Les civilisations à l'épreuve du climat -...

16
VINCENT BOQUEHO LES CIVILISATIONS À L’ÉPREUVE DU CLIMAT

Transcript of Les civilisations à l'épreuve du climat -...

6915482ISBN 978-2-10-057568-8

VINCENT BOQUEHOest Docteur en astrophysique. Il est déjà auteur de Toute la physique sur un timbre poste et de La vie, ailleurs ?

Comment le climat a-t-il évolué ? Peut-on éta-blir un lien entre cette évolution et le dévelop-pement des civilisations ? Pourquoi certaines régions ont-elles connu un essor économique tandis que d’autres sont restées à l’écart du développement ?

Vincent Boqueho présente dans cet ouvrage une intéressante analyse de l’impact du climat sur l’histoire humaine. Il démontre que l’apparition des foyers de civilisation coïncide avec un fait essentiel : l’existence d’un fort stress climatique, qui tend à favoriser les innovations matérielles. Sans nier que l’industrialisation et les progrès agrono-miques aient rendu l’homme moins dépendant du climat,l’auteur soutient que le climat reste toujours aujourd’hui un facteur explicatif essentiel.

VINCENT BOQUEHOVINCENT BOQUEHO

LES CIVILISATIONSÀ L’ÉPREUVE DU CLIMAT

LES CIVILISATIONSÀ L’ÉPREUVE DU CLIMAT

LE

S C

IVIL

ISA

TIO

NS

À L

’ÉP

RE

UV

E D

U C

LIM

AT

VIN

CEN

T

BO

QU

EH

O

18 € Prix France TTC

Quai2012-140x220 04.indd 1 09/03/12 12:29

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page V — #1

i

i

i

i

i

i

i

i

SOMMAIRE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Chapitre 1. De la Préhistoire à l’Histoire . . . . . . . . . . . 7

Chapitre 2. Les foyers d’innovation dans le monde 69

Chapitre 3. Le rôle du climat de l’Antiquité à nosjours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 1 — #3

i

i

i

i

i

i

i

i

INTRODUCTION

De nos jours, le climat est perçu surtout comme un facteurinfluençant notre bien-être et pilotant nos activités de loisir :nous regardons la météo pour savoir si nous allons pouvoirsortir le prochain week-end, ou si nous allons pouvoir bienprofiter de nos vacances... Le climat semble donc jouer un rôlemineur dans la richesse et la croissance d’un pays développé :seuls certains professionnels comme les agriculteurs ou lespêcheurs peuvent encore voir leurs revenus varier en fonctiondu temps qu’il fait.

Or ce détachement apparent vis-à-vis de l’impact du climatest tout à fait récent, et date de la révolution industrielle :l’Histoire humaine avant ces deux derniers siècles a étédominée économiquement par le secteur agricole, fortementtributaire du climat. Le passage même de la Préhistoire àl’Histoire trouve ses racines dans la mise en place d’uneagriculture intensive de plantes domestiquées, à l’époquenéolithique : l’essor des premières grandes civilisationshistoriques1 s’est bâti sur le développement très poussé de cespratiques agricoles, tant et si bien qu’on parle de « révolution

1. Le mot « civilisation » comporte plusieurs acceptions. Dans ce livre, onadopte le point de vue de l’historien : une civilisation est une société organiséeà grande échelle ayant laissé un grand nombre de témoignages matériels, qu’ilssoient écrits ou monumentaux.

Dun

od–

Tou

tere

prod

ucti

onno

nau

tori

sée

est

undé

lit.

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 2 — #4

i

i

i

i

i

i

i

i

Introduction

néolithique » pour caractériser ces bouleversements trèsanciens ayant conduit aux sociétés modernes actuelles.

La grande susceptibilité de l’agriculture vis-à-vis du climatinvite naturellement à penser que celui-ci pourrait avoir jouéun rôle majeur dans l’Histoire, expliquant l’essor historiquetrès variable des différentes régions du monde. La dominationdes civilisations européennes sur les civilisations d’Amériqueprécolombienne était-elle climatiquement inéluctable ? L’ab-sence de civilisation urbaine en Australie avant l’arrivéedes Européens est-elle liée à un climat plus défavorablequ’ailleurs ? Les questions qui se posent sont innombrables, etpassionnantes puisqu’elles cherchent à comprendre l’originede la différence de prospérité entre pays depuis l’antiquitéjusqu’à nos jours. La trame de l’Histoire a-t-elle obéi à desprocessus chaotiques et imprédictibles, ou bien a-t-elle étéinfluencée par un déterminisme climatique sous-jacent ?

De fait, nous allons voir que la fin de la dernière ère glaciairea joué un rôle décisif dans la mise en place des premièresrévolutions néolithiques, en proposant des environnementsbeaucoup plus chauds et humides. En revanche, dès qu’oncherche à comprendre l’inégale prospérité des différentesrégions du monde au néolithique ou pendant l’histoireantique, l’impact du climat semble disparaître totalement.La diversité des climats ayant permis la transition dela Préhistoire vers l’Histoire surprend au regard de leurimportance pour le secteur agricole : des régions chaudes auxrégions froides, des régions humides aux régions sèches, lemonde offre presque toutes les palettes environnementalespossibles dans le développement des premières civilisationshistoriques. À l’inverse, deux régions au climat en apparencesimilaire ont pu conduire à des évolutions radicalementdifférentes, depuis le maintien du mode de vie paléolithiquejusqu’à l’essor rapide d’une grande civilisation urbaine.

2

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 3 — #5

i

i

i

i

i

i

i

i

Introduction

C’est la raison pour laquelle l’idée la plus courammentretenue est celle d’une absence de déterminisme climatiquepouvant expliquer ces évolutions. Souvent, on préfère mettreen avant les différences culturelles pour justifier les disparitésde mode de vie rencontrées à l’époque néolithique, mais celane fait bien sûr que décaler le problème. La question devient :qu’est-ce qui justifie l’existence d’une culture plutôt qu’uneautre dans telle ou telle société ?

Il est évident que l’environnement dans lequel évolueun peuple « primitif1 » doit jouer un rôle essentiel dansl’élaboration de sa culture. Mais le nombre de facteursenvironnementaux à prendre en compte est peut-être toutsimplement trop important pour pouvoir dénouer lesrelations de cause à effet : cette imbrication de nombreuxfacteurs complexes expliquerait la dichotomie apparenteentre le climat et l’essor des premières civilisations. Il seraitalors vain de vouloir expliquer les évolutions profondes del’Histoire du monde.

Cet ouvrage aboutit cependant à une conclusion inverse :en choisissant seulement trois critères climatiques simpleset quantitatifs dont certains sont habituellement négligés,il établit une carte climatique qui se superpose à la cartedes premières civilisations historiques avec une précisionremarquable. Ceci indiquerait que la diversité climatiquedes foyers de civilisation rencontrée n’est qu’apparente : undénominateur commun d’origine climatique semble bel etbien les relier. À chaque endroit où les critères climatiquessont vérifiés, un centre de prospérité s’est développé ; et à

1. Dans ce livre, le terme « primitif » est exclusivement utilisé dans son senspremier, qui renvoie à la notion d’antériorité. Nous évoquons ici HomoSapiens à ses débuts.

Dun

od–

Tou

tere

prod

ucti

onno

nau

tori

sée

est

undé

lit.

3

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 4 — #6

i

i

i

i

i

i

i

i

Introduction

l’inverse, aucune civilisation historique autonome (c’est-à-dire ayant peu hérité d’une autre civilisation) n’a jamais prisson essor là où cette condition climatique était absente.

Ces trois critères seront présentés dans le premier chapitre,mais nous pouvons d’ores et déjà évoquer la conséquencede leur présence commune dans une région donnée : prisensemble, ils correspondent à un « stress environnemental »très fort. Ce stress climatique semble avoir constitué unaiguillon essentiel ayant poussé à l’innovation. Peu à peu,cette volonté d’innovation s’est enracinée dans la culture,qui a pu ensuite se diffuser de proche en proche : ainsi denouvelles civilisations purent-elles naître progressivement aucontact des précédentes.

Abordée en parallèle du climat, la trame de l’Histoireen devient plus limpide. Bien sûr, il reste forcément deszones d’ombre, et le rôle essentiel du climat n’est pasexclusif : plus on s’intéresse à de petites échelles spatialeset temporelles, plus cette trame générale disparaît au profitd’événements ponctuels qui deviennent largement aléatoires.L’étude présentée ici tend simplement à démontrer que leclimat pourrait avoir joué un rôle plus important que ce quiest couramment admis, depuis le néolithique jusqu’à nosjours.

Pour mettre en avant ces constats, l’ouvrage est structuréen trois parties : la première est une présentation généraledes évolutions survenues dans le passage de la Préhistoireà l’Histoire d’une part, et des grandes caractéristiques duclimat terrestre d’autre part. Ces réflexions conduisent àisoler les critères climatiques qui semblent importants dansle développement des sociétés primitives : elles aboutissentà une identification remarquable entre deux cartes, celleclimatique et celle des premières civilisations historiques.

4

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 5 — #7

i

i

i

i

i

i

i

i

Introduction

Le deuxième chapitre consiste à étudier séparément lesdifférents continents, en se focalisant sur les centres deprospérité constatés. Les évolutions sont à chaque foisabordées sous deux angles différents : celui de l’archéologueattaché aux vestiges néolithiques, et celui de l’historienattaché à l’essor des premières grandes civilisations.

Le dernier chapitre évoque l’évolution des civilisationsdans le monde depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, périodependant laquelle le climat semble là encore avoir eu un fortimpact. Il se termine par quelques réflexions sur le rôle duclimat à l’époque actuelle.

5

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 7 — #9

i

i

i

i

i

i

i

i

1

DE LA PRÉHISTOIRE

À L’HISTOIRE

L’Homme primitif et son environnement

Les trois devoirs sacrésÀ l’état primitif, l’Homme est un animal dont le compor-tement est piloté par un nombre très limité de besoinsfondamentaux. Ces besoins sont eux-mêmes régis par unimpératif unique : perpétuer l’espèce. La raison en est simple :une espèce qui n’aurait pas cet impératif de survie dansson patrimoine génétique posséderait un handicap fatal parrapport aux autres. C’est la dure loi de la sélection naturelle.

C’est la reproduction qui permet de transmettre l’informa-tion génétique, et donc de perpétuer l’espèce. Mais pour pou-voir se reproduire, un individu doit disposer de suffisammentde temps pour se développer, jusqu’à la maturité sexuelle.Il doit donc d’abord chercher instinctivement à survivre entant qu’individu. Enfin, ce développement nécessite unequantité considérable d’énergie, conférée par la nourriture :

Dun

od–

Tou

tere

prod

ucti

onno

nau

tori

sée

est

undé

lit.

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 8 — #10

i

i

i

i

i

i

i

i

Les civilisations à l’épreuve du climat

l’acquisition efficace de nourriture est donc elle aussi unbesoin fondamental.

En résumé, la nécessité de perpétuer l’espèce conduit àtrois principaux comportements primitifs : la volonté desurvie, la volonté de reproduction, et la volonté de se nourrir.Ainsi, l’Homme cherchera à tout prix à accomplir ces « troisdevoirs sacrés », de façon la plus efficace possible.

Notons que la nécessité de se nourrir pourrait être vuecomme un simple corollaire du besoin de survie. Toutefois,la volonté de survie et la volonté de se nourrir amènentà des comportements instinctifs très différents : un animalcherche de la nourriture parce qu’il a faim, et non parce qu’ila peur de mourir. La quête de nourriture et l’évitement desprédateurs n’obéissent pas aux mêmes instincts.

Enfin, on pourrait ajouter le besoin de boire aux côtés dubesoin de manger ; toutefois dans la plupart des régions dumonde, l’homme primitif a un accès à l’eau bien plus facileque l’accès à la nourriture.

La nourriture, un besoin primaireFocalisons-nous sur l’un de ces objectifs primaires : larecherche de nourriture. Celle-ci provoque d’autres com-portements dans son sillage : tous les individus se retrouventen compétition pour l’acquisition de nourriture, puisqu’ilsont tous ce même objectif. Cela donne lieu naturellementà des conflits pour acquérir ces ressources : pour survivre,l’Homme doit donc être capable de défendre son territoire, etêtre capable d’en attaquer un autre. C’est un cercle vertueux :les plus forts ont davantage de chances de survivre, ce quirenforce le patrimoine génétique de l’espèce.

La force brute ne suffit pas dans ces conflits : la stratégie degroupe est d’une importance considérable. L’espèce humaine

8

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 9 — #11

i

i

i

i

i

i

i

i

De la Préhistoire à l’Histoire

a d’ailleurs choisi de privilégier cette intelligence sociale auxdépens de la force physique, par rapport à d’autres espècesanimales. La vie en communauté est donc un besoin fort chezl’Homme : non seulement elle permet de mieux se défendre,mais, de plus, elle permet de mieux exploiter les ressourcesnaturelles, donnant davantage à chacun.

Enfin, l’intelligence de l’Homme lui a aussi permis dedévelopper des outils de plus en plus performants : outils depierre, de bois, d’os ou d’argile d’abord, auquel s’est ajoutéplus tard le bronze, puis le fer. Là encore, l’intérêt est double :d’une part les armes permettent de mieux se défendre (ouattaquer...), d’autre part les outils agricoles permettent demieux exploiter les ressources naturelles en nourriture. Danstous les cas, il ne s’agit pour l’Homme que d’un moyencomme un autre de satisfaire plus efficacement ses besoinsvitaux...

Les ressources en matériaux se trouvent rarement auxmêmes endroits que les ressources en nourriture : très tôt,l’Homme a été amené à développer un commerce à plus oumoins grande échelle. On retrouve alors la subdivision dutravail en trois secteurs : le secteur primaire correspondant àl’exploitation des ressources naturelles (minerais d’une part,mais surtout nourriture), le secteur secondaire correspondantà la fabrication des outils (armes, matériel agraire...), et lesecteur tertiaire dédié notamment aux échanges. Bien sûr,ces trois secteurs n’ont pas toujours été répartis entre despersonnes différentes : pendant longtemps, les paysans ontété aussi artisans (fabrication de poteries pour conserverla nourriture accumulée, par exemple), et troquaient eux-mêmes leurs biens contre d’autres. La différenciation dessociétés, avec des métiers bien distincts, n’est apparue queprogressivement, là où la population était la plus dense : nousy reviendrons.

Dun

od–

Tou

tere

prod

ucti

onno

nau

tori

sée

est

undé

lit.

9

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 10 — #12

i

i

i

i

i

i

i

i

Les civilisations à l’épreuve du climat

Par ailleurs, jusqu’à la révolution industrielle, les sociétésdu monde ont toujours été marquées par une très netteprédominance du secteur primaire, notamment agricole :cela met bien en évidence le fait que les comportementshumains ont toujours tourné autour de ce besoin vitald’acquérir la nourriture. Les secteurs secondaire et tertiaireeux-mêmes en ont été longtemps une conséquence indirecte.Nous reviendrons plus tard sur les évolutions plus récentes,post-industrielles : en effet, elles ne concernent que la dernièrefraction de l’Histoire humaine...

La dualité épidémies/faminesParmi les critères de survie, nous avons essentiellement citéla recherche de nourriture, avec tous ses corollaires sociauxet guerriers. Mais d’autres dangers guettent l’Homme : lesmaladies en font assurément partie. La mortalité infantile atoujours été un fléau épouvantable dans le passé, sans parlerdes épidémies éradiquant des pans entiers de population.Mais à la différence de la recherche de nourriture, l’Hommeprimitif a des moyens assez limités pour s’en prémunir. Ilne peut que chercher à limiter la contraction des maladies :la construction d’habitations pour se prémunir du froid etde la pluie va dans ce sens, de même que la confection devêtements. Il s’agit bien sûr de comportements instinctifs : lavolonté d’éviter les maladies par ce biais n’est pas consciente.

Le froid et la pluie ont par ailleurs un effet doublementnéfaste, car ils tendent à augmenter les pertes d’énergie ducorps humain. Tout le monde aura remarqué que la chaleurde l’été n’est pas propice à des repas pantagruéliques, tandisque le froid de l’hiver favorise l’appétit : la perte d’énergiepar le froid se reporte sur un plus grand besoin de nourriture.En particulier, la pluie est le meilleur moyen pour perdre

10

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 11 — #13

i

i

i

i

i

i

i

i

De la Préhistoire à l’Histoire

de l’énergie rapidement : même en plein été, la pluie donnefroid. Ainsi, la sensation désagréable que procure la pluien’est probablement qu’une conséquence visible du besoininstinctif et inconscient de limiter les pertes d’énergie, héritéde l’époque où la nourriture était une denrée précieuse etconvoitée.

Finalement, on voit que la construction d’habitations etle tissage de vêtements font exactement partie de la mêmestratégie que l’agriculture ou l’élevage : il s’agit d’acquérir leplus d’énergie possible en en perdant le moins possible. Laprotection face au froid et à la pluie permet par ailleurs demieux résister au développement des maladies.

Le besoin de faire du feu est un autre exemple quirépond à ces différents objectifs : dans les régions froidesil permet de donner de la chaleur, dans les régions chaudes ilpermet de chasser l’humidité, réduisant les risques de maladieparticulièrement élevés dans la chaleur humide.

Nous venons ainsi de dégager les deux principaux fléaux quicontrecarrent le développement de l’Homme : les faminesd’une part, les épidémies d’autre part. Le Moyen Âge enEurope a d’ailleurs vu alterner ces deux phases, selon uncycle assez morbide : les périodes succédant aux épidémiesétaient les plus prospères, car en diminuant la population,les épidémies éloignaient le spectre de la famine...

Nous verrons que ce « diptyque » épidémies/faminesamène à diviser le monde en trois grands ensembles biendistincts : cette dichotomie est d’une importance capitalepour comprendre les ressorts les plus fondamentaux del’Histoire Humaine, et soulève une cause majeure d’inégalitésdans le développement des différentes régions du monde.

Nous allons maintenant analyser plus en détail commentla recherche de nourriture a conduit l’Homme à passer peu

Dun

od–

Tou

tere

prod

ucti

onno

nau

tori

sée

est

undé

lit.

11

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 12 — #14

i

i

i

i

i

i

i

i

Les civilisations à l’épreuve du climat

à peu de la Préhistoire à l’Histoire, et de quelle manière lesépidémies et les famines ont influencé cette évolution.

L’émergence de l’Homme moderne

Les grandes étapes de l’évolutionCommençons par un bref aperçu du rôle du climat dansl’émergence de l’espèce humaine. On le sait, l’Hommeappartient à l’ordre des primates, et est issu de l’évolu-tion d’un ancêtre des grands singes actuels (orangs-outans,gorilles, bonobos, chimpanzés). Le premier trait qui amèneà distinguer la lignée humaine de celle des chimpanzés estl’apparition de la bipédie : celle-ci semble émerger en Afriqueil y a au moins sept millions d’années. Il faudra toutefois dutemps avant que ce nouveau mode de déplacement ne luipermette de s’affranchir complètement du milieu forestier,écosystème naturel des grands singes.

L’évolution de la lignée humaine apparaît comme étantlargement non linéaire, avec l’apparition autonome d’untrès grand nombre d’espèces dans diverses régions d’Afrique.Le genre des Australopithèques apparaît vers - 4,5 millionsd’années avant notre ère, puis celui des Hominidés entre -2,5et -3 millions d’années.

Le développement de l’intelligence permet aux Hominidésde conquérir des milieux naturels de plus en plus variés, cequi les amène à sortir du continent africain et à colonisertoute l’Eurasie, vers -1,8 millions d’années. Ce nouvel essors’accompagne d’une autre évolution majeure : l’apparitiondu langage articulé.

De nombreuses espèces d’Hominidés peuplent encorele monde lorsqu’apparaît « l’Homme moderne », HomoSapiens : cette émergence semble avoir lieu là encore en

12

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 13 — #15

i

i

i

i

i

i

i

i

De la Préhistoire à l’Histoire

Afrique, il y a environ deux cent mille ans. Homo Sapiensdomine peu à peu les autres espèces jusqu’à les supplanter :l’Homme de Néandertal, implanté en Europe et au Moyen-Orient, est l’un des derniers à disparaître, il y a trentemille ans environ. L’intelligence plus grande d’Homo Sapienslui permet également de coloniser de nouvelles terres, enparticulier le continent américain.

Il y a douze mille ans, l’Homme moderne peuple la majeurepartie du globe, et son intelligence est déjà proche de la nôtre :tout est en place pour que s’amorce la révolution qui conduirade la Préhistoire à l’Histoire...

Le rôle du climat dans l’essor de l’intelligence des primatesAu sein du règne animal, les primates possèdent des capacitéscognitives particulièrement développées. Notamment, l’in-telligence des grands singes apparaît tout à fait remarquable.Il se trouve qu’aujourd’hui, tous les grands singes habitentdes zones forestières chaudes et humides situées près del’équateur : orangs-outangs dans les îles de Sumatra et Bornéoainsi qu’en Malaisie, gorilles, bonobos et chimpanzés dansla forêt équatoriale africaine.

La chaleur et l’humidité furent-ils donc des paramètres clésdans le développement de l’intelligence des grands singes,puis des ancêtres de l’Homme ? C’est une hypothèse plausible,car le rôle du climat à ce niveau peut s’expliquer assezfacilement.

La Vie a besoin d’énergie pour se développer. En parti-culier, les animaux trouvent cette énergie de deux façonsbien distinctes : en respirant d’une part (énergie chimiquede l’oxygène), et en mangeant d’autre part (énergie chi-mique de la nourriture). La mobilité des animaux est unatout considérable qui leur permet d’aller chercher cette

Dun

od–

Tou

tere

prod

ucti

onno

nau

tori

sée

est

undé

lit.

13

“BAT_Leclimat” (Col. : Quai Des Sciences 14x22) — 2012/3/8 — 19:34 — page 14 — #16

i

i

i

i

i

i

i

i

Les civilisations à l’épreuve du climat

nourriture ; le problème est qu’en retour, le mouvementconsomme énormément d’énergie (le sport est le meilleurmoyen de brûler des calories...). Les animaux ne doiventdonc pas utiliser leur mobilité n’importe comment : ils sedoivent d’optimiser le mouvement pour aller chercher leplus efficacement possible leur nourriture. Autrement dit,ils se doivent de développer une « stratégie d’acquisitionde la nourriture » : ainsi, la sélection naturelle aurait-elleprogressivement privilégié les espèces plus intelligentes, dontle rapport gain/perte d’énergie était plus élevé.

L’intelligence représente la capacité à établir des liens entrede nombreuses données pour en déduire une nouvelle. Elleest donc essentielle pour déterminer la conduite optimaleà suivre dans la recherche de nourriture. Le problème estqu’elle consomme elle-même beaucoup d’énergie : le cerveaude l’Homme consomme environ un tiers de toute l’énergiecorporelle dépensée. L’intelligence n’est donc utile que si legain en nourriture retiré est supérieur au surplus d’énergieconsommée.

Il se trouve que les régions équatoriales chaudes et humidescombinent deux éléments propices à ces conditions optimales.Tout d’abord, la chaleur et l’humidité permettent une viefoisonnante dans les forêts équatoriales, qui proposent doncune variété et une quantité de nourriture considérables :l’énorme quantité d’énergie nécessaire pour le développementde l’intelligence est présente dans ces régions. En contrepartie,la compétition entre espèces pour la recherche de nourritureest d’autant plus farouche : plus que partout ailleurs, cettecompétition permanente stimule le développement d’uneintelligence de plus en plus acérée.

Ainsi, le climat équatorial apparaît comme essentiel pourexpliquer l’émergence des grands singes, prélude à celle de la

14

6915482ISBN 978-2-10-057568-8

VINCENT BOQUEHOest Docteur en astrophysique. Il est déjà auteur de Toute la physique sur un timbre poste et de La vie, ailleurs ?

Comment le climat a-t-il évolué ? Peut-on éta-blir un lien entre cette évolution et le dévelop-pement des civilisations ? Pourquoi certaines régions ont-elles connu un essor économique tandis que d’autres sont restées à l’écart du développement ?

Vincent Boqueho présente dans cet ouvrage une intéressante analyse de l’impact du climat sur l’histoire humaine. Il démontre que l’apparition des foyers de civilisation coïncide avec un fait essentiel : l’existence d’un fort stress climatique, qui tend à favoriser les innovations matérielles. Sans nier que l’industrialisation et les progrès agrono-miques aient rendu l’homme moins dépendant du climat,l’auteur soutient que le climat reste toujours aujourd’hui un facteur explicatif essentiel.

VINCENT BOQUEHOVINCENT BOQUEHO

LES CIVILISATIONSÀ L’ÉPREUVE DU CLIMAT

LES CIVILISATIONSÀ L’ÉPREUVE DU CLIMAT

LE

S C

IVIL

ISA

TIO

NS

À L

’ÉP

RE

UV

E D

U C

LIM

AT

VIN

CEN

T

BO

QU

EH

O

18 € Prix France TTC

Quai2012-140x220 04.indd 1 09/03/12 12:29