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Barreau du Québec, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Collection de droit 2010-2011, Volume 6, Cowansville, Yvon Blais, 2010 Chapitre II M e François Beauchamp M e Hélène Mondoux Les droits et les obligations des parties [Page 31] 1- Les dispositions applicables aux ouvrages et aux services Les articles 2101 à 2109 C.c.Q. s’appliquent à tous les contrats de service et d’entreprise, qu’il s’agisse de services professionnels, de contrats de service de nature commerciale ou des contrats d’entreprise de quelque nature qu’ils soient. A- La délégation et la sous-traitance (art. 2101 C.c.Q.) À moins que le contrat n’ait été conclu en considération des qualités personnelles de l’entrepreneur ou du prestataire de service, ou que cela ne soit incompatible avec la nature même du contrat, celui-ci pourra s’adjoindre un tiers pour l’exécuter mais conservera néanmoins la direction et la responsabilité de l’exécution 1 . Même s’il n’y a pas de lien de droit entre le client et le sous-traitant 2 , il pourra arriver qu’il soit tenu responsable à son égard si par son comportement il lui crée préjudice 3 . Également, il pourra arriver qu’un contrat intervienne directement entre le donneur d’ouvrage et le sous-traitant 4 . Ainsi, le contrat d’entreprise ou de service n’est pas un contrat à caractère purement intuitu personae. Par contre, dans l’éventualité où la réputation, le talent ou les aptitudes particulières d’un entrepreneur ou d’un prestataire de service sont la raison du contrat, la personne choisie devra l’exécuter personnellement. L’article 2101 C.c.Q. consacre ainsi le droit à la sous-traitance 5 . 1. Deschênes c. Construction Rouillard Enr., REJB 2002-34716 (C.Q.); Groupe Simoneau Inc. c. Serres Lacoste 2000 Inc., EYB 2009-157349 (C.S.); Factory Mutual Insurance Company c. Richelieu Métal Québec Inc., EYB 2009-156211 (C.S.), en appel. 2. La Baie (Ville) c. Gérald Robitaille & Associés, REJB 2000-21112 (C.S.), appel rejeté le 20 février 2003; Aare construction Inc. c. Régie d’assainissement des eaux du bassin de La Prairie, EYB 2005-88608 (C.S.). 3. Excavation Bonsecours Inc. c. Procureure générale du Québec, REJB 2001-25348 (C.S.); Industries Garanties Ltée c. Corporation Onex Management Inc., EYB 2005-96039 (C.S.); Morency c. Tarbis Construction Inc., EYB 2007-119223 (C.Q.). 4. Ferlatte c. Mougeot, EYB 2006-105702 (C.A.); Construction Morival Ltée c. Kyriacou, EYB 2006- 100738 (C.Q.). 5. Services médicaux Laidlaw Ltée c. Partagec Inc., EYB 1995-73035 (C.S.). © 2010 École du Barreau – Tous droits réservés

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Barreau du Québec, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Collection de droit 2010-2011, Volume 6, Cowansville, Yvon Blais, 2010

Chapitre II Me François Beauchamp

Me Hélène Mondoux

Les droits et les obligations des parties [Page 31]

1- Les dispositions applicables aux ouvrages et aux services

Les articles 2101 à 2109 C.c.Q. s’appliquent à tous les contrats de service et d’entreprise, qu’il s’agisse de services professionnels, de contrats de service de nature commerciale ou des contrats d’entreprise de quelque nature qu’ils soient.

A- La délégation et la sous-traitance (art. 2101 C.c.Q.)

À moins que le contrat n’ait été conclu en considération des qualités personnelles de l’entrepreneur ou du prestataire de service, ou que cela ne soit incompatible avec la nature même du contrat, celui-ci pourra s’adjoindre un tiers pour l’exécuter mais conservera néanmoins la direction et la responsabilité de l’exécution1.

Même s’il n’y a pas de lien de droit entre le client et le sous-traitant2, il pourra arriver qu’il soit tenu responsable à son égard si par son comportement il lui crée préjudice3.

Également, il pourra arriver qu’un contrat intervienne directement entre le donneur d’ouvrage et le sous-traitant4.

Ainsi, le contrat d’entreprise ou de service n’est pas un contrat à caractère purement intuitu personae. Par contre, dans l’éventualité où la réputation, le talent ou les aptitudes particulières d’un entrepreneur ou d’un prestataire de service sont la raison du contrat, la personne choisie devra l’exécuter personnellement. L’article 2101 C.c.Q. consacre ainsi le droit à la sous-traitance5.

1. Deschênes c. Construction Rouillard Enr., REJB 2002-34716 (C.Q.); Groupe Simoneau Inc. c. Serres Lacoste 2000 Inc., EYB 2009-157349 (C.S.); Factory Mutual Insurance Company c. Richelieu Métal Québec Inc., EYB 2009-156211 (C.S.), en appel. 2. La Baie (Ville) c. Gérald Robitaille & Associés, REJB 2000-21112 (C.S.), appel rejeté le 20 février 2003; Aare construction Inc. c. Régie d’assainissement des eaux du bassin de La Prairie, EYB 2005-88608 (C.S.). 3. Excavation Bonsecours Inc. c. Procureure générale du Québec, REJB 2001-25348 (C.S.); Industries Garanties Ltée c. Corporation Onex Management Inc., EYB 2005-96039 (C.S.); Morency c. Tarbis Construction Inc., EYB 2007-119223 (C.Q.). 4. Ferlatte c. Mougeot, EYB 2006-105702 (C.A.); Construction Morival Ltée c. Kyriacou, EYB 2006-100738 (C.Q.). 5. Services médicaux Laidlaw Ltée c. Partagec Inc., EYB 1995-73035 (C.S.).

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Au regard du paiement, dans l’affaire Commission scolaire des Patriotes c. Distributeur Tapico Ltée6, la Cour d’appel a jugé que le propriétaire n’avait aucune obligation d’obtenir les quittances finales des sous-traitants lors du paiement des travaux à l’entrepreneur général en l’absence de stipulation pour autrui. Elle a décidé que le propriétaire pouvait abandonner la protection prévue au contrat sans commettre de faute.

Par contre, dans l’affaire de D.I.M.S. Construction Inc. (Syndic de)7, la Cour d’appel a considéré qu’il y avait stipulation pour autrui permettant aux sous-traitants de réclamer du propriétaire le paiement de leur créance. L’entrepreneur avait versé un dépôt à titre de retenue pour garantir le paiement des gages, matériaux et services.

B- L’obligation d’information (art. 2102 C.c.Q.)

L’entrepreneur ou le prestataire de service est tenu avant la conclusion du contrat, de fournir au client, dans la mesure où les circonstances le permettent, toute information utile relativement à la nature de la tâche qu’il s’engage à effectuer ainsi qu’aux biens et au temps nécessaires à

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cette fin8. Cette obligation vise aussi les conséquences possibles des travaux9. Par contre, elle ne s’applique pas aux travaux exclus du mandat10.

Les informations relatives aux biens et au temps nécessaires pour exécuter le contrat permettront au client d’apprécier le coût du contrat. Puisque l’obligation doit être exécutée avant la conclusion du contrat, elle doit viser ce que le client devrait connaître et qui est susceptible de l’aider à prendre sa décision quant à la conclusion du contrat. L’obligation d’information de l’entrepreneur existe aussi au moment de l’exécution du contrat11.

Cette obligation devra s’évaluer en fonction de la nature du contrat mais également en fonction des connaissances du client. Par exemple, l’avocat a le devoir de dévoiler à son client les informations nécessaires pour que ce dernier puisse apprécier l’ampleur du mandat, le temps requis pour l’exécuter, les frais qui pourront être encourus, ainsi que les coûts reliés à ses services. Également, la responsabilité pourra être partagée si l’entrepreneur manque à son obligation de renseignement, mais que le propriétaire fait défaut de préciser exactement les travaux voulus12.

6. REJB 2003-43526 (C.A.). 7. REJB 2003-48918 (C.A.). 8. Bodi c. Construction J.G. Lessard & Fils Inc., REJB 2001-23281 (C.A.); 9054-0006 Québec Inc. (Constructions Gilles Lanoue et Fils) c. Leblanc, EYB 2008-135305 (C.Q.); Medeiros c. R.P. Entreprises enr., EYB 2009-160913 (C.Q.); Emballages Alpha Inc. c. Industries Rocand Inc., EYB 2009-157872 (C.S.), en appel. 9. Hébert c. Rénovations Alliance Inc., REJB 2002-32764 (C.Q.); Orenstein-Little c. Heneault & Gosselin Inc., EYB 2008-146073 (C.S.). 10. Moloughney c. Ken Richard Construction, EYB 2007-132192 (C.S.). 11. Poirier c. Goyette, Duchesne, Lemieux Inc., REJB 2003-52550 (C.Q.). 12. Aménagement paysager Pro-Jardin Inc. c. Breton, EYB 2008-133202 (C.Q.).

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Il s’agit d’une obligation unilatérale puisque c’est l’entrepreneur ou le prestataire de service qui est tenu envers le client et non le client envers ceux-ci.

Puisque l’obligation du client envers l’entrepreneur et le prestataire de service n’a pas été codifiée, il faudra s’en remettre à la jurisprudence et notamment à la décision rendue dans l’affaire Banque de Montréal c. Bail Ltée13, qui a consacré l’étendue et la nature des informations qui devaient être fournies par le client à l’entrepreneur ou au prestataire de service. À ce niveau, l’obligation d’information du client peut être considérée comme une forme, ou en quelque sorte un démembrement, de l’obligation de bonne foi prévue aux articles 7 et 1375 C.c.Q.

Dans cette affaire, le sous-traitant poursuivait le propriétaire pour avoir fait défaut de lui dénoncer qu’il y avait des erreurs dans l’appel d’offres. Le juge Gonthier rendant jugement au nom de la Cour suprême du Canada énonce les principes suivants :

« L’obligation de renseignement est maintenant bien implantée en droit québécois. [...]

Sans nécessairement en adopter l’énoncé, je suis d’avis que Ghestin expose correctement la nature et les paramètres de l’obligation de renseignement. Il en fait ressortir les éléments principaux, soit :

! la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement;

! la nature déterminante de l’information en question; ! l’impossibilité pour le créancier de l’obligation de se renseigner lui-même, ou

la confiance légitime du créancier envers le débiteur. » (p. 585 à 587).

« L’apparition de l’obligation de renseignement est reliée à un certain rééquilibrage au sein du droit civil. Alors qu’auparavant il était de mise de laisser le soin à chacun de se renseigner et de s’informer avant d’agir, le droit civil est maintenant plus attentif aux inégalités informationnelles et il impose une obligation positive de renseignement dans les cas où une partie se retrouve dans une position informationnelle vulnérable, d’où des dommages pourraient s’en suivre. L’obligation de renseignement et le devoir de ne pas donner de fausses informations peuvent être conçus comme les deux facettes d’une même médaille. » (p. 587).

Quant à l’obligation de renseignement plus spécifique au contrat d’entreprise, le juge souligne aux pages 589 et 590 :

« Le contrat d’entreprise est un contrat de portée assez générale, qui englobe bon nombre de situations juridiques présentant tout de même des différences significatives. Je m’attarderai ici au contrat d’entreprise portant sur de grands chantiers et dont la valeur est considérable. Les remarques qui suivent ne sont pas nécessairement applicables au contrat d’entreprise dans leur ensemble.

13. EYB 1992-67806 (C.S.C.).

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Les éléments principaux de l’obligation de renseignement, mentionnés plus haut, se retrouvent dans le cadre de ces contrats d’entreprise. Il est en effet facilement concevable que certaines informations déterminantes soient détenues par une partie, alors

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que l’autre partie se retrouve dans l’impossibilité de se renseigner ou fait légitimement confiance à la première. En fait, chacune des deux parties est soumise à une obligation de renseignement envers l’autre à certains égards. »

Le juge poursuit en indiquant que les contrats d’entreprise se caractérisent tout d’abord par la connaissance qu’ont les parties de l’objet du contrat. Les risques sont généralement assumés par l’entrepreneur qui est à même d’évaluer ceux-ci lors de la procédure de la soumission. L’obligation de renseignement est un corollaire immédiat de l’allocation des risques. La partie qui les assume se doit de se renseigner mais l’autre partie ne doit pas, par action ou par inaction, contribuer à fausser l’évaluation des risques de celle qui les assume.

Par ailleurs, l’obligation de renseignement dans le cadre des contrats d’entreprise pour de grands chantiers peut varier selon l’expertise des parties. Celle-ci sera importante, et sera entendue au sens large des attentes des parties l’une vis-à-vis l’autre quant aux connaissances découlant de leurs qualifications respectives.

Ainsi, l’arrêt reconnaît que, dans le contrat d’entreprise de petite envergure, pour la construction d’une maison unifamiliale par exemple, confié par un particulier novice en la matière à un entrepreneur expérimenté, il sera alors justifié que le maître de l’ouvrage soit pratiquement relevé de toute obligation de renseignement. Par contre, pour les grands projets, le maître de l’ouvrage possède généralement une expertise non négligeable dans le domaine qu’il utilise notamment dans la préparation des plans et devis. La cour reconnaît l’influence de l’expertise relative des parties, sur le contenu obligationnel du contrat d’entreprise.

De même, l’expertise relative du maître de l’ouvrage par rapport à l’entrepreneur accroîtra l’obligation de renseignement du maître de l’ouvrage surtout lorsqu’il transmet à l’entrepreneur des renseignements qui relèvent de sa propre expertise et que ceux-ci s’avèrent erronés14.

Enfin, ce jugement reconnaît aussi que la formation continue du contrat influence aussi sur l’obligation de renseignement. En effet, l’évolution des contrats d’entreprise de grande envergure est constante pendant l’exécution15.

Cette obligation du donneur d’ouvrage de bien informer les soumissionnaires a aussi été retenue par la Cour d’appel du Québec dans les affaires Sintra Inc. c. Mascouche16 et Société immobilière du Québec c. Mario Bernier Inc.17, ainsi que par

14. Centre universitaire de santé McGill c. Gaston Champoux (1973) Inc., EYB 2008-149130 (C.S.). 15. Au même effet, l’affaire de Agropur Coopérative c. Cegerco Constructeur Inc., EYB 2005-94595 (C.S.). 16. EYB 1995-55998 (C.A.). 17. REJB 2002-31836 (C.A.).

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la Cour supérieure dans les décisions Grandmont et fils Ltée c. Procureur général du Québec18 et Construction du Saint-Laurent Ltée c. Aluminerie Alouette Inc.19.

L’obligation de renseignement va au-delà du simple devoir de ne pas donner de fausses informations. Ainsi, il appartient au donneur d’ouvrage de décrire les travaux proposés avec suffisamment de précisions20.

L’obligation de renseignement existera aussi pour l’entrepreneur général qui conclut un contrat de sous-traitance afin que le cocontractant ait toute l’information pertinente à la formation du consentement libre et éclairé21. Par ailleurs, l’entrepreneur général ou le sous-traitant ne devra pas négliger de faire les recherches que tous les autres soumissionnaires devaient normalement faire22. En présence d’un manquement au devoir d’information du client et d’un manquement de l’entrepreneur à son devoir de se renseigner, le tribunal pourra conclure à un partage de la responsabilité23.

L’obligation de renseignement du client est donc qualifiée par l’allocation des risques entre les parties, l’expertise relative de celles-ci, ainsi que par la formation continue du contrat en cours d’exécution24. L’obligation de renseignement de l’entrepreneur ou du prestataire de service devra possiblement tenir compte de cette obligation

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lors de la négociation d’un amendement majeur au contrat, eu égard à l’objet visé par l’amendement et à son impact quant à la réalisation du reste de l’ouvrage ou du service.

Puisque le code prévoit que l’obligation n’existe que dans la mesure où les circonstances le permettent, cette obligation d’information dépendra de la nature du contrat et de l’urgence de la conclusion de celui-ci. Elle pourra aussi être tempérée par la connaissance et l’expérience du client.

Dans l’affaire Janin Construction (1983) Ltée c. Régie d’assainissement des eaux du bassin de Laprairie25, la Cour supérieure, confirmée par la Cour d’appel, est allée plus loin. Elle a statué que l’expertise du maître d’œuvre augmentait son

18. EYB 1996-84885 (C.S.). 19. REJB 2001-23011 (C.S.), appel accueilli REJB 2003-47683 (C.A.) pour d’autres motifs. 20. Ed. Brunet et associés Inc. c. La Pêche (Municipalité de), EYB 2004-81612 (C.S.); Procureur général du Québec c. Desbiens techni services Inc., EYB 2006-109269 (C.A.); Construction BSL Inc. c. Ste-Agathe-de-Lotbinière (Municipalité de), EYB 2007-124395 (C.S.), appel accueilli sur un autre point juridique, 2009 QCCA 145, 27 janvier 2009, EYB 20009-153544. 21. Drainamar Inc. c. Sintra Inc., REJB 2001-27136 (C.A.). 22. Sotramex Inc. c. Procureur général du Québec, EYB 1996-85317 (C.S.); Forage Marathon Cie Ltée c. Doncar Construction Inc., REJB 2001-24588 (C.S.); Excavation St-Pierre et Tremblay Inc. c. J.E. Verreault et Fils Ltée, EYB 2006-111650 (C.S.), appel rejeté, EYB 2008-129752 (C.A.); Maçonnerie Demers Inc. c. Genivar Construction Inc., EYB 2008-134345 (C.S.). 23. Paul Pedneault Inc. c. Metabetchouan–Lac-à-la-Croix (Municipalité de), EYB 2005-94829 (C.Q.); Sperandio c. 3095-9571 Québec Inc., EYB 2005-91915 (C.S.). 24. Constructions Carbo Inc. c. Procureur général du Québec, EYB 2004-80884 (C.S.); Construction RSR Inc. c. Acier St-Denis, EYB 2007-125364 (C.A.). 25. EYB 1994-86791 (C.S.), confirmé par la Cour d’appel à REJB 1999-11611 (C.A.).

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obligation de renseignement et qu’assisté de ses experts-consultants il était l’« homme de l’art ». Au surplus, la cour a statué que le maître d’œuvre devait fournir non seulement les renseignements qu’il connaît mais également ceux qu’il aurait dû connaître. Dans une autre affaire, la Cour d’appel a souligné que l’obligation de vérification de l’entrepreneur n’impliquait pas qu’il doive refaire le travail accompli par les autres professionnels26.

Le Code civil du Québec ne prévoit aucune sanction au défaut de se conformer à l’obligation de renseignement pour l’entrepreneur ou le prestataire de service. Toutefois, on peut concevoir qu’un manquement à cette obligation soit sanctionné par le maintien d’une demande de nullité du contrat ou par la réduction d’une partie des obligations en découlant ou encore par l’octroi de dommages-intérêts.

C- L’obligation relative aux biens fournis (art. 2103 à 2105 C.c.Q.)

C’est l’entrepreneur ou le prestataire de service qui fournit les biens nécessaires à l’exécution du contrat, sauf si les parties ont stipulé qu’il ne fournirait que son travail.

S’il fournit les biens, ils devront être de bonne qualité et l’entrepreneur ou le prestataire de service sera tenu quant à ces biens des mêmes garanties que le vendeur27. Le code va même jusqu’à prévoir qu’il y aura contrat de vente et non contrat d’entreprise ou de service lorsque l’ouvrage ou le service ne sera qu’un accessoire par rapport à la valeur des biens fournis28.

Ainsi, l’entrepreneur ou le prestataire de service doit fournir les outils ainsi que les fournitures qui doivent être incorporées à l’ouvrage. Quant à la garantie du vendeur auquel renvoie l’article 2103 C.c.Q., elle s’ajoute à celle prévue à l’article 2120 C.c.Q., relativement aux malfaçons et à la présomption de responsabilité prévue à l’article 2118 C.c.Q.

L’entrepreneur tenu à la garantie du vendeur devra délivrer les biens, garantir le droit de propriété et la qualité de ceux-ci. Il lui faut garantir que les biens sont exempts de vices cachés qui les rendraient impropres à l’usage auquel ils sont destinés ou diminuent tellement leur utilité que le client ne les aurait pas achetés ou n’aurait pas donné si haut prix (art. 1726 C.c.Q.)29.

L’article 2120 C.c.Q. qui édicte l’obligation de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception ou découvertes dans l’année qui la suit, devrait couvrir les malfaçons résultant d’un vice d’un bien et ceux résultant d’une mauvaise exécution. S’il en était autrement, le client aurait à faire la preuve de l’origine du défaut, soit le vice ou la mauvaise exécution, de façon à choisir entre les

26. Lac St-Charles (Ville) c. Construction Choinière Inc., REJB 2000-18872 (C.A.). 27. Touzel Ltée c. Canron Inc., REJB 1997-01499 (C.A.); De Gregorio c. André Coursol Inc., REJB 1998-10991 (C.S.); Centre d’auto Lavigne Inc. c. Services de gestion des carburants M.T.L. Inc., REJB 1999-15623 (C.S.). 28. Picard équipement de boulangerie c. 2883643 Canada inc. (Aliments Lloydies), EYB 2006-105890 (C.S.). 29. Groupe Simoneau Inc. c. Serres Lacoste 2000 Inc., précité, note 1.

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deux régimes de responsabilité qui ne sont pas soumis aux mêmes conditions d’ouverture ni à la même prescription.

Pour déterminer si l’ouvrage ou le service n’est qu’un accessoire par rapport à la valeur des biens fournis, il faut donner au mot ouvrage un sens qui permet de distinguer le coût des biens qui composent cet ouvrage des autres éléments qui sont compris dans son coût total30. Le fait que le coût de la main-d’œuvre soit deux fois moindre que le coût des matériaux fournis ne suffira pas à démontrer que les services ne sont qu’accessoires à la vente31. Aussi, le fait qu’une partie ait écrit dans le contrat qu’il s’agit d’un contrat de vente ne signifiera pas qu’il s’agit de la qualification adéquate32.

Puisque l’article 2103 C.c.Q. prévoit déjà quant aux biens fournis que la garantie du vendeur s’applique, cette disposition concernant la valeur des biens fournis par rapport

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à l’ouvrage ou aux services ne peut être que pour permettre d’appliquer le chapitre du Code civil du Québec portant sur la vente plutôt que celui sur le contrat d’entreprise dans les cas où cet alinéa s’applique.

En pratique, cet article ne devrait créer aucune difficulté dans les travaux de grande envergure puisque, même si la valeur des biens fournis par l’entrepreneur dépasse parfois largement la valeur des services ou du labeur qui les accompagnent, les obligations de chacune des parties sont prévues en détail.

Lorsque l’entrepreneur fournit les biens nécessaires à l’exécution du contrat, l’article 2102 C.c.Q. précise qu’il est tenu de fournir toute l’information utile relative à la nature de ces biens33.

Si d’une part l’entrepreneur ou le prestataire de service doit fournir des biens de bonne qualité, d’un autre côté si les biens sont fournis par le client, ils devront en user avec soin et rendre compte de cette utilisation. Dans l’éventualité où les biens sont manifestement impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés ou s’ils sont affectés d’un vice apparent ou d’un vice caché qu’il devait connaître, l’entrepreneur ou le prestataire de service doit en informer immédiatement le client, à défaut de quoi il sera tenu responsable du préjudice qui peut résulter de l’utilisation des biens.

Puisque l’entrepreneur est souvent présumé spécialiste dans son domaine, il bénéficie de connaissances qui lui permettent de juger de la qualité des biens fournis pour l’exécution de son contrat. L’article 2104 C.c.Q. crée une sorte de présomption de connaissance quant aux vices cachés des biens qui fera en sorte que l’entrepreneur sera tenu responsable des dommages qui résultent de l’utilisation de biens impropres à leur utilisation en raison de vices manifestes qu’il devrait connaître. L’obligation de renseignement énoncée à cet article est cependant limitée à la dénonciation des biens 30. Silo Supérieur (1993) Inc. c. Ferme Kaech & Fils Inc., REJB 2004-66409 (C.A.). 31. Technologies Elcotech Inc. c. Envirofab Inc., EYB 2008-145733 (C.S.). 32. Emballages Alpha Inc. c. Industries Rocand Inc., précité, note 8. 33. Résidence Brunswick Inc. c. Eugène R. Francœur Inc., REJB 2005-86029 (C.Q.).

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qui sont manifestement impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés34. Il s’agira donc de vice que sa qualité d’entrepreneur aurait dû lui permettre de découvrir.

Ce dernier article traitant des biens qui sont manifestement impropres à l’utilisation, l’étendue de l’obligation de l’entrepreneur s’en trouve amoindrie puisque le caractère impropre des biens devra être évident et incontestable.

Dans les cas où il y aura vice manifeste, l’entrepreneur n’aura qu’à en aviser le client, sauf dans le cas d’un vice de sécurité affectant un ouvrage mobilier, lequel pourrait entraîner, face aux tiers, la responsabilité de l’entrepreneur. Une fois qu’il aura rempli cette obligation, il n’encourra aucune responsabilité pour les dommages entraînés par la mauvaise qualité des biens.

Une décision du client mettant en cause la solidité même de la construction ne libérera pas l’entrepreneur de sa responsabilité s’il devait connaître ou connaissait le danger en résultant puisque ceci irait à l’encontre de l’ordre public.

L’obligation concernant la dénonciation des vices affectant les biens s’applique également aux prestataires de services qui utilisent eux-mêmes les biens dans l’exécution de leur propre contrat. Advenant le non-respect de cette obligation de divulguer les vices affectant les biens, l’entrepreneur ou le prestataire de services sera responsable des coûts de reprise, de réparations ou même de la perte de l’ouvrage qui pourrait en résulter.

En cas de perte des biens nécessaires à l’exécution du contrat par force majeure, celle-ci sera à la charge de la partie qui les a fournis.

Par ailleurs, l’entrepreneur devra s’assurer que les composantes de la construction respectent le choix du client35.

D- La fixation du prix

1. Les modes de fixation du prix (art. 2106 C.c.Q.)

Le prix de l’ouvrage ou du service sera déterminé par le contrat, les usages, la loi, ou encore d’après la valeur des travaux effectués ou des services rendus36. Ainsi, en l’absence de convention expresse, d’usage ou de législation applicable, c’est la notion du quantum meruit qui s’appliquera, mais uniquement à défaut de ces autres sources37.

2. L’estimation (art. 2107 C.c.Q.)

Si au moment de la conclusion du contrat, le prix des travaux ou des services a fait l’objet d’une estimation,

34. Viking Fire Protection Inc. / Protection incendie Viking Inc. c. Allendale Mutual Insurance Company, EYB 2005-96537 (C.A.). 35. Entreprises Bitek Inc. c. Sharma, REJB 2004-61406 (C.S.). 36. J.P. Doyon Ltée c. Trois-Rivières (Ville), REJB 2003-49009 (C.S.); Construction Le Petit Castor inc. c. Therrien, EYB 2008-133781 (C.Q.). 37. Service des loisirs de Marieville c. Municipalité de Ste-Marie-de-Monnoir, REJB 1997-03207 (C.S.).

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l’entrepreneur ou le prestataire de service doit justifier toute augmentation du prix38. Il a l’obligation de prendre tous les moyens raisonnables pour réaliser l’ouvrage ou fournir le service au prix estimé39. Le client ne sera tenu de payer cette augmentation que dans la mesure où elle résulte de travaux, de services ou de dépenses qui n’étaient pas prévisibles par l’entrepreneur ou le prestataire de services au moment de la conclusion du contrat40.

L’article 2107 C.c.Q. vise essentiellement la protection du client en obligeant l’entrepreneur ou le prestataire de service à justifier le dépassement du prix fixé dans l’estimation41. Ceci favorise l’information du client, la détermination des conditions du contrat dès sa conclusion et permet d’éviter des litiges éventuels42.

Ce sont les circonstances imprévisibles qui pourront justifier une augmentation de prix. La prévisibilité est de même nature que la force majeure. Il faudra un événement non seulement imprévu mais qui n’aurait pu l’être et auquel on ne pouvait s’attendre.

Le client devrait même pouvoir bénéficier d’une diminution de prix si l’ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’il n’avait été prévu.

Lorsque le prix sera établi en fonction de la valeur des travaux exécutés, des services rendus ou des biens fournis, l’entrepreneur ou le prestataire de services sera tenu, à la demande du client, de lui rendre compte de l’état d’avancement des travaux, des services déjà rendus et des dépenses déjà faites.

C’est l’article 2108 C.c.Q. qui prévoit la reddition de compte en cours d’exécution. Il donne la possibilité au client de l’obtenir en vue évidemment d’être tenu informé du coût du contrat. Il établit une mesure protectrice des intérêts du client en lui permettant à tout moment d’être informé de la situation, de l’état d’avancement des travaux, des services déjà rendus et des dépenses déjà faites43. Par ailleurs, le comportement du client qui, par exemple, ne demande rien à l’entrepreneur pendant l’exécution des travaux, pourra mitiger l’obligation de lui rendre des comptes de façon spécifique et détaillée au sens de l’article 2108 C.c.Q.44.

3. Le contrat à forfait (art. 2109 C.c.Q.)

Malgré l’existence de différents types de construction, le Code civil du Québec ne traite à l’article 2109 que du contrat à forfait. Cette disposition se lit comme suit :

38. D. & S. Decors Inc. c. Mandravelos, REJB 2006-108565 (C.S.); Lombardi (Gestion Lombardi) c. Cohen, EYB 2007-115653 (C.Q.); Lévesque c. Excavation Carroll Inc., EYB 2008-151615 (C.Q.). 39. Couto c. Côté, EYB 2005-82359 (C.S.). 40. Dorval c. Pearson, REJB 2000-22704 (C.Q.); RHI Canada Inc. c. Réservoirs & systèmes Drummond Inc., EYB 2008-128471 (C.S.). 41. Touzin Électrique Inc. c. Différence Bronzage Inc., REJB 1996-29131 (C.Q.). 42. Décorature Inc. c. Ouimet, EYB 2009-157126 (C.Q.). 43. Couto c. Côté, précité, note 39. 44. Lebec c. Patoine, REJB 2005-89954 (C.Q.).

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« Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l’ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’il n’avait été prévu.

Pareillement, l’entrepreneur ou le prestataire de service ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.

Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications ont été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, à moins que les parties n’en aient convenu autrement. »

Ainsi, en matière de contrat à forfait, il ne peut y avoir d’augmentation ni de diminution de prix même si des modifications ont été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues à moins d’une entente45. Il appartiendra à l’entrepreneur d’établir que des travaux supplémentaires ont été autorisés en sus des travaux déjà prévus pour une somme forfaitaire46. Que les augmentations résultent de circonstances prévisibles ou non, l’entrepreneur ou le prestataire de services n’a droit à aucune majoration de prix, ni le client à une diminution. Sont donc visées, autant les conditions d’exécution qui n’ont pas été anticipées que celles qui sont contraires à celles prévues.

Dans un tel contrat, les risques sont énormes pour l’entrepreneur puisqu’il doit fournir les matériaux, les incorporer de manière conforme à ce qui est décrit dans le marché ou le contrat, doit fournir la main-d’œuvre, l’équipement, l’outillage nécessaire et tout cela, pour un prix qui a été déterminé et fixé entre les parties47. Suivant l’affaire Drainamar Inc. c. Sintra Inc.48, l’article 2109 C.c.Q. ne s’applique pas au contrat qui lie l’entrepreneur à son sous-traitant.

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Le contrat à forfait peut être absolu ou relatif. Il sera absolu lorsque le propriétaire ne s’est pas réservé le droit de modifier les plans et devis pendant le cours des travaux ou encore, de demander des travaux additionnels. Dans le cadre du contrat à forfait absolu, le texte de l’article 2109 C.c.Q. pourrait nous porter à croire qu’une preuve testimoniale d’une entente pour permettre des modifications serait possible étant donné que cette nouvelle disposition n’exige plus un écrit comme le faisait l’ancien article 1690 C.c.B.-C. Dans le contrat à forfait relatif, la convention prévoit que le propriétaire peut modifier les travaux sans que l’entrepreneur puisse s’y refuser ou invoquer ce motif pour demander la résiliation du contrat49. Le prix des travaux

45. Trois-Rivières (Ville) c. Construction Claude Caron & Fils Inc., REJB 2002-29950 (C.A.); Terexfor Inc. c. Thiro Ltée, REJB 2004-61038 (C.S.). 46. Ébénisterie A. Beaucage Inc. c. Paquet, REJB 2003-46001 (C.S.); Gervais c. Groupe D.M. Design Inc., REJB 2003-48848 (C.Q.). 47. Cétil Inc. c. Hôtel-Dieu de Montréal, EYB 1996-84728 (C.S.). 48. REJB 1998-10283 (C.S.), confirmé à REJB 2001-27136 (C.A.); 141517 Canada Inc. c. L. Bucci Estimation Inc., REJB 2001-25145 (C.Q.). 49. Construction Proforma Inc. c. Gestions immobilières Vasire Inc., EYB 1995-72966 (C.S.), appel rejeté; 9042-2592 Québec Inc. c. Roger Rivest & Fils Inc., EYB 2006-109658 (C.Q.).

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supplémentaires pourra cependant être réclamé par l’entrepreneur à condition de se conformer à une procédure qui sera prévue à même la convention50.

Ainsi, dans l’arrêt Corpex (1977) Inc. c. La Reine du chef du Canada51, la Cour suprême du Canada a jugé que l’entrepreneur était lié par la procédure prévue au contrat et que faute de s’y conformer, il ne pouvait être indemnisé des coûts excédentaires. La Cour d’appel a aussi jugé en ce sens dans l’affaire Construction Paval Inc. c. Camille Dionne Inc.52, où les avis pour réclamer des coûts pour travaux supplémentaires ne furent pas envoyés. Au regard des dispositions contractuelles établissant un mécanisme de réclamations dans certaines situations, les tribunaux ont adopté une attitude un peu plus souple en considérant qu’il y avait eu renonciation53, ou encore que la procédure suivie n’était pas très différente de celle prévue aux documents contractuels54.

Dans l’affaire Latcon Ltd c. Radial Investments Ltd.55, la Cour supérieure a considéré que les gérants de projet, mandataires des propriétaires, avaient le pouvoir de les lier en demandant des travaux additionnels faute de preuve qu’ils agissaient au-delà de leur mandat puisque leur représentant aux réunions ne s’était pas opposé à ces demandes.

Également, les tribunaux ont déjà accordé le coût de travaux supplémentaires en considérant que ces coûts découlaient de la violation du contrat par le propriétaire et constituaient des dommages-intérêts. Ainsi, dans Pendivic c. International Nickel56, la cour accorde de tels dommages-intérêts étant donné le défaut du propriétaire de fournir une voie de raccordement et les nombreuses contrariétés subies par la demanderesse dans l’exécution de son contrat.

En ce qui concerne la preuve des coûts additionnels, la Cour d’appel a confirmé une décision à l’effet que des bons de livraison ne comportaient pas d’informations suffisamment claires, précises et fiables pour permettre d’évaluer la quantité réellement livrée au chantier57.

Dans un autre jugement Ansa Construction Inc. c. Commission hydro-électrique du Québec58, la Cour d’appel a décidé que lorsque les retards dans l’exécution des travaux sont dus à la faute de chacune des parties, la pénalité prévue au contrat sera divisée proportionnellement59.

50. Boless Inc. c. Université du Québec à Hull, REJB 2003-48645 (C.S.); Toitures Trois Étoiles Inc. c. 9068-3988 Québec Inc., EYB 2007-124468 (C.S.). 51. [1982] 2 R.C.S. 643. 52. EYB 1996-65398 (C.A.). Au même effet, Constructions Gagné & Fils Inc. c. Berthierville (Ville de), EYB 2009-165204 (C.A.). 53. Jean-Yves Fortin Soudure Inc. c. Procureure générale du Québec, REJB 2000-19071 (C.S.); Industries Falmec Inc. c. Société de Cogénération de St-Félicien, société en commandite, REJB 2003-40996 (C.S.), EYB 2005-89805 (C.A.). 54. Alta Mura construction Inc. c. La Reine, REJB 2004-68400 (C.S.). 55. EYB 2008-128479 (C.S.). 56. [1976] 1 R.C.S. 267. 57. Excavations de Chicoutimi Inc. c. Québec (Procureur général), EYB 2008-152590 (C.A.). 58. EYB 1987-58168 (C.A.). 59. La Cour supérieure a aussi partagé la responsabilité quant aux retards dans Développement Tanaka Inc. c. Québec (Corporation d’hébergement), EYB 2009-162552 (C.S.).

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Il existe plusieurs types de contrats de construction qui n’ont pas été abordés spécifiquement au Code civil du Québec. Notamment, nous comptons parmi les types de contrat de construction, les suivants: le contrat à prix unitaire et le contrat « coût plus honoraires ».

4. Le contrat à prix unitaire

Ce contrat est celui qui prévoit pour la fourniture de services ou de matériaux, un prix déterminé à l’unité et dans lequel les parties conviennent que le prix total sera déterminé par la multiplication des quantités réellement posées ou fournies par le prix unitaire convenu60.

Ce mode de rémunération est souvent utilisé dans des contrats d’excavation ou de remblais. Par exemple, le contrat typique du ministère des Transports pour la construction de route est un marché à prix unitaire.

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Il pourra arriver qu’un tribunal conclue à la nature hybride du contrat, par exemple ayant à la fois les caractéristiques du contrat à forfait et celles du contrat à prix unitaire61.

5. Le contrat « coût plus honoraires »

C’est le moins risqué pour l’entrepreneur puisque le propriétaire y assume tous les coûts et risques du projet. L’entrepreneur n’est responsable que d’une mauvaise qualité des matériaux ou d’une mauvaise exécution des travaux. Il devra toutefois tenir le client informé de l’état d’avancement des travaux et des dépenses déjà faites62.

2- Les dispositions particulières aux ouvrages

A- Les dispositions générales

Sous cette rubrique nous retrouvons les règles qui visent à définir la fin des travaux, la réception de l’ouvrage, les conditions relatives au paiement du prix et finalement, le point de départ de la prescription des recours entre les parties.

1. La réception de l’ouvrage

a) Le moment de la réception (art. 2110 C.c.Q.)

Le client est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux et celle-ci a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le

60. Construction Lavalco Inc. c. Taillefer, REJB 2001-26396 (C.S.). 61. Transport Beaulé Inc. c. Procureur général du Québec, EYB 2009-166234 (C.S.), en appel. 62. Location Lauzon Inc. c. 2428-8516 Québec Inc. (Construction La-ray), EYB 2007-124576 (C.S.).

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destine63. La réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter, avec ou sans réserve64.

L’article 2110 C.c.Q. définit ce qu’est la fin des travaux et la réception de l’ouvrage. La définition de la fin des travaux est celle que nos tribunaux ont retenue sous l’ancien Code civil en matière de privilège ouvrier, c’est-à-dire lorsque l’ouvrage est complété et prêt à servir à l’usage auquel il est destiné65. Il s’agit donc de l’exécution complète des travaux prévus au contrat66.

Quant à la réception, il s’agit d’un acte volontaire et unilatéral du client qui déclare accepter l’ouvrage.

Puisque le Code civil du Québec prévoit qu’il peut y avoir réception avec réserve, c’est donc que cette réception peut avoir lieu avant l’exécution parfaite des travaux. L’exécution devra être complète pour qu’il y ait fin des travaux mais la réception avec réserve est possible même si les travaux comportent des déficiences ou des malfaçons, en autant que cela ne compromette pas l’usage de l’ouvrage conformément à sa destination67.

b) Les effets de la réception

1) Le paiement du prix (art. 2111 C.c.Q.)

À moins de convention contraire entre les parties, tant que la réception de l’ouvrage n’a pas eu lieu, le client n’est pas tenu de payer le prix68.

Dans l’éventualité où le client ne reçoit pas l’ouvrage malgré la fin des travaux, celle-ci devra être présumée. À partir de ce moment, les effets de la réception, comme l’obligation de payer le prix et la garantie des malfaçons pourront être mis en œuvre69. En effet, la fin des travaux constitue le point de départ de la prescription70.

Le client ne pourra retenir le paiement intégral au moment de la réception des travaux en raison d’une exécution imparfaite.

Ainsi, à la réception des travaux, le client devra payer l’ouvrage mais il pourra tout de même retenir sur le prix les sommes suffisantes pour pallier aux vices et malfaçons apparents et qui ont fait l’objet d’une réserve71. Puisque la retenue ne vise que les vices et malfaçons suivant les termes employés par le Code civil du Québec à l’article 2111, c’est donc que l’ouvrage doit être entièrement exécuté. Par contre, la

63. Norclair Inc. c. Longueuil (Ville), REJB 2003-47745 (C.Q.). 64. Services Techniques Bic Inc. c. 2624-3402 Québec Inc., [1996] R.J.Q. 136 (C.S.). 65. Leblanc c. Salvatore L. Briqueteur (1989) Inc., EYB 1995-72454 (C.S.); Construction Di-Ra Inc. c. Safos, [1995] R.D.I. 531 (C.S.), EYB 1995-72462; Graveline c. Construction Raynover Inc., [1995] R.J.Q. 3020 (C.S.), REJB 1995-28899; Construction Voyer Inc. c. Sabloff, EYB-2009-155469 (C.S.). 66. Lloyd V. Thomas Holding Ltd. c. Valmont Nadon Transport, J.E. 96-274 (C.S.); Sotramex Inc. c. Côté, REJB 1998-09883 (C.Q.). 67. Creation Alpha Design Inc. c. Gagnon, EYB 2009-165403 (C.Q.). 68. Construction Di-Ra Inc. c. Safos, précité, note 65. 69. Ed. Brunet et associés Inc. c. La Pêche (Municipalité de), précité, note 20. 70. Percé (Ville de) c. Roy, EYB 1995-57638 (C.A.). 71. Deschênes c. Construction Rouillard Enr., précité, note 1.

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crainte d’un défaut ou d’un vice possible ne saurait justifier une telle retenue. Dans la décision Développement

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Tanaka Inc. c. Commission scolaire de Montréal72, la Cour d’appel a considéré que le donneur d’ouvrage avait fait des retenues abusives.

Le client ne pourra exercer ce droit à la retenue si l’entrepreneur lui fournit une sûreté suffisante garantissant l’exécution de ses obligations73. Il pourrait y avoir renonciation à ce droit de retenir une partie du prix74. Par contre, dans la décision Consortium MR Canada Ltée c. Centre hospitalier de Matane et Centre d’hébergement et de soins de longue durée de Matane75, la cour a jugé qu’une clause prévoyant le paiement du solde contractuel uniquement après la délivrance du certificat de réception définitive de l’ouvrage avait préséance sur le texte de l’article 2111 C.c.Q., malgré la présence d’un cautionnement. Dans cette affaire, la Cour d’appel a statué que le cautionnement prévu à l’article 2111 C.c.Q. n’est pas le cautionnement originel d’exécution des travaux, mais un cautionnement spécial lors du paiement des travaux.

La notion de sûreté suffisante reste cependant à être définie par nos tribunaux. Il faudrait qu’une sûreté, pour qu’elle soit suffisante, assure le paiement et ne constitue pas un moyen trop complexe à mettre en œuvre. Il est possible de croire que la lettre de crédit bancaire irrévocable, tout comme les cautionnements émis par les compagnies d’assurance autorisées pourraient répondre à cette exigence.

Dans l’affaire Construction R.T.S. Ltée c. Pelletier76, la Cour supérieure a jugé que la garantie des maisons neuves ou des immeubles résidentiels de l’APCHQ n’était pas une garantie suffisante. En effet, puisque la preuve avait démontré que la réception du bâtiment avait eu lieu alors que les travaux n’étaient pas terminés et sans que soit dénoncé ce qui devait être réparé ou achevé, tel que requis par le plan de garantie, la cour a souligné que l’APCHQ pouvait refuser une demande des clients à l’égard de ces travaux.

Par contre, cette même garantie fut jugée suffisante pour satisfaire aux réserves relatives aux vices ou malfaçons apparentes dans l’affaire de Construction Voyer Inc. c. Sabloff77.

Dans une autre affaire, la Cour supérieure a précisé que le but de l’article 2111 C.c.Q. est de permettre la gestion des mésententes qui existent entre le client et l’entrepreneur au sujet des déficiences apparentes qu’il faudra réparer après la réception des travaux. En conséquence, suivant la Cour, il faut que les travaux aient

72. REJB 2007-123436 (C.A.). 73. Services techniques Bic Inc. c. 2624-3402 Québec Inc., précité, note 64. 74. Groulx c. Habitation unique Pilacan Inc., EYB 2007-124477 (C.A.). 75. EYB 2008-146791 (C.S.), appel rejeté, EYB 2009-165523 (C.A.) 76. REJB 2003-37909 (C.S.). 77. Précité, note 65.

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été reçus, les vices apparents constatés et que l’entrepreneur se soit engagé à exécuter les travaux correctifs78.

2) La retenue (art. 2111 et 2112 C.c.Q.)

Quant à la somme à retenir, si les parties ne s’entendent pas sur celle-ci ni sur les travaux à compléter, l’évaluation sera faite par un expert que désigneront les parties ou à défaut, le tribunal. Suivant les termes utilisés à l’article 2112 C.c.Q., il semble que le rôle du tribunal soit limité à celui de nommer l’expert et non à fixer le montant de la retenue et les travaux à compléter. Pour donner lieu à la nomination d’un expert, il faudra qu’une retenue ait été effectuée. En effet, si le prix a été entièrement versé, il ne pourra y avoir requête pour faire nommer un expert79.

Puisque la procédure n’est pas précisée, rien ne s’oppose à ce que cela soit fait par requête, soit celle prévue à l’article 885 b) C.p.c., qui traite spécifiquement des demandes pour la nomination, la désignation ou le remplacement de toute personne dont la loi prévoit qu’elles sont faites par le tribunal ou qu’elles sont faites par lui à défaut d’entente entre les intéressés80.

Dans l’affaire Services techniques Bic Inc. c. 2624-3402 Québec Inc.81, la Cour supérieure a reconnu que la requête était le moyen approprié, et elle a ajouté que la retenue contractuelle de 5 % ne pouvait empêcher le donneur d’ouvrage de se prévaloir de l’article 2112 C.c.Q.

La requête pourra donner lieu à une contestation écrite et la décision de l’expert ne sera pas sujette à homologation, ni à appel.

La Cour d’appel a jugé, dans Ateliers Non-tech Inc. c. Construction et démolition Deschênes Inc.82, qu’il était impossible de prononcer la condamnation personnelle du client en utilisant les conclusions, même non contestées,

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du rapport de l’expert nommé en vertu de l’article 2112 C.c.Q. Suivant la cour, ce n’est pas parce que la retenue fixée par l’expert en vertu de l’article 2112 C.c.Q. n’a pas à tenir compte des vices cachés découverts après la réception de l’ouvrage que le client est privé de faire une défense et demande reconventionnelle pour vices cachés à l’endroit de la créance fondant l’action qu’on lui intente. De plus, dans cette affaire, l’entrepreneur avait présenté une inscription pour jugement fondée sur le rapport de l’expert dans le cadre d’un dossier judiciaire réclamant le délaissement et la vente sous contrôle de justice, de sorte qu’une conclusion personnelle n’était pas possible.

Si le propriétaire refuse de permettre à l’entrepreneur d’effectuer les réparations, il sera privé du droit de retenir des sommes pour faire exécuter les travaux de réparation83.

78. Construction Edelweiss inc c. Pontiac (Municipalité de), EYB 2009-161980 (C.S.), en appel. 79. Résidence de Longueuil c. Services techniques PAC Inc., REJB 2002-36835 (C.A.). 80. Renaud c. Ogesco Construction Inc., REJB 1995-28843 (C.S.). 81. Précité, note 64. 82. EYB 2009-158839 (C.A.).

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2. La réception sans réserve (art. 2113 C.c.Q.)

Le client qui accepte sans réserve conserve ses recours contre l’entrepreneur au cas de vice ou malfaçon non apparent. La réception sans réserve constitue donc une acceptation des vices et des malfaçons apparents84. L’article 2120 C.c.Q., qui établit une garantie légale d’une année pour les malfaçons existant au moment de la réception, ne couvre que les malfaçons non apparentes. En effet, une telle interprétation découle du principe selon lequel la réception d’un ouvrage couvre les défauts apparents et du texte de l’article 2113 C.c.Q., qui consacre le droit du propriétaire quant aux vices non apparents malgré la réception85.

Le client qui aura accepté l’ouvrage avec des réserves conservera tout autant ses droits quant aux vices et malfaçons non apparents.

3. La réception partielle (art. 2114 C.c.Q.)

L’article 2114 C.c.Q. vise une situation fréquente, soit celle de la construction d’un ouvrage important par phases successives.

Si l’ouvrage est exécuté par phases successives, il peut être reçu par partie. Le prix afférent à chacune d’elles sera payable au moment de la délivrance et de la réception de cette partie et le paiement fera présumer qu’elle a ainsi été reçue, à moins que les sommes versées ne soient considérées comme de simples acomptes sur le prix.

Il faut que le contrat prévoie lui-même plusieurs phases pour permettre la réception par partie. Une telle réception n’est pas obligatoire et découle de la bonne volonté du client ainsi que des circonstances de faits entourant le paiement d’une phase qui, sauf preuve contraire, fera présumer la réception et, conséquemment, la fin des travaux.

La réception partielle présumée nécessite la délivrance partielle de l’ouvrage.

La présomption que le paiement d’une phase équivaut à la réception et à la fin des travaux constitue une présomption juris tantum pouvant donc être renversée.

La réception partielle éteint les recours ou possibilités de réserve ultérieure pour les vices et malfaçons apparents quant à cette phase. De plus, elle met en œuvre la prescription des recours à l’égard de ces travaux et sert également à transférer au client les risques de la perte de l’ouvrage (art. 2115 C.c.Q.).

La délivrance de l’ouvrage avec la réception rend exigible le prix de celui-ci. Ainsi, le prix ne sera payable que si la phase est complétée et que cette partie est livrée au client. Il s’agit d’un élément matériel de possession qui se justifie par la difficulté supplémentaire posée par le caractère partiel de la réception et permet

83. Construction Proforma Inc. c. Gestions immobilières Vasire Inc., précité, note 49. 84. Renaud c. Ogesco Construction Inc., EYB 1995-73074 (C.S.); Construction Caumartin & Laporte Inc. c. Portelance-Barbeau, REJB 1998-09115 (C.S.); Entreprises Sildome Inc. c. Ménard, REJB 1997-05952 (C.S.); Gagnon c. Aurélien Lachance Inc., EYB 2006-103565 (C.Q.). 85. Doyon c. 2618-3640 Québec Inc., REJB 2007-115302 (C.Q.).

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d’éviter les litiges quant à savoir, en cas de réception partielle, si le prix est payable ou non.

Dans l’arrêt Roy c. Duchesneau86, la cour dut se pencher sur l’effet d’un acompte donné pour des travaux exécutés. La Cour d’appel décida que l’acompte n’impliquait aucune présomption de réception partielle des travaux puisque rien dans la preuve n’indiquait que les acomptes versés le furent en proportion de l’ouvrage fait.

4. La perte avant délivrance (art. 2115 C.c.Q.)

L’entrepreneur est tenu de la perte de l’ouvrage qui survient avant sa délivrance sauf si elle est due à la faute du client ou que celui-ci est en demeure de recevoir l’ouvrage87.

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Par contre, si les biens sont fournis par le client, l’entrepreneur n’est pas tenu de la perte de l’ouvrage sauf si cette perte est due à sa faute ou à un autre manquement de sa part. Il ne peut réclamer le prix de son travail que si la perte de l’ouvrage résulte du vice propre des biens fournis ou d’un vice du bien qu’il ne pouvait déceler, ou encore si la perte est due à la faute du client.

Il s’agit de l’application de la règle res perit domino. La référence que le code fait quant au vice du bien qui ne pouvait être décelé par l’entrepreneur provient d’une présomption de connaissance qui est rattachée à l’expertise que détient l’entrepreneur.

Alors que l’article 2104 C.c.Q. rend l’entrepreneur responsable du préjudice qui peut résulter de l’utilisation de biens manifestement impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés, l’article 2115 C.c.Q. empêche celui-ci de réclamer le prix de son travail à moins qu’il ne s’agisse d’un vice propre aux biens fournis, d’un vice qu’il ne pouvait déceler ou encore que la perte soit due à la faute du client88. L’article 2115 C.c.Q. ne reprend pas l’expression de l’article 2104 C.c.Q. traitant des biens qui sont manifestement impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés.

5. La prescription (art. 2116 C.c.Q.)

La prescription des recours entre les parties ne commence à courir qu’à compter de la fin des travaux même à l’égard de ceux qui ont fait l’objet de réserve lors de la réception de l’ouvrage. La prescription courra donc dès la réception, même pour les travaux ayant fait l’objet de réserve à l’occasion de celle-ci. Par contre, si la réception n’a pas eu lieu alors que la fin des travaux est arrivée, cette prescription courra de la même façon quant aux vices et malfaçons apparents qui auraient dû faire l’objet de réserve. La prescription applicable est celle de trois ans prévue à l’article 2925 C.c.Q.

Quant aux malfaçons non apparentes ou quant à la perte d’un immeuble survenue après la réception, ce sera leur découverte ou leur survenance qui déclenchera cette prescription. 86. [1979] C.A. 206. 87. Norclair Inc. c. Longueuil (Ville), précité, note 63. 88. Promutuel Kamouraska - Côte Nord c. Société Nationale d’assurance Inc., REJB 1999-13249 (C.Q.).

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B- Les ouvrages immobiliers

Les articles 2117 à 2124 C.c.Q. comportent des règles particulières aux ouvrages immobiliers. On y retrouve notamment un droit de vérification du client, la responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage, celle pour une perte survenant plus de cinq ans après les travaux, de même que des règles concernant la garantie des travaux, la perception d’acomptes et les retenues pour hypothèques légales.

1. Le droit de vérification du client (art. 2117 C.c.Q.)

Le client pourra, à tout moment de la construction ou de la rénovation d’un immeuble, vérifier l’état d’avancement des travaux, la qualité des matériaux utilisés et celle du travail effectué89. Il pourra également vérifier l’état des dépenses faites. Ses droits ne devront pas être exercés de manière à nuire au déroulement des travaux.

Au niveau de l’état des dépenses, il est entendu que son droit sera interprété en fonction du type de contrat qui le lie à l’entrepreneur. Ainsi, dans un contrat où le prix est en fonction des frais engagés, le client peut demander des comptes détaillés quant aux frais engagés par l’entrepreneur. Par contre, dans le contrat à forfait, l’article 2117 C.c.Q. ne peut permettre au client d’obtenir une reddition de compte détaillée des frais engagés par l’entrepreneur puisque le prix a été fixé à l’avance.

Ce droit à la vérification permet un meilleur équilibre dans les relations entre les parties au contrat. Il assure la protection du client sans imposer un fardeau trop lourd à l’entrepreneur.

2. La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage (art. 2118, 2119 et 2121 C.c.Q.)

L’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur, qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou encore, d’un vice du sol, à moins qu’ils ne puissent se dégager de leur responsabilité90.

L’article 2118 C.c.Q. institue un régime légal de responsabilité résultant du seul effet de la loi tout comme le faisait l’ancien article 1688 C.c.B.-C. Cependant, contrairement à ce qui existait, l’exonération de responsabilité

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sera permise lorsque certaines conditions seront satisfaites.

89. Poirier c. Goyette, Duchesne, Lemieux Inc., précité, note 11. 90. Les Constructions François & Richards Inc. c. Audet, REJB 1996-30237 (C.S.); Aviva compagnie d’assurances du Canada c. Entreprises d’électricité Fernand Nadeau Inc., EYB 2008-146195 (C.S.).

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La jurisprudence a déjà statué que la responsabilité légale ne pouvait être écartée en raison de son caractère d’ordre public91.

a) Les personnes soumises à cette responsabilité

L’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur sont sujets à cette responsabilité pour la perte de l’ouvrage. Quant à l’architecte et à l’ingénieur, leur responsabilité légale ne sera engagée que dans la mesure où ils ont dirigé ou surveillé les travaux. Ainsi, la Cour supérieure a jugé que la présomption de responsabilité impliquait nécessairement que l’architecte soit à la fois le concepteur et le surveillant et que la présomption ne s’appliquait pas si un architecte surveillait les travaux conçus par un autre92.

Dans l’hypothèse où leur tâche consiste seulement à élaborer des plans et devis ou à préparer une expertise, sans direction ni surveillance, ils seront assujettis à un régime moins lourd. Dans ce cas, leur responsabilité ne sera retenue que si la perte de l’ouvrage est la conséquence d’une erreur dans les plans et devis ou dans l’expertise préparée par eux93. C’est ainsi que la Cour supérieure n’a pas retenu la responsabilité de l’architecte qui n’avait fait que des esquisses de plans ayant servi uniquement à une partie de la construction de la structure d’un toit94.

En ce qui concerne l’entrepreneur, la Cour d’appel a souligné que la présomption de responsabilité n’excluait pas la responsabilité de deux entrepreneurs quant aux travaux dont ils avaient chacun la charge95.

Celui qui assume le rôle de gérant de projet ne peut être assimilé à un entrepreneur. Il s’agit plutôt d’un prestataire de service. Même s’il dirige les travaux, sa responsabilité ne sera pas engagée puisque ce n’est pas lui qui a conçu ceux-ci. La conception de l’ouvrage est un des fondements de la responsabilité prévue à l’article 2118 C.c.Q. L’article tient aussi responsable, pour les travaux qu’il a exécutés, le sous-entrepreneur et précise que cette responsabilité vaut que la perte soit attribuable à un vice du sol ou à un vice de construction d’ouvrage. Il est directement tenu responsable pour les travaux qu’il exécute à l’endroit du maître de l’ouvrage, au même titre que l’entrepreneur général96.

L’entrepreneur sera toutefois responsable du défaut de surveillance de son sous-traitant97. Ainsi, il ne sera pas déchargé de son devoir de protéger le public contre les dangers inhérents aux travaux du seul fait qu’il les a confiés à un sous-traitant98.

91. General Signal Ltd. c. Allied Canada Inc., EYB 1994-64526 (C.A.). 92. Lac St-Charles (Ville) c. Construction Choinière Inc., C.S. Québec, no 200-05-001078-927, 2 septembre 1997, appel accueilli en partie, mais sans que la cour se prononce sur cette question, REJB 2000-18871 (C.A.). 93. CIMA, société d’ingénierie c. Immeubles Marton Ltée, EYB 1995-84694 (C.S.). 94. Labrie c. Drolet, EYB 2008-153463 (C.S.). 95. 2414-0378 Québec inc. c. Zurich du Canada, Compagnie d’indemnité, REJB 1997-01697 (C.A.). 96. Notre-Dame-de-l’Île-Perrot c. Construction Normand Lalonde Inc., REJB 1996-30355 (C.Q.). 97. Reliance Construction of Canada Ltd. c. Commerce and Industry Insurance Co., REJB 2001-24306 (C.A.). 98. Brault & Bisaillon (1986) Inc. c. Éditions Le Canada Français Ltée, REJB 1999-12162 (C.A.).

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Quant aux notions de vice de conception ou de réalisation de l’ouvrage, celles-ci complètent l’expression de la règle et permettent de mieux circonscrire les responsabilités des concepteurs de l’ouvrage, des entrepreneurs généraux ou promoteurs.

L’ingénieur ou l’architecte pourra, dans certaines circonstances, être tenu responsable personnellement, nonobstant le fait que le contrat de service soit intervenu entre le donneur d’ouvrage et la corporation qui emploie l’ingénieur ou l’architecte.

D’ailleurs, dans l’affaire Berlinguette c. Construction J.R.L. Ltée99, le jugement de la majorité de la Cour d’appel du Québec a décidé que le président et seul ingénieur actionnaire d’une compagnie, qui s’était personnellement occupé de la surveillance des travaux, engageait pleinement sa responsabilité personnelle dans l’exercice de ses fonctions et ne pouvait s’y soustraire sous la couverture d’une compagnie ou d’une société. Suivant le juge Tyndale, la source de toute obligation que peut avoir l’ingénieur ne peut découler que d’un quasi-délit. Le fait que la compagnie soit directement responsable envers l’intimé en vertu d’un contrat et en vertu de l’ancien article 1054 C.c.B.-C. qui prévoit la responsabilité pour le fait d’autrui, n’affecte pas la responsabilité délictuelle de l’ingénieur en vertu de l’ancien article 1053 C.c.B.-C. Puisque la prescription applicable était celle de deux ans, le recours fut jugé prescrit.

Quant au juge Chouinard, il fut d’avis que la responsabilité de l’ingénieur était quasi-délictuelle, son obligation d’agir correctement vis-à-vis d’un tiers qui avait contracté avec la compagnie provenait de la loi seule

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et non du contrat intervenu entre ceux-ci. Il émet l’opinion que le fait que l’ingénieur soit actionnaire ou ait agi à titre de représentant de la compagnie lors de la négociation et de la signature du contrat n’est pas pertinent. Celui-ci était responsable pour les actes professionnels que la loi réserve aux ingénieurs. Cette responsabilité existe par le seul effet de la loi et non pas contractuellement. La responsabilité de l’ingénieur fut donc déclarée quasi-délictuelle et prescrite.

La juge Tourigny, dissidente, émet l’opinion que la présence d’un contrat avec la compagnie ne change pas la nature de la relation avec l’ingénieur. Ce dernier est celui qui a posé les gestes professionnels réservés aux ingénieurs, telle la préparation et la signature des plans, ainsi que la surveillance des travaux. Suivant les différentes dispositions du Code des professions100, de la Loi sur les ingénieurs101, le professionnel doit être une personne physique et les actes qui font partie du champ exclusif de la profession ne peuvent être accomplis directement par une compagnie. Elle fut donc d’avis qu’il s’était créé avec l’ingénieur une relation contractuelle qui était le fondement de la responsabilité de ce dernier.

99. [1988] R.J.Q. 2126 (C.A.). 100. L.R.Q., c. C-26. 101. L.R.Q., c. I-9.

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Les juges de la Cour d’appel sont donc tous d’accord pour dire que l’ingénieur est responsable personnellement malgré que le contrat fut conclu avec une compagnie. La seule dissidence porte sur la nature du lien créé entre le client et l’ingénieur.

Puisque l’article 2119 C.c.Q. permet aux intervenants de dégager leur responsabilité lorsque les vices résultent notamment des choix des experts, c’est donc dire que tous les experts ayant travaillé à la conception du projet, dirigé ou surveillé les travaux, préparé les plans ou fourni d’autres expertises, telles des analyses de sols ou des opinions sur tout autre aspect de la construction, pourront être tenus responsables.

Le promoteur immobilier qui aura construit ou fait construire l’immeuble et qui le vendra après son achèvement sera également tenu à la responsabilité légale, puisque dans ces circonstances, il est assimilé à l’entrepreneur (art. 2124 C.c.Q.). Cette responsabilité n’existait pas sous l’ancien code.

b) Le titulaire du recours

Parce que le régime de responsabilité créé par cette disposition est de nature légale et ne prend pas sa source dans l’existence d’un contrat, il s’ajoute au régime de responsabilité contractuelle et permet aux acquéreurs subséquents, sous réserve des exonérations prévues, de profiter de ce recours. Il primera aussi sur la garantie conventionnelle qui pourrait avoir été accordée102.

La décision de la Cour suprême dans l’affaire Desgagné c. Fabrique de St-Philippe d’Arvida103, a établi, sous l’ancien article 1688 C.c.B.-C., la nature légale de cette responsabilité.

Pour que la responsabilité légale trouve application, il faudra qu’il y ait perte de l’ouvrage immobilier causée par un vice de construction, de sol ou de conception.

Cette présomption de responsabilité légale à l’égard des personnes ayant participé à la construction de l’ouvrage ne profite qu’au propriétaire ou à l’acquéreur subséquent et ne joue pas en faveur de l’entrepreneur qui poursuit son sous-traitant104.

c) La nature de la présomption

Puisque l’article 2118 C.c.Q., en référence à l’article 2119 C.c.Q., précise les cas où les différents intervenants pourront se dégager de leur responsabilité, il s’agit d’une présomption de responsabilité qui peut être renversée.

Pour la mise en œuvre de cette responsabilité, il faut qu’il y ait perte de l’ouvrage immobilier. La jurisprudence l’a définie en fonction de la ruine du bâtiment, qu’il s’agisse d’une perte totale, partielle, ou potentielle ou encore que le défaut rende la construction impropre à l’usage auquel elle est destinée105. Dans l’affaire Bélanger

102. Centre d’auto Lavigne Inc. c. Services de gestion des carburants M.T.L. Inc., précité, note 27. 103. [1984] 1 R.C.S. 19. 104. Maison Bond Inc. c. Coffrages Guilforme inc, EYB 2009-164130 (C.Q.). 105. Légaré c. Aménagements Pelletier Inc., REJB 2002-33734 (C.Q.); Gagnon c. Roger Bisson Inc., REJB 2004-54512 (C.S.).

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c. Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec106, la Cour supérieure a souligné que la présomption ne se limite pas au cas où il y a un péril imminent de l’intégrité de la structure, mais qu’il suffit que les défectuosités touchent un élément important et qu’elles soient de nature à compromettre la solidité de la construction ou à créer des difficultés importantes dans

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son utilisation107. Parce que le but du régime est la protection du propriétaire et même du public en général contre les vices graves, les tribunaux ont donné une portée très large à ce régime légal.

Alors que sous l’ancien droit le code parlait de perte de « l’édifice », qui en soit est plus restrictif qu’« ouvrage immobilier », la jurisprudence a inclus tout ouvrage et structure immobilière ou partie de ceux-ci108. Par ailleurs, il faut que les travaux soient assez importants puisque ce régime de responsabilité vise à assurer la qualité et la solidité des constructions dans un souci de sécurité du public et des propriétaires109.

La cause de la perte devra être le vice de conception, de construction, de réalisation ou le vice du sol110. Le client sera protégé contre l’effondrement ou la dégradation de l’ouvrage. La notion de perte s’appréciera en rapport avec le résultat mais aussi suivant la destination et l’utilisation prévue de l’ouvrage. La perte sera toute défectuosité grave qui entraîne un inconvénient sérieux et rend l’ouvrage impropre à sa destination111. Malgré qu’il n’y ait pas de risque immédiat, si les vices de construction sont susceptibles de compromettre la durée et la conservation de l’immeuble, la présomption s’appliquera112. La présomption vaut pour une durée de cinq ans qui suit la fin des travaux113.

Quant à la prescription applicable au recours en vertu de cette garantie légale, les articles 2925 et 2926 C.c.Q. la fixent à trois ans à compter de la perte ou de la première manifestation de la perte graduelle114.

d) La solidarité

Suivant les termes de l’article 2118 C.c.Q., les différents intervenants sont tenus solidairement de cette responsabilité. Le client pourra donc exiger que le contrat soit exécuté entièrement, correctement et sans retard. En prévoyant une responsabilité 106. REJB 1997-09443 (C.S.). 107. Centre d’auto Lavigne Inc. c. Services de gestion des carburants M.T.L. Inc., précité, note 27. 108. Légaré c. Aménagement Pelletier Inc., précité note 105; Union canadienne, compagnie d’assurances c. Plomberie Denis Turcotte Inc., REJB 2002-34281 (C.A.). 109. Desjardins c. Vincent Asphalte Inc., REJB 2003-45405 (C.Q.); Gagnon c. Roger Bisson Inc., précité, note 105. 110. Montreal Pipe Line Co. c. Petro Canada Inc., REJB 1997-01627 (C.A.); Silo Supérieur (1993) Inc. c. Ferme Kaech & Fils Inc., précité, note 30. 111. Commission de la construction du Québec c. Construction Verbois Inc., REJB 1997-02807 (C.S.); Construction Caumartin & Laporte Inc. c. Portelance-Barbeau, précité, note 84. 112. Réfrigération Jules Bienvenue Inc. c. St-Laurent, Jobin Inc., REJB 1997-03757 (C.A.); Lanthier c. Entreprises P.F. St-Laurent Inc., REJB 2004-53888 (C.S.). 113. Société immobilière du Québec c. Beauvais & Marquis Inc., REJB 2004-55314 (C.S.). 114. Masse c. Construction MPF Inc., REJB 2004-62076 (C.Q.).

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solidaire, cela allège le fardeau de preuve du client qui, autrement, serait obligé de départager la responsabilité de chacun des professionnels qui sont intervenus dans l’ouvrage.

La Cour d’appel a par ailleurs considéré que la remise de dette totale accordée au sous-traitant fautif libérait l’architecte, codébiteur solidaire de la dette, puisque ce sous-traitant était ultimement responsable de la faute commise et aurait dû acquitter les dommages-intérêts accordés115.

e) Les moyens d’exonération

Les moyens d’exonération au régime légal de responsabilité prévus par l’article 2119 C.c.Q. diffèrent selon le type d’intervenant impliqué.

1) L’exonération de l’architecte ou de l’ingénieur

L’architecte ou l’ingénieur ne sera dégagé de sa responsabilité qu’en prouvant que les vices de l’ouvrage ou de la partie qu’il a réalisée ne résultent ni d’une erreur ni d’un défaut dans les expertises ou les plans qu’il a pu fournir, ni d’un manquement dans la direction ou dans la surveillance des travaux (art. 2119 C.c.Q.).

L’architecte ou l’ingénieur qui ne dirige pas ou ne surveille pas les travaux n’est toutefois responsable que de la perte qui résulte d’un défaut ou d’une erreur dans les plans ou les expertises qu’il a fournis (art. 2121 C.c.Q.).

2) L’exonération de l’entrepreneur

L’entrepreneur ne sera dégagé de cette responsabilité qu’en prouvant que les vices résultent d’une erreur ou d’un défaut dans les expertises ou les plans de l’architecte ou de l’ingénieur choisi par le client116. Ainsi, les erreurs des professionnels choisis et engagés par l’entrepreneur lui-même ne pourront être utilisées comme une exonération de sa responsabilité.

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Si l’entrepreneur peut démontrer la présence d’une erreur de la part des ingénieurs ou de l’architecte choisis par le client, et en l’absence d’une preuve d’une faute de sa part, il sera libéré117. Toutefois, en sa qualité d’expert, il pourra être considéré comme ayant commis une faute s’il n’a pas décelé, dans les plans qui lui ont été soumis, des erreurs qu’il aurait dû reconnaître.

Ni les fautes des professionnels commises dans la surveillance et la gestion des travaux, ni les manquements du sous-entrepreneur, ne libèrent l’entrepreneur de sa responsabilité118. Dans l’arrêt Davie Shipbuilding Ltd. et al. c. Cargill Grain et al.119, la Cour suprême a déterminé les critères d’appréciation de la faute de l’entrepreneur

115. Syndicat de Beaucours c. Leahy, EYB 2009-155751 (C.A.). 116. Entreprises G.N.P. Inc. c. Shawinigan (Ville de), EYB 2005-91498 (C.Q.). 117. Corporation municipale de St-Clément c. Entreprises Claveau Ltée, EYB 1996-85367 (C.S.). 118. Covexo Construction Inc. c. Stasiak, REJB 1999-12555 (C.S.). 119. [1978] 1 R.C.S. 570.

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dans une telle situation. Cette décision fait également référence à l’impact de l’expertise du client dans la responsabilité de l’entrepreneur. Les principes énoncés par cette jurisprudence en vertu de l’ancien article 1688 C.c.B.-C. ont été exposés comme suit aux pages 575 à 577 :

« La loi attache donc au contrat d’entreprise une garantie [...] de solidité de l’œuvre; elle impose une responsabilité à l’entrepreneur et à l’architecte, ce dernier terme couvrant aussi l’ingénieur120.

Cette responsabilité, il est possible de la repousser en prouvant divers motifs d’exonération dont la faute du propriétaire.

[...]

Cette faute du propriétaire peut être rattachée à des faits fort divers. Elle peut, par exemple, résulter de l’usage de l’œuvre à une fin qui ne devait pas être la sienne. Elle peut être aussi le fait du propriétaire versée en la matière qui impose ses vues à son architecte et à son entrepreneur. [...]

[...] Un bon nombre des autorités qu’il cite vont plus loin que son affirmation et plusieurs d’entre elles affirment que la faute du propriétaire peut être une réponse complète à l’action de celui contre l’entrepreneur et l’architecte. Je n’ai aucune hésitation à accepter cette proposition dans toute sa rigueur.

[...] Le point de départ est la responsabilité des hommes de l’art; ils sont responsables si la preuve n’établit pas à la satisfaction du tribunal la cause d’exonération qui résulte du fait du propriétaire. Si son expertise en la matière est très grande et qu’elle surclasse carrément celle des exécutants, la responsabilité de ceux-ci sera entièrement écartée. Si, par ailleurs, l’expertise du propriétaire est à peu près l’équivalent de celle des hommes de l’art, leur responsabilité ne sera que mitigée. »

L’erreur de l’ingénieur ou de l’architecte dans la surveillance ou la direction des travaux ne permettra pas à l’entrepreneur de s’exonérer de sa propre responsabilité puisqu’une telle erreur prend sa source dans une erreur de l’entrepreneur lui-même121.

3) L’exonération du sous-entrepreneur

Le sous-entrepreneur ne pourra se dégager partiellement ou totalement de sa responsabilité qu’en prouvant que les vices résultent des décisions de l’entrepreneur ou des expertises ou plans de l’architecte ou de l’ingénieur.

Le sous-entrepreneur qui ne dénoncera pas ou ne soulignera pas une erreur dans une décision de l’entrepreneur pourra entraîner sa responsabilité solidaire122.

4) L’exonération de tous les intervenants

120. Voir Vermo Construction Inc. c. Beatson, [1977] 1 R.C.S. 758. 121. Syndicat de Beaucours c. Leahy, EYB 2008-151118 (C.S.), appel rejeté, précité, note 115. 122. Christopoulos c. Restaurant Mazurka Inc., REJB 1998-05385 (C.A.).

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Tous les intervenants pourront se dégager partiellement ou totalement de leur responsabilité en prouvant que les vices résultent de décisions imposées par le client dans le choix du sol ou des matériaux, ou dans le choix des sous-entrepreneurs, des experts ou des méthodes de construction123. Il faudra que la perte résulte de l’imposition de ces décisions et non simplement à l’occasion de travaux où de telles décisions sont intervenues. Il faudra établir un lien de causalité entre le vice reproché et la décision pour pouvoir être exonéré de la responsabilité prévue par l’article 2118 C.c.Q.

L’immixtion par un propriétaire possédant une expertise égale ou supérieure à celle de l’architecte ou de

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l’ingénieur leur permet de s’exonérer complètement ou partiellement car en ce cas ils sont considérés comme de simples exécutants.

Comme il s’agit d’une exception au régime de responsabilité d’ordre public, l’interprétation de l’article 2119 C.c.Q. sera restrictive124.

Les intervenants devront toutefois souligner le caractère fautif des décisions que l’on tente de leur imposer sans quoi ils pourront être jugés avoir commis eux-mêmes une faute et ne pas être exonérés de responsabilité125. De même, aux termes de l’article 2104 C.c.Q., lorsque le vice résultera d’un bien fourni par le propriétaire, l’entrepreneur qui aura dû le déceler sera tenu responsable malgré les termes de l’article 2119 C.c.Q.126.

Ce moyen d’exonération ne permet pas de couvrir une perte résultant de la mauvaise exécution des travaux.

À la différence des critères énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt précité Davie Shipbuilding Ltd., le Code civil du Québec ne tient pas compte du degré de compétence et d’expertise du client mais plus l’expertise du client sera grande plus la possibilité d’exonération existera.

f) Le droit transitoire (art. 114 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil du Québec)

La seule mesure transitoire prévue pour l’entrée en vigueur du Code civil du Québec est relative à la responsabilité pour la perte de l’ouvrage. L’article 114 de la loi transitoire édicte que les articles 2118 à 2121 et 2124 du nouveau Code civil du Québec, qui traitent de la responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage, s’appliquent 123. Centre hospitalier Robert-Giffard Inc. c. Compagnie du temps Simplex internationale Ltée, REJB 1997-01561 (C.A.); Société immobilière du Québec c. Beauvais & Marquis Inc., précité, note 113; Desbiens techni services Inc. c. Procureur général du Québec, EYB 2004-81739 (C.S.), appel rejeté, EYB 2006-109269 (C.A.); Promutuel Lévisienne-Orléans, société mutuelle d’assurances générales c. Fondation du St-Laurent (1998) Inc., EYB 2008-145802 (C.Q.), en appel. 124. Ferme Richard Brault Inc. c. Constructions D.M. Primeau Inc., REJB 1996-30425 (C.Q.); Lamoureux c. Poirier, EYB 2005-99661 (C.Q.). 125. Société immobilière S.M. Inc. c. Beaulieu (Succession de), REJB 1999-14622 (C.S.). 126. Gaz L. G. Pétrole Inc. c. Construction La-Ray Inc., REJB 2001-23253 (C.S.).

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à l’égard des pertes résultant d’un vice ou d’une malfaçon dans la mesure où l’origine du vice ou de la malfaçon est postérieure au 1er janvier 1994, date de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

L’article 114 de la loi d’application a donc limité l’application du nouveau régime instauré par le Code civil du Québec relativement aux pertes touchant les ouvrages immobiliers à celles qui résultent d’un vice ou d’une malfaçon postérieur à son entrée en vigueur.

3. La responsabilité pour une perte survenant plus de cinq ans après les travaux

Outre la garantie légale résultant de la perte de l’ouvrage, les différents intervenants demeurent tenus à une responsabilité personnelle fondée sur la preuve d’une faute alléguée et prouvée. La prescription sera également celle de trois ans suivant la perte, même si elle est survenue plus de cinq ans après la fin des travaux.

4. La garantie des travaux (art. 2120 C.c.Q.)

L’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur, pour les travaux qu’ils ont dirigés ou surveillés, ainsi que le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l’année qui suit la réception.

Ce délai ne constitue pas un délai de déchéance ou de prescription extinctive. Le recours étant fondé sur la responsabilité contractuelle, c’est la prescription de trois ans prévue à l’article 2925 C.c.Q. qui s’appliquera127.

Dans l’affaire Morency c. Tarbis Construction Inc.128, la demanderesse plaidait une découverte progressive de la malfaçon dénoncée plus d’un an après la réception des travaux. La cour a jugé que la question de la découverte progressive s’applique à la naissance du droit d’action pour établir la prescription et non à la durée de la garantie.

Si le client découvre des malfaçons plus d’un an après la réception de l’ouvrage, il ne pourra baser son recours sur l’article 2120 C.c.Q. mais les règles régissant la responsabilité contractuelle s’appliqueront129.

L’obligation de garantie qui est visée par l’article 2120 C.c.Q. concerne la mauvaise exécution de l’ouvrage qui n’entraîne pas la perte totale ou partielle de celui-ci. Il s’agit donc de travaux qui sont mal exécutés mais qui n’ont aucune conséquence sur la solidité de l’immeuble lui-même et qui n’entraîneront pas sa perte. C’est la gravité

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127. Scierie Bernard Inc. c. Couture, REJB 2000-22697 (C.Q.); Gagnon c. Aurélien Lachance Inc., précité, note 84. 128. EYB 2007-119223 (C.Q.). 129. Ibid.; Ceriko Asselin Lombardi Inc. c. Maçonnerie Express Inc., REJB 2001-23150 (C.A.); Eid c. André Gélinas & Associés Inc., REJB 2003-49114 (C.S.).

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du défaut qui permet de distinguer une malfaçon d’un vice de construction130.

La responsabilité pour malfaçons résulte de l’inexécution de l’obligation de conformité du contrat d’entreprise et sera donc appréciée suivant l’intensité du contenu obligationnel.

La responsabilité est conjointe et il n’est prévu aucun moyen d’exonération. Il ne s’agit pas non plus d’une présomption de responsabilité mais d’une obligation légale de garantie qui prend sa source dans la faute prouvée ou présumée de ces personnes. Il s’agit d’une garantie que les parties peuvent exclure dans leur convention car il ne s’agit pas d’une règle d’ordre public131. Les malfaçons sont soumises aux règles de preuve habituelles132.

La garantie court depuis la réception puisqu’elle vise les malfaçons qui se manifestent dans l’année qui suit cette réception. Si la réception et la fin des travaux ne correspondent pas sans qu’il y ait faute de la part du client, la réception marquera le point de départ de la garantie. Les vices et les malfaçons apparents qui n’auront pas fait l’objet de réserve au moment de la réception seront couverts par telle réception car le client sera présumé les accepter et ne pourront donc faire l’objet d’une garantie.

Pour ce qui est des vices et malfaçons apparents qui auront fait l’objet de réserve et pour lesquels l’article 2113 C.c.Q. tient l’entrepreneur responsable, la garantie trouvera application et la prescription du recours sera de trois ans suivant la réception. Quant aux vices et malfaçons non apparents au moment de la réception, ils devront se manifester dans l’année qui suit celle-ci et seront sujets à une prescription de trois ans à partir du moment de leur découverte.

La découverte de ces vices devra donner lieu à une mise en demeure conformément aux termes des articles 1590 et suivants C.c.Q.

Puisque la responsabilité entre l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur et le sous-entrepreneur est conjointe, ils seront pour chacun tenus à leur part respective des coûts de correction. Cette part sera établie en fonction du nombre d’intervenants et non de leur degré de responsabilité respective, bien qu’ils puissent entre eux exercer des actions récursoires dans la mesure où ils pourront établir la faute exclusive d’un autre intervenant ou le caractère moins grave de leur propre faute.

Suivant les principes établis par la Cour suprême dans l’affaire Desgagné c. La Fabrique de St-Philippe d’Arvida133, il faudra mettre en preuve le fait que les intervenants qui se réclament de l’absence de toute faute de leur part n’avaient rien à voir avec les travaux défectueux.

5. La perception d’acomptes (art. 2122 C.c.Q.)

130. Rénovations Michel Joseph Larose Inc. c. Gadbois, REJB 1999-14879 (C.S.); Lanthier c. Entreprises P.F. St-Laurent Inc., précité, note 112. 131. Massif Inc. (Le) c. Clinique d’architecture de Québec Inc., EYB 2009-164114 (C.A.). 132. J.P. Doyon Ltée c. Trois-Rivières (Ville), précité, note 36. 133. [1984] 1 R.C.S. 19.

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L’entrepreneur pourra, si la convention le prévoit, exiger des acomptes sur le prix du contrat pour la valeur des travaux exécutés et des matériaux nécessaires à la réalisation de l’ouvrage pendant la durée des travaux134. Toutefois, il faudra qu’il fournisse préalablement au client un état des sommes payées au sous-entrepreneur, à ceux qui ont fourni ses matériaux et aux autres personnes qui ont participé à ses travaux et des sommes qu’il leur doit encore pour terminer les travaux. Il s’agit ici des décomptes et paiements progressifs qui sont généralement prévus dans des contrats appréciables.

6. Les retenues pour les hypothèques légales (art. 2123 C.c.Q.)

Au moment du paiement, le client pourra retenir, sur le prix du contrat, une somme suffisante pour acquitter les créances des ouvriers, de même que celle des autres personnes qui peuvent faire valoir une hypothèque légale sur l’ouvrage immobilier et qui lui ont dénoncé leur contrat avec l’entrepreneur, pour les travaux faits ou les matériaux ou services fournis après cette dénonciation.

Récemment, la Cour supérieure a jugé que, pour qu’il y ait dénonciation, il faut que l’intention de grever l’immeuble soit exprimée. Il ne suffira pas que le sous-traitant informe le propriétaire de l’existence de son sous-contrat135.

Cette retenue est valable tant que l’entrepreneur n’a pas remis au client une quittance de ces créances. Il ne peut exercer ce droit si l’entrepreneur lui fournit une sûreté suffisante garantissant le paiement de ces créances.

Puisque les personnes qui participent à la construction ou à la rénovation d’un ouvrage immobilier bénéficient

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sous certaines conditions d’une hypothèque légale en raison de leurs travaux sur l’immeuble ou des matériaux ou services qu’elles ont fournis ou préparés pour ces travaux, le client bénéficie d’un droit de rétention d’une certaine somme pour diminuer l’importance des hypothèques légales en faveur de ces personnes.

Malgré ce droit accordé au client, l’hypothèque légale restera utile dans les cas de défaut ou d’insolvabilité du client.

Le dépôt d’une sûreté pour garantir le paiement de ces créances par l’entrepreneur pourrait faire en sorte que le droit de rétention ne puisse être exercé.

On peut se demander si les cautionnements pour garantir l’exécution des contrats et le paiement de la main-d’œuvre et des matériaux pourraient être jugés comme une garantie suffisante faisant en sorte que le client ne pourrait exercer son droit de rétention. En effet, le cautionnement pour le paiement de la main-d’œuvre et des matériaux fait en sorte que ce n’est pas le propriétaire qui est créancier mais les différentes personnes qui exécutent des travaux ou fournissent des matériaux. Celles-

134. Pavages Labrecque Inc. c. Lépine, REJB 1997-08463 (C.Q.). 135. Groupe Arsona Inc. c. Banque Nationale du Canada, REJB 1995-28900 (C.S.), appel rejeté.

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ci pourraient donc décider de ne pas utiliser le cautionnement et poursuivre directement le propriétaire en vertu d’une hypothèque légale et ferait en sorte que le client ne serait nullement protégé contre cette inscription. Quant au cautionnement d’exécution, la Cour supérieure136 l’a déclaré insuffisant, car il est donné en faveur de l’entrepreneur et l’obligation de la caution de payer le donneur d’ouvrage surviendra à la suite d’un jugement final qui confirmera la validité de l’hypothèque. Or, cela ne pourra avoir lieu si elle est radiée.

De plus, la cour souligne qu’une contestation de cautionnement pourrait avoir pour effet de réduire sa valeur au point d’être insuffisante pour couvrir la réclamation.

Nos tribunaux ont eu à déterminer si une garantie bancaire constituait une garantie suffisante pour l’application de l’article 2731 C.c.Q., qui prévoit que le propriétaire peut requérir la substitution d’une garantie suffisante à l’hypothèque légale qui grève son immeuble.

Ainsi, dans la décision Fibres dynamiques Soulard Inc. c. Construction Pronovost et Laberge Inc.137, il fut décidé qu’une lettre de garantie bancaire n’était pas une garantie suffisante pour être substituée à l’hypothèque légale, puisque la lettre était révocable et était valable pour une période d’une année. Par contre, dans Les Constructions Groupe Gazaille Inc. c. Provencher, Roy & Associés – Saucier Perrotte architectes138, le 20 février 1995, le juge Benoît a considéré qu’une garantie bancaire irrévocable constituait une garantie suffisante et a permis sa substitution à l’hypothèque légale, en soulignant :

« Comme aucune sûreté, même l’hypothèque légale, n’est d’une valeur absolue, une lettre de garantie d’une banque à charte canadienne constitue à mon avis une garantie suffisante au sens de l’article 2731 C.c.Q. »

Cette position a aussi été retenue dans l’affaire Consultants du Forum du Canadien CFC Inc. c. Entrepreneurs Becker Inc.139.

136. Université du Québec à Montréal c. Norlab, REJB 1996-29192 (C.S.). 137. REJB 1994-28931 (C.Q.). 138. REJB 1995-28786 (C.S.). 139. REJB 1998-05272 (C.S.).

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