Les Oublies

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LES OUBLIES

GUNTHER VON TRODEN, Obersturmführer au service d'HIMMLER transgresse toutes les lois hitlériennes ainsi que son serment d'allégeance à l'ordre noir en hébergeant chez lui dans la banlieue de BERLIN son ami et écrivain SAMUEL ROSENBERG.

L'histoire des OUBLIES commence le 14 novembre 1944. GUNTHER VON TRODEN vient d'apprendre le suicide du général ERWIN ROMMEL reconnu complice de l'attentat contre HITLER en date du 20 juillet 1944.

GUNTHER et SAMUEL savent que quoi qu'il arrive, I'ALLEMAGNE est sur le point d'être anéantie. BERLIN est la proie des bombes des armées alliées. L'étau se resserre. Mais l'un comme l'autre sont en danger. L'un pour être juif, l'autre pour être allemand. Unis par un amour platonique, la captivité de l'un pour l'autre les entraîne vers de multiples confessions. Le désir de vivre dans un monde meilleur leur fait parfois oublier la réalité.

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SAMUEL J'veux sortir, tu m'entends GUNTHER? J'veux sortir d'ici cinq minutes, juste dans le jardin. J'ai besoin de respirer dehors, respirer de l'air pur. J'ai besoin de toucher l'herbe, de toucher la terre pour oublier l'odeur du charbon, pour savoir si tout ça existe encore ailleurs que dans ma tête. Tu m'entends GUNTHER? Comprends-moi!

GUNTHER Comprendre quoi? Chaque jour que tu comptes, 5000 hommes, femmes et enfants sont exterminés dans des camps et toi tu veux sortir faire une ballade comme un chat sur un toit. Tous les jours, ils inventent de nouvelles folies pour détruire avec plus de facilité. Les feuilles de routes passent par mes services. SAMUEL L'ALLEMAGNE a perdu la guerre, les généraux de leur côté veulent gagner du temps, mais la machine à détruire continue. La situation est pesante pour tous, mais il est or de question que tu quittes cette pièce.

SAMUEL Juste cinq minutes pour oublier l'odeur du plancher, cinq petites minutes pour oublier la tapisserie des murs, simplement cinq minutes pour reprendre confiance, Est-ce trop demander? Mets-toi à ma place cinq minutes!

GUNTHER N'insiste pas SAMUEL j'e n'ouvrirai pas la porte, ni aujourd'hui, ni demain.

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SAMUEL 1095 jours 1095 nuits, tu peux comprendre? 1095 envies de mourir. Mourir en secret sans rien dire à personne, pas même à toi. Ma tête est vide, je n'ai plus de sentiments même pas pour moi. Je me hais. Regarde ce que je suis devenu?

GUNTHER Aujourd'hui, 1095 jours pour toi, je comprends, mais demain sera peut-être mon premier jour à moi et à moi seul car tu partiras rejoindre ta famille. Pour arriver jusqu'à ce grenier, tu as traversé une ville encore agréable. Aujourd'hui, derrière ces murs, il n'y a plus rien, plus rien, plus rien. Crois moi ne cherche pas à sortir d'ici, sinon tous mes efforts n'auront servi à rien. Il y aura une vie après tout ça et je veux que tu respires cette vie.

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SAMUEL Mais comment respirer quand on est un animal en cage, comment écrire avec tout ce qui ce passe dehors, mes mains me font horreur. Je peux rester des heures entières devant une feuille blanche sans écrire un mot. A croire qu'il est difficile d'écrire et que peut faire quelqu'un comme moi enfermé 24H /24H, s'il ne lit pas, s'il n'écrit pas, s'il ne dessine pas, s'il n'invente pas, s'il ne rêve pas de pluie, de désert, de promenade dans la neige. Il finit par penser qu'il est inutile, alors il déprime, il devient petit, de plus en plus petit, et finit par disparaître totalement.

Hier, j'ai rêvé également que je recevais une lettre de PARIS m'annonçant une bonne visite, me donnant une bonne raison de continuer ce jeu de cache-cache avec la mort.

J'ai rêvé également que je recevais une lettre de famille où je découvrais la tranquillité de ma mère dans son appartement à NEW-YORK. La nouvelle vie de mon père, de mon frère, quand les reverrais-je? Sont-ils en sécurité là où ils sont? Quelque chose me dit que oui. NEW-YORK me parait si grand, si loin de cette guerre. Mais dans ces moments terribles, l'espoir est-il juste?

J'ai mal de me voir, écrire aujourd'hui me parait fade. Quand j'écris le mot espoir c'est la main d'un autre qui l'écrit.

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Je ne suis plus rien, plus rien, plus rien, plus rien, tu m'entends? tous les jours tu me dis que la guerre va finir, encore un jour, encore un jour, encore, encore, mais moi j'en peux plus, j'en peux plus d'être là, j'en peux plus d'exister. Entends-moi! J't'en prie.

GUNTHER Reviens sur terre SAMUEL ici tu es SAMUEL Là, dehors, tu n'existes plus sortir maintenant c'est mourir. L'ALLEMAGNE continue à détruire plus que jamais. Encore un jour, encore un jour, bien sur encore un jour, mais je ne te mens pas. J'aimerai que ce jour soit demain pour que la mort cesse ses combats. Mais en attendant cette porte restera fermée de jour comme de nuit, tant qu'il le faudra! C'est le prix à payer pour voir le soleil se lever au travers de cette lucarne.

SAMUEL Je sais, j'aurais dû partir avec ma famille Cela t'aurait épargné bien des épreuves.

GUNTHER Mais tu ne l'as pas fait et nous sommes là, c'est la vie. Alors cesse de toujours regarder en arrière, ce qui compte c'est demain. Pense à la vie car tu es vivant.

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SAMUEL Tu crois vraiment ce que tu dis ou c'est juste pour me faire plaisir.

GUNTHER Il faut y croire, tu marcheras dans une ALLEMAGNE nouvelle telle que tu peux l'imaginer dans ta tête.

SAMUEL Mais je n'imagine plus rien pour l'ALLEMAGNE, si je sors vivant d'ici, j'irai certainement à PARIS ou NEW-YORK, d'ailleurs peu importe où j'irai, une chose est sure je serai loin d'ici.

GUNTHER Tu iras là où ton coeur te portera, là où tu rencontreras l'amour.

SAMUEL Comment peux-tu parler d'amour en ce moment? mais ouvre les yeux, pour une fois, regarde autour de toi ! L'EUROPE tout entière est un charnier. bientôt les gens vont se manger entre eux et toi - tu parles d amour! Tu as changé GUNTHER, tu es prisonnier de cette Allemagne nazie; tu n'es plus dans la réalité. tu rejoues ta guerre ici entre ces 4 murs. Tu m'obliges à vivre comme un rat, je n'ai plus la force d'écrire, même mes pensées sont mortes. Ne détruit pas le chemin, mon cœur ne le supportera pas.

GUNTHER Mais, nous vivons tous comme des rats; il n'y a plus rien à manger à BERLIN, il n'y a plus de ravitaillement.

SAMUEL Pour quelqu'un qui souffre, moralement ça ne se voit pas.

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GUNTHER Ne me rejette pas, c'est toi qui m'aide à vivre. tes pensées ne sont pas mortes ! NON ! justes endormies parce que la liberté te manque. Mais bientôt tout va changer ce monde-ci va s'écrouler pour un monde meilleur et ce monde meilleur va te donner des ailes. Alors tu comprendras lorsque les temps se seront assagis et que tout rentrera dans l'ordre, que j'avais raison.

SAMUEL Mais raison de quoi! Tu peux m'expliquer ?

GUNTHER Mais raison de te garder enfermé ici! n'oublie pas que tu as fait un choix. Tu regrettes?

SAMUEL Je sais ce que te dois, d'ailleurs, je te dois tout! Mais comprend moi! comprend les émotions qui s'entrechoquent en moi, je suis vivant, mais je sens la mort, elle est partout. elle rôde sans cesse. Quand tu rentes, tu portes la mort sur tes épaules, dans la couleur de ton uniforme.

GUNTHER Je te rassure bien vite, le costume à l'anglaise sera bientôt à la mode, mais pour l'instant il est hors de question que je me déshabille devant la porte.

SAMUEL La raison t'illumine! Il te va très bien ce costume de croque-mort; un peu terne, mais bien. Après la guerre, je le suspendrai à la grille du jardin pour faire peur aux corbeaux. Parce que, à part les corbeaux je ne vois pas à qui l'on pourrait faire peur En ALLEMAGNE! Puisque tous les juifs sont morts.

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GUNTHER Sale petit con, je te hais! ! ! Tu es injuste envers moi SAMUEL J'ai tout sacrifié pour toi, ta famille est en Amérique avec de quoi vivre largement ici, tu ne risques rien, l'ALLEMAGNE s'arrête au portail, je suis l'ALLEMAGNE. SAMUEL J'ai peur de ne plus comprendre, tu me fais peur GUNTHER Ton regard est celui d'un fou!

GUNTHER J'te demande pardon, je n'sais plus ce que je dis.

SAMUEL Ressaisis-toi GUNTHER, l'ALLEMAGNE te mange.

GUNTHER NON!!! Je suis juste fatigué de tout ce que je peux voir. L'horreur fait partie de mon quotidien, comment veux-tu que je reste normal tout le temps? J'ai parfois besoin d'un regard! J'ai parfois besoin d'être aimer! Je veux vivre aussi, même dans cette misère. J'ai besoin de ton aide, de toi. Quand je vois de jeunes soldats de ton âge transformés en boucher, où la seule fonction qui leur est demandée, est d'exterminer, gazer, brûler du matin au soir; marchand sur des cadavres ou sur ce qui en reste. Voilà pourquoi je cherche un autre regard. Dans quelques jours je serai à AUSCHWITZ. Je fais partie du corps expéditif pour l'inspection du camp. Certains dossiers doivent revenir à BERLIN.

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SAMUEL NON ! ! ! Tu ne peux pas faire ça ! Pas maintenant ? Mais qu'est-ce que je vais devenir ici? Sans ton aide!

GUNTHER Quelqu'un qui doit faire face au danger, SAMUEL

SAMUEL Combien de temps ? GUNTHER 20 jours, peut-être plus avec les déplacements de dernières minutes. J'ai reçu l'ordre d'accompagner le service qu'enquêtes de MULLER. Le Reichsfùhrer HIMMLER veut des comptes. Après AUSCHWITZ, je serai dans un autre camp mais je ne sais pas encore lequel.

SAMUEL Refuse, trouve n'importe quel prétexte, reste ici, fait jouer tes relations!

GUNTHER Impossible de refuser, tu le sais bien. La mort est la réponse à la négation. Le moindre soupçon est considéré comme une trahison et les personnes qui pourraient intervenir ne peuvent pas intervenir. Tout va tellement vite en cette période.

SAMUEL 20 jours ... mais il n'y a rien à manger ici?

GUNTHER Je sais.

SAMUEL Et si tu ne revenais pas ?

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GUNTHER Il faut l'envisager aussi, mais n'y pense pas, je reviendrai Cesse d'imaginer le pire. Je tiens à fêter la fin de la guerre avec toi. Je tiens à retourner à PARIS.

SAMUEL Comme en 36.

GUNTHER Oui comme en 36.

SAMUEL dort dans sa chambre GUNTHER FAIT SON ENTREE (lumière) - il pose sa veste puis sa casquette - va s'asseoir à sa table - se regarde dans son miroir - prend son arme et la pointe sur sa tempe - éclate en sanglots SAMUEL se lève et vient écouter derrière la porte.

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SAMUEL GUNTHER? tu m'entends? Que se passe-t-il? GUNTHER, parle je t’en prie? GUNTHER Je n'peux pas, c'est un cauchemar, je suis mort.

SAMUEL Parle-moi, je suis là pour t’écouter.

GUNTHER ROMMEL est mort, ils l'ont tué. lls lui ont proposé le suicide, tu imagines, pour l'honneur de sa famille.

SAMUEL Quoi ???

GUNTHER Tout est perdu SAMUEL, nous mourrons tous. SAMUEL Mais de quoi tu parles ???

GUNTHER Quand je te parle de folies, c'est tout un monde qui s'écroule'. - TRESSCHOW - OLBRICHT - OSTER - BECK - le comte HELLDORF - HANS BERND Tous exécutés, sans oublier tous les autres arrêtés par familles entières, parents, amis, tous déportés au camp de FLOSENBURG. J'ose même pas imaginer un instant ce qui adviendra d'eux et pour combien de temps ?

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SAMUEL Pourquoi pour les autres tu imagines ? GUNTHER Non! non! je n'imagine rien, ce n'est pas ce que je voulais dire. Mais la guerre pouvait être stoppée nette là, aujourd'hui, demain; Je ne comprends pas cet échec. lls avaient tout prévu.

SAMUEL L'instant zéro n'existe pas, la fatalité, GUNTHER, la fatalité. Mais ce n'est pas un échec, bien au contraire, HITLER le sait, il est perdu. L'exécution des généraux rebelles est une parade de plus pour convaincre le peuple allemand.

GUNTHER Tu as raison en toute chose, c'est toi et toi seul qui a raison SAMUEL. Les armées allemandes sont en déroute tout est question de temps. Les années de combats ont vaincu le moral des troupes. l'armée américaine ne connaît pas la fatigue, ils avancent si vite qu'ils entreront ici même à BERLIN. Enfin de ce qu’il reste de BERLIN

SAMUEL HITLER espère certainement une mésentente entre RUSSES et AMERICAINS ?

GUNTHER Il espère si fort qu'un plan d'action est déjà prévu.

SAMUEL Je suis persuadé qu'au fond de lui, il sait qu’il a perdu la guerre.

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GUNTHER Voilà pourquoi l'horreur touche à son comble, Allemagne retombe sur elle même, rassure-toi bientôt tu remarcheras dans les rues de PARIS.

SAMUEL Nous serons libres ???

GUNTHER La liberté est une fiction SAMUEL, tu appartiens forcément soit à quelqu'un, soit à quelque chose, l'homme qui n’appartient qu’à lui-même est un objet rare.

SAMUEL Mais avec tout ce que je viens de vivre, je veux être libre.

GUNTHER Si tu y arrives, alors tant mieux pour toi. mais ce jour là fait moi signe, je veux voir!

SAMUEL Sors de cette guerre GUNTHER? Cette guerre n'est pas la tienne, dans cette guerre il y a des responsables. Le destin t'a jeté dedans comme tant d'autres, la raison d'état, tu n'es qu'un exécutant. En temps de guerre, l'humain n'existe plus, juste un numéro, et rien de plus. Si tu t'imagines être un homme parce que tu portes des médailles alors sache qu'une chose bonhomme, les médailles qui poussent dans la merde ne sentent que la merde et rien de plus.

GUNTHER Possible que tu aies raison, possible que tu aies tort. Je ne suis peut-être qu'une fourmi dans la fourmilière qui a servi à la construction d'un tel édifice, mais je suis né dans ce système. L'ALLEMAGNE voulait gouverner l'EUROPE, qui possède I'EUROPE dirige le monde. Je me suis laissé envahir par toutes ces propositions. I'ai cru en l'ALLEMAGNE nazie, une ALLEMAGNE forte, une ALLEMAGNE invincible. BERLIN capitale du monde, la renaissance d'une nouvelle ROME.

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SAMUEL Et des millions d'esclaves pour vous servir ! ! !

GUNTHER NON ! Ne dis plus rien SAMUEL, Je t'en prie.

SAMUEL Choisis ton monde GUNTHER mais fais-le vite. ne me demande pas de choisir pour toi.

GUNTHER s'étend sur son lit.

SAMUEL va dans sa chambre et s'étend 1ui aussi sur son lit.

NOIR

Apparition de la conscience (AZERT) de GUNTHER pour la première fois.

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Première apparition de la conscience de GUNTHER. Il dort, elle entre et s'assoie sur le rebord de son lit.

AZERT GUNTHER réveille-toi, tu m'entends GUNTHER, c'est moi.

GUNTHER Qui es-tu? AZERT Je comprends ton inquiétude, tu ne me reconnais pas, nous sommes ensemble depuis si longtemps.

GUNTHER où suis-je?

AZERT Dans ton lit

GUNTHER Je suis mort?

AZERT Non GUNTHER, ce n'est pas un cauchemar, je suis ta conscience, Et je suis bien assise en face de toi.

GUNTHER Je n'ai rien à dire, laisse moi tranquille. AZERT Te laisser tranquille, mais tu grelottes comme un petit chien. Aurais-tu peur de moi GUNTHER?

GUNTHER Peur de quoi, et pourquoi devrais-je avoir peur?

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AZERT Parce que je suis ta conscience.

GUNTHER Je n'ai rien à me reprocher, je suis un bon soldat et honnête.

AZERT Je sais que nous sommes en guerre, Je la vis tous les jours avec toi, à travers toi. Ce que je veux, c'est que tu redeviennes toi et que tu oublies le soldat.

GUNTHER Mais je suis moi comment pourrais-je en douter, je sais qui je suis

AZERT Tu es GUNTHER, mais lequel de GUNTHER? Il y a tant de visages qui s'entremêlent sur ta face que je ne sais plus qui regarder.

GUNTHER Que me reproches-tu?

AZERT De ne plus être toi-même en cette sombre période.

GUNTHER Tu penses que je suis comme eux, tu as honte d'être la conscience d'un criminel.

AZERT Si J'étais convaincu que tu es un criminel je ne serais pas là, devant toi. Je t'aurais abandonné depuis longtemps, tu peux me croire. je n'aurais pas hésité une minute.

GUNTHER Maintenant je suis rassuré, j'avais peur d'être comme les autres sans possibilité de retour.

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AZERT Le chemin des enfers n'est pas fait pour toi, tu n'es pas seul au monde.

GUNTHER Je ne vois pas ce que tu veux dire.

AZERT Ne brouille pas les pistes avec moi je sais ce que tu penses. Je te parle de ton univers et toi tu penses comme si tu étais seul. GUNTHER A quoi bon?

AZERT Ne sois pas fataliste, ouvre les yeux.

GUNTHER Au contraire je sais très bien que dès que la fin de la guerre aura sonné je me retrouverai face à mon destin. Je ne vois pas la vie demain.

AZERT Tu veux rester ici?

GUNTHER Je n’en sais rien, aujourd'hui vivant, demain mort.

AZERT Et si tu regardais la vie au lieu de sourire à la mort.

GUNTHER La vie, mais quelle vie? Montre-moi la vie puisque tu sais tout.

AZERT Lève-toi, et prends-moi la main, je vais te monter la vie.

GUNTHER Où m'amènes-tu?

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AZERT Nulle part, nous restons ici. Ecoute. Ouvre les yeux et écoute ici il n'y a rien et mais si tu regardes bien il y a tout, il suffit de regarder, d'écouter et l'on comprend vite le besoin vital qui te pousse à vivre ici. Tu n'es pas seul au monde, ton champ de bataille est peuplé de vie et chacune de ces vies te regarde sans comprendre pourquoi tu te rapproches d'elles. Aujourd'hui, tu ne vois rien car ta vue est troublée, tu marches dans un monde qui n'est pas le tien. Les armées du grand ALEXANDRE se sont éteintes et pourtant toutes ont marché sur des sables parfumés de gloire. Les larmes et le sang ont fertilisé les terres conquises. Mais aucun d'eux ne pouvaient voir car tous avaient les yeux rivés sur leurs chefs défiés en Dieux suprêmes et invincibles. Maîtres à jamais de toutes les terres et de toutes les vies. Des édifices de gloire furent érigés pour couronner le succès des victoires ; Mais le temps, lui ne peut s'arrêter et ce qui fut tomba en ruine. Des larmes nouvelles, du sang nouveau coulent encore et fertilisent la terre existe-t-il un Dieu pour expliquer tout ce désespoir. Gagne en beauté quand tu peux aider la vie. Je sais de quoi je parle, je vis à travers toi, ouvre tes yeux GUNTHER. Si tu devais mesurer la soif de vie qui serpente dons mes veines, il te faudrait des jours et des jours et des nuits pour comprendre tout l’amour et la lutte de chaque instant pour venir te reposer sur le rivage de mes pensées L'amour est un soleil qui me réchauffe le coeur et qui te réchauffe la peau. Si ta main tremble, la mienne aussi, tu respires et je respire tes sentiments sont les miens. Si tu aimes alors je suis heureuse. Quand ta main caresse une autre main des frissons roulent sur ma peau. Quand ta main caresse le métal c'est comme un coup de poignard que je reçois là….. A la pointe du cœur.

Mais à travers toi, j'ai appris ce que veut dire aimer, mais égalent ce que veut dire souffrir d'amour.

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((vers SAMUEL ))

Regarde-le dormir Dans sa tête il y a la vie, tout autour de lui, il y a la vie.

GUNTHER Tu peux communiquer avec lui?

AZERT Non! Je suis ta conscience, pas la sienne. Mais je peux l'entendre.

SAMUEL écrit son journal de guerre, tranquille dans sa chambre. De son côté GUNTHER, une lettre à la main circule dans sa chambre comme s'il répétait un rôle de théâtre (en silence), dans l'autre main une bouteille de cognac à moitié vide.

SAMUEL occupe ses jours et ses nuits à mette en écrits les récits de guerre de GUNTHER depuis qu'il vit enfermé dans l'appartement de celui-ci à BERLIN.

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LETTRE DE SAMUEL A GUNTHER

GUNTHER,

Salut à toi Prince des enfers tu recouvres la tourmente de cendre funéraire.

Tu rêvais d'être peintre ou bien poète et te voilà tyran, chassant dans la profondeur de la terre les derniers espoirs de milliers d'enfants.

Regroupés en ghettos pour avoir enfanté en d'autres temps une autre croyance, les voilà, collectivement offerts en pâture comme une attirance. Ils sont rougis des entrailles de leurs corps.

Dans leurs regards jaillissent des instants de haine, de furie, de désespoir, d'abandon. Parfois ici, parfois là, un sourire perdu échappé d'un visage déjà endormi pour l'éternité.

lls se sont couchés là ... blanchis par un soleil trop fort. Ils dorment entassés, paisibles, désarticulés par le vent telles des statues en désordre ils s'harmonisent avec les vivants. lls marchent vers l'éternel et toi Prince des enfers tu marches parmi les morts.

Ton regard se porte parfois vers des horizons où se dissimule en secret ta vision du monde.

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LETTRE DE SAMUEL A GUNTHER (suite et fin)

Tes bottes sont ternies d'une poussière à laquelle je ne puis donner de nom.

Béni soit ce Dieu qui reçoit en si grand nombre. Béni soit ce Dieu qui couche à sa table autant de main tendues. Béni soit ce Dieu qui t'accordera le pardon.

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SAMUEL Dis-moi GUNTHER puisque tu ne travailles pas aujourd'hui, Comme mon journal de guerre piétine, j'aimerais te poser des questions sur des points précis ? j’aurais besoin d’informations pour mon journal de guerre je voudrais éclaircir quelques notes tu veux bien. ?

GUNTHER Pourquoi pas ! ! ! Je commence par quoi ? voyons un peu, PARIS, la mer. la montagne ou le tour de l'Europe en 80 jours ???

SAMUEL Parle-moi du mur de l'Atlantique !

GUNTHER gagné ! ! !

SAMUEL gagné quoi ? GUNTHER La mer (soupir), Deauville, Que veux-tu de l'Atlantique, je ne connais rien de ce foutu mur de l'Atlantique. ne me fait pas le mercenaire de tes fantasmes, tu imagines trop de choses SAMUEL. Dans mon existence je ne suis allé que 2 fois en FRANCE. à CANNES en 1933 et à PARIS en 1936 où j'ai fait la connaissance de l'écrivain SAMUEL ROSENBERG. SAMUEL Oui je m'en souviens, ce qui prouve que j'ai encore de la mémoire.

GUNTHER C'est bien de le reconnaître.

SAMUEL Si nous revenions à tes conquêtes, ce serait une bonne chose !

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GUNTHER Qu'est-ce qui t'intéresse, aujourd'hui. Vas-y pose tes questions. Je n'ai que ça à faire, te regarder, t'écouter et te répondre. Tout ce que tu veux !

SAMUEL Attention ! ! ! C’est une vraie question GUNTHER, je ne joue pas.

GUNTHER Moi non plus

SAMUEL Quand HITLER a envahi la Pologne, tu étais où ?

GUNTHER En Pologne, comme tout le monde.

SAMUEL Et pour l'Autriche ?

GUNTHER En Autriche j'aime beaucoup VIENNE. C'est une ville merveilleuse que tu connais bien d'ailleurs ! Même mieux que moi ! Tes grands-parents sont bien originaires de STOCKERAU. SAMUEL Je sais, c'est à 25 KM de VIENNE.

GUNTHER Et dire que nous nous sommes rencontrés à PARIS !!!

SAMUEL Et après l'Autriche ???

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GUNTHER Ici, là. un peu partout. Mes foncions m'ont permis de découvrir de nombreuses villes. Je suis même allé jusqu'à SAINT-PETERSBOURG. Mais vois-tu quand tout va trop vite, les villes finissent par toutes se ressembler et l'on ne regarde plus rien. C'est comme les gens qui passent devant vous à grande vitesse, ils se ressemblent tous, même taille, même profil, même allure. Je n'étais pas là-bas en visite touristique, aussitôt débarqué dans une ville, je devais traiter une foule de dossiers. Je n'avais pas le temps de me poser des questions. SAMUEL Mais enfin GUNTHER quand un homme entrait dans ton bureau pour y être jugé ...

GUNTHER Stop ! ! ! Je n'ai pas jugé SAMUEL-, quand un homme entrait dans mon bureau, il était déjà jugé, nuance. Je ne faisais que l'inscrire sur mes registres, ce qui advenait de lui ne me regardait pas, ce n'était pas mon travail. L'homme en face de moi n'avait pas de visage. Je ne ressentais rien pour lui, ni pour ceux qui étaient avant lui, ni pour ceux qui étaient après lui. Quand mon travail était fini j'allais dormir pour oublier.

SAMUEL Ce n'était pas une fonction aveugle que tu exerçais ? Tu voyais et tu entendais, ils t'ont forcément parler ces gens-là ?

GUNTHER NON ! ils ne me parlaient pas.

SAMUEL Comment est-ce possible ?

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GUNTHER Je ne voyais pas et je n'entendais rien, j'écrivais un numéro sur une feuille de route, juste un numéro, c'est tout ce que je faisais. Ecoute. SAMUEL, ce travail de fonctionnaire ne m'a jamais plu, si d'autres ont excellé dans ce domaine pour moi ce n'était pas ma tasse de thé. C'est pour ça que je suis revenu à BERLIN dans les services d'HIMMLER. Pour être ici, chez moi, dans mon monde. La vision des camps en POLOGNE, je ne pouvais plus la supporter.

SAMUEL Et si je m'étais trouvé dans ton bureau parmi les autres, tu m'aurais inscrit sur ton registre ???

GUNTHER Non, non, Non, SAMUEL, non, je ne t'aurais pas inscrit. Non, je t'aurais tué de mes propres mains pour t'épargner la souffrance.

SAMUEL Si tu veux interrompre mes questions-réponses, je peux comprendre.

GUNTHER ça va aller, reprenons notre travail. sinon tu ne finiras jamais ton livre.

SAMUEL Quand tu étais sur le front, tu y faisais quoi précisément ?

GUNTHER Un travail de soldat précisément ! Attendre, observer, faire feu sur l'ennemi, gagner du terrain, parfois en perdre, donc en reprendre.

SAMUEL Passionnant ! Vraiment passionnant ! ! !

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GUNTHER Est-ce que je t'ai parlé un jour de la solidarité entre soldats, c'est quelque chose qui n'a pas de prix. Il faut être fort des uns des autres pour supporter une situation aussi douloureuse que la guerre. SAMUEL Je sais qu'il y a des moments forts pendant les guerres, mais il n'y a pas des combats 24 H sur 24.

GUNTHER Bien sur que non. sinon personne n'aurait pu tenir le coup. Nous sommes des hommes pas des machines. Il faut bien dormir et puis manger sinon il n'y aurait plus de soldat.

SAMUEL Et là-bas, tu arrivais à dormir ??? GUNTHER Quand tu sais que quelque chose se prépare, tu ne dors pas vraiment. tu essaies mais ce n'est pas dormir. Tu crois que tu dors, c'est dès différent, tu t'en persuades. Mais parfois, la tension se relâche et là tu tombes dans un sommeil de plomb. Je ne sais quelle est la part de mystère qui nous entoure mais dans ce cas précis où que tu sois ton sommeil est si fort que même une explosion à 100 mères tu l'entends pas.

SAMUEL Les soldats dont tu parles ont des années de guerre sur les épaules. pour eux entendre une explosion doit paraître aussi banal qu'un orage de grêle au mois d'août.

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GUNTHER Et pour vous monsieur ROSENBERG, une explosion c'est quoi au juste le bruit qu'émet voie taille-crayon lorsque celui-ci tombe de votre bureau, ou bien encore que sais-je. peut-être le crissement de la mine de votre crayon sur le papier lorsque celle-ci se brise à votre insu stoppant tragiquement la missive d'amour destinée à votre COLOMBINE, ARLEQUIN ou cet autre PIERROT dans la lune. Vous êtes un enfant monsieur ROSENBERG. vous ne serez jamais un adulte. même en temps de guerre.

SAMUEL Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi nous nous sommes rencontrés.

GUNTHER Tout simplement parce que j'aime ce que tu écris et l'être que tu es, tu as plus de valeur que tu ne le penses.

SAMUEL Je ne veux pas être le fou du Roi.

GUNTHER Mais qui te parle de propriété, tu es libre, tu n'appartiens qu'à toi même. T'ai-je un jour demandé quoi que ce soit à part écrire ???

SAMUEL Et si I'HITLER avait atteint son but en gagnant la guerre. que ton parti SS soit parvenu à étendre sa domination sur l'Europe, moi dans tout ça, je serai devenu quoi ??? Un presse-papiers pour ton bureau de chef ?

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GUNTHER Mais tant que je serai vivant tu seras vivant. tu n'as pas à t'inquiéter de quoi que ce soit. Personne ne viendra ici. Tu peux dormir tranquille. Si les stratégies d'HITLER ne l'avaient pas conduit à l'échec, aujourd'hui, tu serais à NEW-YORK avec le reste de la famille ROSENBERG, nous ne serions pas ensemble ici à BERLIN (rires)

SAMUEL ça veut dire quoi ce rire ???

GUNTHER Sais-tu que le représentent du FÜHRER pour le contrôle des activités intellectuelles de la nouvelle Allemagne porte le même nom que toi - ROSENBERG.

SAMUEL J’ai du mal à supporter ton humour en cette période GUNTHER ça devient franchement fatigant. Comment peux-tu comparer ma famille avec ce boucher à la con qui brûle des livres parce qu'il est incapable de comprendre ce qu'il y a à l'intérieur ... tout juste bon à lire le titre.

GUNTHER Alors cesse de faire ta guerre. et ne me compare plus à un mercenaire assoiffé de sang; parce que la guerre ce n'est pas ici, c'est derrière la porte et toi la guerre tu ne connais pas. Moi ?tous les jours je risque de me faire flinguer Toi, le seul accident qui puisse t'arriver c'est de renverser ton encrier ! ! ! SAMUEL Je n'ai plus de question à te poser, pour aujourd'hui, je vais dormir, bonne nuit GUNTHER.

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GUNTHER C'est ça bonne nuit SAMUEL, ha ! au fait, le mur de l'Atlantique n'a pas servi à grand chose.

SAMUEL Je sais, sinon les américains ne seraient pas là. A BERLIN !!! Bonne nuit GUNTHER, fait de beaux rêves.

Ne pouvant trouver le sommeil GUNTHER se lève et va frapper à la porte de la chambre de SAMUEL. L'envie de se confesser l’invite à parler. SAMUEL écoute attentivement sans intervenir.

GUNTHER D'abord il n'y a rien, rien à faire. rien à regarder. seulement attendre que le vent chasse les nuages. Puis il y a le silence, un silence lourd, un silence chargé d'électricité comme ces moiteurs d'été juste avant l'orage qui rendent les mains humides. Et puis, soudain, c'est l'éclaircie, et là tout change. Dans le creux de l'oreille c'est comme un murmure puis le murmure devient plus fort pour devenir un bourdonnement.

De temps en temps tu regardes ta monte Et là aussi le doute te prend tu te demandes sans cesse si elle marche, et là sous tes yeux la grande aiguille avance d'un cran. C'est dérisoire. mais là-bas cela représente beaucoup. Chaque minute qui passe est une minute de vie.

Et là, sans savoir pourquoi tu sens une pression à la base du thorax, ton coeur s'accélère; ton sang se met à bouillir dans tes veines. Tu transpires sans savoir.

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Tu ne contrôles plus rien. Dans ta tête, des images défilent, des images de toutes sortes. Tu ne cherches même pas à les retenir. d'ailleurs tu ne le peux pas, même si tu le voulais. Tu sais que là, devant toi quelque chose se prépare et tes yeux fatigués cherchent désespérément dans l'horizon quelque chose qui ne vient pas.

Et là. devant toi. soudain, il y a un visage, ton esprit cherche à le retenir, mais autour de toi, il y a une telle pression une telle inquiétude, une telle peur, que ce visage que tu m'aimes s'évanouit dans le brouillard de ta mémoire et là, seulement à ce moment là, tu pleures. Alors très vite tu comprends qu'en fermant les yeux cette image d'amour que tu as vu reviendra à ta mémoire, et c'est tout ce qui compte. Car là-bas, à part ce visage, il n'y a rien.

Tu vois SAMUEL lorsque les soldats des premières lignes attendent le signal, eh bien ils sont là ..., agenouillés contre un mur, terrés dans un trou d'obus, le fusil chargé, le regard fixé sur horizon. Ils sont là, comme des marionnettes endormies ils ne peuvent rien voir car les images qui défient dons leurs têtes sont si fortes, si pleines d'espoir, si pleines d'amour qu'ils se sentent oubliés du monde pendant un les court instant.

Et puis tout à coup un vrombissement assourdissant pénètre atmosphère il vient de loin, le voilà qui arrive, c'est un tank, mais toi tu ne le vois pas, tu cherches d'où ça vient. Les hommes de tête te font signe

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et toi tu interprètes du mieux que tu peux. Mais le vacarme ne s'arrête pas là, il pénètre le sol, il le mange petit à petit, tu sens qu'il le dévore comme il dévore tes vêtements tu te sens anéanti. Il avance toujours et maintenant c'est tout ton corps qui tremble. Tes oreilles ne captent qu'un seul bruit, le crissement des chenilles et ce bruit te rend fou. Tu ne sais plus où tu es, tu parles à ton voisin mais il ne t'entend pas. Alors tu réalises que tu es planté dans le décor comme un chou dans un jardin, une grenade antichar dans chaque main. Le voilà, il arrive vite, là devant toi,

150M 100 M 50 M 30 M

alors tu balances tout sans chercher à comprendre. Et là tu cours dans le vide poussiéreux entre le feu et les débris de métal chaud qui lorsqu'il te touchent te déchirent la peau, et personne ne peut rien pour toi, le bruit t'a rendu sourd et à moitié fou, ceux qui te parlent apparaissent dans le flou, tu es dans un autre monde.

Et puis l'avion apparaît dans l'éclaircie il vient de nulle part et il est là, c'est le sifflement des balles qui ramènent les soldats à la réalité ou les emportent pour toujours et c'en est fini de la belle image d'amour. Tu voulais des commentaires de guerre eh bien en voilà, mais le pire c'est le sang, il est parfois si sombre qu'il est presque noir.

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il roule sur la terre et la terre le mange vite si vite qu'elle en réclame toujours plus. Et les corps se vident les uns après les autres comme si elle avait toujours faim. Quand tu es sur le front autour de toi, il y a des gens que tu aimes bien car ils partagent la même chose que toi. la même souffrance, la même déchéance humaine. Alors quand le vacarme s'arrête que le char est vaincu pour de bon, tu les cherches. Certains ont répondu présent pour d'autres c'est le silence. Tu pars à leur recherche et puis tu arrêtes tétanisé. Tu voudrais marcher vers eux, mais tu ne le peux pas, ton regard est figé sur la tête d'un camarade mort, mais il n'y a plus de cops. Tu voudrais parler mais tu ne le peux pas. Tu voudrais mourir mais tu ne le peux pas. Tu n'y penses pas, tu le regardes, d'ailleurs tu ne penses plus. Et pourtant seule la mort pourrait gommer cette image. Mourir en temps de guerre c'est facile, tu armes, tu pointes, tu tires, eh hop. Il n'y a plus personne.

Bien sûr qu'il y a d'autres versions chaque homme aura sa version. Mais dans le fond, je crois que dans tous ces instants où l'homme se retrouve face à la mort, ce sont des images d'amour qui reviennent à sa mémoire. Car dans ces moments tragiques, il faut quelque chose de très fort pour garder encore un peu de lucidité et ne pas sombrer dans la folie quand l'horreur se met à frapper.

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Vois-tu SAMUEL que tu sois soldat d'Allemagne, de France. d'Italie. D’Amérique ou de tout autre pays, l'homme qui se retrouve au combat est un homme seul, livré à lui même. Car il doit survivre à tout prix et ce qui le pousse à rester en vie c'est l’image d’amour qui le hante et qui lui rappelle que quelque part il m'aime et qu'il est aimé en retour.

SAMUEL Combien faut-il d'années pour guérir d'une guerre ???

GUNTHER Certainement une courte période, puisque nous passons d'une guerre à l'autre. Le temps que les enfants grandissent.

SAMUEL Voilà pourquoi nous sommes nés. il ne fallait pas grandir et nous sommes devenus grands, quelle tristesse.

GUNTHER Lorsque j'étais enfant, je suivais ma mère dans toutes les boutiques de la ville, à 14 ans, je fus considéré comme un adulte. Alors je marchais derrière mon père lorsqu'il faisait la tournée de ses usines. Aujourd'hui, je cours dans une guerre qui n'est pas la mienne. Ce qui est drôle dans tout ça c'est que je n'ai jamais eu le temps de dire je t’aime à quelqu'un. Avoir quelqu'un à soit pour l'aimer très fort, pour ne pas être seul, savoir que quelque part il y a quelqu'un qui m'aime en retour. Je crois que c'est ça l'amour.

Je ne suis pas ton Prince des Enfers là à l'intérieur j'ai mal, mal de me voir aujourd'hui, mal d'être ce que je suis. Je ne veux pas être peintre. je ne veux pas être poète, je veux être moi-même tout simplement redevenir ce que j'étais avant la guerre. L ivresse des discours du FÜHRER se brouille dans ma mémoire, les colonnes de lumière n'éclairent plus personnes, le temps des fêtes est terminé. Partout où je pose mon regard je vois des morts. Je vois plus de morts que de vivants.

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Des profondeurs de la terre jaillissent des multitudes d'applaudissements venant des millions d'hommes morts aux combats au cours des siècles de guerre qu'a connu cette terre. Si tu fais le silence autour de toi, tu les entendras comme je les entends.

Ils ont traversé plaines et montages pour envahir d'autres pays comme nous l'avons fait. A leur tête, il y avait de grands hommes, avec de grandes idées, avec de grands espoirs, pour de grands empires.

Les noms de ces hommes résonnent encore dans les mémoires. ALEXANDRE, CESAR, mais tous ces empires sont morts. Le nôtre devait durer mille ans. BERLIN serait devenu la capitale d'un grand empire.

Je ne t'embêterai plus avec mes rêves, je suis fatigué, je vais dormir. Essaie dans faire autant ! ! ! Bonne nuit SAMUEL.

GUNTHER parle seul devant son écran, Fanatiser par son charme et son éducation resplendissant dans son uniforme

SAMUEL l’observe sans rien dire dans un premier temps,PUIS IL INTERVIENT, pour freiner la dérive de GUNTHER.

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GUNTHER Rien ne peut filtrer dans ton regard, tu restes terrible, fascinant, lion du désert. Si parfois tu mettais mal à l'aise tous ceux qui ne te comprenaient pas c'était juste pour qu'ils sachent que le vrai pouvoir peut-être contenu dans un simple regard. Pendant des année tu as été un Dieu. un exemple pour des milliers de jeunes t aujourd'hui je reste encore en admiration face à ta mémoire. OBERGRUPPENFÜHRER ROMMEL Je te salue.

SAMUEL A t'entendre, j'ai l'impression d'écouter un discours d'HITLER. Tu devrais ajouter, nul ne doit douter de sa foi. chacun doit être responsable, chacun de nous a entre les mains la clé de la destinée du III° REICH. Je suis l'Allemagne. je suis hier de vous mon FÜHRER. Tu parles comme lui, tu raisonnes comme lui. Abandonne cette folie, elle te détruit et tu ne t'en aperçois même pas. Et après tu t'étonnes de recevoir des lettres où je t'accuse d'être un assassin, un ange de la mort, un exterminateur. Ne sois pas en colère car mes provocations sont justifiées. Elles sont même calculées, mot pour mot pour que la raison ne te quitte pas. Ne te laisse pas manger par la propagande GUNTHER ne deviens pas complice de cette mort, il faut que tu réagisses, sauve-toi, sauve ton âme. Voilà plus de mille jours que je vis enfermé ici imagine un instant ce que j'ai enduré pour ne pas devenir fou.

Pour moi, sortir d'ici, c'est mourir, si j'avais dû succomber à toutes les tentations que la dérive de l'esprit permet, je ne serai pas le SAMUEL que tu vois tous les jours. Cette maison serait devenue un enfer, 1'un de nous serait déjà mort. GUNTHER tu as sous les yeux ce que tu cherches depuis des années. alors reste tel que tu es et laisse les autres suivre leur destinée jusqu’à la descente aux enfers.

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GUNTHER rentre de mission, son regard est vide. Le voilà dans sa chambre face à lui-même. il pose son uniforme avec mépris, avec dégoût. Le voilà à genoux, les bras en croix. Il demande pardon à DIEU. Sa conscience apparaît (cette fois-ci en lumière rouge pour souligner sa profonde indignation). La conscience accuse GUNTHER de criminel. celui-ci la supplie de lui pardonner sa lâcheté d'homme et son obéissance de soldat afin qu'ils puissent vivre de nouveau ensemble. Dans sa démence GUNTHER monte le ton ... le voilà qui crie pour briser le mur du silence. - pardonne-moi (ter).

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SAMUEL sort de son sommeil et fait irruption dans la chambre de GUNTHER. Ils sont face à face. GUNTHER se tient à environ un mètre de SAMUEL, les genoux au sol et les bras en croix. A cet instant précis, ils sont seuls au monde. SAMUEL pleure, GUNTHER se jette à ses pieds.

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GUNTHER Pardon, SAMUEL, pardonne-moi.

SAMUEL Mais pardon de quoi ???

GUNTHER Pour ce que j'ai vu, pour ce que j'ai fait. SAMUEL La guerre nous jetés dans le chaos le plus total. c'est pour ça que j’ai pardonné.

GUNTHER NON pas toi SAMUEL, pas nous, moi tout seul je suis un criminel,je suis devenu comme eux.

SAMUEL Je sais que tu ne le voulais pas.

GUNTHER Mais comprends-moi, je n'ai rien fait pour empêcher tout ça.

SAMUEL Tu n y pouvais rien, GUNTHER, regarde la vérité en face. Tu te vois partir en guerre conte le pouvoir central, dire non c'était mourir !!! c'est ça que tu voulais... mourir ??? Le grand GUNTHER VON TRÖDEN seul conte le III REICH ! ! ! Tu oublies que tu es un conspirateur. Le problème, GUNTHER c'est que tu serais mort avant d'avoir touché la porte du FÜHRER. A l'heure actuelle la seule chose qui puisse parvenir au centre du bunker, c'est les vibrations des bombes américaines qui tombent dans le voisinage. L'aigle d'Allemagne doit trembler dans son nid en ce moment. Le national socialisme va retomber dans l’oubli.

GUNTHER J'ai honte. je ne pourrai plus jamais te regarder en face. Je t'ai fait tant de mal.

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SAMUEL HITLER a fait le mal, dans notre pays, dans toute l’EUROPE. Tu n'es pas lui, tu n'es pas le pouvoir. Tu n'es pas l'Allemagne, tu es allemand, moi aussi je suis allemand.

GUNTHER Comment peux-tu me pardonner ??? comme je voudrais être toi, avoir ta force, ta volonté, j'ai trouvé refuge derrière cet uniforme. Par lui|, je suis devenu fort, j'ai acquis de l'importance.

GUNTHER mon uniforme m’a donné tous les droits, même celui de tuer. Mais moi je ne tue pas avec des armes, non, moi, je tue avec ma signature. C'est un autre pouvoir; moi. en réalité je ne suis rien. Lui, l'uniforme, il est tout, il représente le vrai pouvoir. J'aimerai n'avoir jamais existé pourquoi suis-je né ??? SAMUEL Ne parle plus GUNTHER ne dis plus riens je suis le seul à pouvoir te comprendre c'est pour ça que je peux te regarder dans les yeux. Et quand je te regarde, je ne vois pas une bête immonde, mais seulement un homme perdu.

GUNTHER SAMUEL, je suis un lâche devant la vie. je suis un lâche avec moi-même. Tu aurais dû quitter l'Allemagne avec ta famille, Aujourd’hui tu serais à NEW YORK avec eux et en toute sécurité loin de ce champ d'horreur. En réalité, je n'ai pensé qu'à moi quand tu as pris la décision de venir ici à BERIN. J’étais heureux. Je me suis souvent répété que c'était une bonne chose de ne pas être seul dans de telles circonstances et de pouvoir parler de ces jours à quelqu'un en qui l'on a confiance. Je ne pensais pas que la guerre aurait été si criminelle. Je n'ai pensé qu'à moi, c'est pour ça que j’ai honte devant toi devant la vie, devant DIEU. Je n'ai jamais eu le courage de te dire que je t'aimais,

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que je t'aime depuis notre voyage à PARIS. Que je n'ai jamais cessé de penser à toi. peu importe le lieu où j’étais, là-bas sur le front je n'étais jamais seul, tu étais là, en moi. Je t'aime en silence depuis des années, pardon SAMUEL pardon pour tout.

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FINAL

GUNTHER se retrouve seul dans sa chambre. Apparaît sa conscience (retour de la lumière blanche) celle-ci vient s'asseoir auprès de lui sur son lit GUNTHER reste inconscient pendant tout le dialogue, il ouvrira les yeux seulement à l'appel de sa conscience.

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GUNTHER se lève et entre dans la chambre de SAMUEL il réveille celui-ci et lui tend les clés de la maison. SAMUEL comprend que la guerre est finie. SAMUEL sort de sa chambre avec ses affaires. GUNTHER s'installe à sa place avec les siennes. nul ne sait pour combien de temps. SAMUEL fait le tour de sa nouvelle chambre, puis se dirige vers l’entrée…Il ouvre la porte…Il saisit de la main gauche, le sac à dos qui servait à GUNTHER pour ramener les provisions…et il sort.

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GUNTHER et sa conscience

La conscience vient s'asseoir sur le rebord du lit de GUNTHER où celui-ci dort profondément. Elle pose sa main sur son coeur et dialogue avec lui. A la fin de son monologue, elle réveille GUNTHER pour 1ui faire comprendre que la guerre est unie.

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AZERT Oh! GUNTHER, comme je suis fière de toi, de tout ce que tu as dit, était-ce si difficile de dire à SAMUEL que tu l'aimais. Toutes ces années à attente que tu veuilles bien libérer ton coeur. Et vous voilà tous les deux, en plein coeur de la tourmente. De chaque côté de la ville, des deux plus grosses armées du monde sont en train de vaincre dans un effroyable vacarme. Des milliers de tonnes de bombes explosent sur I'ALLEMAGNE, dans quelques heures tout sera fini. Les Américains et les Russes seront bientôt face à face et I'ALLEMAGNE anéantie. Des milliers de soldats vont se serrer la main et s'embrasser de joie. Ils vont pleurer de vivre, pleurer de désespoir, pleurer parce qu'ils sont humains. Pleurer d'amour parce qu'ils auront vaincu le mal et que par cette victoire un nouveau monde verra le jour. Je te regarde dormir |tranquille pour la première fois depuis que cette guerre a fait de toi un soldat. Ce qui compte maintenant, c'est la vie. Elle sera difficile, mais je sais qui tu es à présent. Je te sens en paix. Tu respires fort. Demain va commencer une nouvelle vie pour toi; plus rien ne sera pareil. Tout est à reconstruire. tu vas découvrir l'amour, l'amour qui enivre et avec lui tu vas découvrir le monde et je sais que le monde de demain sera un monde meilleur. Le présent, le vécu resteront à jamais cloué au fond de ton esprit, mais autour de ce désespoir va naître l'espoir. Soit heureux GUNTHER, vit, libère-toi. Aime la vie. Emprisonne au fond de toi tous ceux qui ont fait le mal, le temps fera son oeuvre. Je suis bien avec toi, n'oublie pas, je suis ta conscience. Réveille-toi GUNTHER, il te faut ouvrir la porte.

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LES CLES

SAMUEL ça veut dire que la guerre est finie ???

GUNTHER Peut-être ce soir ou bien demain !!!

SAMUEL Quel jour sommes nous ???.

GUNTHER Je ne sais plus exactement, HITLER est mort le 30, radio HAMBOURG a émis pendant 2 jours et depuis les services radio n’émettent plus depuis 4 Jours au plus, alors peut-être le 8 ou le 9 mai, mais je n' en suis pas sûr.

SAMUEL ça veut dire que nous sommes coupés du monde ???.

GUNTHER Coupés du monde, je ne sais pas mais oubliés pour l'instant, je crois bien. Comme c'est silencieux! C 'est la première fois que je remarque le silence ! ! !

SAMUEL Tu as raison pour le silence. on entend plus les bombes, alors la guerre est finie ???

GUNTHER C'est ça, on entend plus les bombes !!! SAMUEL la guerre est finie.

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GUNTHER s'installe dans la chambre de SAMUEL et celui-ci ferme la porte à clé. SAMUEL prend le sac à dos qui servait au transport de la nourriture et pour la première fois depuis son arrivée à BERLIN, SAMUEL ouvre la porte qui donne sur le jardin.

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IMAGES DE FIN

SAMUEL ouvre la porte et s'arrête sur le palier, le visage éclairé par la lumière du jour (son premier jour)

GUNTHER quant à lui se retrouve enfermé dans la chambre qui fut celle de SAMUEL. Il allume la radio. Il s’assied sur une chaise Et là tranquillement, le regard fixe comme le temps arrêté, Il attend.