Les coopératives agricoles : un modèle d’organisation...

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En faisant de 2012 l’année internationale des coopératives, l’ONU vise à promouvoir cesstructures collectives pour leur contribution au développement socio-économique, à lasécurité alimentaire et au développement rural. Dans notre pays, selon Coop de France,75 % des agriculteurs adhèrent au moins à une coopérative. Croissance, filialisation, inter-nationalisation, évolution des règles de fonctionnement sont autant de mutations qu’aconnues le secteur coopératif, néanmoins garantes de son essor face aux pressionsconcurrentielles et à la concentration de la distribution. En outre, le contexte de volatilitécroissante des prix agricoles fait de l’organisation économique des producteurs un sujetmajeur d’actualité.

n déclarant l’année 2012comme année internationaledes coopératives, l’ONU vise àpromouvoir ces entreprises

« collectives » pour leur contributionau développement socio-économique,à la sécurité alimentaire et au dévelop-pement rural1. En France, l’histoire dumouvement coopératif a été marquéepar différentes phases et influencéepar divers courants de pensée. On peutciter l’influence du « socialisme utopi-que », avec par exemple Charles Fourier(1772-1837) et son idéal communau-taire du « Phalanstère », ou celle duchristianisme social, avec la figurephare de Charles Gide (1847-1932) etl’idéal de la république coopérative. Laconstruction de ces structures alterna-tives était alors vue comme le moyende s’affranchir des contraintes du sys-tème économique de l’époque.

Les coopératives représentent aujour-d’hui en France 14 % des établisse-ments et des emplois de l’économiesociale et solidaire, aux côtés des asso-ciations, mutuelles et fondations. Ellessont en particulier présentes dans les

activités de crédit (autour des réseauxCrédit Agricole, Caisse d’Épargne etCrédit Mutuel), et de distribution(Association des Centres de Distri-butions Édouard Leclerc ou encoreSystème U)2.

Les filières agroalimentaires, plusparticulièrement, continuent d’être unlieu d’expansion du modèle coopératif.Les coopératives agricoles représen-tent 50 % de la production agricolemondiale3. Aux États-Unis, près de2 400 coopératives sont recensées dansles filières agroalimentaires, pour2,2 millions d’adhérents4. Chez nous,selon Coop de France, 75 % des agri-culteurs adhèrent au moins à une coo-pérative5. Leur périmètre représentait,en 2005, 37 % de l’effectif salarié, 33 %du chiffre d’affaires de la commercia-lisation et 21 % du chiffre d’affaires destransformations agroalimentaires6. Enoutre, 66 des 100 premières coopérati-ves sont des coopératives agricoles ouagroalimentaires7.

Comment les coopératives agricolesont-elles pu acquérir une telle impor-tance ? Constituent-elles une voie de

rééquilibrage des pouvoirs de marchéau sein de filières marquées par uneforte concentration de l’agro-fourniture,de la distribution et, dans une moindremesure, de la transformation ? En quoileurs évolutions, dans un contexteconcurrentiel, ont-elles pu induire descritiques et questionnements quant àl’érosion de leurs spécificités ? Pouraborder ces questions, cette note

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Les coopératives agricoles : un modèle d’organisationéconomique des producteurs

Analyse CENTRE D’ÉTUDESET DE PROSPECTIVE—n° 36 - Novembre 2011

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE

1. ONU, février 2010, Rôle des coopératives dans ledéveloppement social, A/RES/64/136.2. Le « tiers secteur, un acteur économique impor-tant », Insee Première, mars 2010, n° 1342.3. Rapport du Secrétaire général de l’ONU, 2009, Lerôle des coopératives dans le développement social,A/64/132.4. USDA, novembre 2010, Cooperative statistics 2009,report 70, 56 p.5. Coop de France, Poids économique et social 2010 dela coopération agricole et agroalimentaire française,novembre 2010.6. Filippi M., Triboulet P., « Les groupes coopératifspoursuivent leur développement », Agreste Primeur,n° 235, décembre 2009 ; Agreste, Chiffres et don-nées Agroalimentaire, n° 153, janvier 2008, filialescomprises.7. GNC 2010, Top 100 des entreprises coopératives etpanorama sectoriel, 51 p (entreprises sous statut coo-pératif ou contrôlées par un ensemble de coopérati-ves, classement basé sur le chiffre d'affaires, filialescomprises).

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retrace à grands traits les origines descoopératives agricoles en France etleurs principes de fonctionnement.Suivra un état des lieux du positionne-ment des coopératives dans les diffé-rentes filières en France et en Europe.Enfin, seront présentées les tensionsentre impératifs de compétitivité etmaintien d’identité qui ont marquéesle développement des coopératives.

1 - Aux fondements des principesde la coopération agricole

L’histoire des coopératives agricolesest intimement liée à celle du syndi-calisme agricole. Les groupements deproducteurs à visée économique sedéveloppent à la fin du XIXe siècle pourdes achats communs d’engrais, sousl’impulsion des syndicats8. Ayant pourobjectif la réduction du prix d’achat desintrants et la dissuasion de pratiquesfrauduleuses, ces premiers groupe-ments constituent des réponses aucontexte de crise et de bas prix agrico-les de 1880-1900. La crise économiquede 1929 et l’intervention publique dansla gestion des marchés seront ensuitedéterminantes dans le développementdes coopératives. Elles deviendront, enparticulier dans le cas des céréales etde la viticulture, un outil de mise enœuvre de la politique agricole natio-nale, notamment pour la gestion de l’of-fre. Les coopératives céréalières serontdotées de fonds publics pour renforcerleurs capacités de stockage lors de lamise en place de l’Office NationalInterprofessionnel du Blé, en 1936.

Le soutien de l’État au développe-ment des coopératives a par ailleurspermis d’inscrire en droit positif leursprincipes de fonctionnement, princi-pes définis par l’Alliance CoopérativeInternationale en 1895. Différentesrègles sont progressivement introdui-tes en France : répartition des excé-dents au prorata des apports desagriculteurs ; gouvernance des coopé-ratives, avec le principe « un homme,une voix » ; rémunération des partssociales par des intérêts fixes et pla-fonnés ; caractère non partageable desréserves. Imposées en 1935 à toutestructure souhaitant obtenir cette déno-mination, ces règles permettront enretour de bénéficier d’exonérations fis-cales, toujours en vigueur. Elles serontreprises par les différentes lois sur lestatut coopératif, notamment en 1947.La règle de l’« exclusivisme » est égale-ment imposée, la coopérative ne pou-

vant avoir d’activité qu’avec ses seulsadhérents9. Par le principe de doubleengagement, tout adhérent apporte unepartie du capital de la coopérative etlui livre tout ou partie de sa production,ou utilise ses services (cas desCoopératives d’Utilisation de Matérielen Commun). La définition de chaquecoopérative sur une circonscription ter-ritoriale dans laquelle se trouvent sesadhérents a en outre induit un principed’ancrage territorial.

Les situations économiques difficiles,l’influence d’organisations profes-sionnelles et de courants politiques,ainsi que l’intervention publique, parle biais d’incitations juridiques et finan-cières, comptent ainsi parmi les princi-paux facteurs de développement descoopératives agricoles, que ce soit enFrance, en Europe ou aux États-Unis10.Leur constitution correspond à la miseen commun de capitaux d’exploitantsagricoles, à la « combinaison d’une entre-prise et d’une association de personnesqui forment cette entreprise communepour leur propre usage, et qui en devien-nent les sociétaires et les utilisateurs[…] »11. Leur développement répondaitainsi à un ensemble d’objectifs, dontcelui de rétablir un certain équilibredans les relations commerciales, en par-ticulier avec l’agro-fourniture.

Par le principe de double engagement,l’essentiel du bénéfice de l’activité descoopératives agroalimentaires est redis-tribué aux exploitants à travers les prix,après rémunération des emprunts.Ainsi, en détenant leur outil decommercialisation ou de transforma-tion, ils peuvent s’approprier une plusgrande part de la valeur ajoutée issuede leurs produits, tout en participant àla construction de leurs débouchés. Enoutre, le regroupement des exploitantset leur investissement dans l’aval des

filières constituent des moyens d’éviterdes comportements opportunistes decapture de la valeur. Cela contribue infine à une sécurisation de leurs moyensde production, en particulier dans lesfilières nécessitant des investissementslourds et spécifiques12.

2 - Diversité des coopérativesagricoles

2.1 - Une implantation variableselon les filières

Le développement des coopérativesa été différent selon les filières, avecdes variations dans le taux d’organisa-tion des producteurs et l’implicationdans l’aval des filières.

Dans la figure 1, le poids des coopé-ratives dans la collecte et/ou la trans-formation de différents produitsagricoles en France est représenté, enintégrant les filiales de statut non coo-pératif qu’elles contrôlent. Il convienten effet de distinguer l’activité des coo-pératives stricto sensu de celle émanantde ce que l’on appelle le « périmètrecoopératif », c’est-à-dire les coopérati-ves et leurs filiales. La « filialisation »ne représente en effet pas le même

8. Voir Nicolas P., 1988, « Émergence, développementet rôle des coopératives agricoles en France. Aperçussur une histoire séculaire », Économie Rurale, n° 184-186, pp 116-122.9. Nicolas P., 1994, Règles et principes dans les socié-tés coopératives agricoles françaises, évolution du droitet des pratiques de 1960 à 1962, INRA, Paris, 31 p.10. Voir Koulytchizky S., Mauget R., 2003, « Le déve-loppement des groupes coopératifs agricoles depuisun demi-siècle, À la recherche d’un nouveau para-digme », Recma n° 287, pp 14-40 ; Ortmann et King,2007, “Agricultural Cooperatives I: History, Theoryand Problems”, Agrekon, vol 46, pp 40-68.11. Définition notamment proposée par P. Nicolas.12. Voir notamment Staatz J., 1987, “Farmer’s incen-tives to take collective action via cooperatives: a trans-acion cost approach”, USDA, Agricultural cooperativeservice, Service report 18, Cooperative theory: newsapproaches, edited by Jeffrey S. Royer, pp 87-107.

Figure 1 - Parts de marché de la coopération selon les filières

Source : Données Coop de France 2010, sociétés filiales comprises, en volume ou valeur (commercialisation).

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poids selon les produits. Dans le cas dela filière lait, les groupes laitiers ontparticulièrement recours à la filialisa-tion de leurs activités de transforma-tion13. Ainsi, si l’on considère lepérimètre réduit, selon les résultats del’Enquête Annuelle Laitière 2009, lescoopératives réalisent 47 % de la col-lecte, mais seulement 12 % des trans-formations14 et 10 % des ventes deproduits laitiers finis. Autre exemple,la part de fabrication d’aliments pouranimaux de ferme réalisée par des coo-pératives hors filiales, en termes de chif-fre d’affaires, était de 16 % en 2007,alors qu’en considérant le périmètrecoopératif, on atteint 70 % selon les don-nées de Coop de France pour 2010. Enrevanche, au sein de la filière viti-vini-cole, la filialisation reste accessoire puis-que si le périmètre coopératif assurejusqu’à 72 % de la transformation, pourcertaines catégories de vins, on estimeglobalement que 60 % de l’activité devinification résultent de structures destatut coopératif au sens strict15.

Au-delà de ces éléments, on peut dis-tinguer le cas des productions végéta-les – pour lesquelles les coopérativessont en général plus fortement implan-tées – de celui des productions anima-les. La filière betteravière est l’exempled’une organisation économique trèsstructurée des producteurs, avec deuxgroupes coopératifs leaders, Tereos etCristal Union, qui transforment 60 % duquota de sucre français16. Les structu-res coopératives se sont également for-tement développées pour les filièresgrains. Elles sont impliquées dans la col-lecte, la transformation, en particulierdes céréales, ainsi que dans l’approvi-sionnement en intrants. La fabricationd’aliments pour animaux a égalementété investie par des coopératives. Lesfilières fruits et légumes recouvrentquant à elles des réalités très diverses,avec de nombreuses organisations deproducteurs (OP) impliquées dans lacommercialisation des produits17.

Dans le cas des filières viande, lesstructures collectives concernent sur-tout la commercialisation des animauxavant abattage. Pour la viande porcine,la quasi-totalité des animaux estcommercialisée par des OP sous formecoopérative et la coopération repré-sente près de la moitié de l’abattage-transformation. La filière laitière peutquant à elle être qualifiée de bipolaire,les coopératives réalisant la moitié dela collecte. Néanmoins, elles sont géné-

ralement moins impliquées dans latransformation, bien que cela varieselon les produits considérés.

Les politiques publiques, les diffé-rences de calendriers de travail et decapacités de financement des exploi-tants expliquent en partie ces varia-tions du poids des coopératives entrefilières. Et l’on peut s’interroger sur lesconséquences de ces disparités quantau partage de la valeur ajoutée dans lesfilières viande, en France comme auxÉtats-Unis18.

2.2 - Des conséquences en termesde compétitivité et d’orientationdes politiques agricoles

Bien que la France dispose de leaderscoopératifs, les six premières coopéra-tives européennes sont néerlandaises(Vion, Friesland Campina), danoises(Arla Foods, Danish Crown) et alleman-des (Bay Wa, Sudzucker)19. La présencede leaders coopératifs dans les filièreslait et viande, contrôlant une majeurepartie de la transformation confère auxpays du nord de l’Europe certains avan-tages concurrentiels. Renforcement dupouvoir de marché des producteurs,modalités de partage de la valeur ajou-tée, économies d’échelle, capacité entermes de recherche et développement,de croissance : autant d’atouts compé-titifs pour les Pays-Bas et le Danemark.Les éleveurs y bénéficient d’une péré-quation naturelle : l’influence des pro-duits les moins bien valorisés étantcompensée par les autres segments.

La présence des quasi-monopoles coo-pératifs laitiers aux Pays-Bas et auDanemark explique par ailleurs en par-tie la stratégie offensive adoptée enmatière de croissance de la productionet de suppression des quotas laitiers :leurs modes d’organisation leur permet-tent d’envisager de gagner des parts demarché, notamment face aux moinsbien organisés. De même, en Nouvelle-Zélande, la présence de la coopérativeFonterra, en situation de monopole, estun atout pour les exportations.

Bien que le modèle coopératif enEurope repose sur des principescommuns, il n’existe pas de cadre juri-dique européen harmonisé des coo-pératives, et le statut de « sociétécoopérative européenne », créé en 2003,concerne surtout les fusions de coopé-ratives de différents États membres oula constitution d’une coopérative avecdes adhérents dans plus d’un Étatmembre. En outre, si la Commission

européenne a promu le développementdes coopératives, notamment du fait deleurs rôles dans l’emploi, l’intégrationsociale et le développement rural, lesexonérations dont bénéficient les coo-pératives font l’objet de vifs débats.

3 - Entre pressions concurrentielleset maintien de l’identitécoopérative

3.1 - Mutations des coopérativesagricoles : concentration,internationalisation etdéveloppement vers l’aval

Ces dernières années, de nombreu-ses restructurations ont eu lieu au seindu monde coopératif, avec la concentra-tion des acteurs, notamment par desfusions ou la constitution d’unions decoopératives telles qu’In Vivo. Les coo-pératives se sont également dévelop-pées en se rapprochant d’entreprisesnon coopératives, parfois à travers desrachats, comme aujourd’hui Sodiaal qui« coopérativise » Entremont, et diffé-rents types de partenariats, notammentpar la construction de filiales commu-nes. La progression des coopérativesfrançaises dans les activités de l’avaldes filières est en effet surtout passéepar l’externalisation des activités ausein de sociétés non coopératives parfilialisation, dans les années 199020.Parallèlement, plusieurs coopérativesont développé leurs activités à l’inter-national, comme Limagrain, Tereos,Champagne Céréales, etc. Cette dyna-mique d’internationalisation est aussile fait des leaders coopératifs euro-péens : Arla Foods détient par exempledes unités de production dans le mondeentier, dont en Chine et au Brésil.

Les coopératives agricoles se sontainsi inscrites dans la dynamique glo-bale de concentration et d’internatio-nalisation des acteurs économiques,

13. Voir Filippi M., Triboulet P., 2009.14. SSP, à partir d’une méthode de conversion desproduits laitiers en équivalent lait entier.15. Voir « Coopération Agricole », Agreste Chiffres etDonnées Agroalimentaire, n° 167, août 2009.16. CGB, La betterave en 2011, 7 décembre 2010.17. Voir notamment le livre V du code rural et de lapêche maritime sur l’articulation juridique entre OPet coopératives.18. Voir Dedieu M.-S., « États-Unis, le gouvernementveut renforcer le pouvoir de marché des éleveurs »,Note de veille n° 39, CEP, novembre 2010.19. ESSEC-Eurogroup Consulting, 13 janvier 2011Quelles stratégies d’alliances et quel développementinternational pour les groupes coopératifs ?20. Voir Filippi M., Triboulet P., 2009.

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répondant à des impératifs de rentabi-lité avec la recherche d’une taille criti-que, de conquête de nouveaux marchésou encore de diversification des appro-visionnements. À l’instar d’autres opé-rateurs économiques, les grandescoopératives agricoles sont aujourd’huidotées d’une organisation juridique,financière et décisionnelle complexe21.Derrière le succès global des coopéra-tives dans l’agroalimentaire français,on peut toutefois mentionner certainesdifficultés, faillites ou reprises par desentreprises non coopératives (cas del’Union Laitière Normande ou deSocopa, entre autres). De plus, coexis-tent avec les grands groupes coopéra-tifs une majorité de petites structures,dont le positionnement sur des pro-duits de qualité ou des marchés spéci-fiques a pu les tenir à l’écart degrandes mutations.

3.2 - Évolutions juridiques :l’affaiblissement des spécificitéscoopératives ?

Ces évolutions du paysage coopératifse sont accompagnées de changementsdu cadre juridique. Ils visent à faciliterle développement des coopératives, ini-tialement limité par la faiblesse de leursfonds propres22, et leur rapprochementavec les entreprises non coopératives.Ils ont néanmoins suscité des interro-gations quant au maintien des princi-pes coopératifs et aux avantagesaccordés en contrepartie.

Dès 1967, il devenait possible, pourcertaines coopératives, alors qualifiéesde « commerciales », d’effectuer desopérations avec des non-sociétaires, depondérer les voix des adhérents et deprendre des participations majoritai-res dans des entreprises non coopéra-tives. Ce sera le moyen d’investir l’aval

des filières sans toutefois disposer dela totalité des capitaux nécessaires.L’exonération de l’impôt sur les sociétésfut en contrepartie supprimée pour cescoopératives. Suite à de vives réactionsdes professionnels, la loi de 1972 revien-dra sur ces dispositions en créant unstatut unique et autonome de coopéra-tive agricole, sui generis, bénéficiant decertaines ouvertures opérées en 1967(opérations avec les tiers possibles, maislimitées à 20 % du chiffre d’affaires etfiscalisées à l’impôt sur les sociétés ;pondération des voix ; admission d’as-sociés non coopérateurs, etc.). Cette loifacilitera également la filialisation.

Les lois de 1991-1992, souvent citéescomme le tournant de l’encadrementjuridique des coopératives, permirentnotamment d’apaiser certains conflitsentre entreprises coopératives et noncoopératives. Une série de mesures estalors adoptée afin de rapprocher coo-pératives et non coopératives et de ren-forcer l’investissement des coopérativesdans l’aval des filières. Le capital descoopératives a été ouvert à de nouvel-les catégories d’associés non coopé-rateurs, dans la limite d’un plafond ducapital social (inférieur à 50 %) et desdroits de vote (au maximum 20 %). Lapossibilité de « remontée des dividen-des » issus de filiales jusqu’aux adhé-rents fut renforcée. Le rapportd’évaluation de ces lois faisait néan-moins état d’un faible recours aux nou-veaux outils de financement introduits.

D’autres changements ont eu lieudepuis. La Loi d’Orientation Agricole de1999 offre par exemple à toute coopéra-tive de l’Union européenne la possibilitéde devenir « associé coopérateur » d’uneunion de coopératives. La loi de 2006élargit l’utilisation de certains outilsfinanciers, mais renforce dans le mêmetemps les exigences en matière d’infor-mation des associés sur la gestion de lacoopérative, dont les modalités de gou-vernance sont devenues un enjeu cen-tral23. Ces évolutions juridiques ontainsi permis l’augmentation du capitaldes coopératives, ce qui, bien que nerelevant pas du statut coopératif, consti-tue une évolution majeure de l’organisa-tion économique des filières agricoles.

***

L’évolution des coopératives agricolesfrançaises est riche d’enseignements.Leur trajectoire de développement est

un exemple des tensions constantes surle maintien de spécificités de ces struc-tures dans un environnement où lespressions concurrentielles se sontaccrues. Les principes de fonctionne-ment ont évolué et le recours à l’expres-sion de « capitalisme coopératif » reflèteen partie ces évolutions. Les change-ments progressifs dans l’encadrementjuridique du fonctionnement des coopé-ratives ont été garants de leur essor.

Alors que les représentants de la coo-pération agricole affichent la volontéde poursuivre la recherche d’une« taille critique » des structures, les évo-lutions et restructurations du mondecoopératif français semblent loin d’êtreachevées. Les évolutions de la PolitiqueAgricole Commune et la volatilité crois-sante des prix pourront être un cataly-seur de ces évolutions, ainsi que del’organisation économique des exploi-tants agricoles. Les dispositions spéci-fiques de l’Organisation Commune deMarché des fruits et légumes, quivisent explicitement à stimuler l’orga-nisation des producteurs, et les débatssuscités par la sortie progressive desquotas laitiers24 peuvent en témoigner.Ces évolutions posent d’une part laquestion de l’articulation future de lacomposante « syndicale » de la repré-sentation professionnelle agricole avecsa composante « coopération économi-que ». Et elles soulèvent d’autre partdes enjeux croissants en matière degouvernance et d’implication des adhé-rents de coopératives de taille et decomplexité d’organisation toujoursgrandissantes.

Marie-Sophie DedieuFrédéric Courleux

Centre d’études et de prospective

Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche,de la Ruralité et de l’Aménagement du TerritoireSecrétariat GénéralService de la statistique et de la prospectiveCentre d’études et de prospective12 rue Henri Rol-TanguyTSA 7000793555 MONTREUIL SOUS BOIS CedexTél. : 01 49 55 85 05Sites Internet : www.agreste.agriculture.gouv.fr

www.agriculture.gouv.fr

Directrice de la publication : Fabienne Rosenwald

Rédacteur en chef : Bruno Hé[email protected]

Composition : SSP BeauvaisDépôt légal : À parution © 2011

21. Filippi, M., Frey O., Mauget R., 2008, Les enjeuxdes entreprises coopératives agricoles, la gouvernancedes coopératives face à l’internationalisation et la mon-dialisation des marchés ?, Colloque SFER 28-29 février2008 : Les coopératives agricoles, mutations et pers-pectives.22. Nicolas P., 1988, « Quelques aspects spécifiquesdu financement et de la structure financière des socié-tés coopératives agricoles », Économie Rurale, n° 187,pp 10-16 ; et 1992, La remise en cause de l’organisa-tion coopérative : crise d’identité et législation nouvelle,41 p.23. Voir notamment Perri Lewi, 2009, Les défis ducapitalisme coopératif, ce que les paysans nous appren-nent de l’économie, 212 p, sur les enjeux des coopé-ratives, dont ceux liés à la gouvernance et à l’efficacitédu management des coopératives, Pearson.24. Voir le rapport du Groupe à Haut Niveau sur lesecteur laitier du 15 juin 2010 et le paquet lait de laCommission européenne du 9 décembre 2010.