chaque personne payait la même somme mais il était avantageux pour les nobles… 13

Taine dans son livre Les origines de la France contemporaine calcule, à partir de chiffres récupérés dans les procès-

verbaux des assemblées provinciales (1778-1787), qu’il reste au « propriétaire taillable » 18 francs sur 100 francs de revenu

(après déduction de l’impôt direct royal, de la dîme ecclésiastique et des droits féodaux) soit moins du cinquième… 14

8 fois seulement entre 1484 et 1789

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absolue car le roi, monarque absolu de droit divin, ne tient son pouvoir que de Dieu et non pas d’une quelconque assemblée représentant les cités, provinces ou individus de son royaume.

En réalité leur « contre-pouvoir » est limité car les parlements (celui de Paris et ceux qui siègent en province – voir plus loin), pour manifester leur réprobation à certaines ordonnances du roi, ne pouvaient enregistrer celles-ci qu’avec un certain retard. Ainsi, par exemple, le fameux édit de Nantes signé par Henri IV le 13 avril 1598, le parlement de Toulouse ne le reconnaît que le 16 janvier 1600, celui de Bordeaux le 7 février, celui d’Aix-en-Provence le 11 août, tandis que celui de Rennes ne l’accepte que le 23 août 1600 ! Résistance des parlements à un texte qu’ils n’approuvent pas mais en définitive ils sont obligés de l’accepter et de le mettre en vigueur.

Les origines des parlements régionaux – qui ont les mêmes fonctions que celui de Paris - sont plus complexes, peut-être tout simplement à cause de l’éloignement de celui qu’ils remplacent dans leur province respective et de la spécificité des droits régionaux (les fameuses coutumes) dont ils veillent l’observance avec un soin particulier (surtout en Bretagne et dans le midi de la France). Le premier a été créé à Toulouse en 1443, celui du Dauphiné en 1453 est dû à Louis (le futur Louis XI) qui veut s’affranchir de la tutelle de son père Charles VII (qui lui a confié pourtant le gouvernement de la province… pour l’occuper et l’éloigner de la Cour) en « s’exerçant au métier de roi » ! Celui de Normandie institué par François Ier en 1515 remplace la cour souveraine de Normandie intitulée « échiquier » des premiers ducs normands. En octobre 1790 les 13 parlements provinciaux et celui de Paris sont supprimés et remplacés par des tribunaux créés par l’assemblée constituante… sans que quiconque s’en plaigne.

Les anciennes grandes provinces, celles qui n’avaient pas de parlement, avaient obtenu que siègent dans leur capitale des sessions extraordinaires de celui de Paris ; assises judiciaires périodiques en charge de la plus haute justice locale, elles étaient désignées comme les Grands Jours (en mémoire des assemblées de justice, dénommées ainsi, tenues par les comtes de Champagne aux XIe et XIIe siècles ?). Les premiers ont siégé à Troyes – justement - en Champagne en 136715 et les derniers à Clermont en Auvergne en 1666. A Lyon en novembre 1596, convoqués par Henri IV, ils doivent montrer la capacité royale à rétablir l’autorité dans une ville qui « s’était donnée » à la Sainte Ligue ; en rétablissement l’ordre et le bon fonctionnement de « sa » justice, le souverain veut aussi entrainer l’adhésion populaire autour de sa personne, en restaurant son image de « grand roi Justicier ».

Ce sont des officiers royaux formés au droit qui siègent dans cette institution et qui ont

remplacé les barons-juges nommés initialement par le roi. Au XVIe siècle s'instaurèrent l'hérédité et la vénalité des offices, que le roi multiplia pour les vendre à son profit. Propriétaires de leur charge16 donc, les membres de cette institution réputée prestigieuse, originaires de la haute bourgeoisie, formaient un corps très attaché à leurs privilèges, en particulier aux exemptions fiscales et à l’anoblissement à la première ou deuxième génération (c’est la noblesse de robe).

Au milieu du XVIIIe siècle ils s’insurgèrent contre la monarchie, résolue - enfin - à des réformes et, avec une certaine habileté, font croire que cette volonté d’innovation en provenance du conseil royal était en fait une « tyrannie » ; ils se sont ainsi conciliés une opinion qui aurait dû les flétrir17. Ils vont tout faire pour faire échouer les tentatives de réforme que la monarchie, aidée par des esprits compétents et dévoués - comme Turgot, Calonne, Loménie de Brienne, tous ministres de Louis XVI - cherche à imposer. Mais ce roi manquera d’énergie et d’autorité – ou tout simplement de caractère18 - pour les soutenir et les révoquera en donnant raison – de fait – aux

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D’après Françoise Bibolet dans son Histoire de Troyes, la capitale de la Champagne historique a accueilli de nombreuses

fois cette émanation du parlement de Paris, en 1381, 1391, 1395, 1398, 1402, 1535 et 1583 16

Le magistrat pouvait la vendre ou la transmettre en héritage. La vénalité des charges assurait-elle l’indépendance des

parlements ? 17

Philippe Erlanger dans un article consacré à la Marquise de Pompadour (Historia 209) 18

Hippolyte Taine dans son analyse de la révolution de 1789 (Les origines de la France contemporaine) est sévère avec Louis

XVI… son optimisme n’a jamais sondé l’immensité de la bêtise populaire et les profondeurs de la méchanceté humaine… il est

engagé par son passé, par son habitude de céder toujours et de ne jamais faire la guerre civile par son humanité obstinée et

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parlementaires… contrairement à son prédécesseur qui, las des perpétuelles obstructions du Parlement de Paris, l’a réprimandé fermement lors d’un lit de justice tenu le 3 mars 1766 (passé à l’Histoire sous le nom de la « séance de la flagellation ») ; l’extrait suivant du discours de Louis XV exprime au mieux la « puissance absolue » de la monarchie française :

…C'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison ; c'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage ; que c'est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent, non à la formation, mais à l'enregistrement, à la publication, à l'exécution de la loi, et qu'il leur est permis de me remontrer, ce qui est du devoir de bons et utiles conseillers ; que l'ordre public tout entier émane de moi et que les droits et les intérêts de la Nation, dont on ose faire un corps séparé du Monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu'en mes mains…

Cette institution [l’ensemble des parlements], qui a essayé sans succès d’être un contre-pouvoir, est devenue, au fil du temps, «…une bonne vieille machine de résistance à tout progrès, celle que les rois avaient tenté tantôt de violer, tantôt de tourner, tantôt de casser, sans jamais pouvoir y parvenir19 ».

Pour terminer ce panorama je ne peux m’empêcher de rapporter les réflexions d’André Maurois (1885-1967), romancier, biographe mais aussi historien remarquable (son Histoire d’Angleterre est fameuse et… m’a servi pour cet article), sur cette institution si caractéristique de notre « Ancien régime » qu’a été le Parlement : « Le Parlement de Paris n’avait rien à voir avec le Parlement de Londres. Celui-ci était une assemblée représentative ; celui-là une compagnie de magistrats héréditaires… Ils avaient leurs vertus : honnêteté, courage, culture. Nourris des classiques, ils parlaient volontiers des libertés républicaines. Mais ils tenaient à leurs charges, à leurs fortunes et à cet appareil imposant de leurs cérémonies. Cela faisait d’eux des révolutionnaires conservateurs. » Il écrivait ces quelques lignes dans un Historia daté de juin 1966, à propos de la célèbre rébellion du peuple de Paris, attisée par le Parlement et par de grands seigneurs ambitieux et sans scrupules, que l’on nomma « Fronde » (1648-1652) durant la jeunesse de Louis XIV et qui influença grandement le règne de ce dernier.

Le plus représentatif de ces parlementaires « pseudo-révolutionnaires » opposés à toute réforme venant du pouvoir royal est certainement Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil ; il conteste avec force les édits de Loménie de Brienne, demande la convocation des Etats généraux et acquiert une certaine renommée après son emprisonnement de quelques mois aux Iles Sainte-Marguerite en Provence (1788) ; élu député de la noblesse de Paris aux Etats généraux il devient alors un des plus violents adversaires des « idées nouvelles » et son impopularité monta à la mesure de sa popularité précédente ; il sera arrêté une première fois en juillet 1792 et – heureusement - libéré peu avant les massacres de Septembre ; arrêté de nouveau en septembre 1793 il est guillotiné le 23 avril 1794. Précurseur inconscient de la Révolution en bafouant sans discernement l’autorité monarchique, il est l’archétype de ces « beaux-esprits » qui, poussés par une certaine popularité ont réclamé des libertés dont au fond ils n’étaient pas de sincères partisans20, appelèrent un autre ordre des choses et celui-ci, en arrivant, leur sera fatal !

N’oublions pas les assemblées régionales de certaines provinces dites « Pays d’Etat » comme

la Bourgogne, la Bretagne, la Provence, le Languedoc21. Vestige du découpage de la France médiévale en duchés et comtés elles avaient conservé un droit de négocier, avec les représentants royaux, le montant, la répartition puis la collecte de l’impôt. Quelle réelle autorité possédaient ces « Etats provinciaux » convoqués annuellement par le roi ? Dans quelle mesure ses représentants étaient écoutés ? Ceux-ci d’ailleurs étaient issus uniquement des classes de privilégiés (évêques, abbés, maires de quelques cités en particulier), il n’y avait aucun délégué du petit

surtout par sa mansuétude religieuse ; le chrétien a supplanté le roi ; il ne sait plus que son devoir est d’être homme d’épée,

qu’en se livrant il livre l’Etat et qu’en se résignant comme un mouton il mène avec lui tous les honnêtes gens à la boucherie… 19

Claude Manceron, il juge ainsi l’institution même de Parlement, peu importe qu’il soit à Paris ou en Province. 20

Selon Chateaubriand, citation rapportée par Arthur Conte dans son 1er

janvier 1789 21

A la fin du XVIIIe juste avant la Révolution

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peuple des villes et du monde paysan. Mais il faut croire que le principe même de ces assemblées était ancré dans la mémoire collective française car, en Dauphiné à l’issue de la fameuse journée révolutionnaire de Grenoble du 7 juin 178822, une élite bourgeoise rétablit le principe de l’Etat provincial du Dauphiné qui réunira près de 500 personnes à Vizille le 21 juillet suivant et au cours duquel une lettre est adressée au roi lui demandant la convocation des Etats généraux23. En Bretagne c’est au début du XVIIIe siècle - durant la Régence – que les Etats de Bretagne s’insurgent contre le pouvoir, représenté par un gouverneur trop rigide le maréchal de Montesquiou. C’est en définitive une révolte antifiscale menée - dans un premier temps - par la haute aristocratie soutenue par quelques parlementaires (du Parlement de Rennes) qui dressent un Acte d’union pour la défense des libertés de la Bretagne. Comme on peut s’en douter c’était un pacte qui soutient et renforce tous les droits, privilèges et prérogatives de la noblesse bretonne ! Ensuite quelques petits nobliaux cabochards s’en inspirent, se révoltent et font appel à l’Espagne – plus ou moins soutenus par la duchesse du Maine, éternelle conspiratrice en mal d’influence politique24. Cette fronde confuse se termine, en mars 1720, par 4 condamnations à mort – pour crimes de lèse-majesté et de félonie - dont le marquis de Pontcallec… qui a donné son nom à la conspiration.

Pour conclure, en France, le roi est trop puissant pour accepter à son côté une autorité chargée de le contrôler et de toute manière celle-ci n’a jamais été envisagée (sauf la piteuse tentative de 1356) tant la société française était morcelée et divisée en communautés plus soucieuses de ses propres coutumes et privilèges que des intérêts de la nation. « Chacun pour soi, chacun chez soi » est une devise particulièrement adaptée à la société française de cette époque. La monarchie utilise les Etats généraux pour faire accepter ses décisions et non pour récupérer les doléances de son peuple sauf en 1789 et on sait comment cela s’est terminé ! Les Parlements ne sont que des chambres d’enregistrements des édits et actes royaux alors que celui de Londres est consulté avant toute levée d’impôts.

En Angleterre la « gentry » est une classe dirigeante qui a réussi au fil du temps à représenter

la totalité de la population en acquérant son soutien ; elle est devenue l’émanation d’une élite à la fois sociale, économique et politique de la société anglaise. En France rien de semblable : aristocrates et bourgeois fortunés – élite sociale et économique - n’ont jamais eu la confiance du peuple et ne sont jamais parvenus à constituer une classe dirigeante représentative. Pourquoi ? Par esprit de caste, par désintéressement, par faiblesse ? Je pense surtout que les nobles, en particulier ceux du XVIIIe siècle, ont été plus habitués à servir et à obéir qu’à agir et réagir, conséquence néfaste de leur asservissement par Louis XIV au siècle précédent.

La France est un pays inégalitaire car jamais il n’y a eu d’accord pour légaliser un impôt pour

tous librement consenti et il n’y a jamais eu une assemblée représentative avec un quelconque pouvoir à l’inverse de l’Angleterre où le Parlement a été une sorte d’agent de liaison entre le roi et l’opinion publique à tel point que le diplomate sir Thomas Smith pouvait écrire à la fin du XVIe siècle «Le pouvoir le plus haut et le plus absolu du royaume d’Angleterre est constitué par le Parlement, car tout Anglais est sensé là être présent en personne ou par procuration, depuis le prince jusqu’à la personne la plus humble d’Angleterre, de sorte que le consentement du Parlement est tenu pour être le consentement de tous »25.

22

La journée des Tuiles (voir mon texte http://www.slideshare.net/JeanJacquesTijet/la-journe-des-tuiles) 23

En réalité Necker en 1776 avait proposé la généralisation de ce type d’assemblées provinciales mais sa suggestion resta,

mise à part une expérimentation, à l’état de projet… repris 10 ans plus tard par Loménie de Brienne, sans plus de succès ! 24

Petite-fille du Grand Condé elle épouse le duc du Maine fils légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan ; elle est

célèbre dans l’Histoire par l’échec de ses ambitions et par la cour puérile et extravagante qu’elle a entretenue dans son château

de Sceaux. 25

Cité par André Maurois. D’autre part Napoléon Bonaparte aurait écrit (selon Patrice Gueniffey dans son Bonaparte)…

Comme la Chambre des communes représente la nation c’est l’unique digue que l’on a pu trouver pour modifier le despotisme et

l’insolence des courtisans…

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Est-ce la raison pour laquelle la France est un pays d’affrontement et non de consensus ? Est-ce la raison pour laquelle les Français, qui attendent tout – ou presque – de l’Etat, manquent de conscience politique et de responsabilité individuelle ?

Concluons cette comparaison France-Angleterre de l’Ancien Régime avec deux textes, L’un d’Hippolyte Taine tiré de son monumental « Origines de la France contemporaine » :

…Député élu [baronnet, squire en Angleterre] à la chambre basse [la Chambre des Communes], membre héréditaire à la chambre haute [la Chambre des Lords], il tient les cordons de la bourse publique et empêche le prince d’y puiser trop avant. Tel est le régime dans les pays où les seigneurs féodaux, au lieu de laisser le roi s’allier contre eux avec les communes, se sont alliés avec les communes contre le roi. Pour mieux défendre leurs propres intérêts, ils ont défendu les intérêts des autres et, après avoir été les représentants de leurs pareils, ils sont devenus les représentants de la nation. Rien de semblable en France. Les Etats généraux sont tombés en désuétude, et le roi peut avec vérité se dire l’unique représentant du pays26.

L’autre de Patrice Gueniffey tiré de son récent (2013) « Bonaparte » : …Au fond, si la Révolution éclata en 1789, c’est parce que la société avait été trop faible en France pour imposer à la couronne des limites du genre de celles que les barons et les communes proclamèrent en Angleterre dès 1215…

Si j’ai commencé cette analyse des différences des gouvernances française et anglaise durant

l’Ancien Régime par quelques interrogations – auxquelles je pense avoir donné des éléments de réponse – je vais aussi terminer par deux questions beaucoup plus délicates : Pourquoi, en moins de 250 ans, c'est-à-dire après notre fameuse Révolution, la France a connu 2 monarchies (plus ou moins parlementaires avec pour l’une, un roi de France à sa tête et pour l’autre un roi des Français), 2 empires et 5 républiques27 sans oublier un Etat français entre 1940 et 1944 alors que notre voisine l’Angleterre n’a jamais changé de régime, une monarchie vraiment parlementaire ? Faut-il croire que le peuple français est inconsistant ? Je ne suis pas le seul à le penser car le chancelier prussien Otto von Bismarck, durant la nuit du 1er au 2 septembre 1870, après avoir écouté le général de Winpffen – plénipotentiaire désigné par Napoléon III - plaidant pour l’atténuation des conditions de reddition de l’armée impériale enfermée dans Sedan en prétextant que celles imposées provoqueraient un sentiment de haine et de revanche dans le cœur des Français, réplique28 « On peut tabler sur la reconnaissance d’un prince, mais non sur celle d’un peuple, a fortiori pas sur celle des Français ! La pérennité leur fait défaut. Sans cesse leurs gouvernements et leurs dynasties changent, sans que l’un ait à tenir ce que l’autre a promis… »29. Y a-t-il une relation entre cette instabilité chronique de nos institutions durant « l’ère moderne » et la société d’autrefois basée sur l’inégalité naturelle et soumise à un pouvoir autocratique ? A chacun de répondre.

26

En d’autre terme, à la fin de l’Ancien Régime en France, le roi est le seul « décideur » et responsable et n’a aucun appui

démocratique ; ce système nécessite un roi « fort et puissant » comme Louis XIV mais s’il est faible et sans caractère comme

Louis XVI l’Etat se trouve fragilisé… 27

Je simplifie car la Première République (de septembre 1792 à mai 1804) a été régie par 3 constitutions… la première pour

la Convention, la suivante pour le Directoire et la dernière pour le Consulat ! Elles avaient été précédées par celle de 1791 qui

instituait une monarchie constitutionnelle. Et signalons que, quelques énergumènes – du genre hurluberlus – militent

aujourd’hui pour une VIe République…

28 Selon André Castelot dans son livre Vers l’exil…

29 Est-ce la raison pour laquelle certains affirment… La France est une veuve inconsolable, qui passe son temps à se remarier

et à divorcer. Selon Jean-Raymond Tournoux dans Pétain et de Gaulle.