Les Caprices de Marianne - BIBLIO - HACHETTE · La maison de Claudio annoncée par la didascalie...

33
Les Caprices de Marianne Alfred de Musset Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 85 établi par Isabelle de Lisle, agrégée de Lettres modernes, professeur en collège et en lycée

Transcript of Les Caprices de Marianne - BIBLIO - HACHETTE · La maison de Claudio annoncée par la didascalie...

Les Caprices de Marianne

Alfred de Musset

L i v r e t p é d a g o g i q u e

correspondant au livre élève n° 85

établi par Isabelle de Lisle,

agrégée de Lettres modernes, professeur en collège et en lycée

Sommaire – 2

S O M M A I R E

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3  Acte I, scène 1 (pp. 9 à 20) ..................................................................................................................................................................... 3  Acte I, scènes 2 et 3 (pp. 26 à 31) .......................................................................................................................................................... 8  Acte II, scène 1 (pp. 35 à 46) ................................................................................................................................................................ 12  Acte II, scènes 2 à 4 (pp. 51 à 59) ......................................................................................................................................................... 18  Acte II, scènes 5 et 6 (pp. 63 à 67) ....................................................................................................................................................... 23  Retour sur l’œuvre (pp. 72 à 74) .......................................................................................................................................................... 27  

P R O P O S I T I O N D E S É Q U E N C E D I D A C T I Q U E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 9  

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 0  

P I S T E S D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 2  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2013. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

Les Caprices de Marianne – 3

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

A c t e I , s c è n e 1 ( p p . 9 à 2 0 )

u Avez-vous bien lu ? u Ciuta, l’entremetteuse, aborde Marianne pour lui apprendre l’amour de Cœlio. v Cœlio appartient à la noblesse ; comme le dit Ciuta : « il est d’une noble famille ». w Marianne a la réputation d’être une femme très vertueuse. C’est ce que nous apprend Tibia, le valet de Claudio : « votre femme passe pour un dragon de vertu dans toute la ville ». x Claudio est en colère parce qu’il soupçonne sa femme d’avoir un amant en raison des sérénades qu’il entend sous ses fenêtres. y Cœlio porte un habit noir, ce qui contraste avec le contexte du carnaval et montre son décalage tout en annonçant son destin funeste. U Octave fait à Cœlio le serment de tout faire pour que Marianne réponde à l’amour de ce dernier : « Je te jure sur mon honneur que Marianne sera à toi, ou à personne au monde, tant que j’y pourrai quelque chose. » V Marianne charge Octave de dire à Cœlio qu’elle ne l’aime pas. À son cousin qui lui affirme qu’elle n’aime pas son mari, elle rétorque : « Ni Cœlio ; vous pouvez le lui dire. »

u La composition du passage W En s’appuyant sur l’entrée et la sortie des personnages, on compte six scènes, au sens classique du mot, dans notre passage : 1. Marianne et Ciuta (du début à « Elle sort », l. 10). 2. Cœlio et Ciuta (de « entrant », l. 11, à « Ils sortent », l. 19). 3. Claudio et Tibia (de « Entrent Claudio et Tibia », l. 20, à « Ils sortent », l. 57). 4. Cœlio seul (de « rentrant », l. 58, à « que j’aperçois », l. 69). 5. Cœlio et Octave (de « Entre Octave », l. 69, à « Cœlio sort », l. 215). 6. Octave et Marianne (de « Entre Marianne », l. 216, à la fin du passage). X Le changement de scène correspond, dans le théâtre classique, à l’entrée ou à la sortie d’un personnage. Ici, Musset donne au mot le sens de « tableau » et, adoptant une souplesse toute romanesque, il marque par une simple didascalie l’entrée ou la sortie d’un personnage. On peut voir ici une volonté de rompre avec l’esthétique classique pour proposer un théâtre moins rigide. La pièce a été écrite trois ans après la célèbre « bataille d’Hernani », et l’on peut y voir un parti pris romantique de changement que l’on retrouve dans le mélange des genres. On pensera également à la dimension romanesque de la pièce destinée à être lue « dans un fauteuil » au lieu d’être représentée sur scène. Le découpage en scènes est un outil qui facilite les répétitions pour les comédiens ; le lecteur, lui, peut se contenter des didascalies (« entrant », « Ils sortent », etc.) pour imaginer l’action. Tout se passe comme si Musset poussait le mélange des genres prôné par Hugo jusqu’à abolir la frontière entre théâtre et roman. at Pour Musset, ce n’est pas l’entrée ou la sortie d’un personnage qui définit la scène, mais c’est le lieu qui en assure l’unité. Dans ce théâtre qui a rejeté la règle des trois unités et qui ne se soucie pas des contraintes matérielles de la représentation, le changement de scène correspond au changement de décor. Avant la scène 2, qui a lieu dans la maison de Cœlio, la scène 1 se déroule à l’extérieur, dans « une rue devant la maison de Claudio ». La rue est un espace public, ouvert à tous, comme le signale d’ailleurs Marianne elle-même : « cette place appartient à tout le monde ». Elle est donc un lieu de rencontres : Ciuta y attend Marianne et Cœlio vient ensuite y interroger l’entremetteuse ; Octave y rencontre successivement Cœlio et Marianne ; on y voit aussi Claudio discuter avec son valet. Tous les personnages importants de l’intrigue se croisent dans cette exposition qui, suivant les conseils de Boileau, joue la carte de la concision.

Réponses aux questions – 4

De façon plus profonde, on peut accorder également à ce décor une force symbolique. La rue représente la société, celle qui fait et défait les réputations (« votre femme passe pour un dragon de vertu dans toute la ville », dit Tibia), celle qui instaure des règles mais autorise aussi les entorses (les sérénades sous les fenêtres d’une femme mariée). La maison de Claudio annoncée par la didascalie initiale est, quant à elle, un lieu privé. Elle traduit, d’une part, un souci de vraisemblance en justifiant la présence sur scène du juge et de sa femme ; elle marque, d’autre part, l’intimité d’une vie fermée : seuls Claudio, Marianne et Tibia sont autorisés à pénétrer dans cette maison. Cœlio n’y est pas admis et se contente de jouer de la guitare sur la place, qui « appartient à tout le monde » ; Octave pourrait y pénétrer mais au seul motif d’y attendre son cousin Claudio. On peut voir là une représentation d’une vie bourgeoise fermée aux autres ou d’une intimité féminine inaccessible (un avatar du château de la dame dans la littérature courtoise). À ce double titre la remarque de Tibia, qui dit de Marianne qu’« elle ne voit personne » et qu’« elle ne sort de chez elle que pour aller à la messe », est significative.

u Une scène d’exposition : la mise en place des personnages ak

Personnages Lien Claudio et Marianne Mari et femme Octave et Cœlio Deux amis Octave et Claudio Deux cousins Octave et Marianne Deux cousins par alliance Cœlio et Marianne Amant et objet de cet amour non réciproque Claudio et Tibia Maître et valet Cœlio et Ciuta Maître et entremetteuse

al Dès le début de la pièce, Ciuta est présentée comme une entremetteuse. Tout d’abord, elle s’approche de Marianne, « l’aborde », et l’on devine que la rencontre n’est pas fortuite. L’apostrophe « Ma belle dame » semble une flatterie destinée à s’attirer la bienveillance de Marianne. La jeune femme ne s’y trompe pas et sa réplique montre qu’elle a bien vu à qui elle avait affaire : « Dites à celui qui vous envoie […]. » Juste après le départ de Marianne, Cœlio fait son entrée et interroge sans détour Ciuta, ce qui prouve au spectateur que la « vieille femme » est bien une entremetteuse. L’emploi de Tibia est lui aussi clairement défini dès son arrivée sur la scène, puisque Claudio s’adresse à lui en utilisant les expressions « fidèle serviteur » et « valet de chambre dévoué ». Ainsi, bien que la pièce soit écrite pour être lue comme un roman « dans un fauteuil », Musset a recours à des procédés spécifiquement théâtraux pour caractériser ses personnages. C’est le dialogue (et non des didascalies romanesques) qui joue son rôle informatif ; les informations sont claires, comme si elles s’adressaient à un spectateur qui, à la différence d’un lecteur, ne peut revenir en arrière. C’est à ces détails que l’on comprend que la pièce ait pu, au XXe siècle, être représentée dans sa version originale.

u La présentation des personnages principaux : Cœlio et Octave am Le champ lexical du désespoir et le ton de la lamentation dominent dans les deux premières répliques de Cœlio de façon à fixer clairement le portrait du personnage. Mais la comparaison de ces deux répliques montre que le désespoir ne fait que croître. En effet, au tout début, le personnage s’inquiète de ce qui s’est passé et cherche à agir sur la réalité : « qu’a-t-elle dit ? », « Quelles ressources puis-je encore trouver ? ». L’adverbe « encore » marque à la fois une volonté de poursuivre la lutte et une certaine lassitude. Dans la troisième réplique, la lamentation occupe tout l’espace et Cœlio a renoncé à agir ; il « s’abandonne » à son « amour sans espoir », comme l’expriment la métaphore filée de la barque et tout un lexique de l’abandon (« se livre à », « le mène », « l’entraînent »). an Le verbe mourir apparaît dès les premiers mots de Cœlio, et la locution restrictive « je n’ai plus qu’à mourir » fait de la mort une issue inéluctable. La reprise des termes « malheureux » et « malheur » dans une construction exclamative s’apparente à une funeste malédiction. Dans la troisième réplique, la métaphore filée de la barque et du rivage rappelle la représentation antique de la mort. Cette forte présence de la mort est, sans doute, un présage funeste pour le lecteur-spectateur. Elle dépasse la simple expression d’un découragement et annonce, comme dans une tragédie, une issue

Les Caprices de Marianne – 5

fatale. Cœlio est d’ailleurs vêtu de noir et son visage est particulièrement pâle, comme le signale Octave (« un pied de blanc sur les joues »), ce qui contribue à annoncer le destin tragique du personnage. ao La tirade de Cœlio, traversée par des modalités variées, exprime tout le désarroi du personnage. On peut relever : – La modalité déclarative : « La réalité n’est qu’une ombre », « Alors la folie est la beauté elle-même », « Chaque homme marche enveloppé […] tissu magique ». Cette modalité est renforcée par le recours au présent de vérité générale et au verbe de définition être. Loin d’être neutre, comme on pourrait le croire, elle exprime avec force les convictions et le désespoir de Cœlio. – La modalité interrogative : on trouve des interrogations rhétoriques qui manifestent le trouble du personnage (« n’est-ce pas une vieille maxime parmi les libertins, que toutes les femmes se ressemblent ») et des vraies questions existentielles (« Pourquoi donc suis-je ainsi ? », « pourquoi ce qui te rendrait joyeux et empressé […] me rend-il triste et immobile ? »). Cœlio se sent fondamentalement différent d’Octave sans pouvoir l’expliquer. – Les modalités exclamative et injonctive : « Octave ! Octave ! viens à mon secours. » Il s’agit d’un appel à l’aide, d’un cri de pur désespoir (une syntaxe réduite au minimum), d’une ultime tentative (la fin de la tirade) pour se raccrocher à une réalité qui se dérobe. ap Victime du « mal du siècle », le héros romantique est attiré par un idéal en décalage avec une réalité vécue, sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet, comme décevante. Cœlio définit la réalité comme « une ombre », et la tournure restrictive qu’il emploie pour le dire exprime toute sa déception. En effet, le héros romantique rêve aux « visages divins » et à « l’universelle nature » ; pour poursuivre ses rêves, il doit s’écarter du réel, marcher « enveloppé d’un réseau transparent qui le couvre de la tête aux pieds ». Il ne voit pas la réalité mais « croit voir des bois et des fleuves », car il a revêtu le réel « des nuances infinies du tissu magique ». Le héros romantique projette ses chimères sur une réalité qui ne lui convient pas telle qu’elle est. aq À la différence de Cœlio, Octave est un libertin désireux de profiter dans l’instant de ce que la réalité peut lui offrir. Ses répliques témoignent de son sens du concret. On peut relever : – « Qui est cette Marianne ? est-ce que c’est ma cousine » : Octave situe la femme idéale dont parle Cœlio dans une réalité familiale ordinaire ; – « Est-elle jolie ? […] Que pourrions-nous imaginer ? » : Octave s’interroge sur l’aspect physique de Marianne, c’est-à-dire sur l’enjeu concret de la conquête. Puis il aborde la question de l’amour sous l’angle du stratagème : « Marianne connaît mon nom. Faut-il lui parler en ta faveur ? » ; « Si tu escaladais les murs ? » ; « Si tu lui écrivais ? » ; « je vais l’aborder » ; « Octave l’aborde ». Il s’agit là des différents stratagèmes envisagés par Octave, qui est, par ailleurs, un homme d’action capable de mettre à exécution ses projets (« Faut-il lui parler », « je vais l’aborder », « Octave l’aborde »). Bien ancré dans le réel, Octave est conscient de la difficulté de l’entreprise : « Si tu en aimais une autre ? Viens avec moi chez Rosalinde. » Il a une vision très réductrice des femmes : Marianne n’est qu’« une mince poupée qui marmotte des Ave sans fin », et il lui préfère la prostituée Rosalinde prête à partager (« avec moi »). ar Si Octave porte « une batte d’Arlequin », c’est parce que l’action se déroule durant le carnaval et qu’il est donc très certainement déguisé en Arlequin. Il porte un « accoutrement » et a « un pied de rouge sur les joues » ; Cœlio doute d’ailleurs qu’il soit la bonne personne pour intercéder en sa faveur auprès de Marianne : « Y penses-tu ? dans l’équipage où te voilà ! Essuie-toi le visage : tu as l’air d’un fou. » En déguisant Octave en Arlequin, Musset veut souligner le contraste avec Cœlio tout de noir vêtu. Les losanges colorés du personnage issu de la commedia dell’arte expriment la vitalité d’Octave et son goût pour les plaisirs. Il profite du carnaval et n’est pas rentré chez lui depuis huit jours (son nom signifie également « huit »). Il aime les femmes (Rosalinde) et le vin, comme en témoigne la forte présence du champ lexical de l’ivresse dans notre passage. De plus, comme le célèbre valet de comédie, il met son énergie et son astuce au service des amours des autres. On pense un peu ici au Scapin de Molière. Par ailleurs, le travestissement d’Octave montre que lui non plus ne parvient pas à appréhender la réalité telle qu’elle est et qu’il fuit dans le carnaval, tandis que Cœlio s’échappe dans ses chimères. De façon plus profonde, en renouant ici avec la comédie italienne, alors qu’il met également en scène un héros romantique assoiffé d’idéal, Musset révèle l’architecture d’une comédie qui se tisse autour de l’armature des références détournées.

Réponses aux questions – 6

as Sur le ton badin qui le caractérise, Octave s’empresse de demander à Cœlio de ses nouvelles dès qu’il le voit : « Comment se porte, mon bon monsieur, cette gracieuse mélancolie ? » Un peu plus loin, l’apostrophe amusante est remplacée par un « mon cher enfant » qui marque l’affection et la supériorité d’Octave. En effet, le jeune homme se pose en personne d’expérience qui peut rassurer son ami : « J’ai éprouvé cela. » Il met toute son énergie au service de Cœlio, ce qui est le signe le plus important de son amitié : « Parle, parle, dispose de moi. » Avant de rencontrer Marianne, il s’engage de façon solennelle, ce qui explique en partie l’ultime scène de la pièce : « Je te jure sur mon honneur que Marianne sera à toi, ou à personne au monde, tant que j’y pourrai quelque chose. »

u La présentation des personnages principaux : Claudio et Marianne bt Claudio nous fait penser à Arnolphe dans L’École des femmes de Molière ; c’est le barbon de la comédie dans le rôle d’un mari jaloux, aussi autoritaire qu’un père. Dès sa première apparition, la modalité injonctive à laquelle il a recours (« Tu m’iras chercher ce soir le spadassin », « tu me ferais plaisir de le croire »…) manifeste une autorité pouvant aller jusqu’à la violence. Il ne s’agit plus, comme chez Molière, de se débarrasser des prétendants importuns mais de les tuer. Mari jaloux, il imagine que Marianne a des amants (« me venger d’un outrage », « une odeur d’amants », « mon déshonneur est public »…), alors que son « fidèle serviteur » lui affirme qu’« elle ne voit personne ». Autoritaire, il n’écoute pas l’avis des autres et ne prend pas la peine de vérifier ses affirmations : « Je te dis qu’il est public. » Il n’exprime aucun amour pour Marianne mais parle plutôt d’une dette, comme s’il avait acheté sa femme : « après tous les cadeaux qu’elle a reçus de moi ». Il se soucie principalement de sa notoriété, comme le suggère la reprise du mot « public ». bk En faisant apparaître Marianne brièvement au début de la scène, puis plus longuement à la fin, Musset crée un effet d’attente dynamique, fréquent dans la comédie (cf. Tartuffe qui n’apparaît qu’à l’acte III). Le lecteur-spectateur doit attendre la fin du passage pour faire connaissance avec le personnage éponyme, mais le titre (« Les Caprices ») et la première apparition au lever de rideau lui donnent des informations qu’il a hâte de vérifier. bl Au lever de rideau, Marianne apparaît « un livre de messe à la main » ; ses propos expriment également sa rigueur morale. Elle fait taire Ciuta (« En voilà assez ») et repousse Cœlio (« il perd son temps et sa peine ») en brandissant les liens du mariage : « j’en instruirai mon mari ». Cette intransigeance est confirmée par Tibia (« un dragon de vertu ») et épinglée par Octave (« une mince poupée qui marmotte des Ave sans fin »). La rencontre qui clôt la scène l’exprime également. De même qu’elle a chassé Ciuta, Marianne repousse Octave : « Dispensez-vous donc de le dire et de m’arrêter plus longtemps », « Voilà une plaisanterie qui a duré assez longtemps ». Comme au tout début de la pièce, elle charge le messager de Cœlio d’un message qui ne laisse aucun espoir (« Ni Cœlio ; vous pouvez le lui dire ») et rappelle qu’elle est mariée (« j’aime Claudio, votre cousin et mon mari »). bm Si Marianne, en s’adressant à Octave, affirme la même intransigeance que durant sa rencontre avec Ciuta, l’échange des répliques a gagné en longueur, ce qui marque l’évolution de la jeune femme. On la devine, quoi qu’elle dise, disposée à écouter Octave. La modalité interrogative domine, ce qui est un autre signe de l’évolution de Marianne. La jeune femme, en posant des questions à son interlocuteur, s’interroge elle-même et commence à remettre en question son rôle de femme vertueuse. Ses questions ne sont pas, en effet, des artifices rhétoriques au service d’une joute oratoire mais un réel désir de savoir et de comprendre ; elle avoue son ignorance (« Je ne connais ni l’un ni l’autre ») et questionne : « Me direz-vous le nom de ce mal ? » ; « Pourquoi n’aimerais-je pas Claudio ? C’est mon mari ».

u L’exposition de l’intrigue bn Dans le dialogue entre Cœlio et Octave, les termes « mascarade » et « carnaval » indiquent le contexte festif de la scène. Le « bruit d’instruments » évoqué dans la didascalie ainsi que le costume d’Octave vont dans le même sens : « un pied de rouge sur les joues », « cet accoutrement », « une batte d’Arlequin ». Le « bruit d’instruments » du carnaval rappelle les sérénades de Cœlio, mais le registre est profondément différent. Se conformant à l’esthétique du drame romantique, Musset mélange les genres. Alors que le destin du jeune héros romantique s’annonce tragique (son costume noir indique la mort), le carnaval s’inscrit au cœur du genre de la comédie, car il implique, comme elle, travestissement et inversion des rôles (cf. Les Fourberies de Scapin de Molière ou L’Île des esclaves de Marivaux).

Les Caprices de Marianne – 7

Octave, déguisé en Arlequin, est associé à ce carnaval, et sa vie déréglée (huit jours sans rentrer chez lui) s’accorde avec cette semaine de fête (huit jours également avant la mise à mort d’un personnage symbolique) qui annonce peut-être la mort de Cœlio. Chacun à leur manière, Octave et Cœlio s’écartent de la réalité. Le premier en se déguisant et le second en refusant les rites de celle-ci : « D’où te vient ce large habit noir ? N’as-tu pas honte en plein carnaval ? » bo Dès le lever de rideau, Musset oppose l’attitude vertueuse de Marianne, qui, « un livre de messe à la main », menace de faire appel à son mari, et la démarche de l’entremetteuse, qui ouvre sur un autre monde, celui de la noblesse (attachée chez les romantiques à des valeurs) et de la passion (« éperdument amoureux »). Ce fort contraste entre la passion introduite par l’entremetteuse et la rigueur religieuse du livre de messe semble poser le problème de la pièce : Cœlio parviendra-t-il à ses fins ? la fidélité et la vertu triompheront-elles des passions ? bp Alors que Marianne et Cœlio ne se rencontrent pas dans le premier acte, puisque le jeune homme est incapable d’aborder celle qu’il aime (« Vingt fois j’ai tenté de l’aborder ; vingt fois j’ai senti mes genoux fléchir en approchant d’elle »), Octave et Marianne se rencontrent longuement. Après avoir repoussé Ciuta au début de la pièce, Marianne accepte d’écouter Octave et ses questions prolongent l’entretien. Une autre intrigue se trame en filigrane : Octave et Marianne vont-ils tomber amoureux l’un de l’autre ? L’aparté d’Octave qui clôt la scène résonne dans l’esprit du lecteur-spectateur : « Ma foi, ma foi ! elle a de beaux yeux. » L’intrigue a gagné en complexité, car, à côté du triangle Claudio/Marianne/Cœlio, est apparu le triangle Octave/Cœlio/Marianne qui, lui aussi, pose la question de la fidélité.

u Une scène enlevée de comédie bq Destinée à informer mais aussi à séduire le lecteur-spectateur, la scène d’exposition d’une comédie se doit d’être dynamique. Il suffit de se référer aux maîtres du genre que sont Molière, Marivaux et Beaumarchais pour s’en convaincre. Musset ne déroge pas à la règle, et différents procédés contribuent au dynamisme de la scène : – l’alternance des répliques brèves (échange de Claudio et de Tibia) et longues (les tirades de Cœlio et d’Octave) ; – le mouvement rapide des personnages (on relève, en effet, une dizaine de didascalies signalant l’entrée ou la sortie d’un personnage) ; – le contexte du carnaval qui justifie l’« accoutrement » d’Octave et le « bruit d’instruments » qui précède son entrée en scène ; – le contraste entre les personnages (Cœlio/Octave, Cœlio/Claudio, Marianne/Ciuta) ; – la surprise (Marianne, à la fin de la scène, s’avère un personnage plus complexe qu’au lever du rideau ; l’intrigue elle-même, quand s’esquisse un amour possible entre Octave et Marianne, rebondit pour s’enrichir) ; – le mélange des registres (il suffit de comparer Claudio, le barbon, et Cœlio, le héros romantique). br Chez Musset, comme chez Marivaux puis Beaumarchais, le dialogue progresse en rebondissant d’une réplique à l’autre. Les termes et les constructions se répètent : « fou que tu es », « plus que jamais »… Le jeu de variations à partir des reprises assure le dynamisme de l’échange : « pied de rouge sur les joues »/« pied de blanc sur les joues » ; « Plus que jamais de la belle Marianne »/« Plus que jamais du vin de Chypre ». La stichomythie et les modalités exclamative et interrogative contribuent aussi à la vivacité du dialogue. bs On relève les différents sujets : – « a » › sujet grammatical : « il » (pronom personnel)/sujet logique : « une odeur d’amants » (groupe nominal) ; – « passe » › sujet : « personne » (pronom indéfini) ; – « pleut » › sujet grammatical : « il » (pronom personnel)/sujet logique : « des guitares et des entremetteuses » (groupe nominal). Les deux pronoms personnels « il » sont vides et ne se réfèrent à aucun objet ou personne. Ces deux tournures impersonnelles, auxquelles s’ajoute l’emploi de l’indéfini « personne », tendent à gommer les visages des éventuels amants de Marianne. Claudio ne parle pas, d’ailleurs, d’« amants » mais d’une

Réponses aux questions – 8

simple « odeur », de « guitares » (métonymie) et d’« entremetteuses ». La menace est d’autant plus inquiétante pour lui qu’elle n’a pas de visage, d’où le recours à la tournure impersonnelle. ct Le comique de la réplique repose sur une tension entre l’absence de visages (cf. question précédente) et l’hyperbole qui accentue la menace. L’emploi du pluriel (« amants », « guitares », « entremetteuses ») est renforcé par le verbe pleuvoir qui exprime une quantité abondante. L’hyperbole amuse le lecteur-spectateur tout en montrant que, conformément à la tradition générique de la comédie, Claudio est un personnage excessif et peu crédible. ck Le personnage de Claudio, dans le rôle traditionnel du barbon, l’apparition dès le lever du rideau d’une entremetteuse que le livre de messe de Marianne n’effraie pas, le déguisement d’Octave et le grand habit noir de Cœlio participent au registre comique. Dans un contexte de carnaval, on entre, dès le lever du rideau, dans le monde comique de la transgression : Marianne renoncera-t-elle à son mari et à son livre de messe ? Claudio, en mari exagérément jaloux, défend bien mal les valeurs de la fidélité… Le rythme enlevé de la scène est aussi une source du comique. Par ailleurs, le désespoir de Cœlio, qui ne se range pas aux solutions de son ami (« Viens avec moi chez Rosalinde ») et qui, à l’écart de la réalité, se montre incapable d’aborder Marianne ou de participer au carnaval, annonce un destin funeste que confirme la forte présence des champs lexicaux de la mort et du malheur. On peut donc parler de « mélange des registres » ici, à condition de ne pas oublier que le comique domine. En effet, le désespoir de Cœlio contraste si nettement avec le libertinage d’Octave qu’il n’est pas exempt de comique. Musset semble réunir ici des personnages inadaptés : Marianne qui ne connaît pas l’amour ; Claudio qui voit « des guitares et des entremetteuses » partout ; Octave qui déambule en costume d’Arlequin ; et Cœlio qui, vêtu d’un « large habit noir », annonce sa mort.

u Lire l’image cl On voit Marianne tenir un livre de messe, ce qui est conforme au texte de Musset. La tristesse des deux personnages montre que, dès le début de la pièce, le drame couve sous l’apparente légèreté de la comédie. La grille partage l’espace en deux et son aspect imposant s’accorde bien avec la pièce de Musset qui oppose la sphère privée et l’espace public. Le fait que la grille soit entrouverte exprime tout le problème de l’intrigue : Cœlio et Octave tentent de s’introduire dans le monde de Marianne, tandis que cette dernière s’interroge sur ce qui se passe à l’extérieur. On la verra, plus loin, rejoindre Octave sous la tonnelle d’un cabaret. Les piques hérissées comme des lances sur la grille mais aussi sur les montants en pierre semblent annoncer le dénouement tragique. cm Costumes Renaissance ou costumes de 1833 ? Le metteur en scène a préféré donner à ses comédiens des habits actuels afin, sans doute, d’exprimer toute la modernité de la pièce de Musset. La tenue stricte et sombre de Marianne l’inscrit dans la haute société, de même que la grille imposante de sa maison. La tenue et l’attitude d’Octave expriment davantage de souplesse sans pour autant verser dans la fantaisie. Peut-être tout le monde peut-il se reconnaître dans Octave ? On notera aussi l’opposition des couleurs sombres et claires qui met en avant le fossé qui sépare les deux personnages.

u À vos plumes ! cn Les devoirs devront prendre en compte les données de la consigne mais aussi les informations données dans la scène 1 quant à la fidélité de Marianne. Les élèves pourront reprendre l’intransigeance de la jeune femme exprimée au lever du rideau mais aussi ses interrogations dans son dialogue avec Octave à la fin de la scène. On valorisera les devoirs des élèves qui auront su souligner le contraste entre les deux personnages.

A c t e I , s c è n e s 2 e t 3 ( p p . 2 6 à 3 1 )

u Avez-vous bien lu ? u Les propositions fausses sont : c., d., f. (dans le jardin et non dans la maison) et g.

u La composition du passage v On distingue cinq étapes (scènes au sens classique du terme).

Les Caprices de Marianne – 9

La scène numérotée 2 par Musset comprend deux parties : 1. Hermia, Malvolio et des domestiques : du début à « retenez votre langue » (l. 326). Hermia prépare l’arrivée de son fils. 2. Hermia et Cœlio : de « Entre Cœlio » (l. 327) à la fin de la scène 1. Cœlio demande à sa mère de lui raconter l’histoire d’Orsini. La scène numérotée 3 comprend trois étapes : 1. Claudio et Tibia : du début à « La voici qui vient elle-même » (l. 422). Claudio apprend à Tibia qu’il ne soupçonne plus sa femme d’avoir des amants. 2. Marianne, Claudio et Tibia : de « Entre Marianne » (l. 422) à « Elle sort » (l. 436). Marianne vient rapporter à son mari la démarche d’Octave. 3. Claudio et Tibia : de « Que penses-tu de cette aventure » (l. 437) à la fin de la scène. Claudio est à nouveau jaloux. Les deux rencontres importantes sont celles de Cœlio avec sa mère et de Marianne avec son mari. w La scène 2 se déroule dans l’intimité de la maison de Cœlio. Nous quittons l’espace public de la scène 1 pour entrer dans un espace privé qui va permettre de dévoiler la personnalité de Cœlio. La scène 3 se déroule chez Claudio, dans son jardin. On peut noter une volonté de symétrie tout empreinte de classicisme dans cette répartition des lieux. En effet, l’espace neutre de la rue fait place d’abord aux espaces privés et familiaux respectifs de Cœlio et de Marianne. Mais, dans la scène 3, les personnages évoluent dans le jardin qui est un espace plus ouvert que celui de la maison. Rappelons que les persiennes de la maison d’Hermia étaient mi-closes, ce qui traduisait un certain refus du monde extérieur. Le jardin est un univers plus large ; d’ailleurs, le rythme est plus enlevé (trois petites rencontres brèves) et il y est question du monde extérieur, c’est-à-dire des éventuels amants de Marianne. x Différents valets interviennent dans les deux scènes. Dans la scène 2, des domestiques font de la figuration afin d’exprimer la fortune et le niveau social de la famille de Cœlio. L’un d’eux prend d’ailleurs la parole au début du passage pour dire que les musiciens demandés seront bien là. Au pluriel des domestiques s’ajoute celui des musiciens. Malvolio occupe un rôle à part. Au service de la famille depuis longtemps puisqu’il a connu le père de Cœlio, il se permet de dire ce qu’il pense et de formuler des reproches : « Du vivant de son père, il n’en aurait pas été ainsi. » De cette manière, il attire l’attention du lecteur-spectateur sur l’ambiguïté du personnage d’Hermia. Mais il n’a pas l’insolence d’un Scapin et il n’insiste pas et disparaît quand Hermia lui dit : « Allez, et retenez votre langue. » Tibia, déjà là dans la scène 1, est présent tout au long de la scène 3. C’est, avec Claudio, un des ressorts du registre comique après la scène plus inquiétante entre Hermia et son fils. Sans s’opposer à son maître, il exprime un recul ironique en s’exclamant à deux reprises : « Vous croyez, monsieur ? »

u Le rôle des mères y Le début de la scène 2 manifeste clairement l’attachement très particulier d’Hermia pour son fils. On la voit préparer l’arrivée de Cœlio et s’inquiéter de savoir si tout a été effectué selon ses ordres : « Disposez ces fleurs comme je vous l’ai ordonné ; a-t-on dit aux musiciens de venir ? » Elle s’inquiète de l’environnement qu’elle offre à son fils en choisissant de laisser « entrer le jour sans entrer le soleil ». Quant au cabinet d’étude délaissé par Cœlio, il a été orné d’un tableau acheté le matin même. On voit qu’elle fait tout pour rendre la vie de son fils agréable et va jusqu’à choisir les visages qu’il va croiser : « Aurons-nous notre belle voisine, la comtesse Pergoli ? » ; « que Cœlio ne rencontre pas sur son passage un visage de mauvais augure ». Quand Cœlio apparaît, elle se met à son entière disposition : « quels seront vos plaisirs aujourd’hui ? » Puis elle satisfait au désir de Cœlio de connaître l’histoire d’Orsini dans « les détails » en prononçant une longue tirade narrative qui vient clore l’entretien. Malvolio montre toute l’ambiguïté de cet attachement en disant à Hermia qu’elle se comporte en jeune fille de 18 ans attendant « son sigisbée ». Veuve, elle semble éprouver un amour plus que maternel pour son fils. Plus loin dans la scène, elle parle d’un « fil bien délié » qui relie Cœlio au cœur de sa mère et, au lieu de souligner cette dimension maternelle, elle se présente plutôt comme une « vieille sœur ». U Dès son arrivée, Cœlio montre son attachement à sa mère en se soumettant à ses désirs comme elle s’est soumise aux siens. En effet, à la question « quels seront vos plaisirs aujourd’hui ? », il répond : « Les

Réponses aux questions – 10

vôtres », le pronom possessif permettant un glissement souple d’une réplique à l’autre, d’un désir à l’autre. L’amour de Cœlio pour sa mère est également ambigu. En effet, comme s’il ne pouvait imaginer que celle-ci aime un autre homme que lui, il affirme : « Vous n’avez point aimé. » De plus, il s’attarde sur le portrait de sa mère en jeune femme (« le port majestueux d’une reine », « les formes gracieuses d’une Diane chasseresse ») et l’on voit qu’il sait lui parler, alors qu’il se montre incapable d’aborder Marianne. V Dans la scène 3, comme en réponse à la scène 2, il est question de la mère de Marianne. Claudio y fait par deux fois allusion : « As-tu remarqué que sa mère, lorsque j’ai touché cette corde, a été tout d’un coup du même avis que moi ? » ; « Il faut que je fasse part de cette découverte à ma belle-mère ». Cette fois-ci, le lien n’est pas entre une mère et son enfant mais entre une mère et le mari qui a pris le relais de son autorité. Claudio s’est sans doute arrangé avec la mère de Marianne pour épouser la jeune fille, et cette dernière apparaît ainsi comme prisonnière des deux personnes qui se sont liguées pour décider de son destin.

u Un récit enchâssé dans un dialogue W Cœlio demande à sa mère de lui raconter la malheureuse histoire d’Orsini, d’une part parce qu’elle prouve à quel point Hermia jeune fille était digne d’être aimée et, d’autre part, parce qu’il veut connaître les détails d’une histoire qui ressemble à la sienne, puisqu’il s’agit d’un amour impossible. C’est, en effet, un drame dont il a déjà entendu parler (« un parent de mon père est mort d’amour pour vous »), et l’on a l’impression que, comme un enfant qui aime entendre sa mère lui raconter les mêmes histoires, il se complaît dans ce récit qui célèbre la beauté de sa mère. X On relève plusieurs marques de la 2e personne du pluriel qui montrent qu’Hermia s’adresse à son fils : « votre père » (6 fois) et « votre grand-père ». Ces expressions jalonnent le récit pour mieux assurer son insertion dans le dialogue. Régulièrement, Hermia rappelle que le récit de cet événement achevé qu’est le destin du malheureux Orsini n’est pas coupé de la situation d’énonciation car il met en scène le père même de celui à qui s’adresse Hermia. at Ces expressions ne sont ni variées ni très nombreuses ; il s’agit juste d’assurer un lien entre le récit et le dialogue, alors que les propos d’Hermia s’apparentent à un long monologue au cours duquel elle revit son passé révolu. L’insertion du discours direct (voir la réponse à la question 13) dans le récit donne l’impression qu’elle entend encore la voix du jeune homme juste avant qu’il ne se suicide. On reste frappé cependant par le côté presque lancinant du « votre père » : d’une certaine façon (voir la réponse à la question 17), cette expression donne à Cœlio un rôle dans l’histoire tragique d’Orsini. ak Musset a recours aux temps du passé, dans un système coupé de la situation d’énonciation. Le plus-que-parfait permet d’exprimer une action antérieure à l’action principale au passé (« avait jamais vue », « avait tué », « avait inspiré », etc.). Le passé simple et l’imparfait sont les deux temps principaux du récit. Le premier exprime une action limitée dans le temps, prise dans un enchaînement (« se chargea », le passif « fut reçu », « apporta », « entreprit », etc.), alors que le second exprime une action de second plan, non limitée dans le temps (« qui voulait m’épouser », « je l’aimais », « il n’était plus temps »). Dans le discours direct, à la fin du récit, on rencontre deux temps reliés à la situation d’énonciation : le passé composé (« vous avez désiré »), qui exprime une action accomplie passée, et le futur (« vous serez »), pour affirmer une action à venir. al L’imparfait dans l’expression « une longue absence, un voyage […] devaient avoir dissipé ses chagrins » a une valeur hypothétique en raison de l’auxiliaire de modalité qui exprime une action potentielle. am Différents discours rapportés trouvent leur place dans le récit : – le discours narrativisé : « en plaidant pour lui », « on lui apporta ma réponse », « demanda pour lui ce qu’il n’avait pu obtenir pour Orsini », « l’accabla de reproches », « lui demander son témoignage » ; – le discours indirect : « l’accusa d’avoir trahi sa confiance », « et d’avoir causé le refus qu’il avait essuyé » ; – le discours direct : « Du reste, ajouta-t-il, si vous avez désiré ma perte, vous serez satisfait ». À mesure que l’on avance dans le récit, les paroles rapportées se précisent, comme si la scène devenait de plus en plus présente à l’esprit d’Hermia. Le discours narrativisé permet de rendre compte de différentes scènes sans trop alourdir une narration déjà conséquente. Le discours direct est réservé aux propos les plus marquants : ceux qui annoncent (le futur) la mort du jeune homme.

Les Caprices de Marianne – 11

an L’histoire d’Orsini est tout d’abord tragique en ce qu’elle se finit mal, puisque le jeune homme met fin à ses jours. Mais c’est surtout l’enchaînement malheureux des circonstances qui rend la situation tragique. Aucun des personnages n’a souhaité une telle fin, ni Hermia ni le père de Cœlio. En effet, ce dernier ne demande la main d’Hermia que lorsqu’il pense son ami guéri de sa passion. La précipitation de ce dernier fait que le père de Cœlio n’a pas le temps de demander à son beau-père d’intervenir. L’exclamation « Hélas ! il n’était plus temps » exprime l’accélération caractéristique de la catastrophe tragique.

u Le personnage de Cœlio ao Les jalousies fermées suggèrent un repli sur soi propice à un voyage dans le passé. Hermia évoque la jeunesse de son fils et la force du lien qui l’attachait à elle : « Quand vous aviez dix ou douze ans, toutes vos peines, tous vos petits chagrins se rattachaient à moi. » Dans le monde révolu d’autrefois, elle règne en maîtresse absolue et rien ne lui échappe, ni son fils dans cette évocation, ni son mari, ni Orsini qui n’a pu l’oublier. Le récit qu’elle déroule à la demande de Cœlio la place au centre des préoccupations des uns et des autres, seul personnage féminin dans un univers masculin. Cœlio vit aussi dans le passé de sa mère : c’est lui qui demande l’histoire tragique d’Orsini, alors qu’il semble déjà la connaître (« un parent de mon père est mort d’amour pour vous »). Lorsqu’il regarde sa mère, c’est son passé qu’il lit : « l’œil reconnaît encore le port majestueux d’une reine ». Le portrait qu’il fait d’Hermia est au passé composé (« avez inspiré », « a murmuré »…), et la mère n’est aux yeux du fils qu’un souvenir de la femme qui a été séduisante. On peut parler ici d’une relation tout œdipienne entre Cœlio et sa mère, ce qui peut expliquer son incapacité à aborder Marianne. L’idéalisation de la femme de Claudio est le prolongement de cet amour pour Hermia. ap Le lecteur-spectateur ne peut manquer de voir que l’histoire d’Orsini ressemble à celle de Cœlio telle qu’elle lui est apparue dans la scène d’exposition. En effet, l’amour d’Orsini pour Hermia est une passion dévorante que rien ne peut apaiser. Ses manifestations sont violentes : le jeune homme s’évanouit lorsqu’il apprend le refus de sa bien-aimée ; il se suicide quand il découvre qu’elle a épousé son ami. Alors que l’on aurait pu croire que les voyages et les succès financiers (« augmenta sa fortune ») le ramèneraient à la raison (« devaient avoir dissipé ses chagrins »), le jeune homme met fin à ses jours dès son retour. Cette passion intense nous rappelle celle de Cœlio, incapable de quitter les environs de la maison de Marianne et trop troublé pour lui parler. De plus, Orsini sollicite l’aide d’un de ses amis pour demander la main de la jeune fille qu’il aime. L’intermédiaire ne réussit pas dans son entreprise (« je le refusai »), ce qui ressemble à la démarche vaine d’Octave pour plaider la cause de Marianne. À partir de ces ressemblances entre l’histoire d’Orsini et l’intrigue exposée dans la scène 1, le lecteur-spectateur se met à lire, dans l’histoire tragique racontée par Hermia, la suite probable de la passion de Cœlio. On a vu, à la fin de la scène 1, qu’Octave n’était pas insensible aux charmes de Marianne ; l’histoire d’Orsini nous invite à supposer qu’un amour entre Octave et Marianne va venir compromettre la passion de Cœlio. Si l’on poursuit le parallélisme et que l’on se rappelle l’habit noir du jeune héros romantique ainsi que ses allusions à la mort, on trace en pointillé la suite de la pièce et l’on devine, dans le récit de la mère, une prémonition funeste du destin de son fils.

u Le mélange des genres et le revirement comique aq Dans la scène 2, le dialogue entre Cœlio et sa mère inscrit la pièce dans le genre tragique. En effet, les deux personnages sont enfermés dans le passé et ne manifestent aucune intention de prendre en main le cours de leur existence. Hermia est prisonnière de la tragique histoire d’Orsini, et Cœlio est présenté comme un jeune homme retenu par des liens (« se rattachaient à moi », « un fil bien délié »). À la différence d’Octave qui, conformément à son rôle d’Arlequin, prend la situation en main, se tourne vers le futur et agit, Cœlio est prisonnier (les « jalousies fermées » sont symboliques) de sa mère et de son passé. Fasciné par cette femme qu’il idéalise, on a l’impression qu’il n’aura de cesse de reproduire la tragique histoire qu’elle a vécue. Le personnage d’Hermia ne semble pas, à première vue, utile à la logique de la pièce. Mais Hermia n’est pas qu’un faire-parler ; le début de la scène souligne toute l’ambiguïté de son amour pour Cœlio (« notre maîtresse a dix-huit ans et elle attend son sigisbée »), et la longueur de sa tirade suffit à dire son

Réponses aux questions – 12

importance. Tenant son fils par « un fil bien délié », elle paraît incarner son destin. Un peu plus d’un siècle plus tard, Anouilh choisira d’ouvrir sa tragédie Antigone par une exposition du destin des personnages en apprenant au spectateur que l’héroïne va mourir. C’est aussi le cas dans Les Caprices de Marianne avec ce récit programmatique de la mère. On a même l’impression que Cœlio demande à Hermia de raconter une histoire qu’il connaît déjà pour mieux s’en imprégner et la suivre. La répétition (6 fois) de l’expression « votre père » finit par donner une responsabilité à Cœlio : il est le fruit d’un amour qui a causé la mort d’Orsini. Ne doit-il pas alors être l’instrument d’une vengeance ? ar Malvolio se conforme au rôle du valet de comédie traditionnel et se permet de manifester sa désapprobation. Soulignant les défauts d’Hermia (une femme aux « cheveux argentés » qui se comporte comme une jeune fille de 18 ans), il fait sourire un spectateur qui prend du recul vis-à-vis des excès de toutes sortes. as Dans la scène 1, le barbon avait affirmé fortement ses soupçons quant à la fidélité de sa femme et manifesté son intention de faire venir un spadassin pour tuer tout importun sous ses fenêtres. Dans la scène 3, alors que rien ne le justifie si ce n’est une rencontre avec la mère de Marianne, Claudio a changé d’avis et sa position est aussi catégorique, comme l’exprime le recours au présent gnomique associé au verbe de définition être : « ma femme est un trésor de vertu », « c’est une vertu solide ». Son revirement est d’autant plus comique qu’il a oublié la scène 1 et ne se souvient pas du spadassin qu’il a commandé : « Quel spadassin ? » Pour faire rire le lecteur-spectateur, la bêtise s’ajoute à l’inconstance. Mais nous assistons à un deuxième revirement, pas plus justifié que le premier. Il a suffi, en effet, que Marianne vienne demander à son mari de fermer sa porte à Octave et à Cœlio pour que la jalousie revienne. Au lieu de s’attacher à la demande de la jeune femme qui prouve sa volonté de rester fidèle à son époux, Claudio se fixe sur un creux dans les propos de celle-ci : « Il ne s’agit pas de ce que j’ai répondu », « Pourquoi n’a-t-elle pas voulu dire ce qu’elle a répondu ». À partir de là, Claudio se retrouve à son point de départ : il accuse sa femme de le tromper (« cette fable est une pure invention » : à nouveau le verbe être et le présent gnomique) et il envisage de consulter sa belle-mère. Ces revirements et ces répétitions font de Claudio un personnage fonctionnant mécaniquement. C’est là l’un des principaux ressorts du comique, comme l’a montré Bergson dans son ouvrage Le Rire (« du mécanique plaqué sur du vivant »). Mais Claudio est un barbon bien plus terrible que ceux de Molière car il a entre ses mains l’arme du spadassin. Ainsi, tout en étant un personnage de comédie, Claudio sera l’instrument d’un destin tragique, un instrument d’autant plus terrifiant qu’il agit par « caprice », sans raison ni constance.

u À vos plumes ! bt Le sujet proposé demande une bonne connaissance des personnages (la mère possessive et le héros romantique) et une maîtrise du récit inséré dans le dialogue. On valorisera les devoirs des élèves qui auront pris en compte l’ambiguïté des relations entre la mère et son fils.

A c t e I I , s c è n e 1 ( p p . 3 5 à 4 6 )

u Avez-vous bien lu ? u La première réplique d’Octave (« Il y renonce, dites-vous ? ») laisse entendre que Ciuta vient de lui apprendre que Cœlio renoncerait à conquérir Marianne. v Claudio apprend à Octave que Marianne lui a raconté sa démarche en faveur de Cœlio. w À plusieurs reprises, il est fait allusion à l’office des vêpres. x Répliques et personnages auxquels elles s’adressent : a. « quant à moi, je cesse de m’en mêler » › Ciuta à Octave ; b. « quel grand malheur de n’avoir pu partager un amour comme celui-là » › Marianne à Octave ; c. « vous êtes comme les roses du Bengale […] sans épine et sans parfum » › Octave à Marianne ; d. « Une femme ! c’est une partie de plaisir ! » › Marianne à Octave ; e. « Votre perruque est pleine d’éloquence, et vos jambes sont deux charmantes parenthèses » › Octave à Claudio ; f. « la demoiselle rousse n’est point à sa fenêtre ; elle ne peut se rendre à votre invitation » › le garçon à Octave.

Les Caprices de Marianne – 13

y Les deux répliques de Marianne (b. et d.) sont des antiphrases. Dans la première, Marianne a bien mis au jour la stratégie d’Octave, et, dans la seconde, elle dénonce une conception libertine.

u La composition du passage U On peut distinguer : – du début à « ne le ferait sa propre ruine » (l. 20) : Ciuta et Octave › quel avenir pour l’amour de Cœlio ? – de « Entre Cœlio » (l. 20) à « Il sort » (l. 28) : Cœlio et Octave › le désespoir de Cœlio ; – de « Par le ciel » (l. 29) à « Ciuta se retire » (l. 32) : Ciuta et Octave › scène de transition qui annonce la venue de Marianne ; – de « Entre Marianne » (l. 32) à « Elle sort » (l. 107) : Octave et Marianne › deuxième scène de rencontre, badinage et réflexions ; – de « seul » (l. 108) à « Il frappe à une auberge » (l. 109) : Octave › monologue de transition qui exprime le trouble d’Octave ; – de « Apportez-moi » (l. 110) à « Le garçon sort » (l. 120) : Octave et le garçon › Octave affiche son libertinage ; – de « Je ne sais ce que j’ai » (l. 120) à « tout pétrifié » (l. 124) : Octave › monologue de transition qui exprime le trouble d’Octave ; – de « Cousin Claudio » (l. 124) à « Sortent Claudio et Tibia » (l. 171) : Claudio, Tibia et Octave › joute verbale comique au cours de laquelle les personnages se moquent l’un de l’autre ; – de « seul » (l. 172) à « Qui diable en a-t-il » (l. 173) : Octave › scène de transition qui annonce la venue de Cœlio ; – de « Entre Cœlio » (l. 173) à « Il sort » (l. 198) : Octave et Cœlio › les adieux de Cœlio ; – de « Cœlio ! » (l. 199) à « de me mener en terre » (l. 202) : Octave › monologue de transition, propos libertins ; – de « rentrant » (l. 203) à « qui revient » (l. 210) : Octave et le garçon › scène de transition qui exprime le trouble d’Octave et annonce l’arrivée de Marianne ; – de « Entre Marianne » (l. 210) à la fin de la scène : Octave et Marianne (on suppose que le garçon est reparti) › troisième scène de rencontre, badinage et réflexions. Les scènes, au sens traditionnel du mot, sont particulièrement nombreuses dans ce passage ; les personnages entrent et sortent, et ce ballet impose à la pièce un rythme rapide conforme au genre tonique de la comédie. V Octave se retrouve à quatre reprises seul sur scène ; il s’agit de scènes de transition qui montrent que le personnage joue un rôle pivot dans la pièce. C’est, en effet, autour de lui que les autres personnages prennent place : c’est à lui qu’en réfèrent Ciuta, Marianne, Cœlio et Claudio. Il est aussi un personnage charnière entre les registres comique et tragique. Par ailleurs, ces brefs monologues viennent souligner la solitude du personnage. Dans cette intrigue, personne ne s’inquiète de ses sentiments et émotions. À sa manière désabusée, il est aussi une figure du héros romantique. La fin de la pièce semble même se profiler dans ces moments creux. W Octave et Marianne, qui avaient déjà longuement dialogué dans le premier acte, se rencontrent à nouveau par deux fois alors que ne se croisent jamais Cœlio et Marianne, tous deux pourtant au cœur de l’intrigue telle qu’elle a été exposée au tout début de la pièce. À deux reprises, comme par un procédé d’ironie tragique, Marianne entre en scène peu de temps après le départ de Cœlio. On a l’impression que tout est fait pour qu’ils ne se rejoignent jamais, alors que tout semble retenir Marianne et Octave qui prennent plaisir à converser. Le dialogue se contente d’aborder des sujets généraux ou ayant trait à Cœlio, mais la forte présence de ces deux personnages confirme ce que nous avions pressenti à la fin de la première scène de l’acte I : « Ma foi, ma foi ! elle a de beaux yeux. » X Dans cette première scène du second acte, les répliques se répartissent de la façon suivante : Octave = 47, Marianne = 18, Claudio = 12, Cœlio = 8, Ciuta = 4, le garçon = 2, Tibia (qui accompagne Claudio) = 0. Le grand nombre de répliques d’Octave vient confirmer ce que nous avions pu observer en examinant l’enchaînement des scènes (au sens traditionnel du mot) : il est dans ce passage, comme dans la pièce, un personnage plus important que Cœlio. Ce dernier a un temps de présence très réduit : peu de répliques et des répliques brèves, alors qu’Octave prononce plusieurs tirades quand il

Réponses aux questions – 14

rencontre Marianne. Tandis que sa place au cœur de l’intrigue a été présentée dès le début de l’acte I, Cœlio n’occupe qu’une place secondaire car il se montre incapable d’aborder Marianne (il se contente de lui succéder sur scène) et d’échafauder lui-même une stratégie pour la séduire. Les mots d’Octave qui ouvrent le second acte annoncent même son renoncement. La place de Claudio, contrepoint comique, n’est pas négligeable, mais l’on voit qu’il ne fait pas le poids entre les deux dialogues qui ont rapproché Octave et Marianne. La comédie glisse doucement vers son dénouement tragique. Ciuta et le garçon d’auberge ont une fonction plus instrumentale. D’une part, ils font parler Octave et, d’autre part, ils incarnent une conception libertine de la vie : Ciuta se met au service des plaisirs et le garçon, quand il n’a pas mission d’apporter à boire à Octave, doit aller chercher Rosalinde.

u Les ressorts du comique dans la rencontre entre Claudio et Octave at Comme dans l’acte I, Tibia entre en scène avec Claudio et sort avec lui. Présenté dès son arrivée comme un « fidèle serviteur » et un « valet de chambre dévoué », il semble le double de son maître, ce qui est un procédé courant au théâtre. Molière a composé son Dom Juan à partir de cette figure du double en mettant en scène le « grand seigneur méchant homme » accompagné d’un valet qui lui ressemble finalement assez souvent. Musset reprend cette formule qui joue sur la ressemblance et la différence. Dans l’acte I, on l’a vu s’opposer à son maître dans la scène 1 puis adopter une attitude plus radicale que lui (« un arrêt de mort est une chose superbe à lire à haute voix ») dans la scène 3. Dans notre passage, Tibia adopte une troisième attitude et l’on ne sait si elle signifie « opposition » ou « radicalisation ». C’est la mise en scène – ou la rêverie du lecteur dans son fauteuil – qui en décidera, car le silence d’un personnage n’est pas synonyme d’« absence » : le langage corporel se substitue aux mots et le silence lui-même fait sens. On peut, en effet, penser que le silence de Tibia est un ressort du comique. Le valet, conformément à sa tradition, n’a pas une maîtrise suffisante de la langue pour participer à la joute verbale, et ses gestes, que l’on peut imaginer, ponctuent à leur manière un dialogue déjà enlevé. À moins que Tibia, effaré par l’agressivité qui couve sous les jeux de mots, se tienne en retrait, car, personnage comique, il ne peut participer à la tragédie qui couve sous la comédie. ak On relève : – « Cousin Claudio » › nom + apposition ; – « seigneur Octave » › nom + apposition ; – « juge plein de science » › nom + adjectif qualificatif « plein » + complément du nom (la construction avec l’adjectif « plein » est lexicalisée) ; – « cousin plein de finesse » › nom + adjectif qualificatif « plein » + complément du nom ; – « cousin plein de facéties » › nom + adjectif qualificatif « plein » + complément du nom ; – « juge plein de causticité » › nom + adjectif qualificatif « plein » + complément du nom ; – « juge plein de grâce » › nom + adjectif qualificatif « plein » + complément du nom ; – « cousin plein de riposte » › nom + adjectif qualificatif « plein » + complément du nom ; – « subtil magistrat » › adjectif épithète + nom ; – « cousin » › nom ; – « sénateur incorruptible » › nom + adjectif épithète ; – « godelureau chéri » › nom + adjectif épithète ; – « juge idolâtré » › nom + adjectif épithète ; – « charmant pilier de cabaret » › adjectif épithète + nom + complément du nom ; – « cher procès-verbal » › adjectif épithète + nom ; – « aimable croupier de roulette » › adjectif épithète + nom + complément du nom ; – « chère sentence de mort » › adjectif épithète + nom + complément du nom ; – « cher cornet de passe-dix » › adjectif épithète + nom + complément du nom ; – « cher verrou de prison » › adjectif épithète + nom + complément du nom. Ces apostrophes relèvent du comique de mots à plusieurs titres : – elles sont très nombreuses, ce qui participe du comique de répétition, d’autant plus qu’on observe souvent un parallélisme entre les répliques (« juge plein de science »/« cousin plein de finesse »…) ; – la progression est amusante également car on quitte les simples formules d’usage (« Seigneur Octave ») pour des expressions imagées. Il s’agit, à chaque fois, de qualifier au mieux son adversaire. Octave définit son cousin comme un juge, tandis que ce dernier voit en son cousin un libertin ;

Les Caprices de Marianne – 15

– à la fin de l’échange, les métonymies font rire. Tandis que Claudio est représenté par un « procès-verbal », une « sentence de mort » et un « verrou de prison », Octave devient un « pilier de cabaret », un « croupier de roulette », un « cornet de passe-dix » ; – enfin, le recours à l’ironie est amusant : rien de plus agressif que les mots « chéri », « cher » ou « aimable » dans la bouche des deux adversaires. al C’est au juge plus qu’au mari de Marianne qu’Octave s’en prend dans les premières répliques. Après avoir employé le mot « cousin » dans l’apostrophe, il définit son interlocuteur avec l’expression ironique « beau juge ». Il dénonce la place accordée à la forme plus qu’au contenu. C’est ce que nous confirme la réplique qui suit : « un magistrat qui a de belles formes ». Il est question ensuite de l’éloquence qui prime, comme le suggèrent, d’une part, la répétition du mot « langage » et, d’autre part, l’ampleur d’une rhétorique qui va jusqu’à concerner la perruque et les jambes. Tout est forme chez Claudio et le fond est absent : on lit, ici, une critique de la justice bien proche de celle de Beaumarchais mettant en scène Brid’oison dans Le Mariage de Figaro. N’est-ce pas, au-delà de cette dénonciation d’un système, une satire de la société tout entière, la société décevante de la Restauration ? Musset met différents procédés au service de la satire du juge. L’antiphrase est sans doute le premier : les adjectifs « beau », « belles » et « charmantes » sont antiphrastiques. Le jeu de mots sur les « formes », qui désignent à la fois le « langage » et la « complexion », est le point de départ du second procédé : une métaphore filée. En effet, alors qu’Octave assure qu’il faut donner au terme son sens rhétorique (« De langage, de langage ») et qu’il a recours au vocabulaire correspondant (« pleine d’éloquence », « deux charmantes parenthèses »), il ridiculise son aspect physique : une perruque qui dissimule les effets de l’âge et des jambes arquées. Plus que le juge attaché aux « belles formes », Octave épingle ici le barbon qui a pu s’acheter une jeune femme séduisante. am Les répliques s’enchaînent en rebondissant les unes sur les autres grâce à des reprises lexicales ou syntaxiques (« juge plein de science »/« cousin plein de finesse »), à la répétition (« En quelle façon » qui appelle en réponses « En y voulant frapper »/« En n’y frappant jamais », « Tes lunettes sont myopes »/« Mes lunettes sont excellentes ») et à la succession des questions et des réponses brèves (« À quelle occasion, subtil magistrat ? »/« À l’occasion de ton ami Cœlio, cousin »). La rapidité de l’échange, proche de la stichomythie, semble un duel dans lequel chaque apostrophe serait un nouveau coup d’épée. Sous le masque de formules mélioratives (« juge plein de science ») et amicales (la répétition de « cher »), le combat est sans merci. La jeunesse et la vie que représente Octave s’opposent à la vieillesse (« perruque », « sénateur ») et à l’argent (« incorruptible ») incarnés par Claudio. L’enjeu du duel est lourd, comme le suggèrent les termes « roulette », « passe-dix » (on y perd sa fortune), « sentence de mort » et « verrou de prison ». an La finalité de cette scène est essentiellement comique, même si l’on devine derrière l’ironie un duel mortel. La fonction informative n’est cependant pas à exclure, puisque Claudio rapporte à Octave les propos de Marianne. La jeune femme a raconté à son mari la démarche d’Octave, et les deux jeunes gens sont chassés de la maison du juge. Octave voit là, d’une part, un obstacle pour approcher Marianne et, d’autre part, la force de la résistance que lui oppose la jeune femme. Pour cette double raison, il conseillera à son ami de renoncer à son amour : « renonce à cette femme », « n’y pense plus ».

u Des registres et des personnages changeants ao On peut clairement opposer la scène (au sens traditionnel du mot) où Cœlio vient exprimer son désespoir et celle où Claudio affronte Octave, tandis que Tibia reste muet en arrière-plan. La première, notamment lorsque le héros romantique fait ses adieux, est nettement tragique, alors que le registre de l’autre est comique. Mais, dans cette pièce de Musset, tout est en nuances et le mélange des genres prôné par Hugo ne se réduit pas à une alternance. Ainsi, la scène avec Claudio est comique, mais la violence qui la sous-tend laisse présager une issue tragique. Quant aux scènes avec Cœlio, ne prêtent-elles pas à sourire, dans la mesure où notre héros est exagéré et peu en contact avec la réalité ? Les scènes entre Octave et Marianne jouent aussi sur les deux tableaux, car la jeune fille se moque d’Octave mais peut aussi exprimer avec sincérité son désarroi. La note tragique semble progressivement l’emporter, et les cloches des vêpres qui ponctuent le passage semblent exprimer une accélération du temps qui nous rappelle le dernier acte des tragédies. Le

Réponses aux questions – 16

trouble et l’angoisse d’Octave qui fuit dans l’alcool la tension dramatique vont croissants également, tandis que les personnages exclusivement comiques de Ciuta et Tibia paraissent avoir déclaré forfait. ap La position d’Octave quant à l’issue de la passion de Cœlio varie au fil de la scène. On peut relever : – « je n’y renoncerai pas. […] Ou Cœlio réussira ou j’y perdrai ma langue » (Octave s’adresse à Ciuta qui, de son côté, se retire de la scène) ; – « Tiens, Cœlio, renonce à cette femme » ; « Du courage, Cœlio, n’y pense plus » ; « Il y a d’autres Marianne sous le ciel. […] moquons-nous de cette Marianne-là » ; « nous trouverons une Marianne bien gentille ». Alors qu’Octave intercède en faveur de Cœlio dans ses deux premières rencontres avec Marianne, il n’évoque pas son ami dans la troisième. Ces variations d’attitude traduisent l’instabilité du personnage, aussi ferme dans sa volonté d’aider son ami que dans sa décision de renoncer à aborder la jeune femme : « que le ciel m’écrase, si je lui adresse jamais la parole ». Ces dernières paroles sont tenues juste avant la troisième rencontre avec Marianne. aq Les sentiments qu’exprime Octave dans ses courts monologues sont aussi contrastés. Il semble, en effet, s’amuser (« Tra tra poum »…) et apprécier l’alcool (« il boit »). Mais cette joie semble un masque. L’exclamation « Quelle drôle de petite femme » et l’appel lancé au garçon d’auberge (vin et prostituée) montrent son trouble. Il explicite d’ailleurs son malaise : « que diable vais-je devenir ? », « je suis capable d’ensevelir ma tristesse dans ce vin ». ar De même qu’Octave, Marianne est un personnage changeant et ambigu. Elle peut adopter un ton cinglant et ironique pour se moquer d’Octave : « ce soir ou demain matin, dimanche au plus tard, je lui appartenais. Qui pourrait ne pas réussir avec un ambassadeur tel que vous ? » (dans la deuxième rencontre) et « pas un de vos amis, pas une de vos maîtresses, qui vous soulage de ce fardeau terrible, la solitude ? ». Son ton peut également frôler la plainte : « Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes ? Voyez un peu ce qui m’arrive. » as De manière générale, l’attitude de Marianne envers Octave est ambigüe car, si elle a clairement repoussé la démarche en faveur de Cœlio, dénoncé les jeunes gens à son mari et fermé sa porte, elle n’hésite pas à parler longuement avec Octave. On l’a vue au tout début de la pièce s’écarter de Ciuta alors qu’elle écoute Octave qui affiche pourtant la même intention que l’entremetteuse. Alors qu’il s’agit, au départ, de la déclaration de Cœlio, Marianne semble écarter rapidement le sujet pour centrer le débat sur sa situation et, plus généralement, sur la façon dont les hommes agissent envers les femmes. Durant la troisième rencontre entre les deux personnages, ni l’un ni l’autre n’évoque Cœlio. bt Plusieurs pistes peuvent être approfondies : – cette instabilité des registres et des personnages maintient un certain suspense et le lecteur-spectateur se demande comment l’intrigue va évoluer et se clore ; – cette instabilité s’accorde également avec l’esthétique du drame romantique qui rejette la séparation des genres et des registres ; – de façon plus profonde, elle traduit (ainsi que le romantisme) l’instabilité d’une société en quête de valeurs. Alors qu’on voyait en Cœlio une figure du héros romantique, on s’aperçoit qu’Octave, tantôt gai, tantôt triste, en est une autre : « que diable vais-je devenir ? »

u Comparer deux tirades de Marianne bk Dans la première phrase du premier extrait, l’article défini contracté « des » au pluriel (« le sort des femmes ») montre le projet de généralisation. L’expérience personnelle (« Voyez un peu ce qui m’arrive ») n’est que le support d’une réflexion élargie. De même dans la seconde tirade, il est question « des femmes » au pluriel et de façon indéfinie. De plus, la tournure impersonnelle « il en était » vient souligner la généralisation. bl Les deux tirades ont pour thème « le sort des femmes » et la façon dont les hommes les perçoivent. Partant de son expérience personnelle dans le premier extrait, Marianne propose une réflexion générale qu’elle poursuit dans son troisième entretien avec Octave. bm Dans la première tirade, les hommes ne sont pas explicitement désignés et il est plus largement question de la « jeunesse napolitaine » puis surtout d’un « on » qui résume le regard de toute une société sur la femme. Mais à l’origine de la situation se trouvent Cœlio et « ses amis », lesquels « amis » ont décrété que, « sous peine de mort », Marianne appartiendrait à Cœlio. D’une part, Marianne remet en

Les Caprices de Marianne – 17

cause cette autorité masculine qui la prive de liberté et, d’autre part, elle critique la société tout entière qui, qu’elle résiste ou cède, trouvera matière à la dénigrer. La seconde tirade vise davantage les hommes et leur conception d’une femme objet de consommation. La comparaison à connotation sexuelle avec « un vase précieux, scellé comme [un] flacon de cristal » et l’analogie avec le vin, qui vise à montrer que les hommes ont plus de considération pour le vin que pour les femmes, renforcent cette virulente dénonciation du comportement masculin. Dans les deux cas, Marianne se rebelle contre l’absence de liberté des femmes qui ne peuvent choisir leur destin et sont réifiées. bn Ces tirades virulentes ne se contentent pas de véhiculer les protestations d’une femme contre l’autorité des hommes et de la société. Elles expriment le désarroi et la souffrance d’un personnage. Le jeu des modalités interrogative (interrogations rhétoriques) et injonctive dans la première tirade rend compte du trouble de Marianne. Elle reprend les propos d’Octave qui la comparaient à une rose du Bengale « sans épine et sans parfum » puis à une statue de marbre ayant trouvé « quelque niche respectable dans un confessionnal », pour montrer, avec l’intonation douloureuse de l’interrogation rhétorique, qu’elle a été blessée par les paroles du jeune homme. L’opposition entre la vertu exprimée par le livre de messe et l’impudence d’Octave (« ose l’arrêter en place publique ») ainsi que l’emploi du mot « droit » nous laissent percevoir un grand sentiment d’injustice. Dans la seconde tirade, l’interjection « Ah ! » s’ajoute aux interrogations rhétoriques, tandis que l’anaphore du pronom « vous » martèle violemment les propos de Marianne. À la fin, le rythme est haché pour mieux suggérer la souffrance de la jeune femme confrontée au peu de considération d’Octave (« votre cœur s’enivre à bon marché »). On entend peut-être aussi le dépit et la jalousie : « puisse Rosalinde rentrer ce soir chez elle ».

u Une scène provocante ? bo La scène se clôt sur une tirade dans laquelle Octave expose sa conception des femmes et de la vie. Tout en laissant croire qu’il parle du vin qu’il est en train de boire, il présente les femmes comme faites « pour être bue[s] ». « Dieu n’en a pas caché la source au sommet d’un pic inabordable » et la beauté est faite pour être consommée : « c’est un don fatal que la beauté […] il y a plus de miséricorde dans le ciel pour ses faiblesses que pour sa cruauté ». Dieu offre le monde à l’homme qui, en « voyageur dévoré de soif », peut en profiter. C’est une conception épicurienne de l’existence que développe Octave en filant la métaphore du vin. bp C’est Marianne qui a lancé la métaphore du vin pour représenter la femme, et, avec un vrai plaisir dans le maniement de la langue, les deux personnages la filent jusqu’à la fin de la scène. Le mot féminin « bouteille » finit par remplacer le mot masculin « vin » et l’on retrouve la métaphore du « vase précieux ». Les connotations sexuelles de cette comparaison ainsi que l’éloge de la sensualité peuvent choquer le lecteur-spectateur, d’autant plus qu’Octave en appelle à Dieu pour cautionner le rapprochement : « Dieu n’en a pas caché la source », « il y a plus de miséricorde dans le ciel pour ses faiblesses que pour sa cruauté ». La femme est réduite ici à un objet de consommation. De plus, le jeu sur les mots est comme un badinage qui évoque l’échange amoureux et le dialogue lui-même semble un éloge du plaisir auquel Marianne, à sa manière, participe. bq Si l’on en croit Cœlio, Marianne est si parfaite qu’on ne peut l’aborder, mais s’écarter d’elle signifie la mort. Présentée comme unique, elle est aussi idéalisée que la figure maternelle. En romantique, Musset renoue avec la tradition de l’amour courtois ; l’amour est une passion fatale, comme en témoignera l’issue de la pièce. Mais Marianne, telle que la rêve Cœlio, n’est pas la jeune femme que nous voyons changer sur scène. Femme fidèle et vertueuse, soumise à son mari comme elle l’a été à sa mère qui a décidé de son destin, elle s’ouvre peu à peu, s’interroge sur son destin de femme, joue avec Octave au jeu dangereux des métaphores à connotation sexuelle. Elle cherche à s’affranchir et à s’imposer. Elle peut aussi rêver à l’écolier qui ne pensera pas que la femme est « une belle nuit qui passe » mais « le bonheur d’une vie entière ». Ensuite, nous avons Rosalinde et la conception de l’amour selon Octave : « Il y a d’autres Marianne sous le ciel », « nous te trouverons une Marianne bien gentille ». La femme est ici un objet de consommation dépourvu de liberté (« douce comme un agneau »), totalement disponible : « vous m’apporterez une certaine Rosalinde qui est rousse et qui est toujours à sa fenêtre ». Le verbe apporter suffit à réifier la prostituée.

Réponses aux questions – 18

br Musset s’en prend à l’institution du mariage en mettant en scène le personnage de Claudio, jaloux et versatile. Il défend bien mal le mariage et l’on se rappelle qu’il s’est arrangé avec la mère de Marianne. La jeune femme, quant à elle, se plaint de n’avoir aucune liberté ; bientôt elle s’affranchira en cherchant à prendre un amant. La mention des vêpres est à chaque fois une attaque contre la religion, car l’office où se rend Marianne est toujours présenté comme dérangeant. Par exemple, lorsque Octave envisage une autre Marianne, il propose une jeune fille « douce comme un agneau et n’allant pas à vêpres surtout ! » Les cloches sont associées à la mort (« quand auront-elles fini de me mener en terre ? »), comme si la religion était une impasse qui transforme la femme en « une mince poupée qui marmotte des Ave sans fin » (acte I, scène 1). L’agneau mentionné par Octave pour sa douceur est peut-être un détournement de l’agneau pascal, de même que les « larmes du Christ » sont ici un vin qui inspire à Octave un éloge de la sensualité. Musset, avec Claudio, s’en prend à l’institution judiciaire. On a vu que le juge était plus attaché à la forme de ses discours qu’au contenu et l’on suppose également qu’il est vénal (l’antiphrase « sénateur incorruptible »). C’est le portrait d’une société sans valeur et sans repère que nous peint ici Musset. Les personnages sont insatisfaits : Cœlio rêve d’une Marianne idéale et n’ose l’aborder de peur peut-être de voir l’illusion se dissiper, Marianne s’interroge sur son destin de femme, Octave noie sa tristesse dans le vin…

u Lire l’image bs La tristesse qui se dégage du tableau de Picasso tient principalement à l’expression des deux personnages au premier plan. Ils ne sourient ni l’un ni l’autre et il est impossible de croiser leurs regards. De plus, alors que les deux visages sont placés à la même hauteur au centre de la scène, les personnages ne se regardent pas ou ne partagent pas le même centre d’intérêt ; on a même l’impression qu’ils se tournent le dos. Aucun d’eux ne regarde le musicien au fond de la salle. Le visage de ce dernier, face à nous, est triste également. ct Le tableau de Picasso ne représente pas particulièrement la pièce de Musset mais une scène de cabaret (cf. le titre, emprunté à un célèbre cabaret de Montmartre) dont l’atmosphère n’est pas sans évoquer celle des Caprices de Marianne. Le personnage féminin, entre les deux hommes, serait Marianne. L’homme qui porte un pull à losanges rappelant Arlequin serait Octave. Boit-il un verre de lacryma-christi comme le héros de Musset ? Le musicien qui se tient à l’écart mais observe le couple serait, bien entendu, Cœlio. On note que le trio, malgré les couleurs vives du pull, le vin et la guitare, est triste et ne parvient pas à communiquer.

u À vos plumes ! ck Le sujet amène à réfléchir sur la condition féminine en gardant à l’esprit la tirade de Marianne. On valorisera les devoirs des élèves qui se référeront de façon utile à la pièce de Musset et compareront le destin des femmes du XXIe siècle à celui des femmes du XIXe.

A c t e I I , s c è n e s 2 à 4 ( p p . 5 1 à 5 9 )

u Avez-vous bien lu ? u Dans la scène 2, on apprend que Ciuta a surpris la conversation d’Octave et de Marianne, « comme des gens qui sont de bon accord ensemble », et elle rapporte ce qu’elle a vu à Cœlio. Dans la scène 3, on voit que Claudio a lui aussi surpris cette conversation : « vous voir converser librement avec lui sous une tonnelle ». Il rapporte la scène à Marianne elle-même. v À l’issue de sa rencontre avec Claudio, Marianne renverse les chaises, comme l’indiquent la didascalie et la réplique d’Octave : « Toutes les chaises sont les quatre fers en l’air. » Les chaises se substituent à Claudio : « J’ai une envie de battre quelqu’un. » w Après s’être opposée vainement à Claudio, Marianne décide de se conformer à ses soupçons en le trompant : « je veux prendre un amant, Octave… sinon un amant, du moins un cavalier. »

Les Caprices de Marianne – 19

x Pour plaider la cause de Cœlio après que Marianne a affirmé vouloir prendre un amant, Octave « se jette à genoux » devant la jeune femme. y Au cours de l’entretien qu’elle a avec Octave, Marianne confie au jeune homme une écharpe que l’amant attendu devra lui rapporter après avoir chanté sous ses fenêtres. U Lorsqu’il se retrouve seul à la fin de son entretien avec Marianne, Octave a compris que la jeune femme lui faisait, à mots couverts, des avances. La lettre qui est adressée à Octave le désigne clairement comme l’amant attendu (« Ne venez pas ce soir »).

u La composition du passage V Ce passage comprend dix scènes au sens traditionnel du mot. La scène 2 en comprend deux : 1. Du début à « Elle sort » (l. 300) : Ciuta et Cœlio › le rôle ambigu d’Octave. 2. De « Ah ! » (l. 301) à la fin de la scène : monologue de Cœlio › lamentation. La scène 3 en comprend quatre : 1. Du début à « Il sort » (l. 357) : Claudio et Marianne › la jalousie de Claudio et l’obstination de Marianne. 2. De « seule » (l. 358) à « ce jardin » (l. 361) : Marianne et un domestique › Marianne envoie chercher Octave. 3. De « Voilà » (l. 362) à « ce qu’il veut dire ! » (l. 373) : monologue de Marianne › colère de Marianne ; 4. De « Entre Octave » (l. 373) à la fin de la scène : Marianne et Octave › décision de Marianne et exécution. La scène 4 en comprend trois : 1. Du début à « Cœlio sort » (l. 491) : Cœlio et Octave › la nouvelle d’Octave. 2. De « seul » (l. 492) à « ces poids capricieux » (l. 512) : monologue d’Octave › conception de l’existence. 3. De « entrant » (l. 513) à la fin de la scène : Octave et un domestique › la lettre. Les rencontres essentielles sont celles de Claudio et Marianne, d’Octave et Marianne, puis de Cœlio et Octave. Ajoutons que l’épisode de la lettre est un moment essentiel de l’intrigue car il scelle le dénouement. W Différents lieux se succèdent, et l’on peut opposer lieux publics et lieux privés. La rencontre entre Marianne et Octave à la fin de la scène 1 a eu lieu sous « la tonnelle d’un cabaret » aux yeux de tous, et, Octave étant resté attablé, Marianne peut l’envoyer chercher. L’espace public est celui de la disponibilité : on peut regarder ce qui s’y passe ; on peut aborder ceux qui s’y trouvent, comme en témoignent la scène 2 (Ciuta abordant Cœlio) et la démarche de Marianne, qui envoie un domestique chercher Octave. Les trois rencontres essentielles de notre passage ont lieu dans des espaces privés : Claudio et Marianne, puis Octave et Marianne se retrouvent chez Claudio ; Octave rend ensuite visite à Cœlio chez lui. La maison de Claudio est à la fois le lieu de l’autorité et celui de la transgression, puisque Marianne y fait pénétrer Octave et y attend son amant. D’une certaine façon, elle représente Marianne elle-même, soumise à l’autorité abusive du barbon. Lorsque Octave entre chez Cœlio, il représente le monde extérieur : « quelle nouvelle ? » demande Cœlio à son ami dès son arrivée. On a vu, dans la scène 1, que Cœlio vivait replié avec sa mère, plongé dans leurs souvenirs. L’intrusion d’Octave projette Cœlio en direction du futur, comme l’exprime la répétition de « En route ! ».

u Le personnage de Cœlio X Ciuta a assisté à la rencontre entre Marianne et Octave à la fin de la scène 1 et elle insiste sur la complicité des deux jeunes gens : « amicalement et comme des gens qui sont de bon accord ensemble ». Cœlio ne voit là que l’amitié d’Octave qui se met au service de sa cause (« il aura plaidé ma cause avec chaleur »), mais Ciuta se refuse à interpréter l’attitude d’Octave et laisse planer un doute quant à la nature des relations entre les deux jeunes gens. at Les insinuations de l’entremetteuse semblent avoir suivi leur chemin, car, lors de sa rencontre avec Octave, Cœlio exprime quelques inquiétudes : « Au nom du ciel, ne te ris pas de moi » ; « Ou tu es ma vie, Octave, ou tu es sans pitié ».

Réponses aux questions – 20

ak Le monologue de Cœlio à la fin de la scène 2 comprend deux étapes. À une succession de phrases exclamatives au subjonctif ponctuées par l’anaphore de « que » succèdent des phrases déclaratives à l’indicatif de certitude. La première étape relève de la lamentation, et le lecteur-spectateur est frappé par la souffrance de Cœlio, alors que le second moment du monologue est un constat sans appel qui semble sceller le destin du personnage. al Le plus-que-parfait du subjonctif en proposition indépendante exprime un souhait non réalisé. Il oppose un passé qui n’a pas eu lieu mais qui était désiré à un présent implicitement évoqué comme décevant. Le recours à ce temps et à ce mode montre que Cœlio vit à la fois dans le passé et dans ses rêves. Il est coupé du réel et du présent, comme Musset nous l’avait déjà montré. am Dans la seconde étape du monologue, le présent est associé à des actions présentées à la forme négative, c’est-à-dire à des échecs : « Je ne sais agir », « je ne puis parler », « Ma langue ne sert point mon cœur ». Cœlio présente son incapacité à agir et à parler. Il paraît prisonnier de lui-même (« muet dans une prison »), de ce « cœur » qui ne communique pas. Avec le futur, on quitte la négation, mais c’est le verbe mourir qui est employé, faisant de la mort le seul horizon du héros romantique blessé. an Le passé est un passé révolu, celui d’une période médiévale dont l’idéal amoureux semble correspondre aux aspirations de Cœlio. C’est aussi un passé rêvé, comme le suggère le subjonctif. À côté de ce passé doublement fermé, le présent, évoqué négativement, se réduit à un échec et à un silence (« muet »). La seule issue envisagée au futur est la mort. Cette tragique représentation du temps annonce le dénouement et dépeint la souffrance d’un héros romantique qui, prisonnier d’un idéal anachronique, ne parvient pas à construire son présent.

u La rencontre de Claudio et Marianne ao Claudio, dans le prolongement de ce que nous avons pu voir durant le premier acte, tient le rôle du mari jaloux et reproche à sa femme d’avoir des amants. Dans la première réplique, c’est la comparaison avec un « épouvantail à oiseaux » qui ouvre le dialogue en généralisant les accusations avec le pluriel des « oiseaux ». On retrouve le pluriel un peu plus loin dans l’expression « un de vos amants » qui sera reprise par Marianne indignée. Mais très rapidement cependant le reproche se précise, et l’amant prend le visage d’Octave, bien qu’il ne soit nommé que par « cet homme ou son ami ». Claudio ne met pas en avant ses sentiments pour sa femme mais les convenances liées à sa position sociale ; c’est le regard des autres qui l’inquiète : « La tonnelle d’un cabaret n’est point un lieu de conversation pour la femme d’un magistrat. » ap Claudio, pour renforcer sa position, souligne l’incohérence de Marianne qui ose « converser librement » avec l’homme à qui elle a fermé sa porte. Dans l’acte I, Marianne a, en effet, dénoncé à Claudio les agissements d’Octave et sa tentative pour lui parler au nom de Cœlio, et c’est elle qui a insisté pour que les jeunes gens ne soient pas reçus chez elle. Claudio ne manque pas de souligner la contradiction avec un « quand » à valeur adversative : « il est inutile de faire fermer sa porte, quand on se renvoie le dé en plein air avec si peu de retenue ». aq Marianne avance différents arguments pour conforter sa position et justifier son attitude. On peut relever successivement : – « À qui en avez-vous ce soir ? » › la jalousie et la colère de Claudio sont chroniques, et cette répétition suffit à discréditer ses reproches. – « Depuis quand m’est-il défendu de causer avec un de vos parents ? » › le lien de parenté entre Marianne et Octave dissipe l’ambiguïté de la scène qui a eu lieu sous la tonnelle. – « Il n’a de sa vie fait la cour à personne » ; à Claudio qui fait d’Octave un « coureur de tabagies », Marianne répond : « raison de plus pour qu’il ne soit pas […] un de mes amants » › Octave est un libertin qui, à la recherche d’un plaisir immédiat, ne prend pas la peine de faire la cour aux femmes. – « Il me plaît de parler à Octave sous la tonnelle d’un cabaret » › Marianne impose ici une volonté qui est celle de son plaisir (« plaît ») ; il s’agit aussi, pour elle, de résister à l’autorité de son mari, comme le suggère la reprise des propres mots de Claudio. ar Claudio est conforme au personnage du barbon dans la comédie latine puis chez Molière. Il se montre autoritaire jusqu’à l’obstination, et différents procédés expriment cette volonté de pouvoir :

Les Caprices de Marianne – 21

– le recours à l’interrogation rhétorique sarcastique : l’anaphore de « pensez-vous » donne tout son poids à cette construction destinée à rabaisser Marianne ; – les tournures impersonnelles au présent de vérité générale, qui donnent une impression d’autorité : « il est inutile de faire fermer sa porte », « il est fort bien fait de s’en abstenir » ; – l’usage du mode impératif : « Ne me poussez pas », « réfléchissez », « Souvenez-vous », etc. ; – la modalité injonctive exprimée par un futur : « vous sentirez », « vous réduirez » ; – l’énumération des différents cas de figure, inspirée sans doute du langage juridique, qui enferme Marianne dans un avenir entièrement balisé car toutes les possibilités sont envisagées : « soit dans ma maison, soit dans une maison tierce, soit en plein air » ; « Ou vous sentirez l’inconvenance de s’arrêter sous une tonnelle, ou vous me réduirez à une violence qui répugne à mon habit » ; – les hyperboles : « si peu de retenue », « aucune parole », « coureur de tabagies », « quelque fâcheuse extrémité », « un châtiment exemplaire », « une violence qui répugne à mon habit ». as Dans l’acte I, Marianne se montrait soumise à la volonté de son mari et, en apparaissant son « livre de messe à la main », elle affichait sa vertu. D’ailleurs, n’a-t-elle pas rapporté à Claudio la démarche d’Octave en faveur de Cœlio et demandé que sa porte soit fermée aux deux jeunes gens ? Durant son entretien de l’acte II avec Claudio, après avoir tenté de justifier ses actions, elle affirme sa liberté (« quand bon me semblera ») et son droit au plaisir (« il me plaît », « s’il lui plaît d’y venir »). Pour montrer son opposition à son mari, elle reprend ses expressions et les retourne à son avantage : « soit dans ma maison, soit dans une maison tierce, soit en plein air »/« en plein air ou ailleurs, et dans cette maison » ; « contre ma volonté »/« d’après la mienne ». bt Dans la façon dont Claudio se dépeint sous la forme d’un épouvantail à oiseaux, on retrouve le registre comique qui le caractérisait, et l’opposition ferme de Marianne n’est pas sans rappeler les scènes de conflit chez Molière. Mais Claudio n’est pas venu accompagné de Tibia, son double comique, et l’agressivité vire ici au drame car les menaces sont d’autant plus inquiétantes que le personnage avait fait appel à un spadassin dans l’acte I. On le sent capable de dépasser les bornes du raisonnable quand il parle de faire preuve d’une « violence qui répugne à [son] habit ». Par ailleurs, les réponses de Marianne vont plus loin que les contestations d’une servante insolente chez Molière : c’est un véritable affranchissement de la tutelle du mari. Après avoir exposé à Octave et au lecteur-spectateur ses souffrances de femme prisonnière du regard des hommes et de la société, Marianne passe à l’acte en chassant Claudio et ses menaces : « je m’en soucie comme de cela ».

u La relation triangulaire bk Octave se met à genoux pour déclarer la flamme de Cœlio, ce qui peut laisser penser que c’est son propre amour qu’il déclare. Désireux de défendre au mieux la passion de son ami, il semble se substituer à lui. En effet, rappelons que Cœlio se définit comme un « muet dans une prison » ; il est incapable de parler et Octave lui prête sa voix comme il lui donnera aussi l’écharpe de Marianne qui lui est, en réalité, destinée. Ce ressort dramatique sera repris à la toute fin du siècle par Edmond Rostand dans Cyrano de Bergerac. Marianne a bien perçu l’ambiguïté de l’attitude d’Octave et, séduite par le jeune homme présent sous ses yeux et non par celui à qui il a prêté sa voix, elle fait observer : « En vérité, si quelqu’un entrait ici, ne croirait-on pas, à vous entendre, que c’est pour vous que vous plaidez ? » bl Octave n’est pas indifférent au charme de Marianne et, dès le premier acte, il avait remarqué ses yeux. Dans la première scène de l’acte II, sa rencontre avec la jeune femme l’avait troublé au point de lui faire perdre l’usage des mots (« Tra, tra, poum ! poum ! tra deri la la. Quelle drôle de petite femme ! ») et l’amener à demander « une bouteille de quelque chose ». À la fin de la scène 3, il exprime à nouveau son attirance pour Marianne : « Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit caprice de colère est un charmant traité de paix. » Dans cette réplique, la litote succède à la métonymie pour exprimer l’amour naissant d’Octave pour Marianne. Dans la scène 4, lorsqu’il se retrouve seul, la métonymie a fait place à une expression plus directe que l’imparfait rejette dans le passé : « En vérité cette femme était belle, et sa petite colère lui allait bien. » Un peu plus loin, l’amour est présenté au plus-que-parfait comme une hypothèse rejetée par une accumulation de verbes à l’irréel du passé (« aurais détesté », « aurais fermé »…) : « si je t’avais aimée ». Octave éprouve de l’amitié pour Cœlio ; il le prouve en prenant sa défense et en exposant avec le plus de conviction possible la passion de son ami. Il se montre soucieux du bonheur de celui-ci et fera

Réponses aux questions – 22

tout pour le satisfaire : « le bonheur d’un homme en dépend ». Pour servir les intérêts de Cœlio, il est prêt à écarter son amour pour Marianne et à ignorer les propos qu’elle a tenus (« Cœlio me déplaît ; je ne veux pas de lui »). bm Nous avons bien ici la configuration du dilemme tragique : un héros confronté à un choix impossible entre deux exigences absolues et contradictoires, son amour pour Marianne et son amitié pour Cœlio. Mais cette figure tragique n’est qu’esquissée, car Octave ignore les avances de Marianne et repousse l’idée même de son amour pour elle par différents procédés (voir la réponse à la question 22) : métonymie, litote, rejet dans le passé ou dans l’irréel. bn Marianne est attirée par Octave et elle cherche à le rencontrer. Après le conflit avec Claudio, elle l’envoie chercher sous la tonnelle du cabaret. En remarquant qu’il semble déclarer sa propre flamme au lieu de celle de son ami, elle lui fait des avances qu’il ignore. Rejetant Cœlio, elle s’en remet à Octave, ce qui revient à lui proposer d’être l’instrument de sa vengeance : « vous voyez que je m’en rapporte à vous », « Faites ce que je vous dis ou ne me revoyez pas ». La lettre qu’elle adresse à Octave pour l’avertir de la présence des assassins montre bien qu’en confiant son écharpe au jeune homme, c’est lui et non un autre qu’elle attendait.

u L’amorce du dénouement bo La « machine infernale » (Cocteau) de la tragédie est enclenchée et différents événements se succèdent, qui vont provoquer l’issue tragique : c’est d’abord la menace de Claudio (« vous me réduirez à une violence qui répugne à mon habit ») ; puis c’est la décision de Marianne de prendre un amant et le passage à l’acte que représente le don de l’écharpe ; enfin, c’est la rencontre entre Cœlio et Octave, au cours de laquelle ce dernier donne à son ami l’écharpe qui lui était destinée. Cœlio est déjà parti quand Octave reçoit la lettre. bp Certes, des données factuelles (question précédente) expliquent l’issue tragique de la pièce, mais la radicalisation des personnages oriente la trajectoire de la comédie qui glisse vers le tragique. Cœlio n’a guère changé depuis l’acte I et il continue à annoncer sa mort : « je mourrai sans m’être fait comprendre, comme un muet dans une prison ». Alors que le mouvement des personnages s’accélère, il ne croise jamais Marianne. Les autres personnages ont, quant à eux, évolué. En effet, Claudio, dans la scène 3, n’est plus un personnage comique et sa violence que rien ne peut contrôler inquiète ; il est à présent bien différent du barbon Arnolphe (L’École des femmes) de Molière. L’amitié d’Octave se radicalise également : le jeune homme renonce à son amour pour Marianne pour satisfaire son ami en lui donnant l’écharpe qui était un gage d’amour. Marianne a oublié son livre de messe pour conquérir sa liberté ; elle agira selon son plaisir et non selon celui de Claudio ou de Cœlio. bq Le titre associe les « caprices » au personnage de Marianne et la scène 3 le montre bien. Alors qu’elle vient d’écouter Octave plaider en faveur de l’amour de son mari, elle décide de prendre pour amant « quelque autre ». Octave souligne le caractère capricieux de la jeune femme : « Il est jeune, beau, riche et digne en tout point de vous ; mais il vous déplaît ! et le premier venu vous plaira ! » L’affranchissement de Marianne semble passer par cette place accordée à l’arbitraire ; à moins que Musset ne dénonce ici l’instabilité féminine. De façon plus profonde, la tirade d’Octave qui se termine sur l’adjectif « capricieux » propose aussi une explication du titre. L’image de la fumée de la pipe qui va « à droite plutôt qu’à gauche » puis celle de la balance qui pèse les soupirs amoureux comme les migraines suggèrent l’instabilité et le caractère imprévisible des destins : « toutes les actions humaines s’en vont de haut en bas, selon ces poids capricieux ». La méditation d’Octave exprime tout son désarroi : pourquoi a-t-il fallu qu’il tombe amoureux de Marianne ? La question sous-tend le monologue. C’est une vision désabusée d’un monde fluctuant que Musset, victime du « mal du siècle », nous expose ici.

u À vos plumes ! br Il s’agit ici de ne garder qu’un aspect de la rencontre entre Marianne et Octave : celui d’un dialogue amoureux et d’une promesse. Ciuta avait déjà instillé un doute dans l’esprit de Cœlio, et les élèves doivent ici approfondir son rôle tout en imaginant le désespoir et la jalousie d’un personnage qui se sent trahi. On valorisera les devoirs des élèves qui auront su montrer, grâce aux paroles des personnages et aux didascalies, les différents aspects des caractères.

Les Caprices de Marianne – 23

A c t e I I , s c è n e s 5 e t 6 ( p p . 6 3 à 6 7 )

u Avez-vous bien lu ? u Marianne donne rendez-vous à Octave dans un confessionnal de l’église. v Quatre personnes contribuent au meurtre de Cœlio : Claudio, Tibia et deux spadassins appelés en renfort. w Claudio porte une épée. x Avant de se laisser tuer, Cœlio profère une malédiction à l’encontre d’Octave : « Octave, traître Octave, puisse mon sang retomber sur toi ! » y Octave ne trouve pas le corps de son ami dans le jardin de Claudio car ce dernier a ordonné à Tibia de s’en débarrasser : « Tout est-il fini, comme je l’ai ordonné ? »/« ils peuvent chercher tant qu’ils voudront ». U Octave décide de renoncer à la vie libertine qu’il menait jusqu’à présent ; c’est, en somme, une forme de mort qu’il annonce à Marianne : « ma place est vide sur la Terre ».

u La composition du passage V La scène 5 comprend quatre scènes au sens traditionnel du mot : 1. Du début à « quand il en sera temps » (l. 533) : Claudio, Tibia et les spadassins › les derniers préparatifs de l’assassinat. 2. De « Entre Cœlio » (l. 533) à « La jalousie se referme » (l. 545) : Cœlio et Marianne › le malentendu. 3. De « Ô mort » (l. 546) à « dans le jardin » (l. 551) : monologue de Cœlio › la mort du personnage. 4. De « en dehors » (l. 552) à la fin de la scène : Claudio, Octave et Tibia › la victoire de Claudio. W La scène entre Marianne et Cœlio est particulière à plusieurs titres. Tout d’abord, c’est la première rencontre entre les deux personnages pourtant centraux de la pièce. Mais il ne s’agit pas vraiment d’une rencontre, puisque Marianne est persuadée que c’est Octave qui est venu, comme le souligne la répétition de l’apostrophe « Octave ». Enfin, les deux personnages ne parviennent pas à se parler : Marianne ne voit pas son erreur et persiste à parler à Octave, tandis que Cœlio ne se fait pas entendre (« Marianne, Marianne, êtes-vous là ? ») et se parle à lui-même. X Dans la scène 5, l’accélération de l’action s’exprime d’abord par la brièveté des quatre scènes (au sens traditionnel) qui se succèdent. Les personnages sont nombreux, vont et viennent, voire reviennent comme Claudio et son valet. Les lieux sont également multiples : les différentes parties du jardin, la chambre de Marianne, le seuil de la maison. L’ouverture de la jalousie puis celle de la porte d’entrée contribuent également à donner une impression de mouvement. at Après une scène 5 mouvementée, la scène 6 n’est composée que de la rencontre entre Octave et Marianne. Le dernier volet du dénouement, qui consiste en la séparation des deux personnages, se présente comme un épilogue ou un point d’orgue. La lenteur du mouvement, due notamment aux tirades d’Octave, contraste fortement avec la précipitation de la scène précédente, ce qui ne peut manquer de toucher fortement le lecteur-spectateur. Le dénouement en semble plus tragique encore, car la pièce se clôt sur une immobilisation qui fige le temps et inscrit l’absence (« ma place est vide sur la Terre », « je ne vous aime pas ») pour l’éternité. ak La scène 5 se déroule autour de la maison de Claudio qui est au cœur de l’intrigue. Claudio agit pour protéger son domaine et il affirme son bon droit : « j’avais le droit de ne pas lui ouvrir ». Pour cela, il repousse Cœlio en le tuant et Octave en lui montrant que Cœlio n’est pas dans son jardin. Marianne, en ouvrant sa jalousie, se tourne également vers l’extérieur ; elle s’adresse à Octave et lui propose un autre lieu de rencontre (le confessionnal de l’église). Cœlio et Octave tentent, quant à eux, de briser le cercle de la maison de Claudio, Cœlio en appelant Marianne et Octave en appelant Claudio pour qu’il lui rende des comptes. Ce jeu complexe entre l’intérieur de la vie privée et l’extérieur de la rencontre se traduit par les ouvertures/fermetures de la jalousie et de la porte ainsi que par les différentes entrées et sorties des personnages. La scène 6 est beaucoup plus statique, et le cadre du cimetière exprime à la fois la mort de Cœlio et le renoncement d’Octave.

Réponses aux questions – 24

u Le personnage de Claudio al Deux noms désignent Cœlio : « son ombre » et « un homme d’une belle stature ». Cœlio est surtout désigné par des pronoms : – « le » : pronom personnel, COD du verbe laisser ; – « lui » : pronom personnel, COI du verbe se jeter (ou CCL) ; – « il » : pronom personnel, sujet du verbe parvenir ; – « le » : pronom personnel, COD du verbe attendre ; – « le » : pronom personnel associé au présentatif « voilà », COD du verbe voir à l’origine du démonstratif « voilà » ; – « qui » : pronom relatif, sujet du verbe arriver. On voit que l’amant supposé de Marianne n’est pas nommé, car les noms employés sont des termes génériques et les pronoms sont nombreux. Claudio s’en prend davantage à un rôle, celui de l’amant, qu’à une personne identifiée. Cet anonymat de la victime attendue accentue la dimension tragique, car il semble qu’une machine soit lancée. am Claudio est un personnage autoritaire, comme on avait pu le voir lorsqu’il avait menacé Marianne. Dès le début de la pièce, il était question des spadassins qu’il avait envoyé chercher pour se débarrasser du joueur de guitare. Dans la scène 5, différents procédés expriment son autorité : – les impératifs : « Laissez-le », « jetez-vous », « attendez-le », « Retirons-nous », etc. ; – un accessoire : « son épée sous le bras » ; – une référence au droit : « j’avais le droit de ne pas lui ouvrir » ; – l’emploi du verbe ordonner : « Tout est-il fini, comme je l’ai ordonné ? ». an La rencontre entre Claudio et Octave dans la scène 5 est bien différente de la joute verbale comique à laquelle on avait assisté dans la scène 1 de l’acte II. Ici, le juge affiche une supériorité avec laquelle Octave ne peut rivaliser. Il apparaît une épée à la main, mais son bon droit suffit à chasser Octave ; il va même jusqu’à laisser le jeune homme libre (« si bon vous semble ») de fouiller le jardin. Alors qu’il vient de commettre un meurtre, il emploie, dans les propos qu’il adresse à Octave, des modalisateurs qui atténuent faussement son pouvoir : « Je ne pense pas que », « il me semble que ». Il oppose à la colère d’Octave (« Ouvrez ou j’enfonce les portes ! ») une froideur qui exprime toute la solidité de sa position. ao Dans la scène 6, lorsque Octave se trouve lâche et s’en veut de n’avoir pu ni sauver ni venger son ami, Marianne tente de l’innocenter en mettant en avant l’invulnérabilité de son mari : « Claudio est trop vieux pour accepter un duel, et trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous. » L’âge et le pouvoir politique constituent la force de Claudio face à la jeunesse et aux valeurs d’Octave et de Cœlio. Par ces propos, Musset dénonce une société corrompue dans laquelle ni la justice ni la jeunesse ne trouvent leur place. La société hors temps et hors lieu des Caprices de Marianne semble ici un miroir de la France du « mal du siècle ».

u Le dénouement tragique ap Deux « caprices » de Marianne jouent un rôle déterminant dans la mort de Cœlio. En effet, d’une part, la jeune femme a décidé de prendre un amant pour se venger de Claudio et, à cette fin, elle fixe un rendez-vous. D’autre part, alors qu’Octave n’a fait que plaider en faveur de son ami, Marianne a décidé que ce serait Octave lui-même qui viendrait au rendez-vous. C’est pour cette raison qu’elle lui a écrit et qu’elle s’adresse à lui sans douter un instant de sa venue. C’est, bien sûr, cette seconde décision qui précipite la fin de Cœlio car il se sent trahi. Le mot « caprice » rend bien compte des propos autoritaires et irraisonnés (elle n’imagine pas qu’il puisse en être autrement) de la jeune femme. aq Différents facteurs se combinent pour expliquer la mort de Cœlio. Outre le double caprice de Marianne dont nous venons de parler (question 16), on peut relever : – l’autorité abusive de Claudio, qui, sûr de son pouvoir, passe à l’acte ; – l’amitié d’Octave, qui, bien qu’ayant compris l’invitation de Marianne, confie l’écharpe mortelle à son ami ;

Les Caprices de Marianne – 25

– la passion de Cœlio, qui, se sentant doublement trahi (par Marianne et par Octave), choisit de se laisser tuer ; – la lettre, qui arrive trop tard pour qu’Octave ait le temps d’arrêter Cœlio. ar La « catastrophe tragique » est, dans la tragédie, selon le modèle classique hérité de l’Antiquité, une succession d’événements qui s’enchaînent inéluctablement et provoquent la mort des principaux héros. On retrouve dans la pièce de Musset, bien qu’elle s’inscrive dans le genre de la comédie, cet enchaînement fatal des événements. Les propos tyranniques de Claudio ont poussé Marianne à se venger. La jeune femme décide de prendre un amant et laisse entendre à Octave qu’elle l’a choisi. Le jeune homme, fidèle dans son amitié, envoie Cœlio au rendez-vous. La lettre que Marianne expédie pour annuler le rendez-vous arrive trop tard. Cœlio, comprenant que Marianne attend Octave, se croit trahi et décide de se laisser tuer. La mort de Cœlio provoque le désespoir d’Octave, qui se retire du monde (« ma place est vide sur la Terre ») en brisant les espoirs de Marianne (« Je ne vous aime pas, Marianne »). as Comme souvent dans la tragédie (selon le modèle d’Œdipe, par exemple), le dénouement est provoqué par une succession de malentendus. Ici, c’est un double malentendu entre Octave et Marianne qui déclenche l’issue fatale : Marianne est certaine qu’Octave sera l’amant qu’elle attend mais elle n’a pas mesuré l’amitié de celui-ci pour Cœlio ; de son côté, Octave est sûr que Marianne acceptera Cœlio mais il n’a pas mesuré l’amour que la jeune femme éprouve pour lui. À ces deux malentendus s’ajoute celui qui concerne Cœlio lui-même : quand il entend Marianne appeler Octave et lui donner rendez-vous, il pense que son ami l’a envoyé à sa place pour provoquer sa mort (« Tu savais quel sort m’attendait ici et […] tu m’y as envoyé à ta place »). bt Cette succession de malentendus qui décide de l’issue de la pièce donne l’impression que les relations humaines sont vouées à l’échec. Marianne et Octave ne se comprennent pas et provoquent malgré eux la perte de Cœlio, qui les condamne eux-mêmes. Les paroles semblent trompeuses, et les personnages se retrouvent enfermés dans leur solitude. Cœlio se plaignait d’être « un muet dans une prison » ; mais Octave et Marianne sont aussi, à leur manière, des muets incapables de communiquer leurs sentiments.

u La dernière rencontre entre Octave et Marianne bk La mort de Cœlio préside au dénouement et fixe le destin d’Octave comme celui de Marianne. Le jeune homme, que les « caprices » et les malentendus ont condamné, reste présent dans la scène finale. En effet, il est question d’un « tombeau » et d’une « urne d’albâtre ». Octave attire notre attention sur elle, dès le début de la scène, en la désignant comme la « parfaite image » de son ami. Cœlio est également présent dans les propos d’Octave, qui ne cesse d’évoquer son ami. Le pronom « l’ » désigne Cœlio dès la première phrase de la première réplique, comme s’il n’était pas besoin de le nommer. Dans les deux autres tirades, le nom de Cœlio apparaît dans la première phrase, et, dans la deuxième tirade, l’anaphore de « Lui seul » contribue à rendre présent le jeune homme. bl Les répliques de Marianne sont particulièrement brèves comparées aux longs développements d’Octave. La modalité interrogative domine car, à la différence d’Octave qui ne vit que dans le passé, la jeune femme est tournée vers un avenir dont elle ignore – et espère – tout. La modalité interrogative traduit son attitude, et le recours au conditionnel (« serait », « aimerait », « aurait-elle pu ») exprime son incertitude quant à ce qui va se passer. bm Les répliques de Marianne sont des interrogations auxquelles Octave répond. En effet, le « Je ne sais point aimer » qui ouvre la deuxième réplique reprend le verbe aimer employé au conditionnel par Marianne, de sorte qu’Octave nous donne l’impression de répondre à la jeune femme. De même, la troisième réplique d’Octave commence par reprendre l’idée de vengeance émise juste avant par Marianne. Quant à la dernière réplique d’Octave, elle s’adresse clairement à Marianne, comme le montrent l’apostrophe et la 2e personne du pluriel (« Je ne vous aime pas, Marianne »). Cependant, si Octave s’adresse à Marianne, c’est pour mieux l’exclure ensuite de ses propos. En effet, la deuxième réplique du jeune homme commence par faire l’éloge de Cœlio avant de parler de lui-même. Marianne n’a pas davantage de place dans la troisième tirade, qui suit une progression similaire. Quant à la dernière réplique, elle se termine par une ultime évocation de Cœlio, et Marianne n’y figure qu’associée à la tournure négative « Je ne vous aime pas ». En excluant la jeune femme de ses propos, Octave la repousse et la chasse de son existence même.

Réponses aux questions – 26

bn Dans ses deux premières tirades, Octave fait l’éloge de Cœlio. Il a recours à un vocabulaire mélioratif (« perfections », « âme tendre et délicate ») et vante la sagesse de son ami (« il connaissait », « il savait », « Lui seul savait », « Lui seul était capable »…). Cœlio est présenté comme « un homme d’un autre temps », et l’on a vu, en effet, au cours de la pièce, ce décalage entre le jeune homme et la réalité. Dans la bouche d’Octave, cette inadaptation est la preuve de grandes valeurs : la capacité à aimer profondément (« Elle eût été heureuse, la femme qui l’eût aimé ») et la fidélité (« un dévouement sans bornes », « eût consacré sa vie », « aurait bravé la mort pour elle »). L’amitié semble avoir rapproché les deux jeunes gens au point qu’ils ne fassent plus qu’un : « Cœlio était la bonne partie de moi-même. » Dans la dernière tirade, il s’associe à la mort de son ami : « c’est moi qu’ils ont étendu sous cette froide pierre », « adieu », « ma place est vide sur la Terre ». Octave présente les moments qu’il a partagés avec son ami comme les plus heureux de son existence : « de fraîches oasis dans un désert aride ». bo À la grandeur de Cœlio dont il fait l’éloge, Octave oppose sa propre médiocrité. Il a recours à un vocabulaire péjoratif pour se qualifier : « un débauché », « je ne sais pas », « le masque d’un histrion », « un lâche ». Son libertinage est présenté comme un échec (« je ne sais pas les secrets qu’il savait ») et une illusion (« ivresse passagère d’un songe », « le masque d’un histrion »). De plus, il s’en veut de ne pas avoir su ni aider Cœlio à approcher Marianne, ni venger sa mort : « Cœlio m’aurait vengé si j’étais mort pour lui comme il est mort pour moi. » bp La tirade comprend trois étapes : 1. Du début à « j’aimerai » (l. 586) : bilan (répétition de « tout ») qui résume le passé (passé composé « ai aimé ») et ferme l’avenir (futur « aimerai »). 2. De « Lui seul » (l. 586) à « pour elle » (l. 590) : éloge de Cœlio. 3. De « je ne suis qu’un débauché » (l. 590) à la fin : autoportrait négatif. Cette composition exclut Marianne et réunit les deux amis. L’expression « Lui seul » (il ne reste finalement que Cœlio) et les constructions négatives ou restrictives de la troisième étape annoncent déjà le renoncement d’Octave qui sera explicité dans la dernière tirade. bq Le procédé dominant est l’anaphore : d’abord celle de « Lui seul » qui fait de Cœlio un être unique et ensuite celle du « je » dévalorisé. Ce procédé met en avant le couple Octave/Cœlio, comme si la pièce traitait davantage du thème de l’amitié que de celui de l’amour. Le martellement de l’anaphore donne toute sa solennité à la tirade, comme ce sera aussi le cas pour les adieux à la fin de la scène. Comme chez Racine, la force poétique du langage souligne le renoncement tragique. br Comme dans la deuxième tirade, une double anaphore ponctue la progression de la dernière tirade d’Octave. La répétition de « c’est moi » ou de sa variante « c’est pour moi » associe le destin d’Octave à celui de Cœlio et annonce une mort que vient confirmer la répétition de « adieu » dans la seconde partie. Ces adieux constituent un renoncement équivalant à une mort (« ma place est vide sur la Terre »), ce qui ne va pas sans un certain regret. La « froide pierre » et le « vide » remplacent un monde heureux évoqué avec une certaine nostalgie, comme en témoigne le souci du détail : « les bruyants repas », « la lueur des torches », « l’ombre des forêts ».

u Les deux dernières répliques de la pièce bs Marianne tutoie Octave, alors que ce dernier clôt la pièce en la vouvoyant : « c’était Cœlio qui vous aimait ». Ce léger décalage, suggérant la distance que Cœlio – son amour puis sa mort – a creusée entre les deux personnages, s’inscrit dans le prolongement du malentendu tragique qui a provoqué la mort du héros. Dans la pièce de Musset, les personnages ne parviennent pas à communiquer leurs sentiments et ce désaccord dans l’usage de la 2e personne est un des symptômes de ce mal-être. ct Le décalage entre le tutoiement et le vouvoiement marque la distance entre les deux personnages, alors même qu’ils s’appellent mutuellement. Les deux apostrophes et le vocabulaire de l’amour rapprochent Octave et Marianne, alors justement que s’exprime leur séparation définitive. Marianne explicite ses sentiments (« Mais non pas dans mon cœur ») et Octave la repousse brusquement (« Je ne vous aime pas »). Le lecteur-spectateur a bien perçu la naissance de l’amour chez Octave au fil des rencontres, et cette formule lapidaire, à peine adoucie par l’apostrophe, n’est pas l’expression d’une indifférence mais plutôt celle d’un interdit après la mort de Cœlio ou d’une incapacité à aimer vraiment (« Je ne suis qu’un débauché sans cœur »).

Les Caprices de Marianne – 27

Le parallélisme des deux répliques, marqué par les deux apostrophes qui se font écho, est brisé par la présence de Cœlio (« c’est Cœlio qui vous aimait »), comme si le malentendu devait se poursuivre pour l’éternité. Cette dernière proposition est, en effet, un écho du « c’est moi qu’ils ont tué », et l’on voit que la scène du meurtre dans le jardin se prolonge indéfiniment, condamnant les deux personnages à la séparation. Le lecteur-spectateur entend, dans ces deux répliques, à la fois les adieux des deux personnages et l’échec du sentiment amoureux, qu’il s’agisse de Cœlio, de Marianne ou d’Octave. Alors que le barbon autoritaire triomphe, les jeunes gens n’ont pas pu exprimer et réaliser leurs désirs.

u Lire l’image ck Le premier plan est occupé par une grille imposante qui monte presque jusqu’en haut du tableau. Les lignes de cette grille déterminent l’organisation d’ensemble du paysage : les tombes au second plan puis les arbres au fond reprennent le tracé vertical des barreaux et des piliers, tandis que les lignes horizontales de la grille sont reprises par la cime des arbres délimitant le ciel. Cette grille imposante sépare nettement le monde des vivants de celui des morts ; ce dernier se perd au loin dans la brume et garde tout son mystère. Au premier plan, au centre du tableau, la grille ouverte semble nous inviter à pénétrer dans ce monde à la fois attirant et inquiétant. cl La dernière scène de la pièce se déroule dans un cimetière. Le tableau (1825) et la pièce (1833) sont deux œuvres romantiques qui partagent la même fascination pour le mystère, la solitude et la mort. De même que Caspar David Friedrich ouvre grand la porte du cimetière, de même Octave, en renonçant au monde et en regrettant de ne pas avoir été tué à la place de son ami, semble suivre le destin de Cœlio.

u À vos plumes ! cm La lettre dressera le bilan de la pièce et reviendra sur le malentendu et sur la notion de « caprice ». Elle se fera l’écho de la dernière scène de la pièce. cn Il s’agit, dans ce sujet, de modifier les données du dénouement en imaginant la mort d’Octave au lieu de celle de Cœlio. On valorisera les copies des élèves qui auront su s’inspirer de la dernière scène de Musset pour imaginer une rencontre entre Cœlio et Marianne sur la tombe d’Octave.

R e t o u r s u r l ’ œ u v r e ( p p . 7 2 à 7 4 )

u Les personnages u Qui aime qui ? a. Cœlio aime Marianne. d. Hermia aime Cœlio. b. Marianne aime Octave. e. Orsini aime Hermia. c. Octave aime Marianne et Cœlio.

v Mots-croisés

Réponses aux questions – 28

u L’intrigue w Les questions : c., e., g., b., d., f., a.

u Décors et accessoires x Décors a. La première rencontre entre Octave et Marianne : une rue devant la maison de Claudio. b. La dernière rencontre entre Octave et Marianne : un cimetière. c. La rencontre entre Cœlio et Hermia : la maison de Cœlio. d. La rencontre entre Cœlio et Marianne : sous les persiennes de Marianne, dans le jardin.

y Accessoires Une batte d’Arlequin : Octave. Une épée : Claudio. Un livre de messe : Marianne.

u Le vocabulaire du théâtre U Longue réplique : tirade. Précision quant à la mise scène : didascalie. Parole d’un personnage : réplique. Propos d’un personnage seul sur scène : monologue. Ouverture de la pièce qui présente les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue : exposition. Étape d’une pièce définie par l’entrée ou la sortie d’un personnage : scène.

Les Caprices de Marianne – 29

P R O P O S I T I O N D E S É Q U E N C E D I D A C T I Q U E

QUESTIONNAIRE ÉTUDE DE LA LANGUE TECHNIQUE LITTÉRAIRE EXPRESSION ÉCRITE

1 / Acte I, scène 1 • Les modalités • La tournure impersonnelle • L’hyperbole • La métaphore filée • L’expression de la mort

• Une scène d’exposition de comédie (information et séduction) • L’univers de la comédie • Le mélange des registres • L’enchaînement des répliques

Rédaction d’un dialogue prenant appui sur le texte de la pièce et demandant une réflexion.

2 / Acte I, scènes 2 et 3

• Les paroles rapportées • Les temps du récit

• Le récit enchâssé dans un dialogue • Le récit programmatique • Les caractéristiques de la tragédie • Le mélange des genres

Récit enchâssé dans un dialogue prenant appui sur le texte de la pièce.

3 / Acte II, scène 1

• L’antiphrase • L’apostrophe • Les fonctions à l’intérieur du groupe nominal

• La répartition des temps de parole • Le mélange des registres • Les personnages ambigus • L’enchaînement des répliques • La satire et ses procédés

Rédaction d’une lettre qui transpose la réflexion de Marianne sur la condition des femmes.

4 / Acte II, scènes 2 à 4

• Les modalités • Le plus-que-parfait du subjonctif • L’expression de l’autorité

• Les jeux de scène • Le registre tragique • La relation triangulaire et la radicalisation des caractères • Le dilemme tragique • L’amorce du dénouement

Rédaction d’une scène prenant appui sur le texte de la pièce mais en modifiant le dénouement.

5 / Acte II, scènes 5 et 6

• Classe grammaticale et fonction des pronoms • Les modalités • L’anaphore • Sens du tutoiement et du vouvoiement

• Le dénouement tragique • La tirade • L’expression de la nostalgie

• Rédaction d’une lettre prenant appui sur le texte de la pièce. • Rédaction d’un autre dénouement.

Exploitation du groupement de textes – 30

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S

Les extraits réunis dans ce corpus sont tous des scènes de théâtre car, si le roman se propose également de décliner l’aveu, c’est au théâtre – la parole exprimée étant au cœur des intrigues – que la scène d’aveu est un véritable topos. L’aveu romanesque se définit d’ailleurs par rapport à cette matrice théâtrale. Quel que soit le genre (de la comédie au drame en passant par la tragédie), l’aveu étant problématique parce qu’il ne sera pas sans conséquence, les personnages, pour des raisons diverses plus ou moins explicites, usent de détours pour contourner la difficulté. L’étude des textes du corpus permet de montrer différentes façons de dévoiler son amour sans s’exprimer directement. On pourra éclairer le groupement sous différents angles.

u Les procédés du détour On verra, dans les différents textes, comment les personnages masquent leur aveu et comment ce détour permet justement d’avouer.

Les Caprices de Marianne L’aveu est problématique pour les trois personnages principaux qui recourent tous à des stratagèmes : Cœlio chante ou fait appel à son ami ; Marianne suggère à Octave (et non pas à Cœlio) de venir au rendez-vous ; Octave, quant à lui, ne parvient pas à s’avouer à lui-même son amour pour Marianne et le dissimule sous le masque de l’agressivité.

Le Tartuffe Tartuffe met en avant son intérêt pour le salut d’Elmire, alors que son intérêt est tout autre : il touche ses vêtements, ce qui est une façon détournée de la toucher elle-même.

Le Malade imaginaire C’est en présentant le prétendu thème d’un opéra impromptu que Cléante avoue son amour. Endossant les rôles du berger et de la bergère, les deux amants peuvent se dire clairement : « Je vous aime. »

Phèdre Phèdre commence par évoquer son amour pour Thésée, celui qu’elle éprouve pour le fils de celui-ci étant présenté comme une facette de l’amour conjugal légitime.

La Double Inconstance Le Prince se fait passer pour un simple gentilhomme de la Cour.

On ne badine pas avec l’amour Les deux jeunes gens ont dissimulé leur amour sous un jeu qui finira par la mort de Rosette. Il faut attendre, en effet, la mort de la jeune fille pour que cet amour s’exprime clairement tout en se condamnant.

Cyrano de Bergerac Cyrano a écrit sous le masque de Christian de Neuvillette. Ce n’est qu’au moment de mourir que le cousin de Roxane lève le voile.

La Cantatrice chauve Ici, la reconnaissance amoureuse se réduit à une simple identification. Le mariage a déjà eu lieu, ce que les personnages ont oublié.

u Les motifs du détour Pour chaque pièce, on étudiera ce qui contraint le personnage à emprunter des chemins de traverse. Raisons extérieures : la surveillance de Claudio, un interdit (mariage, amitié, autorité du père), les conventions, l’oubli (Ionesco)… Raisons intérieures : le refus de l’autre (Cœlio), le sentiment du devoir (Phèdre, Octave), la peur de l’amour (Perdican et Camille), la crainte de ne pas être aimé (le Prince, Cyrano).

Les Caprices de Marianne – 31

u Les conséquences de l’aveu Au théâtre, en raison des contraintes scéniques, les actions sont réduites et la parole se substitue bien souvent à l’acte. On pourra étudier les différents textes sous cet éclairage en examinant de près le lien entre parole et action. Les deux pièces de Musset ainsi que celle d’Edmond Rostand méritent toute votre attention.

u Les caractéristiques génériques Le corpus réunissant des comédies, une tragédie, des drames et une pièce absurde constitue un support intéressant pour qui veut dégager les différentes caractéristiques des genres en suivant une démarche comparatiste articulée autour de la scène d’aveu. Il est intéressant de procéder par comparaison pour bien mettre en place ces notions génériques indispensables à l’étude du théâtre français.

Pistes de recherches documentaires – 32

P I S T E S D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S

Autour des Caprices de Marianne, on pourra proposer différentes pistes de recherches qui pourront amener à rapprocher plusieurs disciplines.

u Le contexte d’écriture de la pièce • Le « mal du siècle ». • La génération romantique. • La « bataille d’Hernani ». • L’esthétique romantique.

u Les sources d’inspiration • Le carnaval. • La commedia dell’arte. • Le personnage d’Arlequin au théâtre et dans la peinture. • Le théâtre de Marivaux. • Les passions condamnées au théâtre.

u La mise en scène À partir du site de l’INA, on peut comparer plusieurs mises en scène. On peut aussi demander aux élèves de proposer la mise en scène d’un passage de leur choix.

Les Caprices de Marianne – 33

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

u Autres documents à titre de comparaison – On ne badine pas avec l’amour, mise en scène de Simon Eine à la Comédie-Française, avec Francis Huster, Éditions Montparnasse, 2009. – Lorenzaccio, mise en scène de Franco Zeffirelli à la Comédie-Française, avec Louis Seignier, Éditions Montparnasse, 2010. – Frédéric Deloffre, Une préciosité nouvelle : Marivaux et le marivaudage, Armand Colin, 1971.

u Sur le théâtre et le drame romantique – Gérard Gengembre, Premières Leçons sur le drame romantique, coll. « Major Bac », PUF, 1996. – Pierre Larthomas, Le Langage dramatique, Armand Colin, 1972. – Florence Naugrette, Le Théâtre romantique : histoire, écriture, mise en scène, coll. « Points Essais », Le Seuil, 2001. – Jean-Pierre Richard, Études sur le romantisme, coll. « Points Essais », Le Seuil, 1999. – Anne Ubersfeld, Le Drame romantique, Belin, 1999.

u Sur Musset – Alain Heyvaert, La Transparence et l’Indicible dans l’œuvre de Musset, Klincksieck, 1994.