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la lettre n0 5 / automne 2002

de l ’Académie des sciences

Cristauxles

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EditorialOn évoque de plus en plus fréquemmentla désaffection des élèves et desétudiants pour les sciences. Quelquesfaits significatifs me permettront de fairele point.Un élément de base, la transformationradicale de la société française depuis50 ans: en 1945, la population active serépartissait en 26 % pour l’agriculture,40 % pour l’industrie et 34 % pour lesservices, devenus aujourd’hui respecti-

vement 5 %, 35 % et 60 %, tous consom-mateurs de scientifiques!Les qualifications ont également étébouleversées. En 1950, parmi la popu-lation active de 18 à 65 ans, les diplômesles plus élevés étaient pour 6 % un C.A.P.,pour 3 % un Baccalauréat et pour 3 %un diplôme de l’enseignement supérieur.En 1996, ils représentaient 33 %, 12 %et 21 %, beaucoup relevant d’une forma-tion de science fondamentale ou appli-quée. Pendant les « 30 glorieuses »,élèves et étudiants trouvaient tous uneembauche au sortir de leurs études,depuis 25 ans, ce n’est plus le cas.Plusieurs points se dégagent de cetteévolution:

- La scolarisation d’une classe d’âges’est accrue et les études supérieuresont été diversifiées en sciences fonda-mentales et appliquées.

- Les formations universitaires ensciences et dans leurs applicationscroissent significativement, mais cettecroissance ne concerne que les forma-tions professionnalisantes.

- Après la licence, les instituts univer-sitaires de formation des maîtres(I.U.F.M.) intègrent près de 20 000étudiants scientifiques, souvent issusdu D.E.U.G. Ils préparent le professoratdes écoles, le C.A.P.E.S. et l’agrégationen suivant partiellement les maîtrisesgénérales ou licences où ils sont comp-

tabilisés. Les maîtres ès-sciencespoursuivent leurs études en écolesd’ingénieurs dans et hors des univer-sités. Les classes préparatoires et lesuniversités ont décerné 16000 diplô-mes d’ingénieurs en 1990 et 24500 en2000.

- Enfin, d’autres maîtres ès-sciencespréparent soit un D.E.A. master recher-che (en 1994, 16000 diplômés, en 1999,10000). La baisse est particulièrementnette en physique et en chimie (37,5 %).Le D.E.S.S. master professionnel comp-tait en 1994, 4000 diplômés, en 2000 laprogression avoisine 90%, de nombreuxétudiants de maîtrises générales lepréfèrent aux D.E.A..

- Au sein des universités, la fluidité dessystèmes se développe dans les filièresappliquées, elle le fait mal dans lesfilières générales.

De ces données brutes on peut extraireles éléments suivants:- Les bacheliers choisissent préféren-

tiellement des formations en étapes etacquièrent un titre « monnayable » à chacune d’elles (D.U.T., diplôme d’ingénieur-maître, ou d’ingénieurD.E.S.S.).

- Les filières générales ne sont profes-sionnalisantes qu’en deux paliers: à lalicence vers la formation des maîtres,et en thèse, où aucun passage n’estpossible d’un palier à un autre.

Je ne vois pas dans ces faits une désaf-fection des étudiants pour la science oude ses applications, mais une organisa-tion des études scientifiques généralesinadaptée aux souhaits des étudiants quirecherchent - comme tous les étudiantsdu monde entier - des études courtes.A tous les niveaux de formations profes-sionnalisantes, une véritable symbioseexiste entre professions, écoles etuniversités mais s’étiole dans la forma-tion générale. Les enseignants-cher-cheurs l’assurent seuls en D.E.U.G. eten licence; les chercheurs, les labora-toires de recherche publics et privés n’yparticipent pas!

La baisse de fréquentation dans la filièrescientifique générale est exacerbée enFrance où la féminisation des étudesscientifiques est réduite (55 % de lapopulation étudiante, mais 20 % en I.U.T.scientifiques, 22 % en sciences et tech-nologies de l’ingénieur, 35 % en sciencesde la matière). Seules les sciences de lavie en comptent 56 %; là existe une autreségrégation: l’écrasante majorité desfemmes choisissent d’enseigner, ellesne bénéficieront jamais d’une approchede la recherche. Améliorer chaqueannée, de quelques points, ce recrute-ment féminin et le fil de l’histoire en serachangé, comme il l’a été dans beaucoupd’autres secteurs professionnels. Legoût des sciences est peu en cause dansla baisse de la filière recherche ; lemauvais fonctionnement de toutes lesformations l’est, car il ne répond pas auxbesoins sociologiques de la génération �

par Jean Dercourt

Secrétaire perpétuelde l’Académie des sciences,professeur à l’universitéPierre et Marie Curie

SommaireÉditorialLes scientifiques de demain:craintes, faits et réflexionsJean Dercourt

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DossierLa science des cristaux: de l’ordre au désordreHubert Curien

page 3Les rayons X et la structure de la matièrePaul Caro

page 6L’apport du rayonnement synchrotron à la cristallographieEntretien avec Yves Petroff par Paul Caro

page 12Les quasicristaux, ou comment la nature déjoue les théorèmesRemy Mosseri

page 15

Questions d’actualitéLes groupes en physiquedes particulesMaurice Jacob

page 16Où l’astronomie rejoint l’ophtalmologiePierre Léna

page 17

La vie de l’AcadémieRencontre entre les Bureaux de l’Académie des sciences et del’Académie nationale des sciences desÉtats-UnisYves Quéré

page 19Succès de la théorie de LanglandsChristophe Soulé

page 19

La vie des séancesSécurité sanitaire, vigilance sanitaire,surveillance épidémiologiqueAlain-Jacques Valleron

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Les scientifiques de demain:craintes, faits et réflexions

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Dossier

1 Président de l’Académie des sciences, professeurémérite à l’université Pierre et Marie Curie

La Sciencedes cristaux:de l’ordreau désordre

L e siècle que nous venons de vivre peut être qualifié de révolutionnaire dans tous lessecteurs de la recherche et de la connaissance. L’un des effets de cette révolutionest d’ailleurs qu’il est devenu difficile, voire incongru, de dessiner une carte secto-

rielle de la science faisant apparaître des frontières. Les cristallographes ont, peut-être avantd’autres, vécu dans cette atmosphère pluridisciplinaire. Minéralogistes tout autant quechimistes et physiciens, les voici maintenant partenaires des biologistes.En s’adonnant par goût et nécessité à la gymnastique de la pluridisciplinarité, ils sont devenuschampions dans le sport du jeu d’échelles, du macroscopique au microscopique, avec unintérêt récemment grandissant pour le mésoscopique. Mais la conversion profonde opéréeen cristallographie est dans l’intérêt croissant porté aux défauts des cristaux. Naguère consi-dérés comme des accidents regrettables venant troubler l’élégante périodicité de la matièrecristallisée, les défauts cristallins, qu’ils soient ponctuels, linéiques ou surfaciques sont main-tenant appréciés pour leurs vertus. Bien contrôlés et sagement dosés, ils confèrent aux cris-taux des qualités essentielles pour leurs usages.

structure cristalline: un cristal est unassemblage périodique régulier dansl’espace de « molécules élémentaires »toutes identiques. Décrivant la naturedes cristaux, il devenait aussi l’un desdécouvreurs de la nature moléculaire etatomique de la matière. La mailleélémentaire d’Haüy est l’entité que nepeut pas couper (a-tome) sans dénaturerune substance.

Après l’ère des pères-fondateurs, Roméde l’Isle et Haüy, vint celle des mathé-maticiens – géomètres. Auguste Bravais(1811-1863) étudia les types de symé-tries compatibles avec la périodicité dansl’espace et dénombra les quatorze typesde réseaux qui portent son nom. Puisvinrent les champions des groupes cris-tallins, Schönflies (1853-1928) et Fedorov(1853-1919). Travaillant indépendam-ment, l’un à Berlin, l’autre à Saint-Pétersbourg, ils apportèrent la preuvede leur excellence en proposant le mêmerésultat, la même liste de deux centtrente groupes distincts. Ces deux centtrente cases ouvertes au classement descristaux selon leur symétrie ont donnépleine satisfaction aux cristallographesjusqu’à des temps très récents où furentdécouverts des milieux solides présen-tant aux expériences de diffraction dessymétries d’ordre cinq. Notre confrèreDenis Gratias figure en tête des louablesiconoclastes. En fait, ces phases à symé-trie quinaire sont d’une nature distincte.Il est maintenant convenu de les appeler« quasi-cristaux ».

par Hubert Curien1

La cristallographie est née commeune science de l’ordre. Jean-

Baptiste Romé de l’Isle (1736-1790)édicta la loi de « constance des angles »:les facettes d’un cristal d’une espècedéterminée font entre elles des anglesde valeurs constantes. Travaillant dansle même esprit, mais non sans quelquescontroverses, que l’évidence des faits euttôt fait de calmer, René-Just Haüy (1743-1822), partant de l’observation du phéno-mène de clivage, donna une idée claireet remarquablement moderne de la

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La périodicité et la symétrie, bases de ladescription de l’état cristallin devaientconduire, au tournant du siècle que nousvenons de quitter, à deux grands événe-ments scientifiques. Le premier futl’énoncé en 1894 du « principe de symé-trie » nommé généralement « lois deCurie ». Jacques et Pierre Curie décri-vent en 1880 la piézoélectricité. Ils dédui-sent de leurs observations que, dans unphénomène physique, les « causes » nepeuvent pas être plus symétriques queleurs « effets ». Premier pas vers l’idéeque la symétrie maximum n’est pas leparadis des physiciens et que les dissy-métries sont susceptibles d’apporterbien des satisfactions. Il en sera plus tardde même pour les défauts.

Second événement-clé pour les cristal-lographes: la diffraction des rayons X.

Max von Laue à Berlin et la famille Braggen Angleterre sont ici des figures deproue. La diffraction des rayons X par lescristaux est le triomphe de l’explorationde l’ordre dans la matière. A la triplepériodicité du milieu cristallin corres-pond la nature discrète, en faisceaux dedirections bien déterminées, des figuresde diffraction. La relation entre l’espacecristallin et l’espace expérimental dediffraction est une correspondance deFourier. La mesure des amplitudes desfaisceaux de rayons X diffractés permetdonc de dresser la carte de la densitéélectronique de la matière dans la maillecristalline. L’affaire n’est malheureuse-ment pas tout à fait aussi simple, car lesmesures portent sur les intensités desrayons X diffractés et non sur leursamplitudes, valeurs complexes dont onne sait pas mesurer la phase. L’ingénio-

sité des cristallographes supplée à cemanque intrinsèque de données. Entrois-quarts de siècle, le « problème desphases » a été pratiquement résolu. Ledéveloppement des moyens de calculsa été un facteur essentiel de succès.

Triomphe de l’ordre donc, au profit detous les amateurs de connaissance dela structure de la matière condensée.Les biologistes eux-mêmes sont main-tenant des clients assidus et participa-tifs. La détermination des structures deprotéines est devenue quasi-routinière,à condition que l’on sache les cristalliser.

Glissons maintenant un peu de l’ordrevers le désordre. Les cristaux-liquidesnous proposent une piste. Reinitzer en1888, puis Lehmann en 1889, décou-vrent, par observation au microscope,

des substances fluides troubles et biré-fringentes qui deviennent limpides etisotropes à une température bien déter-minée. Ces phases liquides qui ontcependant quelques propriétés cristal-lines sont nommées « cristaux-liquides ». L’étude sera reprise un peuplus tard par Georges Friedel qui appor-tera la lumière sur la structure de cessubstances et proposera une classifica-tion logique. Georges Friedel était le filsde Charles Friedel, chimiste dont le nomest resté attaché à la méthode desynthèse organique dite de « Friedel etCrafts ». Il fut le père d’Edmond, lui-même père de Jacques Friedel, brillantphysicien contemporain. La familleFriedel n’est-elle pas un très remar-quable exemple de continuité familialedans le succès de la démarche scienti-fique? Revenons aux cristaux – liquidesdont les applications techniques connais-sent aujourd’hui un énorme succès. Leurcaractère hybride est la cause de leursvertus: fluides, ils sont aisément modi-fiables par des influences extérieures;anisotropes, ils peuvent constituer deséléments essentiels, dans des systèmesélectro-optiques par exemple.

Poursuivons notre progression fruc-tueuse de l’ordre vers le désordre. Lemilieu du siècle passé vit l’éclosion d’unnouveau champ d’intérêt pour les physi-ciens; l’étude des défauts ponctuels descristaux. C’est à cette époque que l’ap-pellation « physique du solide » vit le jour.Elle s’appliquait essentiellement àl’étude du comportement des électronsdans les solides et, plus spécialementencore, à l’étude des semi-conducteurs,la merveille naissante des annéesquarante. Le comportement des élec-trons dans les solides est très fortementlié à la présence d’atomes étrangers quiconstituent des défauts ponctuels dansdes cristaux par ailleurs parfaits ouquasi-parfaits.

Les défauts ponctuels dans les cristauxont été aussi, à partir de la mêmeépoque, l’objet d’un intérêt particulieren liaison avec les effets des rayonne-ments ionisants sur la matière. La rapi-dité des progrès de la physique desdéfauts cristallins doit beaucoup auximpulsions provoquées par les exigencesdes programmes militaires. Il est politi-quement correct de constater que lamise au point des armes atomiques etles besoins d’une électronique perfor-mante pour les engins d’attaque et dedéfense furent des locomotives éner-giques pour le train de la Recherche.

Les défauts ponctuels ne sont qu’un desmodes adoptés par le milieu cristallinpour fronder avec la perfection. Parlonsmaintenant des « dislocations ». Lors-qu’un métallurgiste théoricien voulaitexpliquer autrefois quantitativement laplasticité des métaux à partir de la struc-

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ture et des forces inter-atomiques dansun solide, il se heurtait à de graves diffi-cultés : les matériaux, les métaux enparticulier, n’auraient pas dû, et de trèsloin, se déformer avec la facilitéconstatée par les expérimentateurs. Ilfallait trouver une explication: les défautsnommés dislocations la fournirent. Cesdéfauts « linéiques » (néologisme pour:à une dimension), en se déplaçant dansles solides, permettent le glissementprogressif, donc beaucoup plus aisé, dediverses zones dans l’échantillon. Dansleurs déplacements, ces dislocationsviennent d’ailleurs buter sur d’autresdéfauts, notamment des zones deconcentration de défauts ponctuels,zones dites de « Guinier-Preston », àla mémoire d’André Guinier, remar-quable cristallographe récemmentdisparu et de son collègue britanniqueG. Preston. En créant dans un solide deszones de Guinier-Preston on peut

augmenter considérablement sa résis-tance mécanique. C’est ainsi que l’alu-minium facilement déformable peut-êtretransformé, par ajout d’un faible tauxd’impuretés, en Duralumin, de trèsbonne tenue métallique. Nous avonsrendu hommage à Georges Friedel àpropos des cristaux liquides. C’est à sonpetit-fils Jacques Friedel que s’adresseici notre reconnaissance. Il fut l’un despionniers de l’étude des dislocationsdans les cristaux.

Un autre type de défaut cristallin mériteaussi notre attention: c’est l’agitationthermique des atomes dans les cristaux.Les atomes ne restent pas fixes, ils sedéplacent autour de leur positionmoyenne d’équilibre, l’amplitude de cesdéplacements allant croissant avec latempérature. La connaissance fine de

ce phénomène permet d’expliquer quan-titativement non seulement les pro-priétés thermiques des solides, maisaussi les propriétés électriques etmagnétiques. En effet, par exemple, lecomportement des électrons dans lesconducteurs est fortement influencé parles interactions avec le milieu agité.L’étude de l’agitation thermique desatomes peut être menée par l’observa-tion fine de la diffraction des rayons X.Puisque la stricte ordonnance triplement

périodique est troublée par les mouve-ments atomiques, le rayonnement estdiffusé en dehors des directions sélec-tives de Bragg. Jean Laval fut l’initiateuren France de ce type d’étude et il en adéfini les caractères essentiels.

Allant toujours plus avant vers ledésordre, il faut, bien sûr, évoquer lesalliages métalliques. Le cas le plussimple peut être schématisé par l’occu-pation, au sein d’une structure, d’unmême type de site par deux atomesdistincts A ou B. Ou bien les atomes A etB occupent respectivement deux sous-réseaux distincts et périodiques: l’al-liage est alors ordonné. Ou bien A et Boccupent au hasard un réseau global de

positions: l’alliage est désordonné. Lestransitions « ordre-désordre » ont faitl’objet de nombreux travaux. L’ordre etle désordre dans l’orientation des dipôlesmagnétiques dont certains atomes sontporteurs constituent aussi un très beauchapitre de la physique moderne.

Plongeons enfin dans le désordre appa-remment anarchique mais qui s’avouesans honte, celui des structures vitreuses,celui aussi des solides formés par des polymères couramment nommésmatières plastiques. Dans les verressubsiste un ordre à courte distance qui estétudié par des techniques très diverses.Les structures franchement désordon-nées ont fait depuis quelques dizainesd’années l’objet d’études théoriques etexpérimentales très éclairantes et fruc-

tueuses pour les applications. Pour vousinitier à cette connaissance du désordrede la matière, je puis vous indiquer uneexcellente adresse: celle de Pierre-Gillesde Gennes et de ses élèves.

Et, pour conclure, il me paraît intéres-sant, après avoir évoqué les diversavatars de la matière solide (souvenons-nous de l’origine sanscrite, et noble, du

mot avatar qui désigne les diversesincarnations de Vishnou), de soulignerla diversité des méthodes et des instru-ments mis en œuvre pour l’étude del’ordre et du désordre de toutes espècesdans la matière condensée. L’exploita-tion toujours plus poussée des tech-niques de diffraction a conduit à laconstruction de sources de rayons X trèsbrillantes ou de faisceaux de neutronsd’énergie adaptée. Grenoble, avec l’Eu-ropean Synchroton Radiation Facility(ERSF) et le réacteur source de neutronsthermiques de l’Institut Laue-Langevin,est un centre d’excellence (pas seule-ment à ce titre, d’ailleurs!). L’instrument« Soleil » qui se construit en Ile-de-France fera aussi la joie des structuro-logues. Mais bien d’autres méthodessont aussi impliquées, dont les réso-

nances de toutes natures. Et n’oublionspas que, sans le secours des ordinateursles plus puissants, toutes ces recherchesstructurales subiraient un sévèrehandicap.Voilà donc rapidement, trop rapidementdessinés, quelques traits marquants del’histoire dense et riche de deux sièclesde cristallographie. Dans l’ordre ou ledésordre, la matière condensée nemanque ni d’exemplarité ni de ruses.Les cristaux ont tout pour plaire auxesthètes et aux curieux �

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« Aux mines de sel de Salzbourg, on jette, dans les profondeurs abandonnées de la mine,un rameau d’arbre effeuillé par l’hiver; deux ou trois mois après, on le retire couvert decristallisations brillantes: les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses quela patte d’une mésange, sont garnies d’une infinité de diamants, mobiles et éblouissants;on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. »

Stendhal, De l’Amour

De l’Amour, foyer secret de l’œuvre de Stendhal, gardetrace de sa jeunesse mathématicienne et de son goût pourles théorèmes et les démonstrations.La naissance de l’amour comporte selon lui sept phases,dont la plus importante est la cristallisation, « opérationde l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverteque l’objet aimé a de nouvelles perfections ». Après avoiradmiré un être et espéré d’en être aimé, l’imaginationprend le relais pour le transfigurer: « On se plaît à ornerde mille perfections une femme de l’amour de laquelleon est sûr ; on se détaille tout son bonheur avec unecomplaisance infinie. Cela se réduit à s’exagérer unepropriété superbe, qui vient à nous tomber du ciel, quel’on ne connaît pas, et de la possession de laquelle onest assuré. »

C. G.

Une structure moléculaire déterminée par diffraction de rayons X: URATE OXIDASE (Aspergillus flavus) in N. Colloc’h et al, Nature Struct. Biol.

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quelques essais infructueux obtinrenteffectivement un spectre de diffractionsur une plaque photographique placéederrière un cristal de « sphalérite »exposé à un faisceau de rayons X (la« sphalérite » est la blende ZnS, uncristal cubique). Cette expériencedémontrait d’un coup deux faits impor-tants: la nature ondulatoire des rayonsX et la structure atomique de la matièrecomme réseau géométriquementordonné. Elle valait le prix Nobel à vonLaue en 1914. Dès 1912, WilliamLaurence Bragg démontrait la possibi-lité d’utiliser les interférences construc-tives des réflexions des rayons X, dirigéssous un certain angle sur les plansatomiques successifs d’une face cris-talline, pour mesurer la longueur d’ondedu rayonnement X et les distances entreles plans. La fameuse formule de Braggexprime la relation entre ces trois quan-tités. Sur elle est basée l’emploi de ladiffraction des rayons X pour déterminerles structures cristallines. Son pèreWilliam Henry Bragg construisait lepremier spectrographe à rayons X et lesrésultats obtenus valaient aux deuxBragg le prix Nobel de physique en 1915.

En 1913, un autre jeune physicien anglaisHenry Gwyn Jeffreys Moseley utilisantd’une part le principe du spectromètrede Bragg et d’autre part s’inspirant destravaux d’un autre anglais Charles GloverBarkla, mesurait avec précision leslongueurs d’onde X émises par diffé-rentes sources frappées par des élec-trons. Il découvrait ainsi la suite desfréquences X caractéristiques émisespar la succession des éléments et

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Les origines de ladiffraction des rayons XLes rayons X furent découverts à Wurz-burg en Allemagne le 8 novembre 1895par Wilhem Conrad Röntgen. Ils résul-taient de l’impact d’un flux de rayonscathodiques (électrons) provenant d’untube à décharge sur une surface miné-rale. Ces mystérieux « rayons » étaientcapables d’exciter la fluorescence d’unluminophore protégé au moyen d’unefeuille de papier noir de la lumière visibleet ultraviolette émise par le tube. Ilstraversaient donc la matière. A cetteépoque l’étendue du spectre des radia-tions électromagnétiques était encoremal connue, cependant l’idée que desondes étaient associées aux rayons Xétait dans l’air. La longueur d’onde étaitsupposée voisine de l’angström (10-10

mètres). En 1912 à l’Université deMünich, dans le Département dirigé parA.J.W Sommerfeld, le physicien alle-mand Max von Laue et un jeune thésardspécialiste de l’optique, Paul Ewald,eurent l’idée de rapprocher cette esti-mation de celle de la distance entre lesatomes dans les cristaux et donc detenter d’utiliser un cristal pour prouverla nature ondulatoire des rayons X parl’observation du phénomène de diffrac-tion. Deux de leurs collaborateurs,W. Friedrich et P. Knipping, après

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1 Correspondant de l’Académie des sciences, directeurde recherche au CNRS

montrait, dans le cadre du modèle deBohr, qu’elles variaient régulièrementavec la charge portée par le noyau. Cequi conduisit Moseley à proposer le clas-sement des éléments par leur numéroatomique, donnant ainsi la clef dutableau périodique de Mendeleieff. Lalongueur d’onde des rayons X émis estdonc la signature d’un élément chimiquedonné ce qui est la base d’une méthodeanalytique (la fluorescence X) largementemployée aujourd’hui.Les premiers expérimentateurs établi-rent assez facilement la structureatomique de composés minéraux sim-ples comme le chlorure de sodium. Lepremier diagramme de diffraction Xd’une protéine (une pepsine cristallisée)fut obtenu en 1934 par John DesmondBernal et Dorothy Crowfoot Hodgkin.

Emission et absorption des rayons XLes rayons X émis par une cible frappéepar des électrons forment un spectrediscret composé d’un petit nombre deraies fines. Ces mêmes éléments sour-ces excités dans un plasma d’arc ou aumoyen d’une étincelle émettent unensemble de raies fines dans le domainevisible ou ultraviolet. Ces spectres carac-téristiques sont utilisables égalementpour l’analyse chimique. L’interprétationde ces spectres de raies (par les théo-ries de la spectroscopie « atomique ») aété longtemps difficile surtout pour leséléments les plus lourds. Ils proviennentde transitions entre les niveaux desconfigurations (identifiées par desnombres quantiques différents) quepeuvent prendre les électrons les plusextérieurs du cortège électronique del’atome. Par contre les émissions Xproviennent de transitions qui affectent

Quartz

Les rayons Xet lastructurede la matièrepar Paul Caro 1

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est extrêmement élevée. Elle surpassede beaucoup celle des sources conven-tionnelles de rayons X exploitées depuisRöntgen (d’un facteur qui atteint aujour-d’hui 1014 !). L’utilisation relativementrécente d’onduleurs, systèmes magné-tiques qui permettent d’obtenir uneaccélération périodique transverse desélectrons, a permis d’augmenter considé-rablement l’intensité du rayonnement Xdans un domaine de longueur d’ondeque l’expérimentateur peut choisir. Celapermet d’explorer avec des sources trèsbrillantes des échantillons autour duseuil d’absorption des atomes qui leconstituent avec des conséquencescapitales pour l’établissement desstructures cristallines notammentcelles des protéines. Les études des

structures fines de l’absorption auniveau du seuil (EXAFS, ExtendedAbsorption Fine Structure) ont été trèsutilisées par les chimistes pour avoirdes informations sur l’environnementimmédiat d’un atome dans un matériaucomplexe (catalyseur par exemple) oupour suivre des cinétiques.

Les principes des appa-reils de caractérisationLa quasi totalité des appareils de carac-térisation reposent sur l’enchaînementde trois phases expérimentales:

1/ L’utilisation d’une source de rayon-

Les sources de rayons X

Les sources classiques de rayons X sontdes tubes scellés qui délivrent unepuissance maximale d’environ 2 kW.Le métal bombardé (du cuivre parexemple) émet des rayons X sous laforme d’un spectre continu auquel sesuperposent des raies intenses carac-téristiques du métal. On a aussi déve-loppé des générateurs à anode tour-nante qui diminuent les risquesd’échauffement et dont la puissanceatteint 20 kW. Ces sources sont utilisésdans les laboratoires.

En dehors des émissions d’origineatomique les rayons X peuvent êtreobtenus sous forme d’un spectre

continu comme conséquence du frei-nage d’un faisceau d’électron d’uneénergie supérieure à 150 MeV par lamatière (bremstrahlung), ou encore enaccélérant des électrons à des vitessesrelativistes sous un champ magnétiquedans des orbites circulaires. Cettedernière technique est utilisée pourproduire le rayonnement synchrotron,de plus en plus ut i l isé commesource de rayons X pour des étudesstructurales, mais qui demande desinstitutions spécialisées (comme l’ESRFà Grenoble ou le futur « Soleil » àOrsay). Une source synchrotron produitun faisceau X très étroit avec une faibledivergence angulaire dont la brillance

des configurations qui comportent desélectrons profonds. La spectroscopie Xest donc une spectroscopie « de cœur ».Comme pour les spectres « atomiques »les émissions ne se produisent que sil’atome est contraint par une sourced’énergie extérieure de « passer » dansun état excité d’où il revient à son état debase en émettant des photons. La capa-cité d’émettre (fluorescence) a pourcorollaire la possibilité d’absorptions qui,dans le cas où l’on reste dans le cadrede la gamme des configurations exci-tées possibles, se traduisent souvent pardes raies d’absorption fines qui sont toutaussi bien que les émissions des signa-tures analytiques précises.L’absorption des rayons X par la matièreest d’autant plus probable que les

numéros atomiques des atomes consti-tutifs sont plus élevés. Les tissus consti-tués d’éléments légers sont aisémenttraversés alors que les milieux densescomposés d’atomes plus lourds, commel’os, absorbent le rayonnement. Cesdifférences sont une source de con-trastes qui permettent de produire desimages. Les radiographies montrant l’in-térieur du corps comme un jeu d’ombreet de lumière ont été obtenues très tôt(par Röntgen lui-même avec la main desa femme). Avant d’être un outil médicalces clichés ont été des curiosités exhi-bées dans les fêtes foraines.

nement qui peut être électromagnétiqueou des particules comme les neutrons,les électrons ou d’autres ou même desondes sonores.

2/ La mise en œuvre d’une interactionentre un échantillon à étudier et le rayon-nement, ce qui peut se faire sous vide,en atmosphère conditionnée, ou encoreen fonction du temps, sur des mono-cristaux ou sur des poudres. Pouramener le rayonnement « à piedd’œuvre » on utilise des filtres, desmonochromateurs, des collimateurs,des miroirs… L’échantillon lui même estplacé dans un diffractomètre. On peutmodifier les orientations du cristal parrapport au rayonnement incident defaçon à recueillir le maximum dedonnées en s’appuyant sur un pilotagepar ordinateur.

3/ La mesure des résultats de l’interac-tion au moyen de détecteurs (commedes plaques photographiques, descellules photoélectriques; aujourd’hui,on emploie surtout des CCD ou desdispositifs d’imagerie). On observe lesdirections des faisceaux diffractés, réflé-chis ou diffusés dans les trois dimen-sions de l’espace, leur intensité, oud’autres propriétés comme la polarisa-tion. On réalise aussi des mesures deseffets produits au niveau de l’échantilloncomme des émissions secondairesd’électrons, des fluorescences, etc… Lamesure des énergies associées auxémissions et aux absorptions est unespectroscopie.

Dans tous les cas les mesures se tradui-sent par des tableaux de chiffres. Ens’appuyant à la fois sur la théorie, l’or-dinateur et les modèles qu’il imagine, lechercheur peut transformer le tableaude chiffres en images. Par exemple dansle cas de la diffraction des rayons X, encartes représentant la densité électro-nique au niveau atomique dans unéchantillon. Cette opération exige d’ef-fectuer un grand nombre de calculs quin’ont pu être menés à bien rapidementque grâce à l’existence assez récented’ordinateurs puissants et de logicielsadaptés. Pendant longtemps l’obtentiondes structures a demandé un patientlabeur qui pouvait s’étaler sur desannées et qui, aujourd’hui, avec denouveaux instruments, peut se réduireà quelques jours.

L’interaction rayonnement matièredans le cristalLa théorie du milieu cristallin a été extrê-mement développée comme branche dela physique et comme branche desmathématiques. La périodicité desmotifs atomiques caractérise le cristal.La plus petite unité contenant la totalitédes motifs est la maille élémentaire qui

Gypse,

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siques ne permettaient pas d’avoir desinformations sur un atome comme l’hy-drogène. Mais aujourd’hui les techniquessynchrotron les plus récentes, commecelles mises en œuvre à l’ESRF, ontpermis d’établir la structure de l’hydro-gène jusqu’à 120 Gpa, et celle de la glaceà 170 Gpa. A la différence des rayons Xles neutrons ne sont diffractés que parles noyaux, ils peuvent donc permettred’obtenir des informations sur desatomes légers qui les diffractent bien,comme l’hydrogène.

Le problème majeur dela cristallographie et sessolutionsDans l’opération de diffraction oneffectue donc une transformée deFourier de la répartition périodique tridi-mensionnelle des densités électroniquesdans le volume du cristal réel. Ceciimplique que les détecteurs après l’in-teraction du faisceau X avec un mono-cristal devront enregistrer les positionset les intensités associées à une sériede points (les « taches » de diffraction)correspondants aux nœuds du réseauréciproque associé à celui du cristal(dans l’opération de transformation d’unréseau en réseau réciproque les famillesde plans réticulaires parallèles duréseau direct deviennent des nœuds duréseau réciproque). En effet, ce sont lesseuls endroits où la transformée n’estpas nulle (d’après les propriétés destransformées de Fourier des fonctionspériodiques). De plus les amplitudes desondes X diffractées sont reliées au déve-loppement en série de Fourier de ladensité électronique dans le cristalexaminé à travers une quantité complexeappelée « facteur de structure » dont lavaleur globale dépend des facteurs dediffusion caractéristiques des atomesqui se trouvent sur les plans du réseaudirect. Mais il y a un problème: il ne suffit

l’importance de l’imagination des cher-cheurs dans la construction des modèlesqui permettent de simuler par le calculles résultats expérimentaux.

Réaliser une diffraction revient à effec-tuer expérimentalement une opérationqui est équivalente à une transforméede Fourier de l’espace périodique en troisdimensions du cristal (on peut produireexpérimentalement des transforméesoptiques d’images périodiques bidi-mensionnelles avec un laser). Les rayons Xsont essentiellement diffractés par lenuage électronique dans le cristal. Celui-ci est beaucoup plus dense au voisinagedes nœuds du réseau atomique où sesituent des atomes, surtout si ceux-cisont lourds (numéro atomique élevé),c’est à dire ont beaucoup d’électrons.Les rayons X sont donc plus sensiblesaux atomes lourds qu’aux atomes légers.En conséquence les techniques clas-

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Dossier

se reproduit à l’infini dans toutes lesdirections de l’espace. Elle définit leréseau cristallin comme réseau depoints (centrés sur les noyauxatomiques) et fixe ses propriétés géomé-triques. Les éléments de symétrie de lamaille sont un paramètre fondamentalde la structure du matériau étudié. Lesopérations géométriques qui renvoientle motif atomique en coïncidence aveclui même: translations, rotations parrapport à des axes, inversions parrapport à un point, symétrie par rapportà un plan, ont fait l’objet d’un inventaireprécis qui a abouti dès la fin du XIXe siècleà la définition rigoureuse de 230« groupes d’espace » (« groupes » parceque les opérations de symétrie y formentun groupe au sens de la définitionmathématique du groupe) parmilesquels se rangent la totalité des cris-taux. Les structures cristallines ont puêtre classées en sept systèmes selon lenombre et la nature des symétriesprésentes. Cet immense travail théo-rique, condensé pour les chercheurs

dans les Tables internationales de cris-tallographie parues en 1950, est la basefondamentale sur laquelle s’appuiel’analyse des diffractions expérimen-tales.

La saga de la découverte du principe dela structure de l’ADN en 1953 par JamesWatson et Francis Crick (lauréats du prixNobel de médecine en 1962), avec l’aidedes résultats de diffraction X de cristauxd’ADN de Maurice Wilkins (lui aussilauréat en 1962) et de Rosalind Franklin,est un grand exemple spectaculaire dupouvoir de la technique X pour déchif-frer les arrangements de l’infinimentpetit. Mais l’histoire met aussi en valeur

Pyrite

Cérusite

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Dossierprix Nobel de chimie en 1985 pour leurcontribution décisive à l’établissementdes structures cristallines, notammentcelles des matériaux biologiques. Cesméthodes ont mis du temps pour êtreacceptées par les cristallographes, enpartie parce que la complexité descalculs exigeait de puissants ordina-teurs. L’idée est de rechercher une infor-mation statistique sur les phases qui estcachée dans les rapports entre lesintensités des diffractions observéespour des familles de plans réticulairesdont les indices de Miller ont des rela-tions particulières.

La technique de Patterson comme lesméthodes directes peuvent conduire àdes approximations de la structureréelle. Pour améliorer le résultat, il y ades techniques mathématiques qui fontappel à des différences de synthèses deFourier. Il existe de nombreuses sourcessur le réseau Internet qui offrent desprogrammes de calcul. On utilise unmodèle de la structure qui est affinéjusqu’au moment où les différences

entre les diffractions expérimentales etcalculées, évaluées par une méthodede moindres carrés, sont considéréescomme acceptables. Il existe des biblio-thèques de programmes pour conduireces opérations de raffinement. Il fautcependant veiller à la vraisemblancecristallochimique (distances entreatomes) ou aux propriétés chirales etstéréochimiques des fragments molé-culaires impliqués dans la structure…La simulation d’une structure, ou d’élé-ments partiels, obtenue par des calculsde dynamique moléculaire, peut aussiêtre utilisée pour s’assurer de la vrai-semblance de l’interprétation desdonnées de diffraction.

pas d’identifier les labels cristallogra-phiques associés aux nœuds du réseauréciproque (les indices de Miller, unesérie de trois nombres entiers positifsou négatifs) et de mesurer les intensitésdiffractées pour remonter à la densitéélectronique. Il est difficile de reconsti-tuer par une transformée de Fourierinverse la densité électronique au seindu cristal, de trouver la position desatomes dans le réseau direct par l’ob-servation des maxima et de les identi-fier chimiquement (par l’évaluation deleur coefficient individuel de diffusion).En effet, il manque une informationperdue dans l’expérience: la phase del’onde diffractée. C’est le problèmemajeur de la cristallographie structu-rale. Dans une structure centrosymé-trique, pour chaque diffraction la phasevaut 180° ou - 180°, mais pour une struc-ture qui n’a pas de centre de symétriel’angle peut être quelconque. Cetobstacle n’a pu être levé que par le déve-loppement des moyens de calcul liés auprogrès des ordinateurs.

Dans le cas des cristaux minéraux rela-tivement simples, on peut obtenir desdiagrammes de poudre sur des échan-tillons finement broyés qui vontprésenter au faisceau un grand nombred’orientations cristallines permettant demesurer les diffractions de Bragg etd’arriver à une série de chiffres repré-sentant des distances entre plansatomiques. Cette liste numérique a unevaleur analytique: elle caractérise unmatériau. Des banques de donnéespermettent des identifications automa-tiques de composés. Des instrumentsperfectionnés utilisant un rayonnement Xfiltré bien monochromatique, comme lacaméra de Guinier, apportent desmesures très précises qui peuvent êtreencore améliorées par l’utilisation durayonnement synchrotron. Des règlesliées aux groupes d’espace, par exempledes extinctions systématiques decertaines réflexions, permettent souventd’identifier le système cristallin voirele groupe d’espace si la symétrie estélevée. L’application de quelques règlessimples permet de déduire des distancesmesurées les dimensions probables dela maille élémentaire. Il faut ensuite« habiter » celle-ci avec des atomes (ilfaut connaître la composition chimique),un exercice qui permet de proposer unmodèle et de calculer ce que doit être lediagramme théorique en position et enintensité. La comparaison avec l’expé-rience, et l’ajustement, sont grandementfacilités par des méthodes qui utilisentnotamment la mesure précise du profildes raies de diffraction, comme laméthode de Rietveld (1966). On peut ainsiparvenir à établir des structures à partirde diagrammes de poudre dans des casrelativement simples. Cela n’est bien sûrpas possible avec les molécules géantesque sont les protéines.

Confronté à ce problème Max FerdinandPerutz, tentant d’élucider la structurede monocristaux d’hémoglobine eutl’idée en 1954 d’introduire par rempla-cement isomorphe dans certains sitesde la protéine des atomes lourdscomme l’argent et le mercure quidiffractent les rayons X d’une manièreintense si bien que par comparaisonavec les données de la protéine initiale,il est possible de les localiser dans lamaille cristalline en traitant par le calculles amplitudes observées et leurs diffé-rences. L’analyse de Patterson (1934)permet en effet d’obtenir une cartereprésentant la densité des vecteursreliant entre eux les atomes diffractantsdans la maille, ce qui est efficace pourles structures contenant peu d’atomeslourds qui diffractent beaucoup, mais

difficile pour des protéines qui contien-nent un très grand nombre d’atomeslégers. Utilisant une technique analogueJohn Cowdery Kendrew résolvait en1958 la structure d’une protéine pluspetite, la myoglobine. Les deux biochi-mistes devaient recevoir pour leur travaille prix Nobel de chimie en 1962. Grâceà la méthode de Patterson des cristauxcontenant un petit nombre d’atomeslourds se prêtent à une analyse quiconduit à de bons modèles structurauxqui peuvent être ensuite affinés par lecalcul. La difficulté est cependant d’êtrecertain que le dérivé dans lequel estinséré l’atome lourd n’est pas trop diffé-rent de la structure étudiée. Il fautparfois obtenir plusieurs dérivés corres-pondant à des substitutions isomorphesde métaux différents pour résoudre les

ambiguïtés dues au problème desphases. Parmi les structures de molé-cules biologiques importantes établiespar les méthodes cristallographiques ilfaut noter celle de la pénicilline en 1949,puis celle de la vitamine B12 en 1957établies par Dorothy Crowfoot Hodgkin,qui recevra le prix Nobel de chimie en1964, et résoudra en 1969 la structuretridimensionnelle de l'insuline.Il existe pour résoudre le problème dela phase des méthodes plus efficaceset plus rapides qui s’appuient sur unpuissant arsenal mathématique : lesméthodes directes. Elles ont été propo-sées par Herbert Hauptmann et JeromeKarle dès 1949. Ils ont tous deux reçu le

Malachite

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La technique MAD(Multiple WavelengthAnomalous Diffraction)La possibilité d’obtenir des raies Xintenses par le réglage des onduleurssur un anneau synchrotron a permis derésoudre le problème de la phase enrépétant l’expérience de diffraction à troislongueurs d’onde X différentes. On seplace sur un seuil d’absorption d’unatome lourd contenu dans le cristal àétudier (ou introduit dans la structure).On fait une mesure avant le seuil, auseuil et après le seuil d’absorption de cetélément. En effet au voisinage du seuil,le facteur de diffusion atomique indivi-duel de l’élément se modifie : unenouvelle composante avec une partieréelle et une partie imaginaire prend del’importance (diffraction anomale). Cettemodification se comprend puisqu’enmême temps le cortège électronique del’atome est perturbé par des processus

d’absorption. On va jouer sur l’évolutionde ce facteur avec la longueur d’onde Xpour obtenir des informations nouvellesgrâce aux différences dans les intensitésdes diffractions. Au seuil, un certainnombre d’atomes vont diffracter de façonanomale et cela va contribuer aux ampli-tudes et aux phases associées auxréflexions de Bragg. Alors, les phasesd’une paire de réflexions pour lesquellesles trois indices de Miller sont de mêmevaleurs mais de signes opposés, sont de

refroidis à la température de l’azoteliquide ce qui réduit l’agitation thermiquemoléculaire, améliore le rapport signalsur bruit, augmente la résolution (parl’observation de diffractions de Braggassociées à des indices de Miller élevés)et surtout ralentit la destruction du cristal.L’élément le plus couramment utilisépour la MAD est le sélénium. On le trouvenaturellement dans certaines protéineset surtout on peut le substituer au soufre,élément très fréquent dans les protéines.Le sélénium a l’avantage de présenterun facteur de diffusion qui varie d’unefaçon appréciable avec la longueurd’onde X autour du seuil. La contributiondu signal anomal au facteur de struc-ture global est faible, au plus de l’ordrede 4 %. Il faut donc minimiser les erreursdans l’enregistrement des intensités

même valeur mais de signes opposés etdifférentes de celles de la diffraction loindu seuil. Ce qui introduit des différencesanalysables entre les intensités expéri-mentales des taches de diffraction. Pourdes réflexions de Bragg reliées par deséléments de symétrie du cristal, lesphases diffèrent également (paires deBijvoet). Les amplitudes peuvent êtreaffectées aussi si certains atomesdiffractent de façon anomale, d’autrespas. Le point de départ de la détermi-nation des phases va être une carte dePatterson pour reconnaître les vecteursqui relient les uns aux autres les atomesqui diffractent de façon anomale. Outrel’information obtenue pour une longueurd’onde, on peut aussi s’appuyer sur lavariation du facteur de diffusion entredeux longueurs d’onde différentes pour

comparer les diffractions (différencesdispersives).En fait, les différences observées sontfaibles et exigent pour être mesuréesbeaucoup de soin dans le recueil desdonnées. Il faut s’assurer que le cristaln’évolue pas au cours des différentesétapes de la mesure, qu’il n’est pasendommagé par l’impact du faisceau,que le bruit de fond des données estsuffisamment bas, etc… En général dansce genre d’expériences les cristaux sont

diffractées. Deux atomes de séléniumpermettent de déterminer les phasesd’environ 15 kD de protéine. D’autreséléments dont les seuils se situent pourdes longueurs d’onde X comprises entre0,3 et 3 angströms, peuvent être utilisésdans les protéines: Fe, Cu, Br, ou encoreHg, Pt, U et les lanthanides (ceux-ciremplacent souvent le calcium dans lesprotéines).

Des chiffres aux images

Les calculs permettent d’obtenir desimages tridimensionnelles de la struc-ture du cristal, souvent condensées enprojections bidimensionnelles sousl’angle qui exprime le principe de lastructure avec le plus de clarté. On peutreprésenter les densités électroniquesà l’échelle de la maille élémentaire, c’estune sorte de traduction cartographique,

du type « courbes de niveau », des chif-fres relevés. Mais pour faciliter l’inter-prétation cristallochimique ou structu-rale, on utilise des « modèles à boules »avec des sphères ou des points auxnœuds du réseau où se trouvent lesatomes, parfois en jouant sur la couleuret la dimension pour faire « parler »l’image. Dans d’autres cas où l’on s’in-téresse plus à la liaison chimique, on vareprésenter, en totalité ou partiellement,les fragments de droite qui joignent les

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Quartz et pyrite

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Vers le futurUne structure est comme une vision figéede l’arrangement d’atomes. Nos bases dedonnées renferment aujourd’hui de trèsnombreuses représentations. Dans cer-tains cas les structures évoluent d’unefaçon dynamique et cela peut être leurpropriété essentielle. Surtout pour lesprotéines qui passent d’une forme à uneautre en fonction de sollicitations exté-rieures, thermodynamiques ou chimiquesou simplement en fonction du temps. Ledéfi pour les structuralistes est de saisircette évolution. La technique de la diffrac-tion de Laue qui utilise un faisceau derayons X « blancs » (polychromatique)permet d’abord d’avoir une idée de la symé-trie du cristal et de son orientation maisaussi, si les taches de diffraction du dia-gramme de Laue peuvent être mises enrapport avec la longueur d’onde associée,elles permettent d’accéder à la structure.En raison de la nature pulsée des émis-

sions synchrotron il est possible de réaliserdes mesures résolues dans le temps quicapturent l’évolution d’une structure. Larésolution temporelle est limitée par lalongueur du paquet d’électrons sur lesanneaux de stockage (50 picosecondes).La détermination du comportement dyna-mique de structures soumises à descontraintes, allant jusqu’à l’observationdirecte de réactions chimiques, est certai-nement le nouveau défi de la cristallogra-phie expérimentale �

sites atomiques. Cette représentation al’avantage de mettre en évidence lespolyèdres de coordination autour decertains atomes qui font partie de l’ar-senal conceptuel des cristallochimistes.Les trois modes de représentations sontinterchangeables et il y a aujourd’huides programmes qui permettent depasser de l’un à l’autre. Ils utilisent engénéral des procédures VRML (VirtualReality Modeling Language, apparu en1994). Ces programmes permettent de« faire tourner » les images en trois di-mensions et donc donnent à voir unestructure sous différents angles. Ilsoffrent en matière de publication élec-tronique un avantage considérable parrapport aux publications papier. Ilss’adaptent bien à l’imagerie des pro-téines.

Les protéines sont des macromoléculesfaites de 20 L-aminoacides différents.En dessous de 40 aminoacides onpréfère le terme peptide. Les protéinesmultifonctionnelles peuvent contenir descentaines d’aminoacides. La séquencedes aminoacides est la structure pri-maire d’une protéine ou d’un peptide. Laconformation dans l’espace des protéinesest une caractéristique essentielle deleurs propriétés biologiques. Il est doncsouvent important de la connaître. Les

enchaînements d’aminoacides adoptentun certain nombre de formes fréquentes,comme l’hélice alpha, le feuillet, le ruban,le pli, la boucle, le virage… qui sont utili-sées pour construire les images deprotéines. Les liaisons hydrogène jouentun rôle fondamental dans la formationet la stabilité de ces conformations.Comme la position individuelle desatomes est difficile à représenter à causede leur nombre, on a tendance à privilé-gier des volumes qui expriment une fonc-tionnalité ou une identité chimique. L’en-veloppe de ces volumes est la surface deVan der Waals du groupe moléculaire.Les images de structures de protéinessont en conséquence assez différentesde style et d’apparence par rapport àcelles qui sont familières aux chimistesdu solide ou aux organiciens. Les blocs

fonctionnels peuvent aussi être employéspour raffiner les structures car onretrouve des constantes d’un produit àun autre. Les constructeurs de modèlesexploitent l’arsenal des conformationsconnues au sein des protéines pour s’ac-corder avec les données expérimentalesobtenues d’un cristal inconnu.

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par Paul Caro 2

Question:Quelle révolution introduit le rayonne-ment synchrotron dans l’établissementdes structures des matériaux biolo-giques?

Yves Petroff:Dans le domaine de la biologie, les pre-mières structures cristallographiquesde molécules ont été faites à Cambridgeavec des résolutions peu élevées maisremarquables pour l’époque. A partir dumoment où on a eu accès au rayonne-ment synchrotron il a été possible dedescendre à des résolutions qui main-tenant tournent autour de l’angström oud’un angström et demi, ce qui est un pasconsidérable par rapport à ce qui sefaisait il y a 20 ans. D’autre part, alorsqu’il fallait autrefois un ou deux ans detravail pour déterminer la structure,aujourd’hui on peut l’obtenir en quelquesheures.

Le rayonnement synchrotron est unrayonnement blanc en principe, quelleest la différence par rapport aux sourcesclassiques anciennes de RX?

Il est blanc sauf si l’on utilise des ondu-leurs, on obtient alors une série de raiesintenses dont la largeur est de quelquescentaines d’eV à 10 KeV. Le gain enbrillance par rapport à une sourceconventionnelle de rayons X est de l’ordrede 1010. Comme on peut maintenantfocaliser les faisceaux à des tailles infé-rieures au micron, on peut travailler surde très petits cristaux et on sait que pourles composés biologiques, plus le cristalest petit, meilleurs sont les résultats. Onpeut donc exploiter de tout petits cris-taux pour obtenir de bonnes résolutions.

Il existe aujourd’hui une optique des RX?Il y a eu énormément de progrès aucours des dix dernières années pour lesoptiques des rayons X. On arrive main-tenant à faire des miroirs qui ont unerugosité de l’ordre de l’angström et deserreurs de pente de l’ordre de 0,2 à 0,3microradians. C’était absolument im-pensable il y a dix ans! A l’ESRF il y a unedizaine d’années, on a construit deuxlignes qui étaient supposées fournir desfaisceaux très petits de l’ordre de 10 ou15 microns, aujourd’hui il y a beaucoupde lignes à l’ESRF qui ont cette caracté-ristique et il y en a plusieurs qui permet-tent de descendre en dessous du micron.Cela est du d’une part aux qualités desmiroirs, d’autre part à des progrès dansla mise au point de nouvelles lentillesfaites avec des éléments légers quipermettent de refocaliser le faisceau surun diamètre qui est actuellement d’unmicron, et on pense que l’on pourradescendre à 0,1 ou 0,2 microns.

La cristallographie des protéines estassez différente de celle des composésminéraux ordinaires, quel type dediffraction utilise-t-on?Essentiellement de la diffraction clas-sique, sauf que pour résoudre le pro-blème de la phase, on se place sur unseuil d’absorption d’un élément lourd,par exemple celui du sélénium que l’ontrouve assez souvent dans certainesprotéines. On peut aussi remplacer les

atomes de soufre des protéines par dusélénium. On peut résoudre le problèmede la phase en faisant trois mesures,avant le seuil, après le seuil et à peu prèsau seuil, une technique qui s’appelle leMAD (Multiple-wavelength AnomalousDiffraction). Il y a quelques années ellen’était utilisée que pour quelques % desstructures de protéines résolues, main-tenant 70 ou 80 %.

Et la diffraction de Laue?Au départ, la première ligne de l’ESRFétait une ligne de Laue, construite à lademande des biologistes. Aujourd’huicette technique ne sert pour ainsi direplus en cristallographie des protéinessauf lorsque l’on veut faire de la diffrac-tion résolue en temps. On peut essayerde suivre à l’échelle des 100 picose-condes à peu près ce qui se passe dansune structure de protéine. Par exemplesur l’hémoglobine quand on fixe l’oxydede carbone sur le fer divalent dansl’hème. On irradie avec un laser picose-conde qui va casser la liaison entre le feret le CO et on peut suivre la migration duCO dans le cristal ainsi que la manièredont les liaisons se réarrangent. Seulesles expériences résolues en tempsemploient encore le Laue.

Est-ce que l’on établit les structures encomparant les résultats expérimentauxavec les prédictions d’un modèle?Il est impossible de prévoir actuellementles structures des grosses moléculescomme on peut le faire pour les petites.Par contre il existe des bases de donnéesavec des sous-ensembles qui ont déjàété étudiés. Pour établir la structure

d’une nouvelle protéine, on s’appuie surdes sous-ensembles connus. Á l’ESRF,pour une protéine moyenne il faut à peuprès 10 minutes pour enregistrer lesdonnées, positions et intensités destaches de diffraction. On peut en recueillirdes millions en quelques minutes avecdes détecteurs bi-dimensionnels qui sontle plus souvent des CCD. Á partir de cesdonnées on reconstruit l’image très faci-lement. La partie software traitée par depuissants ordinateurs, est extrêmementimportante. Les méthodes se sont beau-coup développées depuis une dizained’années. En général les grandes équipesqui s’occupent de structures de protéinesfont tout. Elles commencent par faire la cristallisation, puis l’acquisition desdonnées, enfin la structure elle même.Ceci dit ce qui les intéresse c’est la fonc-tion biologique et pour l’instant la déter-mination de la structure est un passageobligé. Si on a un tout petit cristal d’unetaille de 10 ou 15 microns, il est difficileà aligner et, typiquement, il faut quinzeminutes, ce qui est un peu aberrant parcequ’il faut dix minutes ensuite pourprendre suffisamment de points expéri-mentaux! Les mesures se font à unetempérature voisine de celle de l’azoteliquide, un gaz froid arrive sur l’échan-tillon. On assiste à une automatisationcomplète de toute la chaîne. Des robotssont développés actuellement quipeuvent recevoir 60 à 80 échantillons. Ily en a à l’ESRF, à Stanford, à Berkeley…Ils permettent de changer un échantillonen 30 secondes. C’est important, parceque lorsque l’on cherche à résoudre desstructures compliquées comme cellesdu ribosome ou de certains virus, laqualité des cristaux est extrêmementimportante et donc il faut souvent testerun très grand nombre de cristaux avantd’en trouver un qui va diffracter à 1,5angströms ou à 2 angströms alors qu’ily en a plein d’autres qui diffractent à 3, 4,ou plus. Certains chercheurs rêvent d’en-voyer leurs cristaux par la poste pour untraitement automatique, c’est vrai pourdes cristaux biologiques d’un intérêt

1 Université de Californie-Berkeley, directeur hono-raire du LURE (Laboratoire pour l’utilisation durayonnement électromagnétique) et de l’ESRF(European Synchrotron Research Facility)

2 Correspondant de l’Académie des sciences, directeurde recherche CNRS

L’apport du rayosynchrotron à la Entretien avec Yves Petroff 1

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La partie biologie moléculaire repré-sente quelle fraction de l’activité dessynchrotrons?Actuellement c’est de l’ordre de 25 à 30 %. Le reste c’est essentiellementphysique des solides, matériaux, chimie,géophysique, physique atomique etmoléculaire… Parmi les techniquesque les chimistes aiment bien il y al’EXAFS (Extended X ray AbsorptionFine Structure) qui est moins utiliséequ’il y a une dizaine d’années, car l’in-terprétation s’est révélée complexe. Ily a de plus en plus de gens qui s’inté-ressent à ce qui se passe au seuil d’ab-sorption, l’examen du seuil avec de la lumière circulairement polariséeapporte énormément d’informationssur la structure électronique de l’atomeconcerné .� � �

scientifique moyen, par contre pour lesgrands problèmes, comme l’interactiondu ribosome avec les antibiotiques, il vautmieux participer directement aux expé-riences!

Comment se compare la technique dela diffraction avec la RMN?Le grand avantage de la RMN par rap-port aux rayons X, c’est que l’on peutla faire sur un liquide, on n’a pas besoind’avoir des cristaux. La faiblesse de laRMN c’est qu’elle ne peut pas résoudredes structures d’un poids moléculairesupérieur à 30000 dalton. Or, la plupartdes structures qui intéressent aujour-d’hui les biologistes, comme le ribosome

ou les virus, ont des poids moléculairesdans la gamme des millions de dalton,et donc la RMN actuellement ne peutpas apporter de solutions.

L’industrie pharmaceutique est-elleintéressée par les lignes de lumièresynchrotron?Á l’ESRF actuellement il y a une quin-zaine ou une vingtaine de sociétés quiachètent régulièrement du temps defaisceau dont certaines américaines. Parcontre aucun groupe européen n’a voulumonter une ligne complète. C’est unetrès grosse différence avec ce qui sepasse aux États-Unis. Il y a trois ouquatre ans à l’ESRF, on a commencé àavoir des contacts avec une dizaine degrandes sociétés européennes commeGlaxo, Wellcome, Adventis, Novartis,

etc… Les discussions durent depuisdeux, trois ans et n’ont toujours pasabouti, alors qu’à Berkeley, qui a unanneau beaucoup plus petit, il y a deuxlignes de biologie structurale qui sontentièrement financées par l’industriepharmaceutique. L’une d’entre elles l’estd’ailleurs par une compagnie pharma-ceutique européenne… L’Europe est donctrès en retard, en partie parce que,comme il est déductible des impôts desentreprises, un investissement de cetype est moins coûteux aux États Unispour des raisons fiscales. Il faut direaussi que là-bas le marché du travail estplus flexible: il est plus facile de débau-cher le personnel…

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nnementcristallographie

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Dossier

Quel est l’historique de l’installation dessynchrotrons en Europe?Les premières expériences avec lessynchrotrons en Europe ont été faitesdans les années 60 à DESY (Hambourg)et par Yvette Cauchois à Frascati (anneauADA). Elle avait demandé la construc-tion d’une ligne de lumière à Orsay maiscela n’a abouti que 10 ans plus tard avecACO. A cette époque il n’y avait en Europeque trois centres d’expériences. Leschercheurs y vivaient plus ou moins enparasites des spécialistes des hautesénergies auxquels ils empruntaient lalumière à bas coût puisqu’ils ne payaientpas la machine… Ensuite on a construitspécialement pour le rayonnementsynchrotron à Daresbury (UK), à BESSY(Berlin), ou plus tard Super ACO à Orsay.Maintenant, il y en a partout. Aux États-Unis il y avait aussi au début de petitsanneaux, le premier Tantalus de quel-ques mètres de diamètre comme ACO,et par la suite, Brookhaven, Stanford,plus récemment l’ALS à Berkeley, l’APSà Argonne et Cornell aussi. L’ESRF a étéconçu il y a très longtemps, dans lesannées 75. Après 10 années de gesta-tion la décision a été prise, dans lesannées 87-88. Avoir attendu n’est pasun mal, car la machine finale est trèsdifférente de ce qu’elle aurait été quel-ques années auparavant! Elle a béné-ficié de l’expérience acquise avec lesonduleurs. L’émittance qui a été obtenueest la meilleure que l’on puisse avoir. Laconstruction a eu lieu dans les tempsprévus. Le futur laboratoire national,« Soleil » a beaucoup traîné. Je croisqu’une source nationale est importantecar un établissement international nepeut pas accorder trop de temps à uneseule équipe. Un centre national devraitpermettre des expériences de rechercheoriginales, audacieuses, risquées etdemandant beaucoup de temps de fais-ceau. Ceci est un peu plus difficile surles installations internationales vu lapression de la demande.

Quels sont les rapports entre les grandséquipements et la recherche fonda-mentale?On ne résout jamais un problème enphysique avec une seule technique.Quelqu’un qui fait des couches magné-tiques utilise le rayonnement synchro-tron, mais il travaille aussi avec un SQUID,il fait des mesures de transport, il utilisecinq ou six techniques. Il est vrai que dansbeaucoup de domaines le rayonnementsynchrotron devient indispensable. Ilfaudrait quand même donner deuxchiffres car ils sont mal connus engénéral, le budget du CNRS est de

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Qu’en est-il de la microscopie X?On peut faire des images, en particulierpar l’exploitation de la cohérence, avecdes résolutions variables selon le do-maine d’énergie, on peut faire en con-traste de phase des images d’objets quin’absorbent pas comme les polymèresavec des résolutions de l’ordre de 0,5microns. Par contre, dans le domainedes rayons X mous il y a énormément dechoses qui se développent autour dumagnétisme et autour de microscopesà photo-émission qui exploitent aussi ledichroïsme et qui permettent d’avoir desrésolutions de l’ordre de 300 angströms.On espère descendre à Berkeley à 50angströms et à BESSY (Berlin) à 10angströms. Il y a de plus en plus cou-plage de la microscopie dans le domainedes rayons X mous avec des techniquesde spectroscopie pour caractériserl’échantillon. En biologie, on peut faireavec une résolution de 300 angströmsdes tomographies de cellules ou decolloïdes. En microscopie électroniqueil faut travailler sur des échantillons quisont très minces alors que là on peutprendre des cellules qui font dix micronsd’épaisseur.

Entretien avec Yves Petroff

Est-ce que, dans le domaine de la phy-sique et de la chimie, les industriels fontappel aux possibilités du rayonnementsynchrotron?Il y a de plus en plus d’industriels quiutilisent l’imagerie de contraste dephase. En diffraction de poudres il y aaussi pas mal d’industriels qui utilisentle rayonnement synchrotron à cause dela très haute résolution. Selon qu’unmédicament est amorphe ou cristallisésa réactivité est vraiment différente: denouvelles lois en Europe vont imposerune caractérisation plus précise sur cepoint aux sociétés pharmaceutiques.Dans le domaine de la microélectroniquepar exemple en ce moment à Berkeleyil y a trois lignes de lumière qui sontfinancées par des industriels commeIntel, IBM, Motorola. Le but est de cons-truire les éléments qui permettront defaire les masques pour fabriquer lanouvelle génération de puces qui seramise sur le marché en 2007, peut-êtreavant, avec un écart entre les gravuresde circuits de l’ordre de 500 angströms.Cela a déjà été fait en laboratoire, troislaboratoires nationaux américains,Berkeley, Livermore, Los Alamos, onttravaillé avec les sociétés concernées.C’est un projet de 150 millions de dollarset ils ont réussi à faire des optiques quipermettent d’atteindre la résolution de500 angströms souhaitée. Dans le do-maine du magnétisme, tout ce qui est liéà la magnétorésistance géante intéres-se des industriels comme Siemens,Thomson, IBM, pour comprendre lesmécanismes qui commandent la capa-cité de stockage de données sur desdisques durs. Il n’y a plus beaucoupd’écart entre les découvertes fonda-mentales et leur mise en œuvre indus-trielle. La magnétorésistance géante aété découverte en 1988 et quelquesannées plus tard IBM l’utilisait pour desproduits grand public. Pour la rechercheindustrielle l’Europe est très frileuse, iln’y a pas la tradition des États-Unis. Lesindustriels sont intéressés par un ré-sultat. Pour cela, ils sont prêts à sous-traiter, ce n’est pas un problème d’argent.Ce qu’ils ne veulent pas, c’est construiredes structures avec du personnel pourfaire de la recherche. On a des efforts àfaire en Europe pour s’adapter à ce typede demande. L’Europe devrait se de-mander pourquoi ses industries phar-maceutiques installent leurs laboratoiresaux États Unis et c’est une question qu’ilne faut pas se poser trop tard…

16 milliards de francs par an, le CNRSdoit contribuer au budget de l’ESRFpour une somme de 60 millions par an!(pour 1200 utilisateurs français par an).C’est quand même une goutte d’eau dansson budget global. Le budget de l’ESRFest de 420 millions de francs et la Franceen paie à peu près 25 ou 26 % soit100 millions par an partagés entre le CEAet le CNRS. Le coût de ces instrumentsinternationaux peut paraître élevé maisil faut reconnaître qu’ils sont en généralbien gérés. Au delà d’une certainesomme, à l’ESRF les acheteurs négo-cient le prix, ce qui fait que lorsque je suispassé de LURE à Grenoble je me suisaperçu que l’équipement que j’achetaisà Orsay me coûtait plus cher qu’àGrenoble. En effet à l’ESRF on négociesystématiquement et il y a une souplesseadministrative, une légèreté adminis-trative, qui fait que, par exemple, on a puconstruire un hôtel de 200 places, quirevient à peu près à 10 euros par jour petitdéjeuner compris, et qui a été amorti en5 ans. On n’a jamais été capable àOrsay de construire un hôtel pouraccueillir des gens qui viennent travaillerla nuit, qui travaillent 18 heures et quisont obligés après ça d’aller se loger enville. L’ESRF a aussi négocié avec lesgrandes compagnies aériennes, ce quifait qu’en l’an 2000, pour 5000 utilisa-teurs, le budget des voyages, logementset repas compris, n’a été que de7,3 millions de francs. Si on savait fairedes économies au CNRS, on ne se pose-rait plus la question du choix entre lesgros instruments et les petits instru-ments… En ce qui concerne la carrièredes chercheurs, souvent des personnelsdétachés, il y a un problème. Ils ont unedouble tâche, ils font une recherchepropre et ils font de la recherche deservice pour d’autres et souvent la nuitet le week-end. En conséquence, je croisqu’ils ne doivent pas rester plus de dixans dans un organisme de ce type parcequ’on les tue! Il faut donc des ponts pourque les chercheurs puissent repartir dansleurs organismes d’origine ou ailleurs. Ily a une espèce de blocage actuellementau niveau de Soleil parce que vous nepouvez pas demander un travail de trèshaut niveau à des gens et les payer avecles salaires ridicules du CNRS. Je croisque cela conduit la recherche en Francedans le mur. En plus, c’est le seul paysau monde qui n’a pas de post-docs! Lesétrangers peuvent venir en France, maisquelqu’un qui a fait sa thèse à Paris nepeut pas aller en post-doc à Marseille!Je sais que c’est un sujet tabou, mais,vraiment, les post-docs, c’est ce qui faitla force des laboratoires! �

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Dossier

Par Remy Mosseri1

Jusqu’au milieu des années 80, toutcristallographe sensé, placé devant

un cliché de diffraction ponctuel, auraitdiagnostiqué sans hésiter la présenced'un ordre atomique périodique, seulsusceptible d'engendrer, par effet d'in-terférences constructives, des pics de« Bragg ». On comprend alors le grandétonnement, voire la stupeur ou l’incré-dulité profonde, qui a gagné cettecommunauté, et avec elle l’ensembledes physiciens de la matière condensée,de voir publié dans une revue réputée,un cliché de diffraction électronique quisemblait contredire les bases même decette discipline. Obtenu sur un alliageapparemment banal d'aluminium et demanganèse, il présentait en effet un

caractère ponctuel, signature d’un ordreà grande distance, et une symétried'orientation correspondant au groupede l'icosaèdre, le cinquième solide pla-tonicien, constitué de 12 sommets et 20 faces triangulaires. Or, ce groupecontient des axes d'ordre cinq, et c'estun théorème que symétrie pentagonaleet périodicité ne sont pas conciliables:point de salut en dehors des tables decristallographie, qui énumèrent lesgroupes d’espaces, et donc les différentstypes d’ordre atomique à grandedistance possibles (les phases dites

“incommensurables” sont alors bieninterprétées comme modulations dephases cristallines). Les auteurs de lapublication (deux Israéliens, D. Schecht-mann et I. Blech, un Français, D. Gratias,et un Américain, J.W. Cahn), bien sûrconscient de ce qu'allait être la réactionà leur travail, avaient tourné et retournéla question dans tous les sens (etpendant plus de deux ans pour lepremier d'entre eux), cherchant à débus-quer l'artéfact qui invaliderait le fait expé-rimental. Mais nos quatre chercheursfinissent par se convaincre que celui-ciest solide, quand bien même ils nepeuvent alors l'expliquer (c'est à direproposer une structure microscopiquecorrespondante).

Rien n’excite plus la curiosité et l’imagi-nation des scientifiques qu’un paradoxe,surtout lorsque celui-ci remet en causedes principes bien établis. Notons bienqu’un ordre icosaédrique, toujours limitéà courte ou moyenne distance, s’étaitdéjà manifesté dans diverses structuresatomiques, comme des agrégats métal-liques ou de gaz rares, des métauxamorphes, où bien encore dans certainscristaux à grandes mailles répétitives.Mais dans le cas présent, quelque soitle niveau où on les observe, depuisl’échelle atomique jusqu’à celle demicrocristallites (figure 1), ces matériauxprésentent des symétries pentagonales.

Les quasicristaux posent ici un pro-blème, car il sont trop ordonnés pour sesatisfaire des approximations et simu-lations à l’œuvre dans les verres, maispas assez ordonnés pour pouvoir utiliserpleinement les outils de la symétrie

(comme le fameux théorème de Blochpour calculer les comportements élec-troniques). Et, de fait, les dix dernièresannées ont vu attacher à ces matériauxdes propriétés très originales: très faibleconductivité, très grande dureté suivied’une spectaculaire transition fragile-ductile à haute température, très faiblefriction,… Une bonne compréhension detous ces phénomènes est loin d’êtreachevée, et laisse présager de bellesétudes à venir. En parallèle, des idéesd’application industrielle très diversessont sérieusement envisagées, voiremême déjà réalisées dans le cas decertains ustensiles de cuisine! �

En l’espace de quelques mois, ils sontdes centaines à s’attaquer au problème,dans un contexte pluridisciplinaireoriginal, qui va des mathématiciens auxmétallurgistes. Une première étape serarapidement franchie grâce aux pavages

du plan de Roger Penrose (proposés dixans plus tôt et généralisés depuis à troisdimensions), qui prouvent qu’il estpossible de réconcilier l’ordre et lessymétries interdites (ici pentagonales eticosaédriques) en se limitant pour lepremier à une forme plus faible, la quasi-périodicité (voir figure 2). Ces pavagesdonnent alors une image approximativedu type d'arrangement atomique dansces nouveaux alliages. Entre temps, denouveaux alliages, d’une qualité struc-turale toujours accrue, ont permis desétudes toujours plus fines.Le physicien du solide entend toujourspouvoir relier structure et propriétés.1 Directeur de recherche CNRS

Les quasicristaux,ou comment la nature déjoue

les théorèmes

figure 1, micro-quasicristaux à facettage icosaédriques dans des alliages Aluminium-Lithium-Cuivre figure 2, le pavage de Penrose montre comment il est possible de paver parfaitement un plan, avec deuxtypes de losanges (dont les angles sont des multiples de π/5), et de façon quasipériodique.

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Questions d’actualité

Les groupesen physiquedes particules

Par Maurice Jacob1

Einstein a dit à propos du monde quela chose la plus incompréhensible

est qu'il nous soit compréhensible. Laphysique qui contribue de façon clé àcela a pris de longue date un aspectformel dans la mesure où elle s'appuiesur des lois qui revêtent une formemathématique. Elle se caractérise pardes concepts qui doivent être librementinventés et dont la valeur et l'intérêtdécoule d'une confrontation de plus enplus poussée avec l'expérience, mais lesconséquences et la portée de ces con-cepts sont analysées sous une formemathématique. On a beaucoup écrit surle rôle surprenant que peuvent ainsijouer les mathématiques, pures créa-tions de l'esprit, dans la compréhensiondes phénomènes et ce fut en particulierle cas pour Eugène Wigner qui joua unerôle si important dans l'exploitation dela théorie des groupes en physiquequantique.La théorie des groupes est un outilmagnifique dans la mesure où denombreux concepts font appel à despropriétés de symétrie, soit d'invariancepar rapport à certaines transformations.Ces symétries ne concernent le plussouvent pas des objets, comme dans lecas de la cristallographie, mais les loisqui traduisent la dynamique. Par ex-emple, l'invariance des lois physique parrotation entraîne la conservation dumoment cinétique mais aussi une symé-trie traduite par la présence de motifsabstraits que l'on peut associer aux 2 J+1états quantiques d'une particule de spinJ. Le groupe des rotations est un outilremarquable pour rassembler toutes lespropriétés quantiques liées au spin en

physique atomique, en physique nuclé-aire puis en physique des particules. Iln'est qu'un élément du groupe de Poin-caré qui sert de cadre à toute la ciné-matique relativiste.

Une première extension plus abstraitede ce type de symétrie apparut enphysique nucléaire puis en physique desparticules. Elle traduisait encore unepropriété d'invariance mais il s'agissaitde l'invariance des interactions fortespar rotation dans un espace abstraitcette fois, qui est l'espace des charges,où l'on passe ainsi d'un neutron à unproton, mais aussi simultanément d'unπo à un π+ et d'un π- à un πo, par rota-tion dans cet espace. On en déduit laprésence de motifs qui rassemblent lesdifférents états de charge associés aumême ”spin isotopique“, comme leproton et le neutron (doublet de spinisotopique 1/2), les trois pions π+,πo etπ- (un triplet de spin isotopique 1), etainsi de suite. Avec la découverte desparticules étranges dans les années1950, grande était la tentation, de trouverun groupe de symétrie plus vaste pourfaire face à ces nombreuses particulestoutes aussi ”élémentaires“ les unes queles autres et parmi lesquelles on auraitpu retrouver les motifs (ou multiplets)associés à un tel groupe. Au début desannées 1960, à la première conférenceeuropéenne de physique des particules,à Aix en Provence, on assistait à unpremier déluge de nouvelles venues etRichard Feynman pouvait résumer lasituation en disant que les physiciens separtageaient en deux clans : ceux quipréféraient la dispersion (une référenceaux relations de dispersion alors trèsutilisées), et ceux qui recherchaient laformation d'un groupe

Les motifs (témoins de différentsgroupes à priori possibles) n'étaientencore connus que de façon partielleet souvent trompeuse. Murray Gell-Mann et Yuval Ne'eman arrivèrent indé-pendamment au groupe qui s'avéra êtrele bon, le groupe SU (3), admettantcomme sous-groupe le groupe SU (2) dela symétrie d'Isospin. Avec SU (3) onatteignait la symétrie unitaire regrou-pant dans ses multiplets plusieurs multi-plets d'isospin d'étrangetés différentes.La découverte du Grand Oméga, singuletd'isospin de charge -1 et triplementétrange, surprenant mais ainsi prévu,rallia vite les derniers sceptiques au bienfondé de cette symétrie.Le nombre des multiplets de symétrieunitaire mais différant par le spin et lamasse, ne cessa cependant d'aug-menter, l'explosion démographique desparticules n'étant qu' à peine endiguéepar ce regroupement en multiplets. Onpu cependant comprendre assez vite laraison d'être de cette symétrie. Il s'agitd' une propriété d'invariance des inter-actions selon les changements decharge ou d'étrangeté entre les troistypes de quarks formant toutes cesparticules, les forces en jeu n'étantsensibles qu'à la ”couleur“ portée parces quarks. Dix ans plus tard, au milieudes années 1970, les quarks ”colorés“étaient bien individualisés expérimen-talement comme constituants encoreplus fondamentaux des particules.

Aujourd'hui les propriétés de la théoriedes groupes sont exploitées de façonencore plus profonde. Il ne s'agit plusseulement de traduire l'invariance selondes transformations effectuées simul-tanément à l'intérieur de tous les multi-plets d'isospin ou de symétrie unitaire,mais celle aussi présente selon destransformations qui impliquent les trois”couleurs“ qui différencient les quarksde même ”saveur“ (comme la charge etl'étrangeté) et cela, même quand cestransformations sont effectuées indé-

pendamment en différents lieux et àdifférents instants. Miracle mathéma-tique, la symétrie peut se maintenir maisà condition d'avoir des particules vecto-rielles de masse nulle, les gluons, euxaussi porteurs de ”couleurs“ et dont lapropriété d'invariance précise la natureet le couplage. Il s'agit dans ce cas d'un”groupe de jauge“. La symétrie se trouvemaintenant à la base de la dynamiquecar elle implique les forces en jeu entreles quarks échangeant des gluons et elleprécise toutes leurs propriétés!C'est une invariance de ce type et unmécanisme d'interaction fixé de la sorteque l'on retrouve entre quarks et lep-tons pour la théorie électrofaible quirassemble dans le cadre d'un mêmeformalisme les interactions faibles etélectromagnétiques. On a là le ModèleStandard, un des chefs-d' œuvre de laphysique contemporaine. Non seule-ment les similitudes entre particulesmais surtout toute leur dynamique, lanature et la forme des forces qu'ellesmanifestent entre elles, se déduisent depropriétés d'invariance traduites par desgroupes de symétrie. C'est tout cela,mais dans le cadre de groupes plusvastes, que l'on retrouve dans les déve-loppements plus récents mais encoreassez spéculatifs qui sont à la base dela grande unification et de la théorie dessupercordes. Dans ce dernier cas, lasupersymétrie recouvre des proprié-tés internes, comme la ”saveur“ et la”couleur“ et des propriétés externescomme le spin. La symétrie inclue aussila gravitation mais doit opérer dans 10dimensions d'espace dont 7 sontcompactifiées à l'échelle de Planck (10-35 m), les trois autres qui nous sont fami-lières s'étendant à l'échelle de l'Univers.Les propriétés d'invariance sont deve-nues un des principes de base de toutela physique des particules. Les groupesde symétrie qui les traduisent précisenttoute la dynamique �

1 Correspondant de l'Académie des sciences, physicienhonoraire de l'Organisation européenne pour larecherche nucléaire

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ficiellement: à cette ouverture, les aber-rations d’ordre supérieur, insensiblesen vision diurne, deviennent prédomi-nantes. Or c’est justement la combi-naison d’un oeil « optiquement parfait »et d’une pupille de diamètre maximalqui conduirait à des images de la rétine,faites in vivo depuis l’extérieur de l’œil,de résolution maximale et précieusespour une multitude d’études et dediagnostics cliniques.

La situation est assez semblable, curieu-sement, à celle que rencontrent lesastronomes qui observent, depuis lasurface terrestre avec un télescopeéquipé d’un miroir primaire de quelquesmètres de diamètre, une étoile auxlongueurs d’onde de la lumière visibleou infrarouge. Idéalement, lorsquel’image est formée dans le plan focal, lalumière devrait être concentrée dans latache de diffraction du miroir, mais enfait les inhomogénéités de l’atmosphèreterrestre brouillent sans cesse cetteimage, l’étalent et dégradent d’un fac-teur considérable, pouvant atteindre dixà cent, la résolution atteinte, donc lafinesse des détails perceptibles surl’image. Un remède à cette situationfâcheuse, qui durait depuis plusieurssiècles, est l’optique adaptative, née aucours des années 1980: en temps réel,les défauts de l’onde lumineuse, parve-

Par Pierre Léna1

Avec un peu d’outrance, le grandphysiologiste Hermann von Helm-

holtz écrivait vers 1860, au sujet de cetextraordinaire dispositif qu’est l’œilhumain: « Il n’est pas exagéré de direque si un opticien voulait me vendre uninstrument avec tous ces défauts, jedevrais, avec raison, sévèrement repro-cher sa négligence et lui retourneraussitôt son instrument ». Les défautsde l’œil (dont les plus connus sont ceuxde mise au point et d’astigmatisme) ontdeux conséquences principales en termede résolution d’image: la plus connueest de réduire la qualité de la vision etde contraindre bien des sujets à porterdes verres correcteurs, l’autre est delimiter la qualité des images de la rétinequ’un ophtalmologiste souhaite obtenirin vivo, depuis donc l’extérieur de l’œil,

afin d’en détecter des pathologies (parexemple la dégénérescence maculaireliée à l’âge, ou DMLA, responsable de lacécité de plusieurs centaines de milliersde personnes en France) ou de com-prendre le fonctionnement de la vision,depuis la rétine photosensible jusqu’auxaires visuelles du cortex cérébral.

Un oeil optiquement parfait n’auraitcomme seule limite à sa résolution quel’étalement de la tache image forméesur la rétine: cet étalement est du à ladiffraction de la lumière par la pupille,donc son importance dépend de l’ou-verture de celle-ci. Lorsque celle-ci estpetite (3 mm, lors de la vision diurne), laqualité d’image peut être excellente,mais elle se dégrade chez la plupart dessujets lorsque la pupille est pleinementdilatée (7 à 8 mm de diamètre), soit natu-rellement en vision nocturne, soit arti-

nant au télescope après traversée de l’at-mosphère, sont mesurés, et cette ondeest aplanie par un dispositif ad hoc :l’image retrouve la qualité que fourniraitun télescope placé dans l’espace. Aucungrand télescope n’est désormais conçusans optique adaptative: le Very LargeTelescope européen (VLT) vient ainsi dese voir équipé d’un des systèmes (NAOS)les plus puissants au monde.Dans un cas l’atmosphère, dans l’autreles aberrations géométriques desdioptres de l’œil, les inhomogénéités ducorps vitré, les très rapides micromou-vements du globe oculaire sont les causesde la dégradation de la résolution desimages. L’idée d’adapter l’optique adap-tative à l’œil est récente: c’est en 1997qu’aux États-Unis J. Liang, A. Roorda etD. Williams publièrent les premièresimages améliorées de rétine in vivo,tandis qu’en France notre équipe � � �

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Questions d’actualité

1 Membre de l’Académie des sciences, professeur à l’uni-versité Denis Diderot

Oùl’astronomierejointl’ophtalmologie

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Questions d’actualité

� � � comprenant C. Boccara (ESPCI) etle DrJ.F. Le Gargasson (Université Paris 7& Inserm/Lariboisière) vient de publierses premiers résultats avec la thèse dedoctorat de Marie Glanc (Fig. 1). On peutremarquer au passage que l’œil est lui-même, déjà, un dispositif adaptatif natur-el de haute performance: il contrôle enpermanence sa mise au point (accom-modation), son axe de visée, l’ouverturede son diaphragme pupillaire (iris), sasensibilité (passage de la vision diurneà la vision nocturne).Décrivons brièvement le principe decette correction artificielle, qui se décom-pose en deux étapes. La premièreconsiste à déterminer les aberrationsde l’œil: on forme un point lumineux surla rétine et on analyse la faible lumière(moins d’un millième de la puissanceincidente dans le rouge, un cent-mil-lième dans le bleu) que ce tissu com-plexe rétrodiffuse vers l’extérieur de l’œil.Cette analyse détermine la forme dufront d’onde émergent, donc les aber-rations dont il a été victime. La mesureest délicate, car elle doit être rapide(quelques millisecondes, l’œil étant sansarrêt en mouvement) et ne pas requérird’illuminer trop fortement la rétine, souspeine d’y produire des dommages inac-ceptables, tout en fournissant un rapportsignal-à-bruit convenable. La secondeétape, simultanée, consiste à illuminerune large zone de rétine, à une autrelongueur d’onde pour la séparer de celledu point de référence, et à former l’imagede cette zone sur une caméra (CCD),après que l’onde ait été réfléchie par unmiroir correcteur (adaptatif) dont laforme est précisément contrôlée à partirde la mesure du front d’onde déformé,pour en compenser la déformation. Idéa-lement, l’image obtenue possède alorsla résolution maximale.Le contraste des structures rétiniennesest faible: il ne dépasse pas quelquespourcents pour les photorécepteurs(cônes et bâtonnets), un peu plus pourla vascularisation. Néanmoins, outre unévident gain en résolution d’un facteurdeux à trois, les premières images obte-nues montrent bien l’organisation desphotorécepteurs (d’environ 4 µm dediamètre) et de leurs frontières, la varia-bilité du rapport entre les trois types decônes selon les sujets.

Il est désormais possible de concevoirun dispositif adaptatif d’imagerie « enroutine » de la rétine dilatée, dispositifqui pourrait posséder de nombreusesapplications médicales, basées surl’analyse d’images rétiniennes, à deslongueurs d’onde variées (du bleu à l’in-frarouge) poussées jusqu’à la limiteultime de résolution latérale (environ1,6 µm à une longueur d’onde de 600 nmpour une pupille dilatée à 8 mm): parexemple la détection précoce de la dégé-nérescence maculaire conduisant à lacécité, celle des micro-anévrismes réti-niens qui caractérisent les stadesprécoces du diabète, la préparation desinterventions chirurgicales sur la rétineet même l’observation de celle-ci chez

les bébés prématurés, dont l’oxygéna-tion nécessaire perturbe le développe-ment rétinien. L’analyse des phasesprécoces du glaucome, cécité naissantde la perte progressive de fibres du nerfoptique, pourrait également bénéficierd’une imagerie précise de la zone réti-nienne du nerf optique et de ses fibresindividuelles.

La répartition spatiale des photorécep-teurs, structurés comme des guidesd’onde, leurs propriétés optiques sontmal connues. L’imagerie haute résolu-tion in vivo permettra de les illuminersélectivement et, combinée à des me-sures électro-physiologiques, de déter-miner précisément leurs réponses indi-viduelles.

Nous avons évoqué jusqu’ici l’imagerieen surface (x, y) de la rétine, la positionen profondeur (z) de cette surface dépen-dant sans doute de la longueur d’ondeutilisée pour former l’image. Or les

ophtalmologistes s’intéressent égale-ment à obtenir une vision en coupe(selon z) de rétine in vivo, et utilisent pourcela une technique classique, appeléetomographie optique cohérente (OCT enanglais): l’idée est d’obtenir une explo-ration en profondeur à partir des inter-férences formées entre une lumièrediffusée par la rétine, illuminée en un

Note sur l’article Pierre LénaLes travaux faits en France résultent de la collaboration de trois Laboratoires (LESIA, Observatoire de Paris & UniversitéDenis-Diderot, UMR CNRS 8632; Laboratoire de Biophysique de la Vision, Université Denis-Diderot, U-INSERM 483; Labo-ratoire d’optique de l’E.S.P.C.I.), avec des contributions de la Compagnie industrielle des lasers (CILAS) et la Société MaunaKea Tech, l’aide du CNRS, de la Région Ile-de-France (SESAME) et du Ministère de la recherche. Les chercheurs impli-qués sont notamment Eric Gendron, Marie Glanc, François Lacombe, Pierre Léna au LESIA, J.-F. Le Gargasson & H. Gardetteau LBV, C. Boccara et A. Dubois à l’ESPCI, S. Loiseau à MKT et P. Jagourel à CILAS.

RéférencesAdaptive optics in astronomy. F. Roddier Ed., Cambridge University Press, 1998.Roorda & D.R. Williams. New directions in imaging the retina, Optics & Photonics News, Feb.1997, p. 23-29D.T. Miller, Retinal imaging and correction at the frontiers of adaptive optics, Physics Today, Jan. 2000, p. 31-36.

Image d’un champ d’environ 300 x 300 mm sur la rétine d’un sujet emmetrope, avec œil dilaté à 7 mm: àgauche image non corrigée, à droite image corrigée par l’optique adaptative (miroir possédant 13 actua-teurs). Longueur d’onde d’observation: 550 nm, temps de pose: 7 ms. Le pavage fin des photorécepteursest clairement visible, les taches noires sont des défauts de l’optique, l’image de gauche montre égalementun capillaire, flou car hors de la mise au point faite sur les photorécepteurs (Thèse de M. Glanc, 2002).

point que l’on déplace par balayage trans-versal, et une lumière de référence. Larésolution en profondeur (ou axiale) decette technique, exploitée par des appa-reils commerciaux et répandus, estaujourd’hui de l’ordre de 15 micromètres(soit un quart environ de l’épaisseur dela couche photosensible); elle est direc-tement liée à la résolution transversale(x, y), qui est limitée par les aberrationsde l’œil. Améliorer cette dernière par l’op-tique adaptative conduira ipso facto à unerésolution en profondeur de quelquesmicromètres. C’est le principe que déve-loppe actuellement l’équipe française envue d’un véritable imageur tridimen-sionnel (x, y, z) de la rétine in vivo.Observer la rétine depuis l’extérieur del’œil est un objectif intéressant, maisd’autres applications sont envisageables,cette fois pour améliorer la vision dessujets. Déjà, la possibilité d’obtenir unemesure précise des aberrations de l’œil,au delà de l’astigmatisme, à l’aide del’analyse de front d’onde décrite plushaut, ouvre la possibilité de mieux ajusterles lentilles de contact, de piloter lachirurgie cornéenne par ablation laserou de déterminer et corriger les aber-rations résiduelles que peut laisser celle-ci (principalement une aberration sphé-rique). Ensuite, la possibilité de corrigerles aberrations d’ordre élevé par undispositif adaptatif pourrait conduire àune « hypervision », donnant au sujetune acuité visuelle exceptionnelle.

Bien que de substantiels développe-ments expérimentaux soient encorenécessaires pour pleinement adapterà l’ophtalmologie la technique adapta-tive, ainsi que tous les raffinements quelui ont donné les astronomes, notam-ment en post-traitement d’image (tech-niques de déconvolution), le champouvert est prometteur, et ne manque pasd’intéresser aujourd’hui divers indus-triels �

Oùl’astronomierejointl’ophtalmologie

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19

Par Yves Quéré 1

Les relations entre ces deux Acadé-mies sont cordiales et approfondies

dans le cadre de l’InterAcademy Panel.Depuis 6 ans environ, cette collaborationest renforcée par la réunion, tous les deuxans, des deux Bureaux s’accompagnantd’un colloque d’une journée sur un sujetprioritaire pour les deux Académies. Unetelle rencontre s’est tenue les 8 et 9 juilletderniers. Le colloque, consacré à ”l’Ali-mentation en Afrique“ rassemblait, outreles membres des Bureaux, des cher-cheurs français de l’IRD, du CIRAD, del’INRA, Rudy Rabbinge, de l’Université deWangeninen (Pays-Bas), qui préside legroupe de travail de l’InterAcademyCouncil (IAC) sur ”Food for Africa“ etLouise Fresco, directeur-adjoint de laFAO.A la réunion des Bureaux, s’étaient joints,en raison des sujets traités, FrançoisJacob, Georges Charpak, David Jasmin(de l’équipe LAMAP), et Michel Petit. Cefut aussi, pour le Bureau de l’Académiedes sciences, l’occasion de rencontrer lenouveau responsable des relations inter-nationales de la NAS, Michael Clegg, enfonction depuis le 1er juillet.Le colloque a souligné la diversité desproblèmes rencontrés par l’agricultureafricaine. Les raisons de l’incapacité denombreux pays africains à suffire à leursbesoins sont mal connues et multiples.Elles sont d’ordre économique (peu demoyens financiers consacrés à l’agri-culture, éloignement des campagnes,instabilité des prix) ou d’ordre technique.En vue de proposer des remèdes, l’ana-lyse des erreurs et des réussites estnécessaire, le rapport en cours de ré-daction par l’InterAcademy Council s’yemploie. D’ores et déjà, on voit que lessolutions doivent être variées et adap-tées aux types de pays et d’agriculture(production industrielle ou auto-suffi-sance).

La recherche pourrait aider à résoudrecertaines questions mais elle est à la foisinsuffisante par manque de moyens,empêchant la création d’un environne-ment scientifique capable d’attirer lesjeunes de ces pays, et inadaptée, car larecherche des pays du Nord ne répon-dant pas toujours aux besoins. La mise

différents a priori: les représentationsgaloisiennes et les formes automorphes.Une représentation galoisienne est unedescription par des matrices inversiblesdu groupe des symétries de l’ensembleQQ des nombres� qui vérifient une équa-tion de la forme

an �n + an-1�n-1 + ... +a1� + a0 = 0,où les ai sont des nombres entiers. Uneforme automorphe (classique) est unefonction ƒ(z) d’une variable complexe zde partie imaginaire positive qui vérifieles deux relations

ƒ(z + 1) = ƒ(z) et ƒ(-1/z) = z 2k ƒ(z)pour un certain entier positif k. On noteraque, selon la valeur de k, il n’existe pastoujours une fonction (holomorphe,nulleà l’infini) vérifiant de telles symétries.

en réseau, les échanges de chercheursseraient nécessaires. De plus les résul-tats de la recherche ne sont sans doutepas suffisamment transmis aux fermiersafricains (problèmes de formation, et làaussi de mise en réseau par internet)La nécessité de développer des techno-logies agro-alimentaires, répondant auxbesoins des populations et créatricesd’emplois, était un des sujets évoqués.La maîtrise du contrôle de la sécurité et de la qualité (en particulier pour l’ex-portation) demande également recher-che et formation ainsi qu’une meilleureconnaissance des droits de propriétéintellectuelle.Les actions de l’Académie dans cedomaine, à travers le COPED (CDCI), lecolloque ”Sécurité alimentaire et déve-loppement durable“ organisé en dé-cembre 1999 par le groupe de travailinteracadémique Académie dessciences/Académie des sciences

La vie de l ’Académie

Succès de la théoriede Langlands

Rencontre entre les Bureauxde l’Académie des scienceset de l’Académie nationaledes sciences des États-Unis (NAS)

1 Membre de l’Académie des sciences, directeur derecherche au CNRS, Institut des hautes études scien-tifiques

morales et politiques et ce dernier col-loque permettent de faire entendre unevoix française dans les actions et lesréunions académiques internationales.

La réunion conjointe des Bureaux apermis de s’informer sur les rapportsen cours avec l’espoir commun, etparfois déçu, de les voir pris en comptedans les décisions politiques et lus parle public.La situation au Moyen-Orient et le terro-risme en général sont des sujets depréoccupation: le réseau académiquedes Droits de l’Homme peut-il proposerdes actions envers les académiesconcernées par les conflits?Deux autres thèmes ont été à l’ordre dujour.- Les actions sur l’éducation: l’un desdeux axes prioritaires de la NAS est ledéveloppement d’une Science pour ledéveloppement durable. Cela va de l’éta-

blissement de normes pour les pro-grammes d’enseignement, au dévelop-pement des capacités d’enseignementet de recherche pour les pays en déve-loppement, en passant par l’organisa-tion d’actions d’enseignement dessciences dans le primaire. La répliquefrançaise en est la Main à la Pâte quisuscite de nombreuses vocations etcollaborations de par le monde (Chine,Mexique, Vietnam, Sénégal, etc..). Deuxsites internationaux soutenant cesactions sont en développement dans lecadre d’une action de l’ICSU et de l’IAP(InterAcademy Panel) et dans le cadreeuropéen.

- L’énergie : Quelles énergies pour lefutur dans l’optique d’un développementdurable? La NAS entretient plusieurscollaborations avec la Chine, l’Inde etl’Académie des sciences se préoccupede son côté de ce problème �

1 Membre de l’Académie des sciences

Plus généralement, la théorie deLanglands définit les formes automorphesen termes d’opérateurs dans des espacesde Hilbert de dimension infinie.La correspondance de Langlands a ungrand pouvoir prédictif, car certainespropriétés qu’on ne sait pas démontrerpour les représentations galoisiennes(resp. les formes automorphes) peuventêtre résolues en passant « de l’autre côtédu miroir ». Par exemple, P. Deligne a sumajorer les coefficients de Fourier desformes automorphes classiques en leurassociant une représentation galoisienne,puis en étudiant les valeurs propres desmatrices intervenant dans cette repré-sentation, pour lesquelles il parvint àdémontrer, en 1973, les célèbres conjec-tures de Weil. L’estimée ainsi obtenuerépond, entre autres, à une questionposée par Ramanujan en 1916 � � �

Par Christophe Soulé 1

Ala fin des années soixante, R. Langlands (récipiendaire dela grande médaille d’or en l’an

2000) formula des conjectures arithmé-tiques qui constituent un programmeextrêmement ambitieux et structuré, quin’a cessé depuis de guider certains desplus brillants travaux en théorie desnombres, et a connu récemment d’im-portants développements.

Le point central des conjectures deLanglands est la prédiction d’une corres-pondance, biunivoque et explicite, entredeux types d’objets arithmétiques très

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représenter avec d’autres me-

sures qui ne pourront pas, de leur

fait, être mises en place car les

moyens, les personnes, le temps

ne sont pas illimités.

C’est à la surveillance et à l’alerte

que revient la première étape

(détecter les nouvelles maladies,

ou les changements d’incidence).

C’est en principe à l’épidémiologie

analytique que revient le second

rôle (identifier les facteurs de ris-

que, démêler leurs importances

respectives et quantifier celles-

ci). Enfin de multiples para-

mètres, parmi lesquels l’évalua-

tion du rapport coût/bénéfice, la

perception des risques par le

public, et l’action des groupes de

pression sont pris en compte dans

la décision publique.

Les problèmes de sécurité sani-

taire les plus marquants de ces

dernières années entrent mal

dans le cadre épidémiologique

classique.

1- Certains concernent des mala-

dies graves et fréquentes, mais

qui surviennent longtemps

après leurs causes (cancers

professionnels causés par

l’amiante, nouveau variant de

la maladie de Creutzfeldt -

Jakob), si bien qu’on ne peut

plus prévenir les cas qui conti-

nuent à arriver et que l’anxiété

que provoquent ces cas peut

conduire en revanche à pren-

dre des mesures excessives,

voire inutiles.

2- D’autres concernent des mala-

dies qui peuvent survenir, mais

ne sont pas observées pour

l’instant (éventuelle nouvelle

pandémie de grippe, éventuel-

le épidémie de variole causée

par un acte bioterroriste).

3- D’autres, enfin, concernent une

faible augmentation, réelle ou

hypothétique, d’une maladie

de grande fréquence naturelle,

si bien que le faible risque

« relatif » puisse s’accompa-

gner d’un fort risque « attri-

buable ».

4- Enfin, existent maintenant des

problèmes de sécurité sani-

taire « prospective »: comment

anticiper la possibilité d’une

attaque bioterroriste utilisant

la variole ; celle d’une pan-

démie de grippe du type

de celle de 1918 ; ou celle

des conséquences possibles

de l’épidémie d’Encéphalite

Spongiforme Bovine sur la

santé humaine? la modélisa-

tion épidémiologique peut

donner des réponses, ne

serait-ce qu’en permettant

d’identifier une liste de scé-

narios possible et d’envisager

méthodiquement les réponses

disponibles. Cette modélisation

épidémiologique relève de la

démarche scientifique clas-

sique dans la mesure où elle

repose sur un ensemble bien

précis d’hypothèses et de

méthodes de traitement des

données, ce qui permet la

contestation des hypothèses

ou des méthodes des résultats

et par la mise en œuvre de

modèles concurrents. Là où la

situation est particulière,

c’est parce que la validation

finale du modèle ne peut

survenir que lorsqu’il n’a plus

d’intérêt (après l’épidémie!).

Pour terminer, signalons la loi de

1998 sur la sécurité sanitaire qui

fournit un cadre organisationnel

rénové, complet, voire complexe

à l’évaluation des problèmes

posés et à la recherche des solu-

tions: en particulier, des agences,

en principe indépendantes du

pouvoir politique, ont été créées,

avec un rôle « évaluatif » (cas de

l’Institut de Veille Sanitaire: InVS),

et même réglementaire (cas de

l’Agence Française de Sécurité

Sanitaire des Produits de Santé:

AFSAPS et de l’Agence Française

de Sécurité Sanitaire des

Aliments: AFSSA). De nombreux

risques iatrogènes relèvent en

réalité de la complexité des

processus de soins, difficile à

maîtriser. La sécurité dans ce

domaine passe par l’évaluation et

l’accréditation des établissements

de soins, et – on peut le penser-

plus tard- par celle des person-

nels. Ce rôle est dévolu à l’Agence

Nationale d’Accréditation et d’Eva-

luation en Santé (ANAES) créée

dans le cadre de la réforme du

système de santé initiée en 1995 �

la lettre n0 5 / automne 2002

de l ’Académie des sciences

Par Alain-Jacques Valleron 1

La sécurité sanitaire concerne

les risques environnemen-

taux, infectieux et iatrogènes (ris-

ques encourus à l’occasion de

traitements). Face à eux ont été

mis en place des systèmes de

« vigilance » : surveillance et

alerte épidémiologique pour les

risques environnementaux et

infectieux, pharmacovigilance,

hémovigilance, matériovigilance,

pour les risques iatrogènes.

La surveillance épidémiologique

est classiquement définie comme

« un processus continu de col-

lecte, d’analyse et de redistribu-

tion de l’information épidémiolo-

gique vers ceux qui ont besoin de

savoir ». L’alerte épidémiologique

relève de trois cas différents:

1- Lorsqu’un indice épidémiolo-

gique (fréquence d’une mala-

die, ou niveau d’un facteur de

risque) dépasse un « seuil

d'alerte ».

2- Lors de la survenue d’un évé-

nement inattendu, mais qui a

déjà été observé (ce serait le

cas si on découvrait un cas de

variole).

3- Lors d’un événement nouveau,

jamais identifié auparavant

(exemple du SIDA lorsqu’il fut

identifié en 1981)

L’alerte épidémiologique, pour

être efficace, doit bien sûr reposer

sur des systèmes très sensibles.

Le prix à payer est le manque de

spécificité de ces systèmesdu fait

même de leur sensibilité : ils

mènent souvent à de fausses

alertes, ce qui conduit parfois à

un signe d’alerte successivement

médiatisé, puis invalidé. Deux

dangers sont donc à éviter : le

manque de transparence (ne pas

communiquer sur les alertes), ou

la recherche d’alertes tellement

« fiables », c’est à dire spéci-

fiques, qu’elles perdent toute

sensibilité, donc utilité.

En principe, un problème de

sécurité sanitaire devrait passer

par un certain nombre d’étapes:

valider la réalité du risque; iden-

tifier les causes sur lesquelles on

peut agir ; mettre en œuvre les

actions correspondantes en

évaluant leur coût, leur impact, la

concurrence qu’elles peuvent

� � � En sens inverse, la preuvedu théorème de Fermat parK. Ribet, R. Taylor et A. Wiles(1995) consiste, en raisonnantpar l’absurde, à associer à unesolution entière de l’équation, x n + y n = z n, n�3, xyz ≠ 0, unereprésentation galoisienne, puisune forme automorphe, et àmontrer que cette dernièren’existe pas. La version précisedes conjectures de Langlandsque l’on suit ici est celle for-mulée par J.P. Serre en 1987pour les représentations galoi-siennes à cœfficients finis.

Les conjectures de Langlandsgénérales sont encore loin d’êtredémontrées, mais deux analo-gues de ses énoncés viennentd’être résolus. Il s’agit d’aborddu cas dit « local », où un nom-bre premier p est privilégié et QQest remplacé par son complétép-adique, cas dû à R. Taylor etM. Harris (2001). Une preuveplus courte mais moins expli-cite a aussi été donnée parG. Henniart.

D’autre part, le cas « global decaractéristique positive », c’està dire la situation où un nombrepremier p est considéré commenul, suit d’un travail magistralde L. Lafforgue*. La preuveoccupe environ huit cents pageset a valu à son auteur de rece-voir le prix Herbrand en 2001.Elle utilise les travaux de Deligneprécédemment cités mais doitaussi surmonter de multiplesobstacles, tant dans le domainede la géométrie algébrique quedans celui des représentationsdes groupes et des formes auto-morphes. Ce travail est aujour-d’hui le meilleur argument quenous ayons en faveur de la véra-cité du programme de Langlands.

Après une période aride dans lesannées quatre-vingt, la théoriede Langlands a connu des suc-cès extraordinaires, où l’écolefrançaise a fait très bonne figure.Elle attire désormais beaucoupdes meilleurs jeunes mathé-maticiens �

* qui vient de recevoir la médailleFields.

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Publication de l'Académiedes sciences

23, quai de Conti 75006 PARISTel: 01.44.41.43.68.Fax: 01.44.41.43.84.http: www.academie-sciences.fr

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Directoire:Nicole Le DouarinJean Dercourt

Rédacteur en chef:Jean-Didier Vincent

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Conception graphiqueDirection artistiqueNicolas Guilbert

Photographies:pp. 1, 10, 11, 13, 20 N. Guilbert,pp. 2, 3, 5, 6, 12, 15, 16, 18 (DR),

pp. 4, 7, 9 G. Mourguetpp. 6, 8 J.P. Boisseauavec l’aimable concours du Musée desminéraux de l’université Pierre et Marie Curie

Comité de rédaction:Jean-François Bach, Roger Balian, JackBlachère, Édouard Brézin, Pierre Buser, Paul Caro,Jules Hoffmann, Alain Pompidou, PierrePotier, Éric Spitz, Jean-Christophe Yoccoz

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1 Correspondant de l’Académie des sciences, professeur à l’universitéPierre et Marie Curie

Sécurité sanitaire, vigilancesanitaire, surveillanceépidémiologique

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