Les moulins à bateaux sur le Rhône à Avignon et dans les...

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Lei Moulins à Bateaux sur le Rhône à Avignon et dans les environs (1) Si l'on possède de nombreux renseignements historiques sur les moulins hydrauliques bâtis sur les berges de nos cours d'eau, on connaît par contre peu de chose sur les mou- lins à blé sur bateaux, ou moulins flottants, bien que ceux- ci aient été autrefois extrêmement abondants sur la plupart des fleuves ou rivières inlportants d'Europe. En France, ils ont cornplètement disparu car les dangers qu'ils présentaient pour les ponts et pour la navigation dé- terminèrent les pouvoirs publics à en obliger la suppression. Mais l'usage s'en est maintenu dans quelques pays d'Europe centrale, notamment en Slovaquie, l'on voyait encore en 1937, près de Bratislava, sur le Danube, de nombreux mou- lins flottants dont la roue à aubes tournait entre deux ba- teaux ancrés au milieu du courant (2). Nous n'avons malheureusement pour notre région aucun détail précis sur l'agencement exact et le fonctionnement des moulins à bateaux qui étaient en service autrefois sur le Rhône. Seules quelques rares gravures datant de l'ancien régime et quelques lithographies romantiques nous en don- nent la physionomie générale. Nous pouvons toutefois nous faire une idée assez nette de leur machinerie en nous repor- tant au tome XIII de l'Encyclopédie (édition de 1765) et au recueil de planches qui l'illustre: nous y trouvons une des- (1) Nous nous faisons un devoir de remercier ici M. H. Chobaut, archiviste en chef du Département,Jpour les renseignements précieux qu'il n'a cessé de nous fournir au cours de nos recherches. (2) D'après le Guide Bleu, édition de 1937.

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Lei Moulins à Bateaux

sur le Rhône à Avignon

et dans les environs (1)

Si l'on possède de nombreux renseignements historiques sur les moulins hydrauliques bâtis sur les berges de nos cours d'eau, on connaît par contre peu de chose sur les mou­lins à blé sur bateaux, ou moulins flottants, bien que ceux­ci aient été autrefois extrêmement abondants sur la plupart des fleuves ou rivières inlportants d'Europe.

En France, ils ont cornplètement disparu car les dangers qu'ils présentaient pour les ponts et pour la navigation dé­terminèrent les pouvoirs publics à en obliger la suppression. Mais l'usage s'en est maintenu dans quelques pays d'Europe centrale, notamment en Slovaquie, où l'on voyait encore en 1937, près de Bratislava, sur le Danube, de nombreux mou­lins flottants dont la roue à aubes tournait entre deux ba­teaux ancrés au milieu du courant (2).

Nous n'avons malheureusement pour notre région aucun détail précis sur l'agencement exact et le fonctionnement des moulins à bateaux qui étaient en service autrefois sur le Rhône. Seules quelques rares gravures datant de l'ancien régime et quelques lithographies romantiques nous en don­nent la physionomie générale. Nous pouvons toutefois nous faire une idée assez nette de leur machinerie en nous repor­tant au tome XIII de l'Encyclopédie (édition de 1765) et au recueil de planches qui l'illustre: nous y trouvons une des-

(1) Nous nous faisons un devoir de remercier ici M. H. Chobaut, archiviste en chef du Département,Jpour les renseignements précieux qu'il n'a cessé de nous fournir au cours de nos recherches.

(2) D'après le Guide Bleu, édition de 1937.

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cription détaillée et deux coupes soigneusement dessinées d'un modèle en usage au milieu du XVIIIe siècle (3).

Ce modèle comprend un seul bâtiment, flanqué de deux roues à aubes; mais un autre type, très souvent usité dans la région d'Avignon, se composait de deux barques d'inégale grandeur entre lesquelles tournait une seu1e roue à aubes dont l'arbre transmettait le mouvement à la meule. La grande barque ou bachas, longue de 18 à 20 mètres (4) supportait une construction en bois, en forme de cabane, qui abritait la machinerie. L'autre barque, plus petite, ou fourestego, lon­gue de 10 à 12 mètres et large de 2 m. à 2 lU. 30 (5) servait seulement de support à l'arbre principal. L'ensemble, placé au milieu des eaux vives, était solidement amarré par des chaînes ou des grosses cordes à des arbres de la rive, à de forts piquets plantés sur la berge ou à de grands anneaux scellés dans la maçonnerie des quais.

Dans la plupart des textes anciens (XVIe et XVIIe siècles), on emploie généralement les mots bachas et tourestego, mais par la suite ce dernier est souvent seu1 usité pour désigner le mou1in en entier avec ses deux barques et sa roue hydrau­lique, et ceci jusqu'à une date très rapprochée de la nôtre, puisque le Dictionnaire provençal du P. Xavier de Four­vières (1902) traduit ainsi le mot tourestego : bateau qui porte un moulin à farine.

Dans le type à nef unique décrit par l'Encyclopédie, la machinerie est assez compliquée pour l'époque : un arbre fretté à chaque bout en plusieurs endroits et muni à chacune de ses extrémités d'une roue à aubes, coupe transversalement le bâtiment. Cet arbre, tournant sur des tasseaux posés sur les plats-bords du bateau, porte dans son milieu une grande roue engrenant dans une lanterne, assemblée à l'une des extrémités d'un petit arbre ayant à son bout un rouet qui s'engrène à son tour dans une lanterne. Cette dernière fait mouvoir la meu1e, dissimulée dans une caisse et surmontée

(3) Encyclopédie T. XIII, édition de 1765 (pour le texte) et Recueil de Plan. ches, T. n,pl. XXXII et XXXIII.

(4) Dimensions évaluées d'après un plan dessiné par Auguste Caristie en 1822 (voir plus loin, note (5).

(5) 13 février 1592 : prix-fait d'un bateau sive forestegue de moullin à blé, lon­gueur 5 cannes 2 pans, largeur 1 canne dans œuvre (voir plus loin, note 21) ; 22 septembre 1775 : bail à prix-fait d'une petite barque appelée forestegue de mou­lin : elle aura 38 pieds de long sur 7 de large (voir plus loin, note 37).

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d'une trémie dans laquelle les graines sont montées à l'aide d'un treuil.

Cette machinerie délicate nous explique le prix assez élevé qu'atteignaient les moulins à bateaux et, par suite, la néces­sité où l'on se trouvait de se mettre à plusieurs pour en fi­nancer la construction ou pour en réaliser l'achat, chacun des copropriétaires touchant ensuite sa part de revenu dans l'exploitation du moulin.

En 1600, la construction d'un bachas et d'une lourestego de moulin coûte 420 livres tournois (6) ; en 1626 un bachas seul donne le chiffre de 315 livres tournois (7) ; en 1775 le prix-fait de la construction d'une fourestego atteint 724 livres monnaie de France (8). A la vente, vers 1780, le prix moyen d'un moulin à bateaux, avec ses différents agrès, oscille entre 3.600 et 4.000 livres ; il atteint même 4.500 livres en 1788 (9).

Nous savons par un acte notarié de 1781 que chacun des moulins qui sont alors amarrés le long du quai du Rhône, à Avignon, comprend un meunier, un charrieur, une charrette et un mulet, le tout payé ou nourri par les copropriétaires du moulin, au prorata de la portion que chacun possède. Par contre, ceux-ci retirent « chacun en droit soy le produit dudit moulin, à l'expiration de chaque mois, à proportion de l'interest qu'ils ont et de la partie qu'ils en possèdent respectivement, le moulin tournant tout le long de l'année au profit de la communauté, c'est-à-dire de tous les copro .. priétaires qui contribuent, à proportion de l'interest qu'ils ont audit moulin, à l'entretien d'iceluy, soit pour les attraits (sic), charrettes, mulet, salaire de charrieur et de meunier, soit pour les achapts nécessaires et généralement pour ce qui dépend du service desdits moulins» (10).

A quelle époque remontent ces moulins flottants? Nous

(6) Arch. dép. de Vaucluse, série E. Notaires, Etude Pons, d'Avignon, nO 1551" fol. 788 VO (1er décembre 1599).

(7) Ibid., Etude Vincenti d'Avignon, nO 685, fol. 447 Vo (20 octobre 1626). (8) Ibid., Etude Pradon d'Avignon, no 858, fol. 393 Vo (22 septembre 1775). (9) Ibid., Etude Lapeyre, no 77, fol. 344 (11 mai 1785) un moulin à moudre

blé sur le Rhône, avec tous ses agrès, estimé 3.7001. M. D. F. ; Etude Pradon" no 861, fol. 835 Vo (15 mars 1788).

(10) Ibid., id., nO 1292, fol. 96 VO (12 mars 1781).

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ne saurions exactement le dire, mais certains documents nous permettent d'affirmer que dès le moyen âge ils étaient en usage dans nos régions.

Au milieu du XIIIe siècle, les « coutumes et règlements de la république d'Avignon» (1243) font plusieurs fois allusion aux moulins à bateaux établis sur le Rhône et sur la Du­rance (II).

En 1253, nous trouvons signalée la présence d'une de ces constructions flottantes à La Palud, sur les rives du Rhône, et nous savons que le seigneur du lieu percevait annuellement cinq sous viennois sur ce moulin. (12).

En 1485, les consuls d'Avignon intentent un procès à Bernard de Béarn, bâtard de Comminges, naguère maître des ports de Villeneuve, qui a fait attacher en 1480, à la prin­cipale pile du pont d'Avignon et à l'arche par où passent le plus d'embarcations « ung molin qu'il a fait faire sur au­cuns bateaulx ». Les consuls prétendent que le remous de l'eau causé par les roues du moulin creusent le fondement de la pile et que la présence de cette nef flottante à cet endroit rend la navigation dangereuse (13).

En 1493, Pierre Crozet, jurisconsulte d'Avignon et Guil­laume Rogac, tailleur de cette ville, baillent à rente à Jean Orset, meunier de Villeneuve, leur moulin établi sur le Rhône, près l'île d'Argenton, appelé le moulin d'Antoine J omart, alias del Gal, avec ses meules, barques et attaches, pour un an et vingt-deux saumées de blé (14). En 1495, nous relevons un nouvel arrentement pour ce même moulin et pour la moitié d'un autre dit le moulin nou (15).

* * * (11) Coutumes et règlements de la République d'Avi!mon, par de Maulde, Paris,

Larose, 1879, p. 153-155 : LIn, de Moulura et Molendinis. A la fin du XIIme siè­cle (février 1193), des moulins à bateaux sont signalés à Toulous, sur la Garonne, cf. André Dupont, Les cités de la Narbonnaise première depuis les invasions ger­maniques jusqu'à l'apparition du Consulat, Nîmes, Chastanier, 1942, p. 588.

(12) Ms. de Carpentras nO 557 et Bibl. Nat., nouvelles acquisitions latines 1751 (copie au Musée Calvet, Mss. 5.774) : 18 décembre 1253. En 1267, un moulin à bateaux est signalé sur la rivière de l'Agout (affluent du Tarn) au lieu-dit de Ta­teta (sénéchaussée de Toulouse et d'Albi), cf. correspondance administrative d'Al­phonse de Poitiers, publiée par A. MoIinier, Paris 1894-1900, T. l, p. 184 (16 juil­let 1267).

(13) Arch. communales d'Avignon, FF., procès divers, carton 1 (1447-1485)­Cf. aussi sommaire des Conseils, 1372-1500, p. 220.

(14) Arch. dép. de Vaucluse, E. notaires, Etude Martin, no 488, fol. 492, Vo (26 juin 1493).

(15) Ibid., id. no 491, fol. 62.

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D'une manière générale, ces moulins à bateaux étaient amarrés aux rives du Rhône du côté de Villeneuve, ou aux rives de la Barthelasse.

Ce n'est qu'en 1548 que les consuls d'Avignon obtinrent du roi de France la permission d'établir ou de construire des moulins du côté d'Avignon, à la suite d'une requête présentée au souverain par Pierre Rosset délégué par la ville à la cour de France (16).

Aussi, durant la deuxième partie du XVIe siècle, commen­çons-nous à relever quelques actes se rapportant à des mou­lins situés dans cette partie du Rhône. Mais la plupart des documents concernent encore des moulins établis du côté de Villeneuve: C'est ainsi que nous trouvons des arrentements ou des achats partiels en 1554, en 1565 (17), en 1568 (18) et en 1584 (19) où un moulin est payé 300 écus d'or sol.

En 1591, noble Pierre de Bermond baille à ferme à Gervais Bermond un moulin sur le Rhône, pour 3 ans et la rente an­nuelle de 28 saumées de blé (10 émines la saumée). Ce moulin est « au-devant de l'isle de la Barthelasse» (20).

En 1592, nous trouvons le prix-fait passé par un meunier à un barquier d'Avignon d'un bateau « sive forentegue de moullin a blé », d'une longueur de 5 cannes 2 pans sur une canne de largeur, pour la somme de 80 écus, Le meunier fournira le bois de chêne et le fond, de bois de sapin, sera fourni par le barquier (21).

En 1595, Jean Mercurin, rodier, et Stève Martin, marchand voiturier d'Avignon, baillent à rente à Peyron et Georges Calvet, père et fils, des Angles, les deux tiers d'un moulin à blé qu'ils ont sur le Rhône du côté de Villeneuve, pour un an et la rente de 8 saumées de blé de mouture (de 8 émines la saumée), mesure de Villeneuve, à chacun d'eux, soit 16

(16) Arch. communales d'Avignon, sommaire des Conseils, 1501-1555 p. 259 et 261 (conseils des 20 mars et 30 juin 1548).

(17) Ibid. E., Etude Vincenti nO 1333, fol. 682 : moulins d'eau à blé, loués sur le Rhône, du côté de Villeneuve; no 1343, fol. 195 VO (10 mai 1565). Cf. aus­ai no 1340, fol. 313 Vo (1562).

(18) Ibid., Etude Pons, no 344, fol. 198 Vo (30 novembre 1568) et nO 1898, fol. 33 Vo (17 février 1568) : achat des 2/3 d'un tiers de moulin à bateau à Vil­leneuve pour 160 1. tournois. Cf. aussi fO 51 et 82.

(19) Ibid., id., no 1535, fol. 453 Vo (4 juillet 1584) : achat de moulin à bateau 300 écus d'or sol.

(20) Ibid., Etude Vincenti, no 36, fol. 338 Vo (4 mars 1591). (21) Ibid., Etude de Beaulieu, no 85, fol. 40 (13 février 1592).

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sauméesen tout, rendues à domicile, le droit du poids de la farine de la ville d'Avignon étant à la charge des bailleurs. Les rentiers sont tenus à leurs dépens de faire appointer les marteaux pour « enchaplar » les meules, de fournir la graisse et crasse pour graisser la lanterne et les pignes du moulin et de fournir six alènes s'il y en a besoin. De leur côté, Mercurin et Martin fournissent deux mulets pour le transport du blé et de la farine .(22).

En I599, nous trouvons mention d'un prix-fait d'« ung hachas et d'une forestegue pour moulin à blé à mettre sur la rivière du Rosne ». Le devis de cette construction s'élève à 420 livres (23).

Dans les premières années du XVIIe siècle, les moulins à bateaux étaient très nombreux sur le Rhône dans les para­ges immédiats de notre ville: l'examen du fameux plan d'Avi­gnon de I6I8 nous permet d'en relever deux amarrés au pied de la Tour Philippe-le-Bel, un peu en aval du pont, et deux autres sur la berge orientale de la Barthelasse, en face la porte du Rhône.

Un document de I607 mentionne la vente du huitième d'un moulin établi à Avignon sur le Rhône pour 40 écus de 60 sols tournois pièce (24), tandis qu'un acte de I626 nous donne le prix-fait d'une barque « sive nef ou bachas de moulin» pour la somme de 315 livres tournois (25).

Un autre document de I624 nous apprend que la commu­nauté de Momas, dans le Comtat-Venaissin, possède sur le Rhône un moulin à bateaux qu'elle baille à ferme chaque année depuis le début du siècle (26).

En 1681, Louis de Vivet, baron de Montclus, seigneur de la Barthelasse, président de la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier, permet à Guillaume Blache et à J ac­ques Mille, meuniers, d'attacher deux moulins à moudre le blé dans les terres du seigneur de la Barthelasse: il leur sera

(22) Ibid., Etude Pons, nO 881, fol. 22 (14 janvier 1595). (23) Ibid., id., nO 1551, fol. 788 Vo (1er décembre 1599). Cf. aussi no 1.552,

fol. 526. (24) Ibid., id., no 1105, fol. 173 V O (11 décembre 1607). (25) Ibid., Etude Vincenti, no 685, fol. 447 V O (20 octobre 1626). (26) Arch. communales de Mornas, BB. 1 et 2 (1600-1624).

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permis d'attacher aux arbres les cordages des deux moulins, ou de planter deux pieux pour maintenir les moulins dans le courant. Cette permission est donnée pour 3 ans et moyen­nant 55 écus par an (27).

Nous relevons enfin divers arrentements de moulins à bateaux à Avignon en I690, I69I et I694 (28).

* * * Au XVIIIe siècle, les documents deviennent plus nombreux

et aussi plus précis. Ils se rapportent presque tous à la ville d'Avignon ou à Villeneuve.

En I710, François de Joannis et Joseph Rodolphe de Robert d'Aqueria, d'Avignon, donnent permission à Me Lau- • rent Arnaud, meunier de cette ville, pour 3 ans et 75 livres Roy par an « d'atacher et arester le moulin à bateau pour moudre le blé et autres grains, que ledit Arnaud tient en arrentement de divers particuliers de la ville de Rocaumore (Roquemaure) et de Villeneufve-Ies-Avignon, dans la terre que lesdits sieurs de J oannis et de Robert ont et possèdent par indivis dans l'isle de la Baltalasse (sic), terroir de Ville­neuve, le long du Rone ... lequel moulin est à présent attaché à ladite terre, travaillant au moyen de l'eau coulante dudit fleuve » (29).

En février et en avril 1712, nous trouvons la mention de moulins à bateaux attachés « sur le Rhône à 1'isle d'Antoine Sauveton» et à « l'isle de Piot, du costé de Villeneufve» (30).

Le 8 mai I7I2, les frères François et Mathieu Mestre, tous deux marchands d'Avignon, Jean-Bapitste Nogeret, tant pour lui que pour Sauveur Laurens, son beau-fils et associé, et François Durand, patron d'Avignon, arrentent à Joseph Ricard, meunier de cette ville, un moulin à bateaux « qui est à présent attaché à 1'isle de la Bartalasse. » François Mestre en a cinq portions, Jean-Baptiste Nogeret et Laurens un huitième, Mathieu Mestre et François Durand un huitième chacun. L'arrentement est valable pour deux ans, moyen-

(27) Arch. dép. de Vaucluse, E. Notaires, Etude Vincenti, no 925, fol. 65 (28 mars 1681).

(28) Ibid, .id., nO 1155, fol. 238 VO (6 décembre 1690), fol. 313 (17 mars 1691), fol. 91 V O (6 avril 1694).

(29) Ibid., Etude Vincenti, nO 1162, fol. 199 (21 juillet 1710). (30) Ibid., Etude de Beaulieu, no 1639, fol. 74 et 111.

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nant par an 22 saumées de blé froment de mouture et 5 sau­mées de seigle, vendues à Avignon. Le moulin devra être rendu « tournant et virant, à l'isle de la Bartalasse, vis à vis la porte de la Ligne. » Les possesseurs fourniront les pièces nécessaires à l'entretien du moulin, jusqu'à la valeur d'un écu. Il sera en outre, procédé à l'estimation des attaches et cordages qui devront être rendus intacts; la chaîne de fer sera remise avec la même quantité de boucles et non rompue. « Dans le temps des glaces, ledit rantier ne payera aucune rante » (3I).

La même année I7I2, un moulin à deux barques, amarré au quartier de l'Escatillon, près de Roquemaure, est coulé à fond le 4 novembre, par les barques du tirage du sel, dont il empêche le halage. Les cinq propriétaires du moulin sont indemnisés par Pierre Vernas « directeur et intéressé aux fournitures du sel sur le Rosne », et ils vendent en outre, l'épave avec ses meules, cordages et chaînes, à François Laurian, secrétaire de la ville de Roquemaure, qui se charge de renflouer le moulin à ses risques et périls (32).

La deuxième moitié du XVIIIe siècle commence par la grande inondation de I755, au cours de laquelle « cinq des moulins qui étaient sur le Rhône, sont entièrement brisés, d'autres renversés et le reste emporté jusque vers Saint­Roch. » (33).

Une gravure de I74I, due à 1'habile burin de Jean Michel et représentant Saint Agricol, patron d'Avignon, nous donne la figure assez exacte d'un ~e ces moulins qui était alors amarré par des chaînes, aux anneaux du quai de notre ville, un peu en aval de la porte du Rhône (34).

Un peu plus tard, le journal de l'abbé Soumllle, prêtre bénéficier de la Collégiale de Villeneuve, nous fournit des renseignements intéressants sur les moulins à bateaux. D'une de ces notes, consignée en janvier I76I, il ressort que le ca­ractère essentiellement variable du lit du fleuve avant la

(31) Ibid., id., fol. 161. (32) Ibid., id., fol. 324 v o, 337, 338 et 358. Renseignements fournis par M.

Gerbaud, sous-archiviste aux Archives de Vaucluse. (33) Relation de ce qui s'est passé dans la ville d'Avignon, lors de l'inondation

survenue le 30 novembre 1755, par le sieur Morenas, historiographe de la ville, Avi­gnon, Louis Chambeau, 1756, p. 26.

(34) Cf. Oatalogue de l'imagerie populaire religieuse avignonnaise, par S. Ga­gnière. Avignon, Rullière, 1943, p. 69, no 181, fig. 17.

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construction des grandes digues, obligeait souvent lesexploi­tants à changer leur moulin de place (35). ({ Les trois moulins du Rhône, nous dit-il, qui étaient anciennement attachés vis-à-vis le jardin de M. Islan, où le courant était profond et favorable, furent obligés de s'en ôter, il y a 2 ou 3 ans, pour descendre plus bas, parce qu'il s'était formé un gravier sous eux, qui ne leur permettait pas de travailler. Aujour­d'hui, ce même gravier s'est prolongé jusque vis-à-vis le jardin de M. Charmasson et tous les moulins ont été obligés de décamper. L'un, à Pierre Ricard, est descendu vers Cas­telan ; celui de M. Nouel s'est mis au pont, et celui de M. David au-dessus du bac à traille, où il ne pourra pas tenir et sera obligé de descendre au-dessus de Hérand. Celui de Nouel, fut remonté le I4 et celui de David, le I7 janvier» (36).

Nous savons par un recueil manuscrit du Musée Calvet que, pendant le grand froid de I766, il Y eut, en janvier, six mou­lins sur le Rhône pris dans les glaces et dont on enlevait les meules; l'abbé Soumille nous apprend dans son journal qu'au cours de la débâcle qui suivit, cinq de ces moulins furent totalement détruits (37).

En I775, nous relevons un bail à prix-fait à Jean Arnoux, charpentier ou ({ galafar )) (calfat) de la construction d'une petite barque appelée « forestegue )) de moulin, qui aura 38 pieds de long sur 7 de large, pour 724 livres Monnaie de France (38).

Dans les années qui suivirent, nous trouvons de nombreux documents sur des ventes de part, faites par des proprié­taires de moulins. En I776, c'est la vente d'un huitième pour 600 livres Monnaie de France; en I778, nous relevons

(35) Le plan de construction des grandes digues ne fut réalisé qu'entre 1850 et 1870 de sorte que le bras mort du Rhône n'est vraiment stabilisé que depuis la fin du second Empire.

(36) Journal de B. L. SoumiZle ... publié par A. Coulondres, Alais, 1880, p. 46, 47.

(37) Bibl. d1\ Musée Calvet, Ms. 2.828, p. 225 : description du froid de 1766 à. Avignon (janvier). P. Deffontaines signale qu'en 1768, il Y avait 15 moulins autour d'Agen, 4 à La Réole, 3 à. Gironde. Ils permettaient d'obtenir 4 qualités de farine et servaient surtout à l'importation, les bateaux n'ayant qu'à les aCC06-ter pour se charger et se décharger. Leurs négociants étaient essentiellement des minotiers et achetaient les blés les plus renommés pour produire une· farine très fine (Les hommes et leurs travaux dans le pays de la moyenne Garonne, Lille, Fa­cultés Catholiques, 1932, p. 288, 289).

(38) Arch. dép. de Vaucluse, E. Notaires, Etude Pradon, no 858, fol. 393, v o (22 septembre 1775).

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:Fig. 1.-« l'rrspecti"c d'Avignon ), gravlIrp du X\']llf' sil'de (vers 17HG), au l\Iu~l:e du Yil'il A\'Ïg-lloll.On apl'r\'oil. tr~s

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deux opérations semblables pour 525 et 550 livres se rappor­tant à un moulin attaché au quai d'Avignon (39).

Il Y avait en effet à cette époque, et depuis déjà quelques années (40), une rangée de six moülins à bateaux amarrés au quai de notre ville, entre la porte du Rhône et la porte de l'Oulle. Sur une gravure de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, intitulée « Perspective d'Avignon» (41), on voit les six machines flottantes alignées le long du quai, entre ces deux portes (fig. 1).

Aussi, était-il en usage dans les actes notariés, de dési­gner ces moulins par le rang qu'ils occupaient dans cet ali­gnement En I785, nous relevons la vente d'une moitié de moulin, ({ le troisième en venant de la porte du Rhône» (42) ; en 1786, nous trouvons la vente d'un tiers de moulin, « à présent placé le dernier en venant de la porte du Rhône» (43) ; enfin, en 1788, nous notons la vente, pour 9.000 livres Mon­naie de France, de ({ deux nloulins à mouldre le bled, attachés sur le fleuve du Rhône, près le quay de cette ville, placés l'un après l'autre, qui sont à présent le premier et le second en venant de la porte du Rhône et les plus près de la croix» (44). La gravure citée plus haut nous donne l'emplacement de cette croix, qui était située à 80 mètres e:i1viron en aval de la porte du Rhône (fig. 1).

* * * Au XIxe siècle, les renseignements se font plus rares, car

nous n'avons plus librement à notre disposition les registres de notaires, si précieux pour ce genre de recherches. Tou­tefois, en plus des documents iconographiques assez nom-

(39) Ibid., id., nO 858, fol. 644 (23 avril 1776) ; nO 859, fol. 598 V O (2 mai 1778) et fol. 600 (4 mai 1778).

(40) Depuis au moins 1750 (cf. supra, note 33), il Y avait en ce point une ran­gée de cinq moulins et même de six, vers 1760.

(41) Un exemplaire de cette gravure se trouve au Musée du Vieil Avignon, au Palais des Papes. (Dimensions : 66 X 22 cms).

(42) Arch. dép. de Vaucluse, E. Notaires, Etude Pradon, nO 860, fol. 185 VO

(29 mars 1785) ; cf. aussi nO 1.292, fol. 393 (17 septembre 1781) : Guillaume Duge, meunier, vend à Jean Arnoux, calfat, le 1 j8me et le sixième d'un autre huitiè­me d'un moulin à blé attaché surIe quai du Rhône pour 480 1. M. d. F. Etude Martin, nO 1302, fol. 405 (15 septembre 1782) : achat de la 8me partie d'un mou­lin à bateau sur le Rhône pour 450 1. M. d. F.

(43) Ibid., Etude Pradon, nO 860, fol. 1102 (30 décembre 1786). (44) Ibid., id., no 861, fol. 835 V O (15 mars 1788).

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breux pour cette époque, nous avons trouvé un intéressant dossier se rapportant à deux moulins à bateaux, amarrés au quai de Villeneuve-lès-Avignon, un peu en aval de la Tour Philippe-le-Bel. A la suite d'un rapport en date du 31 jan­vier 1822, établi par les ingénieurs en chef des Ponts et Chaus­sées du Gard et de Vaucluse, faisant ressortir les dangers que peuvent provoquer ces moulins aux ponts d'Avignon et de Beaucaire, lors des débâcles de glaces et des inondations, les préfets de ces deux départements obligèrent les proprié­taires de ces bâtiments, Joseph Mérindol et Joseph César Garcin, à prendre l'engagement de fortifier à leurs frais l'épi déjà existant au-dessus de ces moulins et à se déclarer responsables envers l'Etat et la ville d'Avignon, de tous les domm.ages qui pourraient être causés aux ponts d'Avignon et de Beaucaire, au cas où ces moulins iraient à la dérive.

Les deux propriétaires signèrent l'engagement le 28 sep­tembre 1823 ; ils promettaient de fortifier à leurs frais, l'épi supérieur qui existait sur la rive droite du Rhône, pour ser­vir d'abri à leurs moulins aux époques des glaces ou des for­tes inondations, laissant l'épi inférieur dans l'état où il se trouvait. Ils engageaient leur responsabilité en faisant tou­tefois remarquer qu'ils étaient bien certains qu'au moyen des chaînes, amarrages et précautions nécessaires, ils se met­traient facilement à l'abri de tout accident quelconque (45).

A ce dossier est joint un plan assez détaillé des lieux, dres­sé par Auguste Caristie, ingénieur ordinaire du Département de Vaucluse et frère du fameux architecte des monuments antiques d'Orange. On y voit les deux moulins en place dans les eaux courantes, et tous deux sont du type à deux barques avec roue à aubes entre les deux nefs. D'après l'échelle du plan, la grande barque mesurait environ 18 m. de longueur et la petite 10 mètres.

Ces renseignements sont pour nous très intéressants, car c'est précisément en ce lieu de la rive droite du Rhône, à l'endroit connu encore aujourd'hui sous le nom de « Vieux­moulin », que se maintinrent, pendant plus de 60 ans, les derniers moulins à bateaux de notre région.

(45) Arch. dép. de Vaucluse, série S. (1816-1839) : Pont sur le Rhône, 2° dos­sier: au sujet des moulins sur le Rhône, vis-à-vis de Villeneuve-lès-Avignon (1822-1823). Cf. aussi l'ordonnance royale du 20 décembre 1820, relative à l'établisse­ment des moulins à nefs de Villeneuve-lès-Avignon.

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· Fig. 2. - Un moulin à bateaux (type à deux barques), au pied de la Tour Philippe-le-Bel, un peu en amont de l'endroit appelé aujourd'hui « le Vieux-moulin )). Peinture anonyme au Musée du V.ieil-Avignon (vers 18:W).

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Fig. 3. - Type à une seulr nrf rt à deux roue~ latérales amarré au (( Virux-:Moulin)l près de Villeneuve. Peinture de J.-B . .Brunrl, datée de 1863, au Musée Calvet d'Avignon.

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Une peinture anonyme, conservée au musée du vieil Avi­gnon, et exécutée vraisemblablem.ent vers 1830, nous montre un de ces moulins à deux barques, amarré à quelques mètres en aval de la Tour Philippe-le-Bel (fig. 2).

Sur une toile beaucoup plus récente du musée Calvet, œuvre de jeunesse du peintre J.-B. BruneI, (fig. 3), on voit qu'en 1863, un moulin à une seu1e nef, flanqué de deux roues à aubes, fonctionnait encore au lieudit (( Le Vieux-Moulin ».

D'après des renseignements qui nous ont été fournis par des personnes âgées de Villeneuve et notamment par M. Auguste Sauron, né en 1862, il y en avait trois en 1879,alignés en ce lieu, le long de la rive. En descendant le courant, on trouvait successivement le mou1in Rambaud, puis celui de Nicolas et enfin celui de Duc1ap. Le premier fut détruit par la grande débâcle de glaces de décembre 1879 ; celui de Duc1ap sombra quelques années après, au cours d'une forte inondation, probablement celle d'octobre-novembre 1886. Quant à celui de Nicolas, il fut, vers la mêm.e époque anéanti par un incendie. Ce furent les derniers moulins à bateaux de Villeneuve, et, si le souvenir en a complètement disparu de la mémoire des riverains, il est possible d'aperce­voir encore de nos jours, lorsque les eaux sont basses et claires, les vestiges des pilots qui soutenaient les passerelles de bois, ou bien les meules de pierre, aux trois quarts enlisées dans la vase (46).

Pour les régions rhodaniennes assez éloignées du champ de notre étude, nous citerons deux lithographies romantiques: l'une reproduit un type de mou1in assez curieux, établi près de Tain-l'Hermitage (Drôme) avec deux roues à aubes en­cadrant la petite barque ou fourestego (fig. 4) ; l'autre nous donne le type parfait d'un mou1in à deux nefs (avec bachas et fourestego), amarré près de Tarascon, à quelques centaines de mètres en aval du château du Roi René (fig. 5). En ce dernier point, il y avait des mou1ins amarrés depuis de nom­breuses années, comme nous le montre la belle estampe de

(46) Personnes interrogées à Villeneuve-lès-Avignon, en juin 1950 : M. Auguste Sauron, â.gé de 87 ans, Mme Bau.met, demeurant près du cloitre de la Collégiale, âgée de 80 ans et M. André Manse, â.gé de 84 ans. A Avignon, nous avons recueil­li de très intéressants renseignements de M. Philippe Prévot, ancien administra­teur du Musée Calvet, su.r les derniers moulins de Villeneuve. Il nous a appris que la. farine du dernier mou.lin servait à la fabrication des coudolles, ou pain azyme, consommé par les israélites, penda.nt les Pâques juives.

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la Foire de Beaucaire, gravée par Litret, d'après le dessin de Cléric et dédiée au Vicomte de Saint-Priest, intendant du Languedoc (vers I760).

* * * La disparition des moulins à bateaux au cours du XI Xe

siècle est due, comme nous l'avons vu, aux dangers constants que présentaient ces bâtiments pour la navigation et pour les ouvrages d'art établis sur les fleuves. Placés le plus pos­. sible dans les eaux courantes pour récolter le maximum de force, ils se trouvaient très souvent sur la route des bateaux de commerce, qui avaient peine à les éviter, véritables récifs mobiles, car ils changeaient fréquemment de place pour se ranger dans les « eaux fortes » ... Aussi, la plupart des naufra­ges qui se produisaient sur nos fleuves, sous l'ancien régime, étaient-ils dus aux moulins à bateaux (47).

Pendant les grands hivers, ces moulins étaient immobilisés dans les glaces en attendant la débâcle qui, parfois les ar­rachait à leurs amarres, entraînant des épaves d'un poids considérable, qui venaient se briser contre les ponts de char­pente, auxquels elles occasionnaient de graves avaries.

Les grands travaux d'endiguement de la Barthelasse, au XIxe siècle, devaient aboutir à une transformation totale des bras du fleuve. Le bras de Villeneuve qui avait été, jus­que-là, la principale voie navigable, perdit alors de son anima­tion et le nouveau « Rhône vif» devint la seule voie emprun­tée par les bateaux de commerce (48). L'établissement des moulins, obstacles dangereux pour les embarcations qui des­cendaient rapidement le courant, fut dès lors définitivement proscrit du côté d'Avignon. En outre, le développement de la

(47) Cf. notamment E. Fassin,Noles pour servir à l'histoire du port d'Arles, dans Bull. arch. d'Arles, 1890, p. 21 : 1er octobre 1471 « un moulin sur le Rhône a rom­pu la traille par la violence du fleuve », cf. aussi, les dégâts faits par les moulins pendant les inondations de 1580 (Duhamel, Les grandes inondations à Avignon, Annuaire de Vaucluse, 1887) et 1755 (cf. supra, note 33). Cf. encore Bibl. Musée Calvet, Atlas 212, fo 247: Ordonnance du 29 Janvier 1731 au sujet des moulins établis en amont de la porte de la Ligne qui causent un grand préjudice à la na­vigation et mettent en danger les coches et les bateaux, principalement la nuit. Défense est faite aux propriétaires d'attacher leurs moulins en amont de l'en­droit appelé" le Portal ct " (200 m. environ à j'Est de la porte de la Ligne).

(48) Le « bras vif » ne fut utilisé comme seule voie navigable, que dans la se­conde moitié du XIXme siècle, lorsque la construction des digues (notamment la. digue submersible) eut stabilisé définitivement le bras de ViIlèneuve.

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navigation à vapeur porta un coup mortel à tous les autres moulins installés sur le Rhône et rares sont ceux qui purent se maintenir après 1850.

Une certaine tolérance fut toutefois accordée aux moulins de Villeneuve, parce qu'ils se trouvaient désormais sur le bras du « Rhône mort » et qu'ainsi ils ne gênaient plus le trafic des bateaux de commerce. Ceci explique leur survi­vance presque jusqu'à la fin du XIxe siècle.

S. GAGNIERE.