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Les effets redistributifs de la prime d’activité et l’impact du non-recours Adélaïde Favrat Caisse nationale des Allocations familiales – Direction des statistiques, des études Vincent Lignon de la recherche. Département des statistiques, des prévisions et des analyses. Vincent Reduron Revue des politiques sociales et familiales n° 121 - 3 e et 4 e trimestres 2015 27 Dossier « Aides et prestations sociales » Mots-clés Prime d’activité Non-recours Effets redistributifs (1) Les évaluations ex ante du RSA activité n’intégraient pas le non-recours et supposaient une montée en charge immédiate. De plus, les expérimentations engagées avant la généralisation du RSA ont uniquement porté sur les foyers relevant déjà d’un minimum social et n’ont pas intégré de réflexion sur les nouveaux publics potentiellement non recourants. Depuis le 1 er janvier 2016, la prime d’activité s’est substituée à la composante activité du revenu de solida- rité active (RSA activité) et à la prime pour l’emploi (PPE). Comme indiqué dans le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi (2015), elle s’inscrit dans une volonté d’inciter à la reprise d’activité et de recentrer les aides à l’emploi vers les salariés aux revenus les plus faibles, notamment les jeunes actifs. Ses modalités de versement sont proches de celles du RSA activité : le versement de la prestation est mensuel et il repose sur une déclaration de revenus trimestrielle. Dans la lignée du RSA, et contrai- rement à la PPE, la prime d’activité privilégie la réactivité de la prestation (actualisation mensuelle) au caractère automatique de son versement (le bénéficiaire doit en faire la demande), laissant par ce biais la possibilité d’un non-recours tel qu’observé pour le RSA activité (Duvoux et al., 2014). Cette question du non-recours à la prime d’activité est clairement posée dans l’étude d’impact du projet de loi : les évaluations ex ante sont basées sur l’hypothèse selon laquelle seul un foyer éligible sur deux recourra à la prime d’activité. De même, l’évaluation du non-recours est inscrite dans la loi : le non-recours est la première dimension d’analyse citée dans la description du rapport d’évaluation prévu à un horizon de dix-huit mois. La prise en compte explicite du non-recours dans la conception et la mise en œuvre d’une prestation est nouvelle. Lors de la mise en place du RSA activité et du RSA « jeune actif », ce phénomène n’avait pas été pris en compte en amont (1) et les évaluations ex ante des publics bénéficiaires avaient largement surestimé leurs effectifs (Thibault, 2014). Supposer de prime abord qu’une prestation fera l’objet de non-recours n’est cependant pas neutre au regard des objectifs de la réforme et s’articule difficilement avec les politiques d’accès aux droits qui se sont développées dans la protection sociale (Warin, 2011 ; Cnaf, 2014). En effet, comme l’ont montré Pauline Domingo et Muriel Pucci (2014), Guillaume Allègre (2013) et Guy Lalanne (2011) avec le RSA, le non-recours peut avoir un impact important sur l’efficacité des dispo- sitifs sociaux, notamment en termes de ciblage et d’effets redistributifs. Dans ce cadre, l’objectif de cet article est d’évaluer les effets redistributifs de la prime d’activité (publics cibles, effets sur le taux de pauvreté, « gagnants » et « perdants » de la réforme) et d’appréhender dans quelle mesure ils sont modifiés par le niveau de non- recours à la prestation. L’analyse intègre deux dimensions du recours, susceptibles de jouer sur l’impact de la réforme : l’intensité de l’accès à la prime d’activité (taux de recours à la prestation) et le profil des personnes recourantes parmi les éligibles (profil proche des recou- rants au RSA activité, profil aléatoire, etc.). Cet article est structuré en quatre parties. La première pré- sente les logiques et les limites des dispositifs antérieurs (RSA activité et PPE). La deuxième expose les objectifs de la prime d’activité et la place accordée au non-recours dans la mise en œuvre de la réforme. La troisième partie met en lumière, à partir de cas types, les effets potentiels de la réforme sur le revenu disponible des ménages. Enfin, sur la base du modèle de microsimulation Myriade, la dernière partie évalue l’impact du non-recours sur les effets redistributifs de la prime d’activité. L’échec relatif du RSA activité et de la prime pour l’emploi Depuis le début des années 1990, sous l’impulsion de l’Organisation de coopération et de développement éco- nomiques (OCDE) avec son slogan « Making Work Pay » (« rendre le travail payant »), plusieurs pays européens ont mis en place des dispositifs de soutien au revenu des

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Les effets redistributifs de la primed’activité et l’impact du non-recours

Adélaïde Favrat Caisse nationale des Allocations familiales – Direction des statistiques, des études

Vincent Lignon de la recherche. Département des statistiques, des prévisions et des analyses.

Vincent Reduron

Revue des politiques sociales et familiales n° 121 - 3e et 4e trimestres 2015

27 Dossier « Aides et prestations sociales »

Mots-clés• Prime d’activité• Non-recours• Effets redistributifs

(1) Les évaluations ex ante du RSA activité n’intégraient pas le non-recours et supposaient une montée en charge immédiate. De plus, les expérimentationsengagées avant la généralisation du RSA ont uniquement porté sur les foyers relevant déjà d’un minimum social et n’ont pas intégré de réflexion sur les nouveauxpublics potentiellement non recourants.

Depuis le 1er janvier 2016, la prime d’activité s’est substituée à la composante activité du revenu de solida-rité active (RSA activité) et à la prime pour l’emploi (PPE).Comme indiqué dans le projet de loi relatif au dialoguesocial et à l’emploi (2015), elle s’inscrit dans une volontéd’inciter à la reprise d’activité et de recentrer les aides àl’emploi vers les salariés aux revenus les plus faibles, notamment les jeunes actifs. Ses modalités de versementsont proches de celles du RSA activité : le versement dela prestation est mensuel et il repose sur une déclarationde revenus trimestrielle. Dans la lignée du RSA, et contrai-rement à la PPE, la prime d’activité privilégie la réactivitéde la prestation (actualisation mensuelle) au caractère automatique de son versement (le bénéficiaire doit enfaire la demande), laissant par ce biais la possibilité d’unnon-recours tel qu’observé pour le RSA activité (Duvouxet al., 2014). Cette question du non-recours à la primed’activité est clairement posée dans l’étude d’impact duprojet de loi : les évaluations ex ante sont basées sur l’hypothèse selon laquelle seul un foyer éligible sur deuxrecourra à la prime d’activité. De même, l’évaluation dunon-recours est inscrite dans la loi : le non-recours est lapremière dimension d’analyse citée dans la descriptiondu rapport d’évaluation prévu à un horizon de dix-huitmois.

La prise en compte explicite du non-recours dans laconception et la mise en œuvre d’une prestation est nouvelle. Lors de la mise en place du RSA activité et duRSA « jeune actif », ce phénomène n’avait pas été pris encompte en amont (1) et les évaluations ex ante des publicsbénéficiaires avaient largement surestimé leurs effectifs(Thibault, 2014). Supposer de prime abord qu’une prestation fera l’objet de non-recours n’est cependant pasneutre au regard des objectifs de la réforme et s’articuledifficilement avec les politiques d’accès aux droits qui se

sont développées dans la protection sociale (Warin,2011 ; Cnaf, 2014). En effet, comme l’ont montré Pauline Domingo et Muriel Pucci (2014), Guillaume Allègre(2013) et Guy Lalanne (2011) avec le RSA, le non-recourspeut avoir un impact important sur l’efficacité des dispo-sitifs sociaux, notamment en termes de ciblage et d’effetsredistributifs. Dans ce cadre, l’objectif de cet article estd’évaluer les effets redistributifs de la prime d’activité (publics cibles, effets sur le taux de pauvreté, « gagnants »et « perdants » de la réforme) et d’appréhender dansquelle mesure ils sont modifiés par le niveau de non-recours à la prestation. L’analyse intègre deux dimensionsdu recours, susceptibles de jouer sur l’impact de la réforme : l’intensité de l’accès à la prime d’activité (tauxde recours à la prestation) et le profil des personnes recourantes parmi les éligibles (profil proche des recou-rants au RSA activité, profil aléatoire, etc.).

Cet article est structuré en quatre parties. La première pré-sente les logiques et les limites des dispositifs antérieurs(RSA activité et PPE). La deuxième expose les objectifs dela prime d’activité et la place accordée au non-recoursdans la mise en œuvre de la réforme. La troisième partiemet en lumière, à partir de cas types, les effets potentielsde la réforme sur le revenu disponible des ménages.Enfin, sur la base du modèle de microsimulation Myriade,la dernière partie évalue l’impact du non-recours sur leseffets redistributifs de la prime d’activité.

L’échec relatif du RSA activitéet de la prime pour l’emploiDepuis le début des années 1990, sous l’impulsion del’Organisation de coopération et de développement éco-nomiques (OCDE) avec son slogan « Making Work Pay »(« rendre le travail payant »), plusieurs pays européensont mis en place des dispositifs de soutien au revenu des

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travailleurs pauvres (2). Ces politiques reposent, en partie,sur l’idée que certains minima sociaux constituent des« trappes à inactivité » dans la mesure où ils sont plusavantageux à court terme que la reprise d’emploi. Ainsi,la promotion des politiques « actives » visant à inciter àla reprise d’activité a été au cœur de la Stratégie euro-péenne pour l’emploi et, plus récemment, de la stratégieglobale de croissance de l’Union européenne « Europe2020 ». Dans ce contexte, la PPE et le RSA, notammentsa composante activité, constituaient, jusqu’en 2015, lesprincipaux instruments d’incitation à l’activité à l’œuvreen France. Ces deux dispositifs renvoient également à lathématique du soutien aux travailleurs pauvres qui a pris de l’ampleur depuis le début des années 2000 ens’inscrivant notamment comme une priorité des poli-tiques européennes (Damon, 2007 ; Allègre, 2013).

Le RSA, entré en vigueur en juin 2009, est une prestationdifférentielle familialisée qui a pris la suite du revenu minimum d’insertion (RMI) et de l’allocation de parent

isolé (API). Il est composé d’un volet « socle » (ex-RMI,ex-API) et d’un volet « activité », supplément de revenulié à l’exercice d’une activité. La partie « socle » a pourobjectif de garantir un revenu minimum calculé à partird’un « montant forfaitaire » qui dépend de la taille dufoyer. Il s’adresse aux personnes de plus de 25 ans (3) sansactivité professionnelle ou dont les revenus tirés du mar-ché du travail sont inférieurs à ce montant forfaitaire. Levolet « activité » a un objectif incitatif : l’emploi procureun avantage net par rapport à la situation de non-emploi.Ainsi, toute augmentation du revenu d’activité impliqueune baisse de la prestation moins importante et, parconséquent, une augmentation du revenu disponible (4)

(programme de qualité et d’efficience « Famille », 2016).Plus précisément, le barème du RSA prévoit un taux decumul de 62 % entre revenus d’activité et RSA : pour uneaugmentation de 1 euro du revenu, le montant de RSA nese réduit que de 38 centimes. Le RSA est versé par lescaisses d’Allocations familiales (Caf) aux familles qui enfont la demande. Il s’agit donc d’un droit quérable qui

Enca

dré

1 Formule de calcul de la prime d’activité

La formule de calcul de la prime d’activité est la suivante : MF + Bonifications individuelles – 38 % des revenus d’activité – ressources hors revenus d’activité – [(MF – ensemble de ressources) si positif] Où MF est un montant forfaitaire dépendant de la configuration familialeAvec : • Revenu garanti = MF + 62 % des revenus d'activité • Ensemble des ressources = revenus d’activité + autres ressources • [(MF – ensemble de ressources) si positif] correspond à un pseudo-RSA socle qui renvoie à la formule du RSA. Cela permet de séparer le volet RSA activité du volet socle.Les montants forfaitaires de la prime d’activité et du RSA sont similaires au 1er janvier 2016.L’ajout des bonifications individuelles apparaît comme la principale différence, mais il y a également un changement dansla prise en compte des revenus fonciers et de patrimoine (sur une base annuelle pour la prime d’activité) et des revenus dutravail indépendant, qui ne sont plus évalués par le conseil départemental, mais calculés sur la base des bénéfices annuelsindustriels et commerciaux (BIC) ou non commerciaux (BNC).Pour figer trimestriellement les droits, la période sur laquelle la formule s’applique est également modifiée. Elle porte, en effet,sur chacun des trois mois d’un trimestre passé récent (trimestre de référence). Le montant trimestriel total de prime obtenu estdivisé par trois pour être mensualisé ; ce dernier montant est versé à l’identique pendant les trois mois consécutifs du trimestre en cours. Par ailleurs, le cumul intégral et la neutralisation (*) qui visent à neutraliser les revenus d’activité en cas detransitions favorables vers l’emploi ou de l’arrêt de perception de ressources ne sont pas intégrés dans la prime d’activité.---------(*) Sur ce point, le lecteur pourra se référer à l’article de Vincent Reduron dans ce numéro, page 11.

(2) Pour un panorama européen de ces politiques, voir, par exemple, Sandra Pellet (2010). (3) Le RSA est a priori réservé aux personnes âgées de plus de 25 ans, mais il bénéficie tout de même à environ 180 000 jeunes de moins de 25 ans (Reduron,2015) sous certaines conditions : avoir un enfant à charge (né ou à naître), être en couple avec une personne de plus de 25 ans. Le RSA « jeune actif », destinéaux jeunes sans condition familiale particulière mais sous des conditions d’activité antérieures assez restrictives (l’exercice d’une activité pendant deux ans àtemps plein sur les trois dernières années est requis), concernait moins de 9 000 bénéficiaires en décembre 2013. La restriction de l’accès des jeunes au RSA (enparticulier à sa composante socle) reposait sur l’hypothèse d’une désincitation à l’insertion professionnelle même si les effets empiriques semblent assez limités(Bargain et Vicard, 2012).(4) Le revenu disponible renvoie aux revenus des ménages après transferts sociofiscaux. Il se compose des revenus primaires augmentés des prestations familiales,des aides au logement et du RSA, et diminués de l’impôt sur le revenu (y compris prime pour l’emploi) et de la taxe d’habitation.

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nécessite des démarches (notamment des déclarations trimestrielles de ressources) qui peuvent être contraignantespour les allocataires et générer du non-recours.

La PPE est un crédit d’impôt fortement individualisé etsans condition d’âge. Elle est calculée en fonction des revenus d’activité individuels avec un barème croissantentre 0,3 et 1 Smic (salaire minimum de croissance) etdécroissant entre 1 et 1,3 Smic. Le montant de la primedépend, dans une moindre mesure, des caractéristiquesdu foyer fiscal (monoactivité, isolement, nombre d’enfantsà charge). Elle est versée automatiquement par l’adminis-tration fiscale à partir des déclarations de revenus : mises à part les informations que les bénéficiaires doivent indiquer sur leur déclaration, elle ne nécessite pas de démarche particulière. La législation prévoit une articu-lation entre la PPE et le RSA activité : la PPE à laquelleles individus peuvent prétendre est diminuée du montantde RSA activité perçu l’année précédente.

Depuis leur mise en œuvre, la PPE et le RSA activité ontfait l’objet de nombreuses critiques, notamment au regarddes objectifs qui leur ont été attribués. La PPE est jugéefaiblement redistributive et peu ciblée : selon G. Allègre(2013), 23 % des dépenses de PPE bénéficient à des ménages des deux premiers déciles de niveau de vie (5),tandis que 29 % de ces dépenses sont versées à des ménages aux niveaux de vie supérieurs au niveau de viemédian. Outre ce manque de ciblage, les gains liés à laPPE semblent trop faibles (moins de 36 euros par mois enmoyenne) pour revêtir un véritable caractère incitatif (Sirugue, 2013 ; Cour des comptes, 2011 ; Cahuc, 2002).Cette limite en termes d’incitation à l’emploi est accen-tuée par la complexité de la PPE et sa faible réactivité : ledispositif est peu lisible et la prime, dans la mesure oùelle s’intègre à la déclaration de revenus, est versée avecun an de retard.

De son côté, le RSA activité, s’il est davantage ciblé surles premiers déciles de niveau de vie (6), pâtit d’un tauxde non-recours très élevé : ce dernier serait de l’ordre de68 % d’après une enquête de la direction de l’animationde la recherche, des études et des statistiques du ministèredu Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle

et du Dialogue social (Warin, 2011). Les causes de cenon-recours sont multiples : outre les difficultés qui peuvent être liées au caractère contraignant des déclara-tions trimestrielles, la méconnaissance du dispositif, sacomplexité, l’articulation entre le RSA activité et la PPE,ou encore la crainte de la stigmatisation qu’il peut susciterchez les individus, sont des éléments qui concourent àfavoriser le non-recours à la prestation (Okbani, 2013 a et2013 b ; Domingo et Pucci, 2012). Ce faible accès auRSA limite de fait l’efficacité du dispositif et a des consé-quences directes sur le niveau de vie des ménages les pluspauvres (Domingo et Pucci, 2014 ; Eydoux et Gomel,2014 ; Allègre, 2013, Lalanne, 2011). À titre d’exemple,P. Domingo et M. Pucci (2014) estiment que le non-recours au RSA activité implique une perte financière nonnégligeable de 110 euros par mois pour les ménages nonrecourants du premier décile de niveau de vie.

Ainsi, les échecs de la prime pour l’emploi et du RSA activité, notamment la problématique du non-recours, ontamené le décideur public à envisager des voies de réforme des dispositifs de soutien aux travailleurs pauvres.Cette volonté s’est traduite, en 2013, par la rédaction durapport Sirugue qui a proposé une fusion de la PPE et duRSA activité en une nouvelle prestation (Sirugue, 2013).C’est sur la base de ce rapport, dans lequel le non-recoursapparaît comme un enjeu central (7), que la réforme de laprime d’activité a été mise en œuvre.

La réforme de la prime d’activité : principes et enjeux du non-recoursInstaurée par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, la prime d’activité a pour vocation,comme les précédents compléments de revenus d’activité,d’inciter à l’emploi et de soutenir les travailleurs modestes,mais son ciblage sur les bas revenus est accentué. La régle-mentation de la prime d’activité s’inscrit dans la continuitéde celle du RSA activité (encadré 1), avec l’introduction deplusieurs innovations. La plus significative est l’ajout de bonifications individuelles attribuées pour chaque membredu foyer exerçant une activité professionnelle d’un montantmaximal de 67 euros par mois au 1er janvier 2016.

Les individus sont éligibles à la bonification individuelle

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(5) Si on ordonne la distribution des niveaux de vie des individus, les déciles correspondent aux valeurs qui partagent cette distribution en dix parts égales. Ainsi,figurent dans les deux premiers déciles les 20 % des individus qui ont les niveaux de vie les plus faibles.(6) Guillaume Allègre (2013) soutient en ce sens que le RSA activité doit davantage être appréhendé comme instrument de soutien aux bas revenus que commeun outil d’incitation à la reprise d’activité.(7) Chacun des scénarios du rapport est évalué à l’aune de ce critère. Le rapport indique que « la multiplicité des causes de non-recours, ainsi que la difficulté àapprocher certaines d’entre elles, rendent illusoire l’idée d’une amélioration importante au travers de simples ajustements paramétriques ou de campagnes decommunication » (Sirugue, 2013, p. 31).

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si leurs revenus d’activité mensuels nets sont inférieurs à59 fois le Smic horaire brut (570,53 € sur la base du Smicen vigueur en 2016), montant approchant 0,5 Smic mensuelnet. Si les revenus d’activité mensuels sont supérieurs à 95 fois le Smic horaire brut (918,68 €), montant approchant0,8 Smic mensuel net, la bonification est à son montantmaximal. Entre ces deux bornes, le montant de bonificationaccordé augmente linéairement. On peut observer que cesbornes ne varient pas en fonction de la configuration fami-liale alors que les montants de prime potentiellement versésen sont fortement dépendants via la variation du montantforfaitaire applicable (graphique 1).

Par ailleurs, la prime d’activité est ouverte à de nouveauxpublics. Il s’agit principalement de jeunes âgés de 18 ansà 25 ans : la limite d’âge pour bénéficier de la prime d’activité a été fixée à 18 ans. Dans cette tranche d’âge,les jeunes en emploi vivant au foyer de leurs parents ontla possibilité d’être rattachés au foyer de prime d’activitéde leurs parents ou de déposer une demande de primed’activité à titre individuel. Ils cessent alors d’être comp-tabilisés dans le foyer de prime d’activité de leurs parentsmais restent à charge de ces derniers pour les autres prestations versées par les Caf. En revanche, ils ne peuventêtre réintégrés sur le dossier de prime d’activité de leursparents qu’à partir du 1er janvier de l’année suivant celledu dépôt de la demande à titre personnel. La prime d’acti-vité est ouverte aux étudiants exerçant une activité si leursrevenus nets sont supérieurs à 0,78 Smic mensuel net.

Avec la mise en place de la prime d’activité, l’objectif du législateur a été de limiter les facteurs de non-recourscités supra. Tout d’abord, il s’agit d’une prestation distincte du RSA socle. L’association du RSA socle et duRSA activité pouvait limiter la bonne connaissance desconditions d’éligibilité du RSA activité et contribuer àl’éventuel sentiment de stigmatisation ou au non-recourspar principe (8). De même, la dématérialisation complète(toutes les démarches se font en ligne) va dans le sensd’un accès simplifié. Enfin, les difficultés liées à l’articu-lation entre le RSA activité et la PPE et leurs effets poten-tiels sur le non-recours disparaissent avec la création dela prime d’activité. Pour autant, avec la prime d’activité,un risque de non-recours demeure. En effet, la réactivitédu dispositif (le versement est mensuel, avec un rythmetrimestriel de mise à jour des montants) a été privilégiéepar rapport au caractère automatique du versement. Le bénéficiaire doit demander la prestation, puis remplir

tous les trois mois une déclaration trimestrielle de ressources avec des informations similaires à celles demandées pour le RSA.

Ce risque de non-recours a été anticipé par les pouvoirspublics, y compris dans le calibrage de la prestation. Eneffet, l’évaluation ex ante des effets de la réforme dispo-

Graphique 1 – Montant de prime d’activité en fonction du revenu d’activité mensuel net du foyer

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59 Smic brut horaire

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Montant de prime d’activitéHors bonifications individuelles

mensuels du foyerRevenus d’activité

(en €)

(en €)

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Personne seule sans enfant

Couple monoactif avec un enfant

59 Smic brut horaire

95 Smicbrut horaire

Lecture : tous les revenus du foyer sont supposés être des reve-nus d’activité professionnelle. Le montant de prime d'activité estnul pour des revenus d’activité mensuels nuls. Il est croissanttant que les revenus d'activité mensuels ne dépassent pas lemontant forfaitaire correspondant à une personne seule sansenfant (524,16 euros). Il décroît ensuite jusqu’à un « point desortie » de 1 545 euros au-delà duquel le montant de primed’activité est à nouveau nul. Pour des revenus d’activité mensuels dépassant 59 salaires minimum de croissance (Smic)horaires (570,53 euros), une bonification individuelle vientmajorer le montant calculé.

Lecture : tous les revenus du foyer sont supposés être des reve-nus d’activité professionnelle. Le montant de prime d’activité estnul pour des revenus d'activité mensuels nuls. Il est croissanttant que les revenus d'activité mensuels ne dépassent pas lemontant forfaitaire correspondant à une personne seule sansenfant (943,48 euros). Il décroît ensuite jusqu’à un « point desortie » de 2 650 euros au-delà duquel le montant de prime d’activité est nul. Pour des revenus d'activité mensuels dépassant59 Smic horaires (570,53 euros), une bonification individuellevient majorer le montant calculé.

Source : Cnav – DSER, maquette de cas types, barème 2015.

(8) Environ 10 % des non-recourants au RSA affirment ne pas recourir par principe (Domingo et Pucci, 2012). Ils représentent plus d’un quart de ceuxqui n’ont jamais perçu le RSA et qui n’excluent pas d’y avoir droit.

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nible dans l’étude d’impact du projet de loi se base surun taux de recours à la prestation de 50 %. À enveloppeconstante, cette hypothèse permet d’établir un barème garantissant un certain niveau de prestation [ce dernierserait moins généreux avec une hypothèse de recours de100 % (Bargain, 2015)], mais elle peut conduire à un surcoût du dispositif si le recours observé vient à dépasserle recours anticipé. On peut souligner que le taux de recours anticipé a été au cœur des débats parlementairesprécédant l’entrée en vigueur de la prime d’activité.D’une part, l’amendement de Montgolfier (9) a jugé tropélevé le taux de 50 % de recours prévu initialement dansl’étude d’impact et a demandé, sur cette base, une réduc-tion des budgets alloués à la prime d’activité. D’autrepart, pour pallier le non-recours à la prime d’activité,l’amendement Ayrault-Muet (10), adopté par l’Assembléenationale puis censuré par le Conseil constitutionnel, prévoyait d’alléger le montant de la contribution socialegénéralisée prélevée sur les revenus d’activité. Pour autant, malgré les effets observés sur le RSA activité évo-qués précédemment, aucune étude préalable n’a, à notreconnaissance, cherché à évaluer l’impact du non-recourssur la redistributivité et les gains associés à la prime d’ac-tivité. Les deux dernières parties effectuent cette analyseà partir de cas types et d’un modèle de microsimulation.

Quels gains potentiels pour les individus ?Une analyse par cas typesAfin de mettre en évidence l’impact de la réforme – et dunon-recours – sur les revenus des ménages, il est possiblede mobiliser, dans un premier temps, une analyse statiquepar la méthode des cas types. Ces derniers représententdes situations stylisées afin de mettre en lumière les effetsattendus de la réforme (avec et sans recours) et l’articula-tion des barèmes des prestations sociales. Cependant, lescas types reposent sur des hypothèses fortes, en particuliersur la stabilité des revenus (encadré 2). Pour une confi-guration familiale et un niveau de revenus donnés, oncompare les prestations de soutien à l’activité avant etaprès mise en œuvre de la prime d’activité, ce qui permetde mettre en évidence les pertes et les gains individuels àla réforme.

Pour des revenus individuels inférieurs à 0,5 Smic mensuel,la situation des ménages est inchangée avec la primed’activité par rapport au bénéfice du RSA activité. En effet,ces ménages ne bénéficient pas de la bonification de laprime d’activité et ils ne subissent pas de perte de prime

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Encadré 2

La méthodologie des cas types

Les cas types reposent sur les barèmes sociofiscaux en vigueur aupremier janvier 2015. En particulier, le montant forfaitaire du RSAsocle pour une personne seule est de 513,88 euros. La fiscalité est celle en vigueur pour l’impôt sur les revenus perçus en 2014 etpayé en 2015. La législation est constante pour tous les autrestransferts sociaux et fiscaux (*).Les cas types illustrent les réformes analysées et les interactionsentre les différentes prestations sociales. Ils reposent sur des hypo-thèses simplificatrices qui ne permettent pas de tenir compte de lavariabilité des situations :• sauf mention du contraire, on suppose le plein recours à l’ensemble des prestations et des transferts, en particulier au RSAactivité et à la prime d’activité ;• les trajectoires des individus sont stables dans le temps : ilsconservent la même situation familiale et professionnelle les deuxannées précédant l’examen des aides. En particulier, leur salaireest stable en parts de Smic. Pour des situations professionnellesplus heurtées, le calcul du RSA et des aides au logement prévoitdes dispositifs spécifiques liés aux changements de situation (neutralisation, cumul intégral et abattement des ressources) quiont un effet significatif sur les montants calculés et pourraient modifier l’analyse des situations ;• les revenus professionnels sont composés exclusivement de salaires : – lorsque le salaire est inférieur à un Smic, les individus sont considérés comme travaillant à temps partiel rémunéré au Smic horaire ; au-delà, ils sont à temps plein, rémunérés au-dessus du Smic horaire ; – pour les couples, en deçà d’un Smic, seul un des conjoints est en emploi ; au-delà, le premier conjoint perçoit un salaire d’un Smic à temps complet et les revenus du second conjoint varient (Smic horaire jusqu’à un temps plein puis augmentation du salaire horaire à temps plein) ;• les familles résident en zone 2 (agglomérations de plus de centmille habitants hors Île-de-France). Elles payent un loyer égal auloyer plafond prévu dans le barème des aides au logement ;• les couples sont unis juridiquement (mariés ou pacsés) et déclarent leurs revenus conjointement à l’administration fiscale.Cette hypothèse a une incidence. En effet, actuellement, dans certains couples non unis juridiquement, aux revenus différents,l’un des conjoints peut bénéficier de la prime pour l’emploimême si son conjoint a des revenus très élevés, alors que, pourl’évaluation du RSA, leurs ressources sont prises en compte encommun ce qui les exclut du bénéfice du RSA activité (et de laprime d’activité).

--------------

(*) La suppression de la première tranche de l’impôt est prise en compte.

(9) Amendement N° II-152 pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2016.(10) Amendement N° II-928 pour le PLF pour 2016.

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(11) Dans le graphique 1, pour une personne seule, on observe une discontinuité autour d’un Smic dans les montants de prestations de soutien àl’activité. Elle est liée à l’articulation des aides au logement, du RSA activité et de la prime d’activité. Dans ces zones de revenu, et sous l’hypothèse destabilité de la trajectoire les deux années précédentes, le montant d’aides au logement est inférieur au forfait logement et entre directement dans la baseressources des dispositifs de soutien à l’activité. À ce niveau de revenu, les aides au logement sont décroissantes et l’allocataire en perd le bénéficelorsqu’il arrive au seuil de non-versement de ces dernières (15 €).

Revue des politiques sociales et familiales n° 121 - 3e et 4e trimestres 2015

32 Dossier « Aides et prestations sociales »

pour l’emploi s’ils recourent au RSA activité : ce dernier,retranché de la prime pour l’emploi (voir supra), est, pources niveaux de ressources, plus élevé que la PPE. À partirde 0,5 Smic mensuel, les ménages perçoivent une boni-fication individuelle. Pour une personne seule, le gainmaximal atteint 67 euros lorsque l’individu a un salaireindividuel égal à 0,8 Smic mensuel. Le gain à la réformediminue autour d’un Smic avant de croître à nouveau.Cela s’explique par la différence de barème entre la PPE,maximale pour les salariés rémunérés au Smic et la boni-fication individuelle de la prime d’activité qui atteint son

maximum à 0,8 Smic (graphique 2). Les discontinuités apparentes dans les barèmes des dispositifs de soutien àl’activité sont liées à l’articulation de ces dispositifs avecles aides au logement (11). Pour des niveaux de revenusplus élevés et pour certaines configurations familiales, lamesure engendrerait une baisse de revenu disponible : lepoint de sortie de la PPE est, pour certaines configura-tions, plus élevé que celui de la nouvelle prime d’activité,en particulier pour les couples biactifs avec plus de deuxenfants. En effet, la prime d’activité prend en compte une assiette de ressources plus large que la PPE : elle

Graphique 2 – Profils des gains et pertes en fonction du salaire

-10

10

20

30

40

50

60

70

80

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

Revenus d’activité du ménage (en part de Smic)

Personne seule

- 30

- 20

- 10

-

10

20

30

40

50

60

70

80

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

Revenus d’activité du ménage (en part de Smic)

Personne seule (2 enfants de 12 et 15 ans)

Gains Pertes

-150

-100

- 50

-

50

100

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

Revenus d’activité du ménage (en part de Smic)

Couple trois enfants (12, 15 et 16 ans)

- 100

- 80

- 60

- 40

- 20

-

20

40

60

80

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

Revenus d’activité du ménage (en part de Smic)

Couple sans enfant

- 120

- 100

- 80

- 60

- 40

- 20

-

20

40

60

80

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

Revenus d’activité du ménage (en part de Smic)

Couple 2 enfants (2 et 4 ans)

En € mois

En € moisEn € mois

En € moisEn € mois

Source : Cnaf – DSER, maquette de cas types, barème 2015.Lecture : pour une personne seule avec un salaire de 0,8 Smic (salaire minimum de croissance), la création de laprime d’activité entraîne un supplément de revenu disponible mensuel de 67 euros.

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comprend, en particulier, la majorité des prestations familiales.

Ainsi, les profils de gains et de pertes sont différenciésselon les configurations familiales : une personne seulene subirait pas de perte de revenu disponible alors queles familles avec enfants ou monoparentales verraient leurrevenu disponible diminuer à partir d’un certain revenu.À titre d’exemple, les couples biactifs avec deux enfantsdont un en bas âge (2 ans et 4 ans) sont perdants quandleur revenu d’activité est compris entre 1,3 et 3,3 Smic ;les couples biactifs avec trois enfants dont deux âgés deplus de 14 ans sont perdants pour des revenus allant de1,4 à 4 Smic et les familles monoparentales avec deuxenfants âgés de 12 ans et 15 ans voient leur revenu disponible diminuer entre 1,2 et 1,9 Smic.

Afin de compléter cette analyse, le graphique 3 décritl’évolution, en fonction du revenu d’activité, du revenudisponible d’une personne seule en situation de recourset de non-recours avant et après réforme. Le non-recoursau RSA activité et à la prime d’activité conduit à unebaisse de revenu disponible, qui s’accentue dans le cadrede la prime d’activité avec la suppression de la PPE. Dansla situation initiale, la baisse de revenu liée au non-recours est assez limitée au-delà de 0,8 Smic du fait de laperception de la prime pour l’emploi. Après réforme, le

manque à gagner de revenu disponible lié au non-recourss’amplifie pour des niveaux de revenus au-delà de 0,8 Smic, et ce pour deux raisons : la prime d’activité à laquelle ne recourt pas le ménage est plus élevée en raison de la bonification et la PPE est supprimée. À 0,8Smic, la perte de revenu disponible liée au non-recourss’élève à 56 euros par mois avant réforme et atteint175 euros par mois après réforme.

Cette approche statique simplifiée ne permet pas de mesurer les effets de la réforme sur le nombre de foyersconcernés et le montant des pertes et des gains. Elle doitêtre complétée par une analyse statistiquement représen-tative, ce que permet la microsimulation avec le modèleMyriade.

Redistributivité de la prime d’activité et impact du non-recoursLes dispositifs analysés (PPE, RSA activité, prime d’activité)renvoient à des barèmes complexes qu’il est nécessaired’appréhender à un niveau désagrégé afin d’en mesurercorrectement les effets. Dans ce cadre, le recours à la microsimulation se révèle particulièrement pertinent(Blanchet, 2014). Cette méthode consiste à appliquer deslégislations sociofiscales à des échantillons représentatifsd’une population donnée et à simuler les différents pré-lèvements dont les individus s’acquittent et les transferts

Revue des politiques sociales et familiales n° 121 - 3e et 4e trimestres 2015

33 Dossier « Aides et prestations sociales »

Graphique 3 – Impact du non-recours sur le revenu disponible pour une personne seule

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

0,00 0,15 0,30 0,45 0,60 0,75 0,90 1,05 1,20 1,35 1,50

Revenus d’activité du ménage (en % de Smic)

Après réforme - recours à la prime d’activité Après réforme - non-recours à la prime d’activitéAvant réforme - recours au RSA activité Avant réforme - non-recours au RSA activité

Revenu disponible en € mois

Source : Cnaf – Maquette de cas types, barème 2015.Lecture : à un niveau de revenu d’activité de 0,8 Smic (salaire minimum de croissance) :– avant réforme, une personne seule recourant au RSA activité avait un revenu disponible de 1 121 euros par mois (courbe bleu pleine) ; si elle nerecourait pas au RSA activité, son revenu disponible s’élevait à 1 066 euros (courbe bleu pointillée), soit une perte de 56 euros par mois liée au non-recours ;– après réforme, une personne seule recourant à la prime d’activité a un revenu disponible de 1 187 euros par mois (courbe rouge pleine) ; si elle nerecourt pas à la prime d’activité, son revenu disponible s’élève à 1 013 euros (courbe violet pointillée), soit une perte de 175 euros par mois liée aunon-recours.

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34 Dossier « Aides et prestations sociales »

monétaires dont ils bénéficient. Ainsi, sur la base d’unesituation de référence, les outils de microsimulation permettent de décomposer les effets ex ante de diversesmesures, de tenir compte de leurs interactions et d’appré-hender leurs conséquences redistributives pour les individus,les ménages et les familles.

Dans cet article, le modèle Myriade (encadré 3) déve-loppé à la Caisse nationale des Allocations familiales (Legendre et al., 2001) est mobilisé. La démarche retenueici consiste à simuler, pour l’année 2015, le remplace-ment du RSA activité et de la PPE par la prime d’activité,les autres législations restant inchangées. Cette opération permet d’effectuer une comparaison avant et après la réforme et d’évaluer les effets redistributifs de la primed’activité, notamment les gagnants et les perdants à la réforme (12). Bien que la prime d’activité soit distribuée auniveau du foyer allocataire, les analyses sont effectuéesau niveau du ménage, car il s’agit de l’unité pertinentepour agréger l’ensemble des transferts sociaux et fiscauxet calculer le niveau de vie (13) de ses membres. On rappelle qu’un ménage correspond à l’ensemble des personnes vivant dans un même logement : il peut donc

comporter plusieurs foyers allocataires (enfant âgé de plusde 25 ans vivant avec ses parents, colocations). Dans lalégislation actuelle, le nombre de ménages et de foyersallocataires percevant du RSA activité sont très proches(1 % d’écart), mais l’ouverture de la prime d’activitépourra augmenter le nombre de ménages avec plusieursfoyers allocataires du RSA socle et/ou de la prime d’acti-vité (un foyer au titre du jeune et un foyer au titre de sesparents). La PPE était calculée au niveau du foyer fiscal,qui comprend le déclarant, son conjoint marié ou pacséset les enfants rattachés fiscalement.

L’augmentation du taux de recours s’accompagned’un meilleur ciblage sur les bas revenusPour évaluer l’impact du non-recours sur les effets redis-tributifs de la prime d’activité, une première analyse compare quatre niveaux alternatifs de recours : 33 %,50 %, 66 % et 100 % (14). Dans les trois premiers scéna-rios, l’hypothèse retenue est que les comportements derecours à la prime d’activité sont dérivés de ceux observéspour le RSA activité. Ainsi, les foyers déjà recourants au RSA activité qui sont éligibles à la prime d’activité y recourent automatiquement. Pour les allocataires béné-ficiaires du RSA activité au 31 décembre 2015, des demandes de prime d’activité ont d’ailleurs été automa-tiquement générées par les Caf. Les autres allocataires dela prime d’activité sont sélectionnés parmi les éligibles auRSA activité non-recourants et les foyers non éligibles auRSA activité (éligibles à la prime d’activité grâce à la bonification individuelle ou à l’ouverture aux jeunes)jusqu’à atteindre le taux cible (33 %, 50 % ou 66 %). Laprobabilité pour un foyer éligible à la prime d’activitéd’être sélectionné comme recourant dépend de sa confi-guration familiale et du montant de prime versable, selonles modalités appliquées pour le RSA activité (encadré 4).Cette probabilité est plus importante pour les foyers éligibles à des montants élevés de prime ; elle est plusforte pour les isolés que pour les couples ; et elle est croissante avec le nombre d’enfants.

D’après les simulations, 4 millions de ménages bénéficie-raient de la prime d’activité en l’absence de non-recours,1,3 million dans l’hypothèse de 33 % de recours, 2 millionsavec 50 % de recours et 2,6 millions avec 66 % de recours. Sous l’hypothèse d’un recours automatique des

Enca

dré

3La version de Myriade utilisée dans l’article

La version du modèle de microsimulation Myriade utilisée dans cet article s’appuie sur l’enquête Revenusfiscaux et sociaux (ERFS) de 2011 de l’Institut national dela statistique et des études économiques. L’ERFS consisteen un appariement statistique du fichier de l’enquête Emploi en continu EEC (données du quatrième trimestrede l’année N) avec les fichiers fiscaux (déclarations desrevenus) de la direction générale des finances publiques(Dgfip) de l'année N et les données sur les prestations perçues au cours de l’année N et collectées auprès de laCaisse nationale des Allocations familiales (Cnaf), de laCaisse nationale de l’Assurance vieillesse (Cnav) et de laCaisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA).Sur la base de l’ERFS, le modèle Myriade est actualisé àpartir d’indices de vieillissement (taux de croissance duSmic, inflation) pour être représentatif de l’année d’intérêt.Ici, la législation appliquée est celle de 2015 après uneactualisation des données entre 2011 et 2015 à structurede population inchangée (âges, configurations familialeset situations d’emploi).

(12) Pour rappel, les ménages gagnants sont ceux dont le revenu disponible suite à la réforme augmente de plus de 1 euro par rapport à la situation avant réforme. Àl’inverse les ménages perdants sont les ménages dont le revenu disponible diminue de plus de 1 euro après réforme. (13) Le niveau de vie correspond au revenu disponible par unité de consommation. Les unités de consommation sont définies par l’échelle d’équivalence de l’OCDEmodifiée qui retient la pondération suivante : 1 unité pour le premier adulte, 0,5 unité pour les autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 unité pour les enfants âgés demoins de 14 ans. Tous les individus d’un même ménage ont le même niveau de vie. (14) Pour mémoire, le taux de 33 % est proche de celui observé par la composante du RSA activité seul tandis que le scénario de recours à 50 % est celui retenu dansl’étude d’impact du projet de loi.

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anciens bénéficiaires du RSA activité – à situation de revenu et configuration familiale inchangés –, les anciensbénéficiaires du RSA représenteraient une part importantedes ménages recourants à la prime d’activité ; la quasi-totalité avec 33 % de recours, 59 % avec 50 % de recourset 46 % avec 66 % de recours. Dans ce cadre, on constateque l’augmentation du taux de recours (tableau 1, p. 36), c’est-à-dire une distribution plus importante de la prime, im-plique une diminution du taux de pauvreté (15). Ce résultatn’est pas évident dans la mesure où un recours plus élevépeut certes accroître le revenu disponible des individusmais il augmente également le niveau de vie médian et

donc le seuil de pauvreté. Ainsi, la simulation montrequ’un recours plus intense est associé à une diminutionde la pauvreté relative : le passage d’un recours de 33 %à un plein recours diminue le taux de pauvreté de 6,4 %.La prime d’activité semble donc cibler de manière plusefficace les bas revenus que les dispositifs précédents.Pour analyser l’impact de la réforme en termes de gagnants et de perdants, sont considérés comme gagnants(respectivement perdants) les ménages qui voient leur revenu disponible augmenter (respectivement diminuer)de plus de 1 euro. Si certains ménages sont gagnants à laréforme (nouveaux publics, bonus), d’autres, dont les

Revue des politiques sociales et familiales n° 121 - 3e et 4e trimestres 2015

35 Dossier « Aides et prestations sociales »

Encadré 4La simulation du non-recours

Le non-recours au RSA activité seul et à la prime d’activité sont simulés dans le modèle de microsimulation Myriade de laCaisse nationale des Allocations familiales (Cnaf). Pour les foyers bénéficiant simultanément du RSA socle et du RSA activité,le non-recours n’est pas intégré car, dans Myriade, le nombre de bénéficiaires au RSA socle est inférieur aux cibles. Par ailleurs, tout foyer allocataire du RSA socle verra ses droits à la prime d’activité examinés automatiquement avec sa déclaration de ressources du RSA.Non-recours au RSA activitéLes recourants au RSA activité sont sélectionnés parmi les foyers éligibles à partir de taux de recours tenant compte de laconfiguration familiale et du montant de RSA versable (tableau ci-après). Les taux de non-recours sont établis en comparantles effectifs d’éligibles aux effectifs constatés au quatrième trimestre 2014 (fichier statistique de la direction des statistiques,des études et de la recherche, Filéas 2014). Sur ces données, des corrections sont apportées pour tenir compte des différencesde champ entre Myriade (ménages vivant en logement ordinaire de France métropolitaine, tous régimes) et Filéas (tous ménages y compris foyers en logement non ordinaire, régime général).Non-recours à la prime d’activité• Pour les différentes cibles de recours, les recourants à la prime d’activité sont sélectionnés parmi les éligibles. Les foyers recourant au RSA activité et au RSA socle éligiblesà la prime d’activité sont auto-matiquement recourants à laprime d’activité. • Les autres allocataires de laprime d’activité sont sélection-nés parmi les éligibles au RSAactivité non recourants et lesfoyers non éligibles au RSA activité (éligibles à la primed’activité grâce au bonus ou à l’ouverture aux jeunes) selonles quatre hypothèses présen-tées dans la dernière partie del’article.

RSA activité seul : foyers éligibles, recourants, et taux de non-recours au 4e trimestre 2014

Cible fin d’année (A)

Myriade Effectifau trimestre 4 (B)

Taux de non-recours1–(A)/(B)

Isolés sans enfant RSA<100 €Isolés sans enfant RSA≥100 € Isolés un enfant RSA<100 €Isolés un enfant RSA≥100 €Isolés ≥ deux enfants RSA

44 264123 913

20 34788 97872 436

259 971276 540

99 293119 563

97 114

83 %55 %80 %26 %25 %

Couples sans enfant RSA<200 €Couples sans enfant RSA≥200 €Couples un enfant RSA<200 €Couples un enfant RSA≥200 €Couples ≥ deux enfants RSA<200 €Couples ≥ deux enfants RSA≥200 €

16 11417 56322 12028 87139 00550 778

132 55549 215

130 04769 485

238 180121 824

88 %64 %83 %58 %84 %58 %

Ensemble 505 750 1 593 787 68 %

Sources : (A) Effectifs au 31 décembre 2014, fichier Filéas (Cnaf) avec correction du taux de ménages nonordinaires estimé à partir du fichier de l’Échantillon national des allocataires 2013 (– 2 %) et correction pourextrapoler au champ tous régimes (+ 2,7 % à partir des comparaisons des effectifs tous régimes et régimedes caisses d’Allocations familiales de France métropolitaine en fin d’année 2013).(B) Modèle Myriade (Cnaf) et enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS – Insee) 2011 basé sur la législation2015.

(15) Le taux de pauvreté correspond à la proportion d'individus dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (exprimé en euros). Ce seuil correspond à60 % du niveau de vie médian.

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(16) Les déciles représentés correspondent à la distribution des niveaux de vie initiaux, c’est-à-dire avant réforme de la prime d ‘activité.

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36 Dossier « Aides et prestations sociales »

revenus d’activité sont relativement plus élevés, peuventy perdre en raison de la suppression de la PPE. Les pertessont d’autant plus fréquentes que le taux de recours estfaible, puisque avant la réforme, les non-recourants auRSA activité pouvaient gagner en PPE ce qu’ils perdaienten RSA. Pour tous les taux de recours envisagés (exceptéle plein recours), le nombre de ménages perdants à la réforme est plus élevé que celui de gagnants, mais la baissede revenu disponible moyenne par ménage perdant est, àl’inverse, nettement plus faible que la hausse dont bénéfi-cient en moyenne les ménages gagnants.

L’augmentation du taux de recours s’accompagne, defaçon mécanique, d’une augmentation du nombre de mé-nages gagnants et d’une diminution du nombre de ménagesperdants. Ainsi, avec un taux de recours de 33 %, plusd’un million de ménages voient leur revenu disponibleaugmenter en moyenne de 62 euros. Ce chiffre s’élève à

3,4 millions dans le cadre d’unplein recours, pour un gainmensuel moyen de 89 quel quesoit le niveau de recours, lenombre de ménages perdantsreste assez élevé. Cela est lié au fait que la PPE concerne unnombre important de foyers fis-caux (près de 4,6 millions) dontcertains ne sont pas éligibles à laprime d’activité. En effet, d’une

part, le point de sortie de la PPE est plus élevé que celuide la prime d’activité pour certaines configurations fami-liales (graphique 2, p. 32) et, d’autre part, certains concu-bins non unis juridiquement bénéficiant à titre individuelde la PPE sans que les ressources de leurs conjoints soientprises en compte, ne vérifient pas les conditions d’éligi-bilité de la prime d’activité qui tient compte des res-sources des deux conjoints (unis juridiquement ou non).Dans ce cadre, les pertes moyennes sont relativement faibles (aux alentours de 34 €) en lien, comme soulignéprécédemment, avec les faibles gains que générait la PPE.

En ce qui concerne les effets redistributifs de la primed’activité pour différents points de la distribution des niveaux de vie (16), la part de gagnants parmi l’ensembledes ménages du décile est plus élevée dans la premièremoitié de la distribution des niveaux de vie et elle suit unprofil décroissant au-delà (graphique 4). Avec un taux de

Taux derecours

Impact sur la pauvreté Ménages gagnants Ménages perdants

Taux de pauvreté

Variation /recours de 33 %

Effectifs (en millions)

Gain mensuelmoyen

(en euros)

Effectifs (en millions)

Perte mensuellemoyenne (en euros)

33 %50 %66 %

100 %

14,2 %14,0 %13,7 %13,3 %

-– 1,9 %– 3,4 %– 6,4 %

1,01,72,23,4

62838589

4,23,93,62,9

– 34– 34– 33– 33

Tableau 1 – Taux de recours et effet de la prime d’activité

Source : Cnaf – DSER, modèle Myriade, ERFS 2011 – législation 2015. Lecture : avec un taux de recours de50 %, 1,7 million de ménages voient leur revenu disponible augmenter de plus de 1 euro par rapport à lasituation de référence.

Graphique 4 – Effets redistributifs de la prime d’activité par décile de niveau de vie selon le taux de recours

0

5

10

15

20

25

30

35

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Recours = 33 % Recours = 50 % Recours = 66 % Recours = 100 %

(En %)

Déciles de niveaux de vie

0

5

10

15

20

25

30

35

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

(En %)

Déciles de niveaux de vie

Part de ménages gagnants selon le taux de recours (en %) Part de ménages perdants selon le taux de recours (en %)

Recours = 33 % Recours = 50 % Recours = 66 % Recours = 100 %

Source : Cnaf – DSER, modèle Myriade, ERFS 2011 – législation 2015.Les ménages gagnants (respectivement perdants) sont ceux dont le revenu disponible augmente (respectivement diminue) d’au moins 1 euro par mois.Lecture : avec un taux de recours de 50 %, 16 % des ménages appartenant au premier décile seraient gagnants, ce serait le cas pour moins de 1 % desménages du dernier décile. Les déciles sont calculés avant réforme.

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recours de 50 %, cette part avoisine 20 % dans les deuxpremiers déciles, 10 % dans le troisième et se situe endessous de 1 % à partir du septième décile. Ce résultatest cohérent avec l’objectif redistributif de la prime d’ac-tivité et son recentrage sur les bas revenus. Des taux derecours supérieurs s’accompagnent d’une augmentationde la part de gagnants pour tous les points de la distribu-tion avec des effets plus importants dans les premiers déciles. Ainsi, le passage d’un taux de recours de 33 % àun recours de 66 % accroît la proportion de gagnants deprès de dix points. Outre les effets liés au recentrage surles bas revenus, cette augmentation s’explique en partiepar l’hypothèse retenue sur les comportements de recours : la sélection se fait, en partie, sur la base desmontants de prime versables et ces derniers sont plus élevés pour les individus appartenant au bas de la distri-bution des niveaux de vie. Néanmoins, la concentrationdes gagnants dans les déciles de niveau de vie inférieurss’observe également pour un recours de 100 %. Ces résultats ne dépendent pas, par définition, d’hypothèsescomportementales : ils indiquent donc que, au regard dela proportion de gagnants par décile, la prime atteint bienson objectif de recentrage sur les bas revenus.

Ces résultats sur la redistributivité de la prime d’activitésont confirmés par l’analyse de la part des perdants pardécile de niveau de vie. La proportion d’individus quivoient le revenu disponible de leur ménage diminuer deplus de 1 euro est assez diffuse le long de la distribution,en lien notamment avec le barème et le point de sortiede la PPE. Pour un taux de recours de 50 %, la part deperdants est supérieure à 20 % entre le deuxième et lecinquième décile. Ici encore, l’augmentation du recourssemble bénéficier aux déciles inférieurs. Le passage d’unrecours de 33 % à un plein recours diminue la proportionde perdants de huit points pour le premier décile et dedouze points pour les deuxième et troisième déciles.Cette diminution est inférieure à deux points pour les cinqderniers déciles.

Les barèmes des dispositifs analysés dépendant de laconfiguration familiale, il est intéressant d’interroger l’impact de l’introduction de la prime d’activité pour différents types de familles (graphique 5). Ainsi, l’analyserévèle que la part de ménages gagnants est plus impor-tante parmi les ménages avec enfants que parmi ceuxsans enfant : avec un taux de recours de 50 %, cette partatteint, par exemple, 19 % pour les ménages composésd’une personne isolée avec un enfant contre 4 % pour lespersonnes seules. Cela renvoie au fait que les familles

avec enfants sont plus fréquemment concernées par lesdispositifs de soutien à l’activité que les ménages sans enfant, en lien avec leur positionnement sur l’échelle desrevenus. Par ailleurs, les familles monoparentales bénéfi-cient davantage de la prime d’activité que les couples.Pour 50 % de recours, la part de ménages gagnants estde 20 % pour les isolés avec deux enfants et de 7 % pourles couples avec deux enfants. Ce résultat renvoie à lasurreprésentation des isolés dans les déciles de niveau devie inférieurs par rapport aux couples. En outre, dans leshypothèses de recours, le recours à la prime d’activité(calculé à partir des comportements de recours au RSAactivité) est plus important pour les familles monoparen-tales que pour les couples avec enfants.

Au regard des résultats obtenus, la prime d’activité sembledonc proche de la logique du RSA activité en termes

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Graphique 5 – Effets redistributifs de la prime d’activitépar configuration familiale selon le taux de recours

0

5

10

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30

35

Personneseule

Isolé1 enfant

Isolé 2 enfants et plus

Couple sans enfant

Couples1 enfant

Couples2 enfants

Couples 3 enfants et plus

Recours = 33 % Recours = 50 % Recours = 66 % Recours = 100 %

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Isolé1 enfant

Isolé 2 enfants et plus

Couple sans enfant

Couples1 enfant

Couples2 enfants

Couples 3 enfants et plus

Recours = 33 % Recours = 50 % Recours = 66 % Recours = 100 %

Part de ménages gagnants selon la configuration familiale (en %)

Part de ménages perdants selon la configuration familiale (en %)

Source : Cnaf – DSER, modèle Myriade, ERFS 2011– législation 2015.Les ménages gagnants (respectivement perdants) sont ceux dont lerevenu disponible augmente (respectivement diminue) d’au moins 1 euro par mois. Lecture : avec un taux de recours de 50 %, la part degagnants est de 19 % parmi les isolés avec un enfant et de 2 % parmi lescouples sans enfant.

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d’effets redistributifs (Domingo et Pucci, 2014 ; Allègre,2013) : elle est concentrée sur les bas revenus, et ce ciblage augmente avec le niveau de recours. Néanmoins,les hypothèses comportementales retenues sur le recoursdoivent être questionnées. La suite de l’article teste la sensibilité des résultats à ces hypothèses.

Le profil des individus recourants impacte peu les effets redistributifs de la prestationAu-delà de l’intensité de l’accès au dispositif, l’effet dunon-recours peut dépendre du profil des individus recou-rants. Dans ce cadre, quatre hypothèses alternatives sont testées sur les comportements de recours à la prime d’activité des foyers qui ne bénéficiaient pas du RSA activité(non recourants ou non éligibles) mais qui sont éligibles à laprime d’activité : • dans l’hypothèse n° 1, la sélection est fonction de la confi-guration familiale et du montant de prime versable. Il s’agitde l’hypothèse de référence retenue dans la partie précé-dente ;• dans l’hypothèse n° 2, les nouveaux recourants à la primed’activité sont déterminés au hasard parmi les éligibles ;• dans l’hypothèse n° 3, les nouveaux recourants à la primed’activité sont les éligibles pour lesquels le montant de primepar unité de consommation (UC) est le plus élevé,• dans l’hypothèse n° 4, les nouveaux recourants à la primed’activité sont sélectionnés aléatoirement parmi les ex-bénéficiaires de la PPE.

Ces hypothèses sont analysées pour un taux de recoursglobal fixé ici à 50 % (17). Pour ces quatre scénarios, lesindividus qui bénéficiaient du RSA activité sont automa-tiquement recourants à la prime d’activité. Les différencesentre les scénarios portent donc sur la sélection des non-bénéficiaires du RSA activité éligibles à la prime (soit820 000 foyers ou 40 % des foyers bénéficiaires). Afin d’analyser l’impact du profil des non-recourants sur les effets

redistributifs de la prime d’activité,les mêmes indicateurs que dans lepoint précédent sont utilisés à l’exception de ceux portants sur la situation familiale. En effet, les résultats ne variant quasiment passelon l’hypothèse retenue, ils nesont pas reportés ici.

Le premier constat est la relativeproximité des taux de pauvreté

calculés pour les différentes hypothèses, soit environ 14 %(tableau 2). L’hypothèse n° 3 est associée au taux de pauvreté le plus faible (– 1,7 % par rapport à la référence) :dans ce scénario, les nouveaux recourants sont sélectionnésparmi les éligibles pour lesquels les montants de prime parUC sont les plus importants. Ces montants élevés concernentplus particulièrement les individus dont les revenus d’activitésont faibles : le versement de la prime à ces individus contri-bue donc à diminuer le taux de pauvreté. Pour les mêmesraisons, l’hypothèse est également associé au nombre de ménages gagnants le plus important (1,7 million) et auxgains moyens mensuels les plus élevés (110 €). Une grande majorité des perdants sont des individus qui bénéficiaientde la PPE mais ne recourent pas à la prime d’activité ou n’yont pas droit. Dans ce cadre, la quatrième hypothèse contri-bue à limiter le nombre de perdants ex-PPE en supposantque ceux qui sont éligibles à la prime y recourent jusqu’àatteindre un taux de recours de 50 %.

Concernant les effets redistributifs de la prime d’activité pardécile de niveau de vie (graphique 6), dans la lignée des résultats précédents, sélectionner les individus qui ont lesmontants de prime par unité de consommation les plus élevés (hypothèse n° 3) accroît le ciblage sur les déciles inférieurs. À cette répartition s’ajoute en outre des gainsmoyens importants : dans le premier décile, ils sont, parexemple, de 128 euros pour cette hypothèse contre moinsde 100 euros pour les autres scénarios. Néanmoins, en mettant en regard les résultats des graphiques 4 et 6, on peutnoter que la part de gagnants semble moins sensible auxcomportements des recourants qu’à l’intensité du recours :en effet, les écarts observés entre les différentes hypothèsescomportementales le long de la distribution n’excèdent pas4 points de pourcentage. Les résultats obtenus sur la part deperdants par décile montrent également une proximité desdifférents scénarios : en particulier, le fait de sélectionner lesindividus aléatoirement (hypothèse n° 2) n’a quasiment pas

Comportementdes recourants

Impact sur la pauvreté Ménages gagnants Ménages perdants

Taux de pauvreté

Variation /référence

Effectifs (en milliers)

Gain mensuelmoyen

(en euros)

Effectifs (en milliers)

Perte mensuellemoyenne (en euros)

H1 (référence)H2 (aléatoire)H3 (max UC)H4 (ex-PPE)

14,0 %14,0 %13,7 %13,9 %

-0,2 %

– 1,7 %– 0,1 %

1 6621 6411 7041 588

8372

11073

3 8813 9043 8093 624

– 34– 34– 33– 34

Tableau 2 – Taux de recours et effet de la prime d’activité

Source : Cnaf – DSER, modèle Myriade, ERFS 2011 – législation 2015. Les ménages gagnants (respective-ment perdants) sont ceux dont le revenu disponible augmente (respectivement diminue) d’au moins 1 euro par mois.

(17) Les hypothèses alternatives de comportement de recours ont également été testées sur des taux de recours à 33 % et 66 %. Les interprétations auxquelles ces croi-sements donnent lieu sont peu différentes de celles basées sur un taux de recours de 50 %. Pour des raisons de lisibilité, ces résultats ne sont donc pas présentés ici.

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d’impact par rapport à l’hypothèse de référence. La sélectionsur les montants de prime les plus élevés opérée dans la troi-sième hypothèse a des effets dans le bas de la distribution :elle est associée à une part de perdants légèrement inférieureaux autres scénarios dans le premier décile (7 %). L’hypo-thèse consistant à cibler les ex-bénéficiaires de la PPE estcelle qui se démarque le plus, avec des proportions de perdants plus faibles pour les déciles 3 et 4. Les niveaux devie correspondants renvoient à des ex-bénéficiaires de la PPEqui ne sont plus perdants compte tenu des comportementsde recours retenus dans cette hypothèse.

ConclusionL’objectif de cet article était de proposer une évaluationex ante des effets redistributifs de la prime d’activité enportant une attention particulière à la question du non-recours à la prestation. Les résultats des analyses réali-sées indiquent que la prime d’activité est davantagecentrée sur les bas revenus que les dispositifs antérieursde soutien à l’activité (RSA activité et PPE). Avec un tauxde recours de 33 %, la part de ménages gagnants à laréforme est supérieure à 10 % dans les deux premiersdéciles de niveau de vie, alors qu’elle est inférieure à2 % à partir du cinquième décile. Ce ciblage sur les bas revenus est en outre croissant avec le taux de recours : le passage d’un recours de 33 % à 66 % accroîtla part de gagnants dans les trois premiers déciles deplus de dix points. Les effets redistributifs de la prestationsemblent, en revanche, peu sensibles au profil des personnes recourantes parmi la population des éligibles :

les écarts constatés le long de la distribution entre lesdifférents scénarios comportementaux sont inférieurs àquatre points de pourcentage. Cependant, cela ne signi-fie pas que le profil des recourants est neutre. Ce dernierpeut avoir un impact important sur le coût du dispositifpour les finances publiques, notamment si les recourantssont concentrés parmi ceux qui bénéficient des niveauxde prime élevés (18).

De manière plus générale, les résultats présentés ici suggèrent que la prise en compte du non-recours enamont d’une réforme, comme cela a été le cas dans leprojet de loi relatif à la prime d’activité, a des implica-tions importantes. Ne pas prendre en considération cettedimension serait équivalent, de facto, à uniformémentestimer le recours à la prestation à 100 %, hypothèse peuprobable au regard de l’expérience du RSA activité.Ainsi, en parallèle d’une politique d’accès aux droits etde lutte contre le non-recours (information, dématériali-sation), tenir compte de ce risque ex ante permet au législateur, sur la base de différents scénarios, de mieuxcalibrer la mesure par un ajustement différent des para-mètres de calcul de la prestation (barème, conditionsd’ouverture, etc.) et ainsi d’accroître, à taux de recoursdonné, la redistribution vers les travailleurs les plus pauvres. Cependant, le taux de non-recours reste un aléatrès difficile à anticiper, et si celui-ci venait à différer fortement de l’hypothèse initiale de 50 %, les effets redistributifs seraient modifiés et la charge réelle desorganismes verseurs serait très différente de celle anticipée.

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Graphique 6 – Effets redistributifs de la prime d’activité par décile de niveau de vie selon le scénario de recours

Part de ménages gagnants selon le scénario de recours (en %)

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Part de ménages perdants selon le scénario de recours (en %)

Déciles de niveaux de vie

Déciles de niveaux de vie

H1 (réf.) H2 (aléa) H3 (max UC) H4 (ex-PPE)

Source : Cnaf – DSER, modèle Myriade, ERFS 2011 – législation 2015. Les ménages gagnants (respectivement perdants) sont ceux dont le revenu disponibleaugmente (respectivement diminue) d’au moins 1 euro par mois. Lecture : dans le premier scénario de recours, la part des ménages gagnants est de 16 % dansle premier décile et de moins de 1 % dans le dernier décile.

(18) Par rapport au scénario de référence, cette hypothèse est associée à un surcoût estimé à 650 millions d’euros dans Myriade.

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