Les Femmes savantes - BIBLIO - HACHETTE · lectures, de préparer les élèves aux techniques de...

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Les Femmes savantes Molière Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 33 établi par Gertrude Bing, professeur certifié de Lettres classiques

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Les Femmes savantes

Molière

L i v r e t p é d a g o g i q u ecorrespondant au livre élève n° 33

établi par Gertrude Bing,professeur certifié de

Lettres classiques

Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

RÉ P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Bilan de première lecture (p.�178) ...................................................................................................................................................................5

Acte I, scène 1 (pp.�9 à 14) ...............................................................................................................................................................................6! Lecture analytique de la scène (pp.�15-16) .................................................................................................................................6! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�17 à 24) ................................................................................................................10

Acte II, scène 7 (pp.�50 à 56) ..........................................................................................................................................................................14! Lecture analytique de la scène (pp.�57-58) ...............................................................................................................................14! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�59 à 68) ................................................................................................................18

Acte III, scène 3 (pp.�91 à 98) .........................................................................................................................................................................23! Lecture analytique de la scène (pp.�99-100) .............................................................................................................................23! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�101 à 109) ............................................................................................................26

Acte IV, scène 2 (pp.�116 à 122).....................................................................................................................................................................30! Lecture analytique de la scène (pp.�123-124) ...........................................................................................................................30! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�125 à 133) ............................................................................................................32

Acte V, scène 3 (pp.�153 à 160)......................................................................................................................................................................38! Lecture analytique de la scène (pp.�161-162) ...........................................................................................................................38! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�163 à 170) ............................................................................................................42

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

C O M P L É M E N T S A U X M I S E S E N S C È N E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.© Hachette Livre, 2005.43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.www.hachette-education.com

Les Femmes savantes – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à lafois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ceslectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus detextes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation,de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. L’étude de L’École des femmespermettra d’aborder l’esthétique d’une grande comédie classique, mais aussi l’évolution de lapréciosité dans la seconde moitié du XVIIe�siècle, sous l’influence de la science et de la philosophie.Elle sera aussi l’occasion de s’interroger, à travers cinq groupements de textes, sur la polysémie d’untexte théâtral qui met en œuvre une satire sociale, mais également une réflexion sur le lienqu’entretiennent les femmes –�et les hommes�– avec le corps et avec l’esprit.Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvresclassiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois�:–�motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilitela lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux�;–�vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.Cette double perspective a présidé aux choix suivants�:•�Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleinecompréhension.•�Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante etenrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.•�En fin d’ouvrage, le «�dossier Bibliolycée�» propose des études synthétiques et des tableaux quidonnent à l’élève les repères indispensables�: biographie de l’auteur, contexte historique, liens del’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvreintégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence dutexte (sur fond blanc), il comprend�:–�Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Ilse compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sensgénéral de l’œuvre.–�Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre�:l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction duquestionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.–�Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairerchacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire�; ces corpus sont suivis d’un questionnaired’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituerun entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le«�descriptif des lectures et activités�» à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étudeou de documents complémentaires.Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travailefficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étudeet niveau

Compléments auxtravaux d’écriture destinésaux séries technologiques

Comment mettre en scèneLes Femmes savantes ?(p. 17)

Texte A : Scène�1 de l’acte�I des Femmes savantesde Molière (pp.�9-14).Texte B : Extrait de Quarante Ans de théâtre deFrancisque Sarcey (pp.�17-19).Texte C : Extrait du Journal de Jacques Copeau(pp.�19-21).Texte D : Extrait de Molière et la Comédieclassique de Louis Jouvet (pp.�21-22).Document : Mise en scène des Femmes savantespar Catherine Hiégel (p.�23).

Le théâtre�: texteet représentation(Première).Persuader, convaincre,délibérer(Première).

Question préliminaireQuelles conceptions du jeu des comédiens sedessinent dans les documents présentés dansle corpus�?

CommentaireAprès avoir souligné l’importance accordée autexte de théâtre dans les extraits donnés,vous montrerez en quoi ces deux auteursexpriment une même passion du théâtre.

L’instruction des femmes(p. 59)

Texte A : Scène�7 de l’acte�II des F e m m e ssavantes de Molière (pp.�50-56).Texte B : Extrait du Roman bourgeois d’AntoineFuretière (pp.�59-60).Texte C : Extrait du Traité de l’éducation des fillesde Fénelon. (pp.�60-62)Texte D : Extrait du Discours sur le bonheurd’Émilie du Châtelet (pp.�62-63).Texte E : Extrait de Madame Bovary de GustaveFlaubert (pp.�63-64).Texte F : Extrait du Deuxième Sexe de Simone deBeauvoir (pp.�64-65).Document : Honoré Daumier, Le Roman (p.�66).

Démontrer, convaincre,persuader(Seconde).Persuader, convaincre,délibérer(Première).

Question préliminaireRésumez, en une phrase ou deux, la thèse dechacun des documents du corpus.

CommentaireVous montrerez comment Gustave Flaubertdépeint l’enfermement physique et mentaldes jeunes filles, tout en faisant une satire duromantisme.

Figures du pédantisme auXVIIe siècle(p. 101)

Texte A : Scène�3 de l’acte�III des Femmessavantes de Molière (pp.�91-98).Texte B : Extrait de Artamène ou le Grand Cyrusde Madeleine de Scudéry (pp.�101-102).Texte C : Extrait de la scène�2 de l’acte�III duPédant joué de Savinien de Cyrano de Bergerac(pp.�103-104).Texte D : Extrait des Caractères de Jean de LaBruyère (pp.�104-105).Texte E : «�L’écolier, le pédant, et le maître d’unjardin�» de Jean de La Fontaine (pp.�105-106).Document : Illustration de la fable «�L’écolier, lepédant, et le maître d’un jardin�» par Grandville(p.�107).

L’éloge et le blâme(Seconde).Persuader, convaincre,délibérer�: formes et fonctionsdu dialogue, de l’essai,de l’apologue(Première).Mouvements littéraireset culturels�: baroque,préciosité et classicisme(Première).

Question préliminaireLes personnages de pédants présentés dans lecorpus sont-ils interchangeables ou chacun sedistingue-t-il par une personnalitéparticulière�?

CommentaireVous montrerez comment la théâtralité de cetexte est au service de la caricature et de lasatire.

Corps et âme(p. 125)

Texte A : Scène�2 de l’acte�IV des F e m m e ssavantes de Molière (pp.�116-122).Texte B : Extrait des Méditations métaphysiques deRené Descartes (pp.�125-127).Texte C : Extrait du Procès en séparation de l’âmeet du corps de Calderón (pp.�127-128).Texte D : Extrait de la scène�6 de l’acte�IV du DomJuan de Molière (pp.�128-129).Texte E : Article «�Les Femmes savantes�» duDictionnaire des grandes œuvres de la littératurefrançaise (pp.�129-131).Document : Mise en scène du Procès en séparationde l’âme et du corps par Christian Schiaretti (p.�131).

Le théâtre�: genres et registres(Seconde).Le théâtre�: texte etreprésentation(Première).Persuader, convaincre,délibérer(Première).Un mouvement littéraireet culturel�: le classicisme(Première).

Question préliminaireÀ la lumière des textes du corpus, montrezl’influence du dualisme cartésien sur lesentiment amoureux.

CommentaireVous montrerez en quoi ces textes serapprochent par leur thématique, mais sedistinguent dans le traitement despersonnages.

La surdité des maîtres(p. 163)

Texte A : Scène�3 de l’acte�V des F e m m e ssavantes de Molière (pp.�153-160).Texte B : Extrait de la scène�3 de L’Île des esclavesde Marivaux (pp.�163-165).Texte C : Extrait de la scène�2 de l’acte�I duBarbier de Séville de Beaumarchais (pp.�165-166).Texte D : Extrait des B o n n e s de Jean Genet(pp.�166-168).Document : Plan du film La Règle du jeu de JeanRenoir (p.�169).

Le théâtre�: genres et registres(Seconde).Le théâtre�: texte etreprésentation(Première).Persuader, convaincre,délibérer(Première).

Question préliminaireQuelles images des valets apparaissent dansles documents du corpus�?

CommentaireVous montrerez l’ambiguïté des relationsentre Madame et Claire.

Les Femmes savantes – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . � 1 7 8 )

! Armande et Henriette sont les filles de Philaminte et de Chrysale. Armande, l’aînée, est jalouse carClitandre, après l’avoir vainement courtisée, s’est tourné vers sa cadette qui ne semble pas rebutée parle mariage." Trois femmes savantes sont présentes chez Chrysale�: sa femme, sa sœur et sa fille aînée.Philaminte, son épouse, se caractérise par son autoritarisme. C’est elle qui porte «�le haut-de-chausse�».Bélise est persuadée qu’un homme ne peut la croiser sans tomber amoureux d’elle. Armande enfin estune prude qui rejette l’idée de mariage. Toutes trois, par ailleurs, au-delà des différences de leurstempéraments, sont véritablement férues de science et de philosophie, mais le désir d’être reconnuesleur fait perdre toute mesure et tout discernement.# Ariste est le frère de Chrysale et de Bélise. Il est plus intelligent que son frère et beaucoup plussensé que sa sœur. Il tente de favoriser les amours d’Henriette et de Clitandre.$ Chrysale a peur de sa femme et trouve son autoritarisme insupportable. Il préfère cependant s’ysoumettre que de tenter de l’affronter. Son penchant pour le savoir lui semble une lubie ridicule.% Clitandre désire épouser Henriette. Plus simple et moins froide que sa sœur, elle a fait bon accueilà des vœux dédaignés par Armande. Le désir de se marier et d’avoir des enfants lui semble naturel.Elle est une personne de bon sens, comme Clitandre, dont elle partage la tempérance.& Philaminte renvoie Martine en raison de son langage. Elle souhaite éduquer toute sa maisonnée etfait la guerre aux «�solécismes�» et aux «�vices d’oraison�» du langage populaire.' Trissotin entre en scène au moment où Philaminte tient salon, en compagnie de Bélise etd’Armande. Toutes trois attendent ardemment ce moment, qui doit être consacré à la lecture despoèmes de leur visiteur et à de savants entretiens. Henriette, présente aussi, tente de s’éclipser, mais samère l’en empêche.( Trissotin souhaite profiter de la situation pour devenir le mari d’Henriette et empocher la dot. Ilfeint de l’aimer mais renoncera à l’épouser lorsqu’il croira la famille ruinée.) Les deux pédants commencent par se congratuler mutuellement sur leurs qualités littéraires. Vadiussouhaite ensuite lire un poème de sa composition. Trissotin l’interrompt à plusieurs reprises et finitpar lui demander ce qu’il pense du sonnet «�sur la fièvre qui tient la princesse Uranie�», sans révéler qu’ilen est l’auteur. Vadius porte un jugement très sévère sur ce poème, qui lui a été lu en société. Laconversation s’envenime et les deux pseudo-poètes finissent par se quereller comme des chiffonniers.*+ Vadius fait porter chez Philaminte les ouvrages de quatre auteurs latins, dans lesquels elle verra«�notés en marge tous les endroits qu’il [Trissotin] a pillés�». Philaminte, tout à son aveuglement, renvoiele messager et décide de précipiter les noces d’Henriette et de Trissotin.*, Armande ne refuse pas d’être aimée mais exige, comme sa tante, «�une espèce d’amour / Qui doit êtreépuré comme l’astre du jour�» (v.�1683-1684). Elle propose pourtant à Clitandre de devenir sa femme,lorsqu’elle se rend compte que, lassé de ses froideurs, il s’apprête à épouser Henriette.*- Henriette veut faire comprendre à Trissotin qu’elle ne l’aime pas et qu’elle voit clair dans son jeu. Ellelui fait part de son amour pour Clitandre et tente de le détourner d’elle. Son prétendant reste inflexible.Après s’être montré doucereux, il révèle sa véritable nature�: «�Pourvu que je vous aie, il n’importe comment.�»*. Le notaire ne sait pas où donner de la tête�: le père et la mère d’Henriette proposent un maridifférent. L’un penche pour Clitandre, tandis que l’autre opte pour Trissotin. Le notaire ne sait quiécouter et ne peut accorder à la jeune fille «�deux époux�».*/ Ariste intervient dans la dernière scène, porteur de deux lettres annonçant l’une la banqueroute deChrysale et l’autre l’issue malheureuse du procès de Philaminte. La famille se croit alors ruinée.Trissotin change brusquement d’avis et renonce à épouser Henriette. Dessillée, Philaminte accepteenfin d’accorder la main de sa cadette à Clitandre, qui ne s’offusque pas de la débâcle familiale. Sapromise refuse alors de lui imposer une union devenue peu avantageuse pour lui, mais Ariste révèleque les lettres étaient des faux, destinés à mettre au jour la cupidité de Trissotin.

Réponses aux questions – 6

*0 Chrysale est bourgeoisement affolé par la perte de ses biens, tandis que Philaminte fait preuve d’undétachement tout philosophique. Trissotin découvre «�son âme mercenaire�» et prend congéprécipitamment. Armande, enfin, est désappointée et se sent sacrifiée. Elle est finalement le dindond’une farce dont elle ne mesurait pas les conséquences et doit trouver sa consolation dans laphilosophie, comme le lui conseille doctement sa mère.

A c t e I , s c è n e 1 ( p p . � 9 à 1 4 )

! Lecture analytique de la scène (pp.�15-16)! Les amours d’Henriette et de Clitandre, restées longtemps secrètes (cf.�v.�271), constituent pourleur entourage une surprise qui déclenche l’action. Ainsi, le premier mot de la pièce, prononcé parArmande, est «�Quoi�?�». Ce pronom interrogatif, qui exprime à la fois l’étonnement et l’indignation,se développe jusqu’au vers�30 en une succession de phrases interrogatives et exclamatives.Pourtant, Armande ne pose aucune véritable question�: elle formule des reproches sur des faits connusd’elle, dans le but de modifier une réalité qu’elle n’admet pas, en usant de l’ascendant d’une aînée sursa cadette. L’accumulation de tournures interro-négatives (v.�9 à 14) confirme son autoritarisme et sonrefus d’admettre les désirs de sa sœur.À ces fausses questions succèdent progressivement des exclamations indignées (v.�8�: «�fi�!�»�; v.�8 et26�: «�mon Dieu�!�»�; v.�19�: «�ô Ciel�!�») qui se développent en une longue phrase exclamative (v.�27 à30�: «�Que vous jouez au monde un petit personnage […]�!�»). Armande, qui présente le monde commeune scène de théâtre, trahit ainsi son souci du paraître.Ce début in medias res pose son caractère vindicatif et tyrannique. L’affrontement des deux sœursapparaît comme l’un des ressorts essentiels de la dramaturgie de la pièce." Après avoir tenté de déconstruire par ses questions et ses exclamations indignées tout l’échafaudagedes valeurs bourgeoises d’Henriette, Armande tente d’y substituer sa propre vision du monde. Sondiscours est saturé de verbes à l’impératif (v.�31�: «�laissez�»�; v.�33�: «�élevez�»�; v.�34�: «�songez�»�;v.�36�: «�donnez-vous�»�; v.�39�: «�tâchez�»�; v.�40�: «�aspirez�»�; v.�41�: «�rendez�»�; v.�44�: «�mariez-vous�»). Henriette, quant à elle, emploie l’impératif à la 2e�personne du pluriel, invitant ainsi sa sœur àune certaine complicité (v.�61�: «�Ne troublons point�»�; v.�62�: «�suivons�»). Elle ne recourt qu’une foisà la 2e�personne du pluriel (v.�63�: «�habitez�»), parodiant ainsi, avec une ironie discrète mais ferme, lafaçon dont sa sœur veut régenter sa vie.Déconstruire pour reconstruire à grands coups de questions indignées, puis d’impératifs et de tournuresinjonctives, voilà qui ressemble à la parodie d’une démarche philosophique�: conduire l’autre du doute àl’aporie, pour opérer la reconstruction d’un savoir… Étrange façon –�bien dogmatique�– d’appliquer lesleçons de la philosophie. Armande est toute là pourtant, qui finira dépitée et ne trouvera pour consolationque les mots de sa mère�: «�Et vous avez l’appui de la philosophie.�»# Après une série d’interrogations, d’exclamations et d’injonctions, le ton d’Armande devientprofessoral. En effet, elle présente à sa sœur le seul mode de vie auquel il convienne de se plier�:«�Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie�» (v.�44). Le présent de vérité générale confère dès lors à sespropos le statut de maximes�: «�Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain, / Soumettant à ses lois lapartie animale, / Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale�» (v.�45 à 48)�; «�Quand sur une personne onprétend se régler, / C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler�» (v.�73-74).Le pronom «�nous�» n’a pas ici le même sens ni la même portée que dans la bouche d’Henriette, pourqui il ne représentait que le couple des deux sœurs. Il s’agit au contraire pour Armande de l’humanitétout entière. Elle ne se situe pas seulement, comme Henriette, ici et maintenant, mais elle oppose auxconsidérations concrètes et immédiates de sa sœur des préceptes moraux. La valeur générale desmaximes qu’elle énonce est mise en relief par les recours aux tournures impersonnelles («�unepersonne�», «�on�», «�il faut�»). Ainsi, Armande veut-elle sembler détachée de toute considérationpersonnelle. Elle oppose son élévation («�Qui nous monte au-dessus�») à la petitesse de sa sœur («�petitpersonnage�», «�grossier�», «�bêtes�»). Ses propos trop idéologiques ne font que susciter l’ironie de sasœur, qui connaît ses motivations réelles. Le spectateur va constater qu’elle est aux prises avec sespropres contradictions et prendre parti pour le personnage amusant (Henriette) aux dépens de celuiqui incarne l’excès et la monomanie.

Les Femmes savantes – 7

$ Dès qu’il s’agit de mariage, Armande exprime son rejet au moyen d’expressions qui évoquent desréactions physiques�: «�un mal de cœur�» (v.�6)�; «�dégoûtant�» (v.�10 –�même si ce mot n’a pas un sensaussi fort qu’aujourd’hui)�; «�blessée�» (v.�11)�; «�sale vue�» (v.�12)�; «�N’en frissonnez-vous point�?�»(v.�13).Ces termes disent malgré Armande la peur –�mais aussi le désir�– de l’union des corps qu’implique lemariage. Ces métaphores physiques parcourent toute la pièce et permettent à l’auteur d’exprimer cequ’il pense de la pruderie héritée des précieuses. Armande est victime de ces influences. Son langagele dit à son insu.% Trois arguments sont développés dans cette tirade. Tout d’abord (v.�26 à 32), Armande déplore lamédiocrité du mariage. Les termes péjoratifs qu’elle accumule renvoient à l’idée de pesanteur et debassesse�: «�étage bas�», «�petit personnage�», «�grossiers�», «�vulgaires�», «�les bas amusements�».Armande propose ensuite (v.�33 à 36) une autre perspective, qui substitue l’élévation à la bassesse. Les«�désirs�» élevés de «�l’esprit�», les «�nobles plaisirs�» et les «�hauts objets�» prennent la place des «�choses duménage�» et des «�bas amusements de ces sortes d’affaires�».Enfin, à partir du vers�37, en une phrase de 12�vers, Armande développe longuement l’éloge deshautes instances qui régissent sa vie. Elle associe le culte de sa mère, présentée comme un «�exemple�»qu’il faut «�honorer�», à celui de la philosophie. Le vocabulaire de l’autorité fait alors son apparition. Àla tyrannie des hommes, aux «�lois�» desquels les femmes sont «�en esclaves asservies�», Armandesubstitue celles de la philosophie «�qui nous monte au-dessus de tout le genre humain�». L’accès au savoirsemble avoir pour fonction d’asservir les autres plus que de se libérer soi-même, comme le confirmele vocabulaire du pouvoir�: «�empire souverain�» (v.�46)�; «�soumettant à ses lois�» (v.�47). Cetteassociation d’idées montre à quel point la volonté maternelle tient lieu pour Armande de philosophie.& La réplique d’Henriette parodie celle de sa sœur. Armande recourt en permanence à l’autoritéd’une instance supérieure au nom de laquelle il faudrait agir (sa mère, la philosophie). Elle n’évoque«�Dieu�» ou «�le Ciel�» que dans des formules exclamatives, sans contenu sémantique (v.�26�: «�MonDieu�»). De même, Henriette commence sa tirade en évoquant le «�Ciel�». Cependant, elle accordeaux mots leur sens propre, dans une phrase déclarative. Ainsi, le caractère sentencieux des proposd’Armande est à la fois imité (Henriette reste dans le même registre) et ridiculisé. À son tour, elleemploie des maximes (v.�53-54�: «�Le Ciel dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant / Pour différentsemplois nous fabrique en naissant�»). Mais l’instance évoquée («�Le Ciel�») l’emporte en puissance surcelles dont se réclame Armande (sa mère et la philosophie).De plus, le raisonnement d’Henriette ne prend pas brutalement le contre-pied de celui d’Armande.Bien au contraire, il en reprend le fond manichéen. Plusieurs formules soulignent cette bipolarité(v.�54�: «�différents emplois�»�; v.�62�: «�nos deux instincts�»�; v.�67�: «�l’une à l’autre contraire�»�; v.�69-70�:«�vous, du côté�» / «�moi, du côté�»). Henriette reprend en outre le réseau lexical qui oppose la grandeurà la petitesse, la hauteur à la bassesse, et l’esprit à la matière («�élévations�», «�spéculations�», «�grand etbeau génie�», «�hautes régions�» s’opposent à «�terre à terre�», «�dans les petits soins, son faible se resserre�»,«�ici-bas�», «�terrestres appas�»). Cependant, en faisant mine d’adopter les vues de sa sœur, Henriette ensouligne l’affectation. Ainsi les mots «�élévations�» (v.�57) et «�spéculations�» (v.�58), mis en relief à larime, sont gonflés par le pluriel (caractéristique du langage des précieuses). La diérèse (élévati-ons /spéculati-ons) en révèle, de façon comique, la prétention. L’emploi de la métabole «�grand et beau�»(v.�63) va dans le même sens.L’habileté d’Henriette consiste à pousser à son extrême le raisonnement de sa sœur, tout en conciliantles contraires, comme le souligne l’emploi de la 1re�personne du pluriel –�absent du discours de sasœur (v.�53�: «�nous voyons�»�; v.�54�: «�nous fabrique�»�; v.�61�: «�Ne troublons point�»�; v.�62�:«�suivons�»�; v.�67�: «�nos desseins�»�; v.�68�: «�nous saurons toutes deux�»).Le rappel final de la double nature de leur mère, à la fois charnelle et spirituelle, met Armande face àses contradictions (v.�75-76�: «�Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle, / Ma sœur, que de tousser etde cracher comme elle�»). Armande associe la sexualité à l’idée de maladie («�tousser�», «�cracher�») et se voitcontrainte de désacraliser la figure maternelle.' La scène présente deux grandes parties. Tout d’abord, Armande prend l’initiative de l’affrontementet mène le jeu en questionnant sa sœur, pour tenter d’éloigner d’elle l’idée de mariage. À une séried’échanges assez rapides succèdent deux tirades antithétiques. Henriette, en rappelant la nécessitévitale des «�bassesses�» charnelles, met Armande face à ses contradictions. Revenant à plusieurs reprisesà l’idée de naissance (v.�54�: «�en naissant�»�; v.�77�: «�vous ne seriez pas�»�; v.�82�: «�vous devez la

Réponses aux questions – 8

clarté�»�; v.�84�: «�venir au monde�»), Henriette se place du côté de la vie et de l’épicurisme, renvoyantArmande du côté de la mort, de la stérilité et de la solitude. On comprend que Molière ait confié lerôle d’Henriette à sa femme, qui incarnait ainsi ce qu’il eût voulu qu’elle fût dans la conjugalité (lechoix du nom de son épouse pour le personnage qui incarne toutes les réticences sexuelles et lesaffectations qu’il détestait est aussi une façon de lui signifier ce qu’il attendait d’elle au moment où lecouple se réconciliait).Dans la seconde partie de la scène, Armande ne peut plus se cacher derrière des généralitéssentencieuses et aborde le sujet qui lui tient réellement à cœur�: Clitandre. La joute verbale se faitalors plus directe. L’aînée révèle, malgré elle, le véritable enjeu de la conversation et la nature de sessentiments. Le rythme des répliques est ici plus régulier et rapide. Il n’est plus question de raisonnermais d’affronter la réalité, que va venir incarner Clitandre, dès la scène suivante. Véritable enjeu duconflit, l’homme et sa capacité à ne pas décevoir est un sujet essentiel. En effet, cette comédie attaqueau moins autant les ridicules et les insuffisances des hommes que ceux des femmes, comme leconfirme le titre prévu initialement par Molière, qui était Tricotin et non Les Femmes savantes.Par la structure binaire de cette première scène, Molière montre donc que les abstractions cachent enréalité des désirs très concrets, qui ne s’avouent pas, ni même ne se conçoivent clairement.( La première scène oppose Henriette et Armande sur la question du mariage. L’aînée le rejetteviolemment et tente vainement d’en éloigner sa sœur. Le spectateur comprend, au vers�37, qu’elleagit et pense conformément aux désirs de sa mère, qualifiée de «�savante�» (v.�38). Les préceptesmaternels sont énoncés par la sœur aînée pendant la première moitié de la scène, tandis qu’Henriette yrépond avec une grande liberté, sans se référer à quelque maître à penser que ce soit. Hormis ces troispersonnages féminins, seul Clitandre, véritable objet de la dispute, est évoqué.) Le spectateur sait, dès la scène d’exposition, que la maisonnée compte deux «�femmes savantes�», lamère et la fille, lesquelles prétendent visiblement régenter la vie du reste de la famille. Ainsi, uncontentieux assez ancien, lié à leur rapport avec leur mère, semble opposer les deux sœurs. Il n’estabsolument pas question ici du père de famille, dont la femme semble s’être arrogé l’autorité.Clitandre, en revanche, est nommé, par Armande tout d’abord, en une phrase interro-négative�:«�Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre�?�» (v. 88). La question de l’homme est ainsi posée parcette dernière�: comment faire pour qu’il soit présent, tout en se tenant à l’écart�? Le spectateurapprend qu’Armande a été le premier objet des assiduités de ce jeune homme, qui, lassé de sesfroideurs, s’est tourné vers sa sœur cadette.*+ Le mariage est doublement l’enjeu de la pièce. Tout d’abord, en ce qui concerne l’intrigue, ceconflit est incarné par deux sœurs�: la rivalité qui les oppose est ce que Francisque Sarcey appelle «�laforme dramatique�» donnée à l’idée. Ainsi la question de savoir si Henriette pourra épouser Clitandremet un mariage –�le sien�– au centre de la comédie, comme dans la plupart des pièces de Molière.Toutefois, ce ressort dramatique est un prétexte, qui permet de poser la question du rapport desfemmes aux hommes, au savoir, à l’amour et au plaisir. D’une manière générale, le problème del’assujettissement des femmes est abordé par Armande. La condition d’épouse lui semble incompatibleavec celle de savante et de philosophe, non seulement en raison de la soumission qu’elle suppose àl’autorité du mari, mais surtout des relations physiques qu’elle implique. Ainsi, du point de vued’Armande, deux destinées opposées s’offriraient aux femmes, sans alternative possible.*, Armande et Henriette sont-elles des allégories du corps et de l’esprit�? Les choses ne sont pas sisimples, comme permet de le constater le vocabulaire qu’elles emploient. En effet, la première esthabitée de désirs qu’elle ne veut avouer, tandis que la seconde a une intelligence qu’elle se refuse àmettre en avant. Ainsi la champ lexical de l’esprit est-il surabondant dans toute la scène�: le mot«�esprit�» lui-même, employé à quatre reprises par Armande, est mis en relief par sa place en début derépliques (v.�10, 26, 36, 85). La comédienne peut souligner, par une intonation appuyée, ce procédécomique, qui révèle le caractère obsessionnel de son personnage.Henriette, avant de se moquer de sa sœur en singeant ses tics de langage (v.�55, 65, 71�: «�esprit�»)parle de raison et de pensée (v.�17-18�: «�Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner, / Qui blesse la penséeet fasse frissonner�»). À ces deux termes n’est pas attachée la connotation métaphysique de «�l’esprit�»dont se réclame Armande. Plus modestes, ils sont associés, dans la bouche d’Henriette, au vocabulairedes sentiments�: «�un homme qui vous aime et soit aimé de vous�» (v.�22), «�tendresse�» (v.�23), «�douceurs�»(v.�24). Au contraire, son aînée attache la «�raison�» (v.�46, 101) au savoir (v.�40�: «�aux clartés�»�;

Les Femmes savantes – 9

v.�42�: «�l’amour de l’étude�»�; v.�44�: «�la philosophie�»). Cette élévation spirituelle est censée faire d’elleune icône, digne, comme sa mère, d’un culte�: «�douceurs des encens�» (v.�102), «�adorateur�» (v.�104).Henriette raille cette prétention illusoire, en rappelant à Armande que leur mère n’est pas seulementun «�noble génie�». Les vers�97-98 rappellent à Armande son choix�: «�Votre esprit à l’hymen renonce pourtoujours, /�Et la philosophie a toutes vos amours.�» La personnification de l’«�esprit�» et de «�la philosophie�»met ici Armande face à son manque d’humanité et préfigure la tyrannie et le dogmatisme infligés parPhilaminte à une maisonnée qui aspire en partie à des plaisirs moins spirituels (la nourriture pourChrysale, l’amour conjugal pour Henriette).*- Henriette semble l’emporter à l’issue de la première partie, puisque Armande est forcée de changerde sujet (v.�85-86�: «�Je vois que votre esprit ne peut être guéri / Du fol entêtement de vous faire un mari�») etd’aborder celui qu’elle voulait éviter�: Clitandre. Henriette affirme alors avec fermeté sa confiance enl’amour de ce dernier�: «�Il me le dit, ma sœur, et, pour moi, je le croi.�» À la fin de la scène, la cadetteprend à nouveau le dessus, puisque c’est elle qui décide de demander à Clitandre de se prononcerclairement. Cette démarche et la dérobade d’Armande confirment son avantage dans cette lutteamoureuse. La simplicité et la droiture d’Henriette mettent sa sœur en défaut en révélant sesambiguïtés et ses contradictions. Henriette l’emporte ainsi sur Armande dans cette première scène,mais la mauvaise foi et le côté retors de cette dernière font comprendre au spectateur qu’elle est unemenace pour le mariage des deux jeunes gens. La cadette est plus forte dans la frontalité, mais l’aînéeest sans doute plus habile dans l’intrigue.*. La comédie des Femmes savantes a la réputation de ne pas être très amusante. Cependant, dans le théâtrede Molière, chaque scène offre au metteur en scène et aux comédiens des possibilités comiques. Pour cefaire, l’un des personnages doit être le dupe de l’autre. Ce peut être ici le cas d’Armande. Comme nousl’avons vu plus haut (cf.�question�10), le comique de répétition est présent mais discret (v.�10, 26, 36, 85�:«�esprit�»). Il ne s’agit pas en effet d’une comédie farcesque. De même, l’ironie d’Henriette peut êtresoulignée par le jeu et la mise en scène�: à deux reprises, la présence de diérèses soulignées par la rimesuggère l’imitation de la sœur aînée par la cadette (v.�57-58�: «�élévati-ons/spéculati-ons�»�; v.�105-106�:«�perfecti-ons/adorati-ons�»). Ce procédé permet à la comédienne d’obtenir une complicité du public avecson personnage, aux dépens de celui d’Armande. La première scène des Femmes savantes offre donc, sans lesimposer, des ressources comiques susceptibles d’inspirer le jeu des comédiennes. Toutefois, le jeu desacteurs peut également mettre en relief, avec plus de gravité, les désirs et les frustrations de deuxpersonnages aux prises avec les difficultés de leur condition de femme et de fille.*/ Pour Henriette, le mariage va de soi, comme le souligne l’extrême simplicité de sa premièreréplique�: «�Oui, ma sœur.�» Devant l’insistance d’Armande, elle se voit obligée de développerl’évidence�: «�un mari, des enfants, un ménage�». La banalité de cette définition, soulignée par larégularité du rythme de la phrase, contraste avec l’excès des réactions d’Armande. Obligée depoursuivre sa justification, Henriette insiste ensuite sur le caractère naturel du mariage�: «�Et qu’est-cequ’à mon âge on a de mieux à faire […]�?�» À cette simplicité épicurienne s’ajoute l’évocation dusentiment amoureux�: «�Un homme qui vous aime et soit aimé de vous�» (v.�22). Le chiasme souligne ici lecaractère équilibré et réciproque des relations amoureuses telles que les envisage Henriette. Enfin cetteunion repose sur la confiance�: «�Il me le dit, ma sœur, et, pour moi, je le croi�» (v.�113). Ainsi, le mariagen’est pas à ses yeux un asservissement mais un lien naturel, harmonieux et équilibré.*0 Pour Armande, le mariage présente l’inconvénient majeur d’être un lien, «�un attachement�»incompatible au sens propre avec toute «�élévation�». Il est associé à l’idée de bassesse morale (v.�4, 31�:«�vulgaire�»�; v.�10�: «�dégoûtant�»�; v.�31, 48�: «�grossier�»�; v.�32�: «�bas�») et d’aliénation (v.�19�:«�attachements�»�; v.�28�: «�claquemurer�»�; v.�43�: «�asservie�»). Confondant mariage et passion et caricaturant lapensée de Descartes, Armande présente l’union de l’homme et de la femme comme bestiale�: «�[…] lapartie animale, / Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale�» (v.�47-48). Véritable porte-drapeau des volontésmaternelles, elle rejette l’idée d’être assujettie à un «�mari�» qui pourrait ressembler à son père.L’amour n’est concevable pour Armande qu’en dehors de tout lien conjugal. Loin d’être un échangeéquilibré comme le voulait Henriette, il met en jeu une relation d’asservissement inversée�: l’homme,réduit à la position de serviteur, se contente d’admirer de loin l’icône féminine à laquelle il est soumis(v.�104�: «�que pour adorateur on veut bien à sa suite�»). Prisonnière de l’influence, pourtant déjà dépassée,des précieuses, Armande promet de devenir une nouvelle Bélise. C’est à sa mère pourtant qu’ellevoudrait ressembler, sans vouloir admettre que cette dernière est une femme et non un pur esprit. De

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fait, des deux savantes qui l’entourent, c’est la moins charismatique (Bélise, restée demoiselle) qui luioffre l’image de ce qu’elle deviendra, à moins que, privée de la douce fantaisie de sa tante, elle nefinisse comme la sèche Arsinoé (Le Misanthrope).*1 Quelques traits du langage précieux apparaissent dans les répliques d’Armande. Ainsi le pronom«�on�» est-il employé à la place de la 1re�personne du singulier (v.�9, 11, 103-104). Ce procédé évite ausujet de se désigner lui-même avec précision�; situé dans la sphère de l’indéfini, il se préserve desbassesses de l’immédiateté impliquée par le pronom je.Le goût pour le pluriel est notable dans son discours (v.�40�: «�aux clartés�»�; v.�41�: «�aux charmantesdouceurs�»�; v.�49�: «�les beaux feux, les doux attachements�»), qui en devient systématiquementhyperbolique (v.�33�: «�de plus hauts objets�»�; v.�34�: «�des plus nobles plaisirs�»�; v.�38�: «�en tous lieux�»�;v.�45�: «�qui nous monte au-dessus de tout le genre humain�»�; v.�46�: «�empire souverain�»). Enfin, l’amourest évoqué de façon métaphorique (v.�102�: «�aux douceurs des encens�»). Sans être caricaturale, commeles personnages des Précieuses ridicules, Armande subit une influence qui contribue à faire d’elle unpersonnage décalé, «�dindon�» d’une mauvaise farce que lui joue sa mère.*2 Armande se réfère formellement à la religion, par le biais de ses exclamations�: «�Ah, mon Dieu�»(v.�8)�; «�ô Ciel�!�» (v.�19)�; «�Mon Dieu�» (v.�26). En réalité, son adoration va avant tout vers sa mère(v.�38�: «�que du nom de savante on honore en tous lieux�»), qui apparaît comme la prophétesse d’un cultevoué à la philosophie�: «�Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie�» (v.�44). Une jeune fille peut en effetépouser cette entité en renonçant aux hommes, comme une religieuse épouse le Christ. Plutôt que detenter d’envoyer sa sœur au couvent –�ce qui révélerait trop ouvertement sa jalousie�–, Armande luisuggère un cloître plus éthéré.Tandis que l’aînée rejette toute idée de famille (v.�30�: «�un idole d’époux et des marmots d’enfants�»),Henriette au contraire aspire à fonder la sienne (v.�16�: «�un mari, des enfants, un ménage�»). Pourautant, elle ne ressent pas le besoin d’exprimer une soumission quelconque à l’autorité d’un parent.Moins désireuse d’émancipation en apparence, elle se montre dans les faits et dans le discours plusindépendante que sa sœur. Cette famille qu’Armande déteste, c’est Henriette qui a décidé de laquitter. Cependant, sans invoquer le «�Ciel�» avec ostentation, elle se réfère aux principes de lareligion, auxquels elle donne du sens�: «�Le Ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant, / Pourdifférents emplois nous fabrique en naissant�» (v.�53-54).Armande, qui remet en cause l’ordre social et divin, se situe bien du côté d’une démesure quasitragique qui causera sa perte, tandis qu’Henriette sera récompensée de sa modération.

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�17 à 24)

Examen des textes! L’article de Francisque Sarcey commence par une question oratoire�: «�Qu’est-ce qu’une formedramatique�?�» Le dernier paragraphe y répond explicitement�: «�Voilà ce que c’est qu’une formedramatique.�» Le corps du texte amène méthodiquement le lecteur vers cette certitude.Le registre didactique du texte est ainsi confirmé par des expressions empruntées à l’oralité du langagecourant qui semblent, avec un ton quelque peu paternaliste, prendre le lecteur par la main pour leguider�: «�Tenez�», «�Eh bien�!�», «�Et pourquoi�?�», «�Ah�! la voilà trouvée la formule dramatique�!�».À partir d’un exemple accessible à tous (une représentation récente des Femmes savantes à l’Odéon),l’auteur formule une série d’hypothèses sur les possibilités qui s’offraient à Molière («�je suppose queMolière […] se fût dit�», «�Admettez que sur ce raisonnement il eût soit […] soit […] soit�[…]�», «�s’il eût faitquelque chose de ce genre, il aurait pu�»). Cette série d’irréels du passé (de «�Tenez�» à «�eût laissé froid unpublic de théâtre�») permet à F.�Sarcey de présenter tout ce qui est contraire à l’idée de «�formedramatique�» et constitue la première partie d’un raisonnement dialectique.En effet, dans les paragraphes suivants, l’auteur fait succéder la proposition à la réfutation, en opposant àtous ces contre-exemples ce que Molière a choisi de faire pour représenter le pédantisme�: une jeune fillerefuse d’embrasser, au nom du grec, un pédant. F.�Sarcey insiste alors dans ses commentaires élogieux sur lecaractère essentiellement visuel du théâtre�: «�l’idée, cette fois, parle aux yeux�!�», «�c’est la thèse du bon sens et dela vérité […] mise sous une forme visible�». L’expression de son enthousiasme («�Ah�! la voilà trouvée […]�!�»,«�ce qui est bien�», «�ce qui est mieux encore�») renforce la démonstration.

Les Femmes savantes – 11

Le dernier paragraphe constitue une conclusion, en forme de bilan. L’auteur y multiplie les formulesoratoires�: «�sachez-le bien�», «�mon Dieu�», «�Jamais, entendez-vous, jamais�», «�le public […] n’admet, negoûte, n’aime, n’applaudit�». Apostrophes, exclamations, répétitions et accumulations soulignent ainsi laluminosité de l’ensemble du raisonnement." Jacques Copeau s’en prend, dans un extrait de son Journal, à une mise en scène des Femmes savantesà la Comédie-Française. Lui qui prônait le tréteau nu juge «�factices�» les «�effets�» voulus par le décor,dont il prend soin de détailler précisément les éléments. Ainsi, le deuxième paragraphe du texte est-ilconsacré à l’architecture générale du plateau, qui comporte une «�ouverture sur le dehors�», un«�péristyle�», un «�escalier�» et une «�verrière�». Ces termes donnent une idée de la volonté réaliste dudécorateur. Les perspectives obtenues donnent l’illusion d’un intérieur bourgeois. Cette conceptiondu théâtre s’oppose à la sienne, qui affirme la prééminence du texte.La critique se fait plus acerbe dans le paragraphe suivant. L’auteur, en effet, ne se contente plus dedécrire mais porte des jugements sévères�: «�En scène, il y a une cheminée monumentale, très laide et sansaucune signification.�» L’expression «�En scène�» donne à la cheminée le premier rôle, aux dépens descomédiens. L’opposition entre les prétentions («�monumentale�») et la vacuité du résultat (laideur,absence de sens) ridiculise l’ensemble de l’espace scénique.J.�Copeau en accentue encore la critique en accumulant les détails�: «�des cartes au mur, des instrumentsd’astronomie sur les meubles, et un bahut plein de livres�». Cette surabondance souligne le volontarisme d’unemise en scène trop démonstrative, qui semble signaler l’insuffisance du texte en y substituant une myriadede signifiants extérieurs. Dans le dernier paragraphe, la description glisse métaphoriquement vers celle dujeu des comédiens. De même que l’aménagement de la scène est artificiel et dépourvu de nécessité, demême leur jeu sent le «�placage�». Ce terme de décoration appliqué aux acteurs les assimile à des objetsinanimés, au point que quelques lignes à peine leur sont consacrées, comme s’ils n’étaient eux-mêmes quedes éléments perdus dans «�ce décor neuf, au milieu de ces intentions factices�».# Louis Jouvet donne successivement des conseils à Annette et à Irène qui tentent respectivementd’interpréter Henriette et Armande. Pour obtenir plus de naturel de la première, Jouvet détaille lapsychologie du personnage�: «�très à l’aise�», «�quelqu’un qui est très clair�», «�un peu malicieux�», «�trèstranquille�», «�cette personne naturelle�». Dans la situation qui est la sienne, Henriette réagit avec unefermeté modérée�: «�Tous ces “loustics” avec leur philosophie l’agacent un peu�», «�On sent que c’estquelqu’un qui a pris son parti�». Ces remarques soulignent la simplicité d’une personne de bon sens.En revanche, lorsqu’il s’agit d’Armande, le vocabulaire psychologique se fait moins abondant.Armande ne veut rien laisser paraître de son naturel, au contraire de sa sœur. Ainsi, les termesemployés par Jouvet pour aider la comédienne à comprendre son personnage concernent-ils les minesqu’elle se donne, plus que son caractère�: «�un petit côté collet monté�», «�cet étonnement�», «�Armandeboude�», «�elle dit sérieusement�», «�elle dit cela par aveuglement sur ses propres sentiments�».Louis Jouvet prodigue deux types de conseils�: les premiers concernent le tempérament dupersonnage, tandis que les seconds insistent sur ses manières. Cette distinction correspond à lasituation dramatique voulue par Molière. La scène d’ouverture présente en effet l’antagonisme quisépare les tenants d’une domesticité bourgeoise des partisans d’un idéal à la fois spirituel et mondain.$ La posture des deux comédiennes laisse supposer des relations complexes entre les deux sœurs.Armande, qui paraît légèrement plus grande, parle à sa sœur qu’elle tient par les épaules. Lerapprochement physique suggère une certaine proximité, voire de la tendresse. Pourtant, l’expressiondes visages semble apporter un démenti à la gestuelle. En effet, Henriette, légèrement prostrée,détourne les yeux et penche la tête vers le sol, tandis qu’Armande élève davantage son regard. Lesdeux sœurs sont prisonnières d’une situation difficile, qui met en jeu des sentiments contradictoires�:tendresse, soumission et autoritarisme se mêlent.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes documents présentés dans le corpus posent la question de la spécificité de l’écriture théâtrale.F.�Sarcey est un critique de théâtre, tandis que J.�Copeau et L.�Jouvet sont avant tout des metteurs enscène. La scène elle-même et son agencement ne les préoccupent donc pas de la même manière.Pourtant, tous trois en appellent constamment au texte, qui porte en lui la scène et sa réalisation.

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F. Sarcey réfléchit dans cet article à «�la forme dramatique�» que doit prendre «�l’idée�», mettant en jeuune réflexion dialectique sur la représentation concrète d’un concept. Alors qu’il vient d’assister à unemise en scène des Femmes savantes à l’Odéon, le journaliste ne parle que du texte, auquel il sembleaccorder une prééminence. Cela signifierait que la représentation à laquelle il a assisté lui auraitaccordé la première place et que la mise en scène et le jeu des acteurs –�auxquels il ne fait aucunementallusion�– auraient été à son service. Ainsi, pour Sarcey, le vers�947 («�Excusez-moi, Monsieur, je ne saispas le grec�») suggère de façon efficace une cristallisation dramatique et visuelle (qui pourrait former lesujet d’une fable) autour de la joue d’une jeune fille refusant le baiser d’un pédant.De même, Copeau accorde la première place au texte. Il déplore, en effet, que la surcharge du décorse fasse à ses dépens�: «�Mais ces mouvements et ces attitudes, très voulus par le metteur en scène, ne l’ontnullement été par l’auteur, ne sont nullement exigés par le texte, par l’esprit du texte. Ils ne le servent pas.�»Jouvet, quant à lui, conseille à Irène de laisser vivre le texte en elle�: «�C’est une histoire toute simple�;n’allez pas plus loin que le texte. Tu verras que dans le texte tu trouveras tout ce dont tu as besoin.�» Par unprocédé maïeutique, le metteur en scène invite l’acteur à se laisser habiter par le texte qui génère alorssa propre vérité dramatique.

Commentaire

IntroductionJacques Copeau a accordé une grande importance au caractère visuel et physique du théâtre de Molière,privilégiant en particulier les pièces marquées par l’influence de la commedia dell’arte. Louis Jouvet fut sonélève et devint un interprète et un metteur en scène mémorables des grandes pièces de Molière (enparticulier Dom Juan). Les textes présentés ici concernent Les Femmes savantes, mais diffèrent tant dans leurnature que dans leur principe�: le premier est une réaction privée, notée à la hâte dans le carnet d’unjournal personnel, à une représentation des Femmes savantes, tandis que le second est la transcription depropos tenus par Jouvet et ses élèves lors d’un cours de théâtre. Nous verrons en quoi leur rapprochementpermet une réflexion sur la nature du texte théâtral et la question de sa représentation.

1. Des textes non littérairesA. Oralité des textes•�Spontanéité d’une réflexion en action.•�Formules orales�: «�Ce n’est pas mal ce que tu fais là.�»•�Tournures familières�: «�tous ces “loustics”�», «�le nez plongé dans le livre�».•�Phrases nominales�: «�Décor plus réel avec une ouverture sur le dehors�», «�D’où défaut complet d’harmonie,d’unité et de vie�».B. Immédiateté des réactionsRéflexion sur le caractère éphémère de la représentation qui contraste avec l’atemporalité du texte=�double nature du théâtre (emploi du présent de narration, d’actualité ou de vérité générale dans les deuxtextes, tant en ce qui concerne le jeu et la mise en scène que le caractère des personnages ou le texte).

2. La passion du théâtreA. Radicalité des jugementsIntransigeance des propos�: «�c’est un effet dont on se lasse�», «�une cheminée monumentale, très laide�et sansaucune signification�», «�Ils sont ajoutés, plaqués, comme une illustration fausse. Ils n’ont aucune continuité. Ilsn’avancent à rien. Ils restent courts�» (Copeau)�; «�c’est une manie de comédienne�», «�quand tu joues Armande,il n’y a rien dedans�» (Jouvet).B. Une haute idée de la théâtralitéPortée morale de jugements esthétiques. Les gens de théâtre doivent être les serviteurs du texte qui estpresque sacralisé�: «�Ils ne le servent pas�», «�l’esprit du texte�» (Copeau). Jouvet se moque du désir de lacomédienne de se mettre en avant�: «�vous voyez ce que c’est�; comme je suis spirituelle�!�»

3. Une même école de penséeA. Refus des subterfugesJeu, mise en scène, décor�: «�ces mouvements et ces attitudes […] ne sont nullement exigés par le texte�»,«�c’est du rajeunissement, ou du retapage, par le dehors. Une toilette à la moderne qui ne s’ajuste pas au corps de

Les Femmes savantes – 13

l’ouvrage�», «�ces intentions factices�» (Copeau)�; «�tu files la voix, tu prends des airs pâmés, tu joues del’éventail, et tu fais�: Oh�! oh�! C’est du café-concert�» (Jouvet).B. Affirmation de la prééminence du texteLe respect du texte garantit la justesse de l’interprétation�: «�mais ces mouvements et ces attitudes, trèsvoulus par le metteur en scène, ne l’ont nullement été par l’auteur, ne sont nullement exigés par le texte, parl’esprit du texte�» (Copeau)�; «�Tu verras que dans le texte tu trouveras tout ce dont tu as besoin�» (Jouvet).

ConclusionMalgré leur nature différente, ces deux textes sont très proches dans le fond�: que l’on soit en positionde spectateur ou en situation d’enseignement, l’exigence reste immense et met en jeu une éthique�: lavolonté de Copeau, relayée par Jouvet, de renouveler le théâtre sans prétendre le «�rajeunir�», mais enen respectant les racines et «�l’esprit�», avec sobriété, humilité et autorité.

Dissertation

IntroductionPour Louis Jouvet, le sujet des Femmes savantes n’est plus d’actualité –�ce qui expliquerait que cettepièce ne soit plus très amusante. Cet amalgame entre le caractère daté de la pièce et la faiblesse de soncomique est discutable.Tout d’abord, c’est dès sa création que la pièce a été jugée trop sérieuse. De plus, comme Jouvet lesouligne lui-même, il n’est pas certain que le sujet –�qui reste à définir précisément�– ne soit pasd’actualité. Enfin, peut-on vraiment affirmer que Les Femmes savantes n’est pas une pièce amusante�?

1. Une pièce fondamentalement sérieuse. L’accueil est mitigé lors de la création�: la pièce estjugée peu divertissante (d’après Grimarest, 1659-1713)A. Peu d’éléments farcesques (L’Épine, III, 2, et Martine, II, 5-6�; V, 3-4)B. Une pièce en vers assortie de références savantes (III, 2-3) et de débats austères (IV, 3)C. Des personnages graves, aux sentiments élevés�: Clitandre, Armande (IV, 2)

2. Actualité du sujet des Femmes savantesA. Le rapport des femmes au savoir est certes différent aujourd’hui et ne fait plus guère débatB. Le sujet des Femmes savantes ne se réduit pas à cela. Molière raille le pédantisme des femmes mais aussi deshommes. Comme le souligne Jouvet, le «�snobisme�» est de toutes les époquesC. La question très contemporaine du désir et de sa sublimation est au centre de cette comédie

3. Les ressources comiques des Femmes savantesA. Outre les personnages de valets, Chrysale et Bélise assument en grande partie la dimension comique de la pièceB. La construction des Femmes savantes rappelle celle d’une comédie-ballet, comme le démontre Robert Garapon(Le Dernier Molière, 1977)C. Les trouvailles comiques sont nombreuses�; la mise en scène peut mettre en relief, par exemple, la symétrie desrépliques (III, 3 / V, 3)

ConclusionLe lecture des Femmes savantes peut osciller entre gravité et amusement. Les mises en scènecontemporaines ne s’en privent pas et visent à mettre en relief sa polysémie et sa modernité (cf.�SimonEine à la Comédie-Française).

Écriture d’inventionLe devoir pourra s’inspirer des textes du corpus, tant en ce qui concerne les décors que le jeu. Il seraitsouhaitable que la critique révèle une prise de position réfléchie sur la représentation théâtrale engénéral et sur la pièce en particulier. Ainsi doit-elle s’accompagner d’une analyse du rapport entretexte et mise en scène et s’appuyer sur des scènes précises pour montrer si la pièce a été interprétée defaçon à concilier gravité et amusement ou à favoriser l’un de ces deux aspects.

Réponses aux questions – 14

Un tel sujet peut être préparé par la projection de diverses mises en scènes des Femmes savantes (voirfilmographie) ou d’autres pièces de Molière. Il peut être opportun également de sensibiliser les élèvesà la question de la représentation par l’observation des photographies présentes dans notre édition.

Proposition de plan�:

IntroductionPrésentation du lieu (théâtre subventionné ou pas, type de salle –�à l’italienne, théâtre moderne), dutype de public et de troupe (les élèves, dans la mesure du possible, peuvent imaginer la représentationdans un lieu qu’ils connaissent). Remarques sur la notoriété du metteur en scène ou des comédiens.

Développement1.�La première scène�: remarques sur l’interprétation et sur le choix des costumes. Montrer en quoicette scène donne le ton. Amorcer dans ce paragraphe une réflexion sur l’interprétation et sur la miseen scène.2.�La mise en scène et le décor�: en résumer l’esprit et l’illustrer par quelques exemples d’idéesscénographiques.3.�L’interprétation�: montrer le parti pris des interprètes en ce qui concerne les principauxpersonnages, à savoir au moins Philaminte, Chrysale et Trissotin (Armande et Henriette ayant étéévoquées dans la première partie).

ConclusionMontrer en quoi cette mise en scène est proche de l’esprit de Molière tout en révélant le caractèretoujours actuel des Femmes savantes.

A c t e I I , s c è n e 7 ( p p . � 5 0 à 5 6 )

! Lecture analytique de la scène (pp.�57-58)! Au début de la scène (v.�511 à 534), Philaminte et Bélise reprochent à Martine l’emploi debarbarismes (v.�519�: «�de mots estropiés�»), l’incorrection de sa syntaxe (ses mots sont «�cousus parintervalles�») et ses négligences (v.�524�: «�le pléonasme ou la cacophonie�»). Le mot «�barbare�» suggère unêtre primitif et brutal, qui refuse de se laisser dresser (v.�517�: «�rompre toute loi d’usage et de raison�»),comme le confirme le champ lexical de la violence («�supplice�», «�rompre�», «�estropiés�», «�traînés�»).Ces deux femmes se présentent dès lors comme les victimes d’une tyrannie qu’elles sont en réalité lesseules à faire subir à leur entourage. Leur attitude est d’autant plus incongrue qu’elles voudraientimposer à la parole de Martine les exigences esthétiques du langage écrit.De fait, deux conceptions de la société s’opposent�:–�Chrysale souhaite que chacun accomplisse au mieux la tâche qui lui est impartie. Les vers�533-534(«�Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots, / En cuisine peut-être auraient été des sots�») rappellentceux de Boileau�: «�Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent, / Ouvrier estimé dans un art nécessaire, /Qu’écrivain du commun et poète vulgaire�» (Art poétique, chant�IV, v.�26-28)�;–�Philaminte, en revanche, veut régenter une société dans laquelle l’ordre des choses serait repensé àsa manière. Elle souhaite, à l’instar de M.�Jourdain (Le Bourgeois gentilhomme), s’élever au-dessus de sacondition en s’entourant, entre autres, d’une domesticité plus policée. Ce souci d’éducation n’est pasune volonté de donner véritablement la parole à Martine pour l’émanciper, mais un signe de mépris�:en cherchant à la dépouiller de sa propre identité, elle nie les véritables talents que lui reconnaîtChrysale�: «�C’est une fille propre aux choses qu’elle fait, / Et vous me la chassez pour un maigre sujet�»(v.�513-514)." L’épouse et la sœur de Chrysale emploient des métaphores qui contribuent à sacraliser le langage,et à faire de Martine une coupable. La personnification des mots accentue l’inhumanité de leurfanatisme�: «�De mots estropiés�», «�De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles�». Bélise renforce cettetendance en faisant de Vaugelas une incarnation du beau langage�: «�Elle y met Vaugelas en pièces tous lesjours�» (v.�522). Cette métonymie désigne le grand prêtre du culte auquel elles se dévouent, quitte à ysacrifier une victime expiatoire (Martine).

Les Femmes savantes – 15

Le langage de Chrysale, proche là encore des exigences classiques que Boileau énoncera en 1674 dansson Art poétique, est simple et clair�: il considère Martine comme «�une fille propre aux choses qu’elle fait�»(v.�513)�; de même, les mots qu’il choisit sont appropriés à leur signification. Ainsi, la métaphore est-elle quasiment absente de ses propos, si ce n’est pour illustrer une affectation qu’il dénonce�: «�J’aimebien mieux pour moi, qu’en épluchant ses herbes, / Elle accommode mal les noms avec les verbes�» (v.�527-528).Le verbe accommoder signifiait, dans la seconde moitié du XVIIe�siècle aussi bien «�arranger, disposer�»un objet, «�préparer�» un plat que «�conformer son esprit ou ses paroles�» à un usage (cf.�Le Robert,Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992). L’emploi polysémique du terme est ici uneparodie discrète du langage imagé de Philaminte et de Bélise.# Les deux premières répliques de Bélise (v.�521 à 524 et v.�544-548) singent celles de sa belle-sœur(v.�515-520 et v.�535-541). En effet, leur structure et leur contenu sont semblables. «�Pour mettreincessamment mon oreille au supplice�» (v.�516) devient «�Il est vrai que l’on sue à souffrir ses discours�»(v.�521). Le mot «�rompre�» (v.�517) est repris par l’expression mettre en pièces (v.�522). Enfin, commePhilaminte, Bélise énumère en fin de réplique les fautes commises par Martine, en employant unvocabulaire plus technique et plus détaché encore des réalités. Si les barbarismes et les solécismes sont,de fait, caractéristiques du langage populaire, le «�pléonasme�» et plus encore la «�cacophonie�» nepeuvent qualifier l’oralité quotidienne. Cette nuance contribue à mettre en place le caractèrechimérique de Bélise, dont la vie est emplie de figures fictives.La comparaison des répliques suivantes confirme la subordination de Bélise à la maîtresse de maison.Le vers�539 («�Le corps, cette guenille, est-il d’une importance […]�?�») est repris par Bélise au vers�546(«�L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant�»). Toutefois, les reproches d’une sœur (v.�543�: «�Le corpsavec l’esprit fait figure, mon frère�») se substituent à ceux d’une épouse («�Et quelle indignité pour ce quis’appelle homme / D’être baissé sans cesse aux soins matériels�»). Une fois encore, Bélise, toujoursdemoiselle, a des propos désincarnés, là où Philaminte parle en connaisseuse d’une vie autre quespirituelle.$ L’accumulation de termes concrets énumérés sans détours (v.�526�: «�à la cuisine�»�; v.�527�: «�enépluchant ses herbes�»�; v.�528�: «�elle accommode�»�; v.�530�: «�brûler ma viande�», «�saler trop mon pot�»�;v.�531�: «�bonne soupe�»�; v.�532�: «�un potage�»�; v.�534�: «�en cuisine�») va à l’opposé du purismeprécieux et des aspirations spirituelles des interlocutrices de Chrysale. La nourriture est pour lui unepréoccupation majeure, au point qu’elle envahit son discours�: «�et vous me la chassez pour un maigresujet�» (v.�514). En bon bourgeois, il révèle combien son embonpoint, menacé par le départ deMartine, lui tient à cœur. L’idée de maigreur est reprise par la suite�: «�Ma foi�! si vous songez à nourrirvotre esprit / C’est de viande bien creuse, à ce que chacun dit�» (v.�549-550). Parodiant la métaphoreprécieuse employée par Bélise qui parle du «�suc de la science�», Chrysale la ramène à la dimensiontriviale des nourritures terrestres.% Les préoccupations de Chrysale sont essentiellement physiques�: «�Oui, mon corps est moi-même�»(v.�542). La forte présence du champ lexical de la nourriture et le vers�531 en particulier leconfirment�: «�Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.�» La structure antithétique de ce vers, miseen relief par la coupe à l’hémistiche, souligne l’opposition radicale des époux. Il s’agit ici de définir cequi non seulement fait vivre, mais détermine les raisons de vivre. Ainsi, contrairement au proverbe deCicéron cité par Valère dans L’Avare (III, 5�: «�Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger�»),Chrysale semble vivre avant tout pour manger. Ce plaisir est de toute évidence le dérivatif desfrustrations imposées par Philaminte. En effet, celle-ci préfère, comme le souligne son époux dans levers�531, ce qui est beau à ce qui est bon. Sa femme lui reproche d’être ce corps habité de désirs dontelle méprise la bassesse («�grossier�», «�indignité�», «�être baissé�», «�guenille�»). L’expression «�ce quis’appelle homme�» (v.�536) est employée à double sens. Elle évoque tout aussi bien une humanité quidevrait «�se hausser vers les [soins] spirituels�» que les insuffisances de l’engeance masculine. Si les«�femmes savantes�» se détournent des plaisirs de la chair, c’est en effet que, tour à tour, les hommesles déçoivent�: le prosaïsme de Chrysale est peu exaltant pour Philaminte, l’impatience de Clitandren’est pas à la hauteur des espérances d’Armande et contredit ses promesses enflammées, et Bélise doitse réfugier dans un univers fictif pour atteindre les sommets de l’idéal amoureux�; toutes trois sontenfin bernées par celui qu’elles portaient au pinacle�: Trissotin.& Philaminte ne s’adresse à Chrysale qu’au moyen de phrases interrogatives et exclamatives, tant ill’exaspère. La moindre parole de son mari la hérisse, au point qu’elle l’interrompt (v.�552-553) pour

Réponses aux questions – 16

commenter la forme de ses propos�: «�Ah�! sollicitude à mon oreille est rude, / Il put étrangement sonancienneté.�» Le vers�553 constitue la seule phrase déclarative prononcée par Philaminte au cours de lascène. Il ne s’adresse pas à son époux, mais à Bélise, qui prend alors le relais�: «�Il est vrai que le mot estbien collet monté.�» Cette dernière n’a pas, à l’égard de son frère, les rancœurs d’une épouse�; ellefavorise les tournures déclaratives et tente d’éduquer Chrysale (v.�544-548). La longue tirade de cedernier, qui fait mine de s’adresser à une interlocutrice plus mesurée (v.�558�: «�C’est à vous que jeparle, ma sœur�»), finit par avoir raison de sa modération�: «�Et de ce même sang se peut-il que je sois�!�»(v.�618). Son indignation pousse Bélise à sortir. Ce personnage n’est pas, comme Philaminte, apte auconflit. Ainsi, si Bélise tente de faire entendre raison à Chrysale, Philaminte y a renoncé. Elle neprend en compte ni son avis, ni sa personne.' L’emportement soudain de Chrysale contraste avec sa retenue habituelle. En effet, le mépris dePhilaminte à son égard passe les bornes lorsqu’elle l’interrompt pour se livrer avec Bélise à desconsidérations linguistiques (v.�552 à 554). Mis hors de lui, il exprime une émotion rendue violentepar des sensations physiques�: «�Il faut qu’enfin j’éclate�», «�et décharge ma rate�», «�et j’ai fort sur le cœur�».Chrysale semble véritablement souffrir, dans son corps, des brimades qui lui sont infligées. L’assonanceen [a] souligne la force et la nécessité de cet éclat («�j’éclate�», «�masque�», «�décharge�», «�rate�»).( Le subterfuge verbal de Chrysale révèle certes la faiblesse de son caractère, mais il confirme surtoutl’impossibilité de tout dialogue entre les époux. Seul ce détour lui permet de parler sans êtreinterrompu et de construire dès lors une argumentation posée et pertinente. Bélise n’a pas, commenous l’avons vu, un esprit dialectique qui la pousserait à couper la parole à autrui. À travers la tiradede ce personnage, Molière brosse ainsi un tableau complet des mœurs provinciales�: manies debourgeoises en quête de reconnaissance (v.�597-598�: «�Raisonner est l’emploi de toute ma maison, / Et leraisonnement en bannit la raison�»), ridicules de leurs époux conservateurs (v.�577 à 580�: «�Nos pères surce point étaient gens bien sensés, / Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez / Quand la capacité de sonesprit se hausse / À connaître un pourpoint d’avec un haut-de-chausse�»).) Par commodité comme par lâcheté, Chrysale adresse explicitement son discours à Bélise�: «�C’est àvous que je parle, ma sœur.�» La 2e�personne du pluriel domine jusqu’au vers�569. Ce «�vous�», au fil desvers, devient ambigu et peut tout aussi bien désigner Bélise que Philaminte ou les trois «�femmessavantes�». Ce procédé –�plus digne d’un valet face à son maître (cf.�Dom Juan, I, 2) que d’un mari faceà sa femme�– offre de nombreuses possibilités de mise en scène et de jeu. En effet, dans les12�premiers vers de cette tirade, Chrysale dresse le tableau de sa maisonnée et, protégé par la formuleconventionnelle du début, peut s’adresser à Philaminte, tout en prétendant ne pas le faire. Elle-mêmepeut l’écouter sans perdre sa dignité.À partir du vers�571, Chrysale généralise son propos et se hisse du cas particulier à la vérité générale. Ilemploie une tournure impersonnelle (v.�571�: «�Il n’est pas bien honnête�»), puis un verbe d’obligation(v.�576�: «�Doit être son étude et sa philosophie�»). Le singulier «�une femme�» (v.�572, 578) lui sert alorspour désigner l’idéal féminin. Chrysale compare ensuite les femmes du passé à celles des tempsprésents�: «�les leurs�», «�elles�», «�leurs filles�», «�les femmes d’à présent�» (v.�579 à 587). Ce passage dusingulier au pluriel, plus concret, marque la différence entre l’idée et la réalité. Cependant, lorsqu’ils’agit d’évoquer les actes de sa femme, Chrysale n’ose la désigner que par un «�on�» très équivoque�:«�Et Voilà qu’on la chasse avec un grand fracas�» (v.�605). Au fil du texte, Chrysale, comme grisé par laliberté de parole qui lui est donnée, prend de l’assurance, mais il finit naturellement par revenir auxréalités de sa vie quotidienne, comme le montre la réapparition du «�vous�» initial (v.�595, 601, 611).*+ Bélise semble s’entourer d’une foule d’objets�: «�vos livres�», «�tout ce meuble�», «�Cette longuelunette�», «�cent brimborions�». Leur multiplicité envahit l’espace, comme le soulignent les qualificatifsqui leur sont associés�: «�éternels�», «�inutile�», «�à faire peur aux gens�», «�dont l’aspect importune�». Ainsi,la demeure de Chrysale est-elle dénaturée�: Bélise y vit dans un autre univers. Son frère lui conseilledonc de changer d’attitude�: «�Vous devriez […] / Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la Lune�/�Etvous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous, / Où nous voyons aller tout sens dessus dessous�» (v.�563-570).Ces remarques donnent l’image de sa folie�: détachée des réalités, elle vit entourée d’abstractionsmatérialisées par une multitude d’ustensiles. La mise en scène de Jean-Paul Roussillon et plus encorecelle de Simon Eine s’inspirent de ce passage et montrent une Bélise flottante qui traverse l’espacescénique en déplaçant, sans nécessité apparente, divers engins. Cependant, Chrysale décrit tout aussibien le caractère de sa femme�: «�Le moindre solécisme en parlant vous irrite�» (v.�559). D’ailleurs, la

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remarque inspirée de Furetière (v.�561-562�: «�Vos livres éternels ne me contentent pas, / Et hors un grosPlutarque à mettre mes rabats�») est celle d’un mari à son épouse. Pour ce bourgeois, l’instructionféminine est dangereuse. Elle bouleverse l’ordre établi en éloignant les femmes des réalitésdomestiques et des devoirs de la conjugalité.*, Chrysale est un conservateur. Les nouveautés de son époque, qui lui semblent immorales, sontexprimées au subjonctif présent, régi par une principale négative�: «�Il n’est pas bien honnête […] qu’unefemme étudie et sache tant de choses.�» L’indicatif présent du verbe être exprime dans la propositionprincipale aussi bien une actualité (rejetée par la négation) qu’une vérité générale, que Chrysalesouhaiterait remettre au goût du jour. La valeur du verbe devoir (v.�576�: «�doit�») est la même.En revanche, le modèle révolu évoqué à partir du vers�577 correspond au mode de vie qui plairait àce «�bon père de famille�». L’imparfait de l’indicatif domine alors�: «�étaient�», «�qui disaient�», «�nelisaient point�», «�vivaient bien�», «�travaillaient�». Le savoir limité des femmes est exprimé dans cepassage à l’indicatif présent («�sait�», «�se hausse à connaître�») qui se substitue au subjonctif présent dupassage précédent («�sache�», «�étudie�»). Ainsi, l’étude des temps et des modes montre à quel point riendes mœurs de son époque ne convient à Chrysale.*- Contrairement à ses deux interlocutrices, Chrysale emploie abondamment la 1re�personne dusingulier, sous toutes ses formes�: «�vous me la chassez�» (v.�514)�; «�J’aime bien mieux, pour moi�»(v.�527). Cet égocentrisme est associé à des préoccupations culinaires�: «�brûler ma viande�», «�saler tropmon pot�» (v.�530). Ces considérations bourgeoises reposent sur une conception du mariage quiaccorde la primauté à la satisfaction des désirs masculins. De même, à la fin de la tirade qu’il consacreaux femmes, la 1re�personne du singulier réapparaît. Le souci de son confort et de sa tranquillitél’emporte sur les principes et les belles idées�: «�On ne sait comme va mon pot, dont j’ai besoin�» (v.�594)�;«�L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire�» (v.�599). Chrysale ne peut s’empêcher de revenir, demanière obsessionnelle, aux petitesses que lui reproche son épouse et songe avant tout à lui-même.*. Aux yeux de Chrysale, sa maisonnée va «�sens dessus dessous�» (v.�570). Les nombreuses antithèsesauxquelles il recourt pour dépeindre l’univers agité dans lequel il se voit forcé de vivre le confirment�:«�Et l’on sait tout�» / «�ce qu’il faut savoir�» (v.�590)�; «�ce vain savoir�» / «�on ne sait�», «�si loin�» / «�dontj’ai besoin�» (v.�593-594). La construction chiasmatique des vers�599-600 met en relief cetteconfusion�: «�L’un me brûle mon rôt [A] en lisant quelque histoire [B] / L’autre rêve à des vers [B] quand jedemande à boire [A]�». L’attitude incongrue des valets comme des membres de sa famille lui fait perdretous ses repères. Le sens commun est mis à rude épreuve, tant la nature des choses et des personnesdevient étrange�: «�Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir�» (v.�589)�; «�Et tous ne font rien moins quece qu’ils ont à faire�» (v.�596)�; «�Et le raisonnement en bannit la raison�» (v.�598)�; «�Et j’ai des serviteurs, etne suis point servi�» (v.�602). Cette accumulation de paradoxes insiste sur le désarroi d’un personnageépris d’ordre et de tranquillité.*/ Malgré ses ressentiments, Chrysale, qui craint d’irriter son épouse, continue de se prémunir�contreelle�: «�Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse, / (Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse)�»(v.�607-608). Pourtant, l’accord du participe passé «�tympanisées�» (v.�611) confirme que les griefsénumérés tout au long de la tirade concernent également Philaminte. Chrysale profite donc desambiguïtés (orales) de la langue française pour dire ce qu’il pense, tout en ne le disant pas. Par ailleurs,le vers�613, qui concerne Trissotin, est à double tranchant�: «�On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé.�»Cette difficulté de compréhension peut aussi bien révéler l’obscurité du langage de Trissotin que leslimites de l’entendement de Chrysale.Finalement, le manque d’assurance de son mari laisse le champ libre à Philaminte. Elle ne manquerapas de l’occuper avec la plus grande assurance dès la scène suivante, après le départ de l’inoffensiveBélise.*0 La scène commence par le constat de la victoire de Philaminte�: «�Vous êtes satisfaite, et la voilàpartie.�» L’emportement de Chrysale ne se manifeste qu’après le renvoi de Martine. L’enjeu est doncavant tout pour lui de «�décharger sa rate�». Il ne cherche pas réellement à obtenir le retour en grâce desa servante. Ses paroles ne modifient en rien la situation�: Philaminte ne l’écoute pas véritablement, etBélise fuit plutôt que de lui répondre. La mise en scène de Jean-Paul Roussillon met en relief cetteabsence de dialogue�: Chrysale parle, assis dans son fauteuil, tandis que les deux femmes vaquent àdiverses occupations, sans l’écouter. Ainsi, faute d’enjeu, personne ne l’emporte à l’issue de cettescène, qui ne modifie pas la situation dramatique.

Réponses aux questions – 18

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�59 à 68)

Examen des textes! Le vocabulaire employé par Antoine Furetière («�s’insinuent�», «�se glissent�», «�avant qu’on puisse�»)dans le premier paragraphe souligne le caractère pernicieux du roman pastoral. En effet, son«�naturel�», en favorisant l’identification, fait perdre toute distance au lecteur. L’auteur compare ainsiL’Astrée à un poison dangereux�: «�où il se glisse un venin�imperceptible qui�a gagné le cœur�avant qu’onpuisse avoir pris du contrepoison�». La polysémie du mot cœur (organe vital, siège des sentiments) permetde filer la métaphore. Javotte est dépourvue de tout esprit critique en raison des défauts de sonéducation. Elle est dès lors incapable, face à de telles lectures, d’en analyser le fonctionnement ets’offre en victime naïve à une fantasmagorie amoureuse qu’elle confond avec la réalité, au risque de seperdre. La dépravation des mœurs et des jeunes filles vient donc davantage des principes étriqués del’éducation bourgeoise que de la littérature précieuse en elle-même." L’instruction, d’après Fénelon, loin d’exciter la curiosité, la tempère. Cette vision des choses estsurprenante pour le pédagogue d’aujourd’hui dont l’un des principaux objectifs est, a contrario, d’éveillercette même curiosité. Toutefois, Fénelon sait que la privation suscite le désir�: «�Faute d’aliment solide, leurcuriosité se tourne toute en ardeur vers les objets vains et dangereux.�» L’instruction, à ses yeux, doit êtreassujettie à des visées morales qui lui sont nécessairement associées. Ainsi, celle des jeunes filles n’estprofitable et saine que si elle bride leurs penchants pour le savoir, source d’indépendance etd’émancipation. Fénelon se montre là plus fin pédagogue qu’Arnolphe, dans L’École des femmes.Il peut d’ailleurs être intéressant de proposer un rapprochement avec la scène�2 de l’acte�III de cette comédie.L’excès d’Arnolphe contraste avec le goût de Fénelon pour ce qui est «�médiocre�», c’est-à-dire mesuré�:«�AGNÈS lit.

LES MAXIMES DU MARIAGEOU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE,

avec son exercice journalier.

Ire MAXIMECelle qu’un lien honnêteFait entrer au lit d’autruiDoit se mettre dans la tête,Malgré le train d’aujourd’hui,Que l’homme qui la prend ne la prend que pour lui.

ARNOLPHEJe vous expliquerai ce que cela veut dire.Mais, pour l’heure présente, il ne faut rien que lire.

AGNÈS poursuit.IIe MAXIME

Elle ne se doit parerQu’autant que peut désirerLe mari qui la possède�:C’est lui que touche seul le soin de sa beauté�;Et pour rien doit être comptéQue les autres la trouvent laide.

IIIe MAXIMELoin ces études d’œillades,Ces eaux, ces blancs, ces pommades,Et mille ingrédients qui font des teints fleuris�:À l’honneur tous les jours ce sont drogues mortelles�;Et les soins de paraître bellesSe prennent peu pour les maris.

Les Femmes savantes – 19

IVe MAXIMESous sa coiffe, en sortant, comme l’honneur l’ordonne,Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups�;Car pour bien plaire à son époux,Elle ne doit plaire à personne.

Ve MAXIMEHors ceux dont au mari la visite se rend,La bonne règle défendDe recevoir aucune âme�:Ceux qui, de galante humeur,N’ont affaire qu’à MadameN’accommodent pas Monsieur.

VIe MAXIMEIl faut des présents des hommesQu’elle se défende bien�;Car dans le siècle où nous sommes,On ne donne rien pour rien.

VIIe MAXIMEDans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui,Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes�:Le mari doit, dans les bonnes coutumes,Écrire tout ce qui s’écrit chez lui.

VIIIe MAXIMECes sociétés déréglées,Qu’on nomme belles assemblées,Des femmes tous les jours corrompent les esprits�:En bonne politique on les doit interdire�;Car c’est là que l’on conspireContre les pauvres maris.

IXe MAXIMEToute femme qui veut à l’honneur se vouerDoit se défendre de jouer,Comme d’une chose funeste�:Car le jeu, fort décevant,Pousse une femme souventÀ jouer de tout son reste.

Xe MAXIMEDes promenades du temps,Ou repas qu’on donne aux champsIl ne faut pas qu’elle essaye�:Selon les prudents cerveaux,Le mari dans ces cadeauxEst toujours celui qui paye.

XIe MAXIME...

ARNOLPHEVous achèverez seule�; et, pas à pas, tantôtJe vous expliquerai ces choses comme il faut.

Réponses aux questions – 20

Je me suis souvenu d’une petite affaire�:Je n’ai qu’un mot à dire, et ne tarderai guère.Rentrez, et conservez ce livre chèrement.Si le notaire vient, qu’il m’attende un moment.�»

Molière, L’École des femmes, acte III, scène 2.# Le Discours sur le bonheur d’Émilie du Châtelet présente un caractère didactique. En effet, lesformules impersonnelles et les verbes d’obligation, employés au présent de vérité générale, abondent�:«�doit�», «�il faut�», «�il est certain que�», «�il est sûr que�». Les adverbes renforcent ces indices decertitude�: «�toujours�», «�entièrement�». Cependant, la fermeté de ces formules est adoucie par lerecours à la 1re�personne du singulier, qui renvoie constamment à l’expérience personnelle associée ausouci du bonheur des autres�: «�Je ne parle pas ici […] je crois […] notre bonheur�».Toutefois, lorsqu’il s’agit plus précisément du sort des femmes et du sien en particulier, la pudeur et lesouci de sa dignité poussent l’auteur à éviter la 1re�personne, trop explicite et trop directe�: «�les femmessont exclues�». Pour évoquer son cas personnel, Mme du Châtelet emploie un pronom indéfini�: «�Etquand, par hasard, il s’en trouve quelqu’une […].�» Les adverbes et les tournures verbales se font alorsmoins péremptoires et plus désabusés�: «�par hasard, il ne lui reste que�».Ainsi, tout en cherchant à donner une leçon de bonheur, Mme du Châtelet laisse percevoir lesblessures intimes d’une personne de talent, que la condition réservée aux femmes a contrainte àmesurer son ambition.$ Ce catalogue de personnages et de situations stéréotypés évoque le Dictionnaire des idées reçues.L’expression «�Ce n’étaient que�» montre l’inanité de ces romans, truffés de clichés, au détriment detoute inventivité, tant stylistique que thématique. L’omniprésence du pluriel met en relief le caractèresystématique de ces recettes littéraires. Les superlatifs et les hyperboles dénoncent les facilités d’unetelle écriture, qui ressemble à un déversoir de poncifs�: «�tous les relais�», «�toutes les pages�», «�comme onne l’est pas�», «�toujours bien mis�». Tout en raillant ces romans, Flaubert en parodie les tics. Lescomparaisons contribuent également à ridiculiser ce type de littérature�; en déshumanisant les hérosévoqués, elles en font de véritables pantins�: «�comme des lions�», «�comme des agneaux�», «�comme desurnes�». Animalisés ou réifiés, les personnages deviennent grotesques.% La «�lectrice rêveuse�» de Daumier occupe à elle seule les deux tiers de la gravure. La présence à sespieds de petits personnages nés de son imagination donne l’impression qu’elle est une géantecontemplant des Lilliputiens. Pourtant, en comparaison de la taille des arbres et de celle despersonnages qui occupent l’arrière-plan droit, ses proportions sont normales. Perdue dans le plaisir desa lecture –�que suggère son sourire serein, la position inclinée du buste et du visage, ainsi quel’abandon du bras droit�–, elle oublie le reste du monde et se sent elle-même habitée par un universqui la transcende et la grandit. Daumier ne semble pas tant railler la lectrice que les thèmesromanesques du roman dans lequel elle s’évade�: un homme agenouillé implorant une jeune femme,deux duellistes s’affrontant pour une belle évanouie dans les bras de l’un d’eux. Tout ce petit monde–�personnages et lectrice�– ignore la réalité, reléguée à l’arrière-plan�: une femme, assise devant unecarriole arrêtée, y tourne le dos à un homme qui semble vouloir lui parler. La banalité et le statismede cette scène s’opposent aux mouvements et à l’exaltation des êtres fictifs du premier plan.Cette gravure pourrait illustrer l’extrait étudié dans la question précédente (texte�E), tant les clichésmélodramatiques représentés par Daumier rappellent les personnages et les situations évoqués parl’auteur de Madame Bovary.& Au début et à la fin de cet extrait du Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir insiste sur les difficultésauxquelles se heurte l’émancipation des jeunes filles. Chaque argument en faveur de cette libération estassocié à un obstacle qui la freine, comme le montre l’emploi des connecteurs d’opposition, dès le constatinitial�: «�il devient possible au lieu de s’en remettre à l’homme�». Toutefois, l’auteur démontre que ce qui«�devient possible�» ne se traduit pas si aisément dans les faits, tant les mentalités sont conditionnées�:«�Cependant, elle a beaucoup plus de difficultés�», «�En outre, même si elle choisit l’indépendance�». Les jeunes fillessont ainsi constamment divisées entre leurs aspirations et les règles de vie que leur impose la société.L’emploi du mot «�cependant�» dans la dernière phrase du texte perd son caractère d’opposition pour revêtirune connotation temporelle («�pendant ce temps�»), qui montre à quel point la «�pression sociale�» est pesante�:la jeune fille n’est plus, en fin de compte, tiraillée entre des intérêts contradictoires, mais laminée par le poidsdes habitudes, de l’éducation et des conventions, que l’instruction seule n’a pas encore suffi à compenser.

Les Femmes savantes – 21

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes cinq textes présentés dans le corpus sont représentatifs de l’évolution des mentalités du XVIIe auXXe�siècle. Aucun des auteurs ne s’oppose à l’instruction féminine�; au contraire, tous constatent les dégâtscausés par son absence�: «�Il ne faut donc pas s’étonner si Javotte, qui avait été élevée dans l’obscurité, […] tombadans ce piège�» (Furetière)�; «�les filles mal instruites et inappliquées ont une imagination toujours errante�»(Fénelon)�; «�Il est certain que l’amour de l’étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui desfemmes�» (Mme du Châtelet)�; «�Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussièredes vieux cabinets de lecture�» (Flaubert)�; «�les rêveries de la femme sont orientées tout autrement�: […] elle n’accorderaque le strict nécessaire à ses études, à sa carrière alors qu’en ces domaines rien n’est aussi nécessaire que le superflu�»(Simone de Beauvoir). Ainsi, chacun s’accorde à reconnaître que l’instruction évite à la femme de se perdreen vaines rêveries. En revanche, selon l’époque et surtout selon le sexe des auteurs, les objectifs diffèrent.Pour Furetière comme pour Fénelon, seule l’instruction garantit la résistance des jeunes filles à l’influencedes lectures romanesques�: «�Il arrive la même chose pour la lecture�: si elle a été interdite à une fille curieuse, elle s’yjettera à corps perdu, et ce sera d’autant plus en danger que, prenant les livres sans choix et sans discrétion, elle en pourratrouver quelqu’un qui lui corrompra l’esprit�» (Furetière)�; «�Une pauvre fille, pleine du tendre et du merveilleux quil’ont charmée dans ses lectures, est étonnée de ne trouver point dans le monde de vrais personnages qui ressemblent à ceshéros […]. Quel dégoût pour elles, de descendre de l’héroïsme jusqu’au plus bas détail du ménage�!�» (Fénelon).L’instruction féminine doit donc éviter aux jeunes filles les rêveries illusoires pour les préparer à accepterleur destinée de bonnes maîtresses de maison.Flaubert constate, comme ses prédécesseurs, les désastres engendrés dans l’esprit d’Emma et de sescongénères peu instruites par la lecture de romans d’amour et d’aventures stéréotypés, mais ne portepas de jugement moral sur le chemin à suivre. Le sort d’Emma et ses désillusions en ménage illustrentbien cependant les analyses de Furetière et de Fénelon.Pour Émilie du Châtelet comme pour Simone de Beauvoir, il en va tout autrement. L’instruction etle goût des études assurent à la femme son émancipation du pouvoir masculin, et par là son bonheuret son indépendance�: «�et quand, par hasard, il s’en trouve quelqu’une qui est née avec une âme assez élevée,il ne lui reste que l’étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle setrouve condamnée par état�» (Émilie du Châtelet)�; «�Si elle est absorbée par des études, […] elle s’affranchit del’obsession du mâle�» (Simone de Beauvoir). Le ton diffère, car la condition féminine est bien pluspénible au XVIIIe�siècle, mais l’idée est la même.

Commentaire

IntroductionLe chapitre VI de la première partie de Madame Bovary est entièrement consacré à la vie d’Emma aucouvent. La première phrase («�Elle avait lu Paul et Virginie�») initie une entreprise de démystification,voire d’éducation, du lecteur. Emma subit l’influence de la littérature romantique sans qu’uneinstruction digne de ce nom l’aide à maîtriser ses exaltations à la fois romanesques et mystiques. Aucontraire, l’imagerie et les métaphores religieuses les favorisent�: «�Les comparaisons de fiancé, d’époux,d’amant céleste et de mariage éternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l’âme des douceursinattendues.�» Ainsi, l’ironie de Flaubert sert-elle la description à la fois onirique et réaliste d’un universclos tout en mettant en place une véritable satire du romantisme.

1.�La description onirique et réaliste d’un univers closA. La vieille demoiselle�: un personnage de conte de fées•�«�Il y avait au couvent�» rappelle la formule conventionnelle Il était une fois.•�La demoiselle vient des temps passés («�appartenant à une ancienne famille de gentilshommes ruinés sous laRévolution�») et se situe à l’écart de la collectivité («�avant de remonter à son ouvrage�», «�les pensionnairess’échappaient de l’étude pour l’aller voir�»).•�Les livres «�qu’elle avait toujours dans son tablier�» font figure d’objets magiques.B. Une description réaliste�: une vieille lingère•�Précision des indices temporels («�tous les mois, pendant huit jours�», «�Pendant six mois, à quinze ans�»).•�Prosaïsme des détails («�elle mangeait au réfectoire�», «�tout en poussant son aiguille�»).•�Familiarité de l’expression («�un petit bout de causette�»).

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C. Une métaphore de l’enfermement mental•�Ce lieu clos est détaché des réalités extérieures�: «�protégée�», «�s’échappait�».•�La vieille demoiselle est, pour les pensionnaires, le seul lien avec le monde («�contait des histoires, vousapprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions�»). Or ce personnage est une «�vieille fille�» qui senourrit principalement de lectures («�elle avalait de longs chapitres�»). Elle transmet aux jeunes filles seségarements d’autant plus aisément que son rôle est clandestin («�Elle savait par cœur des chansons galantesdu siècle passé, qu’elle chantait à demi-voix�», «�et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman�»).

2.�Une satire du romantismeA. Un dictionnaire des idées reçues•�Accumulation de formules toutes faites («�pavillons solitaires�», «�messieurs braves comme des lions, douxcomme des agneaux�»).•�Accumulation de situations stéréotypées («�Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutéess’évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu’on tue à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes lespages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignolsdans les bosquets�»�; «�elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir�»)B. Le recours à l’ironie•�Les héros sont rendus grotesques par des métaphores qui en font à la fois des animaux et des objets(«�lions�», «�agneaux�», «�urnes�»).•�La polysémie de l’expression «�vertueux comme on ne l’est pas�» souligne l’outrance des caractères.•�Le parallélisme dans la phrase «�postillons qu’on tue à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages�»suggère un zeugma (tuer est relayé par crever�: on tue les postillons à tous les relais et à toutes les pages)et souligne la confusion entre rêve et réalité tout en dénonçant la facilité des effets.•�Dans «�elle s’éprit de choses historiques, rêva bahuts�», l’emploi incongru de termes amoureux renddérisoires les émois du personnage.C. Le pastiche des tics d’écriture•�Accumulations («�forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers�»).•�Pluriels systématiques (cf.�question�4).•�Hyperboles («�des vénérations enthousiastes�», «�femmes illustres�»).

ConclusionEn parodiant les outrances du romantisme, Flaubert en démantèle les recettes et le démystifie. Lelecteur, mis en position d’observer deux personnages de lectrices (la lingère, vieille rêveuse privée devie réelle, et la toute jeune Emma en passe de l’imiter), est amené à s’interroger à la fois sur ce qu’estl’écriture, sur sa position de lecteur et sur le lien qu’entretiennent la lecture et l’instruction.

Dissertation

IntroductionL’accès à l’instruction est inéquitable, car il dépend de l’époque, du pays et du milieu social. Ilreprésente, pour Mme du Châtelet, au XVIIIe�siècle, la seule voie vers l’indépendance. Qu’entend-ellepar là�? Les soucis financiers sont étrangers à cette dame de la noblesse («�Je n’écris que pour ce qu’onappelle les gens du monde, c’est-à-dire pour ceux qui sont nés avec une fortune toute faite�»)�; il s’agit doncd’une liberté affective, la condition essentielle du bonheur étant, selon elle, d’échapper à la mainmisedes autres sur soi-même.La question du rapport à l’instruction, à travers le regard de Molière, se pose tout autrement pour lespersonnages des Femmes savantes�: leur amour de l’étude, apparemment facteur de liberté, n’est-il pasen réalité une nouvelle forme d’aliénation�? Au contraire, on peut se demander si les jeunes gens et lesjeunes filles ont encore la liberté aujourd’hui de s’y adonner par goût.

1.�Développement de la thèse de Mme du Châtelet�:la passion de l’étude comme source de bonheurA.�La passion (du latin patior, «�subir, souffrir�») est une aliénation•�Seule la passion du savoir est libératrice et enrichissante. Mme du Châtelet se console ainsi de sestourments amoureux�: «�[or moins notre bonheur dépend des autres] et plus il nous est aisé d’être heureux�».

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•�Pour les femmes, d’après Simone de Beauvoir, une puissante passion des études offre un cheminprivilégié vers l’accomplissement de soi�: «�on s’étonne souvent de voir avec quelle facilité une femme peutabandonner musique, études, métier, dès qu’elle a trouvé un mari�; c’est qu’elle avait engagé trop peu d’elle-mêmedans ses projets�».B.�Le goût de l’étude est un moyen d’échapper à la médiocrité du quotidien•�Julien Sorel (Le Rouge et le Noir) tente d’échapper ainsi aux pesanteurs familiales et sociales.•�Bélise trouve dans la science un moyen de transfigurer le réel. Son exaltation est telle, par exemple,qu’elle trouve matière à réflexion sur la grammaire latine dans les piètres vers de Trissotin (v.�839�:«�Voilà qui se décline�: ma rente, de ma rente, à ma rente�»).•�Le savoir devient un dérivatif qui permet de vivre autrement des plaisirs que la vie n’accorde pas.

2. Les «�femmes savantes�»�: un rapport faussé au savoirA.�Du XVIIe au XVIIIe siècle, pour les femmes de la bourgeoisie ou de la noblesse, les salons étaient bien souvent leseul moyen de voir leurs talents reconnus. La bienséance cependant les contraignait à ne pas faire étalage de leursavoir, qu’elles mettaient en réalité au service des hommes qui venaient briller chez elles.B.�L’amour de l’étude n’est pas libérateur lorsqu’il est subordonné avant tout au jugement d’une société souventsuperficielle, guidée par divers intérêts. Se donnant en spectacle, Philaminte, Bélise et Armande cherchent unereconnaissance sociale… du côté des hommes (Trissotin, Vadius).

3. Instruction utilitaire et amour de l’étudeA. L’instruction utilitaire, subordonnée à la nécessité d’avoir un métier, ne libère pas•�Diversifié et cloisonné par les spécialisations, le savoir n’est pas un objectif en soi, mais se voit réduitau rang d’outil de promotion sociale.•�Nombre d’élèves et d’étudiants choisissent aujourd’hui leurs études en fonction des débouchésqu’elles offrent, par pragmatisme plutôt que par goût.B. Le goût du savoir, quand il existe, est parfois factice, purement spectaculaireL’encyclopédisme des candidats aux jeux télévisés, par exemple, tient davantage de la performancegratuite que d’une réflexion féconde.

ConclusionL’amour de l’étude, dans le sens où l’entend Mme du Châtelet, reste donc, comme elle le soulignait,un luxe. C’est à cette seule condition, sans doute, qu’il devient susceptible d’être une source debonheur. Si Molière dénonce le goût du savoir de ses personnages, c’est que, faussé par une nouvelleforme d’aliénation, il n’est qu’une manie.

Écriture d’inventionUn tel devoir doit rendre compte d’une lecture pertinente du texte de Fénelon et des Femmes savantes.Ainsi Philaminte et son interlocuteur s’entendent-ils sur la nécessité d’instruire les jeunes filles. D’unpoint de vue dramaturgique, cela peut faire l’objet, dans une première partie, d’un quiproquo, chacuns’extasiant sur les bienfaits d’une telle éducation.Cependant, tous deux s’opposent sur l’ampleur et la nature de l’enseignement qui leur est dispensé,l’objectif de l’un et de l’autre étant différent. Philaminte cherche, en effet, à affranchir les femmes despetitesses et des contraintes de la vie conjugale, tandis que Fénelon entend y préparer les jeunesdemoiselles. Ainsi, le quiproquo se dissipe-t-il peu à peu, laissant place à la suspicion, puis à la franchequerelle.

A c t e I I I , s c è n e 3 ( p p . � 9 1 à 9 8 )

! Lecture analytique de la scène (pp.�99-100)! Sa connaissance du grec fait de Vadius, aux yeux des trois savantes, un hôte d’exception. Trissotin,très fier de le produire devant elles, entend en tirer profit et retarde cette révélation. Usant d’abord deformules vagues pour laisser entendre qu’il s’agit d’un visiteur de choix, il prend plaisir à faire languirses interlocutrices (v.�939�: «�Il peut tenir son coin parmi de beaux esprits�»). La flatterie mondaine et

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formelle de Philaminte (v.�940�: «�La main qui le présente en dit assez le prix�») prend une valeur touteautre dès que le mot crucial a été prononcé�: son prix –�il est helléniste�– dit assez celui de la main quile présente�! Ces préliminaires contribuent à mettre en relief le mot «�grec�», qui sera répété par la suiteà 11�reprises, comme si les personnages s’en gargarisaient. Molière recourt donc largement dans cepassage au comique de répétition. Philaminte, initiatrice de cette extase verbale, prononce toutd’abord ce terme trois fois en un seul vers�: «�Du grec, ô Ciel�! du grec�! Il sait du grec, ma sœur�!�»(v.�943). Le mot est mis ici en relief par sa place en début de vers et à l’hémistiche, ainsi que par laponctuation (point d’exclamation, virgule). De même, dans les vers suivants (v.�944 –�2�fois�–, 945 à948, 952), ce vocable monosyllabique est phonétiquement accentué par des positions privilégiées dansle vers. La prosodie offre ainsi aux comédiens la possibilité de souligner aisément ce procédé comique." Tous les personnages sont vains et ridicules dans ce passage, mais Vadius l’emporte sur les autres enfatuité. En effet, encensé pour sa connaissance du grec, il se montre bien éloigné des modèles antiquesauxquels il se réfère�: «�Et d’un Grec là-dessus je suis le sentiment�» (v.�964). Il reproche aux auteursdécriés par cet auteur grec ce qu’il s’apprête à faire lui-même. Brossant le portrait des fâcheux, il faiten réalité son autoportrait�: «�Je crains d’être fâcheux�» (v.�949), «�Le défaut des auteurs�» (v.�955),«�tyranniser�» (v.�956), «�vers fatigants lecteurs infatigables�» (v.�958), «�gueuser des encens�» (v.�960), «�lesmartyrs de ses veilles�» (v.�962), «�fol entêtement�» (v.�963). Molière réussit ici le tour de force de mettredans la bouche même de Vadius –�alias Ménage�– une satire sans concession des auteurs mondains. Ceprocédé comique fait de Vadius un personnage farcesque, benêt qui se berne lui-même.# À la fin de la scène, alors que la querelle est à son comble, Molière inflige à Cotin et à Ménage unultime outrage en mettant dans la bouche des personnages qui les représentent un hommage à leurennemi déclaré�: Boileau. En effet, Vadius, à cours d’arguments, y fait allusion le premier�: «�Oui, oui,je te renvoie à l’auteur des Satires�» (v.�1026). Ils finissent tous deux par se glorifier d’avoir été attaquéspar Boileau, comme si c’était un gage de notoriété (un prix littéraire). Ainsi, comme au début,lorsque Vadius, croyant faire le portrait d’autrui, se dépeint lui-même, ces deux personnages ont despropos si fallacieux qu’ils se retournent absurdement contre eux-mêmes et valorisent leursadversaires�: «�J’ai le contentement / Qu’on voit qu’il m’a traité plus honorablement�» (v.�1027-1028)�; «�unrang plus honorable�» (v.�1033)�; «�Et ne t’a jamais fait l’honneur de redoubler�» (v.�1036)�; «�comme un nobleadversaire�» (v.�1037). Le véritable sens de leurs paroles échappe à ces deux fats, tant ils sont obnubiléspar leur propre image. Cette joute verbale devient ainsi, malgré eux, un éloge paradoxal�: croyantdéstabiliser leur contradicteur immédiat, ils font l’apologie de celui qui a le mieux démontré leurinanité.$ Les trois femmes, flattées de recevoir des hommes qu’elles supposent brillants, souhaitent semontrer à la hauteur et être reconnues�: «�Faisons bien les honneurs au moins de notre esprit�» (v.�932).Elles n’en auront pas l’occasion. Les deux hommes, en effet, cherchent en elles des admiratrices. Ellesles encensent d’ailleurs très volontiers et à l’unisson, dans le premier quart de la scène. Cetenthousiasme naïf exprime une soif de connaissances authentique, qui les rend plus sympathiques queles deux pédants. Par la suite, Trissotin et Vadius se montrent, en effet, véritablement grossiers à leurégard�: ne leur prêtant plus la moindre attention, ils monopolisent la parole. Chacun souhaite plus quetout lire ses vers et obtenir des louanges (v.�967-968�: «�Voici de petits vers pour de jeunes amants, / Surquoi je voudrais bien avoir vos sentiments�»�; v.�988-989�: «�Avez-vous vu certain petit sonnet / Sur la fièvrequi tient la princesse Uranie�?�»). Ainsi l’enjeu n’est-il pas le même pour les hommes et les femmes,subordonnées ici, sans s’en rendre compte, à une nouvelle forme de domination masculine.% Les répliques de Trissotin et de Vadius se répondent deux à deux. Trissotin prend l’initiative descompliments, que Vadius reformule ensuite. La structure syntaxique de ces binômes varie légèrement,tandis que leur fond diffère à peine. Ainsi «�des beautés�» deviennent «�Les Grâces et Vénus�» (v.�969-970)�; «�le tour libre, et le beau choix des mots�» sont relayés par «�l’ithos et le pathos�» (v.�971-972)�; aux«�églogues�» correspondent les «�odes�», tandis que «�Horace�» répond à «�Théocrite et Virgile�» (v.�973 à976). Le même procédé se poursuit jusqu’au vers�986. Cet échange de louanges, qui évoque les jeuxmondains pratiqués dans les salons, est un échauffement qui prépare le véritable combat. Trissotin, demanière apparemment plaisante, défie Vadius qui, mis à l’épreuve, doit trouver du tac au tac unevariation sur le thème lancé par son interlocuteur.& Trissotin et Vadius sont deux pédants quasiment interchangeables�: leur langage est truffé deréférences antiques, et tous deux pratiquent la poésie galante et fréquentent les salons. Trissotin

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occupe cependant une place plus importante dans la pièce, à la mesure des flèches que Molièredécoche contre l’abbé Cottin. Ainsi Trissotin est-il dans cette scène plus agressif que Vadius�; dans lapremière joute verbale, apparemment amicale, comme dans la querelle qui suit, c’est lui qui prendl’initiative et envenime le conflit que Vadius tente au contraire d’apaiser�: «�Il faut qu’en écoutant j’aieeu l’esprit distrait, / Ou bien que le lecteur m’ait gâté le sonnet.�» Vadius est donc plus inoffensif que soncomparse, qui, outre son pédantisme, est un intrigant.' Absorbés par leur différend, Trissotin et Vadius se font moins policés. Oubliant la présence desdames, ils révèlent leur naturel grossier. Des vers�1006 à 1018, les références savantes disparaissent�; lelangage devient de plus en plus rudimentaire, dans la syntaxe comme dans le vocabulaire. Trissotin semontre particulièrement agressif, Vadius ne faisant que se défendre. En effet, le premier prendsystématiquement l’initiative de l’insulte�: «�La ballade […] est une chose fade. / […] elle sent son vieuxtemps�» (v.�1006-1007)�; «�pour les pédants�» (v.�1011)�; «�sottement�» (v.�1013)�; «�petit grimaud,barbouilleur de papier�» (v.�1015)�; «�fripier d’écrits, impudent plagiaire�» (v.�1017). Vadius fait preuve d’uncaractère moins offensif et moins inventif également, puisque, comme dans la précédente jouteverbale, il finit par imiter la formulation de son adversaire, se contentant de variations sur le mêmethème (v.�1013 à 1017). Ainsi «�sottement�» est-il repris par «�impertinemment�» (v.�1013-1014) et «�petitgrimaud�» par «�rimeur de balle�», tandis que «�barbouilleur de papier�» devient dans sa bouche «�opprobre dumétier�». Ces échanges vers à vers rappellent en les parodiant les stichomythies des agôns tragiques.( L’intervention de Philaminte n’apaise pas la querelle. Elle ramène cependant un tant soit peu lesantagonistes aux règles de la bienséance. Le langage, qui commençait à devenir véritablement tropdirect (v.�1018�: «�Allez, cuistre…�»), se fait dès lors plus raffiné. En effet, se souvenant de la nécessitéde ne pas déplaire en public, Trissotin et Vadius rivalisent à nouveau de références antiques�: «�lesGrecs et les Latins�» (v.�1020), «�au Parnasse�» (v.�1021), «�Horace�» (v.�1022). Le souci plus trivial deleur réputation aux yeux des contemporains prend cependant très vite le pas sur l’Antiquité�: «�de tonlivre et de son peu de bruit�» (v.�1024), «�ton libraire à l’hôpital réduit�» (v.�1024), «�Ma gloire est établie�»(v.�1025), «�l’auteur des Satires�» (v.�1026). Philaminte, en interrompant le faible Vadius plutôt quel’arrogant Trissotin, n’a donc pas réussi à s’imposer aux deux rivaux.) Dans les quatre derniers vers de la scène, à l’initiative de Vadius cette fois-ci, les deux adversaires semenacent, comme le souligne l’apparition de l’indicatif futur�: «�Ma plume t’apprendra�» (v.�1041), «�etla mienne saura�» (v.�1042). La plume, devenue toute-puissante, fait désormais fonction d’épée. Par lebiais de cette métaphore, les deux hommes se défient en duel. Les armes sont cependant biendérisoires, en regard de l’âpreté du ton. Ce décalage entre le vocabulaire du combat (v.�1043-1044�:«�Je te défie�», «�nous nous verrons seul à seul�») et celui de la littérature («�en vers, prose, grec, et latin�»,«�chez Barbin�») produit un effet comique qui décrédibilise la menace et ceux qui la profèrent.*+ L’Épine, pour introduire Vadius, prend la peine de le décrire. Le jeune laquais, qui par ailleurs aun rôle quasiment muet, rend compte de son étonnement –�ce qui contribue à accentuer les ridiculesdu visiteur. Son costume et sa voix laissent présager, par métonymie, l’affectation de son austérité («�Ilest vêtu de noir�») et son caractère doucereux («�et parle d’un ton doux�»). Comme dans les caricatures,quelques traits, grossis, suffisent à camper sa personnalité –�du moins, celle qu’il veut laisser paraître,qui contrastera, au final, avec son penchant pour la poésie galante et son emportement. Vadius estbien, comme Trissotin, l’un des avatars de Tartuffe.*, Philaminte s’adresse à Henriette avec une brutalité qui contraste vivement avec le ton employé àl’égard des autres personnages. L’amorce des deux répliques est sans appel�: l’interjection «�Holà�!�»(v.�933) est relayée par l’impératif «�Venez�» (v.�935). Philaminte affirme une autorité qui n’admetaucune contestation�: «�en paroles bien claires�», «�vous les faire savoir�». Les défauts des personnages quioccupent le devant de la scène (Trissotin et Philaminte) paraissent d’autant plus détestables qu’ilscontrastent avec le ton mielleux des flatteries mondaines déversées à la ronde.*- La présence d’Henriette dans la scène est extrêmement discrète. Elle n’est pas dupe des singeries deVadius et de Trissotin et semble flairer un danger. Elle cherche donc tout d’abord à s’esquiver, puis sedérobe adroitement au baiser de Vadius�: «�Excusez-moi, Monsieur, je n’entends pas le grec.�» Tout enfaisant mine d’entrer dans le jeu des autres, elle en détourne les règles pour exprimer son refus. Misantsur le décalage entre la forme courtoise de ses propos et l’impertinence de sa pensée, cette jeunepersonne manipule finement l’ironie. Loin d’être une oie blanche, Henriette sait avec esprit tenirfermement sa position, comme elle le fera tout au long de la pièce.

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*. Philaminte, en véritable chef d’orchestre, mène le jeu. Sa triple exclamation (v.�943�: «�Du grec, ôCiel�! du grec�! Il sait du grec, ma sœur�!�») donne le ton à Bélise et à Armande, qui la reprennent tour àtour. C’est à nouveau Philaminte qui prend l’initiative de la tournée de baisers, «�pour l’amour dugrec�». Chacun, sauf Henriette, se prête avec enthousiasme à ses volontés. Enfin, lorsqu’il s’agit derépondre aux excuses empressées de Vadius qui craint d’avoir pu «�troubler quelque docte entretien�»,seule Philaminte est concernée. Ainsi Armande et Bélise ne prennent la parole que lorsque cettedernière la leur accorde.*/ Trissotin n’a fait venir Vadius que pour se mettre en valeur. Tout d’abord en produisant devant lesdames de la maison une relation de qualité, mais surtout en l’invitant à louer ses poèmes. D’ailleurs,Trissotin ne veut pas laisser son «�ami savant�» s’exprimer longuement. C’est pourquoi il lui coupe laparole au moment où ce dernier s’apprête à donner lecture de sa ballade�: «�Avez-vous vu certain petitsonnet / Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie�?�» Là encore, la grossièreté du personnage se révèle.Égocentrique, il se désintéresse en réalité de la poésie qui n’est qu’un prétexte pour se mettre envaleur. De plus, l’hypocrisie et les tics de la préciosité le poussent, avec une feinte modestie, àdéprécier son poème («�certain petit sonnet�»). Ces détours se retournent contre lui�: la mécanique tropbien huilée du langage s’emballe, au point que les deux pédants se trouvent pris à leur propre piège.Cela ne suffit pas pourtant à dessiller les yeux de Philaminte.*0 Vadius entend se donner en spectacle à l’assemblée savante qui le reçoit. Mais il n’est pas le seul ànourrir cet espoir. Philaminte encourage ses compagnes à se montrer spirituelles (v.�932�: «�Faisonsbien les honneurs au moins de notre esprit�»), tandis que Trissotin veut transformer tout un chacun enadmirateur ébahi de ses talents�: «�Vous en savez l’auteur�?�» (v.�991). Seule Henriette se tient à l’écartd’une telle mascarade. Cette course aux louanges et ce désir d’être vu créent un effet de mise enabyme. En effet, la salle assiste à une joute dans laquelle chacun est en représentation�: c’est à quioccupera le devant de la scène et transformera les autres en autant de spectateurs. De ce jeu faussé,personne ne sort vainqueur. Au contraire, tous perdent en révélant aux yeux du public leurs faiblesseset leurs défauts, sans pour autant y gagner en lucidité. L’aveuglement général est ainsi au centre decette scène, et le spectateur, dans une position de retrait et de clairvoyance proche de celled’Henriette, s’en amuse.

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�101 à 109)

Examen des textes! Le portrait de Damophile est construit en accumulation croissante, comme le soulignent les motsde liaison logique qui le structurent�: «�Premièrement�», «�De plus�», «�Au reste�», «�Mais�», «�encore�».Tous ces termes expriment la surenchère, «�mais�» (pour ce qui concerne la 2e�occurrence du terme)conservant son sens premier, issu du magis latin. Les défauts s’entassent donc sans rémission et passentdu ridicule à l’odieux. Non contente de cultiver les signes extérieurs de savoir (maîtres, livres), deprononcer des paroles vaines, de mépriser les «�soins domestiques�» et d’afficher dans le monde uneattitude professorale déplacée, Damophile va jusqu’à feindre l’amour afin de s’approprier les vers deson soupirant. Le mot «�mais�» met en relief ce dernier trait.Au moyen de ce portrait, Madeleine de Scudéry esquisse en creux celui de Sapho et, par là même, lesien. Il s’agit d’un autoportrait déguisé. Sapho représente l’idéal classique de la femme savante, dontl’esprit orné fuit l’ostentation, tout en se faisant discrètement valoir. Diverses formules, comparativeset antithétiques à la fois, permettent à trois reprises de mettre en relief ce contraste�: «�on voyait plus deLivres […] qu’elle n’en avait lus�: […] moins chez Sapho, qu’elle n’en lisait�»�; «�au contraire�»�; «�mais�»(1re�occurrence). Ainsi les trois premiers défauts de Damophile font-ils briller explicitement les qualitésde son modèle dans le première partie du texte et plus implicitement par la suite." Le discours de Granger, en deçà de sa volontaire complexité, est d’une grande banalité. Lesmétaphores amoureuses les plus ordinaires de la préciosité y sont masquées par une accumulationd’antithèses. L’amour est donc comparé à un feu�: «�n’embrasaient mon esprit�», «�les flammes visibles�»,«�m’échauffe�». Les yeux sont des vainqueurs muets�: «�si ces aveugles clairvoyants […] n’avaient contraintvolontairement mon génie dans la libre prison�». Enfin, la femme est un soleil ou une étoile�: «�Si bref vousne m’aviez apporté des ténèbres par vos rayons�». Son langage, qui paraît n’avoir d’autre fonction que

Les Femmes savantes – 27

formelle, brille donc par son inanité. Genevotte souligne cette absence de sens lorsqu’elle donne à cediscours le nom de «�Galimatias�».# Au début du texte, Cydias est décrit comme un comédien faisant son entrée en scène. Il estd’ailleurs comparé à un musicien, donc à une personne qui donne un spectacle. Pour parfaire lacaricature de ce personnage, Jean de La Bruyère le réduit à quelques traits caractéristiques,extrêmement théâtraux�: «�après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts�».L’homme, amoureux de lui-même, se rend odieux au fil du texte par son outrecuidance. Le derniertrait décoché par l’auteur («�Uni de goût et d’intérêt avec les contempteurs d’Homère, il attend paisiblementque les hommes détrompés lui préfèrent les poètes modernes�») permet de comprendre la violence del’attaque�: Cydias est un spécimen des «�Modernes�». L’auteur, partisan, en ces temps de querelle, des«�Anciens�», le juge vain et dangereux et le renvoie à la bourgeoisie provinciale. Cette pique finaleinscrit véritablement le personnage dans les modes de son époque, qui favorisent le variable auxdépens de la fixité.$ Dès les premiers vers, les défauts de l’élève du Pédant sont énumérés�: c’est un «�sot�», un «�fripon�»,dont le maître n’est apte qu’à «�gâter la raison�». L’idée de bêtise est associée, tout au long du texte, àcelle de malfaisance. Si le Pédant «�gâte�» l’esprit des enfants, il leur transmet également sa capacité àabîmer ce qu’il faudrait cultiver. En effet, l’irruption dans un jardin de l’un des élèves, puis de touteune troupe, est un fléau. Le jardin, métaphore à la fois du paradis et de la connaissance, est envahi parune «�maudite engeance�», véritable personnification du mal�: «�Gâtait jusqu’aux boutons�», «�Pires que lepremier�», «�accrut le mal�», «�mal instruite�», «�maudite engeance�», «�gâter�», «�bête�», «�pire�». Le Pédant estainsi un être destructeur, que les sages, représentés symboliquement par le Maître du jardin, doiventfuir. Le champ lexical du bien, associé au jardin («�les plus beaux dons�», «�douce et frêle espérance�»,«�l’abondance�»), s’oppose en effet à celui du mal, associé au Pédant et à ses élèves. À la bêtise de cepersonnage –�incapable de remplir correctement ses fonctions professorales�– s’ajoute donc ladéfaillance morale�: loin d’instruire l’humanité, il la dévoie et la pervertit.% L’écolier, le pédant et le maître occupent, à eux trois, le centre de la gravure, la compositionillustrant donc au sens strict la volonté de Grandville d’illustrer la fable de La Fontaine. L’apparencedu professeur le confirme�: sa taille supérieure, la teinte plus foncée de son costume, le doigtprofessoral pointé vers le haut et le large chapeau qu’il n’a pas pris la peine d’ôter rendent compte deson sentiment de supériorité. Le gris du costume du maître de jardin reflète une position de retrait,faite de nuances et de modestie. Au premier plan, à droite, se tient le fameux «�enfant qui sentait soncollège�». Véritable apprenti pédant, le petit a un front surdéveloppé et un visage trop sérieux, dont leregard biaisé suggère l’hypocrisie et la fourberie. Tenant obséquieusement son chapeau devant lui, ilbaisse la tête et ne semble pas écouter le sermon de son maître. En effet, ce discours, qui ne lui est pasadressé, s’abat sur le propriétaire du jardin, qui doit donc subir ce que La Fontaine dénonce�: «�Je haisles pièces d’éloquence / Hors de leur place, et qui n’ont point de fin.�» À l’arrière-plan, la «�jeunesse malinstruite�» dévaste impunément le jardin, sans même chercher à se cacher du maître.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLa figure du pédant au XVIIe�siècle est frappante par sa permanence. L’ostentation et le goût deparaître («�la passion de passer pour savante�» dans Artamène ou le Grand Cyrus) en sont une manifestationrécurrente. Granger (Le Pédant joué) monopolise la parole et se donne en spectacle («�écoutez parlerl’antithèse�»), s’identifiant lui-même au langage déchaîné�; Cydias s’exhibe grâce à un personnageintermédiaire, sorte d’imprésario «�qui n’a d’autre fonction sur la terre que de le promettre longtemps à uncertain monde et de le présenter enfin dans les maisons�». Enfin, le pédant de La Fontaine profite del’occasion qui lui est donnée pour mettre sa science en avant («�Là-dessus il cita Virgile et Cicéron / Avecforce traits de science�»). Toute opportunité est mise à profit par le pédant pour se mettre au centre etemplir l’espace.L’excès, dans ses diverses manifestations, est en effet intrinsèque à ce personnage –�ce en quoi ils’oppose à l’idéal classique de bienséance et de modération�: le vocabulaire de la démesure abonde, ausujet de Damophile, dès les premières lignes du texte («�toujours�» –�employé à quatre reprises�–, «�cinqou six maîtres, continuellement, plus de livres, grands mots, plus rare�»). L’emballement du langage estrévélateur de l’emphase qui habite le pédant jusqu’à la boursouflure. La tirade des antithèses débitée

Réponses aux questions – 28

par Granger est ainsi constituée d’une seule phrase. Cet écart systématique de la norme lui donnel’énormité d’un monstre. L’outrecuidance de Cydias se manifeste particulièrement dans le trait final,qui range le pédant du côté des «�Modernes�». L’absence de mesure équivaut, chez La Bruyère, aumanque d’humilité�: «�Cydias s’égale à Lucien et à Sénèque, se met au-dessus de Platon, de Virgile et deThéocrite.�» Enfin, le personnage de La Fontaine, à l’instar de Granger, est atteint de logorrhée («�Avecforce traits de science�», «�son discours dura tant�», «�et qui n’ont point de fin�»).De surcroît, l’exhibitionnisme du pédant est obscène, au sens premier du terme�: au-devant de lascène, il n’est pas à sa place et dispense en tout lieu, comme du haut d’une chaire, des véritésprofessorales. La Fontaine résume ce trait en deux vers�: «�Je hais les pièces d’éloquence�/ Hors de leur placeet qui n’ont point de fin.�» Damophile ne se comporte pas autrement�: «�Damophile […] ne fait pas nonplus de difficulté de citer les Auteurs les plus inconnus, en une conversation ordinaire, que si elle enseignaitpubliquement dans quelque Académie célèbre.�» Granger assène à Genevotte, en fait de déclarationd’amour, une leçon de rhétorique («�c’est de la force de ma passion que je prétends vous prouver par quatreFigures de Rhétorique�; les Antithèses, les Métaphores, les Comparaisons, et les Arguments�»), tandis queCydias veut enseigner à chacun «�ses rares conceptions�» et «�n’ouvre la bouche que pour contredire�». Cestraits récurrents –�observés par des auteurs très différents, tant par leur mode d’expression que par leursgoûts littéraires (roman précieux, théâtres baroque et burlesque, fable, portrait)�– donnent à penserque le pédant était, dans la seconde moitié du XVIIe�siècle, un fléau envahissant et stéréotypé.

Commentaire

IntroductionJean de La Bruyère, en auteur classique, cherche à plaire et à instruire. La satire prend la formeapparemment légère d’une caricature théâtralisée, pour mettre en place une critique sans concession.

1. Un pantin�: l’art de la caricatureA. Choix d’une forme courte, goût du détailL’asyndète, l’accumulation de traits de caractère et de comportements apparemment décousus.B. Grossissement de certains traits caractéristiquesSynecdoques�: la toux, la manchette, la main, les doigts.C. Un duo comique contrasté et complémentaireLe pédant et son flatteur.

2. Une saynète�: théâtralité du portraitA. Le présent exprime à la fois la narration, l’actualité et la vérité générale�: la scène présentée, comme au théâtre,peut se jouer indéfiniment.B. Le point de vue externe fait penser à celui d’un auteur de théâtre qui offre son personnage à l’interprétation�;les indications gestuelles fonctionnent comme des didascalies.C. Les trois «�répliques�» de Cydias au discours direct amorcent de possibles scènes de comédie.

3. Du portrait à la satireA. Vanité d’un personnage stérileGratuité d’une polémique systématique�: «�il n’ouvre la bouche que pour contredire�», «�fade discoureur�».B. La Bruyère, adepte de la rupture et du mélange propres au registre satirique, varie les procédésIl alterne des formes détournées, telles que l’ironie (Cydias «�débite gravement ses penséesquintessenciées�»), avec des jugements directs («�fade discoureur�», «�on n’aperçoit rien de grand que l’opinionqu’il a de lui-même�»).C. Une attaque en gradationL’outrance de l’autosatisfaction apparaît en acmé, à la fin.

ConclusionPessimisme de La Bruyère. Au-delà d’un personnage englué dans la futilité éphémère d’une mode,Cydias représente un type humain atemporel, au moyen d’une forme suffisamment distanciée pourservir cette universalité du propos. Paradoxalement, malgré l’asyndète et l’impressionnisme de lacaricature, la�vraisemblance l’emporte, en accord avec la volonté classique de peindre d’après nature.

Les Femmes savantes – 29

Dissertation

IntroductionProblématique�: si le discours satirique est nécessairement ancré dans son époque, dans quelle mesurepeut-il se perpétuer au-delà de ce qu’il dit de son temps�?Par définition, le registre satirique se nourrit de son époque. Cependant cet ancrage est, selon lesconditions politiques et le degré de liberté d’expression, plus ou moins explicite. La satire ne cessejamais d’exister dans l’histoire littéraire mais elle emprunte parfois des chemins détournés, qui luipermettent peut-être d’échapper justement à une trop lourde temporalité.

1. L’observation des contemporainsA. La satire politique expliciteLa satire politique explicite, ad hominem, est possible en exil (Victor Hugo, Les Châtiments) ou auxrisques et périls de l’auteur, qui choisit, s’il veut être explicite, des solutions comme l’anonymat(Pascal, Les Provinciales) ou une publication posthume (le cardinal de Retz, Mémoires).B. La satire politique implicite•�La satire politique passe, le plus souvent, par les détours de l’apologue et du sous-entendu. C’est ainsi quefonctionnent les Fables de Jean de La Fontaine, mais aussi les contes philosophiques de Voltaire.•�Ces détours apportent souvent à l’œuvre une universalité qui lui permet d’être lue et appréciée au-delà de son époque.

2. L’atemporalité du classicisme –�Les détours de la satireA. La permanence des types•�Inspirés de l’Antiquité, certains types (avares, parasites, entremetteuses, pédants…) apparaissent demanière récurrente de la Renaissance jusqu’à la fin du XVIIe�siècle, dans diverses formes littéraires(fabliau, fable, épigramme, comédie, portrait).•�Quelle que soit l’époque qui les représente, ils en ont les caractéristiques, tout en présentant unepermanence. Ainsi l’Harpagon de Molière ne diffère-t-il pas fondamentalement de son ancêtreEuclion (Plaute, Aulularia).•�L’idée de permanence est l’un des fondements du classicisme. Elle se manifeste dans les formesdiverses de la satire –�ce qui n’entrave pas la lucidité incisive des auteurs sur leurs contemporains(Molière, La Bruyère, La Fontaine, Boileau).B. Des satiristes atemporelsLes œuvres considérées aujourd’hui au sens large comme classiques sont celles qui, tout en concernantleur époque, la dépassent. La satire s’y manifeste, même si elle n’est pas l’objet premier de ces œuvres.Ainsi Flaubert (Bouvard et Pécuchet), Balzac (Eugénie Grandet) ou Beckett (En attendant Godot), maisaussi à leur manière Stendhal (Le Rouge et le Noir) et Proust (Du côté de Guermantes) sont-ils dessatiristes atemporels�: observateurs acérés de leur époque, ils la rendent familière au lecteurd’aujourd’hui qui s’y reconnaît et y retrouve ses contemporains.

ConclusionUne satire ancrée trop immédiatement dans son époque n’a que peu d’intérêt. Elle est de l’ordre dudivertissement, du spectacle immédiat, du journalisme, du billet d’humeur, ou, aujourd’hui, dusketch. La distance est donc la condition sine qua non d’une satire à la fois propre à agir dans son tempsmais apte aussi à fournir matière à une réflexion sur l’humain et le politique au-delà de l’immédiateté.

Écriture d’inventionL’élève est libre de situer ses personnages dans la catégorie sociale qui lui convient, car le pédant peutexister dans tous les corps de métier. Le couple peut être composé d’un homme et d’une femme, mais aussid’un pédant et de son faire-valoir. À l’entente peut succéder la querelle, comme entre Trissotin et Vadius.L’important est que soient respectées les caractéristiques récurrentes de ce type, observées dans le corpus�:–�grossissements de certains traits (en synecdoque) pour donner, à partir du portrait physique, l’idéedes caractéristiques morales des personnages�;–�outrecuidance�;–�mise en scène de soi-même�;

Réponses aux questions – 30

–�volonté de s’entourer d’un ou de plusieurs admirateurs ou disciples�;–�attitude professorale incessante et déplacée�;–�conflit d’influence et querelle révélatrice des travers sous le vernis.La forme peut être le portrait (à la manière de La Bruyère ou de Madeleine de Scudéry), la fable ouencore la comédie. Il peut être intéressant pour les élèves de tenter de dessiner, en creux, le portraitde «�l’honnête homme�» (ou femme) du XXIe�siècle (comme Henriette dans Les Femmes savantes ouSapho dans Artamène ou le Grand Cyrus).

A c t e I V , s c è n e 2 ( p p . � 1 1 6 à 1 2 2 )

! Lecture analytique de la scène (pp.�123-124)! Jusqu’au vers�1146, Armande parle apparemment en son nom�; cependant, le 1er�vers montrequ’elle souhaite voir sa mère s’identifier à sa cause�: «�Je ne souffrirais point, si j’étais que de vous […].�»Le conditionnel permet d’opérer discrètement, comme par hypothèse, la substitution du «�vous�» au«�je�». Ce stratagème se poursuit progressivement au fil de la tirade, pour aboutir finalement à unedisparition apparente du «�je�», au profit du «�vous�». Ainsi, Armande se met-elle peu à peu en retrait(on observe six occurrences de la 1re�personne du singulier des vers�1139 à 1144 et une seule desvers�1145 à 1152). L’effacement est tel qu’Armande finit par n’être plus qu’une «�âme�» (v.�1145).D’ailleurs, si cette tirade commence par «�je�», elle se clôt par le pronom «�vous�». Armande a bieninstillé dans l’esprit de Philaminte sa propre rancœur contre Clitandre." Armande insiste à trois reprises sur les griefs imaginaires de Clitandre à l’encontre de Philaminte.Connaissant parfaitement sa mère, elle dénature l’attitude du jeune homme et transforme sa réserveun peu froide en attaque, manipulant avec adresse l’art de la litote�: «�il a paru de glace�», «�qu’il n’apoint trouvé beaux�». Systématiquement, Philaminte, piquée, réagit très vivement�: «�Petit sot�!�», «�Lebrutal�!�», «�L’impertinent�!�». Le rythme régulier des répliques et le caractère répétitif et mécanique desréponses de Philaminte produisent un effet comique, qui n’en est pas moins inquiétant.# Non contente de présenter malhonnêtement les sentiments de Clitandre pour Philaminte,Armande aggrave le cas de ce dernier en laissant entendre qu’il s’est montré désobligeant à plusieursreprises. Toutes les répliques d’Armande comprennent ainsi une tournure adverbiale qui insiste sur lafréquence�: «�Toujours�», «�vingt fois�», «�Souvent�», «�de combien de sottises�». Clitandre passe donc pourun adversaire acharné de Philaminte –�ce qui est loin d’être son cas. À travers ce portrait déformé,Armande donne au spectateur l’idée de sa propre démesure plutôt que de celle de Clitandre.$ La préciosité d’Armande s’exprime tout d’abord, devant Clitandre, par l’emploi du pronom «�on�» aulieu de «�vous�» (v.�1167). Cette tournure indirecte vise à préserver la pudeur de la femme qui s’adresse à unhomme. Le goût des hyperboles se manifeste ensuite�: «�des droits si sacrés�», «�renoncer au jour�», «�nullehorreur ne s’égale�», «�un monstre en morale�» (v.�1170 à 1174). Enfin, la métaphore du feu amoureux estsystématique�: «�les premières flammes�», «�brûler des feux d’un autre amour�», «�les feux�», «�brûler de ces terrestresflammes�», «�leurs ardeurs�», «�ce beau feu�», «�C’est un feu pur et net comme le feu céleste�» (v.�1169 à 1206). Cesfigures détournées et stéréotypées évitent à Armande d’exprimer le désir et le dépit qu’elle veut masquer, àson interlocuteur comme à elle-même. Les sentiments élevés qu’elle professe tiennent lieu de prétexte à unmécontentement motivé, en réalité, par la jalousie, le désir et le chagrin.% La tirade d’Armande comporte deux parties apparemment opposées. Des vers�1189 à 1200, elledénigre la grossièreté des désirs de Clitandre, tandis qu’à partir du vers�1201, elle fait l’apologie del’amour idéal. Ainsi Armande semble-t-elle construire un discours dialectique. En réalité, son proposest répétitif. La même idée est énoncée tout au long de la tirade sous des formes différentes. Ainsi «�cequ’ils ont de vulgaire�» est repris par «�d’une amour grossière�», «�du commerce des sens�» par «�où les corpsn’entrent pas�», et «�tout l’attirail�» par «�et tout ce qui s’ensuit�». Enfin, la deuxième partie de la répliquemanipule en tous sens l’idée de pureté et ne dit rien d’autre que le refus de l’amour physique, déjàlargement exprimé dans les vers précédents�: «�les sens n’ont point de part�», «�c’est un feu pur et net�»,«�on ne penche point vers les sales désirs�», «�rien d’impur ne se mêle�», «�ce n’est qu’à l’esprit seul�».L’insistance d’Armande, que met en relief la répétitivité de son argumentation, dénote un état d’esprit faitde certitudes, peu enclin à la discussion. Elle souhaite, en bonne émule des précieuses, «�réduire�» (v.�1191,1237) Clitandre «�à cette pureté�» (v.�1191) et «�à des ardeurs fidèles�» (v.�1237)�; en un mot�: être obéie.

Les Femmes savantes – 31

& Pour évoquer l’amour physique, Armande parle de «�nœuds de chair�», de «�chaînes corporelles�». Elleemploie également le verbe «�réduire�» et l’expression «�sentiments brutaux�». Ce vocabulaire violent,évoquant une soumission et un rapport de forces, contraste avec celui de l’acceptation�: «�si ma mère leveut�», «�je résous�», «�à consentir pour vous�». Cette contradiction démasque l’ambiguïté du discoursd’Armande, dont les désirs sont en réalité de se soumettre, sans se compromettre, à ceux de Clitandre.' Clitandre interrompt Armande par une exclamation («�Eh�! doucement, de grâce�») afin de coupercourt à ses médisances. L’indignation que suggère cette tournure se prolonge dans la phrase nominaledes vers�1159-1160, qui prend à son tour une valeur exclamative. La droiture de sa position trancheavec celle d’Armande. Une succession de phrases interrogatives (v.�1161-1164) enjoint ensuite lajeune fille à se justifier�: «�Quel mal vous ai-je fait�? et quelle est mon offense�?�»Ainsi, sur 8�vers, deux sont exclamatifs, quatre interrogatifs, tandis que le vers�1165, qui a pour noyauun impératif, est injonctif.La dernière phrase, déclarative et construite autour du verbe vouloir à l’indicatif présent, confirme la fermetéde Clitandre. La vigueur de son expression est en adéquation avec la fermeté de sa volonté et de sa pensée.( Pour signifier à Armande ses incohérences, Clitandre recourt systématiquement à l’antithèse desvers 1183 à 1188�:

ATTITUDE D’ARMANDE ATTITUDE DE CLITANDRE

ne peuvent rien sur vous�» (v.�1183)«�Je vous trouve contraire […]«�Ce que vous refusez, […]

ou la vôtre�?�» (v.�1186)

ou si vous l’y poussez�?�» (v.�1187)

ou vous qui me chassez�?�» (v.�1188)

«�Tous mes feux, tous mes soins […]

à mes vœux les plus doux�» (v.�1184)je l’offre au choix d’une autre.�» (v.�1185)«�[…] ou ma faute […]

«�Mon cœur court-il au change […]

«�Est-ce moi qui vous quitte […]

Ce tableau met en relief la distance qui sépare les deux jeunes gens�: la 1re�personne du singulier esttotalement distincte de la 2e�personne du pluriel (l’absence du «�nous�» est totale)�; les initiatives derupture sont à placer du côté d’Armande, comme le souligne leur position forte dans le vers(2e�hémistiche des vers�1186 à 1188). Ainsi Armande, qui reproche à Clitandre son inconstance, setrouve-t-elle confrontée à ses propres contradictions.) Dans la tirade d’Armande sur l’amour idéal, la pudibonderie est telle que la 1re�personne n’apparaîtqu’une fois (v.�1193�: «�pour moi�»). Le «�on�» précieux s’y substitue largement (1�occurrence auvers�1199, 6�occurrences des vers�1207 à 1212). Ce tic de langage et toute la pruderie qu’il impliquesemblent avoir pour effet d’exaspérer Clitandre, qui y oppose un «�moi�» franc et insistant, quitte àparaître lourd�: «�Pour moi, [… ] je m’aperçois, […] / Que j’ai […]�» (v.�1213-1214)�; «�Je sens�»(v.�1215)�; «�je ne connais point […]�» (v.�1216)�; «�m’a dénié�» (v.�1217)�; «�Et mon âme et mon corps[…]�» (v.�1218)�; «�pour moi�» (v.�1223)�; «�je suis un peu grossier, comme vous m’accusez�» (v.�1224)�;«�j’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne�» (v.�1225)�; «�je le confesse�» (v.�1226)�; «�je vois�»,«�ma méthode�» (v.�1229). Ce relevé souligne la présence croissante de la 1re�personne, sous toutes sesformes –�jusqu’aux plus accentuées�–, tout au long de la tirade. Clitandre provoque ainsi soninterlocutrice. Le comédien peut souligner ces répétitions par l’intonation et la prononciation,montrant ainsi l’ironie du personnage, et mettre en relief également le «�on�» parodique du vers�1225.*+ Dans la première partie de la réplique qu’il consacre à la question de la fidélité amoureuse,Clitandre semble résumer les préceptes de la «�carte de Tendre�». Il se présente comme un serviteur,soumis aux désirs de la femme aimée et prêt à subir des épreuves�: «�Je ne fais qu’obéir aux lois qu’ellem’impose.�» À la manière des précieuses, il accumule les pluriels�: «�soins empressés, devoirs, respects,services�». Molière emploie ici à dessein, dans une intention parodique, des formules qui figurenttextuellement sur la célèbre carte de Madeleine de Scudéry. Enfin, Clitandre reprend à son compte lamétaphore du feu amoureux�: «�il a brûlé deux ans d’une constante ardeur�», tout en assimilant l’objetaimé à une divinité digne «�d’amoureux sacrifices�».

Réponses aux questions – 32

*, La tirade de Clitandre sur l’amour physique est fondamentalement ironique. La droiture etl’honnêteté de ses propos n’ayant pas fait évoluer son interlocutrice, il feint d’entrer dans ses vues et seprétend grossier. Plusieurs antiphrases soulignent cette position railleuse�: «�par un malheur�», «�ne vousdéplaise�», «�Il n’est rien de plus beau […] / Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit, / Ces unions decœur, et ces tendres pensées�/ Du commerce des sens si bien débarrassées�». Ce décalage entre la forme despropos et le fond de la pensée contribue à grossir l’inadéquation de la position d’Armande�: loin desréalités les plus simples, elle affiche en amour une attitude obsolète. En effet, en 1672 (date decréation de la pièce), la pudibonderie précieuse est passée de mode.*- Dès le début de cette scène, le spectateur est en position privilégiée. Il voit Clitandre, tandisqu’Armande et Philaminte ignorent sa présence. Les propos de la jeune fille en deviennent d’autantplus odieux que le spectateur perçoit la double réception qui en est faite�: complaisante du côté de lamère, stupéfaite du point de vue de Clitandre. Le spectateur est d’emblée complice de ce dernier etpartage son indignation. Mises en position d’infériorité par cette présence qu’elles ignorent, Armandeet Philaminte n’en restent pas moins redoutables. Ce procédé, habituellement comique –�ainsi Orgon,caché sous la table, entend-il Tartuffe qui courtise sa femme (Le Tartuffe, IV, 5)�–, renforce ici latension dramatique, dans une scène qui oscille entre comédie et tragédie.*. Philaminte, tout aussi outragée que sa fille du refus que cette dernière vient d’essuyer, tente decompenser sa défaite par la toute-puissance d’un argument d’autorité («�mais enfin comptez-vous,monsieur, sur mon suffrage�»). Elle met ainsi fin à la discussion entre les jeunes gens et épargne àArmande une humiliation supplémentaire. Cependant, son objectif n’est pas tant de voir Clitandrerevenir vers sa fille aînée que de forcer Henriette à épouser Trissotin. Cette courte réplique,composée de deux phrases interrogatives, met Clitandre en position d’aporie. Il ne peut plusdésormais demander à Philaminte la main d’Henriette, comme il se proposait de le faire. Cependant,la brusquerie de cette intervention maternelle encourage Clitandre à dire à Philaminte ses vérités.*/ Clitandre parle en gentilhomme à une bourgeoise et tente sans complaisance de la dessiller.Trissotin est présenté comme un être plein «�d’ignominie�» (v.�1250), «�indigne�» (v.�1251), «�moinsnoble�» (v.�1254), auteur de «�sornettes�» qui cherche à «�duper�» son monde et n’est pas même reconnupar le «�mauvais goût du siècle�». Ce portrait laisse entendre implicitement que Philaminte estexceptionnellement naïve�: «�hors céans�», en effet, Trissotin «�n’a pu duper personne�». De plus, son peude jugement (voire son mauvais goût, pire, a priori, que celui du siècle) frise le ridicule, comme lesouligne l’expression imagée et hyperbolique des vers�1260-1261�: «�Et ce qui m’a vingt fois fait tomberde mon haut / C’est de vous voir au ciel élever des sornettes.�» Cette sortie finale n’est pas faite pour flatterla susceptibilité des deux femmes, comme le lui conseillait pourtant Henriette�: loin de «�s’efforce[r] deplaire�», Clitandre apparaît comme l’anti-Trissotin.*0 À la fin de l’acte�III, les amours d’Henriette et de Clitandre étaient certes en danger, mais lesoutien de Chrysale pouvait laisser quelque espoir. Cependant la remontrance du père à la fille aînée(III, 6, v.�1109�: «�Taisez-vous, péronnelle�!�») était restée en suspens. Dans l’acte�IV, Armande chercherefuge auprès de sa mère pour fomenter sa vengeance. La démarche conciliatrice de Clitandre,entreprise sur les conseils d’Henriette, est dès lors vouée à l’échec. Plutôt que de plaider sa cause,Clitandre la met en péril. Ainsi cette entrevue a-t-elle des conséquences désastreuses, amplifiéesencore par le conflit qui oppose les deux rivaux dans la scène suivante.Incapable de flatterie, le prétendant d’Henriette se montre fidèle à l’image qu’il présentait dès le début de lapièce�: «�Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère, / Même dans votre sœur flatter leur caractère.�» Se mettanten danger par le refus et la dénonciation des hypocrisies, Clitandre est bien le porte-parole de l’auteur.

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�125 à 133)

Examen des textes! Le premier paragraphe est une étape déterminante. Il établit, en effet, un bilan nécessaire à lapoursuite du raisonnement de Descartes. L’expression «�Mais maintenant que�» met en relief cettedouble fonction. En effet, «�maintenant que�» renvoie à ce qui précède tout en annonçant une suiteque souligne la conjonction «�Mais�». Employé dans le sens positif issu de magis («�en plus�»), ce termeexprime ici la surenchère plus que l’opposition. À l’intérieur de ce même paragraphe, deux tournures

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similaires et répétitives annoncent la poursuite d’un raisonnement dialectique�: «�je ne pense pas à lavérité que […], mais je ne pense pas aussi que […]�». L’auteur va procéder par hypothèses successives.L’emploi d’expressions comparatives telles que «�mieux me connaître�» et «�plus clairement�» souligne lecaractère méthodique et progressif d’un raisonnement qui va pas à pas à la recherche d’une certitude,comme l’indique l’adverbe positif «�aussi�» («�mais je ne pense pas aussi que�»). Les deux propositionssont donc complémentaires plutôt que contradictoires.Le deuxième paragraphe, initié par «�Et premièrement�», va dans le même sens. Dans la première partiede ce paragraphe (de «�Et premièrement�» à «�n’est que de penser�»), les étapes sont mises en relief parplusieurs liens logiques�: «�pour ce que�» introduit un bilan explicatif qui aboutit à une certitudenuancée («�Et partant, de cela même que je connais avec certitude que j’existe, et que cependant […]�»), puis àune avancée propre à permettre la poursuite du raisonnement («�je conclus fort bien que […]�»).L’étape suivante, qui commence avec «�Et quoique�», indique à nouveau un raisonnement dialectiquepositif. Cette dernière partie permet encore une progression initiée par un terme positif («�Et�»)associé immédiatement à un terme concessif («�quoique�»). Ainsi, grâce à une succession d’avancéesrégulières, prudentes mais solides, la conclusion du passage est finalement représentée commeincontestable�: «�il est certain que�», cette assurance étant soulignée par des termes modalisateurs tels que«�entièrement et véritablement�».Une telle analyse donne aux élèves l’exemple de la pratique méthodique du doute systématique,propre à l’esprit cartésien. Elle les sensibilise à l’idée que philosophie, science et littérature ont uneparenté." Le titre de la pièce de Calderón induit une métaphore du mariage entre l’Âme et le Corps. LePéché, jaloux de cette union, souhaite la briser au plus vite. Le Corps, présenté comme inférieur àl’Âme, ne mérite pas d’en «�jouir�» car il en avilit la nature. Cependant, une autre métaphore, sansrelation apparente avec celle du mariage, souligne la différence de nature entre ces deux éléments�: leCorps est un «�coffre […] grossier�» dans lequel on met une «�perle�». Cette comparaison secondairerejoint donc la première, qui, filée tout au long du passage, fait succéder le divorce au mariage.De fait, la comparaison juridique prédomine. Le Péché parle d’une «�dot�», de «�mettre encommunauté�», de «�faire opposition�» et d’obtenir «�l’annulation du mariage�», qui «�désunit�» les époux,pour aboutir à «�la nullité de cette union�». Cette fusion de l’Âme et du Corps, fondée sur descontraintes légales, ne présente aucune harmonie et semble a priori vouée à sa perte. La Mort et lePéché vont s’y opposer et avoir gain de cause, tandis que la Vie, née de leur union, perdra. L’Âmeséparée du Corps retrouvera dès lors son essence supérieure.# Sur le document présenté ici, la scénographie, les costumes et l’expression des comédiens mettenten relief la valeur symbolique des personnages de Calderón.L’Âme, au fond de la scène à gauche, est visible de dos. Les autres ne la voient pas plus qu’elle ne lesvoit. Elle est tournée du côté d’un univers supérieur vers lequel elle s’élève, comme le suggère laposition de ses bras. Rien ne semble l’attirer vers le bas, si ce n’est une contrainte, opposée à sa propretendance. En effet, ses mains sont liées aux cordes d’une machinerie qui détourne le procédé du deusex machina�: loin d’apporter ici-bas le salut pour favoriser le dénouement d’une intrigue, sa chuteinaugure et la pièce et sa déchéance.Par ailleurs, l’Âme est une jeune femme aux cheveux longs (Audrey Bonnet), vêtue d’une longuerobe claire. Verticale, elle trouve sa réplique inversée à l’avant de la scène (à droite de l’image) dans lepersonnage de la Mort. Vêtue de blanc, comme l’Âme, la Mort (Madeleine Marion) est une femmeâgée, au visage doux. Légèrement souriante, elle lève les yeux vers un ciel putatif. Unecorrespondance s’établit entre ces deux figures, qui, tout en paraissant opposées (jeune / vieille�; dedos / de face�; cheveux longs et libres / cheveux masqués par une cagoule noire�; mains nuesattachées / mains libres gantées), ont une parenté (deux femmes�; vêtements clairs�; position verticale).La Mort serait donc une amie de l’Âme, tout en se faisant la complice du Pêché�? Autant de questionsposées par Calderón, qui souligne l’ambiguïté des choses, comme le rappellent le noir et le blanc ducostume porté par Madeleine Marion.Contrairement aux deux autres personnages, le Corps (Thierry Hancisse) et le Péché (Éric Ruf) sontproches du sol. Le Péché est un beau jeune homme blond, séduisant et richement vêtu. Accroupiderrière le Corps avachi, il semble le manipuler à sa guise. Protecteur, il l’aide à se redresser et à leverla tête�; brutal, il tire ses cheveux sans précaution pour le contraindre à lever les yeux, tout commelui, vers le ciel. Le Péché est ainsi montré dans toute sa duplicité.

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Le Corps, en position horizontale, sort à peine de la fosse d’avant-scène. Presque nu, comme unChrist, il élève au ciel le visage angoissé d’une victime expiatoire. Livré à la Mort et au Péché, ilparaît en mauvaise posture. À peine sorti de sa fosse souterraine, il semble appelé à y retourner, tant ilparaît lourd et inerte, loin de l’Âme.Ce document évoque, comme le texte de Calderón, l’incompatibilité fondamentale entre l’Âme et leCorps et le caractère éphémère de leur rencontre. Leur union improbable est une épreuve pour tousdeux, imposée par le Ciel (vers lequel tous élèvent le regard) et administrée par le Péché et la Mort.$ Tout en affirmant qu’elle n’éprouve plus pour lui les «�transports tumultueux d’un attachementcriminel�», Elvire recourt constamment au vocabulaire amoureux�: «�il n’a laissé dans mon cœur pour vousqu’une flamme épurée de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout�». Cettesurabondance, mise en relief par une accumulation ternaire, exprime une exaltation pour le moinsambiguë. Elvire n’est pas tant poussée par l’amour de Dieu que par celui qu’elle éprouve pour DonJuan, qui revêt toutes les caractéristiques de l’amour précieux rêvé par Armande et Bélise�: «�C’est ceparfait et pur amour�». Cette tendance se renforce au fil de la tirade. En effet, dans les dernières lignes,les termes se font de plus en plus pressants. Elvire supplie explicitement Don Juan au nom de leurtendresse passée�: «�une personne que j’ai chérie tendrement�». Sa supplique reprend les termes du discoursamoureux�: «�accordez-moi, pour dernière faveur, cette douce consolation�». Le recours aux adjectifshyperboliques exprime une passion encore vive�: «�j’aurais une douleur extrême�», «�ce me sera une joieincroyable�». Molière montre dans un registre à la fois mystique et lyrique toutes les contradictions desamours sublimées.% L’auteur de cet article souligne «�le ridicule�» des «�femmes savantes�», en laissant entendre qu’ellesfont de Descartes une lecture réductrice. Les vers�1685-1686 auxquels il est fait allusion dans cettephrase sont prononcés par Bélise�: «�La substance qui pense y peut être reçue / Mais nous en bannissons lasubstance étendue.�» Effectivement, ce vocabulaire, propre au dualisme cartésien, apparaît dans l’extraitdes Méditations métaphysiques (texte�B)�: «�je suis une chose qui pense ou une substance dont toute l’essence oula nature n’est que de penser�»�; «�j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue etqui ne pense point�». Molière critique ici l’interprétation réductrice faite par un personnage pétri depréciosité, qui ramène tout, plus ou moins consciemment, à la question de l’amour. Chacun, à cestade de la pièce, connaît les «�chimères�» de Bélise. Cela n’enlève rien à la réalité du savoir de ces troispersonnages féminins, qui connaissent les textes et les citent avec précision. Molière répartit leségratignures. Il permet au lecteur de décider, de Descartes ou du cartésianisme de salon, la cible quilui semble principalement visée. C’est en cette liberté laissée à l’interprétation que résident la richesseet la pérennité d’un texte de théâtre.

Travaux d’écriture

Question préliminaireTous les textes présentés dans ce groupement présentent une conception dualiste de l’âme et ducorps�: «�il est certain que ce moi, c’est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement etvéritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut vivre et exister sans lui�» (Descartes, texte�B)�; «�Alorsqu’elle est, je le redis, / si belle et noble créature / […] voilà qu’on la veut introduire / dans un embryon decadavre�» (Calderón, texte�C)�; «�Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes ardeurs�» (Molière,texte�D)�; «�Ah�! quel étrange amour�! et que les belles âmes / Sont bien loin de brûler de ces terrestresflammes�!�» (Molière, texte�A, v.�1201-1202).Cependant, dans les Méditations métaphysiques (texte B), le Procès en séparation de l’âme et du corps (texteC) et Dom Juan (texte D), cette notion se fonde explicitement sur la foi chrétienne�: «�Mais maintenantque je commence à mieux me connaître moi-même et à découvrir plus clairement l’auteur de mes origines�», «�pource que je sais que toutes les choses que je conçois clairement et distinctement peuvent être produites par Dieu�»(Descartes)�; «�elle naît dans l’esprit de Dieu�» (Calderón)�; «�Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignesardeurs�», «�pour vous faire part d’un avis du Ciel�», «�ce même Ciel qui m’a touché le cœur�», «�grâces auCiel�», «�la justice du Ciel�» (Molière, Dom Juan).En revanche, dans Les Femmes savantes, Armande défend ardemment «�la pureté [du] parfait amour�»,sans référence explicite à un argumentaire chrétien. Le «�feu céleste�» qu’elle invoque n’est pasnécessairement une métaphore religieuse. Il peut tout aussi bien renvoyer à la philosophiepythagoricienne, selon laquelle le monde entier est organisé autour d’un noyau, le Feu central. Elle en

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vient à la conclusion extrême et absurde qui consiste à vouloir nier son corps�: «�Et l’on ne s’aperçoitjamais qu’on ait un corps.�» Clitandre, qui avoue apprécier d’avoir «�un corps tout comme une âme�», seréfère au Ciel avec une certaine ironie�: «�Le Ciel m’a dénié cette philosophie�», soulignant ainsi lecaractère fallacieux du raisonnement d’Armande, qui amalgame sans discernement la religionchrétienne, la cosmogonie antique et la «�carte du Tendre�».

Commentaire

IntroductionLe rapprochement des textes�A et C peut sembler artificiel. Il permet cependant de s’interroger sur letraitement de l’idée au théâtre et sur son incarnation. En effet, ces deux textes du XVIIe�siècle posentcertes la question de l’âme et du corps, mais ils sont éloignés aussi bien géographiquement(Espagne/France) que dans le temps (vers 1645 / 1672). Il s’agit, chez Molière, d’un dialogue, situévers la fin de la pièce, tandis que le texte de Calderón, constitué d’un monologue, se trouve au débutde la pièce. De plus, les principes mêmes de la théâtralité diffèrent dans chacun d’eux. Le premier meten scène des allégories, alors que le second représente des personnes. L’un se situe donc, a priori, dansune universalité détachée des contingences, l’autre est censé au contraire railler les travers d’uneépoque dans laquelle il est ouvertement ancré.N.B.�: Le texte de Calderón est une traduction�; nous ne pourrons donc pas véritablement nouspencher sur sa forme.

1. Un thème commun�: la séparation de l’âme et du corpsA. Points communs entre Calderón et Molière dans la thématique•�L’âme�:–�«�si belle et noble créature�», «�elle naît dans l’esprit de Dieu�», «�une perle si précieuse�» (Calderón)�;–�«�les belles âmes / Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes�», «�ce beau feu�», «�c’est un feu pur etnet�» (Molière).•�Le corps�:–�«�un embryon de cadavre�», «�ce rustre grossier�», «�salive et terre mélangées / de nature barbare et si rude�»,«�un coffre si grossier�» (Calderón)�;–�«�une amour grossière�», «�tout l’attirail des nœuds de la matière�», «�rien d’impur ne se mêle�», «�Et l’on nes’aperçoit jamais qu’on ait un corps�», «�des nœuds de chair, des chaînes corporelles�» (Molière).L’antithèse et la redondance soulignent dans les deux textes l’incompatibilité de l’âme et du corps.B. Le détournement de cette thématique dans Les Femmes savantes•�Armande mêle au vocabulaire métaphysique le langage amoureux propre à la préciosité�: «�du parfaitamour�», «�ses plus doux appas�», «�cette union des cœurs�», «�ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous lestransports�». Elle applique très concrètement à sa vie affective des concepts dont elle néglige de fait laportée religieuse et métaphysique.•�La métaphore du mariage, présente tout au long du texte de Calderón, ne s’applique qu’à des figuresallégoriques. Molière montre qu’un abus de lectures mal dirigées peut avoir des conséquencesdésastreuses pour un esprit fragile (Armande, Bélise) ou dogmatique (Philaminte).

2. Des allégoriesA. Traitement des allégories chez Calderón�: leur humanité•�Le Péché est tombé amoureux de la beauté de l’Âme («�si belle et noble créature�», «�une perle�»). Il semblemû par la jalousie («�un embryon de cadavre / qui n’a ni forme ni figure�»). Sa ferveur, voire son emportement(«�que peurs et angoisses l’étranglent, / que la zizanie s’introduise�») lui confèrent une certaine humanité.•�Ce qui domine pourtant dans son discours est le raisonnement sur la nature de l’Âme et du Corps,comme le souligne l’emploi des mots de liaison («�alors qu’elle est�», «�voilà que�», «�si […] que�», «�mais,si�», « et si�», «�puisque�»). La dimension allégorique l’emporte sur la dimension humaine.B. Traitement des personnages chez Molière�: leur caractère allégorique•�Dans Les Femmes savantes, les personnages figurent des idées. Ainsi, Armande est-elle une incarnationde la pruderie, tandis que Clitandre représente la droiture de l’honnête homme.•�Molière a pourtant individualisé chaque personnage. Des deux prudes de la pièce (Bélise etArmande), chacune présente des particularités qui font d’elle un individu. Ainsi, l’attitude d’Armande

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dément-elle ses théories lorsqu’elle se jette à la tête de Clitandre�: «�pour vous réduire à des ardeurs fidèles[…] / Si ma mère le veut, je résous mon esprit / À consentir pour vous à ce dont il s’agit�». Cette réponsepuérile exprime les contradictions d’une jeune fille tiraillée entre l’influence autoritariste de sa mère(«�pour vous réduire�», «�si ma mère le veut�») et le désir de lâcher prise («�je résous mon esprit / Àconsentir�»).

ConclusionCette comparaison entre une pièce religieuse (un auto sacramentale) et une comédie de mœurs met enlumière, au-delà de leurs différences, la fonction politique du théâtre. Calderón comme Molièreétaient des dramaturges officiels et cautionnaient en partie un certain immobilisme social. Enreprésentant un «�théâtre du monde�» régi par la religion (Calderón) ou par la Cour (Molière), ilspermettaient, en effet, au pouvoir monarchique de renforcer ses assises. Bien qu’apparemmentdétachée des contingences, la pièce de Calderón n’en reste pas moins représentative d’une idéologiequi ne va pas sans conséquences politiques�; l’ancrage explicite des Femmes savantes dans leur époquen’enlève pas à la pièce sa portée universelle.

Dissertation

IntroductionLe conflit de l’esprit et de la matière ouvre Les Femmes savantes (I, 1) et se décline tout au long de lapièce. Chaque personnage (ou presque) dit son mot sur le sujet, en parlant d’âme ou de raison, desexualité ou de nourriture. Les trois femmes savantes se situent sincèrement du côté de l’esprit àtravers lequel elles espèrent exister, tandis qu’il constitue pour leurs hypocrites visiteurs un mot depasse propre à servir leurs ambitions. Pour les gens de bon sens, l’équilibre balance selon leur âge etleur tempérament.

1. Les «�femmes savantes�»�: Armande, Bélise, PhilaminteA. L’exaltation de l’esprit�: de l’âme à la raison•�Armande, pour détourner Henriette du mariage, exalte «�l’esprit, la pensée, l’amour de l’étude, la raison,les hautes régions de la philosophie�» (I, 1). Elle réserve «�l’âme�» au dialogue amoureux (IV, 2, v.�1170,1201).•�Pour la consoler à la fin de la pièce, Philaminte la renvoie à «�l’appui de la philosophie�» (v.�1772).•�Bélise explique à son frère la supériorité de l’esprit sur la matière�: «�L’esprit doit sur le corps prendre lepas devant, / Et notre plus grand pas, notre plus grande instance, / Doit être à le nourrir du suc de la science.�»B. Les dégoûts d’un femme mariéePhilaminte apparaît tout d’abord comme une puriste, émule de Vaugelas, qui entend faire respecterdes règles (acte II, scène 6). Elle déplore la bonhomie, mais surtout la lourdeur d’un mari préoccupéavant tout de «�bonne soupe�» (v.�531)�: «�ce discours grossier�», «�quelle indignité pour ce qui s’appellehomme�», «�le corps, cette guenille�», «�Quelle bassesse, ô Ciel, et d’âme, et de langage�!�». Cet époux méprisélui semble un ventre, un organisme soucieux d’être repu, un corps réduit aux fonctions organiques lesmoins poétiques�: tout sauf un homme d’esprit. «�Cette guenille�», c’est lui.C. Les contradictions des prudesL’arrivée de Trissotin provoque chez les trois femmes des réactions proches de la pâmoisonamoureuse. Armande, pour qui «�l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps�» (v.�1212), ne cessed’exprimer malgré elle des désirs très physiques�: «�Je brûle de les voir�» (v.�713), «�ce m’est une douceur ànulle autre pareille�» (v.�715). Tandis que Philaminte s’exclame «�Ne faites point languir de si pressantsdésirs�» (v.�717), Bélise ajoute «�Faites tôt, et hâtez nos plaisirs�» (v.�718). Comme le souligne l’article duDictionnaire des grandes œuvres de la littérature, «�Bélise ne peut croiser un homme sans l’imaginer aussitôtfollement épris d’elle�; Armande, qui se sentait “blessée” (v.�11) par le seul mot de mariage, finit par s’offrir àClitandre�», tandis que Philaminte «�découvre “des hommes” dans la Lune�».

2. Les pédants imposteurs�: Vadius et TrissotinA. La primauté apparente du savoir et de la poésie•�Après avoir lu ses œuvres, Trissotin parle de son «�respect�» des femmes�; il rend «�hommage […] aubrillant de leurs yeux [et] de leur esprit�», dont il «�honore les lumières�» (v.�863 à 865).

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•�Il est le premier à mettre la conversation sur le terrain des écoles philosophiques�: «�Je m’attache pourl’ordre au péripatétisme�» (v.�877).•�Vadius, à peine entré, exprime sa crainte de «�troubler quelque docte entretien�» (v.�951).B. De petits désirs�: VadiusVadius se contente de recevoir quelques baisers féminins en hommage à sa connaissance du grec�:«�Ah�! permettez, de grâce, / Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse�» (v.�945-946). EncoreHenriette les lui refuse-t-elle. Les envies de ce grammairien se tournent surtout vers la reconnaissancemondaine.C. Un carnassier�: TrissotinTrissotin, en revanche, est habité de désirs charnels qu’il n’avoue pas, et il se sert, en imposteur, deson statut de poète et de savant pour arriver à des fins que ses interlocutrices ne soupçonnent pas. Sonlangage est plein de l’expression de cette sensualité qui le rapproche de fait de Chrysale. Tout dansson discours est ramené à la chair. Il parle de son sonnet comme d’«�un enfant nouveau-né�» dont ilvient «�d’accoucher�» (v.�720, 722). Il file ensuite largement la métaphore du repas que lui suggèrePhilaminte�: «�cette grande faim�», «�un plat seul de huit vers�», «�le ragoût d’un sonnet�», «�assaisonné�»,«�d’assez bon goût�» (v.�747-754). À Henriette qui lui exprime ses réticences, il dévoile finalement sonpeu de délicatesse�: «�Pourvu que je vous aie, il n’importe comment�» (v.�1536).

3. Les personnages de bon sens�: Chrysale, Martine, Henriette, ClitandreA. Un mari tourné vers les plaisirs de la nourritureTout comme Trissotin, mais sans détour métaphorique, Chrysale recourt au langage culinaire�: «�à lacuisine�», «�en épluchant ses herbes�», «�brûler ma viande�», «�saler trop mon pot�», «�bonne soupe�», «�bien faireun potage�» (v.�525-534). Il est désolé et inquiet du départ de Martine�: «�Une pauvre servante au moinsm’était restée�» (v.�603). Un peu gaillard, il évoque avec Ariste ses jeunes amours�: «�Nous n’avions alorsque vingt-huit ans, / Et nous étions, ma foi, tous deux de verts galants�» (v.�345-346). Chrysale affirme ainsisans détour l’importance que revêtent (que revêtaient�?) pour lui les plaisirs de l’amour, compensésdésormais par ceux de la bonne chère.B. Une servante exprimant ses désirsMartine affirme l’importance de l’union physique dans le mariage�: «�Par quelle raison, jeune et bien faitqu’il est, / Lui refuser Clitandre�?�» (v.�1655-1656), «�Il lui faut un mari, non pas un pédagogue�» (v.�1658),«�Les livres cadrent mal avec le mariage�; / Et je veux, si jamais on engage ma foi,�/ Un mari qui n’ait pointd’autre livre que moi�» (v.�1666 à 1668). Elle se fait ici l’interprète des pensées de Chrysale, qui n’est pasen mesure, pour sa part, de les exprimer de façon si directe.C. Deux jeunes gens amoureux corps et âmeHenriette et Clitandre défendent tour à tour (avec ironie) leur attachement à tous les aspects de l’amour�:«�mon esprit, se tenant ici-bas, / Goûtera de l’hymen les terrestres appas�», «�Moi, du côté des sens et des grossiersplaisirs�» (Henriette, v.�66, 70)�; «�Pour moi, par un malheur, je m’aperçois, Madame, / Que j’ai, ne vous déplaise,un corps tout comme une âme�», «�J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne�/ En veut, je le confesse, àtoute la personne�» (Clitandre, v.�1213-1214, 1225-1226). Clitandre rappelle à Armande le sens commun�:«�le mariage est assez à la mode, / Passe pour un lien assez honnête et doux�».

ConclusionPar un rapport au corps plus ou moins simple, alambiqué ou pudibond, les personnages révèlent desmanies ou des insuffisances, mais aussi des qualités faites de tempérance et de lucidité. Chrysale sesitue à la lisière des deux camps. Trissotin s’y révèle particulièrement odieux, tandis que les trois«�femmes savantes�», aux prises avec leur naïveté et leurs déceptions, font figure de victimes. Parmi leshommes, en effet, Clitandre est une exception, les autres étant pour le moins décevants. Cette crainteféminine de l’imperfection des hommes se perpétue dans le théâtre du XVIIIe�siècle (Silvia dans Le Jeude l’amour et du hasard�; la Comtesse dans Le Mariage de Figaro).

Écriture d’inventionElvire et Armande ont subi des influences communes. L’une cependant est une amoureuse mystiqueet sensuelle, qui a connu le mariage (Don Juan l’a épousée), tandis que l’autre est une demoiselleprude, soumise à l’autorité de sa mère, qui tente de cacher aux autres comme à elle-même la véritable

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nature de ses sentiments. Le rapprochement des deux extraits doit être justifié au cours du devoir, parle professeur.Les élèves peuvent s’inspirer du texte de Louis Jouvet (lectures croisées, pp.�21-22) et imaginer lesconseils donnés par un metteur en scène. La lecture des pages consacrées aux mises en scènes desFemmes savantes (pp.�215 à 219) leur donnera une idée de la diversité des interprétations. En effet, lejeu d’un acteur ne se calque pas nécessairement sur la psychologie apparente des personnages, maispeut se révéler plus intéressant quelquefois s’il en prend le contre-pied. L’essentiel est que les élèvescomédiennes s’interrogent sur le sens de la pièce et sur leur interprétation et que leur dialogue avecleur professeur exprime le tâtonnement d’une recherche.Le point de vue et la forme du devoir sont libres�:–�récit d’une des comédiennes, sous forme de lettre, par exemple, ou de livre de souvenirs�;–�dialogue entre le professeur et ses élèves (à la manière du texte de Louis Jouvet)�;–�reportage d’un observateur extérieur (journaliste ou biographe).

A c t e V , s c è n e 3 ( p p . � 1 5 3 à 1 6 0 )

! Lecture analytique de la scène (pp.�161-162)! Philaminte et Bélise reprochent au notaire son «�style sauvage�» et sa «�barbarie�». Les usagesjuridiques leur paraissent donc primitifs et étrangers à la civilisation («�au milieu de la France�!�»). Bélisepropose, pour y remédier, de remplacer le vocabulaire courant («�au lieu d’écus, de livres et de francs�»)par des termes latins («�mines et talents�», «�les mots d’ides et de calendes�»). Rien ne justifie cesmodifications, si ce n’est le pédantisme et l’application dogmatique des préceptes classiques auxdomaines de la vie courante. Ces propositions sont d’autant plus absurdes qu’elles reposent sur uncontresens. En effet, la barbarie représente pour les Grecs et les Romains ce qui est étranger à leurcivilisation. Il y a donc «�une espèce de barbarie à latiniser des noms français�», comme l’affirmera Voltaire–�tenant pourtant du classicisme. Le notaire souligne avec simplicité l’incongruité –�pour ne pas dire«�la bêtise�»�– de ces remarques�: «�je serais un sot, / Madame, de vouloir y changer un seul mot.�» Cepersonnage-outil, en porte-parole du commun des mortels, estime qu’il est bon, «�au milieu de laFrance�», de parler français et d’appliquer les textes sans «�vouloir y changer un seul mot�»." Tout au long de la pièce, Philaminte exprime des positions tranchées, que Bélise reprend de façoncaricaturale, en les agrémentant, comme ici, de termes savants. Dans cette scène cruciale, qui précèdele dénouement, l’inquiétude sur le sort d’Henriette et de Clitandre est à son comble. L’entrée enscène des deux femmes n’est pas rassurante. En effet, Philaminte s’y montre d’emblée autoritaire etmonomaniaque, bien plus préoccupée de la forme du contrat de mariage que de son contenu�: «�nousfaire un contrat qui soit en beau langage�». Au moment où elle s’apprête à décider, contre la volonté deson mari, de la destinée de sa fille, les sentiments des membres de sa famille lui sont indifférents. Cetteentrée en trombe rappelle sa première apparition, au cours de laquelle elle gourmandait Martine(II,�6). Lorsque Philaminte constate le retour de cette dernière, ses mots et son attitude montrentqu’elle n’a pas évolué.# Dès qu’il s’agit de mettre en œuvre le contrat de mariage, l’enchaînement des répliques s’accélère,prenant le rythme d’un agôn parodique. Les deux époux ne s’adressent pas la parole mais s’affrontentpar l’intermédiaire du notaire qui ne sait plus où donner de la tête. Philaminte prend naturellementl’initiative des décisions et répond la première aux questions du magistrat�: «�Celle que je marie est lacadette.�» Chrysale, pour ne pas être en reste, acquiesce�: «�Oui. La voilà, Monsieur�; Henriette est sonnom.�» Ce semblant d’accord se prolonge, mis en relief par les termes positifs employés par Chrysale etpar le notaire�: «�Bon�», «�Oui�», «�Fort bien�». Ce temps de latence rend plus amusant pour lespectateur l’affrontement qu’il sait inévitable.Dans les vers suivants, la forme similaire des répliques pourrait laisser penser que l’entente se prolonge,mais la symétrie est une mécanique qui souligne surtout la mésentente des époux. En effet, les phrasesde Chrysale se calquent sur celles de sa femme. Il imite son langage pour tenter d’affirmer une autoritéqu’il n’a pas. Ainsi l’«�époux que je lui donne�» (Philaminte, v.�1621) est repris par «�celui, moi, qu’enpropre personne / Je prétends qu’elle épouse, est Monsieur�» (Chrysale, v.�1622-1623). En multipliant partrois la 1re�personne, le mari tente d’en imposer –�trois fois plus�– à sa femme et au notaire.

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L’impossibilité d’un accord se confirme dans les vers suivants. Les personnages se comportent commedeux pantins, l’un répétant en les inversant les propos de l’autre. Les reprises enfantines des verbesaccentuent ce processus�: «�Mettez, mettez, Monsieur�», «�Suivez, suivez, Monsieur�», «�Faites, faites,Monsieur�». Plus le fond des propos s’oppose, plus la forme se ressemble –�ce qui souligne la puérilitédes conjoints�: centrés sur leur concours d’autorité, ils ne se comportent pas en parents raisonnables,soucieux de l’avenir de leurs filles.$ Après l’intervention du notaire (v.�1631) qui a mis fin à l’emballement mécanique du langage,Philaminte prend l’initiative d’un dialogue direct avec son époux. Sur les six répliques de ce passage,toutes celles que prononce Chrysale sont des phrases déclaratives. Seul un «�Ouais�!�» exclamatif luiéchappe (v.�1640), signifiant davantage la faiblesse de son langage et de son argumentation que laforce de son caractère (c’est d’ailleurs à ce moment que Martine vient à son secours). Les formesverbales confirment ce manque de consistance�: le conditionnel présent (v.�1633�: «�Je ne sauraissouffrir�») et le passé composé (v.�1637�: «�j’ai fait choix�») ne se prêtent pas particulièrement àl’expression d’une volonté immédiate.En revanche, Philaminte emploie l’indicatif présent et fait varier les types de phrases. La première(v.�1632) est interrogative et contraint son mari à reconnaître ouvertement qu’il ose s’opposer à savolonté. Elle est donc en position d’attaque, tandis que Chrysale est sur la défensive. La réponse qu’illui fait (v.�1633-1634) suscite son indignation, qu’elle manifeste dans une phrase exclamative(v.�1635-1636). Philaminte, depuis le début de la pièce, ne s’adresse à son mari que sur le mode dumépris et de la consternation. Elle ne dialogue pas véritablement avec lui. La seule phrase déclarativequ’elle emploie ici (v.�1638-1639) est truffée de termes injonctifs�: «�je veux�», «�mon choix�», «�résolu�».Rien entre les époux n’a changé depuis le début de la pièce (ni ne changera dans l’avenir). Seule uneintervention extérieure peut dénouer la situation.% De même que son frère et sa belle-sœur, Bélise est figée dans une identité sclérosée. À l’approchedu dénouement, elle est plus que jamais une pièce rapportée, inutile à l’action. Comme Philaminte,elle a le même comportement que lors de sa première apparition sur la scène (I,�4). Ses lubiesamoureuses ne l’ont pas quittée�: elle reste persuadée du fait que Clitandre se marie par dépit. Sonvocabulaire en témoigne dans les deux scènes�: «�une espèce d’amour qui doit être épuré�» (v.�1683-1684)rappelle «�les vœux épurés�» du vers�318. Elle reprend de manière obsessionnelle dans cette dernièreréplique les thèmes qu’elle a brassés tout au long de la pièce�: la cartésianisme («�la substance étendue�»),la préciosité (emploi de la périphrase «�comme l’astre du jour�» et du pronom «�on�»). À la fin d’unescène dont l’enjeu est grave et qui a vu s’affronter vivement des intérêts contraires, cette interventiondécalée est à la fois comique et pathétique.& Martine commet peu de solécismes dans cette scène. Son unique faute de syntaxe apparaît auvers�1641�: «�je sommes�». Par ailleurs, elle emploie des expressions imagées et populaires, empruntéesau domaine du jeu (v.�1643�: «�Mon congé cent fois me fût-il hoc�»), de la basse-cour (v.�1644�: «�La poulene doit point chanter devant le coq�») ou de la farce populaire (v.�1649�: «�je ne l’aimerais point, s’il faisait lejocrisse�»), qui constituent aux yeux de sa maîtresse autant de fautes de goût. Le rapprochement duverbe populaire «�bailler�» avec le mot «�savant�» (v.�1657) et la prononciation «�grais�» pour grecconstituent également des écarts. Ces deux formules, ressenties comme particulièrementirrespectueuses par Philaminte, contribuent à la ridiculiser, dans la mesure où une personne peuéduquée est capable de lui tenir tête, avec des arguments solides, sans recourir aux ressources d’unlangage savant.' Martine intervient au moment où l’affrontement entre Chrysale et Philaminte se met à tourner àvide�: «�Mon choix sera suivi, c’est un point résolu�» (v.�1639)�; «�Ouais�! vous le prenez là d’un ton bienabsolu�». Chrysale, en tentant de rivaliser d’autorité avec son épouse, s’aventure sur un terrain qui luiest étranger. Les conjoints mettent en jeu, au cours de cette scène, leur place au sein de leur ménageet plus largement dans la société.Martine, comme le reste de la maisonnée, connaît la faiblesse de Chrysale et sa propension à le céderen tout à sa femme. Chassée dès sa venue sur scène, elle s’est trouvée évincée de l’action. Elle a doncdes comptes à régler avec cette bourgeoise qui lui a donné congé sans raison. Philaminte, en refusantau langage domestique de s’exprimer au naturel, a empêché la servante de remplir la fonctiond’auxiliaire de la jeunesse qui lui était dévolue. Ainsi, lorsque l’occasion lui est donnée de prendre sarevanche, Martine tente-t-elle tout d’un bloc de rééquilibrer les forces en venant au secours

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d’Henriette et de Clitandre. Son intervention ne permet pourtant pas de dénouer la situation�; elleconfirme la mollesse du paterfamilias et renforce le mépris de Philaminte à l’égard de son mari : «�Est-cefait�? et sans trouble ai-je assez écouté / Votre digne interprète�?�» Philaminte vit dans un univershermétique, insensible à toute argumentation.( Martine n’a jamais eu, au cours de la pièce, l’occasion de s’exprimer aussi longuement (9�vers). Elledéveloppe dans cette tirade une pensée organisée, sans recourir au langage populaire. L’emploi demaximes (au présent de vérité générale) rappelle le chœur grec exprimant la mesure et le senscommun�: «�Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise�» (v.�1662)�; «�Les livres cadrent mal avec lemariage�» (v.�1666). De tels propos ont semblé aux détracteurs de Molière contribuer au caractère tropsérieux des Femmes savantes (l’emploi du verbe cadrer avec la préposition avec apparaît dans la languefrançaise en 1672 et peut sembler trop soutenu dans la bouche d’une servante). L’ensemble de latirade n’est cependant pas abstrait. Martine la clôt par des remarques qui montrent qu’elle n’a d’autreréférent qu’elle-même�: «�Et je veux, si jamais on engage ma foi, / Un mari qui n’ait point d’autre livre quemoi�» (v.�1667-1668). Se présentant comme un substitut des références livresques, Martine fait figured’incarnation du bon sens, s’offrant à livre ouvert comme l’humanité sensible face à la dureté dudogmatisme. On retrouve là la fonction traditionnelle de la servante-nourrice comme substitutmaternel (Œnone dans Phèdre, Dorine dans Le Tartuffe).) Martine oppose à Philaminte une conception traditionnelle et passéiste du monde. Les femmessont soumises aux hommes et doivent le rester�: «�Ce n’est point à la femme à prescrire, et je sommes /Pour céder le dessus en toute chose aux hommes�» (v.�1641-1642). Sans véritablement argumenter, elleassène une série de vérités, qu’elle ne justifie pas. Ses interventions successives, soutenues parl’assentiment répétitif de Chrysale, ne changent que dans leur forme, comme autant de variations surun même thème. Le ton devient, au fil du texte, de plus en plus populaire et imagé, le proverbe sesubstituant à la maxime�: «�La poule ne doit point chanter devant le coq.�» L’emploi récurrent demodalisateurs injonctifs renforce l’impression de soumission domestique à un ordre établiincontestable�: «�Ce n’est point�» (v.�1641), «�ne doit point�» (v.�1644). De plus, Martine est soucieusedu qu’en-dira-t-on�: «�Et nous voyons que d’un homme on se gausse�» (v.�1645).La deuxième partie de son intervention (v.�1647 à 1670) est consacrée à l’idée qu’elle se fait du mariidéal�: «�Je ne voudrais jamais prendre un homme d’esprit�» (v.�1644), «�Je voudrais qu’il se fît le maître dulogis�» (v.�1648), «�jeune et bien fait qu’il est�» (v.�1655). L’homme et la femme sont censés se consacrerl’un à l’autre (v.�1670�: «�Et ne soit en un mot docteur que pour sa femme�»), au nom d’une valeur suprême(«�le mariage�») et de l’engagement de la foi (v.�1667). Cette conjugalité basique ne comporte niamour, ni goûts communs, mais repose sur un rapport de forces inégal et consenti, qui corrobore lesfondements d’une société patriarcale�: «�je trouverais fort bon / Qu’avec quelques soufflets il rabaissât monton�». Les relations entre époux sont primaires et fondées sur un rapport de dominant à dominée.*+ À travers sa harangue sur le mariage, Martine fait en creux le portrait de ses maîtres, qui sontl’illustration vivante des méfaits des mariages arrangés. Philaminte est «�une poule�» qui chante «�devantle coq�». Elle se comporte en homme (v.�1641�: «�ce n’est point à la femme à prescrire�») et porte «�le haut-de-chausse�». Chrysale est présenté comme un individu dont «�on se gausse�» et qui fait «�le jocrisse�».Ainsi, d’après Martine, les choses vont-elles sens dessus dessous. Si elle prend sa revanche surPhilaminte, elle laisse aussi éclater sa rancœur à l’égard de son maître, qui n’a pas su en imposer à safemme pour l’empêcher de commettre à son égard une injustice. Cette veulerie constitutive deChrysale est confirmée par ses piètres interventions («�C’est bien dit�», «�Sans doute�», «�Il est vrai�»,«�C’est parler comme il faut�»), sémantiquement plus pauvres que celles de sa servante, lesquelles nebrillent pas non plus pourtant par la richesse et la variété de leur contenu. Observatrice, membreéjectable et inférieur de la maisonnée dont elle partage l’intimité, la servante est un révélateur efficacedes travers de ses maîtres. La crudité imagée de son langage, bridé mais indomptable, favorise la satire.*, Au début de la scène, l’arrivée de Philaminte rappelle le culte inconsidéré qu’elle voue à la langueet sa propension à sacrifier tout principe de réalité. Qu’il s’agisse de langage ou de mariage, le ton dePhilaminte est sempiternellement injonctif. Les paroles de Martine, non plus a fortiori que celles deChrysale, ne la font évoluer d’un iota à la fin du passage�: «�Je l’ai dit, je le veux�: ne me répliquez pas.�»Cette affirmation, renforcée par un rythme ternaire, résume l’inflexibilité de son tempérament.L’extrait se clôture par une intervention de Bélise, en proie à des lubies inchangées.

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Chrysale parle très peu au début de la scène, se contentant de remettre à plus tard la discussion sur leretour de Martine�: «�Tantôt, avec loisir, on vous dira pourquoi�» (v.�1616), mais sa pusillanimité et sonégoïsme sont confirmés par les vers�1679-1680�: «�Voilà dans cette affaire un accommodement. / Voyez�: ydonnez-vous votre consentement�?�» Malgré ses résolutions et l’intervention de Martine, il est le mêmeque celui qui, au commencement de la pièce, renonçait à affronter sa femme�: «�Allons, sortez. (Bas)Va-t-en, ma pauvre enfant�» (v.�510).Les personnages de la génération parentale sont tout aussi autistes que dans les premiers actes. Lesdeux dernières interventions de Philaminte et de Bélise font écho à celles du début et encadrent lepassage de leur aveuglement inquiétant. Cette scène n’a pas pour fonction de faire évoluer l’actionmais d’en resserrer encore les nœuds.*- Excédée par la rébellion de son mari et par l’intervention de Martine, Philaminte entend mettre finà toute tergiversation. Plus intelligente que Chrysale, elle lui offre une porte de sortie honorable, dontelle sait qu’il l’empruntera volontiers. L’emploi de la 1re�personne, légèrement incorrect, traduitl’irritation de cette maîtresse femme et son incapacité à entendre la parole et les désirs d’autrui. Lepronom accentué «�moi�» (v.�1673) est mis en relief par sa place en début de vers et par la rupturesyntaxique, qui le laisse en suspens dans la phrase. Cette anacoluthe souligne la haute estime quePhilaminte accorde à sa propre personne, le pronom tenant quasiment lieu à lui seul d’argumentd’autorité. Un adjectif possessif le relaie au vers suivant�: «�Il faut qu’absolument mon désir s’exécute.�»Cette formule impérieuse est presque pathétique, dans la mesure où cela devient pour Philaminte unecondition essentielle d’existence�: «�Je l’ai dit, je le veux�: ne me répliquez pas.�» Chrysale ne peutrépondre que par un désir «�d’accommodement�» et de «�consentement�». Dans cette ultime intervention,Philaminte a décliné la 1re�personne sous toutes ses formes, confirmant ainsi le trait fondamental deson caractère�: le culte de soi l’emporte pour finir sur celui du langage.*. Chrysale trouve le moyen de ponctuer les propos de Martine de sept phrases déclaratives quiforment autant de modulations sur le thème de l’acquiescement�: «�C’est bien dit�», «�Sans doute�», «�Ilest vrai�», «�C’est parler comme il faut�», «�Oui�», «�Fort bien�», «�Elle a dit vérité�». Ce procédé répétitifproduit un effet comique, tant il souligne l’incapacité de ce personnage à développer une pensée etson penchant pour les vérités simplistes et proverbiales. En se montrant si complaisant, Chrysaledessert sa cause. Cette série de phrases creuses est presque la figure inversée du procédé de laprétérition habituel chez Molière qui consiste à faire dire au valet ce qu’il pense, tout en faisantsemblant de dire autre chose�: le domestique dit ici à la place du maître ce que celui-ci n’ose pas dire�!Chrysale a beau soutenir toutes les assertions de Martine, il reste incapable, sans tiers intermédiaire,d’imposer quoi que ce soit à Philaminte et déclare forfait dès qu’il le peut, essayant tout au plus de nepas perdre la face, en une formule interrogative�: «�Y donnez-vous votre consentement�?�» Ne craignantpas d’être versatile, ce père de famille se compromet en douceur. Quitte à sacrifier ses vaguesconvictions, il a pour cause première sa tranquillité et la paix domestique.*/ La structure de la scène met en relief le caractère inextricable de la situation. En effet, la premièrepartie (v.�1601-1617) et la dernière (v.�1673-1686) sont similaires�: Philaminte s’y montre brutale etpéremptoire, Bélise chimérique et décalée, et Chrysale y tient des propos en demi-teinte. Le centrede la scène, très rythmé, se structure en deux temps, caractérisés par un rapide échange de répliquesquasiment vers à vers. Des vers 1618 à 1640, la joute verbale entre les époux, via le notaire, constitueune sorte de ballet que rythme le parallélisme des répliques. L’intervention de Martine, qui alterne desremarques brèves ou plus développées (v.�1641 à 1672), rompt cette stichomythie. Par la liberté de sespropos (tant dans la forme que dans le fond), elle apporte une tonalité nouvelle. Pourtant, Philamintereste sans réaction face à Martine, qu’elle ignore. Sa force d’inertie finit par déstabiliser la servanteaussi bien que son maître. Cette stratégie du silence n’est pas sans rappeler celle que Don Juan opposeà Sganarelle (III, 1�: «�Oh dame, interrompez-moi donc si vous voulez, je ne saurais disputer si l’on nem’interrompt, vous vous taisez exprès, et me laissez parler par belle malice�») pour laisser son raisonnement«�avoir le nez cassé�». Ainsi, dans la dernière partie (v.�1673-1686), Philaminte reprend-elle le dessus, leduo Martine/Chrysale étant réduit au rang d’intermède comique.*0 Cette scène est a priori inquiétante, en raison de la tension que fait régner l’intransigeance dePhilaminte. Les procédés comiques y sont donc à double tranchant. Chrysale s’y illustre dans deuxnuméros successifs. Tout d’abord, le duo mécanique des deux conjoints amuse, aux dépens dupersonnage plutôt sympathique qu’est Chrysale. L’effarement du notaire, le décalage de ses réponses

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(v.�1623-1624�: «�Deux époux�? / C’est trop pour la coutume�») sont drôles, tant il y a de distance entre lepointillisme administratif, le sérieux de ses réponses, et la réalité de la situation. Ensuite, le comiquenaît de la répétition béate des formules affirmatives de Chrysale, qui sert cette fois de faire-valoir àMartine. Ainsi, si cette scène prête à rire, c’est d’un rire crispé, mâtiné d’inquiétude, car le spectateur,à ce stade de la pièce, s’inquiète fort du sort des amoureux, en constatant l’incapacité croissante deChrysale à tenir la dragée haute à sa femme.

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp.�163 à 170)

Examen des textes! L’échange des rôles entre maîtres et valets dans L’Île des esclaves libère la parole. Cléanthis, commeenivrée, se livre au plaisir des mots et offre au public un numéro d’imitation. Le désir d’être pour une foisentendue se manifeste par les formules de captatio benevolentiae qui ouvrent chacune de ses répliques�: «�Voussouvenez-vous […]�?�», «�Écoutez, écoutez�». Cléanthis est emportée par sa logorrhée, au point qu’à deuxreprises Trivelin doit lui signifier la nécessité de se taire�: «�En voilà donc assez pour à présent�», «�Cela suffit�».Au moyen d’une formule de prétérition («�J’allais parler des vapeurs�»), Cléanthis trouve encore le moyen deprolonger son plaisir en développant ce dont elle est censée ne pas parler.Par ailleurs, la servante s’amuse en imitant sa maîtresse�: offrant au public un spectacle dans lespectacle, elle joue tour à tour son propre rôle et celui de sa maîtresse, mettant au jour l’intimitéd’une coquette. Le recours au discours direct pour rapporter les propos d’Euphrosine contribue à fairede ce passage une succession de saynètes�: «�Cette femme-là est aimable, disiez-vous�», «�À moi�? lui dîtes-vous�», «�Continuez folâtre, continuez, dîtes-vous�». Enfin, Cléanthis commente ses propres paroles pouren souligner le caractère pittoresque�: «�voici le plus plaisant�».Sur le point d’être définitivement interrompue, elle abandonne les temps traditionnels du récit(imparfait, passé simple) en une chute rendue particulièrement expressive par le présent de narrationet l’emploi d’une onomatopée populaire�: «�Crac�! la vapeur arrive.�» Entendue à la fois par sa cible(Euphrosine), par le juge de celle-ci (Trivelin) et par le public, Cléanthis a plusieurs destinataires. Larichesse de l’énonciation permet à la comédienne un véritable morceau de bravoure, que favorisait àl’époque la souplesse du jeu des comédiens italiens." Le comte Almaviva incarne, dans Le Barbier de Séville, l’aveuglement de la noblesse d’AncienRégime. En effet, il peine à reconnaître son valet�: «�Je crois que c’est ce coquin de Figaro�», «�Je ne tereconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras…�». Figaro, en revanche, sait dès le premier coup d’œil àqui il a affaire�: «�Je ne me trompe point�; c’est le comte Almaviva.�» Almaviva, tout à ses amours, neperçoit pas les changements qui se profilent. Figaro est «�si gros et si gras�» parce qu’il évolue et aspire àune reconnaissance sociale. Le Comte, lui, figé dans les valeurs du passé, ne change pas. Le dialogueentre les deux hommes est faussé dès le début. Le Comte, déguisé, biaise d’emblée lacommunication�: «�Ayons l’air de jaser.�» Ainsi ne s’agit-il pas d’une vraie conversation mais d’un jeu.Seul ce procédé explique d’ailleurs qu’Almaviva se soucie de la vie de son ancien valet. Une fois deplus, la parole du domestique est déconsidérée. Le Comte s’en amuse, sans la prendre au sérieux,comme s’il était au spectacle et que Figaro faisait un numéro pittoresque, attendu, conforme à latradition. D’ailleurs, Almaviva l’honore dès le début de sobriquets réservés à la domesticité («�ce coquinde Figaro�», «�Maraud�!�»). Il rit au récit de ses tribulations et les commente en amateur�: «�Beaudébut�!�», «�Ah�! ah�!�», «�Puissamment raisonné�».Pourtant, les maximes énoncées par l’ancien garçon apothicaire à la fin de l’extrait ont raison de cetteironie, à laquelle Figaro coupe court en l’interrompant�: «�Et tu ne lui fis pas représenter�», «�paresseux,dérangé�». Figaro sort vainqueur de ce faux échange. Sa parole prend du poids et rééquilibre les forces�:«�persuadé qu’un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal�», «�Aux vertus qu’on exigedans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets�?�». Dehaute lutte, ici, Figaro est le premier valet de théâtre à sortir vainqueur, sans se casser le nez, d’unejoute verbale avec son maître, rejoignant là le rôle subversif des fous du roi du théâtre élisabéthain.Enfermé dans une vision stéréotypée, nombriliste et passéiste du monde, Almaviva n’est pas plussensible aux difficultés rencontrées par son ancien domestique, qu’il ne perçoit les changements quiauront raison de l’Ancien Régime.

Les Femmes savantes – 43

# Lorsqu’elle prononce cette formule apparemment anodine et même humoristique (le tilleul n’étantpas un poison violent, mais une tisane bien inoffensive, symbole de la douceur feutrée d’une viebourgeoise), Madame ne perçoit pas, apparemment en tout cas, toute la portée de ses propos. Lepublic et Claire en apprécient en revanche la polysémie. Le tilleul est effectivement empoisonné,Claire veut vraiment tuer Madame avec son tilleul. Une autre hypothèse est possible�: Madame sait ceque manigancent Claire et Solange et s’en amuse.Quoi qu’il en soit, Jean Genet réutilise, en le détournant, le procédé antique de l’ironie tragique. Lavictime supposée du destin n’est pas celle qui en est ici la cible. La volonté des domestiques étantinefficiente, Madame ne sera pas plus une héroïne tragique que Claire et Solange ne réussiront àexister.$ Tandis que Marceau, une cigarette aux lèvres, regarde son maître en arrangeant son nœudpapillon, le Marquis esquisse un demi-sourire et son regard se perd dans le vague. Dans cette sociétédécadente de la fin des années 1930, le maître se soucie peu des conventions. Il joue à être unmarquis, de même que Marceau, ancien braconnier, joue au valet. La cigarette allumée et le regarddésabusé des deux personnages montrent qu’ils ne sont pas dupes de cette fin de partie, qui s’achèveraen mascarade tragique. Marceau, heureux d’avoir été promu domestique, fier de sa livrée, se souciepourtant sérieusement de la tenue de son maître, lequel se prête au jeu, avec indolence.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes extraits des pièces de Molière, de Marivaux, de Beaumarchais et de Genet mettent en avantl’intimité des maîtres et des valets, laquelle ne débouche pas nécessairement sur une connivence,notamment dans Les Femmes savantes. Martine met le doigt sur les failles du ménage de ses maîtres. Samaîtresse est autoritaire et narcissique, si bien que sa familiarité avec ce ménage bourgeois n’aboutitpas à la complicité.Il en va de même pour Cléanthis. L’Île des esclaves, pièce en forme d’apologue, vise justement àdémontrer que ces deux états (intimité, complicité) devraient aller de paire. Cléanthis, en effet,connaît toutes les manies de sa maîtresse, jusqu’à la ruelle de son lit�: «�vous étiez avec ce cavalier si bienfait�», «�vous avez la main belle, il la vit, il la prit, il la baisa�», «�J’attendais une vapeur, elle est encore à venir.Le lendemain en compagnie une rose parut�; crac�! la vapeur arrive�». Cléanthis démasque les hypocrisies desa maîtresse, mais n’entretient avec elle aucune relation d’amitié.Entre le Comte et le «�barbier de Séville�», en revanche, la complicité est évidente. Tous deux se«�reconnaissent�» comme des familiers et jouent avec le langage et les conventions. Ainsi, lorsqueFigaro parodie Voltaire, la réaction d’Almaviva est-elle également parodique�: «�FIGARO. […] L’envieaux doigts crochus, au teint pâle et livide… / LE COMTE.�Oh�! grâce�! grâce, ami�!�» Ce jeu reste pourtantsuperficiel, chaque personnage étant ramené finalement au rapport de forces qu’implique la différencesociale.Dans Les Bonnes, Claire semble materner Madame, qui se conduit en amoureuse folâtre�; condamnéesà une vie insipide, Claire et Solange tentent d’utiliser le semblant d’intimité qui les unit à Madamepour la réduire à néant. La fausse proximité est pour elles un supplice quotidien, et le simulacre de lacomplicité quasi amoureuse qu’elles entretiennent avec elle vire à la haine. Tout dans ce passage estfaux-semblant. Madame est la dupe de ses bonnes, comme elles le sont de leur maîtresse, objet de leurfascination qui leur échappera pour les laisser face à leur propre vacuité. Enfin, le plan du film deRenoir confirme l’ambiguïté des rapports humains dans lesquels la proximité des corps ne réduit pasl’écart fixé par les règles du jeu social, auxquelles chacun semble se plier sans y croire.

Commentaire

IntroductionDans Les Bonnes, Jean Genet reprend un thème constitutif de l’histoire du théâtre�: les relations entremaîtres et serviteurs. Madame et ses bonnes jouent à vivre ou à mourir�: Claire et Solange tententd’empoisonner leur maîtresse, qui le sait ou l’ignore, ou feint de l’ignorer. Cette ambiguïté estexacerbée dans le passage décisif qui précède le dénouement. S’inspirant d’un fait divers (le meurtrecommis par les sœurs Papin sur leur maîtresse et sa fille), Genet interroge le théâtre et la modernité�:

Réponses aux questions – 44

entre comédie et tragédie, les rapports de forces se jaugent, pour laisser finalement chacun face à savacuité, sa solitude ou son errance. L’enjeu, malgré la gravité de la situation, reste dérisoire.

1. Les relations maîtres-serviteursA. La réification des bonnes•�Les relations entre Madame et ses bonnes passent par les objets�: le tilleul, le réveil, l’étagère, la pendule,les petits objets dont elle ne se sert plus, un prie-Dieu, l’eau bénite, son gant, le taxi, le meuble, les roses.•�La chaleur des sentiments, l’attention prêtée à l’autre s’évaluent par l’intermédiaire des objetsdonnés, déplacés, négligés.•�Les bonnes sont, aux yeux de Madame, de «�petits objets�». En effet, son langage trahit sa pensée�:«�CLAIRE.�C’est Solange pour le ménage. Elle n’ose jamais se fier à la pendule.MADAME.�Elle est l’exactitude même.�»Solange est assimilée ici à l’objet-pendule. Elle est celle qui compte le temps de Madame, dans tous lessens du terme�: incarnation dérisoire de la grande faucheuse ou figure ratée du destin.B. Un faux dialogue•�Les deux femmes ne s’écoutent pas ou du moins ne veulent pas entendre la parole de l’autre. Ainsi,au moment où Claire, «�avec amertume�», «�récite les bontés de Madame�», cette dernière, sans y prêterattention, l’interpelle depuis la cuisine�: «�Écoute�! Écoute�!�» Madame, préoccupée de l’arrivée du taxi,est toute tournée vers l’extérieur.•�Chacune poursuit son idée, restant étrangère aux préoccupations de l’autre tout en feignant d’yprêter attention, comme le souligne l’enjouement faussé de Madame�: «�Il est vrai que la cuisine m’est unpeu étrangère. Vous y êtes chez vous. C’est votre domaine. Vous en êtes les souveraines.�» Sous prétexted’encenser ses bonnes, elle les humilie, en les confinant au rang de souveraines de la cuisine. Chaquecompliment est ainsi assorti d’une brimade ou d’une contradiction�: «�Que d’honneurs… et denégligence�», «�Mais très heureuse, Claire. Et je pars�!�».•�Claire joue à materner Madame, en lui proposant avec insistance son tilleul. Elle fait semblant de«�récite[r] les bontés de Madame�», mais parle très fort pour le lui signifier, exprimant par là une violencedécalée, qui souffre de ne pouvoir se dire.

2. L’ironie tragique inversée�: l’absence de destinéeA. L’ambiguïté du langage•�La polysémie des répliques permet, au théâtre, l’exploitation de toutes les ressources del’énonciation. Elle favorise le quiproquo ou l’ironie tragique, selon la nature de la pièce.•�Dans un registre intermédiaire, mi-comique, mi-tragique, le procédé se fait ambivalent�:–�«�MADAME. Je suis déjà trop énervée. / CLAIRE. Justement.�»�;–�«�Tu veux me tuer avec ton tilleul, tes fleurs, tes recommandations.�»•�Ni le spectateur, ni Claire ne savent vraiment ce que veut dire Madame, dans quelle mesure elle estconsciente de la portée de ses paroles ou de celles que Claire lui adresse. Son rire, sa légèreté, sonenjouement peuvent s’expliquer aussi bien par le plaisir qu’elle a à retrouver Monsieur, que par celuiqu’elle éprouve à se rire de ses bonnes et à leur échapper, les mettant ainsi face à la vacuité de leurcondition. Le spectateur ne sait pas qui manipule qui�; les repères sont troublés.B. La perversité morbide des relations•�Madame fait souffrir Claire en refusant le tilleul qu’elle lui propose à quatre reprises, jusqu’àl’implorer. À l’inverse, Madame est de plus en plus gaie et légère�: «�c’est du champagne que nous allonsboire. Nous ne rentrerons pas�», «�souriante�», «�elle rentre, souriante�», «�Et je pars�!�», «�riant, se penche surelle�». La victime se meut insensiblement en bourreau�; les didascalies soulignent la positiondominante, voire triomphante de la maîtresse, qui sort gagnante de cet affrontement biaisé.•�Les bonnes sont confinées dans un huis clos qui ne présente pas pour elles, contrairement àMadame, d’échappatoire�: «�Vous ne nous attendrez pas, Solange et toi. Montez vous coucher tout de suite.�»Cet espace est habité par la mort�: le réveil représente le temps qui passe, qui est compté pour Claire�;les fleurs, la poussière complètent ce tableau mortifère. Les victimes tragiques sont les bonnes, queleur jeu accule au suicide, toute identité ou raison d’être étant perdue après le départ de Madame.

Les Femmes savantes – 45

ConclusionEn explorant le thème traditionnel des relations entre maîtres et serviteurs, Genet semble signifier quele théâtre ne peut y échapper, comme pris au piège de sa propre histoire, qui tournerait à vide. Entretragédie et comédie, Genet ne choisit pas�: le triomphe insignifiant de Madame ne la grandit pas plusque le suicide de Claire ne fait d’elle une héroïne tragique. À travers une réflexion sur le sens d’unmonde confronté à la perte des valeurs, Genet esquisse également une réflexion sur le théâtre.

Dissertation

IntroductionLes valets ont toujours été confinés dans des rôles secondaires�: confidents dans les tragédies (Œnone,Phénice), adjuvants rusés (Scapin, Dorine, Toinette) ou bouffons grotesques (Sosie, Sganarelle etautres Arlequins) dans la comédie. La parole du valet dépend par définition de celle du maître, elle n’apas d’autonomie, elle en est le «�respons�». Cependant, même si elle n’existe pas par elle-même, elle nese laisse pas étouffer et a même des résonances, parfois incontournables.

1. Une parole secondaireA. La vacuité du discours des personnages-outils•�Comédie�: L’Épine (Les Femmes savantes), Gusman (Dom Juan), Éraste (L’Illusion comique), Frontin (LaFausse Suivante)…•�Tragédie�: Panope (Phèdre), Arcas (Mithridate).B. Une parole porteuse du sens commun•�Des personnages interchangeables.•�Comédie�: Lisette (Le Jeu de l’amour et du hasard) / Lisette (La Double Inconstance).•�Tragédie�: Phénice, confidente de Bérénice / Céphise, confidente d’Andromaque.C. Une parole comiqueUn comique involontaire. Même le valet rusé, comme Scapin, fait rire sans en avoir la volonté,simplement pour ce qu’il est et par la truculence de son langage. Comme Sganarelle (Dom Juan) ouMartine (Les Femmes savantes), il est un valet conformiste. Capables de ridiculiser leurs maîtres, cesdomestiques ne remettent pas pour autant en cause les fondements de la société. Au contraire, enaplanissant les conflits familiaux, ils sont les garants d’une certaine stabilité. Si leur jugements’exprime, c’est toujours par le biais de subterfuges (prétérition, autorisation exceptionnelle du maître,adresse à un maître hypothétique…).

2. Une parole agissanteA. Un comique maîtrisé, des personnages subversifs•�Trivelin, dans La Fausse Suivante, est un chevalier déchu, réduit au rang de valet�; il pratiquel’autodérision et porte un regard lucide et distancié sur toutes les catégories de la société, dont ilperçoit l’instabilité.•�Figaro (Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro), avatar chanceux de Trivelin, suit une trajectoireopposée. Parti de rien, il devient quelqu’un et finit par être doublement «�reconnu�», pour ses mériteset sa naissance.B. Des individualités remarquables•�Une parole adjuvante�: Scapin (Les Fourberies de Scapin) sait parler à chacun et changer heureusementle cours des choses, en réparant les erreurs d’un maître rendu ridicule par ses excès et ses erreurs.•�Une parole pernicieuse�: Œnone (Phèdre) aime trop sa maîtresse. Sa relation avec elle est si intime etfusionnelle qu’elle l’aveugle et transforme la protectrice en mauvais génie. Ce personnage abandonneson statut de nourrice confidente pour accéder à celui de personnage tragique, puisqu’elle se suicide,dans l’ombre.•�Une parole déplacée�: Ruy Blas (pièce éponyme de Hugo)�; les relations de Ruy Blas avec la Reinesont faussées. Son irrésistible ascension, qui défie les règles du jeu social, le condamne.

Réponses aux questions – 46

C. Une parole vaine, absurde, ni efficiente, ni signifiante, mais toujours assujettie•�Beckett, En attendant Godot�: Lucky et Pozzo.•�Genet, Les Bonnes, Claire et Solange.•�Dès que la parole des valets est coupée du répondant au maître, elle se perd, elle perd ses repères.Claire et Solange imitent leur maîtresse, la miment, comme le faisait déjà Cléanthis. La figure del’aliénation du valet, comme de l’aliénation du théâtre à sa tradition, apparaît dans En attendant Godotavec les personnages de Lucky et Pozzo, la laisse figurant le lien dominant/dominé.

ConclusionLa parole du valet permet au maître d’exister. Elle semble, avec Figaro, s’aventurer versl’émancipation, mais Beaumarchais niait que son théâtre fût subversif. L’ordre social y est d’ailleursrétabli, puisque la valeur exceptionnelle de ce personnage s’explique finalement par une hautenaissance méconnue. Stratagème dramaturgique qui permet quoi qu’il en soit une parole audacieuse,qui ne va pas sans conséquences politiques. Le drame romantique ne marque pas le triomphe de cettelibération�: Ruy Blas en est une victime sacrifiée. Il faudra attendre Brecht, avec Maître Puntilla et sonValet Matti (1940), pour assister à la véritable revanche de la parole et de la pensée du valet sur celledu maître. Cette pièce fait figure d’exception, le regard de Genet (Les Bonnes, 1947) et celui deBeckett (En attendant Godot, 1953) étant nettement plus désabusés.

Écriture d’invention•�Almaviva, en débarquant sur l’île des esclaves, continue d’inféoder Figaro�: son langage resteméprisant («�maraud�», «�coquin�»…) et tend à confiner le valet dans un type figé et rétrograde.•�Figaro lui coupe la parole et développe sa pensée («�Aux vertus […]�»). Ce discours doit formerl’essentiel du développement, mais peut être ponctué par quelques réactions, plus ou moins vives,agacées ou amusées du Comte.•�Les vertus exigées dans un domestique�: fidélité, loyauté, honnêteté…•�Figaro, à l’instar de Cléanthis, imite son maître et joue plusieurs saynètes, formant des tableauxsuccessifs du valet et du maître aux prises avec ces vertus. La démesure entre la nature et lesconséquences des défaillances de l’un et de l’autre sera patente. Le discours de Figaro alterneraanecdotes et maximes.

Les Femmes savantes – 47

C O M P L É M E N T SA U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

Les photographies des mises en scène des Femmes savantes sont étudiées dans la partie «�Complémentsaux mises en scène�».

! Molière par Charles Antoine Coypel (p.�4)L’auteurNé le 11�juillet 1694, Charles Coypel est le dernier représentant d’une dynastie qui compte quatrepeintres célèbres du XVIIe au XVIIIe�siècle. Fils d’Antoine Coypel (auteur, entre autres, des fresques duplafond de la chapelle du château de Versailles), dont il fut l’élève, il connut une carrière brillante etses premiers succès furent précoces. À 21�ans, il fut reçu à l’Académie royale comme peintred’histoire. Premier peintre du roi en 1747, Charles Coypel devint, la même année, directeur del’Académie. Il décède en 1752.

L’œuvreSon portrait de Molière (huile sur toile, vers 1730) présente le dramaturge écrivant. Le rougeflamboyant de la robe de chambre et la luminosité du visage, relayée par la blancheur de la chemise,contrastent avec l’obscurité du fond. Le visage légèrement incliné, le bras gauche accoudé sur deuxlivres, Molière tient une plume dans la main droite. Son regard oblique, à l’expression songeuse,s’élève. Tous ces éléments montrent un Molière jeune, concentré, réfléchi, marqué par la grâce del’inspiration. Le cercle formé par le mouvement des bras donne l’impression d’une structure enmédaillon, qui conforte le sentiment de sérénité dégagé par ce portrait chargé de signifiants littéraires�:les livres, la plume, la feuille, l’œil inspiré.C’est le dramaturge classique, officiel qui apparaît ici, aux dépens de l’acteur comique, mais aussi dupersonnage tourmenté qu’a pu être l’auteur. Ce portrait, somme toute assez lisse, cadre avecl’académisme que «�la Maison de Molière�» privilégiait au XVIIIe�siècle.

Travaux proposés–�Quelle image de Molière le peintre a-t-il privilégiée dans ce tableau�?–�Comparez ce tableau avec le Portrait de Molière dans le rôle de César (1658) par Nicolas Mignard(1606-1668). Dans quelle mesure Charles Coypel a-t-il pu s’en inspirer�?

! Honoré Daumier, Le Roman (p.�66)L’auteurHonoré Victorien Daumier naît à Marseille le 26�février 1808. Son père, un artisan vitrier qui rêve dedevenir poète, monte à Paris en 1816. Coursier à douze ans, commis de librairie ensuite, le jeuneDaumier prend des cours dans une académie de dessin, où il est repéré par Alexandre Lenoir, lefondateur du musée des Monuments français. Il réalise en 1828 ses premières gravures pour le journalLa Silhouette. À partir de 1830, il travaille pour Philippon, directeur de La Caricature puis du Charivari,journal dirigé contre Louis-Philippe. Sa représentation de ce dernier en Gargantua lui vaut six moisde prison. Il poursuit malgré tout ses caricatures en sculptant des statuettes de facture libre etprovocatrice, que l’on peut voir au musée d’Orsay. En 1835, la suppression des libertés le contraint àse tourner vers la satire des mœurs (Les Gens de justice, Les Bons Bourgeois, Robert Macaire). Les séries duCharivari sont consacrées à la physiologie du bourgeois (Les Cinq Sens, Mœurs conjugales, Émotionsparisiennes, Les Bas bleus…).Les figures du lecteur sont récurrentes dans l’œuvre de cet ami de Balzac, dont il est l’un desillustrateurs les plus connus (Le Père Goriot). En 1848, il revient à son inspiration politique (Ratapoil),mais se consacre principalement à la peinture (La République, Don Quichotte). À partir de 1865, ilconnaît de sérieux ennuis financiers, et doit abandonner son atelier parisien. Devenu presque aveugle,il s’installe avec sa femme dans le Val-d’Oise où son ami le peintre Corot lui prête une maison, danslaquelle il demeure jusqu’à sa mort survenue en 1879.

Compléments aux lectures d’images – 48

L’œuvreSe reporter à la réponse à la question 5 (livre de l’élève, p.�67).

Travaux proposés–�Quelles sont les cibles de cette caricature�?–�Comparez cette gravure de Daumier avec le tableau de René Magritte (1898-1967) La Lectricesoumise (1928).

! Jean-Jacques Grandville, illustration de la fable de La Fontaine (p.�107)L’auteurJean Ignace Isidore Gérard, dit Jean-Jacques Grandville, naît à Nancy en 1803. Il se forme dansl’atelier de son père, miniaturiste et portraitiste. En 1823, il se rend à Paris et publie une série delithographies. Il connaît le succès dès 1829, avec Les Métamorphoses du jour, satire politique et sociale.L’artiste y raille, à travers la physionomie animale de ses personnages, les ridicules de l’humanité. Ilillustre quelques années plus tard Les Fables de La Fontaine. Avec des séries comme La Vie privée desanimaux, Les Petites Misères de la vie humaine ou Anime les fleurs, il transforme le quotidien en ununivers étonnamment onirique, qui font de lui l’un des précurseurs du surréalisme. En 1847, l’un deses enfants s’étouffe sous ses yeux. Dès lors, ses œuvres sont marquées par l’obsession de la mort. Ildécède la même année, dans un asile d’aliénés, à Vanves.

L’œuvreSe reporter à la réponse à la question 5 (livre de l’élève, p.�108).

Travail proposé–�Imaginez le monologue intérieur du petit garçon qui figure au premier plan, à gauche.

! Mise en scène du Procès en séparation de l’âme et du corps par Christian Schiaretti (p.�131)Le metteur en scèneChristian Schiaretti a étudié la philosophie et suivi en auditeur libre au Conservatoire nationalsupérieur de Paris les classes d’Antoine Vitez, Jacques Lassalle, Claude Régy... Il a dirigé la Comédiede Reims, centre national dramatique, de janvier 1991 à janvier 2002. Depuis 2002, il dirige leThéâtre national populaire de Villeurbanne.Après avoir exploré un large répertoire (Sophocle, Euripide, Pirandello, Brecht, Minyana, Vitrac…),Christian Schiaretti a associé à son travail le philosophe Alain Badiou, avec lequel il a créé, au Festivald’Avignon, Ahmed le Subtil, puis Ahmed philosophe, Ahmed se fâche et Les Citrouilles. Après les troisannées de cette expérience, ils ont abordé la langue du XVIIe�siècle avec Polyeucte et La Place Royale deCorneille, et Les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin.Marcel Bozonnet, administrateur général de la Comédie-Française, a demandé à Christian Schiaretti,qui avait déjà monté à Reims Le Grand Théâtre du monde, de mettre en scène deux actes sacramentels.Le parti pris est celui de la simplicité d’une dramaturgie qui mise beaucoup sur le jeu des acteurs,essentiellement portés par le texte.

Travaux proposés–�«�L’allégorie nous aide à penser en donnant chair à l’abstraction�», affirme Florence Delay, traductrice duProcès en séparation de l’âme et du corps. Cette photographie vous semble-t-elle corroborer cetteaffirmation�?–�En quoi ces personnages allégoriques semblent-ils, malgré tout, habités par des contradictions�?

! Hippolyte Poterlet, Dispute de Trissotin et de Vadius (p.�150)L’auteurHippolyte Poterlet (1803-1835), dessinateur talentueux, fait la connaissance de Delacroix en 1818,alors qu’il copie les maîtres dans les salles du Louvre. Cette rencontre, leur amitié et leurs échangesartistiques le marquent profondément. Une mort précoce l’a empêché de donner toute la mesure deses talents de peintre et de dessinateur. On connaît de lui aujourd’hui essentiellement des copiesd’après les maîtres, de la Renaissance au XVIIIe�siècle (le musée Eugène-Delacroix en possède une

Les Femmes savantes – 49

quinzaine). En 1827, Poterlet expose au Salon une toile inspirée d’un roman de Walter Scott. En1831 puis en 1833, pour ses envois au Salon, il s’inspire des Femmes savantes puis du Malade imaginairede Molière. Jules Janin lui rend ainsi cet hommage posthume, paru dans L’Artiste�: «�Un jeune hommequi meurt en lisant Le Malade imaginaire comme Molière est mort en le jouant.�»

L’œuvreLa Dispute de Trissotin et de Vadius est la seule œuvre que le Louvre conserve de Poterlet. Illustrant lascène�3 de l’acte�III, elle représente tous les personnages qui y figurent.Le décor rappelle le goût de la maîtresse du lieu pour le savoir. Une bibliothèque encadre le coupleTrissotin/Bélise�; un luth, posé au sol derrière le fauteuil de Philaminte, répond symétriquement auxlivres et aux instruments (compas, lunette, livres ouverts et fermés, globes…) figurant à l’autreextrémité du tableau. Au-dessus, sur un guéridon, se trouve un coquillage, héritage des cabinets decuriosités qui ont culminé du milieu du XVIe au milieu de XVIIe�siècle. Comme dans un petit muséumd’histoire naturelle, les gens aisés y rassemblaient des curiosités exotiques, notamment du mondeanimal. Celui qui est peint sur la toile semble être un nautile, pièce particulièrement rare.L’entassement des objets scientifiques et la présence du luth rappellent les allégories de la mélancoliedans la peinture de la Renaissance (Dürer, La Mélancolie�; Holbein, Les Ambassadeurs�; Feti,Melancholy), mais ne revêtent pas dans cette toile la même portée symbolique.Les deux pédants sont assis au centre du tableau, dont la construction symétrique rend compte de lamécanique comique de la scène. Trissotin, bedonnant et rougeaud, prend confortablement ses aisesdans son fauteuil. À sa gauche, Vadius, reconnaissable à son vêtement entièrement noir (v.�928�: «�Ilest vêtu de noir et parle d’un ton doux�»), se penche vers lui et parle avec véhémence. Trissotin s’inclinesur la droite, comme pour s’en éloigner. Maigre et pâle, l’helléniste a une apparence plus austère quecelle de son acolyte, dont l’embonpoint et le teint rougeoyant révèlent un penchant pour les plaisirsconcrets. Les yeux écarquillés, les sourcils relevés de Trissotin expriment sa circonspection, tandis quel’amertume d’un Vadius vociférant se manifeste dans le pli de sa bouche ouverte. La présence d’unpetit chien qui jappe aux pieds de ce dernier suggère une comparaison avec les aboiements ridiculesd’un roquet.À la droite de Trissotin se tiennent deux femmes. La plus jeune, Armande, est assise et tente, avec unsourire doux à l’adresse de Vadius, un mouvement d’apaisement, répondant symétriquement à lagestuelle menaçante de ce dernier. Derrière elle se tient, selon toute vraisemblance, une Bélisesérieuse, attentive à l’échange. Sa position secondaire la laisse à l’écart de l’action, comme c’est le castout au long de la pièce.À côté de Vadius, un peu en arrière et penchée vers la gauche, comme pour s’éloigner, Henriette estassise. Placée non loin de la fenêtre, dans la lumière du jour, elle observe la scène sans y prendre part,avec un visage légèrement amusé. Le mouvement de son corps, le geste esquissé par sa main droitelaissent supposer qu’elle s’apprête à se lever discrètement, pour sortir par ce qui pourrait être uneporte ajourée. Face à elle, Philaminte, assise dans l’ombre et couverte d’un capuchon noir, affiche uneexpression sévère et entrouvre la bouche, comme prête à intervenir.Les visages et les postures des femmes ne sont pas caricaturaux. La satire qui vise leurs visiteurs lesépargne. Ce point de vue sur les personnages propose une interprétation nuancée de la pièce deMolière.

Travaux proposés–�Ce tableau vous semble-t-il fidèle à la scène qu’il représente (III, 3)�?–�En quoi cette toile pourrait-elle inspirer une mise en scène des Femmes savantes�?

! Jean Renoir (p.�169)Le réalisateurJean Renoir est le second fils du peintre impressionniste Pierre-Auguste Renoir. Né le 15�septembre1894 à Paris et mort le 12�février 1979 à Beverly Hills (Californie), il fut réalisateur de cinéma,producteur, scénariste et acteur.Son premier long-métrage, La Fille de l’eau (1924), reçoit un accueil mitigé qui ne le décourage pas. Ilse lance peu après dans une production ambitieuse, Nana (d’après Émile Zola, 1926), puis dans unesérie de réalisations très diverses. La Chienne (1931) marque un tournant dans son œuvre. C’est un despremiers films parlants, qui offrait à Michel Simon l’un de ses plus beaux rôles. Il tourne ensuite une

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série de chefs-d’œuvre naturalistes�: Boudu sauvé des eaux (1932), Le Crime de M. Lange (1935), Unepartie de campagne (1936, sorti en 1946). À partir de 1936, il s’efforce de mettre en scène les enjeuxpolitiques et sociaux de son époque�: Les Bas-Fonds (1936), La Grande Illusion (1937), La Bête humaine(1938). Dans La Règle du jeu (1939), il brosse un tableau sans complaisance des mœurs de la sociétéfrançaise.Exilé aux États-Unis en 1940, il prend la nationalité américaine. S’adaptant difficilement au systèmehollywoodien, il réalise néanmoins plusieurs films de commande. De retour en Europe au début desannées 1950, il tourne encore quelques films. Rencontrant des difficultés de plus en plus importantespour les produire, il se tourne vers la télévision, puis se consacre à l’écriture (Renoir, mon père, 1962�;Ma Vie et mes Films, 1974). En 1970, il prend sa retraite à Beverly Hills, où il décède en 1979.

L’œuvreSe reporter à la réponse à la question 4 (livre de l’élève, p.�170).

Travail proposé–�Imaginez un dialogue entre Marceau et le Marquis sur les relations des domestiques avec leursmaîtres, en cette première moitié du XXe�siècle.

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C O M P L É M E N T SA U X M I S E S E N S C È N E

! Texte complémentaireJean Donneau de Visé, Le Mercure galant, lettre du 12�mars 1672Jean Donneau de Visé (1638-1710) fut auteur dramatique, romancier, journaliste. Il fonda, en 1672,le journal Le Mercure galant.«�Jamais en une seule année l’on ne vit tant de belles pièces de théâtre, et le fameux Molière ne nous a point trompésdans l’espérance qu’il nous avait donnée il y a tantôt quatre ans, de faire représenter au Palais-Royal, une pièce comiquede sa façon, qui fût tout à fait achevée. On y est bien diverti, tantôt par ces précieuses ou femmes savantes, tantôt par lesagréables railleries d’une certaine Henriette, et puis par les ridicules imaginations d’une visionnaire, qui se veut persuader,que tout le monde est amoureux d’elle. Je ne parle point du caractère d’un père, qui veut faire croire à un chacun, qu’ilest le maître de sa maison, qui se fait fort de tout quand il est seul, et qui cède tout dès que sa femme paraît. Je ne disrien aussi du personnage de M.�Trissotin, qui tout rempli de son savoir, et tout gonflé de la gloire, qu’il croit avoirméritée, paraît si plein de confiance de lui-même, qu’il voit tout le genre humain fort au-dessous de lui. Le ridiculeentêtement qu’une mère, que la lecture a gâtée, fait voir pour ce M.�Trissotin, n’est pas moins plaisant�; et cetentêtement, aussi fort que celui du père dans Tartuffe, durerait toujours, si par un artifice ingénieux de la fausse nouvelled’un procès perdu, et d’une banqueroute, (qui n’est pas d’une moins belle invention que l’exempt dans l’Imposteur) unfrère, qui, quoique bien jeune, paraît l’homme du monde du meilleur sens, ne le venait faire cesser, en faisant ledénouement de la pièce. Il y a au troisième acte une querelle entre ce M.�Trissotin, et un autre savant, qui divertitbeaucoup�; et il y a au dernier, un retour d’une certaine Martine, servante de cuisine, qui avait été chassée au premier,qui fait extrêmement rire l’assemblée par un nombre infini de jolies choses qu’elle dit en son patois, pour prouver que leshommes doivent avoir la préférence sur les femmes. Voilà confusément ce qu’il y a de plus considérable dans cettecomédie, qui attire tout Paris. Il y a partout mille traits d’esprit, beaucoup d’expressions hardies, et beaucoup de manièresde parler nouvelles et hardies, dont l’invention ne peut être assez louée, et qui ne peuvent être imitées. Bien des gens fontdes applications de cette comédie, et une querelle de l’auteur, il y a environ huit ans, avec un homme de lettre, qu’onprétend être représenté par M.�Trissotin, a donné lieu à ce qui s’en est publié�; mais M.�Molière s’est suffisammentjustifié de cela par une harangue qu’il fit au public, deux jours avant la première représentation de sa pièce�: et puis ceprétendu original de cette agréable comédie ne doit pas s’en mettre en peine, s’il est aussi sage et aussi habile homme quel’on dit, et cela ne servira qu’à faire éclater davantage son mérite, en faisant naître l’envie de le connaître, de lire ses écrits,et d’aller à ses sermons. Aristophane ne détruisit point la réputation de Socrate en le jouant dans une de ses farces, et cegrand philosophe n’en fut pas moins estimé de toute la Grèce. Mais pour bien juger du mérite de la comédie dont jeparle, je conseillerais à tout le monde de la voir, et de s’y divertir, sans examiner autre chose, et sans s’arrêter à la critiquede la plupart des gens qui croient qu’il est d’un bel esprit de trouver à redire.�»Travail proposé�: Une telle critique serait-elle possible aujourd’hui�?Donneau de Visé accorde la primauté au texte. Ni le décor ni le jeu des acteurs ne sont évoqués, encoremoins la «�mise en scène�», notion qui n’existait pas au XVIIe�siècle. Une telle critique serait inimaginableaujourd’hui. Ce qui faisait événement alors était le texte, tandis que l’intérêt se porte de nos jours sur salecture, à travers l’interprétation qu’en proposent le metteur en scène et les comédiens.

! Étude des photographies de mises en scèneMise en scène de Catherine Hiégel�: Henriette et Armande (I, 1, p.�23)Travail proposé�: La posture des comédiennes vous semble-t-elle fidèle à ce que suggère letexte de Molière ?Jacques Lassalle, lors d’une répétition de Dom Juan, dit aux deux comédiennes qui interprètentCharlotte et Mathurine, pour les encourager à se livrer aux étreintes de Don Juan�: «�Vous jouezd’abord l’abandon, le bien-être, en éteignant complètement la revendication. Et cela c’est superbe. Le texte dit unechose, et vous en dites une autre, et le mélange est… [geste et intonation suggérant l’admiration]�» Ce partipris semble adopté dans cette scène par Catherine Hiégel. La proximité des corps et la tendresse de lagestuelle contrastent avec les paroles et soulignent l’ambiguïté du personnage d’Armande(cf.�questionnaire�1, réponse à la question�4).

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Mise en scène de Jean-Paul Roussillon�: Chrysale, Bélise et Philaminte (II, 7, p.�52)Travail proposé�: En quoi cette photographie souligne-t-elle l’incapacité des personnages à separler�?Au premier plan, Chrysale ferme les yeux, le visage fatigué et amer. Sa posture manque d’élégance etle ridiculise�: jambes écartées sur un fauteuil auquel il ne s’adosse pas, la main gauche posée sur la tablede travail de Philaminte, il semble à bout. Il tourne le dos à sa femme et ne se rend pas compte qu’ellene l’écoute pas.En effet, Philaminte consulte d’un air soucieux les livres et les papiers qui encombrent sa table.Derrière elle, Bélise passe d’un air affairé et se dirige vers des instruments de chimie, placés derrière sabelle-sœur. Deux mondes se côtoient, sans se rencontrer.

Mise en scène de Simon Eine�: Bélise, Vadius, Philaminte, Armande, Trissotin (III, 3, p.�109)Travail proposé�: La posture des personnages rend-elle compte du comique de cette scène�?Les cinq personnages, de Bélise (à gauche) à Trissotin (à droite), forment une ligne descendante quiaccentue le dépit et l’abattement de l’auteur du Sonnet à la princesse Uranie.Bélise, debout, paraît ravie et ne perçoit pas le conflit latent. Échangeant un sourire, Armande et satante semblent décalées. Manipulées par Philaminte, elles n’ont pas encore compris ce qui se passe.Cette dernière, en revanche, tourne le visage vers le public, comme les deux pédants. Ces troispersonnages se détachent de l’extase enthousiaste dans laquelle Bélise et Armande sont encoreplongées. Philaminte occupe le centre de la scène avec une expression de fierté noble, qui vise àimiter sans doute le sérieux des deux «�savants�». Vadius, sur sa droite, semble très content de lui.Bien-portant, il tient sa sacoche sur ses genoux et pose sans daigner sourire. Armande, vêtue enhomme, est assise aux pieds de Vadius et de Philaminte. Elle semble enchantée et tourne le dos àTrissotin. À l’écart, le cheveux gras et plat, le visage triste, ce dernier est dépité. Vadius occupe eneffet le devant de la scène et monopolise l’attention de Bélise et d’Armande.La disposition géométrique des personnages, le masque impavide des uns et l’enthousiasme benêt desautres contrastent, faisant d’eux des pantins. Le comique provient aussi du décalage entre ce quesemblent percevoir certains et ce que vivent les autres.Cette mise en scène vise à souligner la drôlerie d’une pièce dont la mécanique comique est trèsefficace.

Mise en scène de Jean-Paul Roussillon�: Clitandre et Armande (IV, 2, p.�119)Travail proposé�: Qu’expriment le visage, le costume et la posture d’Armande�?Toute de noir vêtue, Armande semble à la fois austère et endeuillée. Son visage affligé se détourne deClitandre, et le geste timide de ses mains révèle sa défaite. Tout en elle est dirigé vers le bas�: sonvisage, son regard, ses bras. Armande est désormais impuissante�: elle a joué ses dernières cartes. Cettefemme douloureuse prend la dimension d’un personnage de tragédie. Victime secondaire d’un dramedans lequel elle n’a pas sa part, elle pourrait rappeler Hermione (Racine, Andromaque).

Mise en scène de Simon Eine�: Chrysale et Philaminte (II, 8, p.�155)Travail proposé�: Quel est ici le parti pris du metteur en scène�?La scène 8 de l’acte II est la seule au cours de laquelle Chrysale et Philaminte sont ensemble sanstémoin. Après le sévère affrontement de la scène précédente, ces retrouvailles amoureuses sontinattendues. Philaminte, assise sur les genoux de son mari éperdu, profite de l’ascendant qu’elle a surlui. La sensualité assurée de cette femme rend plus complexe la psychologie de ce personnage etrenforce son humanité. De même, un Chrysale plus tourmenté échappe à la caricature. La posture desdeux personnages est en décalage avec ce qu’ils se disent à ce moment-là, puisque Philaminte annonceà Chrysale son choix de Trissotin comme gendre. Le rapprochement des corps contraste donc avec lecontenu des paroles, comme le souligne la divergence des regards. Ce qui a raison des bonnesintentions de Chrysale n’est pas seulement une faiblesse constitutionnelle, mais surtout son désirinsatisfait d’une femme qui lui impose une tyrannie à la fois intellectuelle et physique.

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Mise en scène de Catherine Hiégel�: Bélise, Philaminte, Chrysale (V, 4, p.�176)Travail proposé�: En quoi l’expression des comédiens exprime-t-elle la différence detempérament des deux époux�?Chrysale et Philaminte sont assis à terre. Cette position correspond à la débâcle financière qu’ilscroient avoir subie. Chrysale, le visage hagard, scrute la réaction de Philaminte, avec qui il voudraitpartager sa détresse. Cette dernière, au contraire, détourne son regard et garde un visage beaucoupplus impassible. Même dans l’adversité commune (position à terre), les époux restent éloignés(divergence des regards) et inégaux (mépris de Philaminte, regard quémandeur de Chrysale).

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B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

Molière et la comédie–�Jacques Audiberti, Molière dramaturge, coll.�«�Les Grands Dramaturges�», L’Arche, 1954.–�Claude Bourqui, Les Sources de Molière, SEDES, 1999.–�Michel Corvin, Lire la comédie, Dunod, 1994.–�Roger Guichemerre, La Comédie classique en France, de Jodelle à Beaumarchais, PUF, 1978.–�Gustave Lanson, «�Molière et la farce�», in Revue de Paris, mai 1901.–�Gustave Reynier, Les Femmes savantes de Molière, Mellotée, 1937.–�Francisque Sarcey, «�Molière et la comédie classique�», in Quarante Ans de théâtre�: feuilletonsdramatiques, t.�II, Bibliothèque des annales politiques et littéraires, 1900.

Les sources et les contemporains de Molière–�Larivey, Le Fidèle (1611).–�Jean-Pierre Camus, Alexis (1622).–�Jean Desmarets de Saint-Sorlin, Les Visionnaires (1637).–�Madeleine de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653).–�Pedro Calderón de la Barca, No hay burlas con el amor (1650).–�Saint-Évremond, Comédie des académistes (1650).–�Nicolas Boileau, Satires (1666-1668).–�Chappuzeau, L’Académie des femmes (1661).–�Antoine Furetière, Le Roman bourgeois (1666).

Le savoir et les femmes dans le théâtre de Molière–�L’École des femmes (1662).–�La Critique de l’École des femmes (1663).–�L’Impromptu de Versailles (1663).–�Les Précieuses ridicules (1659).–�La Comtesse d’Escarbagnas (1671).–�Les Femmes savantes (1672).

Sites Internet–�www.toutmoliere.net–�www.site-moliere.com–�www.comedie-francaise.fr