Les défis du tourisme dans la région méditerranéenne

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231 Med.2012 Bilan Maxime Weigert Chargé de recherche Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), Paris Doctorant en géographie Institut de recherches et d’études sur le tourisme (IREST), Paris 1-Panthéon Sorbonne Les révolutions arabes ont durement éprouvé le sec- teur touristique des pays des rives sud et est de la Méditerranée 1 (PSEM), qui tous ont été confrontés à des baisses de fréquentation – plus de 20 % de pertes en moyenne pour l’ensemble de la sous-ré- gion 2 . Ces mouvements inédits, qui se sont combi- nés à d’autres épisodes régionaux très préoccu- pants (attentat de Marrakech, guerre de Libye, crise syrienne), n’ont pas manqué d’alarmer les touristes européens, qui ont été nombreux à se replier sur la rive nord de la Méditerranée pour leurs vacances. La persistance des troubles au Proche-Orient et les incertitudes quant à la capacité des nouveaux gou- vernements égyptiens, tunisiens et libyens à sécuri- ser la transition démocratique risquent de prolonger la désertion des destinations sud-méditerranéennes. Dans des pays où le tourisme compte en moyenne pour 10 % du PIB et de l’emploi, cette crise s’an- nonce hautement périlleuse, et fait du retour des touristes un enjeu économique de premier ordre. Mais la reprise de l’activité n’est pas une fin en soi. Les révolutions sont venues révéler les défaillances structurelles de secteurs touristiques fragilisés par plusieurs années de gouvernance inadaptée et inca- pable d’offrir des opportunités de développement renouvelées dans le domaine de l’emploi et de l’inves- tissement. Certes, la croissance des arrivées touris- tiques a battu son plein dans les dernières années, mais c’est bien le modèle touristique lui-même qui est remis en cause par la révolution : prédominance du tourisme balnéaire de masse, dépendance envers le marché européen, inégalités territoriales de dévelop- pement touristique constituent les faiblesses d’un tourisme sud-méditerranéen mal équilibré. À l’heure où la plupart des PSEM amorcent un mouvement de démocratisation, ces faiblesses déterminent les prin- cipaux défis sectoriels que ces pays ont à relever. Le poids du tourisme dans les économies du Sud Avec près de 300 millions d’arrivées internationales en 2010, soit le tiers environ du total mondial des flux de touristes internationaux, la Méditerranée est la première région touristique du monde. Du fait de la présence des géants touristiques de la rive nord (France, Espagne et Italie), les PSEM comptent pour une part mineure du total (50 millions). En revanche, leur place dans le tourisme régional est autrement significative sur le plan de la croissance. Entre 2005 et 2010, ces pays ont connu une croissance annuelle moyenne du nombre d’arrivées de 8 %. Par compa- raison, les pays d’Europe méditerranéenne, Turquie non comprise, ont enregistré un taux moyen de 1 % sur la même période. Le Sud s’est imposé dans les années 2000 comme le principal pôle de croissance du tourisme méditerranéen (Voir le tableau 8). Les niveaux de développement touristique des PSEM demeurent toutefois très inégaux. La rive sud réunit aussi bien des grands pays touristiques pour lesquels Économie et territoire | Structure productive et marché du travail Les défis du tourisme dans la région méditerranéenne 1 On entend par PSEM l’ensemble des pays non européens bordiers de la Méditerranée, Turquie non incluse : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Jordanie, Israël, territoires palestiniens, Liban et Syrie. 2 Source : Baromètre OMT du Tourisme Mondial, volume 10, janvier 2012. Calculs de l’auteur

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    nMaxime WeigertCharg de rechercheInstitut de prospective conomique du monde mditerranen (Ipemed), ParisDoctorant en gographieInstitut de recherches et dtudes sur le tourisme (IREST), Paris 1-Panthon Sorbonne

    Les rvolutions arabes ont durement prouv le sec-teur touristique des pays des rives sud et est de la Mditerrane 1 (PSEM), qui tous ont t confronts des baisses de frquentation plus de 20 % de pertes en moyenne pour lensemble de la sous-r-gion 2. Ces mouvements indits, qui se sont combi-ns dautres pisodes rgionaux trs proccu-pants (attentat de Marrakech, guerre de Libye, crise syrienne), nont pas manqu dalarmer les touristes europens, qui ont t nombreux se replier sur la rive nord de la Mditerrane pour leurs vacances. La persistance des troubles au Proche-Orient et les incertitudes quant la capacit des nouveaux gou-vernements gyptiens, tunisiens et libyens scuri-ser la transition dmocratique risquent de prolonger la dsertion des destinations sud-mditerranennes. Dans des pays o le tourisme compte en moyenne pour 10 % du PIB et de lemploi, cette crise san-nonce hautement prilleuse, et fait du retour des touristes un enjeu conomique de premier ordre.Mais la reprise de lactivit nest pas une fin en soi. Les rvolutions sont venues rvler les dfaillances structurelles de secteurs touristiques fragiliss par plusieurs annes de gouvernance inadapte et inca-pable doffrir des opportunits de dveloppement renouveles dans le domaine de lemploi et de linves-

    tissement. Certes, la croissance des arrives touris-tiques a battu son plein dans les dernires annes, mais cest bien le modle touristique lui-mme qui est remis en cause par la rvolution : prdominance du tourisme balnaire de masse, dpendance envers le march europen, ingalits territoriales de dvelop-pement touristique constituent les faiblesses dun tourisme sud-mditerranen mal quilibr. lheure o la plupart des PSEM amorcent un mouvement de dmocratisation, ces faiblesses dterminent les prin-cipaux dfis sectoriels que ces pays ont relever.

    le poids du tourisme dans les conomies du Sud

    Avec prs de 300 millions darrives internationales en 2010, soit le tiers environ du total mondial des flux de touristes internationaux, la Mditerrane est la premire rgion touristique du monde. Du fait de la prsence des gants touristiques de la rive nord (France, Espagne et Italie), les PSEM comptent pour une part mineure du total (50 millions). En revanche, leur place dans le tourisme rgional est autrement significative sur le plan de la croissance. Entre 2005 et 2010, ces pays ont connu une croissance annuelle moyenne du nombre darrives de 8 %. Par compa-raison, les pays dEurope mditerranenne, Turquie non comprise, ont enregistr un taux moyen de 1 % sur la mme priode. Le Sud sest impos dans les annes 2000 comme le principal ple de croissance du tourisme mditerranen (Voir le tableau 8).Les niveaux de dveloppement touristique des PSEM demeurent toutefois trs ingaux. La rive sud runit aussi bien des grands pays touristiques pour lesquels

    conomie et territoire | Structure productive et march du travail

    Les dfis du tourisme dans la rgion mditerranenne

    1 On entend par PSEM lensemble des pays non europens bordiers de la Mditerrane, Turquie non incluse : Maroc, Algrie, Tunisie, Libye, gypte, Jordanie, Isral, territoires palestiniens, Liban et Syrie.2 Source : Baromtre OMT du Tourisme Mondial, volume 10, janvier 2012. Calculs de lauteur

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    le tourisme constitue depuis longtemps un secteur stratgique (Tunisie, Maroc, gypte, Jordanie) que des pays ferms au tourisme (Algrie, Libye). Par ail-leurs, la frquentation des pays du Proche-Orient (Syrie, Liban, Isral, territoires palestiniens) varie en cycles alternatifs, au gr des crises politiques que tra-verse la rgion, bien que la tendance soit la crois-sance dans lensemble de ces pays. Dans les der-nires annes, ce sont le Maroc, lgypte et la Jordanie qui ont fait figure de champions de la rive sud, avec, sur la priode 2005-2010, un taux de croissance annuelle moyen de plus de 9 % pour les arrives et de plus de 10 % pour les recettes du tourisme inter-national. La Tunisie, pionnire du dveloppement tou-ristique de la rive sud, est quant elle devenue le pays le moins performant de la zone.

    Avec prs de 300 millions darrives internationales en 2010, soit le tiers environ du total mondial des flux de touristes internationaux, la Mditerrane est la premire rgion touristique du monde

    Le tourisme sud-mditerranen est caractris par une forte dpendance envers les flux europens, qui

    comptent en moyenne pour 60 % des arrives inter-nationales. Ces flux alimentent une conomie qui par-tout reprsente un important poste demploi et din-vestissements, que le tourisme fasse on non lobjet de stratgies conomiques. la veille du printemps arabe, le secteur pourvoyait 3,8 millions demplois directs dans les PSEM, soit 7 % de lemploi total, et 8,5 millions demplois indirects, soit 15 % de lemploi total 3. Les rvolutions, en entranant une chute dras-tique de lactivit touristique dans la rgion, ont donc mis en pril lune des conomies les plus dynamiques et les plus stratgiques de la rive sud.

    limpact des rvolutions arabes sur le tourisme

    Compte tenu de la nature transversale de lactivit touristique et de ses effets dentranement sur les autres secteurs, limpact du printemps arabe sur le tourisme sud-mditerranen sera difficile valuer avec prcision. Nanmoins, le premier chiffrage de la baisse de frquentation et de recettes touristiques en 2011 laisse entrevoir lampleur des pertes lies aux rvolutions. Par rapport 2010, les deux pays rvolutionnaires, la Tunisie et lgypte, ont enregistr une baisse des arrives internationales de 31 % et 33 % et une baisse des recettes du tourisme inter-national de 51 % et de 26 %, respectivement. lest, le Proche-Orient a subi les consquences de

    3 Source : TSA Research, World Travel and Tourism Company (WTTC).

    TABLEAU 8 le secteur du tourisme dans les pays sud-mditerranens

    Arrives internationales 1 (en milliers)

    recettes du tourisme international 1 (en millions de dollars)

    emplois touristiques 2

    (en milliers, en 2010) Pertes touristiques 1 en 2011

    2005 2010tCAM

    2005-2010 2005 2010tCAM

    2005-2010

    nombre emplois directs

    nombre demplois indirects

    Baisse de frquentation

    en 2011

    Baisse des recettes

    touristiques en 2011

    Algrie 1 443 1 912 5,79 477 n.d. n.d. 354 698 n.d. n.d.

    gypte 8 608 14 051 10,3 7 206 12 528 11,7 1 677 3 683 -33,2 -25,7

    Jordanie 3 200 4 557 7,33 2 004 3 413 11,24 130 321 -15,7 -17,7

    Isral 1 916 2 803 7,91 3 427 4 768 6,83 85 259 0,6 n.d.

    Liban 1 140 2 168 13,72 5 531 8 012 7,69 119 426 -24,4 n.d.

    Libye n.d. 34 n.d. 250 60 n.d. 27 51 n.d. n.d.

    Maroc 6 077 9 288 8,85 4 610 6 720 7,83 815 1 806 1,6 4,6

    Syrie 5 859 8 546 7,84 1 944 6 190 24,92 305 772 -40,7 n.d.

    Tunisie 6 378 6 902 1,59 2 143 2 645 4,3 256 531 -30,7 -50,7

    Territoires palestiniens

    88 522 n.d. 119 522 n.d. n.d. n.d. -11,7 n.d.

    Total 34 709 50 783 7,91% 27 711 44 858 10,60% 3 768 8 547 -22% n.d.1 Organisation mondiale du tourisme (OMT) ; 2 World Travel and TourismCompany et TSAResearch (Tourism Satellite Account). TCAM : Taux de croissance annuelle moyen. n/d : not available.

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    la rvolution gyptienne et de la crise syrienne, avec une chute des arrives internationales de 41 % en Syrie, de 24 % au Liban et de 16 % en Jordanie. Is-ral et le Maroc sont les seuls PSEM ayant poursuivi une croissance, trs ralentie, de leurs entres inter-nationales (0,6 % et 1,6 %, respectivement).Outre le dficit de ressources financires quelles ont caus, ces pertes se sont accompagnes de la destruction de plusieurs milliers demplois. court terme, le printemps arabe a donc eu pour effet dag-graver la situation socio-conomique qui la motiv. Mais limpact profond des vnements se mesurera travers la relance du tourisme dans les pays rvol-ts. cet gard, il apparat que la reprise de lacti-vit se joue plus sur la rive nord que sur la rive sud. En effet, non seulement les pays ayant connu des troubles ont entrepris les actions ncessaires, comme le renforcement de la scurit dans les zones touristiques et lorganisation de campagnes de communication destines rassurer les touristes europens, mais surtout, aucun acte hostile contre des touristes na t recens dans la haute saison qui a suivi les rvolutions. Lhsitation des tour-op-rateurs et des touristes individuels retourner sur la rive sud sexplique probablement mieux par le fait que les rvolutions arabes, plutt que davoir suscit lempathie et la bienveillance des pays europens, se sont rapidement inscrites dans le dbat sur la menace islamiste qui pse supposment sur le monde arabe. La crise conomique globale et la vic-toire des partis islamistes aux lections tunisienne, marocaine et gyptienne ont entretenu vis--vis du Sud une certaine dfiance, qui a t vivement taye par les mdias europens et par certains faits divers locaux, comme lenlvement de touristes dans le Sina lhiver 2012. Limpact imaginaire des rvolu-tions fait du retour de la confiance lun des enjeux majeurs de la transition.

    les rvolutions, rvlatrices des dfaillances dun modle touristique

    Bien avant les rvolutions, de nombreux diagnostics sectoriels avaient conclu la dfaillance structurelle du tourisme sud-mditerranen. En dpit de lht-rognit des situations et des niveaux de dvelop-

    pement touristique des PSEM, tous prsentent ef-fectivement une dficience comparable : la faible diversit de loffre touristique. Cette lacune, qui concerne aussi bien la nature de loffre (types et gammes de produits) que sa rpartition gogra-phique, est lie non seulement la forme de tou-risme qui a t favorise par ces pays, mais aussi la manire dont se sont structurs leurs territoires touristiques.Aprs les dcolonisations, la plupart des PSEM ont mis le tourisme au service dune stratgie de dve-loppement conomique. Dans le contexte de lessor du tourisme international des annes 1970, leur objectif tait de favoriser la cration demplois de service et daccrotre lentre de devises et dinves-tissements sur leur sol. Cette approche macroco-nomique a dtermin le modle de dveloppement touristique de ces pays, dans lequel la prfrence a t donne la cration de grandes stations touris-tiques, loffre balnaire et la commercialisation par les voyages forfait. Lorientation vers le tou-risme de masse a t un succs pour les pays qui lont suivie, dans la mesure o elle leur a permis de capter dimportantes parts de march dans le tou-risme balnaire europen, et quelle a contribu au dveloppement socio-conomique de grandes r-gions littorales (Sahel tunisien, Agadir, mer Rouge, etc.). Mais la constitution dune offre aussi spciali-se a galement entran des consquences nga-tives sur le plan structurel. Tout dabord, la forte sai-sonnalit du tourisme sest paye dune prcarisation des emplois touristiques, dune faible rentabilit des investissements et dune difficult dvelopper de vritables filires touristiques (formation, largisse-ment de loffre de services). Deuximement, tant donne labsence de diffrenciation de loffre, la concurrence rgionale a entran une guerre des prix entre les destinations sud-mditerranennes, qui, sous la pression des tour-oprateurs, ont cher-ch diminuer toujours plus le prix de vente des sjours balnaires. Enfin, les produits correspondant cette forme de tourisme se sont rvls de moins en moins en phase avec les volutions du tourisme international, o la demande dauthenticit prend progressivement le pas sur les sjours en enclaves touristiques 4. Cette inadaptation a fini par limiter les performances et le potentiel de croissance du

    4 Lexpression enclave touristique dsigne les espaces clos, comme certains htel-clubs, qui sont placs sous surveillance dans un environne-ment scuris et consacrs exclusivement aux touristes et aux employs qui les servent. Cf. FrEitaG tilMan G. Enclave tourism Development: For Whom the Benefits Roll?, Annals of Tourism Research 21, 538-554 (1994)

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    nsecteur touristique (baisse en gamme, accroisse-ment des fuites touristiques, etc.).La structure territoriale du tourisme sud-mditerra-nen est galement problmatique. La polarisation de lactivit touristique sur le littoral na fait quag-graver les ingalits de dveloppement au dtri-ment des arrire-pays. Par ailleurs, la ncessit de capter la clientle europenne a conduit les pays de la rive sud privilgier une structuration par points dentre de leur territoire touristique, dans laquelle le dveloppement aroportuaire a jou un rle primordial. Le tourisme sud-mditerra-nen sest bti autour de grands ples ddis un tourisme de sjour sdentaire (Marrakech, Djerba, Sharm el-Sheikh), qui pendant longtemps ont concentr la quasi-totalit des flux et des investis-sements touristiques. Cette circonscription de lac-tivit, confine quelques grandes destinations, na pas permis aux pays de tirer profit de la fonction damnagement du tourisme, car en labsence dune offre intgre au niveau national, les inters-tices des grands ples et les arrire-pays sont de-meurs des espaces mal amnags, dconnects des points dacheminement des touristes, et donc impuissants les attirer eux. de rares excep-tions prs, les PSEM nont donc pas mis en uvre les politiques de reconversion, de segmentation et de monte en gamme qui leur aurait permis de ren-forcer leur attractivit touristique. Les changements politiques leur donneront certainement loccasion dadopter de nouvelles stratgies.

    Quel tourisme aprs les rvolutions arabes ?

    La crise du printemps arabe a rvl lobsolescence de modles touristiques fonds la fois sur lautori-tarisme social et sur une offre dconnecte des ter-ritoires, o les touristes ntaient pas confronts aux conditions socio-conomiques et politiques dans lesquelles voluaient les populations locales. La li-bralisation des forces sociales et culturelles des pays sud-mditerranens laisse prsager que ce modle ne survivra pas au processus de dmocrati-sation. Le principal dfi des PSEM dans le secteur du tourisme rside donc dans la capacit quauront ces pays coupler transition dmocratique et transi-tion touristique.

    La transition touristique des PSEM implique en pre-mier lieu une transformation et une modernisation de leur conomie touristique. Si lon fait lhypothse que les transitions dmocratiques favorisent les lib-ralisations conomiques et ladoption de grandes rformes macro-conomiques 5, les rvolutions arabes ouvrent des perspectives trs positives quant lavnement, moyen et long termes, dun dve-loppement touristique durable dans ces pays. Ce changement ncessite une refonte de la gouver-nance touristique, un bannissement des pratiques anticoncurrentielles (corruption, npotisme) et un meilleur partage dinfluence entre les acteurs du dveloppement touristique (secteur priv et public, socit civile, populations locales). Dans certaines configurations (en Tunisie et au Maroc par exemple), la dcentralisation administrative peut constituer un objectif prioritaire. La poursuite de la libralisation de certains secteurs stratgiques parat galement incontournable. Cest le cas notamment pour le transport arien, dont la drgulation est devenue indispensable laccroissement des flux touris-tiques, du fait de lessor du transport lowcost dans le monde. Lexprience du Maroc, signataire dun accord Open Sky avec lUnion europenne en 2006, fait cet gard figure de modle de russite.

    La crise du printemps arabe a rvl lobsolescence de modles touristiques fonds la fois sur lautoritarisme social et sur une offre dconnecte des territoires

    La volont dmancipation quont manifest les classes moyennes travers les rvolutions tmoigne probablement de la capacit de ces populations entrer dans la socit des loisirs. Cest pourquoi la transition dmocratique rend inluctable le dvelop-pement du tourisme domestique dans ces pays. Cette volution leur permettrait de stabiliser et de consolider leur conomie touristique, car le tourisme domestique, moins sensible aux crises endognes ou exognes, est bien moins volatil que le tourisme international. Les flux domestiques sont mieux diffu-ss dans le temps (moindre saisonnalit) et dans

    5 ce sujet, voir Galal Ahmed et REiFFErs Jean-Louis (dir.). Les pays mditerranens au seuil dune transition fondamentale, Rapport du FEMISE sur le partenariat euro-mditerranen, octobre 2011

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    lespace (retour des urbains dans leurs rgions dorigine), et les touristes nationaux sont gnrale-ment de forts consommateurs de loffre locale, la-quelle ils accdent plus aisment (langue, culture, bouche oreille). En outre, le tourisme domestique sert le projet national, dans la mesure o il favorise lappropriation de lespace touristique par les popu-lations locales et attnue les tensions lies loccu-pation foncire du tourisme tranger. Les mmes arguments peuvent tre invoqus pour la promotion du tourisme Sud-Sud, qui permettrait de diversifier les flux et de renforcer lintgration sous-rgionale, au Maghreb notamment, o plusieurs millions de touristes algriens et libyens passent dj leurs va-cances en Tunisie.

    Le tourisme domestique, moins sensible aux crises endognes ou exognes, est bien moins volatil que le tourisme international

    Enfin, lurgence sociale et conomique rsultant du printemps arabe et la ncessit de soutenir cote que cote la cration demplois risquent de relguer larrire-plan les enjeux environnementaux du d-veloppement touristique. La contrainte cologique demeure pourtant imprieuse dans ces pays, o le tourisme de masse a des incidences proccupantes sur lenvironnement, en particulier sur le littoral (d-chets, btonnage, surconsommation des ressources en eau, pril des cosystmes). Par ailleurs, le chan-gement climatique entranera dans le sicle venir de graves consquences dans lespace mditerra-nen, avec une hausse importante des tempra-tures, une baisse des prcipitations et une augmen-

    tation du niveau de la mer. Ces volutions influeront sur la localisation et le volume des flux touristiques, mesure que samplifieront les vagues de chaleur et que se rarfieront les ressources en eau, en gypte et en Libye notamment. Dans ces conditions, la prise en compte des technologies vertes dadaptation au changement climatique peut difficilement tre lu-de par les PSEM. Mais en pleine crise de linvestis-sement touristique, la priorit des enjeux de court-terme risque de limiter la capacit des dcideurs opter pour ces stratgies danticipation, souvent coteuses.

    Conclusion

    La situation dcoulant du printemps arabe exige des pays sud-mditerranens quils dveloppent des stratgies sectorielles innovantes visant di-versifier linvestissement, loffre et lemploi touris-tiques, et mieux segmenter leur march du tou-risme. moins que lclatement et lattentisme lemportent, la chute des rgimes autocratiques devrait tre loccasion pour les nouveaux gouverne-ments de mettre niveau et de dmocratiser le secteur touristique de leur pays, en favorisant lins-tauration de bonnes pratiques institutionnelles et en permettant tous les acteurs (secteurs priv et public, populations locales, socit civile) de faire entendre leurs voix et de dfendre leurs intrts. Compte tenu des revendications formules par les populations arabes et de la dlicatesse des chan-gements structurels initier, seul ce type dorienta-tion, fonde sur le consensus et lappropriation, semble devoir permettre au dveloppement touris-tique daccompagner la transition dmocratique de ces pays, et rciproquement.