LES GROUPES COMME UNIVERSAUX -...

22
LES GROUPES COMME UNIVERSAUX Jean-Marie Souriau Université de Provence Dominique Flament (dir) Série Documents de travail (Équipe F 2 DS) Histoires de géométries : textes du séminaire de l’année 2002, Paris, Fondation Maison des Sciences de l’Homme, 2003

Transcript of LES GROUPES COMME UNIVERSAUX -...

Page 1: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

LES GROUPES COMME UNIVERSAUX

Jean-Marie SouriauUniversité de Provence

Dominique Flament (dir)

Série Documents de travail (Équipe F2DS)

Histoires de géométries : textes du séminaire de l’année 2002,

Paris, Fondation Maison des Sciences de l’Homme, 2003

Page 2: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose
Page 3: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

9

Les groupes comme UniversauxJean-Marie SOURIAU

L'histoire des sciences respecte scrupuleusement la chronologie des idées. L'undes rôles de l'épistémologie, c'est de déchirer ce livre d'histoire, et d'en ajusterautrement les feuillets.

Plaçons-nous pour commencer au 14ème siècle, et lisons Guillaume d'Ockham :"Un Universel, c'est un projet de l'esprit qui s'applique à un grand nombre

d'objets".

L'Universel groupe remonte aux années 1870 (Sophus Lie, Felix Klein). Il ad'abord été "groupe de transformations " (Lagrange 1770, Abel 1826, Galois 1832).Puis il est devenu "abstrait ", et accompagné par les "actions de groupe ", qui l'appli-quent à un grand nombre d'objets.

Dirons-nous aujourd'hui, comme Felix Klein : "une géométrie, c'est une action degroupe" ? Non, choisissons plutôt :

une géométrie, c'est un groupe.

-o-o-o-o-o- �I -o-o-o-o-o-

Commençons par la

géométrie euclidienne,

construite au ~IIIème siècle en utilisant les déplacements des "points de l'espace" .Déplacements qui constituent à l'évidence un "groupe de permutations ", le

Groupe d'Euclide.

Le Groupe d'Euclide "abstrait " peut aussi s'appliquer à d'autres objets que lespoints. Euclide l'applique aux objets couples-de-points, puis aux triplets-de-points,etc.

Ces divers objets sont classés par l'action du groupe : deux couples depoints sont "de même classe" si un déplacement amène l'un sur l'autre. Lesclasses de couples, ce sont donc les "distances ". Ce qui pose immédiatement leproblème du "troisième cas d'égalité des triangles".

Le Groupe d'Euclide fait aussi apparaître des objets réguliers (polyèdres parexemple) ; leur régularité, c'est le sous-groupe constitué des éléments qui nechangent pas l'objet.

Ces notions duales : classe et régularité, s'étendent évidemment à toute action detout groupe. Les classes d'une action de groupe peuvent s'interpréter "en compré-hension" ou "en extension" — comme l'enseigne la Logique de Port-Royal (1662).

Page 4: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

10

-o-o-o-o-o- �II -o-o-o-o-o-

Le Groupe d'Euclide, nous venons de le définir par son action sur les points. Maisnotre programme consiste à attribuer la primauté au groupe, indépendamment duchoix d'une action particulière :

au revoir et merci, chers petits points.Au ~IIIème siècle déjà, Archimède avait utilisé des objets euclidiens qui ne sont pasconstitués de points :

Les moments

Un moment peut se définir par son "travail " dans un "déplacement virtuel infinitési-mal" (Lagrange, 1788). Autrement dit, un moment est un "tenseur " défini sur legroupe d'Euclide, au point neutre.

La notion de moment s'applique ainsi aux groupes qui possèdent unestructure infinitésimale convenable (les groupes "difféologiques ", "groupes de Lie "par exemple). Alors le groupe agit naturellement sur ses moments : "action co-adjointe " dit-on.

La statique selon Archimède (leviers, corps flottants) s'exprime ainsi : si un corpsest en équilibre, la somme des moments qu'il subit est nulle.

Ce "principe d'Archimède" implique donc les moments et l'action coadjointedans la physique de la matière.

Un intéressant théorème du 20ème siècle : la géométrie induite sur chaque "classede moments" s'accompagne d'une "sur-géométrie ", dite "symplectique ".

Prenons l'exemple d'un moment euclidien réduit à une seule force — commela poussée de l'eau sur un navire au repos.

La "classe coadjointe " de cette force est donc symplectique ; plus précisé-ment, c'est une "variété symplectique de dimension 4 ". On peut se la représentercomme l'ensemble des droites orientées, transmettant chacune une force de lamême intensité que la force choisie initialement.

Nous en rencontrons dans la nature, des droites orientées : les rayons lumineux.La géométrie euclidienne de la lumière s'accompagne donc nécessairement

d'une géométrie symplectique. Essayons de l'analyser.� Chaque classe euclidienne de rayons lumineux se caractérise par une"grandeur" (qui correspond à l'intensité de la force) : cette grandeur, c'est lacouleur.� Quand un rayon lumineux "monochromatique" traverse un instrumentd'optique, il en ressort avec la même couleur, et la correspondance[ entrée → sortie ] respecte la "forme symplectique ". Aussi bien pour les"systèmes dioptriques" (les verres de lunettes) que pour les "systèmescatadioptriques" (les miroirs ardents de Syracuse ou les télescopes). � Un petit problème : il existe un phénomène gênant, appelé "diffraction" ,qui empêche d'isoler un rayon lumineux. La diffraction permet, au mieux, deconcentrer la lumière sur un ensemble de rayons appelé "faisceau lumi

Page 5: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

11

neux" ; et pour le géomètre, ce faisceau est une "variété lagr angienne" (dontla définition est symplectique ). Conséquence : un faisceau lumineux"lagrangien" est encore lagrangien quand il ressort d'un instrument d'optique.Voilà pourquoi les reflets sur les parois d'une tasse éclairée par le soleilpeuvent produire au fond une courbe rebroussée, appelée "caustique" .� Mais nous avons négligé jusqu'ici une autre "grandeur" caractéristiquedes classes de rayons lumineux ( dans la métaphore archimédienne, ellecaractérise la "torsion ", droite ou gauche, du moment). Grandeur qui appar-tient en propre à la lumière : c'est la "constante de Pl anck réduite" , que l'onécrit hhhh .Si petite soit-elle, sa prise en compte a une conséquence qualita-tive importante : la classe des rayons lumineux se découpe en deux "com-posantes" ; la lumière se partage en deux états de "polarisation ci rculaire","à gauche" et "à droite". Dans les années 1810, Augustin Fresnel a expé-rimenté la "biréfringence rotatoire" des prismes de quartz — qui séparentles deux nappes.

Dès le ~VIème siècle, une autre géométrie était apparue, concernant les "figuressemblables". Elle est définie par le

Groupe de Thalès,

groupe des "similitudes " dont le Groupe d'Euclide est "sous-groupe invariant ".

Pour le Groupe de Thalès, il n'existe qu'une seule classe de couples de points dis-tincts.

Ceci permet de définir le "rapport de deux distances ", qui appartient néces-sairement au "groupe-quotient Thalès/Euclide ". Groupe que nous décrivons comme"groupe multiplicatif des réels positifs".

Ainsi apparaît l'art de mesurer.

La nature ne permet pas de faire agir le Groupe de Thalès comme le Grouped'Euclide.

Cependant on rencontre quelques objets qui présentent une régularité "tha-lésienne" et "non euclidienne". Signe certain de leur origine : elle n'est pas "natu-relle", mais "artificielle". Exemple : les coquilles que les bigorneaux savent construiregrâce à leur art surnaturel.

Tout aussi artificiellement, nous pouvons faire agir le Groupe de Thalès surles moments : il modifie à la fois les forces et les couleurs. De cette action résulte la"proportion" :

hhhh / couleur = torsion / force

d'où les amateurs d'analyse dimensionnelle déduiront que la couleur est uneimpulsion.

Impulsion de quoi? Des atomes de lumière, disons les "photons newtoniens". Etpar suite, hhhh sera le tournoiement (ou spin ) commun à tous ces photons.

Page 6: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

12

Nous voyons comment le groupe de Thalès permet de mesurer autre chose queles distances.

Depuis le 18ème siècle, cette numérisation est achevée, en ce sens que noussavons construire un groupe de "matrices " (tableaux de nombres dont la loi degroupe ressort des "quatre opérations" de l'arithmétique), groupe qui sera déclaré"isomorphe " au Groupe d'Euclide.

Les ingrédients qui l'ont permis sont dus à Pythagore (son théorème permetde "numériser l' angle droit" ) et à Lagrange (qui a inventé au milieu du 18ème siècleles "coordonnées orthonormales" que l'on dit "cartésiennes").

Ainsi s'est construite la géométrie analytique ; géométrie que Lagrange acomplétée en 1788 par la mécanique analytique.

-o-o-o-o-o- �III -o-o-o-o-o-

Mécanique, science des machines, devenue science des mouvements quandKepler eut fondé la "mécanique céleste " (1609-1621).

Pour la développer, le Groupe d'Euclide sera remplacé par le

Groupe de Galilée.

Groupe de Galilée qui agit sur "l'espace-temps ", constitué des "événements " (cou-ples point-instant).

Groupe de Galilée qui est lui aussi "isomorphe à un groupe de matrices ".

Dans la géométrie euclidienne d'Archimède, un moment non nul condamnait leschoses au déséquilibre, donc au mouvement.

En géométrie galiléenne, un moment sera associé à chaque mouvement dechaque chose (doublet latin momentum—movimentum).

Moment qui engendre héréditairement un moment de chaque sous-groupe.

Il y a un sous-groupe du Groupe de Galilée que nous subissons et que nouscroyons bien connaître : il est constitué des "translations t emporelles " : "il y a cinqminutes", "dans cinquante ans", etc. Ce groupe, appelons-le

Chronos.

Le groupe Chronos , nous avons des machines pour en découper des sous-groupes : les chronomètres, et autres oscillateurs.

Le rythme, élément universel de toutes les musiques, c'est un choix de telssous-groupes.

C'est aussi Chronos qui définit "l'espace " : un point immobile dans l'espace, c'estune classe d'événements sous l'action de Chronos .

Page 7: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

13

Chaque mouvement de chaque chose est pourvu d'un moment galiléen ; doncaussi du sous-groupe Chronos . Voilà

l'énergie.

Cette énergie, ce n'est qu'une partie émergée de l'iceberg moment. Pour découvrirles 90% qui restent, il faut envisager d'autres sous-groupes.

C'est ainsi qu'on peut faire apparaître l'impulsion et le tournoiement , qu'onpeut retrouver le "centre de masse " sur lequel travaillait déjà Archimède.

Quand deux choses se rencontrent, elles ajoutent leurs moments ; quand elles seséparent, elles le partagent ; elles peuvent en échanger une partie, mais lemoment total reste nécessairement constant.

C'est pourquoi nous manipulons le moment avec adresse et prudencequand nous courons entre des obstacles, quand nous prenons ou quittons unescalator, quand nous conduisons une voiture.

Mais un horrible scandale va éclabousser cette belle construction : une analyseélémentaire montre que Chronos n'est pas "invariant " dans le groupe de Galilée.La géométrie galiléenne ne permet pas de l'y distinguer :

Chronos , et l'espace qui va avec, sont donc subjectifs.

L'espace dans lequel vous vivez, c'est vous qui l'avez choisi. C'est celui qui res-pecte votre confort.

Mais vous acceptez quelquefois de changer de Chronos , de quitter l'espacede votre maison pour habiter celui d'une auto, d'un train, d'un avion.

L'expression classique "espace-temps" est donc subjective, elle aussi. Pour res-pecter la géométrie, il faudra l'éviter : l'ensemble des événements, arène du Groupede Galilée, le physicien l'appellera

"Univers".

De même l'énergie, moment du groupe Chronos , est aussi subjective que l'espace :l'énergie d'un mouvement que vous faites dans un train, ce n'est pas du tout celleque constatent les observatrices situées dans la campagne environnante.

D'où nous vient donc l'illusion d'un espace absolu ? Le mot "géométrie" nous lesuggère :

de notre filiation terrestre.

Née du tumulte et de la fureur, notre planète-mère a acquis progressivement unerégularité presque parfaite. Le Chronos de tout le monde, ce n'est que cette régu-larité de la Terre.

C'est un fait général : une chose isolée qui vieillit tend à acquérir son propreChronos . Un principe premier de la thermodynamique dissipative.

Quelques précisions : � Le vieillissement de la chose peut se mesurer ; le résultat s'appelle"entropie " (Boltzmann, 1877). Le "second principe de la thermodynamique "nous affirme que cette entropie ne peut jamais décroître.

Page 8: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

14

� Et le "premier principe " ? il est contenu dans un principe dix fois plusriche, la constance du "moment galiléen ". La croissance de l'entropie doitdonc respecter cette décuple constance.Les amateurs de "calcul des variations " reconnaîtront une circonstance fami-lière : un "multiplicateur de Lagrange " β va intervenir, qui caractériserachacun des "états " où l'entropie ne peut plus croître. � Géométriquement, β , en dualité avec le moment, habite "l'algèbre de Lie "du Groupe de Galilée ; il peut se représenter comme un "quadri-vecteur "d'Univers. � Et le Chronos propre de la chose est engendré par β .

Les astres suffisamment vieux ressemblent à ce portrait, chacun avec son propreβ . Mais le Chronos associé est souvent un peu plus compliqué que celui que nousavions imaginé tout à l'heure : les planètes et les étoiles tournent.

Le fait est là, la Terre tourne, elle aussi.Le β de la Terre caractérise sa période de rotation ; le "jour sidéral ", 23h

56 min. environ.Cette rotation, la géométrie demande que ce soit celle d'un "solide" — même

si la planète conserve une certaine fluidité-plasticité.La rotation de la Terre casse l'apparente régularité euclidienne, et produit des

effets mécaniques paradoxaux : gyroscope de Foucault (1852), alizés et quaran-tièmes rugissants.

Heureusement, elle ne gêne pas les musiciens.

Pour tout système isolé en équilibre, le quadri-vecteur β définit aussi la températured'équilibre (la mesure de β est l'inverse de la température absolue).

Même en dehors d'un équilibre thermodynamique achevé, le "vecteur-tempé-rature" β subsiste localement. Max Planck, en décembre 1900, nous a donné lemoyen de le mesurer en observant le rayonnement : c'est ainsi que nous savonsqu'autour de notre Galaxie, la température est de 2.73 ° Kelvin.

β , c'est enfin la flèche qui nous indique dans quel sens coule le temps.

Flèche du temps qui permet le finalisme de la vie : action sur le futur grâce au sou-venir du passé.

Flèche qui interdit toute action sur le passé et tout souvenir du futur : regretset espoirs.

-o-o-o-o-o- �IV -o-o-o-o-o-

Le Groupe de Galilée possède une qualité particulière, la "cohomologie symplec-tique ", qui se mesure avec une nouvelle quantité particulière :

la masse.

Quelques conséquences de cette cohomologie galiléenne : � Si la masse n'est pas nulle, chaque mouvement de chaque chose isoléese décompose en un couple :

( mouvement du centre de masse , mouvement autour du centre de masse ).

Page 9: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

15

� On peut construire un nouveau groupe, "extension centrale " du Groupede Galilée ; cette extension, c'est le Groupe de Bargmann.

Chaque "particule élémentaire " est associée à une "classe coadjointe" du Groupede Bargmann — qui représente l'ensemble de ses mouvements possibles.

On décrit ainsi les "points matériels ", les "particules à spin ", et même les "pho-tons " (classés par impulsion, donc par couleur).

L'espace des mouvements de chaque particule est ainsi muni d'une "géomé-trie symplectique ", respectée par l'action du Groupe de Galilée.

-o-o-o-o-o- �V -o-o-o-o-o-

Jusqu'ici, nous avons négligé de prendre en compte la pesanteur.

Pourtant, nous la pratiquons assidûment depuis l'instant de notre naissance, etnous savons que rien ne lui échappe. Ce caractère universel doit pouvoir s'étayerpar la géométrie. Œuvre entreprise en 1916 par Einstein, élaboration de la

Relativité Générale.

Dans les années 1920, Einstein parlait de "mollusques de référence" ; SalvadorDali dessinait des "montres molles".

Ces images illustrent l'intervention d'une nouvelle géométrie : la géométriedifférentielle, qui est définie par le "groupe des difféomorphismes de classe C ∞∞∞∞ ".Dans le cas des difféomorphismes de l'Univers, nous le nommerons simplement :

Groupe Souple.

Comment un tel groupe, beaucoup plus grand que le groupe de Galilée (on dit que"sa dimension est infinie"), peut-il intervenir dans la physique ?

Très simplement, si on veut bien examiner la simple "chute des corps".Comme nous l'a enseigné Galilée, tout "point matériel " qui tombe emprunte

"l'accélération de la pesanteur ". Cette loi s'applique aussi bien aux astres qu'à lapomme de Newton. Or on peut l'écrire avec la nouvelle géométrie :

� La pesanteur peut s'interpréter comme objet souple : une "connexionaffine symétrique " D . � La "ligne d'Univers " d'un point matériel, associée à sa "masse ", devientaussi un objet souple T : un "2-tenseur-distribution-contravariant-symé-trique ". � Alors la "loi de la chute des corps " devient :

" TDZ = 0 si Z est un 1-tenseur C∞∞∞∞ à support compact " ; en abrégé :

TD = 0 .

Page 10: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

16

L'intérêt de cette écriture, c'est qu'elle peut devenir une propriété universelle de lamatière :

� TD = 0 implique d'abord la "conservation de la masse " au cours du mou-vement.� Si deux particules T1 et T 2 tombent indépendamment, leur chutecommune sera décrite par la distribution T = T1+T2 , nouvelle solution de TD = 0. � Si ces particules se choquent, l'équation TD = 0 implique aussi toutesles "lois des collisions ", celles qui ont été formulées au 17ème siècle (Galilée,Mariotte, Huygens). � Un seul objet T , solution de l'équation TD = 0 , peut ainsi peuplerl'Univers d'une infinité de particules qui tombent en s'entrechoquant : vide,atomes et clinamen selon Démocrite et Lucrèce. � Une loi de probabilité sur les solutions du type précédent permet dedéfinir une solution "moyenne" T, géométrisant la "théorie cinétique des gaz ".Apparition de la "pression ". � Ces solutions, et d'autres, permettent de modéliser les divers "milieuxcontinus ". Dans ces cas-là, T peut s'exprimer avec la densité, la vitesseet la contrainte du milieu. Alors TD = 0 produit le système des équationsd'Euler (1755) ; équations écrites ici "linéairement ".

Par ailleurs, un simple calcul montre que toute solution isolée de l'équation TD = 0 ,associée à une solution tensorielle Z de l'équation DZ = 0, définit une "grandeurconservée ".

Si l'on se trouve dans une station spatiale, en "impesanteur ", il y a beaucoupde solutions de l'équation DZ = 0, donc beaucoup de grandeurs conservées pourchaque mouvement. On connaît déjà la masse : on trouve en plus l'impulsion, letournoiement , le centre de masse. Dix grandeurs au total sur lesquelles peuvents'appuyer les astronautes dans leurs évolutions.

L'objet protéiforme T que nous venons de rencontrer, nous l'appellerons :

Dynamique de la matière,

et l'équation TD = 0 méritera le nom de "loi de la dynamique ".

Le savoir-faire des mécaniciens, c'est de joindre à cette "loi de la dynamique " des"lois de comportement" concernant les matériaux qu'ils étudient.

Lois qu'ils choisissent invariantes par l'action du Groupe de Galilée — sous-groupe du Groupe Souple. Ont-ils raison ? Nous verrons.

Ainsi peuvent se construire la "théorie de l'élasticité ", la "mécanique desfluides ". L'usage des distributions permet aussi de décrire les "coques " de la chau-dronnerie, la "tension superficielle " qui permet à des insectes de marcher sur l'eau ;la simple "théorie des cordes ", tendues ou vibrantes ; de définir les "forces " qu'ellestransmettent, de "composer " ces forces. Pensons à une toile d'araignée agitée parl'impact d'une mouche.

Page 11: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

17

Et ça fonctionne parfaitement dans le cas des "phénomènes dissipatifs ", qui produi-sent des résultats irréversibles.

Relativité Générale : fondement de la Mécanique Classique.

-o-o-o-o-o- �VI -o-o-o-o-o-

Mais un nouveau problème apparaît : pas question de traiter ainsi la loi de l'équi-valence "énergie-chaleur " — simplement parce que l'énergie a disparu !

Pour la retrouver, il faudra sacrifier le Groupe de Galilée.

Revenons aux "particules élémentaires" que nous avions déduites de ce groupe.Il y avait une difficulté concernant les photons : leur vitesse était rigoureuse-

ment infinie. Or, dès 1676, Römer avait mesuré la vitesse c de la lumière etconstaté qu'elle était finie — si grande soit-elle. Et la même pour toutes les cou-leurs.

Pour avoir de "bons photons", une seule solution : trouver un substitut du groupede Galilée qui implique cette valeur c . C'est possible, et on peut trouver ainsi le"groupe de Poincaré ", sous-groupe du Groupe Souple. Sa dimension est 10,comme celle du Groupe de Galilée ; sa géométrie, la

Relativité Restreinte

fournit de nouvelles particules, tout aussi symplectiques, mais plus conformes àl'expérience ; les photons vont maintenant à la bonne vitesse c .

Relativité Restreinte qui apparaît comme épistémologiquement postérieure àla Relativité Générale — même si elle est historiquement antérieure.

Cette géométrie est légale depuis 1983 : la vitesse c de la lumière a été ajustéearbitrairement (un nombre entier de mètres par seconde); le mètre-étalon a doncété relégué au musée.

Voilà enfin un événement bien daté de l'histoire de la géométrie au 20ème

siècle.

Une nouveauté de la "Relativité Restreinte" : la masse d'une chose dépend deson mouvement — selon la formule m = E/c2, E désignant l'énergie retrouvée.

Résultat établi à la fin du 19ème siècle par Henri Poincaré dans le cas de lalumière ; en 1905, Albert Einstein a déclaré que cette formule était générale, et il aeu la bonne idée d'y chasser le dénominateur.

Mais comment se fait-il que nous ayons une grandeur conservée en moins, masseet énergie ayant perdu leur indépendance ?

Parce que le Groupe de Bargmann permettait d'utiliser subrepticement la"masse atomique " des chimistes, dite aussi "quantité de matière ". Quantité qui variepeu dans les conditions généralement réalisées sur Terre.

Page 12: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

18

La géométrie de Galilée-Bargmann était celle du paradis écologiste : pas de radio-activité, pas d'énergie nucléaire. Mais la géométrie de Poincaré respecte mieux lanature "telle qu'elle est".

Quelques conséquences de la Relativité Restreinte :� Les photons n'ont plus de couleur propre, leur couleur est relative à quiles regarde (effet Doppler-Fizeau). � La "cohomologie sym plectique " a disparu : disparition de la décomposi-tion barycentrique . Le solide mobile, dont Euler et Poinsot avaient calculéles mouvements libres "autour du centre de masse", n'existe plus : pourdécrire les mouvements des objets les plus durs, il devient nécessaire deprendre en compte leurs propriétés élastiques ou plastiques .� Mais la loi de la dynamique TD = 0 reste inchangée. Les mécanicienspourraient tout aussi bien utiliser le Groupe de Poincaré pour écrire les loisde comportement, et ils n'auraient plus de problème avec l'énergie, puis-qu'ils pourraient admettre que E= mc2.

Mais la place du Groupe de Poincaré dans le Groupe Souple pose problème.Pourrait-on le définir comme "régularité de l'impesanteur" ? Eh bien non, ce

qu'on obtient ainsi, c'est un groupe plus grand, dont la dimension est 20 : le"groupe affine ".

Voici : le Groupe de Poincaré est bien la régularité d'un objet souple g , objetd'un type nouveau : une "métrique hyperbolique normale ".

La vitesse c de la lumière est inscrite dans g , ce qui explique comment c peut se transmettre au Groupe de Poincaré.

Examinons donc cette

métrique d'Univers

objet fondamental de la physique — dont l'étude a commencé avec les travauxd'Hermann Minkowski (1908).

� Comme son nom l'indique, la métrique g permet de mesurer les dis-tances et les durées, selon une méthode due à Bernhard Riemann (1853). � La thermodynamique des "vieilles choses" telles que la Terre impliquetoujours un "vecteur-température" β , qui appartient maintenant à "l'al-gèbre de Lie du Groupe de Poincaré". Dans le cas des choses "en cours devieillissement", β , devenu objet souple, engendre avec g un nouvel objetβg ("la dérivée de Lie de la métrique g par le vecteur β"). Si βg n'estpas nul, la "dissipation" va apparaître.

Ainsi peuvent se géométriser la conduction de la chaleur (équations deFourier, 1822), la théorie de la viscosité (équations de Navier, 1822) ; etc. � La métrique définit enfin la pesanteur, comme la seule connexion D quivérifie l'équation Dg = 0 .

Mais la pesanteur ainsi obtenue ne correspond à l'expérience que dans unerégion pas trop grande : elle exigerait que la Terre soit plate — or nous savonsqu'elle est ne l'est pas…

Page 13: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

19

Le Groupe de Poincaré et sa Relativité Restreinte ne sont donc qu'une approxi-mation microscopique.

-o-o-o-o-o- �VII -o-o-o-o-o-

A grande échelle, comment utiliser le Groupe Souple ?Demandons-lui ce que nous demandions jusqu'ici aux groupes d'Euclide,

Galilée ou Poincaré : agir sur le réel sans modifier la physique. Autrement dit :agir sur le possible.

Choisissez un point quelconque de l'Univers. Vous trouverez peut-être un élémentdu Groupe Souple qui vous y emmènera. Si vous le faites agir, vous aurez fait ungrand voyage, et même un voyage dans le temps.

Comment ce voyage est-il possible ? Simplement parce que vous ne vousapercevrez de rien. Vous aurez été accompagné par la métrique, par la pesanteur; par votre environnement ; par le reste du monde.

L'action du Groupe Souple transforme le possible en possible parce qu'ellene change rien, parce qu'elle est inobservable…

…nouvelle épistémologie de la géométrie.

Soyons plus précis : envisageons l'ensemble gggg des métriques possibles del'Univers. Chaque classe de gggg sous l'action du Groupe Souple, appelons-la

Un cosmos.

En souvenir d'Empédocle, appelons

Physis

l'ensemble ΦΦΦΦ de tous les Cosmos. Notre Cosmos à nous, ce n'est plus que l'undes points de la Physis.

Nous pouvons munir gggg de la "difféologie compacte ", qui est invariante par l'actiondu Groupe Souple. Elle descend sur la Physis ΦΦΦΦ , en la munissant de la "difféo-logie quotient ". Grâce à cette construction, la mécanique empirique que nousvenons de rencontrer :

� la dynamique de la matière T est une distribution qui vérifie TD = 0 , Ddésignant la connexion qui dérive de g par la condition Dg = 0

se traduit géométriquement :

� T est un tenseur de ΦΦΦΦ .

Ainsi la dynamique T habite la Physis ΦΦΦΦ ; elle est définie au point ϕϕϕϕ o qui est"notre Cosmos" ; c'est son "relevé " sur l'espace gggg des métriques que nousexpérimentons.

Page 14: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

20

Mais pourquoi notre Cosmos serait-il le seul à bénéficier d'une dynamique ? Pourêtre "scientifiquement correct", envisageons que T soit défini sur toute la Physis.

Interprétation : le possible doit être astreint à une loi qui exprime la dyna-mique à partir de la métrique.

C'est avec une idée analogue que Cavendish, expérimentant en 1798 sur lapesanteur, a réussi à mesurer la masse de la Terre. Les mesures actuelles nediffèrent des siennes que de 1%.

La loi qu'il éprouvait, c'était "l'attraction universelle", celle que Newton avaitdéjà induite des lois de Kepler.

Problème : peut-on réécrire la "loi de l'attraction", sans rien perdre de ses implica-tions kepleriennes et cavendishiennes, pour prolonger le tenseur T sur la Physis ?

Oui ; une solution, c'est l'équation d'Einstein (1915-1917). Elle munit la Physisd'une "1-forme fermée " ; sur l'Univers, elle s'écrit T = S(g), S étant un "opérateurdifférentie l".

Elle se vérifie avec une précision extrême. Des variantes sont possibles,mais aucune n'a franchi le seuil expérimental.

La loi d'Einstein contient deux "constantes universelles " : la constante de Newton etla constante cosmologique ; la valeur de leur couple est mesurée depuis 1999 àpartir des observations de supernovæ lointaines.

Mais le géomètre est parfaitement indifférent à la valeur de ces constantes,parce qu'il peut attribuer à chacune une valeur arbitraire, 1 par exemple. Opérationqui revient à choisir des "unités gravitationnelles " pour la masse et pour les durées-distances.

Unités très grandes : elles donnent par exemple à la constante de Planckl'ordre de grandeur hhhh ≈ 10-120.

-o-o-o-o-o- VIII -o-o-o-o-o-

Plaçons-nous maintenant à cette échelle des unités gravitationnelles, et jetons uncoup d'œil sur les

Modèles cosmologiques.

Si l'on examine diverses photographies du ciel où ne sont portés que les objetssuffisamment lointains, on constate que les galaxies présentent une "densité" quivarie peu avec la direction.

Autrement dit : les galaxies lointaines peuvent être décrites par une "statis-tique" possédant la régularité de la sphère céleste. Groupe isomorphe à O(3) ;"isotropie ", dit-on.

Mais nous ne testons ainsi que ce qui est visible depuis la Terre : on peutprésumer que l'isotropie n'est qu'un sous-groupe d'une "régularité cosmologique" C.

Page 15: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

21

Une hypothèse concernant ce groupe C : il pourrait être isomorphe à O(4). Sous-groupe "compact " du Groupe Souple, qui permettrait alors de construire la"moyenne " T de la dynamique réelle.

Ce T moyen peut se décrire comme un "fluide à pression nulle", schémad'une "poussière de galaxies". L'équation d'Einstein permet d'associer T à unemétrique g qui possède aussi la régularité C.

Ainsi produit-on un modèle cosmologique, proposé dès 1922 par AlexandreFriedmann.

L'action du groupe C classe les événements. En compréhension, chaque classeest une "date cosmique"; en extension, c'est "l'espace" à cette date-là ; espacemuni de la géométrie induite de C — géométrie éternelle, donc. "Espace co-mobile", disent les astronomes.

Cette géométrie est celle d'une hypersphère S3 dont le rayon R croît avecla date : "expansion de l'Univers ". A la date "présente ", l'espace est "courbe ", maispas beaucoup, parce que R est grand.

Depuis 1929, ce modèle se contrôle par l'observation d'un "décalage spec-tral " des galaxies lointaines, fonction de leur "distance " (Edwin Hubble disait impru-demment "proportionnel à la distance").

Souvenons-nous maintenant d'un théorème grâce auquel Archimède a pu calculerl'aire de la sphère (il concerne l'aire des "calottes sphériques ").

On peut l'étendre en dimension quelconque ; il en résulte que la répartitiontridimensionnelle des astres, supposée équipartie sur l'hypersphère S3 , se projet-tera équipartie sur tout disque équatorial D2. Ceci permet de calculer le volume del'espace ; et aussi de contrôler visuellement les aspects non-géocentriques de larégularité C .

On peut perfectionner le modèle de Friedmann en tenant compte du rayonnementcosmologique (observé depuis 1964) ; rayonnement caractérisé par un vecteur-température β pointant vers le futur ; rayonnement dont la dynamique comportedensité et pression de radiation.

Bien entendu β bénéficie de la régularité C ; sa mesure β (la "températureréciproque "), est proportionnelle au rayon R de l'espace : refroidissement perpé-tuel ; 2.73 °K aujourd'hui.

La dérivée de Lie βg n'est pas nulle, ce qui laisse présager une productiond'entropie( le "flux d'entropie" est un moment du Groupe Souple) : "interactions dis-sipatives " donc entre la matière et le rayonnement. β β β

-o-o-o-o-o- IX -o-o-o-o-o-

Revenons à notre planète, qui nous a déjà fourni quelques enseignements : nousavions remarqué que la Terre tourne, puis qu'elle n'est pas plate ; nous pouvonspréciser maintenant qu'elle est ronde. Cette rondeur, c'est une régularité de la Terre.

Compte tenu de son aplatissement, il s'agit d'une régularité de type"Chronos x O(2)" Les écarts de la pesanteur à cette régularité n'ont pu êtredétectées qu'à la fin du 18ème siècle : expériences de Bouguer et Maskelyne auvoisinage des monts Chimborazo et Shiehallion.

Mais la Terre est déjà "très sphérique", la régularité "Chronos x O(3)" est encours d'apparition.

Page 16: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

22

La simple géographie nous donne donc des exemples de régularités plus grandesque Chronos qui apparaissent spontanément. Voici des exemples à d'autreséchelles.

� Une régularité euclidienne de type A5 (groupe à 60 éléments) appartientà deux des polyèdres de Platon, et aussi aux ballons de football. Or cetterégularité artificielle appartient aussi à des objets produits spontanémentpar la nature : dans la flamme d'une bougie qui fume apparaît une molé-cule possédant cette régularité-là : le carbone C60, découvert en 1985,qu'on appelle aussi "footballène". � Depuis 4.7 milliards d'années, des phénomènes dissipatifs se produi-sent dans le système solaire (collisions, marées) ; une régularité de type"Fibonacci" est apparue : les périodes des planètes s'éloignent peu d'une"progression géométrique " dont la raison serait le "Nombre d'or ". Même résul-tat pour les systèmes de satellites de Jupiter et de Saturne.

C'est parce que le Nombre d'or est "algébrique de degré 2 " qu'ilcaractérise une régularité de type T2, correspondant à une diminution de ladissipation par les marées planétaires ou solaires.

Exemples divers de régularités apparues "naturellement" — ayant la vertu de"modérer" la dissipation.

Apparues comment ? La thermodynamique est encore incapable de nousl'expliquer avec précision : elle propose simplement l'expression : "structures dissi-patives ".

La régularité cosmologique C pourrait donc, elle aussi, avoir été acquise à la suitedes processus dissipatifs imposés par le modèle même.

Dans ce cas, son extrapolation stricte vers le passé ne serait pas légitime.L'isotropie apparente du ciel lointain ne serait qu'une anisotropie en voie de dispari-tion.

Anisotropie dont on peut relever une trace : la tendance des quasars lesplus proches à se grouper en "hyper-amas" aplatis et parallèles — verticaux surla projection archimédienne suivante :

Tendance dont l'optimisation permet d'évaluer les paramètres cosmologiques —en agrément avec divers tests cosmologiques récents.

Elle ne fait pas disparaître la régularité cosmologique C , mais la réduitsimplement à une régularité non-géocentrique de type O(3), qui pourrait avoir étéprimordiale.

Page 17: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

23

-o-o-o-o-o- X -o-o-o-o-o-

Jusqu'ici, nous avons négligé les phénomènes magnétiques et électriques. Maison peut les prendre en compte avec un simple ajustement de la géométrie : onremplacera le Groupe Souple par le

Groupe Electro-Souple,

dont voici la construction :� L'Electro-Univers sera le produit direct de l'Univers U par un cercle ;c'est une variété U de dimension 5 (Theodor Kaluza, Oskar Klein,1919-1926).� En faisant tourner simultanément tous les cercles du même angle,on produit le Groupe Electrique.� Le Groupe Electro-Souple sera le "normalisateur " du Groupe Elec-trique dans le "groupe des difféomorphismes " de U .

Le Groupe Electro-Souple est une "extension " du Groupe Souple : les objetssouples sont donc automatiquement électro-souples ; la nouvelle géométrie estcompatible avec la précédente.

Le "groupe quotient " contient les "transformations de jauge de secondeespèce " de l'Electrodynamique, et aussi les "conjugaisons de charge ". La géométrieElectro-Souple est ainsi apte à décrire simultanément matière et antimatière.

Cette géométrie recourt à une Electro-Métrique g , métrique de l'Electro-Univers U ,qui peut être choisie :

� invariante par le Groupe Electrique ; � donnant à tous les cercles la même longueur.

On pourra alors définir l'Electro-Physis correspondante, et l'Electro-Dynamique T comme tenseur de l'Electro-Physis.

Voici quelques conséquences de ces hypothèses.

L'Electro-métrique g s'exprime en complétant la métrique souple g par un objetélectro-souple A , le "potentiel électromagnétique " :

g = ( g , A )De cette Electro-Métrique, on dérive l'électro-pesanteur D, qui complète la pesan-teur D par le champ électromagnétique F :

D = ( D , F ).F, objet souple, est automatiquement solution des équations de Maxwell homo-gènes .

L'Electro-Dynamique T complète la dynamique T par un "vecteur-distribution " J , le courant électrique :

T = ( T , J ).

Alors la loi de l'Electro-Dynamique T D = 0 se coupe en deux :

Page 18: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

24

� Les forces électromagnétiques interviennent dans l'équation de la dynamique qui devient :

TD + JF = 0 ; � le courant électrique J vérifie l'équation

JD = 0qui s'interprète comme conservation de l'électricité. La charge électriqueainsi conservée est un moment du Groupe Electrique.

Enfin l'Electro-Dynamique se relève de l'Electro-Physis par "l'équation d'Einsteinpenta-dimensionnelle" T = S( g ) :

� dans l'écriture de l'équation d'Einstein, la dynamique souple T doit être augmentée de la "densité tensorielle de Maxwell-Poynting " ;� J est donné par les "équations de Maxwell non homogènes ".

Ce système T = S( g ) entraîne bien entendu T D = 0 .

Cette Electrodynamique géométrique correspond parfaitement à l'expérience et à latechnologie : équivalence des aimants et des courants (André Marie Ampère, 1827),générateurs électriques (Zénobe Gramme, 1865), utilisables réciproquement commemoteurs (1873) , émission et réception des ondes radio (1894), etc.

C'est d'ailleurs l'analyse géométrique de l'électrodynamique classique qui apermis à Henri Poincaré de découvrir en 1905 le groupe qui produit la RelativitéRestreinte.

Le fait que l'attraction gravitationnelle ne soit pas supplantée par la répulsion élec-trique est une limite drastique de la charge électrique de l'espace : on admet géné-ralement que cette charge universelle est nulle. Plusieurs scénarios peuvent êtreévoqués pour géométriser cette hypothèse.

-o-o-o-o-o- XI -o-o-o-o-o-

Définissons maintenant un nouvel Universel géométrique : les

états d'un groupe.

Pour chaque groupe G , un état est une fonction µµµµ définie sur G , à valeurscomplexes, prenant la valeur 1 au point neutre, telle que les µµµµ(gj

-1gk) soient leséléments d'une "matrice positive " — quel que soient les gj choisis dans G .

Voici quelques-unes de leurs propriétés :� Le conjugué d'un état, le produit de deux états sont des états.� Les états de G constituent un "convexe compact" — engendré par les"états purs" : ceux qui ne sont pas le milieu de deux autres.� Chaque état définit une "représentation unitaire " du groupe sur un "es-pace de Hilbert ".

Page 19: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

25

� Réciproquement, tout espace de Hilbert, toute représentation unitaire d'ungroupe peuvent se reconstruire à partir d'un état.

Les "représentations irréductibles ", ce sont celles qui sont associées àun "état pur ".

-o-o-o-o-o- XII -o-o-o-o-o-

A quoi peuvent servir tous ces états ? D'abord à fonder le

calcul des probabilités.

Pour "probabiliser" un ensemble X�, il suffit de choisir un "groupe-test " : un groupemultiplicatif A de fonctions αααα à valeurs complexes de module 1, définies sur X�.

Fermons A pour les "combinaisons linéaires" et "limites uniformes" : nousobtenons l'ensemble des "fonctions-test " de A. Appelons

� "certitudes " les fonctions sur A associées à chaque point x de X �

par la correspondance αααα—> αααα(x) ;� "hasards " les fonctions du "convexe fermé " engendré par les certitudes(fermé pour la "convergence uniforme sur les parties finies ").

Tous ces hasards sont des états de A . Tout hasard p possède un seul prolon-gement linéaire continu à l'ensemble des fonctions-test αααα ; le résultat p(αααα) sera l'"espérance mathématique " ou "valeur moyenne " de αααα dans le hasard p .

Voici des exemples :� Si X est fini, tout hasard sur X est donné par une formule p(αααα ) = p1 αααα (x1) + … + pn αααα (xn), les p j étants positifs, de somme 1 : la notion

de hasard implique celle de "probabilité ".� Prenons un exemple infini : X, ce sera RRRRn ; on choisit comme "groupe-

test" l'ensemble des fonctions ααααy : x —> eiyx, y étant arbitraire dans le

dual de RRRRn.Alors les "hasards " contiennent les "lois de probabilité " classiques (re-

présentées par leurs "fonctions caractéristiques " au sens de Liapounov-Lévy) .

Un point intéressant : il existe d'autres hasards probabilisés par cegroupe-test, comme celui qui est équiparti sur RRRRn ou sur un sous-réseauarbitraire. Ils interviennent dans les phénomènes quantiques — mêmes'Ils sont incompatibles avec la théorie de la mesure.

Soient X , X' deux espaces probabilisés par des groupes-tests A , A'. Uneapplication F de X dans X' sera dite "propre " si l'image réciproque par F d'unélément de A' est fonction-test sur X.

Alors l'image réciproque d'une fonction-test de X' par une application propreest fonction-test de X�; l'image directe d'un hasard de X (définie par dualité) est unhasard de X'.

Page 20: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

26

Ces "images de hasards " sont utilisées dans les "méthodes de Monte-Carlo ". Ellespermettent à un groupe qui agit "proprement" sur X d'inclure les hasards dans sagéométrie.

-o-o-o-o-o- XIII -o-o-o-o-o-

D'autre part ces états de groupe permettent d'accéder à la procédure de

Quantification géométrique

qui ne sera qu'esquissée ici.

Un objet quantique isolé sera caractérisé par :� un groupe S — la source� une classe coadjointe X de la source S (qui s'interprétera comme "es-pace des mouvements classiques" )� un fibré principal en cercles ΞΞΞΞ au dessus de X muni d'une structure decontact ϖϖϖϖ d'où dérive la forme symplectique ωωωω de X . La circulation de ϖϖϖϖsu les cercles prend la valeur constante 2πh ; .l'action de S sur X se relèvesur ΞΞΞΞ en préservant ϖϖϖϖ — ce qui crée une "extension centrale " ΣΣΣΣ de S .� si l'objet est isolé, un morphisme du groupe de Galilée (resp. Poincaré)dans S

Appelons "observation " tout sous-groupe A de S engendré par une sous-algèbrede Lie abélienne . Chaque observation pourra s'interpréter de deux façons :

� par son action sur XXXX induite de celle de ΣΣΣΣ ;� par une autre action sur XXXX , déterminée par ϖϖϖϖ, et conservant individuel-lement les fibres ; elle produit un "groupe-test " de X .

Si µ est un état de la source et A une observation, µ induit sur A un état dugroupe-test associé. Les

Etats quantiques

seront des états de S , ayant la propriété d'induire un "hasard " pour chaque ob-servation A. Hasard qui s'interprétera comme "spectre " du moment de A .

Ces constructions permettent de produire les principaux objets de la mécaniquequantique :

� Equations d'onde (Schrödinger, Pauli, Klein-Gordon, Dirac, Maxwell), engendrant chacune une solution de TD = 0 � Espaces de Hilbert, vecteurs d'état , opérateurs-densité� opérateurs self-adjoints� Produit tensoriels hilbertiens pour les systèmes � bosons et fermions, condensations de Bose-Einstein, non-séparabilitédes états de fermions.

Page 21: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

27

Quelques références de J.M . Souriau et al. concernant les sujets évoqués

1953 Géométrie symplectique différentielle . Applications - Coll. Internat.CNRS "Géométrie différentielle", Strasbourg, p.53

1964 Géométrie et relativité - Ed. Hermann, coll. "Enseignement des Sciences"

1966 Définition covariante des équilibres thermodynamiques - Suppl. Nuov.Cimento, 1, 4, pp.203-216

1966 Modèles classiques quantifiables pour les particules élémentaires -C.R. Acad. Sc. 263, p.1191

1966 Quantification géométrique - Comm. Math. Phys. 1, pp.374-398

1967 Quantification géom étrique. Applications - Ann. Inst. H. Poincaré VI, 4,p.311-341

1969 Structure des systèmes dynamiques - Ed. Dunod, Coll. "Dunod Univer-sité"

1971 Variétés symplectiques et cohomologie en mécanique - RencontresMath. Phys., Dept Math. Univ. Lyon-Villeurbanne, 8, Suppl.

1976 Construction explicite de l'indice de Maslov. Applications - "4th Internat.Colloquium on Group Theoretical Methods in Physics", Nijmegen, 1975 - SpringerLect. Notes in Physics 50, p.117-148

1977 Faut-il prendre au sérieux la constante cosmologique? - Journ. Relati-vistes, Bruxelles 1976, Publ. Univ. libre de Bruxelles, p.215-229

1977 Thermodynamique et géométrie - "Differential Geometrical Methods in Ma-thematical Physics II", Bonn - Springer Lect. Notes in Math. 676, 30 pages

1980 Groupes différentiels - Springer Lect. Notes in Math., 836, p.91-128

1982 A Possible Large-Scale Anisotropy of the Universe (avec H.H. Fliche etR.Triay ) - Astron. and Astrophysics 108, p.256-264

1983 Heat, Cold and Geometry (avec P. Iglesias ) - "Differential Geometry andMathematical Physics", M.Cahen edr , p.37-68, Reidel Pub. C°

1984 Groupes différentiels et Physique mathématique - "Feuilletages et quanti-fication géométrique", Journées Internat. Soc. Math. de France 1983, Lyon - Coll.Travaux en cours, II, p.73-119, Ed. Hermann

1986 La structure symplectique de la mécanique décrite par Lagrange en1811 - "Journées d'Histoires des Sciences", Vieille Charité, Marseille,1985 - "Mathé-matiques et Sciences humaines", 24ème année, n° 94, pp.45-54

1997 Milieux continus de dimension 1, 2 ou 3 : statique et dynamique -13èmeCongrès Français de Mécanique, Poitiers Futuroscope.

1998 Structure of D ynamical Systems, a sym plectic View or Ph ysics - Bir-khäuser, Progress in Mathematics

2002 Grammaire de la Nature - à paraître.

Page 22: LES GROUPES COMME UNIVERSAUX - msh-paris.frsemioweb.msh-paris.fr/f2ds/docs/geo_2002/Document02_Souriau1.pdf12 Nous voyons comment le gr oupe de Thalès permet de mesurer autre chose

28

remords