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Les ordinateurs et la danse: retour vers l'avenier?

Robert Wechsler Palindrome Inter.media Performance Group

Nürnberg, Germany [email protected]

Introduction

Contrairement à l'impact positif des ordinateurs dans des métiers toujours plus nombreux, ils ne semblent pas faciliter la vie aux professionnels de la dance.

L'ordinateur en tant qu'outil ne peut, jusqu' ici, offrir grand chose aux danseurs. Cela ne tient pas à un manque de logiciels. Bien au contraire, il existe de merveilleux programmes pour créer et enregistrer des enchaînements chorégraphiques, voir pour enseigner le ballet. Mais en vérité la grande majorité de nous autres chorégraphes et danseurs n'en ont jamais eu affaire.

Surprenant? Pas vraiment. Regardons le processus de notre travail de plus près: le chorégraphe ou enseignant de danse transmet le mouvement d'une façon physique au danseur. Il n'y a rarement discussion ni appui à des documentations écrites dans ce procédé. Il s'agit d'un processus strictement cinétique, c'est-à-dire, la sensation du mouvement dans un corps est évoquée dans un autre, et dans cela un ordinateur ne peut, dans la majorité des cas, que déranger.

Néanmoins, l'ordinateur n'est pas qu'un simple outil de travail, il est également un média. Grâce à l'usage d'Internet, nous serons bientôt en mesure de voir des danses de toute provenance. Peut-être le jour viendra-t-il où des artistes dispercés dans le monde entier auront la

possibilité de répéter ensemble dans des "studios virtuels". Or, pour beaucoup d'entre nous, cette vision inspire plus d'aversion que d'enthousiasme. Qui préférerait vraiment de regarder de la danse sur un écran d'ordinateur s'il existe la possiblilité d'en faire l'expérience dans un studio ou un théâtre?

Systèmes interactifs

Le plus grand potentiel artistique de l'ordinateur ne réside peut-être ni dans sa fonction d'outil de travail, ni dans son rôle de média, mais plutôt dans sa facilité exceptionnelle de relier entre elles des formes d'expression qui, pendant longtemps, ont été séparées. Et par conséquent, de créer une nouvelle forme de communication entre des êtres humains.

Timothy Binkley, directeur du département de l' informatique près la School of Visual Arts à New York, l'a dit dans les termes suivants: "En confondant l'ordinateur avec un média, nous minimisons son rôle dans le processus créatif...Sa prouesse nous ouvre des possibilités d'application d'une portée jamais entrevue. En lui, nous ne disposons non pas d'une substance asservie, mais d'un agent agile. Un partenariat sans précédant entre artiste et machine transforme le processus de création artistique et représente autrement plus qu'une simple adjonction d'un média à la panoplie existante."

Les ordinateurs, vont-ils révolutuonner la danse? Qui peut le prévoir? Les possibilités qui

Nouvelles de Danse, 40/41, Paris, Winter 1999. All rights reserved.

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naissent des différents systèmes interactifs dans le domaine du spectacle sont certainement une source d'inspiration. Après tout, l'art de la danse est profondément enraciné dans l'interactivité.

Dans leurs manifestations primitives, danse et musique étaient considérés comme une et même forme d'art. Aujourd'hui encore, il existe par exemple des traditions en Afrique qui ne connaissent qu'un seul mot pour désigner danse et musique ensemble. Un échange fluctuant d'énergie et d'impulsions entre des expressions musicales et des figures rythmiques et dansées constituait la base d'un événement rituel.

Dû en grande partie à l'ubiquité de la technologie d'enregistrement, de transmission et de reproduction, l'interactivité s'est à peu près esquivée de la danse dans notre culture occidentale. Danseurs et musiciens ne travaillent plus que rarement ensemble comme jadis. L'abondante majorité des créations de danse aujourd'hui sont présentées avec de la musique enregistrée. Et même dans les cas rares où nous sommes offert de la musique live, celle-ci est le plus souvent contrainte à rendre le plus précisément une partition fixe, suivant donc une voie séparée de la danse. Or, ni le danseur, ni le musicien se trouvent en véritable interaction avec l'autre. Dans une évolution parallèle, le rôle du public a été réduit à regarder et applaudir.

Les nouvelles technologies numériques, peuvent-elles signaler un "retour vers l'avenir", où une interactivité d'un nouvel ordre remplacera celle perdue à la génération précédente de technologie?

Dans une collaboration avec le programmateur allemand Frieder Weiss, les compositeurs américains Erling Wold et Butch Rovan, ainsi que la danseuse et chorégraphe suisse Helena Zwiauer, j'ai commencé à utiliser des ordinateurs dans des représentations de danse en 1995. Notre compagnie s'appelle Palindrome et notre travail focalise sur l'interaction.

Les développements récents de logiciels pour assister la création dans le domaine de la musique, de la composition, de la génération de son, de la chorégraphie, ainsi que dans les arts

plastiques et dans le domaine de l'éclairage scénique sont en train d'accroître progressivement la compatibilité de ces médias indépendants. Partant de ce fait, Palindrome s'est mis à développer nombre de systèmes permettant aux danseurs, et dans certains cas aux spectateurs, de contrôler par l'intermédiaire de leurs mouvements les lumières du théâtre, la musique, le son et des projections.

En détail

Pour générer des interactions, nous utilisons deux technologies de base appelées des "paramètres d'interface".

La première est basée sur le fait que la contraction de muscles génère des signaux électriques. Par l'intermédiaire d'électrodes, ces signaux peuvent être attrapés à la surface de la peau (comme on le fait à l'hôpital dans des tests cardio-vasculaires (EKG), et c'est effectivement là que nous allons chercher nos électrodes.) En suite, on peut convertir ces signaux en d'autres médias. Dans notre danse "Electrodes", des capteurs sont placés sur le mollet, les cuisses, l'abdomen, le dos, la partie inférieure du bras et le biceps du danseur. Lorsque ces groupes différents de muscles se contractent et se détendent, on entend des canaux de son différents correspondant respectivement aux groupes musculaires. Par le même procéssus, six canaux différents d'éclairage peuvent être contrôlés. Dans Heartbeat Duet, deux danseurs portent des électrodes sur la poitrine et des transmetteurs dans les poches. Le battement de cœur de chaque danseur est converti dans un son musical choisi. Ensemble, les deux cœurs produisent un contrepoint de rythme. Sur un grand écran derrière les danseurs, le public peut voir le graphique de l'activité fonctionnelle des cœurs qui révèle les changement de fréquence durant la danse.

L'aspect qui me semble le plus intéressant dans l'utilisation d' électrodes est le fait que les interactions ne sont pas basées sur du mouvement (bien entendu il est possible de contracter des muscles sans faire de mouvement dans l'espace). En d'autres mots, les électrodes traduisent non pas ce que le danseur veut nous

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montrer par sa danse, mais elles révèlent l'expérience physique qu'il est en train de faire. Les pas dansés vers la fin de Heartbeat Duet sont plutôt lents, et pourtant les cœurs des danseurs battent désormais, dû à l'effort physique, deux fois plus vites qu' au début de la danse. La "musique cardiale" trahit le galop des cœurs en dépit du calme dégagé par le couple dansant.

Le second type de technologie que nous utilisons est fondé sur le principe du "frame grabbing", c'est-à-dire la saisie d'images de vidéo et leur enregistrement dans la mémoire de l'ordinateur. En captivant le mouvement d'un danseur et en travaillant l'image retenue par un logiciel approprié, il est de principe possible de convertir la danse en d'autres médias (par exemple en musique ou en projections). Des caméras de vidéo minuscules sont positionnées autour de la scène, une se trouvant au dessus, et deux autres dans les coins "down stage" de la scène (adjacent la salle d'audience). Ensembles, les trois images donnent à l'ordinateur une vue 3D de la danse effectuée sur scène. Palindrome a développé trois logiciels différents pour l'emploi de caméras vidéo. Le premier s'appelle Touchlines. Il permet de dessiner des lignes sur les images vidéo retenues (voir fig. 1). Ces lignes sont sensibles au moindre changement dans l'image. C'est-à-dire, si l'image derrière ces lignes disposées sur l'écran change, dû par exemple au fait qu'un danseur fait un mouvement de son bras, il est possible de déclencher toute une variété de "samples", c'est-à-dire d'événements médiatiques enregistrés auparavant dans l'ordinateur comme par exemple des sons, des notes musicales, des fragments de texte, etc. De la même manière il est possible d'occasionner des changements de lumières, de faire apparaître des projections sur le grand écran et bien d'autres effets.

Touchlines peut être programmé à un nombre de fins différentes. Une ligne peut être positionnée de sorte qu'ell est activée par un mouvement à peine visible du petit doigt, tandis qu'une autre nécessite d'un danseur toute une traversée de la scène pour que l'effet programmé soit entièrement déclenché. (S'il s'agit par exemple

d'une gamme de notes musicales réparties au long d'une ligne). Par ailleurs, des touchlines peuvent être utilisées pour contrôler d'autres, pour faire apparaître de nouvelles lignes ou pour en effacer d'autres qui ne sont plus utilisées dans la phase actuelle de la danse. La pièce Minotaur montre l'application jusqu'ici la plus raffinée de ce principe. Il s'agit là de jouer une partition musicale intégrale par des mouvements dans l'espace. Coordonnés par l'ordinateur dans des scènes qui s'ensuivent, quatre danseurs jouent sept instruments musicaux. Dans les six minutes de la danse, plus de 250 touchlines sont activées. Dans une pièce de ce type, la distinction entre danseur et musicien devient anodine.

Le second programme que nous utilisons s'appelle Color Recognition. Il ressemble dans son principe à touchlines, sauf que l'ordinateur suit chaque danseur individuellement en distinguant la couleur de son costume. Color Recognition peut être utilisé comme touchlines pour contrôler différents médias. Cependant, il présente quelques particularités. Tout d'abord, chaque danseur peut avoir un effet individuel puisqu'il se distingue des autres par sa couleur spécifique. Dans la pièce S.E.T.I., les parcours des danseurs sur scène sont visualisés sur un grand écran. Chaque danseur "peint" avec une couleur différente, en laissant sur l'écran la trace éphémère de ses mouvements dans l'espace.

Color Recognition présente l'avantage de pouvoir utiliser non seulement les positions absolues des danseurs comme paramètres, mais également leurs positions relatives. Cela signifie que la vitesse ou d'autres qualités du mouvement peuvent servir comme facteurs déterminants pour exercer une influence sur un autre média. otre pièce Abstände, qui signifie "distances", se sert de ce système pour évoquer le côté psychologique qui se manifeste dans une distance choisie entre plusieurs personnes. Il est un fait connu que le respect de la distance appropriée entre nous et une ou plusieurs autres personnes joue un rôle important dans nos relations sociales.

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Dans notre danse, nous avons classé ces "Abstände" en trois catégories: la distance entre femmes, entre hommes, et celle entre hommes et femmes. Ces trois "distances entre les sexes" contrôlent trois canaux de la musique correspondants. Cela signifie par exemple que si deux danseuses s'approchent au cours de la danse, le canal "entre-femmes" de la musique est accentué et domine les autres, etc.

Le troisième système basé sur des images vidéo est appellé Dynamic Fields. Ici, l'ordinateur repère la quantité de mouvement dans un champ déterminé au lieu de saisir les positions précises de certaines parties de corps.À cause de sa sensibilité, non pas à la manière dont une personne bouge, mais à la quantité de mouvement enregistrée, ce systéme convient particulièrement bien pour les pièces impliquant le public. Notre programme comprend des pièces dans lesquelles les spectateurs participent à ce qui se passe. Assis à leurs places et observés par une caméra montée au plafond au dessus d'eux, oubien, dans un autre moment de la soirée, présents sur scène, ils jouent un rôle actif dans le spectacle en créant ou changeant la musique, les lumières etc. Nos systèmes interactifs ne sont, bien entendu, pas les seuls sur le marché.

Certains chorégraphes travaillent avec des capteurs de rayons infrarouges, d'autres utilisent du sonar pour permettre à l'équipement technique de détecter la distance entre un danseur et l'outil de détection. Encore d'autres utilisent des récepteurs flexibles variables qui répondent au degré de fléchissement des différentes articulations, par exemple des coudes ou des genoux. Un certain nombre d'artistes utilisent des capteurs situés dans le sol pour ainsi rendre audible ou visible le contact du danseur avec le sol. À l'époque où Palindrome a commencé à développer ses systèmes, il y a cinq ans, nous étions quasiment les seuls sur le terrain. Depuis, les choses ont beaucoup évoluées et il existe aujourd'hui dans le monde une communauté riche et vivante d'artistes chorégraphes ineractifs, qui sont largement connectés entre eux par Internet. Pour plus

d'information sur ces danseurs et compagnies actifs dans ce domaine voir leurs site Internet.

Danseurs - musiciens

La technologie décrite ci-dessus représente un défi intéressant au chorégraphe. Dans une première phase, mes créations étaient pour la plupart chorégraphiées d'avance, puis simplement transférées dans l'environnement interactif. Alors que certains sons étaient programmés à survenir avec certains mouvements, d'autres se produisaient par hasard au moment où un danseur croisait une ligne. Ce dernier type d'interaction représente un dilemme. Puisque le public ne peut pas voir les touchlines, il n'a aucun moyen de savoir comment sont générés les sons. Or, la question se pose de savoir pourquoi installer du tout un système si compliqué?

Bien sûr, cette question nous a occupés plus qu'autre chose dès nos premières démarches. Cependant, une fois arrivés à la première générale, j'ai commencé à m'apercevoir d'une chose intéressante; d'un effet que j'avais observé pour la première fois dans les années soixante-dix dans une des coopérations merveilleuses entre John Cage et Merce Cunningham. Dans leurs pièces, aucune corrélation est recherchée entre le mouvement et la musique, et pourtant, malgré et peut-être même pour cela, il arrive toujours des moments lorsque mouvement et son s'unissent dans une congruence épatante. À travers ces moments singuliers, dans lesquels se manifeste la perfection du hasard, nous ressentons que cet événement n'aurait pu être prévu et ne pourra être répété. La technologie des ordinateurs nous ouvre la possibilité de créer des "moments singuliers" d'un nouveau genre.

Malgré la vulgarisation du mouvement humain en tant qu' art figuratif, évolution qui a commencé à l'occident au début du XX siècle seulement, la danse est restée, à quelques exceptions près, une forme d'art considérée largement comme subordonnée aux autres. Faites l'expérience suivante: la prochaine fois que vous allez voir un spectacle de danse, demandez à la fin à votre voisin ce qu'il en pense. Dans la majorité des cas, on va vous

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décrire la musique. La musique domine en règle générale l'impression d'ensemble du public et donc sa réaction. La danse est censée "traduire" la musique, ou visualiser une histoire, oubien les deux. Les médias interactifs proposent la possibilité de rendre cette relation plus dynamique. Dorénavant, et dans les conditions nécessaires, la musique ou les lumières peuvent être programmées à suivre la danse.

Si cela semble révolutionnaire à certains, il faut se rappeler que Merce Cunningham a engendré déjà dans les années cinquante une révolution dans le monde de la danse avec laquelle il envisageait justement ceci: libérer l'art du mouvement de sa dépendance de la musique et d'un contenu intellectuel. Tous ceux qui acceptent cette indépendance des médias entre eux comme quelque chose de naturel et d'essentiel, verrons dans notre expérience la suite de cette révolution à une nouvelle échelle.

Dans ce que nous appelons des "danses interactives", la relation entre la musique et le mouvement n'est pas simplement inversée, de sorte que la musique suivrait désormais la danse au lieu de vis et versa. Plutôt, nous avons affaire à une relation fondamentalement nouvelle entre musique et danse. Selon la conception traditionnelle, les danseurs cherchent à faire leurs pas "sur" la musique, à phraser leurs mouvements dans le but d'atteindre une synchronisation avec les accents dans la musique. Dans le travail assisté par ordinateur, la relation entre les médias est automatique et immédiate. À première vue on pourrait croire que cela tue la communication entre la danse et la musique, mais en réalité ce n'est pas le cas. Il s'agit d'un type différent de correlation. En fait, un sens encore plus précis de la musique est exigé du danseur, puisque le public peut désormais non seulement voir comment le danseur phrase ses mouvements, mais également l'entendre! En quelque sorte le danseur "assisté par ordinateur" aura la possibilité d'exprimer son individualité artistique de manière plus riche et nuancée que jamais avant.

Interaction vx automatisation

Pour l'artiste qui travaille avec la technologie, et tout particulièrement pour celui qui l'approche pour la première fois, l'ordinateur est une espèce de femme fatale. Elle est séduisante par ces effets spéciaux, mais également dangereuse. Tous ces astuces nouveaux dans des représentations sur scène sont du jamais vu et attrapent les regards. Ils séduiront au fur et à mesure un large public, bien que cela n'ait peu à voir avec de l'interactivité, et moins encore avec de l'art.

renons un instant pour considérer le processus concrètement: Lorsqu'une danseuse crée des sons par ses mouvements, qui interagit avec qui? Est-elle en communication avec elle-même? (Le cas échéant, il faut se demander si le monde de la danse n'a pas souffert assez de solipsisme de ce genre au cours de ce siècle.) Pour décrire cette situation. on pourrait choisir le mot "ré-actif", mais il ne se cache rien de spécialement inter-actif dedans. Nombre de méthodes basées sur la technologie numérique offrent de l'automatisation et non pas de l'interaction. En dépit du fait que ces deux termes sont en quelque sorte des opposés, le premier inspirant une attitude passive et décontractée, l'autre demandant un engagement personnel, ils sont souvent confondus.

L'essentiel de ce débat est certainement que l'ordinateur et la nouvelle technologie peuvent créer une myriade de nouveaux liens entre êtres humains. L'exemple du public participant par différents moyens dans l'événement peut certainement être défini comme un élément interactif, puisque des spectateurs interagissent entre eux et avec des danseurs pendant le spectacle. Plus difficile est-il cependant d'interpréter l'exemple de la danseuse créant sa propre musique dans ce sens.* Toutefois, la corrélation entre son et mouvement, créant ce va et vient entre l'acteur et son environnement réactif, est susceptible de faire résonner dans le public l'expérience médiatique qu'est en train de faire le danseur devant leurs yeux.

Tout cela dépend, certes, de la manière dont l'équipement est utilisé, de la façon dont la pièce est conçue et de la présentation et performance

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des danseurs. En concluant il importe de dire qu'il n'est pas possible de fixer tous les aspects de la danse. Si on veut de l'interaction, il faut de l'improvisation.

Amuse-gueules du travail pratique

Si jusqu'ici vous avez gagné l'impression que le monde de la danse assistée par ordinateur est un monde divertissant et facile à conquérir il faut que je vous ôte cette idée. En réalité, il est ni l'un ni l'autre. J'avoue qu'on passe des moments sympathiques et fascinants de temps et autre, mais en générale seulement après avoir été frustré à maximum essayant de faire marcher tous le bazar/d'obtenir de la technologie le résultat souhaité . Je répète, les ordinateurs ne facilitent pas la vie aux danseurs!

Dans ce genre de travail, nous sommes confrontés à deux types de problèmes, oubien disons "défis": l'un est artistique, l'autre technique. Le fait de veiller à ce que le public ait la chance de comprendre comment fonctionne un système interactif, c'est-à-dire de voir la liaison entre un effet et sa cause, est un souci primordial dans notre travail. La délicatesse réside dans la trouvaille d'un moyen de rendre le fonctionnement compréhensible sans tomber dans un "pédagogisme" déplacé. Des explications directes interrompent par leur nature l'expérience du publique et peuvent avoir, dans le contexte d'une œuvre d'art, un effet tout aussi dérangeant qu'un défaut de compréhension.

Nous appliquons une variété de stratégies. Une approche consiste à assurer un développement lent et mesuré d'une pièce, en avançant par étapes, guidant les spectateurs à travers des interactions simples au début à des genres de plus en plus sophistiqués. Une pièce peut ainsi être auto-explicative par sa structure. Une autre possibilité consiste à donner des explications en utilisant d'autres médias, par exemple la projection de graphiques et de textes sur l'écran, des annotations dans le programme ainsi que différentes façons d'impliquer le public. Personnellement, je n'objecte pas à une explication verbale ici et là au cours de la représentation, bien qu'il convient à mon avis

mieux de les placer pendant ou après une pièce plutôt qu'avant pour ne pas priver les spectateurs de leur libre et innocente réaction face à la représentation.

Or, le côté technique. Une chose au préalable: la non-fiabilité des ordinateurs est un fait. Il ne s'agit pas d'un problème lié à un certain type d'ordinateur, c'est un caractéristique fondamental relatif à leur nature même. Une fusée spatiale est pilotée par un seul ordinateur, cependant un ensemble de quatre autres est emporté à bord, à l'appui, pour assurer à tous les coups le fonctionnement dans le cas d'un incident technique! Sans un tel niveau de prudence de la part des ingénieurs, un certain nombre de bavures techniques sont, à priori, inévitables. Les problèmes qui surgissent lorsqu'on travaille avec des nouvelles technologies de pointe sont étrangers à la plupart des danseurs. Les répétitions sont pénibles dans le sens qu'elles exigent une méticulosité opiniâtre de la part des danseurs et beaucoup de patience. Et, pire, des choses imprédictibles peuvent survenir et surviennent en plein milieu du spectacle.

Il existe toujours remarquablement peu de logiciels interactifs sur le marché (permettant la communication entre médias en temps réel). Comme je l'ai mentionné plus tôt, la majorité de nos logiciels sont écrits par nous même, et cela signifie des essais sans fin et une élimination fastidieuse des vices et "bugs".

En même temps, nous nous voyons confrontés à un défi autrement plus délicat et intransigeant. Comment concevoir un système assez sophistiqué pour permettre un échange véritablement artistique qui est en même temps suffisamment simple pour que le public comprenne ce qui se passe?

Comment faire face? Voici trois suggestions de ma part: 1. Coopérez avec des ingénieurs hautement qualifiés et respectez ce qu'ils disent en la matière. 2. Restez cool. Le travail avez des ordinateurs exige beaucoup de patience.

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3. Commencez par des applications simples. Réduisez les objectifs visés à des fins réalistes.

Vive la résistance

La résistance contre l'utilisation de l'ordinateur est profondément enracinée dans le monde de la danse et je n'ai, en tant que danseur, pas vraiment de difficultés à comprendre cela. Non seulement les ordinateurs demandent une nouvelle attitude vis à vis du théâtre et de la présentation de spectacles, mais ils représentent pour nombre entre nous le reniement, ou du moins une distraction de ce qui est le plus essentiel à la danse: l'expression des aspects sensuels et primitifs de l'existence humaine.

La résistance contre l'utilisation de l'ordinateur est profondément enracinée dans le monde de la danse et je n'ai, en tant que danseur, pas vraiment de difficultés à comprendre cela. Non seulement les ordinateurs demandent une nouvelle attitude vis à vis du théâtre et de la présentation de spectacles, mais ils représentent pour nombre entre nous le reniement, ou du moins une distraction de ce qui est le plus essentiel à la danse: l'expression des aspects sensuels et primitifs de l'existence humaine.

Marshall McLuhan, le "père de la science des médias" a mis en garde devant ce genre de bouleversement il y a trente ans lorsqu'il a écrit: "Les nouveaux médias et technologies par lesquels nous nous amplifions et étendons constituent une gigantesque opération chirurgicale effectuée sur le corps de la société...Ce que nous recherchons aujourd'hui est oubien un moyen de contrôler cette rupture des rapports oubien un moyen pour l'éviter complètement. Avoir une maladie sans souffrir ses symptômes signifie être immune. Nul société n'a jamais eu des connaissances suffisantes sur ces propres actions pour avoir développé une immunité face à ses extensions et technologies. De nos jours, nous commençons d'entrevoir que l'art peut éventuellement procurer une telle immunité. L'artiste capte le message d'un challenge culturel et technologique des décennies avant que son impact transformateur se répercute dans la société.

Le rôle de l'artiste consiste à se positionner au plein milieu des bouleversements sociétales. Les risques affrontés sont claires et non négligeables, mais le fait de les méconnaître en voulant s'abriter de l'évolution technologique entraîne des conséquences à terme toutes aussi coûteuses.