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Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle La Bruyère Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 29 établi par Armelle Vautrot-Allégret, certifiée de Lettres modernes, formatrice à l’IUFM de Paris

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Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle

La Bruyère

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n° 29

établi par Armelle Vautrot-Allégret,

certifiée de Lettres modernes, formatrice à l’IUFM de Paris

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Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3  

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4  

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5  

Bilan de première lecture (p. 162) ......................................................................................................................................................... 5  

Extrait du chapitre « De la Cour » (§ 74) (pp. 38-39) .............................................................................................................................. 6  u Lecture analytique de l’extrait (pp. 47-48) ......................................................................................................................... 6  u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 49 à 56) ........................................................................................................... 8  

Extrait du chapitre « Des grands » (§ 19 à 21) (pp. 61-62) ................................................................................................................... 12  u Lecture analytique de l’extrait (pp. 63 à 65) ..................................................................................................................... 12  u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 66 à 72) ......................................................................................................... 14  

Extrait du chapitre « Des grands » (§ 50) (pp. 84 à 86) ........................................................................................................................ 18  u Lecture analytique de l’extrait (pp. 90-91) ....................................................................................................................... 18  u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 92 à 97) ......................................................................................................... 21  

Extrait du chapitre « Des ouvrages de l’esprit » (§ 54) (pp. 99 à 101) .................................................................................................. 25  u Lecture analytique de l’extrait (pp. 102-103) ................................................................................................................... 25  u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 104 à 110) ..................................................................................................... 27  

Extrait du chapitre « Des femmes » (§ 43) (p. 114) .............................................................................................................................. 31  u Lecture analytique de l’extrait (pp. 115-116) ................................................................................................................... 31  u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 117 à 124) ..................................................................................................... 33  

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 7  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 2  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2004. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

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Les Caractères – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Une œuvre comme Les Caractères permettra d’étudier le courant classique et l’écriture discontinue, d’aborder différents genres littéraires, tout en s’exerçant aux divers travaux d’écriture caractéristiques du lycée. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

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Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

Transposer pour mieux critiquer (p. 49)

Texte A : Extrait du chapitre « De la Cour » (§ 74) des Caractères de La Bruyère (pp. 38-39). Texte B : Lettre XII des Lettres persanes de Montesquieu (pp. 49-52). Texte C : Extrait du chapitre dix-huitième de Candide de Voltaire (pp. 52-53).

L’apologue (Première) La satire sociale (Seconde, Première, Terminale)

Question préliminaire Comment la fiction se met-elle au service de l’argumentation ? Commentaire Si l’apologue mêle fiction et morale, comment contribue-t-il ici à la critique de la société du XVIIIe siècle ?

Grandeur ou misère : les caprices de la Fortune (p. 66)

Texte A : Extrait du chapitre « Des grands » (§ 19 à 21) des Caractères de La Bruyère (pp. 61-62). Texte B : Extrait des Réflexions ou Sentences et Maximes morales de La Rochefoucauld (pp. 67-68). Texte C : Extrait de la scène 3 de l’acte V du Mariage de Figaro de Beaumarchais (pp. 68-69). Texte D : « Le Chêne et le Roseau » des Fables de Jean Anouilh (pp. 70-71).

Le discours argumentatif : genres et registres (Seconde, Première) Le discours moraliste (Terminale)

Question préliminaire Comment ces documents montrent-ils que la Fortune dirige la condition humaine ? Commentaire En analysant les différentes étapes de ce monologue de comédie, montrer en quoi il dresse un tableau pathétique de la condition humaine.

Le portrait dans tous ses états (p. 92)

Texte A : Extrait du chapitre « Des grands » (§ 50) des Caractères de La Bruyère (pp. 84-86). Texte B : Extrait de Chants d’ombre de Léopold Sédar Senghor (pp. 92-93). Texte C : Extrait de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran d’Éric-Emmanuel Schmitt (pp. 93-94). Document : Les Bons Bourgeois d’Honoré Daumier (pp. 94-95).

La description : formes et fonctions (Seconde, Première) Le portrait (Terminale)

Question préliminaire Quelles fonctions du portrait se dessinent à travers ces différents documents ? Commentaire De quelle manière la description de la femme noire amène-t-elle le poème à évoquer l’Afrique, terre maternelle de l’auteur ?

Les modèles : imitation ou rejet ? (p. 104)

Texte A : Extrait du chapitre « Des ouvrages de l’esprit » (§ 54) des Caractères de La Bruyère (pp. 99-101). Texte B : Extrait du chapitre III de Racine et Shakespeare de Stendhal (pp. 104-105). Texte C : Extrait du chapitre VI de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 106-107). Texte D : Extrait de Palimpsestes de Gérard Genette (p. 107). Document : Fernand Léger, La Joconde aux clés ou Mona Lisa (p. 108).

Les modèles littéraires (Terminales) La critique littéraire (Première, Terminale)

Question préliminaire Faut-il rejeter ou imiter les modèles, selon ces documents ? Commentaire De quelle manière la réclusion dans le couvent et les lectures de la jeune Emma sont-elles à la source du « bovarysme » ?

Dévotion et autorité (p. 117)

Texte A : Extrait du chapitre « Des femmes » (§ 43) des Caractères de La Bruyère (p. 114). Texte B : Extrait de la scène 1 de l’acte I du Tartuffe de Molière (pp. 117-119). Texte C : Extrait des Mémoires de Saint-Simon (pp. 119-120). Texte D : Extrait de La Pharisienne de François Mauriac (pp. 120-121). Document : Affiche du film Saint-Cyr (p. 122).

La peinture des mœurs (Première, Terminale)

Question préliminaire Critique ou admiration : comment ces documents évoquent-ils la dévotion ? Commentaire Dans quelle mesure ce texte parvient-il à dresser un portrait acerbe de Mme de Maintenon et de la fin du règne de Louis XIV sous l’apparente objectivité du témoignage historique ?

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Les Caractères – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 6 2 )

« De la Cour » et « Des grands » u Les chapitres « De la Cour » et « Des grands » s’attachent à la Cour et précisément à celle de Louis XIV. Les courtisans s’affrontent à grand renfort d’hypocrisie et de manigances pour obtenir quelques faveurs. v La naissance est ce qui scelle la destinée des hommes, et donc leur réussite. La Fortune attribue des rôles aux hommes et il leur est ensuite impossible d’y échapper dans une société où l’on ne peut réussir grâce à son seul mérite. w L’argent (qui est attribué par la Fortune, rappelons-le) crée les conflits d’intérêts, sources d’intrigues et d’inimitiés. Il s’agit de « courtiser » le roi et les grands pour acquérir une bonne place, une pension, et ainsi asseoir sa position sociale. x L’honnête homme est une sorte d’idéal classique, largement évoqué par La Bruyère mais aussi par La Rochefoucauld : il est désintéressé, poli et respectueux des valeurs morales (et non pas des seules valeurs sociales). y § 61 : « il aime la faveur éperdument ». C’est cette passion qui guide chacun de ses pas dans le monde. U La vie de la Cour est un jeu, un concours d’apparences (§ 64…). V § 68 : il a rêvé qu’il rencontrait le prince ; son songe s’est réalisé au-delà de ses espérances car non seulement il l’a rencontré, mais, surtout, il est devenu favori. W § 99 : le monde est un théâtre où chacun joue un rôle (et souvent un rôle de comédie pour La Bruyère). X Souvent évoqué dans le chapitre « Des grands » (§ 34, 37…), « un homme en place » est celui qui a bénéficié de quelque faveur et peut être maintenant chargé de tâches respectables (administration d’une province…) ; il est définitivement perverti et redevable au grand qui l’a aidé à s’élever. L’homme en place est très envié, donc détesté des arrivistes et des envieux. at § 15 : « Il a voulu, il veut, et il voudra gouverner les grands. » Pour ce faire, Théophile multiplie les intrigues : il s’insinue dans les milieux qu’il convoite, y noue des amitiés, y offre ses services et son dévouement tant que cela peut servir son élévation. La métaphore médicale est très ironique de la part de La Bruyère. ak § 50 : Pamphile est blâmable pour son comportement envers les autres : il utilise ceux qui peuvent lui servir et les méprise aussitôt qu’il n’en a plus l’utilité. Il sert à chacun le discours qui ne le met pas dans une situation d’infériorité : il parle histoire aux femmes, poésie avec un docteur. C’est un manipulateur et un menteur.

Extraits choisis al « Des ouvrages de l’esprit » (§ 54) : La Bruyère compare Corneille et Racine ; le premier excelle, selon lui, dans la mise en scène de l’action, et le second dans la mise en scène des passions. am « Des femmes » (§ 43) : les femmes penchent naturellement vers la dévotion, et surtout la fausse dévotion, celle qui repose sur les apparences et non sur la foi. an « De la société et de la conversation » (§ 9) : Arrias prétend toujours connaître tout le monde et avoir tout vu ; un jour qu’il raconte être familier d’un ambassadeur de France, Séthon, il se retrouve pris en flagrant délit de mensonge, dans une conversation, par Séthon lui-même ! ao « Des biens de fortune » (§ 83) : Giton est riche et Phédon est pauvre ; l’un et l’autre apparaissent comme des caricatures de leur classe sociale. ap « De l’homme » (§ 7) : Ménalque est maladroit, dans les actes comme dans les paroles. aq Dans plusieurs paragraphes, la religion est évoquée sous un angle très critique : tantôt elle s’accompagne d’abus de pouvoir, tantôt elle repose sur des apparences plus que sur des intentions louables. Dans le chapitre « De la chaire », le premier paragraphe montre que la religion se pratique comme le théâtre : « On n’écoute plus sérieusement la parole sainte ; c’est une sorte d’amusement entre mille autres, c’est un jeu […]. » On en revient à l’image du théâtre du monde !

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Réponses aux questions – 6

E x t r a i t d u c h a p i t r e « D e l a C o u r » ( § 7 4 ) ( p p . 3 8 - 3 9 )

u Lecture analytique de l’extrait (pp. 47-48) u Les paragraphes qui précèdent tournent autour des travers de la Cour en critiquant tour à tour les jeux d’influence qui s’y déroulent et les intrigues des courtisans pour se hisser aux plus hautes places et obtenir des faveurs. Lorsque les sentences cèdent la place au portrait long et construit, le texte s’étire pour mieux cerner l’objet de la critique (cf. Théodote, § 61). Cependant, celles qui précèdent directement notre extrait sont courtes et incisives (cf. § 69 à 73). Là, le texte ne s’étire pas autour d’un portrait, et il se distingue pourtant par sa longueur. Ici, la Cour est transposée dans un « ailleurs ». La place de ce texte par rapport à ce qui précède et ce qui suit manifeste une certaine approximation, de la même manière que le pays dont il est question ici est impossible à situer, et ses contours demeurent flous. v À deux reprises, La Bruyère utilise l’adverbe « ailleurs », nous projetant immédiatement dans un endroit éloigné de la cour de Louis XIV. Cet adverbe est relayé par des groupes nominaux aux contours guère plus définis : « une région », « cette contrée ». Nul nom, même imaginaire, n’est donné à ce lieu. Aucune précision architecturale ne vient nous éclairer ; le seul endroit évoqué est l’église, elle-même mal définie puisqu’il s’agit d’« un temple qu’ils nomment église ». Le lecteur pourra alors se représenter cet ailleurs comme il le souhaite et ne s’attarder surtout que sur l’évocation des mœurs et l’organisation du culte. w La mention des Hurons apparaît comme une redondance par rapport aux Iroquois, puisqu’il s’agit d’Indiens d’Amérique. Les Hurons sont évoqués au siècle suivant par Voltaire et suscitent la notion d’altérité, de relativité des mœurs. Au XIXe siècle, chez Chateaubriand, le héros de René trouvera l’amour chez une peuplade similaire, les Natchez. La référence aux Hurons entraîne l’imagination du lecteur par-delà les mers ; il est plus aisé alors d’accepter le dépaysement : les vêtements, les coutumes, les rites différents de ceux de la cour de Louis XIV. x L’organisation épouse les degrés de la société : – le sexe fort : les vieillards sages, les jeunes corrompus ; – le sexe faible : les femmes tentatrices et vulgaires ; – les grands de la nation ; – le prêtre, le roi et Dieu, unis ici dans un même rituel. Cette organisation est pyramidale : à la nuée du peuple (servie par les indices de pluralité « les » / « ces » et l’indéfini qui cache la quantité) s’opposent d’abord la poignée des grands puis la singularité du prêtre, du roi et de Dieu, bien entendu. y La localisation, nous l’avons vu, est très approximative. Il en va de même pour l’ancrage temporel : le présent, atemporel, rend compte ici d’une époque incertaine. Chaque catégorie humaine est servie par l’usage de l’article défini pluriel (« les ») et quelques traits descriptifs rapides. Ces catégories sont finalement à peine effleurées et surtout caricaturées. La tournure relative « Ceux qui habitent cette contrée » (l. 633-634) ancre davantage encore la description dans l’indéfini et le flou. Qui sont-ils et quelle est cette contrée ? Les catégories moins nombreuses sont aussi peu définies : on ignore qui est le roi, et même le nom de leur dieu (l. 649-650 : « Les gens du pays le nomment *** ») ! Ce qui aurait dû être la description d’un rite religieux se termine par une vague manifestation de dévotion, ou plutôt de subordination. Même de cela La Bruyère n’est pas certain : le rite s’accomplit à « une certaine heure », dans un lieu qui semble être un lieu de culte (temple ? église ?) et ressemble en fait à « une espèce de subordination » (l. 648) plutôt qu’à une prière fervente ! L’ancrage spatio-temporel est donc très imprécis mais les personnages ne sont pas mieux servis, eux qui ont « une physionomie pas nette, […] confuse » (l. 634-635). U On attendra des élèves qu’ils repèrent : – les attributs des vieillards : « galants, polis et civils » (l. 619-620) ; – les attributs des jeunes : « durs, féroces, sans mœurs ni politesse » (l. 620-621) ;

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Les Caractères – 7

– les C.O.D. du verbe peindre pour décrire les coutumes des femmes : « leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles » (l. 630-632) ; – leur physionomie décrite comme « pas nette, mais confuse, embarrassée » (l. 634-635) ; – la perruque, dont les habitants de ce pays sont friands et qui « descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage » (l. 637-638) ; – les rites religieux : « des mystères qu’ils appellent saints, sacrés, redoutables » (l. 642-643). Qu’il s’agisse des personnages ou de leurs mœurs, l’accumulation semble surajouter les détails pour finalement tronquer l’information ou du moins la rendre plus floue. On en sait assez pour saisir la visée de ce texte, mais pas suffisamment pour étendre le champ référentiel à d’autres époques, d’autres peuples. C’est à partir de là que la force du moraliste opère. V Le texte, bien que s’étendant sur plusieurs dizaines de lignes, ne contient que 7 phrases (sous-entendu : 7 unités allant d’une majuscule à un point final). De fait, ces phrases sont très longues. La Bruyère use et abuse ici de la parataxe et de l’hypotaxe : – La parataxe : la 1re phrase est à ce titre éloquente et montre de quelle manière le moraliste concentre la présentation des autochtones en quelques propositions indépendantes réunies essentiellement par un signe de ponctuation (deux-points et point-virgule). La phrase allant de « Ces peuples d’ailleurs » à « tout le cœur appliqués » montre aussi de quelle manière la phrase s’allonge et englobe en elle tout ce qu’elle peut fournir d’informations sur la religion et le système politique de ce peuple. La juxtaposition des propositions finit par nuire à l’information tant on peut y perdre le fil et en oublier l’essentiel : de qui parle-t-on ? qu’en dit-on ? – L’hypotaxe : au sein de ces phrases déjà étirées et surinformées, les propositions relatives viennent ajouter encore au contenu déjà dense : « une région où les vieillards » (l. 619), « un âge où l’on commence » (l. 622), « des artifices qu’elles croient servir » (l. 629), « une épaisseur de cheveux étrangers qu’ils préfèrent aux naturels, et dont ils font un long tissu » (l. 635-636), « un temple qu’ils nomment église » (l. 640-641), « un autel […] où un prêtre célèbre » (l. 641-642), « le roi, que l’on voit […] et à qui […] » (l. 646-647). L’hypotaxe et la parataxe devraient contribuer à apporter des précisions sur les événements et les éléments évoqués ici. Mais ils contiennent eux aussi leur lot d’indétermination (notamment une abondance d’indéfinis ou de pluriels généralisants) et ne font souvent que renforcer le flou ambiant. W Les rattachements à l’écriture moraliste sont : – les indices de personnes : les pronoms de la 1re et de la 2e personne ne sont pas présents ici, comme c’est parfois le cas dans Les Caractères. En revanche, la 3e personne, ici omniprésente, sollicite essentiellement l’indéfini ou l’impersonnel (« on parle de », « on commence », « il ne manque », « il y a », « on voit », « on ne laisse pas »). Cette 3e personne participe de l’effet de généralisation et d’indéfini propre à la maxime et aux autres formes de discours moralistes ; – les indices spatio-temporels : ces indices sont, nous l’avons déjà vu, indéfinis et ancrent la description des mœurs dans un temps (présent atemporel, « à une certaine heure ») et un lieu bien peu déterminés. Même l’usage de l’adjectif démonstratif ne renforce pas l’ancrage spatio-temporel ; il contourne la référence : qui sont « ces peuples » ? où est « cette contrée » ? à quel culte « ce temple » est-il vraiment destiné ? à quoi ressemble « cet autel » et à quoi est destiné « cet usage » ? – les modalisateurs : ils ne sont pas aussi faciles à repérer que dans la plupart des caractères ; pourtant, la subjectivité se dessine derrière les figures de style comme l’accumulation, le chiasme, mais aussi la rétention de l’information (« une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse », « un temple qu’ils nomment église », « une espèce de subordination »). Le système énonciatif permet au texte de s’ouvrir à toute interprétation. La situation évoquée ici peut s’adapter à toute époque et tout lieu. On y reconnaît ce que l’on veut et qui l’on veut. X Le pronom indéfini et l’impersonnel révèlent la voix du moraliste. Ces pronoms ne sont pas si impersonnels qu’ils veulent le faire croire et permettent au moraliste de parler à visage couvert pour contourner la censure ou du moins ne pas recevoir un accueil défavorable. De même, le présent atemporel offre au moraliste la couverture de l’universel. Mais, que l’on ne s’y trompe pas, c’est bien son époque et ses contemporains qu’il vise ! Ces procédés sont très pratiqués par les moralistes, comme La Rochefoucauld dans ses Réflexions ou Sentences et Maximes morales (§ 186 : « On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices ; mais on méprise tous ceux qui n’ont aucune vertu » ; § 499 : « On ne compte d’ordinaire la première galanterie des femmes que lorsqu’elles en ont une seconde ») ou encore Pascal dans ses Pensées (§ 37, « Vanité » : « La douceur de la gloire est si grande qu’à quelque objet qu’on l’attache, même à la mort, on l’aime »).

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Réponses aux questions – 8

at Le chiasme se trouve à la fin du texte : « Ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu » (l. 649). Cette tournure est la deuxième partie d’une construction paratactique (en parataxe) : « On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination ; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu » (l. 647-649). Ici, la parataxe s’articule sur un point-virgule qui aurait tout aussi bien pu être remplacé par deux-points car la seconde partie de la phrase explique la réflexion clairement subjective du moraliste. On croit assister à la description d’un rituel religieux et cela se transforme en fait en dépendance réversible : celui qui est adoré adore lui aussi ; il reconnaît donc plus grand que lui. Le prince, ici, n’est pas l’équivalent de Dieu sur Terre, comme l’était Louis XIV. Le chiasme opère une hiérarchisation des êtres, de la masse informe du peuple à la singularité divine ; la critique porte sur le peuple (l’adoration connote l’aveuglement, la confiance sans limite) mais aussi sur le prince finalement assujetti lui aussi à une autorité supérieure – Dieu, ou plutôt la religion. ak La généralisation opérée par le système énonciatif (temps, lieux, personnes) et le flou des informations fournies par le texte peuvent renvoyer à n’importe quelle société, pour peu que l’on veuille en démasquer les travers. La parole du moraliste vise l’universalité, car les vices des hommes sont éternels. On peut presque retrouver dans ce texte un concentré de l’organisation générale des Caractères : en effet, le chapitre sur les femmes précède ceux sur la Cour et sur les grands, sur le souverain et enfin celui sur la chaire. La structure interne du texte apparaît comme une mise en abyme de la structure globale de l’ouvrage. La transposition de la fiction à la réalité contemporaine de La Bruyère est donc aisée.

u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 49 à 56)

Examen des textes u Présentation des lieux, des personnages et des mœurs dans les trois textes du corpus : – Texte A : l’indéfini est à l’honneur ; l’ancrage référentiel et spatio-temporel est quasi inexistant – ce qui rend le texte universellement adaptable. Les personnages sont présentés suivant la pyramide sociale et on ne sait d’eux que quelques traits caricaturaux, assez marqués cependant pour saisir toute la portée critique de cette évocation. La politique et la religion sont présentes dans cette description pourtant courte et lacunaire. – Texte B : le Persan Usbek a recours à l’histoire des Troglodytes pour illustrer son propos sur le bonheur des hommes ; il a présenté dans la lettre précédente les raisons de leur déchéance (la cupidité et autres vices décriés aussi par Rousseau), et là, il explique de quelle manière deux bons Troglodytes surent ramener la paix dans leur peuple. Ici aussi nous sont présentés des habitants (hommes, femmes, enfants) vivant en harmonie avec la nature, puis leurs rituels religieux (ils sont polythéistes) et leur système politique (sorte d’autogestion communautaire : « le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille »). L’ancrage temporel est très flou, et il en est de même pour l’ancrage spatial, bien que les renseignements semblent abonder. Dès la lettre XI, la situation est assez lointaine pour nous dépayser et nous faire accepter l’imprécision de l’inconnu (« Il y avait en Arabie un petit peuple »), comme le fait La Bruyère en situant son histoire par rapport aux Hurons et aux Iroquois. – Texte C : l’extrait appartient à un ensemble ancré clairement dans l’imaginaire, celui d’un conte philosophique, d’autant que l’Eldorado désigna, dès le XVIe siècle, un lieu mythique où aurait vécu un chef indien richissime, qui s’enduisait le corps de poussière d’or (on le surnomma el Dorado, « le Doré » en espagnol) lors des célébrations. Plusieurs expéditions essayèrent de trouver cette contrée, mais aucune n’aboutit et on en déduisit qu’il s’agissait d’une invention. L’Eldorado décrit par Voltaire est un pays d’harmonie, où aucun vice ne vient entraver la bonne entente des habitants. Tout y est enchanteur : ce sont de belles femmes qui montent la garde ; le lieu où arrivent les personnages est luxueux ; le roi est chaleureux et sans défiance envers les étrangers ; il n’y a pas de prison car le mal n’existe pas ; tout y est beau. v Si La Bruyère, Montesquieu et Voltaire n’hésitent pas à recourir à la 1re personne dans d’autres textes, tel n’est pas le cas ici. C’est d’ailleurs une propriété de ces transpositions vers l’exotisme et/ou l’imaginaire : la voix des moralistes ou des philosophes se fait entendre à travers les indices de subjectivité essentiellement. Dans les trois textes cependant, l’usage du pronom indéfini « on » cache à peine, par son universalité, la présence du locuteur.

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Les Caractères – 9

Chez Montesquieu, le pronom personnel « nous » dévoile davantage encore la personne du locuteur qui inclut son « je » dans cette pluralité, d’autant qu’elle se manifeste dans des tournures quasi proverbiales : « La vertu n’est point une chose qui doive nous coûter », « La justice pour autrui est une charité pour nous ». Montesquieu s’offre aussi une magnifique interrogation rhétorique caractéristique de la présence du locuteur : « Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? », dont la réponse semble être : « Moi, l’auteur de ces lignes, je le peux ! » w Plus subtilement et en marge du système énonciatif, les figures de style manifestent la volonté rhétorique des locuteurs, donc leur présence derrière leurs lignes : – Texte A : voir la réponse à la question 6 de la lecture analytique. – Texte B : « ils avaient de l’humanité ; ils connaissaient la justice ; ils aimaient la vertu » (cette accumulation de propositions courtes cerne très vite les caractéristiques des deux bons Troglodytes, qui s’opposent aux vices des mauvais, décrits dans la lettre précédente) ; « demander la santé de leurs pères, l’union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l’amour et l’obéissance de leurs enfants » (cette accumulation de requêtes s’oppose à la négation restrictive « ils n’étaient au pied des autels que pour » ; on voit avec quelle dévotion les habitants sollicitent leurs dieux, et, en même temps, la simplicité de leurs prières). – Texte C : « si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle » (l’accumulation porte ici sur des propositions interrogatives et montre que, face à l’étranger et à la nouveauté, Candide et Cacambo posent des questions bien saugrenues qui reflètent la difficulté à comprendre l’autre et à l’appréhender comme un semblable, un être civilisé). Les accumulations attirent l’attention du lecteur sur les travers de la société décrite ou la manière dont elle est appréhendée par ceux qui la découvrent. Dans ces trois textes, les accumulations entrent dans le cadre d’une description dévoyée puisque destinée à nous mettre en évidence les défauts de la société contemporaine du locuteur. x L’apologue fait partie des textes argumentatifs, comme l’essai, le pamphlet, les maximes et d’autres encore. Sa spécificité est cependant d’utiliser la forme de la fiction : par analogie, le support fictionnel (descriptif, narratif) permet de dégager une argumentation tantôt sous-jacente (c’est le cas ici), tantôt explicite (comme la morale liminaire ou finale d’une fable de La Fontaine ou d’un conte de Perrault). L’apologue est un texte argumentatif séduisant : la transposition fictive (qui plus est ici exotique) a de quoi ravir et distraire le lecteur, et détourner son attention d’un discours moralisateur pourtant présent en filigrane. Ces trois textes peuvent se définir comme des apologues, même si celui de La Bruyère en est moins proche. Il y a davantage de descriptions que de narration dans son texte. Cependant, les indices stylistiques et linguistiques propres à l’apologue sont bien là : repérage spatio-temporel flou malgré quelques détails (d’ordre architectural essentiellement) ; habitants décrits suivant leur physionomie et leurs mœurs ; type de régime politique et rôle de la religion évoqués systématiquement ; présence du locuteur à peine voilée. y L’utopie, définie comme un « pays imaginaire où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux » (Le Petit Robert), sert, dans les textes B et C, à véhiculer certaines valeurs et à en dénoncer d’autres. Pour autant, chez les philosophes des Lumières, l’utopie n’est pas un modèle recommandé mais l’illustration d’un extrême, car aucun philosophe n’invite à la béatitude ou à l’aveuglement. Il s’agit surtout d’inviter le lecteur à réfléchir en comparant sa société à celle d’un monde parfait : – les lieux : la nature et l’architecture offrent des visions enchanteresses ; aucun milieu n’est hostile à l’homme ; – les habitants sont accueillants et solidaires ; les femmes sont belles, aimantes et fidèles ; – les sens sont constamment flattés par des senteurs, des sons, des mets délicieux ; – les esprits sains s’accommodent de l’obédience aussi bien religieuse que politique (quand l’une ou l’autre existe) ; il n’y a ni contrainte, ni despotisme ; – le crime n’existe pas ; la justice et l’équité règnent d’elles-mêmes sans qu’une instance soit nécessaire. Le lexique est éminemment mélioratif (exemples : « ces vertueuses mains », « d’heureux mariages », « des heureux Troglodytes », « le tendre sacrifice de leur cœur », « les délices de la vie champêtre », pour le texte B ; « supériorité prodigieuse », « vingt belles filles », « avec toute la grâce imaginable », « les bons mots » pour le texte C) et les exagérations sont pléthoriques pour montrer dans quelle félicité vivent les Troglodytes ou les habitants d’Eldorado.

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Réponses aux questions – 10

U L’essentiel des critiques porte sur la fin du règne de Louis XIV mais aussi sur les vices et travers de la société contemporaine (fin XVIIe, début XVIIIe siècle) : – les femmes étaient peu éduquées et n’existaient guère que par leur mariage : Montesquieu les montre destinées à se marier dès leur jeunesse (« c’est là que la pudeur virginale faisait en rougissant un aveu surpris, mais bientôt confirmé par le consentement des pères ; et c’est là que les tendres mères se plaisaient à prévoir par avance une union douce et fidèle ») ; Voltaire, lui, les place utopiquement à des fonctions masculines (« Vingt belles filles de la garde », « les grandes officières de la couronne ») et œuvre donc avant l’heure pour la parité ; – l’équité et la justice ne régnaient pas réellement dans un régime où dominaient les faveurs et les conflits d’intérêts : Montesquieu, lui, décline la vertu sous tous les angles (par le biais du polyptote : vertu, vertueuses), source du respect et de la courtoisie entre les hommes ; Voltaire présente un monde où aucun tribunal ni aucune prison ne sont nécessaires ; – la religion a guidé toute la fin du règne de Louis XIV sous l’influence de la dévote et austère Mme de Maintenon : à ce monothéisme oppressant, Montesquieu oppose un polythéisme rassurant, efficace sans oppression (« Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu’il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre ; et la religion vint adoucir dans les mœurs ce que la nature y avait laissé de trop rude. Ils instituèrent des fêtes en l’honneur des dieux »), et Voltaire représente son monarque non pas de droit divin et de statut dictatorial, mais tolérant, proche de ses sujets ; – la société était dominée par l’argent, plus que par le mérite et la valeur personnels : chez les Troglodytes, nul argent ne circule, puisque chacun partage sans chercher à s’enrichir ; dans l’Eldorado, on apprend un peu avant cet extrait que l’or y est appelé « la boue jaune ». L’utopie sert de prisme à la société contemporaine des auteurs de ces textes. Soit par analogie, soit par opposition, on découvre facilement les cibles de l’apologue : le lecteur doit être amené à s’interroger sur le bien-fondé de ses règles sociales.

Travaux d’écriture

Question préliminaire On fera rechercher aux élèves ce qui relève : – du système énonciatif ; – de la présence plus ou moins implicite du locuteur ; – de l’organisation de la description des lieux, des hommes et des mœurs ; – des procédés stylistiques mis en œuvre dans ces descriptions (accumulation, rétention d’information, hypotaxe et parataxe, chiasme, lexique mélioratif et péjoratif s’il y a lieu…). Cette analyse doit les amener à comprendre de quelle manière la critique sous-jacente se dessine de plus en plus clairement au fil de l’étude approfondie de ces textes. Commentaire On pourra proposer un commentaire organisé autour des trois axes suivants :

1. Comment sont décrites la vie et les mœurs des Troglodytes ? A. Une vie communautaire harmonieuse, dans la famille et en dehors de la famille B. Une vie champêtre, frugale et festive

2. Quelles sont les valeurs défendues par les Troglodytes ? A. Le refus du monde d’avant et des vices qui le caractérisaient B. La vertu, garante de l’harmonie et étendue à tous les domaines C. La crainte des dieux

3. Quel est le rôle véritable de cette utopie ? A. L’expression d’un idéal subversif B. La critique sous-jacente : dénoncer les travers de la société française

Conclusion Finalement, il apparaîtra que cette lettre décrit une utopie sociale, fondée sur la vertu et la tolérance, et dont les membres mènent une vie simple mais parfaitement policée. Mais il s’agit là d’une

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Les Caractères – 11

caricature dont l’auteur se sert pour dénoncer la société de son temps, comme il ne cessera de le faire à travers ses Lettres persanes. Montesquieu, comme Voltaire d’ailleurs, pense qu’il faut arrêter de rêver à un âge d’or et plutôt chercher un équilibre, une harmonie dans celui qui existe. Dissertation Il faudra s’appuyer sur les textes apologétiques présentés ici mais aussi sur des textes appartenant à d’autres genres, comme les fables de La Fontaine ou les contes de Perrault ; on pourra également solliciter tous les genres : le théâtre (tirades fortement teintées de critique sociale chez Molière et Beaumarchais), la poésie (outre la fable, la poésie engagée), le roman (notamment des romans du XXe siècle comme ceux de Malraux). Les élèves peuvent naturellement utiliser des extraits ou des œuvres entières. On pourra proposer le plan suivant :

1. L’apologue : un moyen efficace de véhiculer des idées A. La fiction, plaisante et distrayante dans ses apparences (ou le placere, « plaire » en latin, revendiqué par Cicéron) B. Un bon moyen de contourner la censure C. Un moyen de donner aux idées une portée universelle et générale

2. La littérature au service des idées : les risques d’un extrême A. Le discours littéraire risque de s’effacer pour ne servir que les idées et peut y perdre de son esthétique Exemple du théâtre de Brecht, littérature engagée du XXe siècle. B. Les personnages deviennent des types au service d’une idéologie Le laquais qui refuse sa condition, l’étudiant opposé à la guerre ou au fascisme, l’homme révolté par la condition humaine au lendemain des Guerres mondiales… Dépersonnalisation du personnage au profit d’un type, laquelle donne une dimension plus générale au personnage.

3. Un juste milieu : la fiction au service de l’émotion et des idées A. Le règne de l’émotion Au placere s’ajoute le movere (« émouvoir » en latin) de Cicéron : le lecteur touché est plus réceptif. B. La fiction offre une mise à distance par rapport au présent dénoncé, critiqué, et permet de mieux faire accepter la critique

Conclusion Certes, l’apologue met la fiction au service des idées par des moyens stylistiques identifiables, mais d’autres discours littéraires (théâtre, poésie…) en font autant, avec des artifices différents. Cependant, ces textes servent d’autant mieux les idées s’ils conservent leur valeur esthétique. La littérature engagée présente donc un écueil : celui de ne pas plaire aux lecteurs. Or, selon la vieille doctrine cicéronienne, l’art de persuader nécessite de « plaire, émouvoir et instruire » (placere, movere, docere). C’est dans un juste milieu que le texte pourra accomplir sa fonction esthétique et argumentative à part égale. Écriture d’invention Les consignes guident beaucoup les élèves et les amèneront à : – camper les lieux ; – camper les personnages, les habitants ; – camper les mœurs. Cela nécessitera donc de manipuler le discours descriptif tout en recourant à un système spatio-temporel noyant la référence à un lieu ou une époque précis et réels. Les documents du corpus leur serviront d’exemples mais ils pourront aussi penser à des œuvres connues d’eux, comme différents contes philosophiques (Candide, pour ne citer que lui !).

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Réponses aux questions – 12

Puisque la cible doit être notre société actuelle et que la consigne exige qu’on l’identifie aisément, on recommandera aux élèves de réfléchir d’abord à ce qu’ils veulent critiquer (le racisme ? la violence ? le capitalisme ?…) pour construire ensuite leur texte en fonction de leur choix.

E x t r a i t d u c h a p i t r e « D e s g r a n d s » ( § 1 9 à 2 1 ) ( p p . 6 1 - 6 2 )

u Lecture analytique de l’extrait (pp. 63 à 65) u Soulignons d’abord que la forme brève a connu un véritable engouement au XVIIe siècle (on la dit « cultivée » ou « savante »), alors qu’au XVIIIe siècle, on n’y voit plus que « des matériaux pour orner un livre » (Voltaire parlant de La Rochefoucauld). La forme brève peut être « genre indépendant » ou « formule intégrée à un discours continu » (Charlotte Schapira, La Maxime et le Discours d’autorité, Sédès, 1997). Ici, elle peut être considérée comme l’un et l’autre. Pris indépendamment des autres, le paragraphe se suffit à lui-même et fait sens ; mais, nous allons le voir notamment dans cet extrait, le paragraphe est étroitement connecté à l’environnement par divers subterfuges qu’il nous appartient de repérer. C’est tout le paradoxe des Caractères. Pour toutefois définir (et distinguer) chacun de ces paragraphes, notons que : – le § 19 est à mi-chemin entre la maxime et le caractère : le discours est généralisant comme la maxime et juxtapose finalement plusieurs paroles à portée générale (l. 126 : « Les grands croient être seuls parfaits », l. 129-131 : « C’est cependant en eux une erreur grossière de se nourrir de si fausses préventions : ce qu’il y a jamais eu de mieux pensé ») ; mais, à la manière du caractère, on se détache peu à peu de la notion abstraite en cernant davantage la cible par le rappel de la 3e personne (« les grands », « eux », « leur », « ils »…) et l’ajout d’informations (l. 127-129 : « n’admettent qu’à peine […] la droiture d’esprit, l’habileté, la délicatesse, et s’emparent de ces riches talents, comme de choses dues à leur naissance ») ; – le § 20 relève clairement du caractère, forme plus longue et dans une certaine mesure descriptive ; généralement, le sujet est doté d’un nom (Téléphon) qui donne vie à la notion critiquée ; – le § 21 relève de la sentence, définie par Quintilien comme « une parole universelle qui, même hors du sujet auquel elle est liée, peut être citée » ; le Dictionnaire de l’Académie la définit comme « dit mémorable, apophtegme, maxime qui renferme un grand sens, une belle moralité ». v Du premier au dernier paragraphe, la notion traitée est la même : le grand croit que sa naissance lui donne toutes les qualités et donc le droit de mépriser les plus petits. Le lexique est repris d’un paragraphe à l’autre : « prévention » apparaît aux § 19 et 20 ; « grands domaines » (§ 19) renvoie à « grandeur » (§ 21) ; « connaître » revient aux § 20 et 21 – on retrouve ici volontiers un procédé propre au discours dramatique : l’enchaînement des répliques par le lexique. Cependant, la forme discontinue s’ingénie à fragmenter le discours : chaque texte apparaît comme une structure close, qui se passerait volontiers de l’entourage. Charlotte Schapira (op. cit.) explique ainsi qu’« à l’intérieur d’un même chapitre une maxime n’est pas complémentaire de celle qui la précède ou lui succède : elle ne prolonge pas la réflexion, mais la recommence à l’infini ». w Au milieu de ces maximes indépendantes mais néanmoins étroitement liées, la place de Téléphon interroge. Il semble alors que le caractère permette d’illustrer, à la manière de l’étude d’un spécimen (« développer, manier, confronter »), les notions abstraites évoquées aux § 19 et 20. Téléphon prend à la fois la valeur d’exemple et de preuve de la véracité des paroles sentencieuses qui y gagnent en crédibilité. L’exemple est parlant et convaincant. x La forme discontinue naît d’un effet de mimétisme avec le sujet traité : La Bruyère décrit une société en pleine discordance, où des valeurs comme le mérite sont galvaudées et dévoyées. Par ailleurs, la fonction des écrits moralistes est de décrire les mœurs de la société et les affres de la condition de l’homme, cet être « vain, divers et ondoyant » selon la formule de Montaigne (Essais, I, 1). Comment ne pas voir dans la forme discontinue une mimésis de l’instabilité de l’homme ? y Les pronoms de la 1re et de la 2e personne renvoient à la personne du locuteur et du destinataire, présent(s) ou absent(s). La 3e personne désigne ici le sujet du discours. Par ailleurs, les verbes sont au présent, temps par excellence du discours direct (donc des répliques, comme au théâtre). La ponctuation est abondante, variée et très expressive.

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Les Caractères – 13

U Cette ponctuation utilise les signes marquant la pause dans le discours : le point, la virgule, le point-virgule, les deux-points. Elle se substitue aux mots de liaison comme les conjonctions de coordination et contribue donc à rendre le discours plus fluide, plus lié, plus rapide aussi puisqu’elle se passe de mots encombrants et laisse au lecteur le soin de comprendre les liens circonstanciels implicites entre les propositions (l. 129-132 : « C’est cependant en eux une erreur grossière de se nourrir de si fausses préventions : [car] ce qu’il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peut-être d’une conduite plus délicate, ne nous est pas toujours venu de leur fond »). Mais, surtout, la ponctuation est ici éminemment expressive par l’emploi qu’elle fait des points d’interrogation et d’exclamation (§ 20). Ainsi, les questions « Avez-vous de l’esprit, de la grandeur, de l’habileté, du goût, du discernement ? » (l. 135-136) et « Quel moyen de vous définir, Téléphon ? » (l. 143-144) ne semblent pas appeler de réponse et sont comprises comme des questions rhétoriques. Le point d’exclamation (après « approbation ») ponctue une longue phrase accusatrice et montre l’indignation d’un locuteur face aux pressions sociales qui confortent les grands dans leur posture et soumettent les subalternes. V Les différents registres sont : – le registre épique (grandeur exceptionnelle des personnages évoqués, profusion de qualités), ici détourné au profit de la critique (les grands deviennent alors des sortes de héros usurpateurs) : « Les grands croient être seuls parfaits, n’admettent qu’à peine dans les autres hommes la droiture d’esprit, l’habileté, la délicatesse » (l. 126-128), « Avez-vous de l’esprit, de la grandeur, de l’habileté, du goût, du discernement ? » (l. 135-136) ; – le registre tragique (interrogations rhétoriques, exclamations, désespoir vain face au déterminisme), qui renvoie à nouveau au discours dramatique et montre tout le poids de la Fortune dans la valeur de l’homme (celui qui est bien-né est voué à l’admiration, le mal-né à la soumission) : « Me laisserai-je éblouir par un air de capacité ou de hauteur qui vous met au-dessus de tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s’écrit ; qui vous rend sec sur les louanges, et empêche qu’on ne puisse arracher de vous la moindre approbation ! Je conclus de là plus naturellement que vous avez de la faveur, du crédit et de grandes richesses » (l. 138-143) ; – le registre argumentatif, qui est le propre des maximes et des caractères, voués à dénoncer les travers de la société : il peut être très apparent (« Elles me sont suspectes, et je les récuse ») ou à peine caché dans tout l’appareil rhétorique des discours (lexique, tournures, articulation logique plus ou moins explicite ici…) et le vocabulaire lié à la critique (« récuse », « jugement »). W Le monologue a, au théâtre, la capacité de prendre le spectateur-lecteur à partie, puisque le personnage, seul en scène, ne s’adresse pas à un autre personnage. Le destinataire est donc directement impliqué. L’évocation du personnage absent (imaginons qu’il s’agisse ici de Téléphon) établit une connivence entre le locuteur et le récepteur, qui se trouvent donc « unis » dans la critique. Par ailleurs, le recours à la ponctuation expressive contribue à émouvoir, à indigner le récepteur, et rend donc le discours du locuteur plus percutant, puisqu’il touche à la sensibilité de l’autre. Enfin, le discours est rendu plus vivant et moins abstrait – ce qui participe de son efficacité en suscitant davantage le plaisir du lecteur. X L’énonciation repose ici tour à tour sur le flou de l’impersonnel, notamment avec les tournures présentatives (« c’est », « il y a »), et sur la présence de la 1re personne du singulier et celle du pluriel par lesquelles perce la voix du moraliste (« je », « me », « nous »). De plus, le présent est de mise : il exprime l’atemporalité des paroles sentencieuses (§ 19 et 21) et rend le portrait plus vivant et actuel (§ 20). Les thématiques sont aussi caractéristiques du discours moraliste : la critique des grands, la remise en question de la primauté de la naissance sur celle du mérite personnel. La mise en scène de la critique passe par le recours à l’accumulation, à la ponctuation abondante, aux longues phrases qui cernent à n’en plus finir les notions et les personnages. at Propositions relatives : – l. 130-132 : « ce qu’il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peut-être d’une conduite plus délicate » (vaste relative substantive sujet de « ne nous est pas toujours venu » et introduite par le pronom relatif complexe ce que) : la relative se développe pour mieux montrer tout ce qui n’est pas du fait des grands ; – l. 136-137 : « qui publient hardiment votre mérite » complète « la prévention et la flatterie » et les personnifie au point de critiquer, derrière ces notions, ceux qui les pratiquent et vendent leur âme aux grands ; – l. 139-142 : « qui vous met au-dessus de tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s’écrit ; qui vous rend sec sur les louanges, et empêche qu’on ne puisse arracher de vous la moindre approbation » : ces relatives

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Réponses aux questions – 14

adjectives complètent « un air de capacité ou de hauteur » et développent les travers des grands qui se permettent, au nom de la naissance, tous ces écarts de civilité ; – l. 147-150 : « qui est dans votre familiarité, dont vous prenez conseil, pour qui vous quittez Socrate et Aristide, avec qui vous riez, et qui rit plus haut que vous » : ces relatives présentent, sous forme d’énigme (il n’est nommé qu’après ces longues indications), le personnage de Dave, familier de Téléphon, en réalité subalterne dévoué ; la longueur de cette présentation tend à remettre à égalité le grand (longuement évoqué, mais avec maints éléments à charge) et le petit, pourtant si digne d’intérêt manifestement, puisqu’il rivalise avec Socrate et Aristide ! Notons que Dave sert lui aussi à illustrer une notion, celle du subalterne, et dont l’image se parfait dans la maxime du § 21. Le recours aux propositions relatives entre dans les procédés rhétoriques mis en œuvre par La Bruyère pour rendre sa critique perceptible et éloquente. ak Accumulations : – l. 126-128 : « n’admettent qu’à peine dans les autres hommes la droiture d’esprit, l’habileté, la délicatesse » ; – l. 130-132 : « ce qu’il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peut-être d’une conduite plus délicate » ; – l. 135-136 : « Avez-vous de l’esprit, de la grandeur, de l’habileté, du goût, du discernement ? » ; – l. 138-140 : « un air de capacité ou de hauteur qui vous met au-dessus de tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s’écrit » ; – l. 142-143 : « vous avez de la faveur, du crédit et de grandes richesses ». Maîtresses de la rhétorique dont use La Bruyère, les accumulations permettent d’amplifier les travers des grands, et donc de rendre la critique plus virulente. al La critique n’a pas qu’une seule cible ici : – les grands sont tout à la fois le roi (bien peu concerné par l’état et le devenir de ses sujets), les nobles qui ont leur naissance comme garant de leur mérite (« choses dues à leur naissance », « un air de capacité ou de hauteur »), ceux qui bénéficient de faveurs et privilèges ; – les courtisans qui caressent l’ego des grands pour accéder à quelque privilège (« la prévention et la flatterie ») ; – les plus petits qui servent docilement l’orgueil des grands sans changer quoi que ce soit à cette condition, ne servant guère que de confidents ou de faire-valoir (« leurs subalternes », « Votre homme de confiance, qui est dans votre familiarité »).

u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 66 à 72)

Examen des textes u La Fortune préside au destin des hommes : elle distribue ses faveurs et condamne de fait ceux qu’elle n’a pas élus à la misère et à la soumission. – Texte A : « Les grands croient être seuls parfaits, n’admettent qu’à peine dans les autres hommes la droiture d’esprit, l’habileté, la délicatesse, et s’emparent de ces riches talents, comme de choses dues à leur naissance », « Ils ont de grands domaines et une longue suite d’ancêtres : cela ne leur peut être contesté », « vous avez de la faveur, du crédit et de grandes richesses ». – Texte B : « les effets d’un grand dessein, mais des effets du hasard », « des étoiles heureuses ou malheureuses », « La fortune tourne à l’avantage de ceux qu’elle favorise », « Le bonheur et le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune ». – Texte C : « vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus » ; « Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! ». – Texte D : « Plier, plier toujours, n’est-ce pas déjà trop / Le pli de l’humaine nature ? ». Les plus stoïques doivent donc s’accommoder et accepter leur destin ; pour les esprits plus « révolutionnaires » ou éclairés, il faut lutter contre les schémas figés et redonner à la société des jugements de valeur crédibles et non plus arbitraires, reposant sur le mérite personnel et les qualités. v Dans les textes A et B, la voix du moraliste se fait entendre à travers les pronoms (« on », « nous », « je ») qui régissent le système énonciatif. De plus, les tournures présentatives (« il y a », « c’est ») et impersonnelles (« il semble ») atténuent la voix du locuteur tout en en montrant bien la présence.

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Les Caractères – 15

Enfin, les procédés d’universalisation (présent atemporel, phrases sentencieuses et générales) révèlent aussi la volonté morale et didactique des discours. Dans le monologue de Figaro (texte C), la voix du valet est celle de Beaumarchais, pourfendeur des privilèges (dont il a cependant voulu profiter lui-même !) et des injustices sociales. Figaro cherche par tous les moyens à échapper à sa condition de valet (notamment en embrassant plusieurs carrières professionnelles). Il devient emblématique d’une condition sociale, comme le Comte qui cristallise tous les grands. La fable de Jean Anouilh (texte D) revendique très clairement la filiation (« N’êtes-vous pas lassé d’écouter cette fable ? / La morale en est détestable ; / Les hommes bien légers de l’apprendre aux marmots ») avec celle de La Fontaine, dans laquelle la voix du moraliste est incontestable. Cette fable montre que, bien des siècles après, les schémas restent vivaces (« nous autres, petites gens, / Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents, / Dont la petite vie est le souci constant ») : il y a des grands et des petits, et malheureusement les premiers méprisent les seconds en s’appuyant sur des préjugés. w La Bruyère semble attaquer autant ceux qui se soumettent que ceux qui soumettent (sorte de dialectique du maître et de l’esclave avant l’heure) ; La Rochefoucauld dénonce le mépris des grands et les intrigues des favoris, même si tous sont finalement soumis au hasard du destin. Contrairement aux textes A et B, les textes C et D montrent que la condition humaine peut n’être pas prise comme une fatalité et qu’il est possible de retourner le destin en notre faveur : Figaro cherche à sortir de sa condition sociale ; le roseau, lui, sait quelle est sa force (sa capacité à supporter et surmonter les difficultés de la vie). x La forme discontinue offre plusieurs formules sentencieuses, comme autant de couperets du destin cernant l’homme dans sa destinée et l’empêchant d’en sortir. Par ailleurs, chaque maxime ou caractère vient regagner l’attention du lecteur sans le lasser par la longueur, et c’est pourquoi « chaque maxime est travaillée, ciselée comme un bijou, et c’est pour cela que, en parlant de ces œuvres, on a pu employer la métaphore bouquets de fleurs et colliers de perles » (Charlotte Schapira, op. cit. ; l’image « bouquets de fleurs et colliers de perles » est d’Érasme, parlant d’extraits de Sénèque). Aussi court soit-il, ce type de discours doit justement offrir un concentré de rhétorique pour être incisif et toucher le lecteur. Ici, les caprices de la Fortune doivent émouvoir, toucher, indigner, révolter peut-être même. y Les textes A et B jouent avec une énonciation tantôt neutre (en apparence), tantôt proche du discours direct : aux tours impersonnels succède l’implication du locuteur (« je », « nous »), et de forts indices de subjectivité viennent sans cesse rappeler à l’ordre le lecteur pour qu’il ne s’y trompe pas et perçoive la voix du moraliste. La forme brève énonce des sentences et dénonce des vices à la manière laconique des échanges de répliques, parfois même avec la puissance dramatique d’un monologue. On note d’ailleurs que, dans l’ensemble (excepté le § 20 chez La Bruyère), les phrases sont simples et courtes. Il s’agit d’être incisif pour mieux atteindre le lecteur. Le présent est de mise dans les maximes et les caractères ; c’est aussi le temps du discours direct, temps de la parole adressée aux lecteurs, temps universel de celui qui reçoit la morale. U Registres sollicités dans les textes C et D pour évoquer la condition humaine : – registre épique : Figaro évoque les efforts presque inhumains qu’il lui faut déployer pour échapper à sa condition et les revers de la Fortune qu’il doit essuyer (« J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie », « à l’instant, un envoyé... de je ne sais où se plaint que j’offense, dans mes vers, la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc »…). Le Roseau, lui, ne peut que regarder le Chêne, arrogant et colossal (« Le géant, qui souffrait, blessé, / De mille morts, de mille peines, / Eut un sourire triste et beau »), succomber à la terrible tempête (« Le vent se lève sur ces mots, l’orage gronde. / Et le souffle profond qui dévaste les bois, / Tout comme la première fois »), mais mourir quand même en héros (« Et, avant de mourir, regardant le roseau, / Lui dit : “Je suis encore un chêne.” ») ; – registres tragique et pathétique : les embûches rencontrées par Figaro n’ont d’égale que la tempête terrible qui va terrasser le Chêne. Dans les deux cas, la Fortune (indice caractéristique du tragique) joue un rôle incontournable et enferme les protagonistes dans des schémas : « tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes », « Est-il rien de plus bizarre que la destinée ! fils de je ne

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Réponses aux questions – 16

sais pas qui ; volé par des bandits ! » (texte C) ; « Tout comme la première fois, / Jette le chêne fier qui le narguait par terre », « Ce que j’avais prédit n’est-il pas arrivé ? » (texte D) ; – registre ironique : Figaro renverse la grandeur du noble dans la phrase acerbe « qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits » ; le Roseau se retrouve, quant à lui, témoin de la débâcle du Chêne (« à niveau de roseau ») et se permet quelque ironie envers l’ennemi terrassé : « Qu’en dites-vous donc, mon compère ? / (Il ne se fût jamais permis ce mot avant) / Ce que j’avais prédit n’est-il pas arrivé ? » ; « On sentait dans sa voix sa haine / Satisfaite » ; – registre argumentatif : ces deux textes visent avant tout à instruire et convaincre, ils ont donc un but didactique assez vite avoué – texte C : « Je broche une comédie dans les mœurs du sérail » (mise en abyme de Beaumarchais composant une comédie sur les mœurs de la France), « voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire » (le parallèle avec la carrière houleuse de Beaumarchais est aisé !) ; texte D : « Plier, plier toujours, n’est-ce pas déjà trop / Le pli de l’humaine nature ? », « nous autres, petites gens, / Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents, / Dont la petite vie est le souci constant, / Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde ».

Travaux d’écriture

Question préliminaire On reprendra ce qui a été développé dans les questions précédentes : chaque texte sera analysé en fonction de sa spécificité générique (discours d’autorité, discours dramatique, fable) et de l’énonciation qui le caractérise (qui parle ? à qui ? quel système temporel domine ? quels indices de subjectivité sont décelables ?). La forme brève devra montrer à quel point elle est mimétique des caprices des revers de la Fortune. Les quatre textes seront aussi analysés en tenant compte de leur dimension dramatique, tant du point de vue de l’énonciation que du point de vue des figures de rhétorique propres à rendre le discours plus efficace, comme les accumulations, les répétitions (répétitions lexicales chez La Bruyère, polyptote autour du mot « faveur » chez La Rochefoucauld, parallélisme « mille morts, mille peines » chez Anouilh…), les images (« comme du feu », texte A…). Commentaire L’étude devra partir de la spécificité du texte (un monologue de théâtre) pour en décrypter les différentes stratégies et visées. Proposition de plan :

1. Un monologue dramatique dans les règles de l’art A. Personnage seul en scène à un moment dramatique important Proche du dénouement, personnage se croyant trahi, trompé. B. Différentes étapes de cet extrait du monologue Colère contre les femmes, contre le baron, contre les grands, contre la Fortune. C. Recours aux didascalies et à la ponctuation Indiquent les changements de ton pour rythmer ces étapes. D. Les phrases alternent styles laconique, elliptique ; les phrases nominales rivalisent avec la parataxe qui amplifie volontiers le malheur de Figaro E. Élaboration d’une autobiographie bien agitée • Le « je » sature l’énoncé et se trouve toujours en opposition à la masse des institutions et des grands. • Les déconvenues se succèdent.

2. Les mots (maux) de l’âme A. La gestuelle et la ponctuation La gestuelle, saccadée, montre à quel point Figaro est perturbé, de même que la ponctuation expressive témoigne du malaise du valet. B. Tous les aspects du valet de comédie sont là Amour, ruse, gesticulation insensée et exagérée, ambition, faculté à endosser différents métiers comme autant de déguisements.

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Les Caractères – 17

C. En racontant sa vie, Figaro passe en revue la société de son temps, ses injustices, ses aléas, et porte en lui clairement les stigmates de Beaumarchais D. La voix de la contestation montre une évolution du personnage Il veut échapper à sa condition (d’homme cocu, d’homme soumis au Comte, d’homme de lettres contrarié) et donc aux griffes de la Fortune : le métier actuel de Figaro n’est d’ailleurs pas évoqué, c’est déjà un être en devenir. E. La longueur du monologue En réalité le double de cet extrait, la longueur de ce monologue est symptomatique d’une véritable prise de pouvoir verbale : Figaro acquiert quelque noblesse en prenant la parole pour ne parler (longuement) que de lui !

3. Un regard critique et acerbe sur la société A. L’essentiel de la critique porte sur la noblesse et les inégalités • La valeur liée à la naissance est galvaudée. • Seul le mérite personnel doit permettre de juger un homme. • Figaro subit la discrimination des classes. B. La critique porte sur la censure, à laquelle Beaumarchais s’est heurté • La créativité a besoin de liberté d’expression (« sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits »). • Même la transposition exotique (« comédie du sérail ») n’a pas permis à Figaro d’échapper à ses détracteurs. C. La rivalité sociale entre Figaro et le Comte Elle est emblématique du combat entre les castes, lequel se matérialise ici en la personne de Suzanne, enjeu de leurs affrontements (essentiellement verbaux !). Dissertation L’essentiel sera de veiller à ce que les élèves utilisent d’autres types d’écrits que les écrits moralistes et qu’ils soient attentifs au sujet qu’est l’homme dans des écrits de genre, de langue et d’époque différents.

1. Lorsque la forme dénonce son projet : étudier l’homme A. Les écrits moralistes La Rochefoucauld, La Bruyère, Chamfort, Vauvenargues… B. Les écrits philosophiques Pascal, Camus, Gide… C. Les écrits à prétexte autobiographique Montaigne, Rousseau, Perec… La virtuosité littéraire n’est alors peut-être pas la priorité du projet d’écriture, et pourtant elle est bien nécessaire pour rendre le sujet intéressant et touchant pour le lecteur. Il suffit de se replonger dans tous les artifices rhétoriques utilisés par La Bruyère. L’étude de l’homme peut passer par le biais de l’introspection ou épouser une forme en apparence plus détachée du locuteur.

2. Lorsque l’étude de l’homme s’invite dans le texte littéraire A. Le théâtre, vecteur privilégié des idéologies et de l’étude de l’âme humaine Le théâtre du XVIIe siècle, Beaumarchais, Hofmannsthal, Sartre, Brecht… B. Le roman Ce genre se prête a priori moins à l’étude de l’homme car la priorité va à l’agencement narratif ; et pourtant, il offre un réel espace d’approfondissement de la psychologie humaine (Flaubert, Stendhal, Balzac, Zola, Giono…) et de la relation de l’homme au monde (Camus, Merle…). C. La poésie Elle est par excellence le genre de l’introspection et aussi celui de la virtuosité littéraire ; l’âme humaine s’y révèle avec profondeur mais non sans mystère (Baudelaire, Verlaine, Saint-John Perse…).

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Réponses aux questions – 18

Conclusion La forme (virtuosité littéraire) et le fond (l’étude de l’homme) peuvent ne pas se nuire et au contraire créer une heureuse alchimie qui produit des écrits passionnants. Les auteurs peuvent se livrer pour amener les lecteurs à percer l’âme humaine, mais ils peuvent aussi opter pour des formes moins personnelles (en apparence) et pour autant contribuer au dévoilement de ce qu’est l’homme. Tous les genres sont concernés, même les plus improbables. Écriture d’invention Il faudra veiller au bon respect de la consigne : – le texte doit être un dialogue (on n’attend pas là un pastiche du monologue de Figaro !), donc mettre en scène au moins deux personnages, dont le dénommé Téléphon ; – Téléphon doit critiquer son interlocuteur ; le ton des répliques devra respecter cette contrainte ; – le dialogue doit commencer par la phrase indiquée, extraite du § 20 ; – la contrainte générique (un texte de théâtre) implique le respect de certaines contraintes formelles (nommer les personnages, user de didascalies, marquer la subjectivité de l’énoncé avec une ponctuation très expressive, faciliter l’enchaînement des répliques…) ; – la langue, tout en n’épousant pas les contraintes classiques (bien trop difficiles à singer pour des élèves), devra être la plus correcte possible et tâcher de respecter la verve argumentative du texte d’origine.

E x t r a i t d u c h a p i t r e « D e s g r a n d s » ( § 5 0 ) ( p p . 8 4 à 8 6 )

u Lecture analytique de l’extrait (pp. 90-91) u Le portrait part de l’exemple de Pamphile pour élaborer une règle générale, passant par la détermination de plus en plus vaste du nom propre (un Pamphile, les Pamphiles). On retrouve ici la logique d’une démonstration scientifique. La Bruyère se sert donc de son observation pour élaborer son caractère, et l’on pense à cette réflexion de Jean Mouton (« La Bruyère : le recours à l’objet », in Les Intermittences du regard chez l’écrivain, Desclée de Brouwer, 1973) : « Nous pressentons la façon dont La Bruyère regarde ; en fait, il ne perçoit pas le vivant, l’être en état de mobilité. Il ne soupçonne pas sur un visage la possibilité d’un changement. Il ne perçoit que le masque, conçu comme un paravent conventionnel. » Par ailleurs, le portrait fonctionne sur un va-et-vient entre l’extérieur, les apparences (« ne s’entretient pas avec les gens qu’il rencontre », « il sourit à un homme du dernier ordre », « il vous fuit »…) et l’intérieur, l’âme et ses vices (« est plein de lui-même, ne se perd pas de vue, ne sort point de l’idée de sa grandeur », « poussés et entraînés par le vent de la faveur et par l’attrait des richesses »). v Le début in media res du texte projette le personnage hors de la parole du moraliste, sans précaution ni remarque préliminaire destinée au lecteur. Le personnage nous saute littéralement aux yeux. Le pronom de 3e personne (« il » / « ils ») achève de mettre une distance certaine entre le personnage brocardé, montré du doigt par le fin observateur, et l’énonciateur. w Le style de la Bruyère épouse la visée du texte : – les énumérations juxtaposent les éléments nécessaires pour cerner le personnage et proposent un concentré rapide de sa vie sociale : « aussi la rougeur lui monterait-elle au visage s’il était malheureusement surpris dans la moindre familiarité avec quelqu’un qui n’est ni opulent, ni puissant, ni ami d’un ministre, ni son allié, ni son domestique » (l. 442-445), « ils sont bas et timides devant les princes et les ministres ; pleins de hauteur et de confiance avec ceux qui n’ont que de la vertu ; muets et embarrassés avec les savants ; vifs, hardis et décisifs avec ceux qui ne savent rien » (l. 459-463) ; – l’absence de mots de liaison (ou asyndète) offre un véritable dépouillement syntaxique qui accompagne le dépouillement du personnage ; les apparences tombent les unes après les autres pour révéler au lecteur la vérité profonde de Pamphile et ses semblables ; – l’omniprésence du pronom représentant (« il » / « ils ») rend la syntaxe « d’une grande simplicité et d’une netteté impeccable » – ce qui est idéal « pour aboutir à un portrait neutre » (Floyd Gray, op. cit.) : « il les reçoit, leur donne audience, les congédie ; il a des termes tout à la fois civils et hautains, une honnêteté impérieuse et qu’il emploie sans discernement ; il a une fausse grandeur qui l’abaisse » (l. 429-432) ; « Ils

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Les Caractères – 19

parlent de guerre à un homme de robe, et de politique à un financier ; ils savent l’histoire avec les femmes ; ils sont poètes avec un docteur, et géomètres avec un poète » (l. 463-465). Selon Floyd Gray (op. cit.), « ces phrases articulées par le pronom étant syntaxiquement ce qu’il y a de plus élémentaire figurent en elles-mêmes des symboles d’un idéal d’écriture lumineuse ». Le personnage, ainsi, est lui aussi mis en lumière : enfermé dans un schéma figé, régi par des règles simples et répétitives, comme celle de la vie en société. x La vie en société, justement, repose sur la confrontation, l’opposition, la comparaison, autant de relations qui cernent et limitent le caractère ; ce « jeu de balance » fait aussi l’essentiel de la démarche de Montaigne : – relations avec la pluralité : « avec les gens » (l. 427), « ceux qui sont ses amis, et qui ne veulent pas le mépriser » (l. 432-433), « c’est une scène pour ceux qui passent » (l. 454-455), « devant les princes et les ministres » (l. 460), « ceux qui n’ont que de la vertu » (l. 461), « ceux qui ne savent rien » (l. 462-463) ; – relations avec le particulier : « un homme du dernier ordre » (l. 440), « un homme d’esprit » (l. 441), « quelqu’un qui n’est ni opulent, ni puissant, ni ami d’un ministre, ni son allié, ni son domestique » (l. 444-445), « qui n’a point encore fait sa fortune » (l. 445-446), « Il vous aperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit » (l. 446-447), « en la compagnie d’un grand » (l. 448-449), « joindre un seigneur ou un premier commis » (l. 451), « un homme de robe » (l. 463), « un financier » (l. 464), « avec les femmes » (l. 464), « avec un docteur » (l. 465), « avec un poète » (l. 465), « celui à qui ils ont recours n’est guère un homme sage, ou habile, ou vertueux : c’est un homme à la mode » (l. 470-471). Dans ces relations, Pamphile adopte toujours la même règle : être au-dessus, que ce soit en richesse, en savoir ou en prise de parole. C’est à ce titre seulement qu’il se conforte dans sa grandeur ou plutôt son apparence de grandeur, dans la mesure où celle-ci est essentiellement usurpée (« les Pamphiles […], gens nourris dans le faux, et qui ne haïssent rien tant que d’être naturels »). y En passant de « Pamphile » à « un Pamphile » puis « les Pamphiles », et enfin au seul pronom représentant, le moraliste procède à une sorte de « décantation du personnage » (Floyd Gray, op. cit.), facilitée par le style clair et dépouillé de ce portrait : le personnage se dématérialise et ne devient que l’emblème d’un caractère, si bien que l’on « assiste à la démarche généralisante d’une écriture dont les personnages-sujets finissent par avoir une seule réalité de papier ; vides, ils n’existent que par les vertus d’un style sec, alerte, dépouillé. Ils agissent et s’agitent ; ils sont vus dans leur mouvement, dans leur extérieur. En somme, ce qui leur manque, c’est le “caractère”, qui serait la marque profonde et éprouvée d’un individu qui aurait une vie intérieure intense. » U Les verbes utilisés sont peu variés et relèvent du domaine des habitudes : les actions (« il sourit », « Il vous aperçoit », « il vous fuit », « il vous quitte brusquement », « il ne s’arrête pas ; il se fait suivre »…) et les attitudes (« il a une fausse grandeur », « plein de lui-même, ne se perd pas de vue », « veut être grand, il croit l’être »…), le relationnel (« rencontre », « reçoit », « donne audience », « congédie »…) et la conversation (« ne s’entretient pas », « il dit », « il vous dit », « il vous coupe »…). Les verbes les plus banals dominent (être, avoir, savoir, croire…). Le personnage s’agite dans une apparente sociabilité mais il ne fait rien qu’un autre ne saurait faire. Le style n’est pas ici dans la recherche de verbes rares, ni dans l’évocation d’actions remarquables. Le temps et le mode omniprésents dans ce texte sont le présent et l’indicatif. Le présent de l’indicatif permet de juxtaposer sans effet de lourdeur des actions et des paroles sans en préciser le lieu ni le moment, mais, surtout, il a ici une valeur itérative, « forme parfaite de mise en lumière des lois de la nature humaine, laissant de côté le particulier pour révéler le général » (Danièle Chatelain, « Itération interne et scène classique », in Poétique, 51, 1982) qui inscrit le portrait dans l’éternelle répétition de la condition humaine. De fait, les personnages des Caractères ressemblent à des « fantoches qui ne pensent pas, qui sont la décalque d’une vie aussi vide qu’eux-mêmes » (Floyd Gray, op. cit.). V Les procédés de généralisation : – l’indéfini « on » (« On ne tarit point sur les Pamphiles ») est un indice patent de généralisation ; il est relayé par le pronom « vous » qui implique le lecteur en le victimisant, pour mieux le rallier à la cause du moraliste : « Il vous aperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit ; et le lendemain, s’il vous trouve en un endroit moins public, ou, s’il est public, en la compagnie d’un grand, il prend courage, il vient à vous, et il vous dit : Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir. Tantôt il vous quitte brusquement pour joindre un seigneur ou un premier commis ; et tantôt, s’il les trouve avec vous en conversation, il vous coupe et vous les

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Réponses aux questions – 20

enlève. Vous l’abordez une autre fois, et il ne s’arrête pas ; il se fait suivre, vous parle si haut, que c’est une scène pour ceux qui passent » ; – le système spatio-temporel est quasiment réduit à la seule utilisation d’un présent lui-même atemporel (puisque généralisant ; voir question précédente). W Au contraire de la maxime, structure en apparence rigide mais en fait perpétuellement ouverte à l’interprétation du fait même de son abstraction, le caractère est, lui, fondé sur le concret et donc sur une structure prédéfinie. La Bruyère s’y est donné « comme but final et poétique la pointe » ; c’est pourquoi « le caractère, par sa structure, son développement et sa conclusion [on remarque la similitude avec l’aspect strictement visuel du § 50 !], devient un texte fermé qui a accompli son destin ». L’« homme à la mode » (qui devient le contraire d’« un homme sage, ou habile, ou vertueux ») cristallise tout ce qu’il y a d’abject dans la société courtisane décrite par La Bruyère : il symbolise à la fois les conflits d’intérêts qui règnent parmi les grands (s’acoquiner avec l’homme du moment et faire en sorte d’être vu avec lui), mais aussi la relativité du succès, car le propre de la mode est de varier et passer. Cette idée montre à quel point l’hypocrisie de Pamphile domine ses rapports avec les autres et à quel point chaque relation est calculée. Elle n’est pas propre à La Bruyère ni même à son siècle. On peut notamment lire la lettre LIII des Lettres persanes de Montesquieu, sur la critique de la mode : « Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la Cour, la Cour à la ville, la ville aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres. » X Dans l’introduction à son édition des Caractères, Louis van Delft répertorie les procédés dramaturgiques déployés par La Bruyère : « action, construction toute dramatique de tant de caractères, allées et venues des personnages à la façon des déplacements des acteurs, gestuelle, mimique infiniment proche des jeux de scène… » ; Pamphile illustre parfaitement ces procédés, lui qui se met en scène avec ceux qu’il reçoit, ceux qu’il va voir, ceux qu’il sollicite. Il s’agite en tous sens, intrigue pour obtenir quelque attention ou faveur, peut se glisser dans divers métiers, comme un valet de comédie (on pense à Figaro, tantôt barbier, pharmacien puis homme de lettres, faisant passer Almaviva pour un officier puis un maître de chant, dans Le Barbier de Séville) : « Ils [les Pamphiles] parlent de guerre à un homme de robe, et de politique à un financier ; ils savent l’histoire avec les femmes ; ils sont poètes avec un docteur, et géomètres avec un poète. » Pamphile sait prendre les manières, les airs et même la « parlure » (pour reprendre la terminologie de P. Larthomas) qui conviennent aux différents rôles qu’il interprète : « ils sont bas et timides devant les princes et les ministres ; pleins de hauteur et de confiance avec ceux qui n’ont que de la vertu ; muets et embarrassés avec les savants ; vifs, hardis et décisifs avec ceux qui ne savent rien. » Pamphile est donc un acteur de la comédie… sociale. at Les verbes de parole font intervenir quelques citations choisies du personnage : « Mon ordre, mon cordon bleu » (l. 437), « Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir » (l. 449-450) expriment respectivement la vanité du courtisan parvenu à quelque prestige par le jeu des intrigues et la manipulation par la parole (on honore de sa parole celui que l’on ignorait hier, pour peu qu’il soit maintenant en bonne compagnie). Dans le portrait, la parole est aussi présente à plusieurs reprises, de manière courte et toujours caricaturale : il cherche à se faire remarquer et à prendre le pouvoir (l. 454-455 : « vous parle si haut, que c’est une scène pour ceux qui passent ») ou bien il fait de la parole l’arme suprême de l’hypocrisie et de la manipulation (l. 461-463 : « muets et embarrassés avec les savants ; vifs, hardis et décisifs avec ceux qui ne savent rien », l. 468-471 : « Ils n’ont point d’opinion qui soit à eux, qui leur soit propre ; ils en empruntent à mesure qu’ils en ont besoin ; et celui à qui ils ont recours n’est guère un homme sage, ou habile, ou vertueux : c’est un homme à la mode »), comme le ferait un Tartuffe pour garder quelque emprise sur le chef de famille. Au théâtre, la prise de parole révèle souvent la prise de pouvoir dans l’intrigue et dans l’espace scénique. Il en est de même ici. ak Dans son Discours sur Théophraste, La Bruyère insiste sur la filiation qui le conduit de Théophraste à Térence (à qui il a emprunté l’onomastique : notamment Gnathon, Dave, Pamphile, Criton…) et, dans la continuité, il rend hommage à celui qui a su imiter le modèle (Térence), soit Molière. De plus, les références aux grands dramaturges sont nombreuses dans le chapitre I (« Des ouvrages de l’esprit ») des Caractères. On a pu relever des similitudes entre le théâtre et le style de La Bruyère.

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Les Caractères – 21

Ainsi, J. Hellegouarch’ (La Phrase dans « Les Caractères » de La Bruyère, Champion, 1975) a montré que le style de La Bruyère met en évidence « les plans de la mise en scène, le ton, les changements de ton, les pauses ou la continuité » et provoque de manière convenue la réaction d’un public à coup sûr acquis dans la chute. Ici, les allusions au théâtre sont très appuyées : – Pamphile endosse le costume et la « parlure » de son personnage : « il ramasse, pour ainsi dire, toutes ses pièces, s’en enveloppe pour se faire valoir ; il dit : Mon ordre, mon cordon bleu » (l. 436-437) ; – il se donne en représentation dans une situation favorable et si possible dénigrante pour autrui : « Vous l’abordez une autre fois, et il ne s’arrête pas ; il se fait suivre, vous parle si haut, que c’est une scène pour ceux qui passent » (l. 453-455) ; – il recourt en permanence à l’illusion : « Aussi les Pamphiles sont-ils toujours comme sur un théâtre : gens nourris dans le faux, et qui ne haïssent rien tant que d’être naturels » (l. 455-457) ; – il est assimilé à des comédiens célèbres : « vrais personnages de comédie, des Floridors, des Mondoris » (l. 457-458) qui parachèvent l’analogie entre le théâtre et la représentation sociale dans laquelle le personnage est perpétuellement. Par ailleurs, La Bruyère recourt à la surcharge (énumérations, accumulations, verbes d’action qui se succèdent et créent une gestuelle rapide et ridicule) propre aux farces et au théâtre de Molière. Or, qui mieux que Molière sut mettre à nu le jeu social ? Finalement, Pamphile n’est, comme l’ensemble des personnages des Caractères, « qu’un pantin dont l’auteur manie les ficelles » (Floyd Gray, op. cit.).

u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 92 à 97)

Examen des textes et de l’image u Le portrait choisit pour sujet un personnage en particulier. Il recourt aux procédés de la description, en passant en revue les caractéristiques physiques et morales. Dans le cas du document, l’aspect moral est moins patent mais il est décelable dans l’attitude et les caractéristiques du personnage et dans ses paroles. Pour décrire, on utilise un vocabulaire adéquat : formes, couleurs, attitudes, gestuelle. Les descriptions peuvent gagner en richesse par l’emploi d’images au fort pouvoir suggestif (métaphores, comparaisons, personnifications…). Le document rend compte de la description par la technique utilisée : certains éléments sont davantage mis en lumière que d’autres par le jeu des contrastes (le personnage se détache du décor, et de lui se détachent quelques détails éloquents : son habit, sa posture). Le temps convoqué est ici le présent (textes A et B) ou l’imparfait (texte C). Il vise à suspendre toute évolution narrative, pour s’attarder sur la description. Enfin, chacun de ces portraits n’est pas dénué de sens : il a une visée particulière. v Visée de chaque portrait : – Texte A : le portrait de Pamphile vise à convaincre le lecteur que la société (ici, les grands) est corrompue par des pratiques hypocrites et intéressées ; il prend ici une valeur symbolique destinée à dénoncer un état de fait de la condition humaine, même si on sait que Pamphile a été inspiré par le marquis de Dangeau (qui a aussi inspiré une satire à Boileau : « Si tu veux te couvrir d’un éclat légitime, / Va par mille beaux faits mériter son estime ; / Sers un si noble maître ; et fais voir qu’aujourd’hui / Ton prince a des sujets qui sont dignes de lui »). – Texte B : le portrait ici a une vocation essentiellement esthétique et lyrique. – Texte C : le portrait de M. Ibrahim a une fonction essentiellement narrative et permet de faire connaissance avec le personnage éponyme, mais il a aussi une fonction réaliste, dans la mesure où il campe en même temps le lieu et l’époque dans lesquels est ancré le roman (un quartier populaire parisien, de nos jours). – Document : la caricature, par définition, a une portée essentiellement argumentative et satirique ; on sait que Daumier singeait les travers de la société de son temps et surtout les grands. w Ce document se rapproche surtout du texte de La Bruyère. La visée est la même : critiquer. Et cette critique passe par l’exagération, la caricature d’un type de personnage. Pamphile est asservi aux apparences et au mensonge, tant que cela sert ses intérêts. Le bon bourgeois de Daumier est dépeint avec l’attirail qui caractérise sa place sociale : le lit à baldaquin, le fusil de chasse ; il est gras et sa posture est vulgaire ; ce n’est pas ici la scène raffinée d’un lever royal !

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Réponses aux questions – 22

Le texte de légende montre qu’il se lève tôt pour assouvir un loisir ô combien contestable (« le plaisir de la chasse »). On sent bien le mépris qu’il inspire au dessinateur, comme Pamphile à La Bruyère. x Dans le texte B, les images sont si abondantes qu’il faudrait relever chaque vers : – « ta couleur qui est vie », « ta forme qui est beauté » : le parallélisme rapproche deux métaphores assurées par le verbe-copule être ; la femme symbolise à elle seule la beauté et la vie ; – « la douceur de tes mains bandait mes yeux » : le verbe opère une personnification de la qualité (« la douceur »), alors qu’en réalité ce sont les mains qui bandent les yeux ; la douceur de la femme est mise en valeur ; – « comme l’éclair d’un aigle » : la comparaison enrichit l’image du coup de foudre et exagère l’impression ressentie à la vue de tant de beauté ; – « fruit mûr à la chair ferme » : mis en apposition avec « Femme nue, femme obscure », ce groupe nominal apporte une nouvelle image, sensuelle et surtout gustative, cette fois, pour décrire la femme ; – la femme est assimilée à la « savane qui frémis », au « Tamtam sculpté » et à « l’huile calme », métaphores apposées qui mêlent à la fois tous les domaines de la sensualité (caresses, senteurs, couleurs…) et ancrent la femme dans l’univers familier de l’Afrique, cher à Senghor ; – « aux soleils prochains de tes yeux » est une image que les surréalistes ne renieraient pas ! Dans les yeux de la femme se devine toute la lumière du monde ; les yeux sont des promesses de vie. Les images ici sont convoquées pour faire un portrait charnel et terrien de la femme noire : les sens sont attisés mais ils sont toujours en relation avec le lieu où elle vit et que Senghor n’a eu de cesse de chanter dans la plupart de ses poèmes. Le texte C est extrait d’un roman contemporain ; il sollicite moins d’images qu’un texte poétique mais elles sont cependant remarquables : – « des dents en ivoire », « des yeux en pistache » : ces métaphores, qui portent sur les couleurs (le blanc, le vert), sont simples, mais il faut penser qu’elles émanent d’un enfant (le héros auquel le « je » du début du texte renvoie) ; – « l’Arabe d’une rue juive » : l’adjectif « juive » fonctionne de manière métonymique, puis les habitants (en majorité juifs) sont à leur tour désignés ici ; l’image opère un raccourci permettant de rapprocher dans la syntaxe « Arabe » et « juive », deux termes qui en réalité ne se rapprochent guère que pour s’opposer ; – « ne bougeant jamais, telle une branche greffée sur son tabouret » : la comparaison repose sur le trivial (le tabouret) – ce qui peut surprendre car on s’attend plutôt à trouver dans les images des allusions poétiques – ; ici, la poésie s’introduit dans le banal, le monde de cet enfant du Paris communautaire qui découvrira enfin, avec M. Ibrahim, l’affection et la confiance. Les images relèvent ici de la subjectivité d’un locuteur enfant et puisent donc leur inspiration dans le trivial ; ce faisant, elles confèrent à M. Ibrahim une physionomie sympathique et déjà bienveillante que la suite du roman ne démentira pas. y Texte B : – la répétition de « Femme nue, femme noire » (et sa variante « femme obscure ») fonctionne au sein du verset comme un refrain ; – « bouche qui fais lyrique ma bouche » : la répétition de la bouche détourne l’attention de la femme au poète, qui exprime aussi toute l’inspiration, tous les mots qu’il puise dans la sensualité de la femme ; – sur le même modèle s’opèrent la répétition de « savane » (puis « savane qui […] ») et celle de « tamtam » (« Tamtam sculpté qu […] ») : la répétition prolonge en fait l’image par une subordonnée relative ; le portrait de la femme semble se peaufiner au fur et à mesure que le poète décline ses métaphores sensuelles ; – « huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du Mali » joue sur une double image : celle du corps masculin sur lequel se fond celui de la femme (devenue huile, produit apaisant aux doux effluves), mais aussi celle du pays qui enfante cette femme (comme Ève née des flancs d’Adam, Adam signifiant d’ailleurs en hébreu « la terre ») et donne l’inspiration au poète. Dans ce poème où la beauté est partout et contamine la forme même (v. 2, 6, 18), les allitérations en « r » et « t » scandent les vers comme un chant célébrant la « Terre promise » tant aimée de Senghor et qui a enfanté la femme noire, qui n’en est plus que l’emblème vivant. Texte C : – « avait toujours été vieux », « on avait toujours vu » : l’adverbe de temps insiste sur le fait que ce personnage est comme lié à l’histoire de ce quartier ; c’est sans doute pour cela qu’il est sage et respectable ; il semble ne pas avoir d’âge ;

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Les Caractères – 23

– cette impression est d’ailleurs relayée par le polyptote (« sa peau brune tachée par la sagesse » / « passait pour un sage ») ; – « Sans doute parce qu’il […] » est repris deux fois de suite pour marquer les étapes de la réflexion du jeune locuteur et avancer dans le portrait de ce personnage singulier qu’est l’épicier arabe ; – « l’agitation ordinaire des mortels, surtout des mortels parisiens » : la subjectivité du locuteur transparaît ici encore car, finalement, le garçon qui parle ici ne connaît guère que des Parisiens ; la rectification, marquée par « surtout », est un indice clair de subjectivité. Les répétitions comme les images permettent de guider le lecteur dans une interprétation du portrait en insufflant à la description toute la subjectivité nécessaire. Elles permettent d’arracher au domaine du trivial, du banal des éléments aussi différents qu’inattendus (l’huile, le tabouret) et de les sublimer.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Cette question nécessite une synthèse des questions qui précèdent : – le type de texte concerné ; – l’organisation du portrait ; – les procédés utilisés, depuis le vocabulaire descriptif jusqu’aux figures de style (images, répétitions de diverses natures), en passant par la syntaxe (utilisation de relatives, d’appositions ; temps verbal dominant…) ; – la visée du portrait (esthétique, poétique, argumentative, réaliste, symbolique…). Commentaire

Introduction Ce texte témoigne de la double culture de Senghor en alliant tradition orale et culture littéraire européenne (on pense d’ailleurs aussi au blason en lisant ce poème), tradition et modernité. De plus, le portrait de la femme noire est ici détourné à des fins éminemment esthétiques et lyriques, projetant l’Afrique et toute sa sensualité dans cette femme noire.

1. Entre tradition et modernité A. Recours à la forme sacrée par excellence : le verset • Le rythme est quasi incantatoire, guidé par la respiration, le refrain et les répétitions (de structures, de mots, de sons). • Le vocabulaire religieux ajoute à la dimension mystique du poème. B. La tradition orale • Elle perce dans un système énonciatif reposant sur le présent, un destinataire clairement énoncé (la femme, la terre confondues dans le tutoiement et l’évocation de leur sensualité). • La voix du poète se fait lyrique, le poème se fait chant – chant des Anciens ou des tribus africaines, accompagné du tam-tam et de la voix grave et envoûtante. C. Le souvenir de la tradition emmène le poète vers un retour aux sources Les images liées au monde végétal (« racines », « grandir », « mûr »), les éléments cosmiques (« le soleil d’Été et de Midi », « le Vent d’Est ») semblent enfanter cette nouvelle Ève noire (le fruit mûr ferait-il allusion à la pomme ?).

2. Un portrait en forme d’hymne à la femme et à l’Afrique A. La femme charnelle est source de vie • Le Péché originel n’est pas là, entre la femme à la sensualité débridée et le poète avide d’enfanter (des vers). • Les couleurs, les senteurs parent la femme de mille beautés qui conduisent aisément à l’évocation de l’Afrique. B. La femme est aussi source éternelle d’inspiration mystique et poétique Le caractère cyclique du poème (de la naissance à la mort puis à nouveau la renaissance, « Avant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie ») rend même la mort source de vie,

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Réponses aux questions – 24

puisque l’obscurité est ce qui met en lumière cette femme africaine, comme « l’ombre » de ses cheveux ou ses yeux noirs peuvent éclairer l’inspiration du poète. C. La femme est maîtresse du temps • Recours constant au présent ; enjambements qui nuisent à la concision et juxtaposent les images, les détails, les sentiments exprimés par le poète. • Le lexique renvoie aussi sans cesse au domaine spirituel et religieux.

Conclusion Ce poème semble faire écho à ce que dit Baudelaire dans sa lettre-dédicace aux Paradis artificiels : « La femme est fatalement suggestive ; elle vit d’une autre vie que la sienne propre ; elle vit spirituellement dans les imaginations qu’elle hante et qu’elle féconde. » Dissertation Ce sujet doit permettre aux élèves de manipuler tout ce qui a été vu dans ce groupement mais aussi sur le texte de La Bruyère particulièrement. L’art pictural aura de bonnes raisons d’être sollicité : on pensera à la peinture et éventuellement à la photographie. La réflexion pourra s’articuler en deux temps :

1. Le portrait constitue-t-il un genre à part ? Le texte est alors une forme close, revendiquée sous le titre même de portrait ou de genre apparenté. Comme tout genre, il répond à des codes : forme plutôt brève, personne décrite, nommée ou identifiable en tout cas, procédés de description, visée du texte… On peut alors faire le parallèle avec la peinture. A. Le portrait, éloge ou déclaration d’amour ? Le blason médiéval, Ronsard, Apollinaire, et pourquoi pas des textes de Nougaro… B. Le portrait, utilisé pour brocarder la société ou les fâcheux Caractères, certaines fables. C. Le portrait comme hommage posthume Oraison funèbre de Bossuet, tombeau par Mallarmé, Verlaine… D. Détournement du portrait • Fables, sonnets, descriptions d’objets… • Pur jeu poétique (Prévert…).

2. Le portrait est-il un élément comme un autre au service des textes littéraires ? Le texte vient, dans ce cas, perturber la logique d’une œuvre et contribue à l’atmosphère ou à la tonalité de l’œuvre par l’artifice d’une pause descriptive. A. Le portrait obéit à un souci réaliste comme la description des lieux • Mise en place d’une scénographie du personnage (Flaubert, Zola). • Lien entre le portrait et l’environnement décrit (Balzac). B. Le portrait peut servir le genre du texte en apportant des éléments conformes à l’horizon d’attente et propice à créer une atmosphère • Portrait révélateur du rôle joué par le personnage (portrait du criminel, de l’inspecteur dans le roman policier). • Élaboration de « types » suivant le genre du texte (personnage inquiétant dans un roman fantastique). C. Le portrait peut apporter du lyrisme au sein d’une narration tout en s’attardant sur un personnage important Description de la femme aimée dans les romans courtois. D. Au théâtre, le portrait passe par la parole d’un tiers • Il entre alors dans des scènes d’exposition : Tartuffe n’apparaît dans les premières scènes qu’à travers les paroles des autres. • … Et dans des scènes d’aveu : Horace avouant son amour pour Agnès à son tuteur sans savoir qui il est, ou Cyrano confiant à Le Bret son amour pour Roxane… E. Dans un recueil poétique, le portrait peut ne pas être considéré comme forme close s’il obéit à une logique interne du recueil ; en ce cas, il peut se distinguer de l’ensemble Certains poèmes des Fleurs du mal relèvent du portrait.

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Les Caractères – 25

F. Peut-être peut-on parler d’autoportrait dans certaines œuvres personnelles, comme les Essais, Les Confessions, tant les limites du portrait sont floues ? Le parallèle avec l’autoportrait en peinture peut être intéressant : Dürer, Van Gogh, Miró…

Conclusion Le portrait peut être considéré comme un genre à part entière lorsqu’il est revendiqué par ses auteurs en tant que tel et qu’il obéit aux nécessités d’une structure close. Mais il constitue aussi un artifice descriptif précieux, porteur de multiples intentions, au sein d’œuvres littéraires très variées. Écriture d’invention • Les élèves devront revoir les procédés mis en évidence dans l’analyse des textes de La Bruyère et s’aideront des réponses aux questions sur le groupement de textes précédent. • La caricature pose le personnage (avec le dessin mais aussi le texte de légende). • Les élèves s’interrogeront sur la manière de critiquer le personnage : que faire ressortir ? comment articuler portraits moral et physique ? • L’intention satirique devra être respectée ; il faudra donc appuyer l’aspect critique du texte. • Enfin, le portrait est une forme brève et close : le texte produit devra avoir une structure répondant à ces contraintes. • Naturellement, la légende accompagnant le dessin pourra être utilisée plus ou moins directement dans le portrait écrit par les élèves.

E x t r a i t d u c h a p i t r e « D e s o u v r a g e s d e l ’ e s p r i t » ( § 5 4 )

( p p . 9 9 à 1 0 1 )

u Lecture analytique de l’extrait (pp. 102-103) u À travers le parallèle entre Racine et Corneille, La Bruyère révèle la conception classique du théâtre mais aussi plus globalement les préceptes élémentaires de la doctrine littéraire classique : expression juste et nécessitant goût et travail, respect de la morale et surtout imitation des Anciens, modèles inégalés. Les Anciens, d’ailleurs, sont largement évoqués dans ce texte, et, à travers eux, le poids du patrimoine littéraire. v Pour résumer, on peut dire que Corneille excelle dans l’action et Racine dans la psychologie. Le premier a l’art de suspendre l’action pour mieux déchaîner ensuite les événements, et il cède volontiers à la surcharge, même dans les caractères de ses personnages dont la grandeur s’impose aux spectateurs comme un modèle inaccessible. Racine, lui, offre une action plus monotone et approfondit davantage la psychologie de ses personnages dont il fouille les passions. w Dans la mesure où ce texte relève de l’éloge des deux dramaturges, les tournures et le vocabulaire sont propices à en vanter les qualités : – les accumulations développent sans fin les qualités des deux auteurs : « mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit pour la versification qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse » (l. 25-29) ; – les relatives contribuent, comme les accumulations, à étendre les propos flatteurs : « c’est l’esprit, qu’il avait sublime, auquel il a été redevable de certains vers, les plus heureux qu’on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de son théâtre, qu’il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens » (l. 14-17) ; – le superlatif exacerbe les qualités, les grandit : « quelques-unes de ses meilleures pièces » (l. 10), « Ce qu’il y a eu en lui de plus éminent » (l. 13-14), « certains vers, les plus heureux » (l. 15) ; – le vocabulaire, essentiellement laudatif, est lui aussi mis au service de la flatterie : « esprit », « admirable », « élégante », « harmonieuse », « grand », « merveilleux », « délicat ». Finalement, tous ces procédés relèvent de l’hyperbole : ils mettent en valeur et amplifient les qualités de ces deux grands dramaturges, au point de les ériger, eux aussi, au rang de modèles.

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Réponses aux questions – 26

x Les exemples cités dans ce texte sont, d’une part, des titres de pièces (Le Cid, Polyeucte, Andromaque) ou des noms de personnages de Racine et Corneille (Mithridate, Porus, Burrhus) ; mais on trouve aussi les auteurs grecs Euripide et Sophocle, modèles des plus respectables dont les noms servent ici de caution. Les pièces et personnages de Racine et Corneille ont ici valeur d’illustration et surtout de preuve (l. 38-40 : « Oreste, dans l’Andromaque de Racine, et Phèdre du même auteur, comme l’Œdipe et les Horaces de Corneille, en sont la preuve ») de ce qu’avance La Bruyère. y Racine se conforme très strictement aux règles fixées par les Anciens : « la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières » (l. 26-27), « exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l’action » (l. 29-31) ; de plus, ses personnages sont directement inspirés de la nature humaine. Corneille, lui, s’émancipe quelque peu des instructions : « il ne s’est pas toujours assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité » (l. 18-19). U Le parallélisme est ici la construction favorite de La Bruyère : ainsi, il met face à face les deux auteurs – ce qui les caractérise et les oppose – dans des constructions absolument similaires. Le parallélisme s’appuie sur le jeu de balance des noms, puis des pronoms comme « l’un » / « l’autre », « celui-là » / « celui-ci », « le premier » / « le second » : « Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres ; celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu’ils sont. Il y a plus dans le premier de ce que l’on admire, et de ce que l’on doit même imiter ; il y a plus dans le second de ce que l’on reconnaît dans les autres, ou de ce que l’on éprouve dans soi-même. L’un élève, étonne, maîtrise, instruit ; l’autre plaît, remue, touche, pénètre […]. » V Le reproche semble se dessiner en filigrane lorsque La Bruyère évoque Corneille et ses écarts (« les endroits où il excelle » sous-entend qu’il n’excelle pas dans tout !). Racine, lui, est parfaitement conforme (« exact », « scrupuleusement ») aux règles en vigueur et La Bruyère y voit une marque de perfection et se range par là même du côté des Anciens. W Racine et Corneille sont eux-mêmes très fidèles aux modèles antiques et participent donc activement de la pérennité des normes. Mais eux-mêmes semblent avoir leur personnalité littéraire propre : « CORNEILLE ne peut être égalé dans les endroits où il excelle : il a pour lors un caractère original et inimitable ; mais il est inégal » (l. 5-6) ; « les marquer l’un et l’autre par ce qu’ils ont eu de plus propre et par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages » (l. 41-43). Leur style est identifiable mais largement inspiré des Anciens. Ils gagnent donc le droit d’être considérés comme des modèles et les siècles qui ont suivi n’ont cessé de le confirmer. X Les modèles évoqués ici sont Sophocle et Euripide essentiellement, mais aussi plus généralement les Grecs (à nous de lire en filigrane Homère et Virgile, probablement). Homère et Virgile sont les pères de l’épopée et de la versification à vocation narrative ; les pièces de Racine et de Corneille sont écrites en vers, rappelons-le, et leurs grands héros appartiennent à l’Antiquité. Sophocle et Euripide sont, eux, les pères de la tragédie. at Même s’il reste très proche des modèles, Corneille est celui qui ose parfois s’en affranchir, tant dans la pureté du style que dans le déroulement des actions et leur vraisemblance. Il s’écarte donc quelque peu des préceptes d’Aristote (qui, dans son Art poétique, préférait « l’impossible vraisemblable » au « possible invraisemblable ») qui sont, rappelons-le, à l’origine de la règle classique des trois unités (temps, lieu, action). ak L’art dramatique, selon La Bruyère, devrait suivre scrupuleusement les règles dictées par les Anciens : pureté et imitation. On remarque que la tragédie, genre noble d’après les classiques, a la part belle ; en effet, Molière est cité dans ce chapitre « Des ouvrages de l’esprit » mais, s’il a su bien imiter Térence, il est beaucoup trop vulgaire au goût de La Bruyère. Et pourtant, il y a beaucoup de similitudes entre certains caractères de La Bruyère et certains personnages de Molière ! al On peut penser que La Bruyère prônerait tout aussi bien l’imitation des Anciens dans les autres arts que dans l’art dramatique ; seuls les contemporains qui les imitent bien sont jugés valables, et les plus audacieux, qui osent s’en émanciper, sont dénigrés. On est donc ici au cœur de la « querelle des Anciens et des Modernes ». Rappelons que l’élection de La Bruyère à l’Académie française fut considérée comme une victoire des Anciens et son discours de réception rend compte de cette victoire. am Ces phrases interrogatives sont des questions oratoires ou rhétoriques, qui n’appellent pas de réponse mais donnent plus de grandiloquence au propos. Ces questions sont propres aussi au genre de

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Les Caractères – 27

la tragédie et on a le sentiment ici que le style de La Bruyère mime le style tragique. De plus, la tournure exclamative, en mettant en valeur les qualités (tendresse et grandeur), participe de l’effet d’hyperbole initié par les termes laudatifs, les superlatifs et les accumulations. an Les occurrences du pronom indéfini sont assez nombreuses : « qu’on s’étonne qu’il ait pu tomber de si haut » (l. 9), « qu’on ne peut comprendre en un si grand homme » (l. 13), « certains vers, les plus heureux qu’on ait jamais lus ailleurs » (l. 15-16), « on nomme la terreur et la pitié » (l. 37), « peut-être qu’on pourrait parler ainsi » (l. 43-44), « ce que l’on admire, et de ce que l’on doit même imiter » (l. 47-48), « ce que l’on reconnaît dans les autres, ou de ce que l’on éprouve » (l. 48-49), « L’on est plus occupé aux pièces de Corneille ; l’on est plus ébranlé » (l. 55-56). Le « on » est un atout stylistique dont use le moraliste pour avancer à visage presque voilé, juste assez pour critiquer sans trop heurter. Le « on » est aussi ici celui des Anciens qui se reconnaîtront probablement dans les propos de La Bruyère : la critique n’en a que plus de poids !

u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 104 à 110)

Examen des textes et des images u Modèles évoqués : – Texte A : Sophocle, Euripide, les Grecs. – Texte B : Sophocle, Euripide, les Grecs, Homère, Cicéron. – Texte C : Walter Scott, auteur écossais à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles ; il est célèbre pour ses romans historiques, notamment Ivanhoé ou Rob Roy qui inspirèrent des versions cinématographiques ; – Texte D : tous les textes passés qui hantent les écrits présents et à venir. – Document : Léonard de Vinci est ici la référence explicite du Mona Lisa de Fernand Léger. On voit bien que la notion de modèle est une notion transversale et permet de passer d’un domaine esthétique à un autre (de la littérature au cinéma, par exemple). v Un modèle relève de l’intemporel et de l’universel : il transcende les époques, quitte à ne plus correspondre aux mœurs en vigueur. w Le texte A prône l’imitation des Anciens ; le texte D ne parle pas d’imitation mais de traces persistantes de l’ancien dans le nouveau ; la peinture de Fernand Léger montre de quelle manière La Joconde originelle peut susciter d’autres œuvres (Botero, Dali, Basquiat…) largement inspirées d’elle. C’est une manière de célébrer le modèle. En revanche, le texte B dénonce clairement l’imitation des Anciens : « Imiter aujourd’hui Sophocle et Euripide, et prétendre que ces imitations ne feront pas bâiller le Français du XIXe siècle, c’est du classicisme. » Quant au texte C, il dénonce surtout le décalage entre les valeurs inculquées par des œuvres cultes et la réalité de la vie. On voit, en tout cas, que les modèles ne laissent pas indifférent mais suscitent inspiration ou rejet. x Ce parallèle est intéressant car il permet de comparer un point de vue contemporain (et éminemment classique !) et un autre avec le recul de deux siècles. Pour La Bruyère, Racine est le classique par excellence dans la mesure où il se conforme aux règles en vigueur. La notion de classicisme est importante ici car, pour Stendhal, justement, Racine est romantique à son époque, comme l’ont été Sophocle et Euripide (eux-mêmes modèles parmi les modèles selon La Bruyère !) : « Cette dignité-là n’est nullement dans les Grecs, et c’est à cause de cette dignité, qui nous glace aujourd’hui, que Racine a été romantique », « Sophocle et Euripide furent éminemment romantiques ». y Est romantique celui qui ne copie pas les Anciens et plaît au goût de son époque : « Imiter aujourd’hui Sophocle et Euripide, et prétendre que ces imitations ne feront pas bâiller le Français du XIXe siècle, c’est du classicisme » ; « Le romanticisme est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible ». De fait, le romantique se lance sans filet puisqu’il s’émancipe des modèles, de ce qui a plu, et ose la nouveauté : « Il faut du courage pour être romantique, car il faut hasarder. »

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Réponses aux questions – 28

U Un palimpseste repose sur l’intertextualité et peut, dans sa forme la plus éloquente, relever de la réécriture. La définition de Gérard Genette pose la question suivante : toute œuvre n’est-elle pas nécessairement réécriture des œuvres passées, lues et digérées par l’auteur ? Ce processus semble ne pas avoir de fin : « Lira bien qui lira le dernier. » V Cette version est intéressante car elle montre à la fois que l’œuvre de Léonard de Vinci est unique et a gagné son statut de modèle, mais aussi que le modèle peut susciter maintes duplications, plus ou moins valorisantes d’ailleurs. Dans le cas de cette Joconde aux clefs, on sait que Fernand Léger a déclaré : « La Joconde est pour moi un objet comme les autres. » Le modèle ne devient ici qu’un élément de la toile, plus petit que les clefs et à peine plus gros que la boîte de sardines qu’elle côtoie. Le peintre ici s’amuse à déchoir le modèle et lui faire rejoindre le rang du prosaïsme. On pourra regarder, pour compléter cette observation, la version de Mona Lisa de Warhol ou celle de Dali, par exemple.

Travaux d’écriture

Question préliminaire L’examen des documents fait précédemment permettra de traiter cette question. On identifiera d’abord les modèles évoqués par les textes avant de comparer leur traitement : dans quels documents les modèles sont-ils loués, vénérés, célébrés (texte A, document) et dans lesquels sont-ils au contraire décriés ou rejetés (textes B et C) ? Les élèves devront ensuite comprendre les raisons de la disgrâce ou, au contraire, de la faveur accordée à ces modèles. Le texte D est en marge, dans la mesure où Gérard Genette ne pose pas clairement le problème de la valeur des modèles mais montre surtout à quel point les textes se réécrivent les uns les autres perpétuellement. Ils devront ensuite observer quelle attitude est adoptée face aux modèles : imitation, pastiche, réécriture perpétuelle (chez Gérard Genette). Commentaire

Introduction Cet extrait se situe vers le début du roman, peu de temps après la noce rurale d’Emma avec le pataud Charles. La désillusion est déjà au rendez-vous lors de cette noce où Emma ne reconnaît pas les mariages des princesses qui l’avaient tant fait rêver dans ses lectures d’autrefois. À travers ces lectures souvent illicites, introduites dans le couvent par une vieille fille caricaturale, Flaubert porte un regard acerbe sur un certain type de littérature et en fait une des causes du « bovarysme ».

1. Critique de la vieille fille A. Un rituel du couvent • Arrivée de la vieille fille, puis récurrence du pronom « elle » et reprise par « la bonne dame », expression déjà plus familière. • Le rendez-vous, régulier, ressemble à un rendez-vous amoureux : le jour et l’heure sont fixés, et il faut peu de temps pour que commencent les galanteries. B. Un monde de fantasmes • La vieille fille elle-même a une origine bien singulière, qui ne peut que susciter la curiosité des jeunes filles : « Protégée par l’archevêché comme appartenant à une ancienne famille de gentilshommes ruinés sous la Révolution ». • Bien que chargée des tâches ménagères, elle déjeune et converse avec les bonnes sœurs. • Les histoires qui la font se pâmer sont des histoires d’amour (« galantes », « amour »…) qui semblent suffire à la vieille fille et combler son intimité. • On note l’image phallique (« tout en poussant son aiguille ») dont Flaubert aime à user pour évoquer les désirs cachés de ses héroïnes. C. L’ascendant sur les pensionnaires • Les « pensionnaires » et surtout « les grandes » partagent les secrets de la vieille fille qui les pervertit d’abord par l’oral puis par l’écrit : « Elle savait par cœur des chansons galantes du siècle passé », « prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman ».

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Les Caractères – 29

• C’est elle qui a ici le pouvoir de transmission aux jeunes filles et ce rôle est un dévoiement de la vraie mission éducative des écrits !

2. Genèse du « bovarysme » A. La réclusion et ses méfaits • Emma transpose sa vie et sa réclusion dans l’univers des histoires dont elle s’abreuve : « Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir ». • Les comparaisons lui permettent de construire des repères référentiels, elle qui n’en a que si peu dans son couvent et doit surtout imaginer : « messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes », « comme ces châtelaines au long corsage ». • Le couvent est relayé par les églises et fait penser à la vie monacale, vie austère, de solitude et de recueillement (« sous le trèfle des ogives »). B. Bienfaits et méfaits de la lecture • Confusion des époques historiques et superposition de personnages sans lien entre eux, et dont la seule fonction est de faire rêver Emma (princes et princesses, noms de reines et de rois, d’héroïnes…). • Connaissance très approximative de l’histoire qui ne demande pas de grande vraisemblance et se prête aux rêveries les plus fantaisistes (« l’immensité ténébreuse de l’histoire », « perdus dans l’ombre et sans aucun rapport entre eux »). • Prédominance des clichés et notamment dans les termes relevant du milieu féodal (« manoir », « ménestrel », « châtelaine »…).

3. Un regard moqueur sur la littérature A. Des lectures adolescentes aux réminiscences autobiographiques • « Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture » respire le vécu par la précision des âge et durée. • La jeunesse se repaît de clichés à l’imparfait qui exprime la durée, la répétition de ces événements : « ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir. » B. Du roman médiéval à Walter Scott, critique de la littérature sentimentale • Accumulations et polyptote autour du verbe aimer : « Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames », « forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers. » • Vocabulaire tragique et gradation dans les verbes s’évanouir, tuer, crever : « dames persécutées s’évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu’on tue à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages. » • Phrases à rallonge qui singent le style exagéré des romans historiques : « Jeanne d’Arc, Héloïse, Agnès Sorel, la belle Ferronnière et Clémence Isaure, pour elle, se détachaient comme des comètes sur l’immensité ténébreuse de l’histoire, où saillissaient encore çà et là, mais plus perdus dans l’ombre et sans aucun rapport entre eux, Saint Louis avec son chêne, Bayard mourant, quelques férocités de Louis XI, un peu de Saint-Barthélemy, le panache du Béarnais, et toujours le souvenir des assiettes peintes où Louis XIV était vanté. »

Conclusion Ce texte est intéressant car il permet de mieux cerner la psychologie du personnage éponyme avant d’entrer dans la réalité de sa vie de femme mariée. Cette évocation va très vite susciter un contraste saisissant entre les illusions d’Emma et sa vie conjugale. On voit aussi les ravages de l’éducation des filles au couvent : réclusion et lectures illicites dont surgissent bien des fantasmes (tout cela avait commencé à être dénoncé, mais avec moins de virulence, dans certaines comédies de Molière). Flaubert s’y entend pour montrer les clichés qui ont bercé l’adolescence d’Emma (et probablement la sienne), et sa dénonciation de la littérature ultra-romantique va au-delà du XVIIIe siècle, puisque, peu après cet extrait, il est question des « méandres lamartiniens » et de ses « harpes et lacs », de « ses chants de cygne mourant »…

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Réponses aux questions – 30

Dissertation

Introduction Il s’agit de se demander si l’œuvre littéraire peut encore être originale, singulière, si l’on tient compte de tout ce qui a déjà été fait auparavant. Cette interrogation porte aussi bien sur le fond que sur la forme. Il faudra s’interroger sur l’avant La Bruyère (avait-il raison ?) et sur l’après La Bruyère (son affirmation a-t-elle été infirmée ?).

1. Tout a déjà été dit A. Des thématiques éternelles La mort, le temps, l’amour, la condition humaine… depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, dans la peinture, la musique ou la littérature. B. Des réécritures déjà nombreuses au XVIIe siècle La Fontaine réécrit Ésope, Molière réécrit Plaute. C. Les formes littéraires obéissent à des modèles déjà anciens et respectés La tragédie, la versification antiques.

2. La littérature se renouvelle sans cesse (tant sur la forme que sur le fond) A. Les thématiques évoluent La création après les Guerres mondiales, la tolérance, la place des femmes… thèmes qui accompagnent les grandes évolutions historiques et sociales. B. Les formes évoluent et se renouvellent • Vers libres, poèmes en prose, romans écrits selon des points de vue plus originaux (La Modification de Butor…). • Roman épistolaire, théâtre de l’absurde… C. Les conditions de production des écrits changent en fonction des périodes et conditionnent la littérature, comme les autres arts Sans censure, plus de liberté de forme et de fond… même si la censure peut faire naître une créativité intense, révoltée, cachée, comme l’a évoqué Sartre.

3. Peut-on justifier le raisonnement de La Bruyère ? A. Contexte historique Conflits d’intérêts obligeant à plaire au roi (mise en scène de héros, d’événements héroïques auxquels il pourra s’identifier). B. Contexte esthétique Les règles suivies viennent de l’Antiquité ; les modèles sont les grands auteurs antiques (Sophocle, Euripide, Homère, Virgile…). C. Contexte strictement littéraire Les formes brèves existent déjà, parlent au public sans le lasser ; pourquoi chercher l’originalité en ce cas ? Écriture d’invention • Les consignes, très précises, doivent permettre aux élèves de traiter correctement ce sujet. • On jugera de la cohérence par rapport au sujet et au texte-ressource du corpus qui nous montre les valeurs qu’Emma avait acquises dans ses lectures. Il faut imaginer sa déception quand elle découvre, après son mariage, qu’il n’en est rien et que tout cela n’était qu’illusion. • Pour s’aider, les élèves pourront s’appuyer sur les trois notions données par la citation : félicité, passion, ivresse. • Enfin, il faut respecter le système énonciatif du texte : récit à la 3e personne, regard volontiers ironique à l’égard d’Emma (mais aussi des autres personnages), notamment perceptible dans les procédés d’exagération du romantisme exacerbé de la jeune femme.

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Les Caractères – 31

E x t r a i t d u c h a p i t r e « D e s f e m m e s » ( § 4 3 ) ( p . 1 1 4 )

u Lecture analytique de l’extrait (pp. 115-116) u Le postulat de départ reposant sur l’indéfini « quelques-uns » (« la dévotion vient à quelques-uns ») est très vite restreint par le biais de l’adverbe « surtout » qui ramène la catégorie à celle des femmes essentiellement. C’est un petit détour esquissé par La Bruyère pour bien insister sur l’aptitude des femmes, plus que les hommes, à céder à ce travers. L’ironie est donc perceptible dès la 1re ligne. Les femmes ne sont plus reprises ensuite que par le pronom représentant (« elles »), redondant à outrance dans le but de baliser clairement le texte et d’éviter les méprises. Ce procédé est récurrent dans le style de La Bruyère et participe de la clarté du propos. v Les femmes sont plus touchées que les hommes par la dévotion car : – l’âge peut avoir une nette incidence (la femme qui vieillit cherche des remèdes à son ennui et à la déchéance de sa beauté) ; – la mode guide souvent leurs inclinations, les faisant basculer parfois dans des états contraires, pour peu qu’il faille suivre le mouvement général ; – l’art oratoire touche leur cœur facilement (qu’il s’exerce en poésie ou dans un sermon !) ; – la course au divertissement et aux passions les plus enivrantes les fait tendre vers ce qui peut remplir le plus leur vie et combler leurs frustrations ; – le règne des apparences les pousse à montrer, démontrer aux autres qu’elles font plus (ici, pour la religion) ; cela les autorise à critiquer ceux qui font moins, et l’on sait que la médisance est un penchant bien féminin ! w La Bruyère pratique les phénomènes accumulatifs dans tous les paragraphes de ses Caractères : il en est de même ici. « Elles allaient » induit trois compléments essentiels juxtaposés sans mot de liaison (nouvelle asyndète, comme souvent chez La Bruyère), construits de la même manière : le complément de temps (« le jour »), le COD de l’infinitif perdre qui augmente en gravité et opère donc une gradation (« leur temps », « leur argent », « leur réputation ») et le complément introduisant trois noms féminins qui riment outrageusement. Ces noms renvoient à la comédie et à la tragédie et enferment les femmes dans des clichés : la coquette, la prude, la soumise. Ce n’est pas la seule fois que le théâtre s’invite dans Les Caractères. La rime fond les trois femmes en une seule ; il y a peut-être dans chaque femme un peu des trois – ce qui lui permet de passer de la frivolité à la dévotion. x Les deux champs lexicaux qui dominent sont celui de la religion et celui des plaisirs : – religion : « dévotion », « sermon », « austérité », « retraite », « vertu », « réforme » ; – plaisirs : « jeu », « spectacle », « concert », « mascarade », « joie », « jouissaient », « plaisir », « distractions », « l’Opéra », « la comédie », « bonne chère », « oisiveté ». A priori, religion et plaisirs semblent s’opposer, puisque à la joie s’oppose l’austérité, ou au spectacle le sermon. Ces champs lexicaux, plus que s’opposer, font une sorte de relais et fonctionnent de manière alternative : on voit bien dans ce jeu de balance que l’un et l’autre sont interchangeables ; on y décèle l’instabilité des inclinations féminines. Encore une fois, rappelons que « souvent femme varie »… y La première moitié du texte (du début à « autres temps, autres mœurs ») repose sur l’emploi de l’imparfait, qui évoque ici les habitudes d’un temps apparemment révolu. Comme l’indique la phrase-pivot, La Bruyère recourt à un « autre temps » pour évoquer d’« autres mœurs ». Et c’est donc au présent de l’indicatif (temps le plus utilisé dans Les Caractères) que se déroulent la suite du texte et le passage de l’oisiveté à l’austérité. Ce passage renvoie, dans l’histoire contemporaine de La Bruyère, au moment où Mme de Maintenon a fait régner, via Louis XIV, l’austérité et la dévotion en France. On croirait, à ce moment, que ces deux périodes sont incompatibles et s’opposent, comme les champs lexicaux vus dans la question précédente. Mais c’est compter sans l’ironie du moraliste : il rétablit à la fin du texte l’alternance des temps au sein des phrases : « elles ne haïssent pas » / « elles faisaient, elles se perdaient » / « elles se perdent ». Cela montre à quel point ces manières de vivre sont interchangeables, plus qu’opposées. Et il est drôle de voir que religion et plaisirs peuvent se substituer ainsi ! Là aussi, l’instabilité féminine a l’art de rapprocher les contraires. U Cette phrase nominale repose sur une construction parallèle articulée sur la répétition de l’adjectif (ici utilisé comme déterminant) qui marque une opposition entre un avant et un après (en réalité, l’avant et l’après Maintenon). Elle joue sur la concision pour montrer la rapidité du changement de

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Réponses aux questions – 32

mœurs. Ce changement semble fragile, précaire, du fait de la précipitation, et la foi qui est supposée avoir orchestré ce bouleversement de la société est rendue peu crédible. Cette phrase nominale offre donc un concentré d’ironie. V Les comparaisons jouent sur le rapprochement entre la ferveur religieuse et les préoccupations plus triviales ; elles œuvrent au rapprochement des contraires et contribuent à l’expression de la satire des dévotes : – « la dévotion vient […] comme une passion » (l. 133-134) : le comparé donne au texte entier sa thématique ; le comparant, lui, joue sur sa polysémie (passion de l’âme ou Passion) pour joindre les deux penchants naturels des femmes ; – « ou comme le faible d’un certain âge » (l. 134) : les femmes tendent à la dévotion au fur et à mesure que l’âge les éloigne de la galanterie ; – « ou comme une mode qu’il faut suivre » (l. 134-135) : les comparaisons suivent une gradation qui dévalorise graduellement le sentiment religieux, de plus en plus éloigné de la notion de piété (Passion) pour n’être qu’une mode ! – « elles pensent encore, et assez bien d’elles-mêmes, comme assez mal des autres » (l. 149-150) : la comparaison opère ici une opposition entre la bonne opinion que les dévotes ont d’elles-mêmes et la mauvaise qu’elles ont des autres ; le fait de ne plus parler autant qu’avant ne les empêche pas de médire en silence – ce qui n’est pas un comportement très pieux ni charitable ! – « elles ne haïssent pas de primer dans ce nouveau genre de vie, comme elles faisaient dans celui qu’elles viennent de quitter » (l. 152-153) : la comparaison montre que, de l’oisiveté à la dévotion, il n’y a pas beaucoup de différences dans le comportement ; les dévotes veulent toujours dominer, régner sur les autres, comme elles le faisaient avant par leur coquetterie, par exemple. W « Elles outrent l’austérité et la retraite » révèle que les dévotes grossissent le trait pour montrer à quel point elles sont vertueuses et pour susciter l’admiration. De la même manière, le moraliste grossit le trait pour se moquer de ces (fausses) dévotes ; il y a là une mise en abyme du travail de La Bruyère. Par ailleurs, le verbe voir renvoie ici à l’obscurantisme (« elles n’ouvrent plus les yeux qui leur sont donnés pour voir »), corollaire le plus négatif de la dévotion. Là encore, l’ironie du moraliste se fait cruellement sentir ; la dévotion est avant tout une manière de paraître aux yeux du monde ; et La Bruyère nous rappelle ici que la fin du règne de Louis XIV fut marquée par l’obscurantisme. X Les trois personnages féminins cités (Ismène, Climène et Célimène) renvoient clairement à la comédie et à la tragédie. On sait que La Bruyère aimait beaucoup les modèles antiques et Molière (qui avait su si bien puiser son inspiration dans la comédie latine). Ces trois personnages féminins renvoient à trois types : la femme faible et soumise, la prude et la coquette. Nos dévotes semblent définir un « type », avec ses manières, ses attitudes. D’ailleurs, leur passage rapide entre l’ancienne et la nouvelle vie ne ressemble guère qu’à un changement de costume d’une pièce à l’autre ou d’un rôle à l’autre, un rôle où elles parlent moins mais surchargent leur jeu de démonstrations de ferveur religieuse. De plus, les allusions au spectacle, à la mascarade (jeu de travestissement), à la comédie et à l’opéra s’ajoutent à des occurrences déjà nombreuses dans Les Caractères. Le monde est une vaste représentation où l’on joue un rôle qui suit l’air du temps. Rappelons-nous qu’« un dévot est celui qui, sous un roi athée, serait athée » (« De la mode », § 21). at La figure de style ici utilisée est une litote, qui consiste à dire moins pour dire plus, à l’instar du célèbre exemple de Corneille (dans Le Cid, Chimène parlant à Rodrigue : « Va, je ne te hais point »). La Bruyère montre ici que, même dans le domaine religieux, les femmes veulent toujours se distinguer des autres et montrer qu’elles leur sont supérieures, comme elles l’étaient avant cela dans les salons ou la société mondaine (leur ancienne vie). Jalousie et envie n’ont pourtant a priori rien à faire dans ce domaine. L’ironie est décidément de mise dans ce portrait grinçant. On peut rappeler la phrase de Gide : « Le Classicisme tend tout entier vers la litote », qui n’est guère démentie ici ! ak La Bruyère ne critique pas les dévotes mais, en fait, les fausses dévotes. Sa note guide d’ailleurs notre interprétation. La critique des faux dévots se retrouve aussi dans le chapitre « De la mode » (§ 21) et dans le portrait d’Onuphre (§ 24), qui n’a rien à envier au Tartuffe de Molière : « Il ne dit point : ma haire et ma discipline, au contraire ; il passerait pour ce qu’il est, pour un hypocrite, et il veut passer pour ce qu’il n’est pas, pour un homme dévot. » al L’exclamation surgit dans la phrase et nous fait entendre la voix du moraliste dans l’énonciation. La Bruyère laisse percer, sans détour rhétorique, sa subjectivité. L’ironie, ici, est donc à son apogée.

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Les Caractères – 33

u Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 117 à 124)

Examen des textes et de l’image u Les femmes sont naturellement enclines à divers goûts et inquiétudes qui les rendent réceptives à la dévotion : – elles redoutent la vieillesse et la fin de leurs attraits (textes A et B) ; – elles aiment le pouvoir : influencer les autres, voire les dominer clairement (textes A et D) ; – elles sont très sensibles aux effets de mode (textes A et B) ; – elles font grand cas du regard des autres et ménagent les apparences (textes A, B et D). v La dévotion lutte, en apparence tout du moins, contre : – la frivolité et l’oisiveté (textes A, B et D), comme le montre le champ lexical du divertissement : « mascarade », « concert », « spectacle », « jeu », « Opéra », « comédie », « joie », « bals », « chansons », « bonne chère », « oisiveté », « visites », « sourire » ; la Pharisienne est horripilée par « le teint coloré », « la belle humeur » et « la tenue négligée » de son époux ; – les bavardages inutiles qui mènent aux médisances (textes A et B), comme le montre le champ lexical de la parole : « parlent peu », « propos oisifs », « fariboles », « se taire », « jaser », « conversations », « médire », « caquets », « babille », « conter » ; – la coquetterie, la séduction (textes A et B), comme le montre le champ lexical de la galanterie : « plaisir », « jalousie », « réputation », « hommage », « galant », « cœur », « jouir », « désirs », « plaire » ; – l’impiété bien entendu (textes A à D), comme le montre le champ lexical de la ferveur religieuse : « sermon », « austérité », « retraite », « vertu », « réforme », « zèle », « voile », « sagesse », « prude », « Ciel », « salut », « voies » (ambiguïté sémantique : si les « voies » du Seigneur sont impénétrables, celles du roi le sont moins pour l’habile Mme de Maintenon), « disgrâce », « perte », « miracles », « dimanches » (connotation : jour du Seigneur), « couvent », « Lourdes », « règle ». w La dévotion règne sur les habitudes et les mœurs et s’impose dans tous les domaines : – l’éducation (du couvent à chez elles, aussi bien chez leurs parents que chez leur époux, les femmes reçoivent la parole divine et doivent s’y conformer sous surveillance) ; – la vie de famille (il faut se marier vite, faire des enfants, vieillir pieusement) ; – la vie sociale (notamment dans leurs relations aux autres et les lieux où on les côtoie) ; – le pouvoir en général (régner chez soi, sur sa paroisse ou sur son pays). La dévotion opère par prosélytisme et procède à une véritable épuration des mœurs, même si cette épuration n’empêche pas d’autres vices de prendre place (comme le mépris ou la jalousie). x Dans le texte A, la preuve a été donnée que le moraliste ne cherche pas à retenir sa voix : l’énonciation cible les femmes de son temps enclines à la fausse dévotion, et le moraliste s’invite dans le système énonciatif avec l’exclamation « chose incroyable ! ». Toute la rhétorique déployée par La Bruyère ajoute à la portée satirique du texte. Dans le texte B, le discours direct, propre au discours dramatique, met sur scène la parole même de l’auteur par le jeu de la double énonciation. Molière dénonce les faux dévots (et les cabales dont il a été victime) quand Dorine dénonce les manigances de Tartuffe. Le texte C dresse de Mme de Maintenon le portrait d’une intrigante ; les accumulations, les relatives décrivent des comportements tortueux et manipulateurs ; les images (les épines et le naufrage) témoignent de la subjectivité de l’historien qui se fait critique. La description du personnage de la Pharisienne n’est pas dénuée de subjectivité. Le personnage du père est présenté sous un aspect favorable : bon vivant, gai, détendu. Sa femme n’aime pas ce qu’il y a d’agréable en lui et l’oblige de plus à changer avec autorité (« sur une remarque de sa femme »). Elle est décrite, en opposition à son époux, comme stricte à outrance, dans sa tenue et dans son attitude. Pour servir sa rigueur, cette femme peut aller jusqu’à s’imposer l’inconfort (« malgré la chaleur »). L’antipathie du lecteur est largement sollicitée ici. Notons que, pour ces quatre textes, la critique ne s’impose pas à travers un locuteur à la 1re personne du singulier. y Le costume de dévot doit conforter par les apparences l’idéologie clamée en société : – Texte A : on devine que la « vertu », la « réforme », l’« austérité », la « retraite » ne sont guère favorables aux coquetteries vestimentaires ; les tenues portées pour aller au spectacle ne sont plus de

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Réponses aux questions – 34

mise pour les dévotes ; de plus, la dévotion touche davantage les femmes « d’un certain âge » ; leur tenue dépend aussi de leur âge. – Texte B : la dévote évoquée par Dorine est aussi une femme d’un certain âge (« ses attraits usés », « haute sagesse ») ; il n’est plus question pour elle de montrer ses attraits, et sa tenue désormais devra la montrer « prude » et sévère. – Texte D : le costume de la Pharisienne n’aurait rien à envier à celui de Tartuffe (III, 2 : « serrer ma haire à ma discipline ») : malgré la chaleur, pas un bout de peau ne sort de sa tenue ; son vêtement la serre ; rien n’est laissé au hasard, pas même sa coiffure ; les attitudes elles-mêmes sont étudiées (le sourire, le port de tête, la démarche, le timbre de la voix). – Document : Isabelle Huppert est, sur l’affiche, le seul personnage qui ne sourit pas ; l’austérité et l’air peu aimable caractérisent ici aussi la dévote ; son costume est sombre et sobre, la coiffure est rigide, le port de tête hautain. Rigueur et austérité caractérisent donc le costume du dévot, et l’attitude est tout aussi travaillée que le costume. U Les termes mis à la rime dans les deux textes mettent en valeur l’alternative entre austérité et piété (texte B : « vie », « envie », « plaisir », « désirs », « sage », « dévot personnage », « paroles », « fariboles »…) et désignent sans ambiguïté ce qui domine dans la vie des femmes soumises aux bonnes mœurs (texte C : « fiancer », « marier », « enfants », « parents », et le récurrent verbe montrer). Dans le texte B, les enjambements aussi montrent la mise en marche d’un destin implacable ; la femme qui a vieilli doit se retirer du monde et suivre de saints préceptes : « Au monde, qui la quitte, elle veut renoncer, / Et du voile pompeux d’une haute sagesse / De ses attraits usés déguise la faiblesse » ; « Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude / Ne voit d’autre recours que le métier de prude ; / Et la sévérité de ces femmes de bien / Censure toute chose, et ne pardonne à rien ». V Dans le texte de Saint-Simon, Mme de Maintenon apparaît comme une femme de pouvoir, exerçant son influence dans l’ombre mais jouant un rôle clé dans toutes les décisions majeures. On peut être aimé ou détesté du roi par ses soins. L’affiche de cinéma place Isabelle Huppert (Mme de Maintenon) au centre de l’image, à un plan intermédiaire entre le titre (Saint-Cyr), qui évoque immédiatement sa créatrice, et les jeunes filles du premier plan, recueillies dans ce couvent pour y être éduquées. Mme de Maintenon est donc la pièce centrale de l’affiche comme de l’intrigue – du moins le texte le laisse-t-il supposer –, avec les points de suspension offrant la possibilité d’un retournement de situation. Elle semble peser, sans bienfaisance (à en juger par son regard), sur les destins des jeunes filles au premier plan.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Il faudra signaler divers points pour répondre à cette question, en tenant compte du fait que ces quatre documents appartiennent à des genres et à des époques très divers : – le système énonciatif des textes laisse percer, de manière plus ou moins limpide, un locuteur critique, parfois capable d’humour à l’égard de ses cibles (texte D surtout), en tout cas toujours caustique ; – les dévots et dévotes sont cernés dans leur environnement et leur histoire : qui ils étaient avant, qui ils sont devenus, qui les influence et qui ils influencent ; – dans quels domaines, par quelles pratiques (parfois spectaculaires) la dévotion s’exerce-t-elle ? – la dévotion est-elle une vraie ferveur religieuse ou un vaste mensonge ? Commentaire

Introduction Si La Rochefoucauld a écrit dans ses Maximes que « la fortune et l’humeur gouvernent le monde », Saint-Simon se montre peut-être un peu moins fataliste lorsqu’il se complaît à « décrire quelques scènes paradoxales où tombent comme naturellement les masques des acteurs et des décors de l’illusion » (Yves Coirault, introduction aux Mémoires, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard).

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Les Caractères – 35

1. Les Mémoires ou les subterfuges de l’objectivité A. Le chassé-croisé des personnages historiques Si la présence de Mme de Maintenon est écrasante (« elle », son nom, les adjectifs possessifs et même la tournure impersonnelle « il lui fallait du temps »), nous croisons dans ce texte quelques ministres (nommés ou non) et même le roi qui apparaît de façon détournée. B. L’identification du narrateur Une seule occurrence du pronom « on » et la référence à ce qui aurait été dit précédemment (« on l’a vu ») ; le parti est surtout ici celui de l’historiographe. C. La fonction testimoniale des Mémoires L’alternance imparfait / passé simple coupe le texte en deux parties : le cyclique de la chronique basé sur la répétition et la succession d’exemples historiques, objectifs.

2. De l’impartialité historique à l’arbitraire polémique A. L’image de l’intrigante • Le temps peut lui être une aide précieuse ou un obstacle (« elle prenait son temps » / « il lui fallait du temps »). • L’accumulation d’infinitifs et des phrases de plus en plus longues décrivent ses manigances. • Après de longues phrases, la condamnation de l’auteur tombe comme un couperet (« elle ne les manquait pas ») et la dévote se mue en mauvaise fée (« miracles »). B. La subjectivité du narrateur • Les relatives font entendre avec ironie la voix de la maîtresse femme, dans les coulisses du pouvoir. • La modalisation (« ou qu’ils sortaient de chez elle ») et la rétention (« rien ou presque rien ») montrent que rien ne se fait sans elle. • Les métaphores convoquent des images courantes à l’époque : « les couleurs » et les « souplesses » renvoient au domaine du masque, de la comédie ; « les épines » (image souvent utilisée par l’auteur) évoquent l’inconfort de la situation et le « naufrage » exagère le pouvoir de Mme de Maintenon qui peut repêcher le plus disgracié de tous par son influence sur le roi.

Conclusion Fidèle aux principes de l’historiographie de l’époque, cet extrait relate la grandeur et la décadence de quelques destins illustres. On y voit la mécanique de l’intrigante, mais surtout on devine les causes : la vie de la Cour, avec ses mensonges et ses convoitises. Dissertation Si l’on part de ce corpus, on pense immédiatement à l’exemple du fanatisme religieux. Certes, la fin du règne de Louis XIV peut être difficile à s’approprier pour des élèves, mais les dégâts causés par la ferveur religieuse (l’intolérance, les guerres sanglantes) et le paradoxe entre ce qu’on paraît être (pieux, respectueux et respectable) et ce que l’on est au fond (hypocrite et intéressé) doivent faire écho dans ce que les élèves connaissent. Il faudra alors rechercher :

1. Les cibles de la critique dans la littérature au fil des siècles Se demander si elles sont susceptibles de nous intéresser lorsqu’elles touchent un événement en particulier : le conflit entre protestants et catholiques, l’abolition de l’esclavage, le combat pour la tolérance, l’idée de progrès…

2. Y a-t-il des préoccupations finalement intemporelles et qui traversent le temps ? Les inégalités parmi les hommes, l’atrocité de la guerre, la tolérance entre les différentes religions et cultures, la torture, la place des femmes, Dieu, la condition humaine…

3. Dans quelle mesure les qualités du texte peuvent-elles nous amener à nous intéresser ou pas à la critique des siècles passés ? Le conte philosophique transpose la notion visée, le théâtre rend plus vivant un débat, une fiction peut rallier le lecteur à une cause en suscitant l’émotion ou en usant de détours romanesques, la poésie engagée cache dans les images et les allusions de cruelles réalités…

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Réponses aux questions – 36

Écriture d’invention • Le pamphlet est un court écrit satirique qui attaque avec violence gouvernement, institutions, religion, etc. • Les élèves devront veiller à respecter l’énonciation exigée par ce sujet : ils doivent s’approprier leur texte et faire en sorte qu’il soit recevable par un public contemporain, et non pas chercher à plagier ce qu’ils ont pu lire (notamment les pamphlets voltairiens). • Ils doivent avoir saisi que leur texte s’opposera au fanatisme religieux (et ne pas en faire l’apologie !). • Surtout, il leur faut trouver des arguments à charge contre le fanatisme religieux pour que leur texte atteigne son but : convaincre le lecteur.

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Les Caractères – 37

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

Rappel méthodologique Il conviendra de rendre les élèves sensibles à certains éléments de composition de l’image, comme les jeux sur les contrastes qui permettent de mettre en valeur certains éléments plus que d’autres, les axes (horizontaux et verticaux) qui orientent la lecture et l’analyse de l’image, les plans et les éléments qui y figurent, les effets de netteté et de flou qui tranchent entre les personnages du premier plan et les autres, par exemple. Comme pour un texte, on fera attention aussi à la visée du document, notamment s’il y a écho avec le texte correspondant (comme une gravure ironique pour illustrer un texte qui l’est tout autant). Enfin, on s’attachera à montrer quelle est la valeur de l’image ici : simple ornement, complément du texte, interprétation du texte…

u Portrait de La Bruyère (p. 4) L’œuvre Ce portrait est intéressant car La Bruyère y est représenté de pied en cape et l’on peut y distinguer un costume et une coiffure conformes à l’esprit de la cour de Louis XIV. Rappelons-nous que La Bruyère n’a eu de cesse de critiquer ces grands auxquels il n’appartenait pas à l’origine et qu’il enviait tout en les méprisant. La coiffure est donc une perruque frisée, abondante, marque des seigneurs, des courtisans, et de leur attachement à la mode ; quant à l’habit, il est constitué d’une redingote, de la culotte et de la chemise bouffantes, des chaussures lacées, l’ensemble étant rehaussé d’un drapé qui donne au personnage une allure à la fois noble et antique, en quelque sorte à l’image de ses écrits ! L’attitude de La Bruyère est éloquente : son air austère et grave rappelle qu’il ne se laissa pas aller à la frivolité ou à la chair, mais que sa vie fut plutôt celle de l’observateur discret ; la gestuelle relève du penseur, nonchalamment inspiré par les livres exposés à sa gauche : l’œuvre de Théophraste. Le portrait met donc en valeur l’appartenance sociale de l’auteur, mais aussi son attitude face au monde qu’il observe et sa source d’inspiration.

Travaux proposés – Commentez la tenue vestimentaire de La Bruyère sur ce portrait. Que révèle-t-elle ? – Que pouvez-vous dire de son attitude ? En quoi peut-elle être significative du rapport de l’auteur à son travail de moraliste ? – Quel élément de décor remarquez-vous dans ce portrait assez dépouillé ? Que révèle cet élément ?

u Page de titre des Caractères (p. 8) L’œuvre Il s’agit ici d’une édition des Caractères qui a la particularité d’être du début du XVIIIe siècle, donc postérieure à la mort de l’auteur. De fait, elle s’inscrit dans la volonté permanente de La Bruyère de faire évoluer son œuvre en augmentant le texte et en dépassant rapidement le texte-source de Théophraste traduit avec ses propres Caractères, marqués du sceau de son siècle. On retrouve trois mentions propres au XVIIe siècle : le titre de l’Académie française, sorte de caution institutionnelle de qualité pour le lecteur ; le nom de l’éditeur suivi de son titre (« Imprimeur du Roy »), légitimant davantage encore ladite parution ; enfin, la mention finale « Avec privilège de Sa Majesté », qui logiquement place l’œuvre sous la protection du roi et montre que nulle censure ici n’est venue entraver sa parution. Par ailleurs, la mention de la Clef montre que cette édition voit plus loin que les précédentes ; on sait que La Bruyère a donné très peu de Clefs et que ces dernières ont surtout circulé à son insu. On sait aussi que les Clefs ont été abondantes à partir du XVIIIe siècle : sans doute était-il moins risqué de formuler des hypothèses sur les personnages publics, cibles de la critique, après leur mort, et sans doute cela le sera-t-il encore davantage après la mort de Louis XIV ?

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Compléments aux lectures d’images – 38

Travaux proposés – De quand date cette édition ? – Quelle hiérarchisation des différents textes présents dans cette édition est mise ici en évidence ? En a-t-il été de même lors de la première édition des Caractères ? – Qu’apporte la mention des titres honorifiques et des personnages importants sur cette édition ?

u Un grand sollicité par des bourgeois (p. 89) L’œuvre Cette illustration d’Octave Penguilly a été ajoutée à une édition des Caractères de 1845, soit un siècle et demi après la première édition des Caractères. La composition en est très intéressante : – au premier plan : le grand est mis en valeur par un effet de contraste produit par son habit et le fauteuil dans lequel il est assis (auquel fait écho le coussin du chien, en bas à gauche) ; un bourgeois quitte la masse, le rejoint et tente ainsi de s’immiscer dans ce premier plan, mais le regard méprisant qu’il récolte montre qu’il n’est pas le bienvenu ; – au second plan : du côté gauche, la table et les paravents en retrait produisent un effet saisissant d’opposition entre l’horizontalité et la verticalité qui semblent rappeler l’aplanissement des bourgeois voués à quémander les faveurs à un grand dont la hauteur leur est inaccessible ; à droite, la masse des bourgeois perd la netteté du visage pour n’être plus qu’une masse vénale et implorante. Cette illustration est ici en parfaite adéquation avec les propos de La Bruyère (on peut rapprocher l’illustration des § 52 et 56 du chapitre « Des grands », par exemple). Le grand est représenté avec tout son artifice social, ensemble de signes extérieurs de richesse et de pouvoir : le serviteur qui attend de contenter chacun de ses désirs pendant son repas ; une table bien garnie ; un habit riche ; les chiens qui ont droit, eux, de rester avec leur maître ; une décoration et un mobilier riches et soignés. Les bourgeois, eux, sont noyés dans une masse sans visage (pour un grand, il y a quantité de bourgeois !) et quémandent un moment d’attention pour quelque requête, au risque de ne recevoir que mépris et dégoût.

Travaux proposés – Étudiez la composition de cette illustration. Quels axes semblent se dessiner ? – Comment le grand est-il ici représenté ? Y voyez-vous une conformité avec le texte de La Bruyère ? – Quel traitement cette illustration inflige-t-elle aux bourgeois ?

u Honoré Daumier, Les Bons Bourgeois (pp. 94-95) L’auteur Daumier réalise ses premières lithographies en 1828 pour le journal La Silhouette, puis ses premières caricatures en 1830 pour La Caricature. Il entre enfin au Charivari en 1832. Son talent lui vaut une rapide renommée, notamment dans le cercle républicain ; il sera emprisonné durant six mois pour avoir publié une caricature représentant Louis-Philippe en Gargantua. Dès 1835, Daumier s’oriente davantage vers la caricature de mœurs (dont fait partie notre document). Et l’on comprend dès lors pourquoi il fut très lié avec Balzac, autre grand peintre des mœurs.

L’œuvre Les contrastes de cette gravure mettent en valeur le personnage, placé au centre, dans sa chemise de nuit blanche : il est gras, bedonnant, comme un homme qui a suffisamment d’argent pour bien se nourrir ! Derrière lui, un lit à baldaquin confirme le milieu social, et l’on distingue près de la chaise le fusil de chasse, divertissement des riches. Le texte joue sur le paradoxe entre l’heure très matinale à laquelle il se lève, qui serait plutôt celle de l’ouvrier partant au labeur, et l’occupation qui l’attend, évoquée par le lexique du plaisir (« goûter », « plaisir »). Ici, le personnage est critiqué pour ce qu’il représente : un bourgeois gras, oisif, goûtant à des plaisirs (le luxe, le divertissement…) ayant autrefois appartenu aux nobles.

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Les Caractères – 39

Travaux proposés – Ce portrait d’un personnage représentatif d’une couche sociale vous rappelle-t-il un procédé similaire chez des auteurs que vous connaissez (dans le corpus et autres) ? – De quelle manière le personnage est-il mis en valeur dans la structure de l’image ? – De quelle manière la légende du texte éclaire-t-elle l’image ?

u Les Caractères vus par Octave Penguilly (p. 98) L’œuvre L’illustration est à nouveau destinée à une édition du milieu du XIXe siècle. Ici, le dessinateur a réalisé une galerie de portraits supposés nous évoquer quelques personnages rencontrés dans Les Caractères. Certains personnages sont facilement identifiables : la jeune précieuse (future dévote en vieillissant) est parée des artifices de la séduction (rubans, bijoux, tenue décolletée et parée de dentelles, éventail, gants…) et se laisse courtiser par quelque beau parleur probablement aussi fort pour charmer les dames que les puissants (on repense à Pamphile, § 50, « Des grands ») ; l’austérité de l’homme de robe (Église ou magistrature ?) est mise en valeur par le contraste de l’habit avec l’ensemble de la composition, et ce personnage monopolise le centre de l’image et cache à peine un vieillard rendu aveugle par les années, un autre fermant les yeux en un signe de consentement ou de soumission à tout (ce que lui dirait un grand ?)… L’arrière-plan laisse deviner une masse à peine ébauchée d’autres personnages, susceptibles de figurer dans les portraits. Les personnages se détachent en tout cas les uns des autres et semblent tout aussi distincts que l’est le texte de La Bruyère : un mélange de formes brèves discontinues. L’illustrateur semble avoir utilisé le procédé du moraliste lui-même.

Travaux proposés – En quoi la forme de cette galerie de portraits vous semble-t-elle cohérente pour illustrer Les Caractères ? – Commentez les deux personnages de gauche : quels personnages ou quels types de personnages des Caractères vous évoquent-ils ? – Que pouvez-vous dire du personnage central ?

u Fernand Léger, La Joconde aux clés ou Mona Lisa (p. 108) L’auteur Fernand léger n’a eu de cesse de puiser son inspiration dans le monde réel, en l’occurrence le monde moderne, marqué par le progrès, les formes géométriques et dépouillées, les nouveaux matériaux. La Joconde aux clés est l’une de ses toiles les plus célèbres.

L’œuvre Mona Lisa et son sourire énigmatique ont fait beaucoup de chemin depuis Léonard de Vinci : La Joconde a notamment été reprise par Botero, Dali, Basquiat et même Andy Warhol ! On voit ainsi quelle place importante occupe cette toile dans l’art et de quelle manière le modèle a suscité des interprétations et des créations originales, propres à refléter le style d’artistes très différents. Dans la toile de Fernand Léger, Mona Lisa côtoie des éléments triviaux et déshumanisés comme les clés ou la boîte de sardines. Elle est en quelque sorte la caution esthétique de cette étrange composition picturale. Surtout, elle est plus petite que les clés, par exemple, et n’occupe plus la place centrale qu’elle avait dans la toile de Vinci. Le modèle est donc là mais détourné, mis de côté dans un ensemble hétéroclite d’éléments. Par ailleurs, on a le sentiment que Mona Lisa est estompée par rapport aux contours contrastés et nets des clés ou de la boîte de sardines : le modèle est décidément exploité d’une manière bien particulière, là sans être mis en valeur, évident sans être prédominant dans la toile.

Travaux proposés – Quel est le modèle pictural ici exploité ? Connaissez-vous d’autres artistes qui ont exploité ce modèle ? Faites des recherches sur Internet, en bibliothèque…

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Compléments aux lectures d’images – 40

– Quels éléments composent la toile ? Que dire de la réunion de ces éléments avec Mona Lisa ? – Comment Mona Lisa est-elle mise en scène ici ? Quel rapport au modèle cela laisse-t-il percevoir ? – À votre tour, réalisez un tableau prenant Mona Lisa pour modèle ou simple référence (reprise d’un détail, de la composition, d’une attitude symbolique). Vous pourrez soit vous inspirer des toiles que vous connaissez, soit imaginer une nouvelle transposition possible.

u Affiche du film Saint-Cyr (p. 122) L’œuvre Le film Saint-Cyr, réalisé par Patricia Mazuy, est sorti en mai 2000. Il a pour contexte historique le siècle de Louis XIV, et Isabelle Huppert y tient le rôle de Mme de Maintenon, tandis que Jean-Pierre Kalfon campe un Louis XIV vieillissant. Mme de Maintenon est la dernière épouse de Louis XIV et a étendu son emprise jusqu’aux affaires de l’État (on repense aux témoignages de Saint-Simon, entre autres). À Saint-Cyr, près du château de Versailles, Mme de Maintenon accueille ses premières élèves dans l’institution qu’elle destine aux jeunes filles de la noblesse pauvre du royaume. À leur arrivée, ces jeunes filles ne parlent guère que le patois de leur province et l’épouse du roi s’applique à leur faire apprendre la belle langue française que l’on parle à la Cour et qu’elle-même maîtrise à la perfection. L’affiche pose parfaitement le personnage campé par Isabelle Huppert. L’image se divise en deux plans : les deux jeunes filles autour desquelles l’histoire va tourner, et derrière elles, mais déjà entre elles pour les séparer (devinons-nous), Mme de Maintenon. Un arrière-plan met en scène des personnages en costumes, souriants, respirant la joie. Seule Mme de Maintenon a un visage fermé, voire hostile. Au-delà de cette structure tripartite de l’image se détache du texte le titre, immense, en majuscules, qui écrase littéralement l’image : l’institution de Saint-Cyr montre là tout son poids (celui de la société, des ambitions de Mme de Maintenon…). Un commentaire, en corps plus petit, vient établir le rapport entre le titre (l’institution) et les personnages en présence (Mme de Maintenon et le pronom pluriel « leur »). Les points de suspension mettent déjà en doute la promesse de bonheur évoquée par le texte. On sait d’ores et déjà que l’issue de ce film ne sera pas heureuse. Le poids du destin semble prêt à s’abattre sur les jeunes filles souriantes du premier plan.

Travaux proposés – Quels éléments l’affiche de ce film met-elle en valeur au premier regard ? – Que dire des différents personnages représentés sur cette affiche ? Comment la structure de l’image sert-elle la représentation de ces personnages ? – De quelle manière le commentaire « Madame de Maintenon leur avait promis tous les bonheurs du monde… » vient-il compléter ou prolonger l’interprétation que l’on peut faire de l’image ? – Quelle tonalité et quelle issue peut-on imaginer pour le film après l’analyse de l’affiche ?

u Ménalque (p. 135) L’œuvre Il s’agit d’une gravure du XIXe siècle représentant Ménalque, personnage issu du chapitre « De l’homme ». Le personnage apparaît comme au début de son portrait, descendant les escaliers avec une seule chaussure, à moitié vêtu (entre habit de nuit et vêtements décents), l’épée du mauvais côté, la perruque de travers. On retrouve là une fidélité évidente au texte de La Bruyère et la gravure accentue l’aspect comique du personnage avec un air particulièrement hagard. La disposition de la gravure reprend celle du portrait : le personnage est central et isolé, comme un spécimen au milieu d’une espèce vivante. La chaussure et l’habit sont mis en relief par un jeu de contrastes afin d’attirer l’attention du lecteur sur l’absurdité de la situation.

Travaux proposés – De quelle manière cette gravure reprend-elle le procédé du portrait dans Les Caractères de La Bruyère ? – Commentez la tenue vestimentaire de ce personnage. – Cette illustration vous semble-t-elle fidèle au § 7 du chapitre « De l’homme » ? Justifiez votre réponse.

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Les Caractères – 41

u L’amateur d’oiseaux (p. 149) L’œuvre Cette illustration du XIXe siècle représente explicitement l’amateur d’oiseaux, présenté dans le § 2 du chapitre « De la mode ». La Bruyère y dépeint une série de curieux, tous obsédés par une chose : l’un des estampes, l’autre les fleurs… L’amateur d’oiseaux a, lui, choisi de privilégier ses oiseaux plutôt que l’éducation de ses enfants et toute sa fortune sert sa passion. Il vit entouré d’oiseaux, comme le rappelle l’illustration, et voue un amour sans borne à ces petites bêtes, comme le montre l’air quelque peu stupide et béat du personnage de droite. Pas de perruque cette fois ; l’habit est sommaire et c’est bien normal, puisque l’homme a renoncé à tout confort et – on imagine – à toute coquetterie, son seul centre d’intérêt étant sa volière. Il a à son service quelque homme intéressé qui sait flatter sa passion (« Il donne pension à un homme qui n’a point d’autre ministère […] de faire couver les Canaries ») et lui accorde une importance sans pareille. L’amateur d’oiseaux semble si ému d’être au milieu de ses oiseaux que l’on comprend qu’il n’en faudra pas beaucoup à l’autre personnage pour abuser de sa confiance. Par ailleurs, il est fait mention dans le texte de toutes les opérations contraignantes qui sont liées à l’élevage des « Canaries » et ces activités sont parfaitement mises en scène au premier plan avec les ustensiles divers et variés posés à terre.

Travaux proposés – Quels sont les éléments qui composent cette image ? En quoi sont-ils conformes aux Caractères ? – Qu’ajoute l’illustration au texte de La Bruyère ?

u Iphis (p. 154) L’œuvre L’illustration est toujours du XIXe siècle, mais il s’agit cette fois d’un dessin de Grandville et non pas de Penguilly. La composition de cette illustration offre une magnifique mise en abyme : – au premier plan, Iphis (portrait du § 14, chapitre « De la mode ») se regarde dans le miroir de sa coiffeuse dans une posture très féminine (il se coiffe, la posture cambrée et la position des jambes gracieuse) ; les éléments de décor disposés autour de lui connotent très clairement la féminité et la préciosité, tout comme sa tenue ; – dans le tableau situé en arrière-plan, on peut identifier Narcisse regardant son reflet, sorte de mise en abyme d’Iphis lui-même. Le personnage est certes épris de mode mais surtout de féminité : les rubans dans la tenue, les cheveux très longs et sa posture le confirment. On peut supposer que, comme les femmes, il porte un corset tant sa redingote est serrée à la taille (comparer avec l’habit de La Bruyère, p. 4). Il fait partie de cette galerie de portraits très caricaturaux qui portent en eux une forte charge comique. L’ironie est tout aussi présente dans l’illustration (notamment grâce à la mise en abyme) que dans le texte, avec la remarque finale de La Bruyère : « il n’a ni boucles d’oreilles ni colliers de perles ; aussi ne l’ai-je pas mis dans le chapitre des femmes. »

Travaux proposés – En quoi cette illustration vous semble-t-elle cohérente avec le texte de La Bruyère (§ 14, « De la mode ») et en quoi s’en écarte-t-elle, pour peut-être pousser la critique ou l’ironie plus loin ? – Commentez la tenue et l’attitude du personnage. – Que pouvez-vous remarquer dans le décor, notamment à l’arrière-plan ? Quelle est l’utilité de cet élément ?

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Bibliographie complémentaire – 42

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

u Autres éditions des Caractères à consulter On pourra consulter les éditions de Julien Benda (« Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1951), de Robert Garapon (Garnier, 1962), de Robert Pignarre (Garnier-Flammarion, 1965) ou encore de G. Servois (Hachette, 1865-1882).

u Pour mieux connaître La Bruyère – R. Barthes, « La Bruyère », Essais critiques, éd. du Seuil, 1964. – J. Brody, Du style à la pensée : trois études sur « Les Caractères » de La Bruyère, Lexington : French Forum, 1980. – M. Escola et alii, La Bruyère : le métier de moraliste, actes du Colloque international pour le tricentenaire de la mort de La Bruyère, Honoré Champion, 1996. – R. Garapon, « Les Caractères » de La Bruyère : La Bruyère au travail, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1978. – F. Gray, La Bruyère, amateur de caractères, Nizet, 1986. – P. Soler, Jean de La Bruyère : « Les Caractères », coll. « Études littéraires », PUF, 1994. – A. Stegmann, « Les Caractères » de La Bruyère : bible de l’honnête homme, Larousse, 1972. – L. van Delft, La Bruyère moraliste : quatre études sur « Les Caractères », Droz, Genève, 1971.

u Pour en savoir plus sur la forme brève et le discours moraliste – C. Balavoine, « Bouquets de fleurs et colliers de perles : sur les recueils de formes brèves au XVIe siècle », Les Formes brèves de la prose et le Discours discontinu, Vrin, 1984. – J.-P. Beaujot, « Le travail de la définition dans quelques maximes de La Rochefoucauld », Les Formes brèves de la prose et le Discours discontinu, Vrin, 1984. – P. Bénichou, « L’invention des maximes », L’Écrivain et ses Travaux, José Corti, 1967. – P. Bénichou, Morales du Grand Siècle, Gallimard, 1948, coll. « Folio Essais », Gallimard, 1988. – J. Lafond, « Des formes brèves de la littérature morale aux XVIe et XVIIe siècles », Les Formes brèves de la prose et le Discours discontinu, Vrin, 1984. – B. Roukhomovsky, L’Esthétique de La Bruyère, Sédès, 1997. – C. Schapira, La Maxime et le Discours d’autorité, Sédès, 1997.

u Pour analyser la langue classique – A. Furetière, Dictionnaire universel (1690), Slatkine Reprints, Genève, 1970. – A. Sancier-Château, Introduction à la langue du XVIIe siècle, 1. Vocabulaire, coll. « 128 », Nathan, 1993. – A. Sancier-Château, Introduction à la langue du XVIIe siècle, 2. Syntaxe, coll. « 128 », Nathan, 1993. – C. F. Vaugelas, Remarques sur la langue française, Gallimard-Hachette, 1957. – Dictionnaire du français : XVIIe siècle, Larousse, 1988.