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Tous droits réservés © HEC Montréal, 1984 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 3 oct. 2020 12:07 L'Actualité économique Les Canadiens français dans la ligue nationale de hockey : une analyse statistique French-Canadians in the National Hockey League: A Statistical Note Michel Boucher Volume 60, numéro 3, septembre 1984 URI : https://id.erudit.org/iderudit/601298ar DOI : https://doi.org/10.7202/601298ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) HEC Montréal ISSN 0001-771X (imprimé) 1710-3991 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Boucher, M. (1984). Les Canadiens français dans la ligue nationale de hockey : une analyse statistique. L'Actualité économique, 60 (3), 308–325. https://doi.org/10.7202/601298ar Résumé de l'article Cet article pose le problème que soulève la présence des Canadiens français dans la Ligue nationale de hockey (LNH). Comme l’habileté à parler l’anglais couramment doit être considérée comme nécessaire à un joueur canadien-français, ce dernier doit investir en formation générale en cours d’emploi. C’est le francophone unilingue et non l’équipe de hockey qui assumera le coût de ce type de formation générale. Par conséquent, le Canadien français joue en-deçà de ses capacités au cours des premières années de sa carrière professionnelle. Pour vérifier cette hypothèse, nous développons un modèle de la détermination des salaires des joueurs de hockey de la LNH dont les variables considérées sont un indice de performance, une variable quadratique qui reflète l’expérience et une variable d’interaction entre l’expérience et la performance. Nous démontrons par une analyse de régression qui s’appuie sur des données pour l'année 1977-78 que les joueurs francophones assument le coût de leur investissement en capital humain pour être aussi productifs que les joueurs de langue anglaise. En effet, les équipes y substituent un indice de performance courante pour le critère de performance à vie par partie. Finalement, nos résultats laissent entrevoir que la détermination des salaires des francophones des Canadiens de Montréal, n’ayant pas à investir en anglais, et des franco-Canadiens, déjà bilingues, est différente de celle utilisée pour les Canadiens français unilingues. Toutefois, la différence n’est pas statistiquement significative.

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Document généré le 3 oct. 2020 12:07

L'Actualité économique

Les Canadiens français dans la ligue nationale de hockey : uneanalyse statistiqueFrench-Canadians in the National Hockey League: A StatisticalNoteMichel Boucher

Volume 60, numéro 3, septembre 1984

URI : https://id.erudit.org/iderudit/601298arDOI : https://doi.org/10.7202/601298ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)HEC Montréal

ISSN0001-771X (imprimé)1710-3991 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleBoucher, M. (1984). Les Canadiens français dans la ligue nationale de hockey :une analyse statistique. L'Actualité économique, 60 (3), 308–325.https://doi.org/10.7202/601298ar

Résumé de l'articleCet article pose le problème que soulève la présence des Canadiens françaisdans la Ligue nationale de hockey (LNH). Comme l’habileté à parler l’anglaiscouramment doit être considérée comme nécessaire à un joueurcanadien-français, ce dernier doit investir en formation générale en coursd’emploi. C’est le francophone unilingue et non l’équipe de hockey quiassumera le coût de ce type de formation générale. Par conséquent, leCanadien français joue en-deçà de ses capacités au cours des premières annéesde sa carrière professionnelle. Pour vérifier cette hypothèse, nous développonsun modèle de la détermination des salaires des joueurs de hockey de la LNHdont les variables considérées sont un indice de performance, une variablequadratique qui reflète l’expérience et une variable d’interaction entrel’expérience et la performance. Nous démontrons par une analyse derégression qui s’appuie sur des données pour l'année 1977-78 que les joueursfrancophones assument le coût de leur investissement en capital humain pourêtre aussi productifs que les joueurs de langue anglaise. En effet, les équipes ysubstituent un indice de performance courante pour le critère de performanceà vie par partie. Finalement, nos résultats laissent entrevoir que ladétermination des salaires des francophones des Canadiens de Montréal,n’ayant pas à investir en anglais, et des franco-Canadiens, déjà bilingues, estdifférente de celle utilisée pour les Canadiens français unilingues. Toutefois, ladifférence n’est pas statistiquement significative.

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L'Actualité économique. Revue d'analyse économique, vol. 60 no 3, septembre 1984.

LES CANADIENS FRANÇAIS DANS LA LIGUE NATIONALE DE HOCKEY :

UNE ANALYSE STATISTIQUE

Michel B O U C H E R École nationale d'administration publique

Cet article pose le problème que soulève la présence des Canadiens français dans la Ligue nationale de hockey (LNH). Comme l'habileté à parler l'anglais couramment doit être considérée comme nécessaire à un joueur canadien-français, ce dernier doit investir en formation générale en cours d'emploi. C'est le francophone unilingue et non l'équipe de hockey qui assumera le coût de ce type de formation générale. Par conséquent, le Canadien français joue en-deçà de ses capacités au cours des premières années de sa carrière professionnelle. Pour vérifier cette hypothèse, nous développons un modèle de la détermination des salaires des joueurs de hockey de la LNH dont les variables considérées sont un indice de performance, une variable quadratique qui reflète l'expérience et une variable d'interaction entre l'expérience et la performance. Nous démontrons par une analyse de régression qui s'appuie sur des données pour l'année 1977-78 que les joueurs francophones assument le coût de leur investissement en capital humain pour être aussi productifs que les joueurs de langue anglaise. En effet, les équipes y substituent un indice de performance courante pour le critère de performance à vie par partie. Finalement, nos résultats laissent entrevoir que la détermination des salaires des francophones des Canadiens de Montréal, n'ayant pas à investir en anglais, et des franco-Canadiens, déjà bilingues, est différente de celle utilisée pour les Canadiens français unilingues. Toutefois, la différence n'est pas statistiquement significative.

1. INTRODUCTION

L'industr ie amér ica ine des sports professionnels a constitué, au cours des d e u x de rn iè res décennies , u n c h a m p d'applicat ion fascinant et poten-

L'auteur remercie Gérard Bélanger et les membres du Séminaire d'économie politique du département d'économique de l'Université Laval pour leurs commentaires judicieux ; Jean Labrecque pour la qualité de son travail comme assistant de recherche ; Janon Hamel qui a réduit le nombre d'accrocs à la langue de Molière ; et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour sa précieuse contribution financière. On ne saurait passer sous silence les commentaires pertinents de deux lecteurs anonymes qui ont grande­ment amélioré le contenu de cette recherche, dont l'auteur demeure, évidemment le seul responsable.

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tiellement significatif pour l'analyse économique1. Cependant très peu de recherches ont été entreprises sur les sports professionnels au Canada bien que ceux-ci recèlent, comme aux États-Unis, de multiples facettes dont l'investigation peut s'avérer des plus fascinantes2. En ce qui concerne le sport national, le hockey, par exemple, une recension exhaustive ne révèle que deux articles (Jones, 1969 ; Jones et Davies, 1978). Le premier de ces articles analyse les conséquences de la maximisation des profits dans la Ligue nationale de hockey (LNH); on y démontre comment chacune des équipes se voit contrainte dans ses actions par la viabilité de la ligue elle-même. Le second article scrute et examine les justifications du statut spécial accordé aux ligues professionnelles de sports par la révision de 1976 de la Loi canadienne sur les pratiques restrictives.

La société canadienne a, comme on le sait, ceci de particulier qu'elle se compose de deux groupes linguistiques importants, le groupe anglo­phone et le groupe francophone, ce dernier étant minoritaire. Et il existe peu de situation où ces deux groupes se trouvent au départ en position d'égalité. Le but de cet article est de combler une lacune en appliquant l'analyse économique au comportement des membres de la minorité linguistique canadienne qui œuvrent sur le marché des joueurs de hockey de la LNH.

La présente recherche comporte trois parties. La première partie présente les principales caractéristiques de l'échantillon utilisé et elle fournit aussi des renseignements sur la présence des Canadiens français sur le marché spécifique des joueurs de hockey. Nous posons, dans la deuxième section, le problème que soulève leur présence pour les équipes de la LNH et les difficultés que cela entraîne dans la spécification d'un modèle de détermination des salaires ; nous la complétons en énonçant un certain nombre d'hypothèses relatives à leur présence. La troisième partie présente les résultats empiriques de l'analyse de régression. En guise de conclusion, nous formulons une suggestion visant à réduire les coûts qu'assument les francophones sur ce marché comme sur tous les autres marchés.

2. L'ÉCHANTILLON ET LA PRÉSENCE CANADIENNE-FRANÇAISE

Les données employées pour analyser la performance des Canadiens de langue française dans la LNH se rapportent à la saison 1977-78. L'échantillon potentiel comprend 385 joueurs ayant participé à un mini­mum de 25 parties au cours de cette saison particulière ; 355 observations

1. Le lecteur intéressé peut consulter l'ouvrage collectif de NoIl (1974) pour une bonne synthèse des différents sujets analysés.

2. Par exemple, la Ligue canadienne de football (CFL) contingente la présence de joueurs américains à 15 par équipe. Quelle est la conséquence de cette politique sur la demande de joueurs canadiens? Pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il changé le statut privilégié des athlètes professionnels?

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sont retenues alors que 20 sont exclues en raison de l'absence de données salariales sur ces joueurs et dix joueurs sont retranchés, n'étant pas canadiens. Le tableau 1 fait voir la distribution des joueurs selon leur position — attaquants, défenseurs et gardiens de but — et selon leur langue, anglaise et française. Les différents pourcentages décrivent avec une certaine précision la structure interne d'une équipe de hockey qui se compose normalement de 19 joueurs : onze joueurs d'attaque, six joueurs de défense et deux gardiens de but. Un élément important de ce tableau est que les francophones représentent 17,2% des joueurs canadiens. Si l'on se basait sur l'importance numérique des Canadiens français dans la population canadienne, on pourrait dire qu'ils sont sous-représentés dans le monde du hockey où ils ne comptent que pour 17,2% alors qu'ils constituent tout près de 26% de la population canadienne. De plus, leur représentation par position n'est pas uniformément distribuée puisqu'il y a légèrement plus de francophones comme attaquants, légèrement moins comme défenseurs et un fort pourcentage comme gardiens de but. Ce­pendant un test de \2 démontre que leur représentation n'est pas statique-ment différente à un seuil de 5% de celle des Canadiens de langue anglaise.

Cette photographie de la présence francophone dans la LNH peut être perçue et considérée par certains observateurs comme trop spécifi­que dans le temps et par conséquent quelque peu biaisée. Un bref rappel de certaines données historiques de la LNH devrait écarter tous les doutes pouvant subsister quant à la pertinence de cet échantillon. Nous y avons calculé le nombre de Canadiens français maintenant à leur retraite, qui ont joué au moins 35 parties entre les saisons s'échelonnant de 1950-51 à 1976-77. Le tableau 2 montre qu'ils représentaient seulement 13,0% des

joueurs au cours de cette période, dégageant l'idée que leur sous-repré­sentation sur ce marché semble constituer une situation réelle3. Les don­nées révèlent un pourcentage relativement élevé de francophones jouant à la position de gardiens de but (21,3%), ce qui confirme le pourcentage élevé obtenu pour l'ensemble de l'échantillon4.

3 . UN MODÈLE DE LA DÉTERMINATION DES SALAIRES DES JOUEURS DE

HOCKEY

Comme l'objectif de cette recherche est de vérifier empiriquement certaines hypothèses sur le fait français dans la LNH, il devient nécessaire

3. Une deuxième vérification relativement plus faible est de considérer le pourcen­tage de Canadiens français élus au Temple de la Renommée du Hockey. Parmi les 158 membres classifiés comme joueurs en 1979, 15 étaient francophones, soit 9,5%.

4. Le trophée Vézina, accordé annuellement au meilleur gardien de but, constitue la seule récompense individuelle en mémoire d'un Canadien français. Ainsi la situation pré­sente peut-être le reflet d'une longue tradition parmi les francophones pour cette position particulière.

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TABLEAU 1 DISTRIBUTION DES JOUEURS DE LA LNH SELON LEUR

POSITION ET SELON LEUR ORIGINE LINGUISTIQUE, POUR LA SAISON 1977-78

Origine linguistique

et position

— Attaquant

Centre

Ailier droit

Ailier gauche

— Défenseur — Gardien de but

Total

Anglophones

Nombre

174

62

55

57

92

28

294

%

59,2

21,1

18,7

19,4

31,3

9,5

82,8

Francoph

Nombre

37

18

11

8

13

11

61

3nes

%

60,7

29,5

18,1

13,1

21,3

18,0

17,2

Total

Nombre

211

80

66

65

105

39

355

%

59,9

22,6

18,6

18,3

29,6

10,9

100,0

S O U R C E : R o n a l d A n d r e w s , éd. , 1979-80 National Hockey League Guide, Nat ional Hockey L e a g u e , 1979, M o n t r é a l , p p . 338-679 .

de spécifier un modèle de la détermination salariale des joueurs de hockey de la LNH. Au préalable, il faut expliquer comment l'économique analyse un sport d'équipe (Rottenberg, 1956; Neale, 1964) pour être en mesure de bien situer le problème de la présence francophone dans un environnement anglophone. Suivront certaines considérations sur les coûts d'ajustement linguistique assumés par les Canadiens français.

3.1 Les caractéristiques du hockey

Dans un match de hockey, deux équipes s'opposent avec six joueurs sur la glace et se concurrencent pour gagner. Le produit de leur interac­tion sur la glace est la partie elle-même qui produit des revenus provenant des spectateurs présents et des droits de télévision. La contribution de chaque équipe constitue un input important à la fonction de production d'une partie. Plus exactement, une équipe est essentiellement une collec­tion de joueurs hétérogènes, composés d'attaquants, de défenseurs et de gardiens de but qu'un instructeur rassemble, agence, coordonne et dirige pour qu'ils se complètent en vue de la victoire. Une équipe adopte généra­lement une fonction de production sur la glace, c'est-à-dire un style de jeu qui lui permet de maximiser ses profits. Par exemple, les Canadiens de Montréal maximisaient leurs profits durant la dernière décennie, en assemblant une équipe de joueurs rapides au style très offensif, connue sous l'appellation américaine de « The Flying Frenchmen » tandis que les Flyers de Philadelphie maximisaient leurs profits en utilisant l'intimida­tion, approche mieux connue sous le terme «Broad Street Bullies».

Le joueur est le principal input de la fonction de production d'une équipe. Il doit être capable de communiquer avec l'instructeur aussi bien qu'avec ses coéquipiers, autant durant la période du camp d'entraîne­ment que durant les diverses pratiques et les parties. De plus, il doit être

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3 1 2 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

TABLEAU 2 COMPARAISON DU NOMBRE DE CANADIENS

SELON L'ORIGINE LINGUISTIQUE POUR LA SAISON 1977-78 ET POUR LA PÉRIODE ALLANT DE 1950-51 à 1976-77

Origine linguistique

et position

Attaquant et défenseur

Anglophone

Francophone

Gardien de but

Anglophone

Francophone

Total

Anglophone

Francophone

1950-51 à

Nombre

de joueurs

598

524

74

47

37

10

645

561

84

1976-77

%

87,6

12,4

78,7

21,3

87,0

13,0

1977-78

Nombre

de joueurs

316

266

50

39

28

11

355

294

61

%

84,2

15,8

71,8

28,2

82,8

17,2

SOURCE: Ronald Andrews, éd., 1979-80 National Hockey League Guide, National Hockey League, 1979, Montréal, pp. 338-696.

mentalement prêt à fournir l'effort nécessaire que l'équipe exige de lui au cours d'une partie. En effet, dans la plupart des sports d'équipe, une équipe emploie une fonction de production qui permet plus de flexibilité et d'improvisation que celle permise sur une chaîne de production de l'industrie de l'automobile, par exemple. Au cours d'un match, une équipe doit modifier en certaines occasions son plan de jeu préétabli et procéder à certains ajustements ou certaines modifications en raison du jeu de l'équipe rivale. Parmi la gamme de sports d'équipe professionnels pratiqués en Amérique du Nord, il existe des différences substantielles. Par exemple, le hockey est un sport plus coopératif que le baseball. Dans ce dernier cas, le résultat final d'un match dépend largement de la sommation des efforts individuels et par conséquent, le baseball peut être perçu comme étant une partie dite linéaire. Dans une partie de hockey ou de basketball, les efforts individuels demeurent difficiles à isoler en raison de leur structure inhérente qui lui confère un degré plus grand d'interdé­pendance, tout au long des diverses séquences de jeux tant offensifs que défensifs. Par voie de conséquence, le besoin de communiquer que néces­site la fonction de production d'une équipe de hockey étant plus grand, plus forte sera la tendance naturelle à l'homogénéité sur le plan linguis­tique.

Différence linguistique et effets secondaires inattendus

Maintenant, introduisons un joueur de hockey unilingue français dans un milieu relativement homogène de langue anglaise (Breton et

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Mieszkowski, 1977). La barrière linguistique crée un nouveau coût de transaction pour les gestionnaires d'une équipe puisqu'elle accroît le coût d'intégration de ce joueur spécifique dans la fonction de production de l'équipe. En raison de son faible niveau de connaissance de l'anglais parlé, le francophone ne peut pas communiquer efficacement avec ses coéqui­piers. Son unilinguisme amène aussi des effets secondaires inattendus puisqu'il augmente le coût de l'intégration du joueur à son nouveau milieu social. Ces deux situations deviennent intimement liées, se recou­pant même, en raison de leurs interactions. Elles produisent un effet cumulatif qui amplifie les difficultés initiales de son unilinguisme fran­çais. Pour simplifier, nous regrouperons les coûts de communication et les effets secondaires inattendus sous l'expression coûts d'ajustement linguistique. L'existence de tels coûts contribue à réduire à la marge l'habileté qu'on attribue au joueur francophone.

Uanglais et la formation en cours d'emploi

Pour bien comprendre et analyser la signification de ces coûts d'ajus­tement linguistique, nous employons la notion de formation en cours d'emploi (on-the-job training) développée par Becker (1975). Ce dernier distingue deux types d'apprentissage sur le tas que peuvent acquérir les travailleurs : spécifique et général. La formation générale en cours d'em­ploi accroît la productivité marginale des travailleurs dans les entreprises qui l'assurent et elle augmente aussi leur productivité marginale dans bon nombre d'autres entreprises de l'industrie. Quant à la formation spécifi­que en cours d'emploi, elle améliore la productivité marginale seulement dans les entreprises qui la fournissent et elle ne peut profiter à aucune autre firme de l'industrie. Sur un marché concurrentiel, on peut s'at­tendre d'une entreprise qu'elle n'offre la formation générale en cours d'emploi que si elle n'a pas à en assumer le coût puisque ce sont les employés qui en récolteront les fruits; on peut par contre s'attendre qu'une telle entreprise contribue à la formation spécifique en cours d'emploi de ses employés puisqu'elle en récoltera seule le rendement, sous la forme de profits accrus résultant d'une productivité plus élevée.

Appliquons maintenant le raisonnement au marché des joueurs de la LNH. L'habileté à parler l'anglais couramment doit être considérée comme nécessaire à un joueur canadien-français. En effet, être bilingue permet une meilleure intégration culturelle et cette dernière caractéristi­que aura des conséquences directes sur sa performance sur la glace. Or, aucune équipe de hockey qui maximise ses profits ne risquera d'investir en capital humain général si les rendements de cet investissement peu­vent être captés aussi bien par les autres équipes. En conséquence, c'est le francophone unilingue et non l'équipe de hockey qui assumera le coût de ce type de formation générale. Autrement dit, le Canadien français

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unilingue joue en-deçà de ses capacités au cours des premières années de sa carrière professionnelle alors que le joueur de langue anglaise joue à son plein potentiel au cours de la même période parce que le premier doit d'abord investir dans l'acquisition d'une deuxième langue pour surmon­ter les coûts d'ajustement linguistique. Par conséquent, la variable reflé­tant l'habileté des francophones dans la forme fonctionnelle à estimer devra être différente de celle observée pour les anglophones. Dans ce contexte, il devient approprié de prendre le nombre de points à vie par partie comme variable de performance pour les Canadiens anglais alors que la même variable pour les Canadiens français introduit un biais dans la spécification de l'équation puisqu'elle ne tient pas compte de l'investis­sement initial à devenir bilingue. Le joueur de langue française aura une moyenne de points à vie par partie plus faible qu'un joueur de langue anglaise de talent comparable en raison d'un départ plus lent dans sa carrière.

3.2 La spécification d'une forme fonctionnelle

Pascal et Rapping (1972) ainsi que Scully (1974) ont développé une théorie de la détermination des salaires annuels pour le baseball qui lie l'habileté anticipée d'un joueur et la rémunération payée par une équipe donnée. Si nous transposons ce modèle au hockey, les variables considé­rées deviennent les suivantes : un indice de performance, une variable quadratique qui reflète l'expérience ainsi qu'une variable d'interaction entre l'expérience et la performance. Cette spécification améliorée s'ap­puie explicitement sur la théorie du capital humain développée par Mincer (1974).

Les variables

Peu d'observateurs de ce sport oseraient contester l'idée que c'est réellement la performance sur la glace qui détermine les salaires des joueurs. En 1958, l'ancien président de la LNH, Clarence Campbell déclarait dans son témoignage devant le Sénat américain (Kefauver Hea-rings : 507) que la performance est l'élément le plus souvent employé pour résoudre les conflits contractuels qui apparaissent entre la direction d'une équipe et les joueurs. Toutefois il existe au hockey comme dans tout sport d'équipe diverses mesures disponibles de l'habileté d'un joueur, et les désaccords sur la validité de ces mesures comme reflet pertinent de la performance peuvent dépendre de l'importance relative que chaque observateur attribue à certains aspects du jeu. Les variables choisies proviennent d'un certain nombre d'expérimentations portant sur chaque mesure disponible de performance à vie d'un joueur. Le nombre de points (buts et mentions d'aide) par partie est la mesure statistique qui reflète le plus adéquatement l'habileté offensive d'un joueur, que ce dernier soit un attaquant ou un défenseur tandis que, pour un gardien de

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but, le critère s'avère le nombre de buts alloués par partie. Pour les joueurs de langue anglaise, nous employons le nombre de points à vie par partie (LTPA) pour les attaquants et les défenseurs et le nombre de buts alloués à vie par partie (LGAA) pour les gardiens de but. Par contre, nous utilisons le nombre de points par partie en 1977-78 (CTPF) comme mesure de la performance courante ou actuelle des attaquants et défen­seurs francophones et le nombre de buts alloués par partie en 1977-78 (CGAF) pour les gardiens de buts francophones. Le signe attendu de ces coefficients est positif pour un attaquant et un défenseur et négatif pour un gardien de but.

Il convient de préciser que ces mesures statistiques de performance de la carrière d'un joueur sont quelque peu arbitraires. Comme Scully (1974: 251) l'affirme pour le baseball, elles ne reflètent que partiellement l'habileté d'un joueur et elles ne sont pas systématiquement indépen­dantes de facteurs qui sont hors du contrôle d'un joueur. Par exemple, le nombre de points par partie, qu'il soit à vie ou pour une saison donnée, possède plusieurs déficiences lorsqu'il s'applique aux joueurs d'attaque. Tout d'abord, il favorise les joueurs qui jouent sur un jeu de puissance lorsqu'un joueur de l'équipe rivale a reçu une pénalité. Deuxièmement, cette mesure avantage les joueurs qui sont meilleurs à l'offensive qu'à la défensive : autrement dit, elle est défavorable aux joueurs qui sont recon­nus comme supposément plus « complets ». Troisièmement, elle risque de désavantager les joueurs dits défensifs qui sont généralement opposés au meilleur trio de l'équipe rivale et qui jouent par surcroît quand l'équipe est en désavantage numérique. Pour un joueur de défense, les mêmes insuffisances sont de mise et il faut en ajouter une autre à savoir que cet indice spécifique ne prend nullement en considération la facette princi­pale de son jeu, soit d'empêcher l'autre équipe de compter des buts. En ce qui concerne les gardiens de but, la principale faiblesse réside dans le fait que le nombre de buts alloués par partie n'est pas indépendant de la performance de l'ensemble des joueurs de l'équipe. Le gardien de but est souvent le dernier rempart de défense qui existe à la suite des bourdes, bêtises et mauvais jeux de ses coéquipiers. Un gardien de but d'une équipe faible arrêtera un nombre élevé de tirs au cours d'un match. Comme ces derniers seront souvent parmi les plus difficiles à arrêter, cela augmentera sa probabilité d'une moyenne à vie élevée. Le contraire se produira pour le gardien de but d'une équipe championne qui arrêtera un nombre plus faible de tirs par partie, ces derniers pouvant s'avérer relativement plus faciles. On trouve une bonne illustration de ce phéno­mène dans la performance de Lorne Worsley qui a joué durant 20 saisons dans la LNH. Sa moyenne à vie de buts alloués est de 2,91 par partie. Il a reçu le trophée Vézina comme gardien de but de l'équipe ayant alloué le moins de buts deux fois au cours de sa carrière. Il n'a pas gagné cette coupe lorsqu'il protégeait les buts des Rangers de New York, une équipe

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reconnue pour son jeu d'ensemble déséquilibré et peu axé sur la défen­sive, mais bien avec les Canadiens de Montréal, une équipe qui mise et favorise un jeu offensif, fondé sur la rapidité et la vitesse d'exécution, conjugué à un échec-avant et à un repli défensif de tous les joueurs.

L'indice idéal de performance qui surmonte ces faiblesses relatives, autant pour les attaquants que les défenseurs, est le système des plus et des moins développé par les statisticiens de la LNH. Cette mesure sophis­tiquée consiste à attribuer un plus ( + 1) à un joueur quand ses coéquipiers ou lui-même comptent un but lorsqu'il est sur la glace et un moins ( — 1) lorsqu'un but est compté et à pondérer ce résultat global par le nombre de parties gagnées et perdues par l'équipe au cours d'une saison. Chaque équipe peut avoir recours à cette mesure pour les membres actuels de son équipe, mais il semble impossible de l'obtenir pour la carrière de tous les joueurs de l'échantillon.

Une deuxième variable de la détermination salariale est nécessaire pour comprendre l'évolution de la rémunération annuelle d'un joueur puisque la performance à vie ou courante peut ne pas la refléter pleine­ment. Nous avons retenu le nombre de parties jouées dans la LNH ainsi que son carré (GP et GP2) après avoir dû rejeter la variable nombre d'années passées dans la LNH en raison de sa faible performance statisti­que. Même si Rottenberg (1958: 253) et Pascal et Rapping (1972: 128) mentionnent le moral d'une équipe comme un facteur pouvant expliquer que les salaires croissent avec l'ancienneté, indépendamment de l'habi­leté, une explication plus plausible est celle avancée par Scully (1974) à savoir que cette variable spécifique mesure la contribution distincte de l'expérience à l'habileté. Autrement dit, un joueur améliore, toutes choses étant égales par ailleurs, sa connaissance fondamentale des différentes séquences d'une partie, s'il demeure plus longtemps dans la ligue. L'inclu­sion de cette variable sous une forme quadratique s'appuie sur l'hy­pothèse que le pourcentage de temps dévolu à la formation en cours d'emploi d'un joueur de hockey qui est contenu explicitement dans l'ex­périence diminue d'une manière linéraire au cours de la carrière. Les signes anticipés de ces deux coefficients sont respectivement positif et négatif. De plus, le coefficient positif devrait être plus grand en valeur absolue que le coefficient négatif.

Quant à la troisième variable, elle consiste en un terme d'interaction entre l'expérience et la performance à vie pour un anglophone ou la performance courante pour un francophone. Son inclusion permet au rythme de progression de l'expérience de différer suivant le niveau de performance. Le signe attendu du coefficient de cette variable est positif puisque les profils du logarithme des salaires en regard de la perfor­mance tendent à converger au fur et à mesure que croît le nombre de parties jouées, mesure de l'expérience.

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LES CANADIENS FRANÇAIS DANS LA L.N.H. 3 1 7

Les salaires élevés que reçoivent les joueurs étoiles ne sont pas adéqua­tement expliqués par les seules variables représentées par la performance et l'expérience. Les joueurs étoiles produisent des bénéfices externes positifs de sorte que la relation entre la valeur du produit marginal d'un joueur et le niveau de sa rémunération n'est pas linéaire. À titre d'exemple, Guy Lafleur des Canadiens de Montréal et Bobby Orr des Bruins de Boston — tout comme Wayne Gretzky actuellement — atti­raient des foules, aussi bien à domicile que « sur la route » même quand leur équipe respective rencontrait la pire équipe de la LNH. Leur grande dextérité et facilité à se déplacer sur une patinoire, leurs feintes déce­vantes, leur art consommé du contrôle de la rondelle et leur grande supériorité à fabriquer des jeux compensent grandement la réduction de l'incertitude touchant le résultat éventuel du match. De plus, certains autres joueurs, bien qu'ils ne contribuent plus autant qu'avant au succès de leur équipe, attirent encore les foules. La meilleure spécification est la forme semi-logarithmique.

Les données

Le tableau 3 présente les moyennes et écarts-type des variables rete­nues comme pertinentes dans notre modèle. Les variables indépendantes ont été tirées de différentes sources, surtout du guide de la LNH pour l'année 1979-80 (1979-80 National Hockey League Guide) alors que les données sur la rémunération proviennent du Globe and Mail de Toronto5. Les joueurs sont présentés selon leur position sur la glace ; les gardiens de but obtiennent le salaire moyen le plus élevé, soit 99 487 $, suivis des joueurs d'attaque et des défenseurs avec respectivement 84 738 $ et 79 000 $. Comme nous l'avions anticipé, les attaquants possèdent la meil­leure performance à vie par partie et le nombre de parties jouées au cours de leur carrière ne diffère pas statistiquement de celui observé pour les joueurs de défense. Finalement, les gardiens de but possèdent, en moyenne, une carrière de joueurs actifs plus courte6.

Le biais de sélection

Ce type de recherche empirique soulève un problème dont l'impor­tance ne peut être négligée puisque nous postulons implicitement que les

5. Le Globe and Mail de Toronto a fait une enquête auprès des agents de joueurs et des représentants de la LNH pour connaître les salaires des joueurs. Une liste complète fut publiée en mars 78. M. Eagleson, directeur exécutif de l'Association des joueurs de la LNH et aussi avocat représentant plus d'une centaine de joueurs a confirmé que les chiffres cités étaient relativement précis.

6. Les gardiens de but sont, en moyenne, plus vieux que leurs collègues lorsqu'ils accèdent à un poste dans la LNH. Ils ont besoin d'un apprentissage sur le tas qui est plus long que celui des autres joueurs. Parmi les 39 gardiens de but de l'échantillon, trois joueurs seulement ont joué immédiatement dans la LNH après avoir été choisis au repêchage des joueurs amateurs.

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318 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

T A B L E A U 3

MOYENNES ET ÉCARTS-TYPE DES VARIABLES PERTINENTES PAR POSITION ET PAR LANGUE POUR LA SAISON 1977-78

Position et origine linguistique

Attaquant

Anglophone

Francophone

Défenseur

Anglophone

Francophone

Gardien de but

Anglophone

Francophone

Salaire (dollars)

84 738 (41 993) 81 676

(37 873) 99 054

(55 937) 79 000

(32 235) 76 957

(30 182) 88 750

(41 128) 99 487

(34 542) 97 143

(37 772) 105 455 (25 045)

Nombre de points

à vie par partie

(LTP)

0,612 (0,235) 0,593

(0,225) 0,695

(0,263) 0,346

(0,187) 0,331

(0,170) 0,452

(0,263)

Nombre de points en 77-78

(CTP)

0,718 (0,319)

0,455 (0,301)

Parties jouées

(GP)

378,0 (272,8) 358,5

(270,4) 468,70 (269,6) 338,6

(251,3) 329,8

(252,8) 401,4

(240,4) 223,4

(170,4) 209,0

(167,4) 260,2

(180,3)

Nombre de Nombre de buts alloués buts alloués

à vie par partie

(LGA)

3,260 (0,542) 3,319

(0,559) 3,111

(0,488)

en 77-78 (CGA)

3,101 (0,619)

SOURCE: Salaires: Globe and Mail de Toronto, de mars 78; les autres données ont été

calculées à partir de R. Andrews, éd., 1979-80 National Hockey Guide, op. cit.,

pp. 338-679.

salaires offerts correspondent aux salaires observés ou plus exactement, que la moyenne de la distribution des salaires observés, l'expérience et le niveau de performance demeurant fixes, coïncide avec la moyenne de la distribution des salaires offerts7. Comme nous pouvons alors être en présence d'un biais de sélection, il est pertinent d'en rappeler les effets.

On imagine qu'à un niveau donné de performance, on puisse tracer deux distributions supposées normales correspondant aux salaires of­ferts aux Canadiens français ainsi qu'aux Canadiens anglais, centrées sur (JLF et \x,A respectivement et de variance égale pour simplifier la démons­tration. On suppose aussi que la différence ([xA-\xF) reflète les coûts de formation en cours d'emploi en anglais que doit défrayer le joueur francophone. On pose maintenant à titre d'hypothèse que les joueurs anglophones et francophones ont des salaires de réserve (asking wages)

7. Le lecteur intéressé aura reconnu le problème soulevé par Gronau (1974) et Lewis (1974) sur la validité statistique des études portant entre autres choses sur les écarts de salaires entre les Américains de race blanche et noire ainsi qu'entre les hommes et les femmes. Nous nous en inspirons dans les paragraphes suivants.

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LES CANADIENS FRANÇAIS DANS LA L.N.H. 3 1 9

égaux à W*A et W*F respectivement et tels que W*F > W*A. Cette dernière inégalité s'appuie sur des considérations relatives aux coûts d'option monétaires et non monétaires élevés des francophones en ma­tière de migration et d'investissement en capital humain. Dans ce cas, puisqu'on n'observe que les salaires des joueurs pour qui W1 > W*z (i= A, F), les distributions de salaires observés correspondent à des distributions de salaires offerts tronqués et le signe de la différence entre les salaires moyens de ces distributions n'est pas forcément identique à celui de djL -̂|X/r). Dans un tel contexte, la distribution observée des salaires offerts aux anglophones serait plus grande que la distribution observée des salaires offerts aux francophones. Si ce sont les individus à qui l'on offre les salaires les plus élevés qui composent majoritairement l'échantillon et si le taux de présence des individus au sein des échantillons diffère significativement en fonction de la langue maternelle puisque l'un re­quiert un investissement en capital humain pour être aussi productif que l'autre, on s'attendra à ce que WF>WA même si la théorie prédit que |JLA>

IJL7T. Si l'apprentissage du bilinguisme affecte la productivité d'un franco­phone en tant que joueur de hockey, mais n'influence pas ses autres « opportunities » au Québec, nous anticipons que les francophones auront un taux de participation faible sur le marché des joueurs de hockey. Finalement, le fait que ce sont les anglophones à qui l'on offre les salaires les plus faibles, toujours à un niveau donné de performance mesurée, repose sur l'idée que les anglophones les plus productifs au hockey peuvent très bien être également encore plus productifs dans une autre activité au Canada, les francophones nécessitant toujours un investisse­ment en capital humain pour être aussi productifs qu'eux.

Les propositions empiriques

Il est maintenant possible de formuler et de vérifier deux propositions sur le fait français dans la LNH. La première se formule ainsi: les francophones unilingues devraient recevoir une rémunération infé­rieure en moyenne à celle des joueurs anglophones de talent comparable, ceterisparibus, puisque les joueurs canadiens-français déboursent la valeur présente du coût de l'investissement en langue anglaise et que la valeur présente de leurs revenus est diminuée d'autant. La deuxième proposi­tion est que les francophones jouant pour les Canadiens de Montréal devraient recevoir la même rémunération que celle versée aux joueurs canadiens de langue anglaise de même talent. La localisation même de Montréal n'exige pas d'investissement en capital humain de leur part de sorte que ces joueurs francophones joueront à leur potentiel dès le début de leur carrière. Dans le même ordre d'idées, les francophones hors Québec obtiendront une rémunération qui sera égale à celle des Cana­diens anglais, quel que soit le talent, puisqu'ils sont déjà bilingues. Dans ce contexte, le critère de performance à vie par partie devient la variable

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320 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

pertinente à considérer dans la spécification du modèle plutôt que la performance courante.

4 . LES RÉSULTATS E M P I R I Q U E S

Les résultats de l'équation sous forme semi-logarithmique, estimée par la méthode des moindres carrés ordinaires, sont présentés au tableau 4 pour les trois positions caractéristiques d'une équipe de hockey. Le coefficient de détermination (R2A) révèle la puissance relative de la

T A B L E A U 4 RÉGRESSIONS SALARIALES POUR LES JOUEURS DE LA LNH

PAR POSITION, POUR LA SAISON 1977-78

Variables

Constante

Performance Anglais

(LTPA)

(LGAA)

Français (CTPF)

(CGAF)

Expérience Anglais (GPA)

Français (GPF)

Expérience2

Anglais (GP2A)

Français (GP2F)

Interaction LTPA.GPA

LGAA.GPA

CTPF.GPF

CGAF.GPF

R 2A S.E.E. F N

Attaquant

10,673 (148,99)

0,234 (1,84)

0,506 (1,66)

0,00088 (4,17) 0,00015

(0,28)*

-0,992E-6 (-5,60) -0,832E-7 (-0,14)*

0,131E-4 (4,61)

0,889E-5 (1,58)*

0,633 0,244

47,07 211

Défenseur

10,733 (153,67)

0,158 (0,97)*

0,363 (0,75)*

0,00103 (3,48) 0,00042

(0,54)*

-0,811E-6 (-3,15) -0,162E-7 (-0,11)*

0,192E-4 (4,51)

0,126E-4 (0,96)*

0,730 0,181

37,86 110

Gardien de but

10,566 (32,46)

-0,096 (-1,03)*

-0,152 (-1,31)*

0,0089 (5,12) 0,0057

(2,93)

-0,532E-6 H,12) -0,392E-5 (-2,00)

-0,142E-4 (-3,14)

-0,780E-5 (-1,60)*

0,735 0,174

14,17 39

NOTE : Les nombres entre parenthèses sont les statistiques t de Student et l'astérisque (*) indique que le coefficient estimé n'est pas statistiquement significatif au seuil de 5%.

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LES CANADIENS FRANÇAIS DANS LA L.N.H. 3 2 1

spécification retenue puisque 63% à 73% de la variation des salaires est expliquée par la variance des variables incluses dans les régressions. Les signes des coefficients s'avèrent conformes aux anticipations théoriques, bien que les estimations obtenues ne soient pas toujours statistiquement significatives au seuil de 5%. Il est nécessaire de rappeler que dans la mesure où les variables expérience et performance expliquent non seule­ment le salaire mais aussi la probabilité qu'un joueur évolue dans la LNH et fasse partie de l'échantillon8 de joueurs analysé par l'auteur, les estima­teurs de moindres carrés ordinaires des équations du modèle seront biaises (Heckman, 1979).

Une lecture attentive de ces différents coefficients estimés révèle que les membres de la minorité linguistique canadienne reçoivent, à la marge, une hausse de rémunération plus élevée, pour un accroissement donné de leur performance courante, que les Canadiens anglais pour un même accroissement de leur performance à vie. Cette rémunération courante reçue par un Canadien français correspond à son niveau actuel de perfor­mance qui est supérieur à sa performance à vie en raison de son lent départ consécutif à son investissement initial en bilinguisme. Ce qui peut apparaître comme une rémunération plus élevée, pour une performance à vie donnée, ne constitue en fait qu'un rendement moyen pour sa performance actuelle qui est supérieure à celle indiquée par sa perfor­mance à vie9. Deuxièmement, l'expérience contribue moins à la rémuné­ration des joueurs francophones qu'à la rémunération des Canadiens anglais. En effet, si on exclut l'équation des gardiens de but, les estima­tions pour la variable quadratique ne sont pas statistiquement significa­tives au niveau de confiance de 95%. Finalement, la variable d'interaction entre la performance et l'expérience n'est statistiquement significative que pour les anglophones.

Ces résultats confirment que les joueurs canadiens de langue fran­çaise doivent assumer le coût de leur formation en cours d'emploi. En effet, une équipe de la LNH n'engagera pas des joueurs francophones au même niveau de rémunération qu'elle verse aux joueurs de langue an­glaise de même talent puisqu'elle n'anticipe pas de les voir remplir leur obligation contractuelle d'une manière adéquate durant les premières années de leur carrière. Dans une telle situation, les équipes lient leur rémunération à leur performance actuelle qui est le meilleur indice de

8. L'échantillon comprend sept franco-Canadiens dont six sont des attaquants et un seul est défenseur. Fait important à noter, quatre de ces francophones hors Québec sont des joueurs marginaux ou des «plombiers».

9. La substitution de la performance à vie pour la performance actuelle dans la forme fonctionnelle implique qu'il n'existe pas de coûts d'ajustement pour les joueurs franco­phones dans la LNH. Cette spécification particulière produit un écart salarial qui leur est favorable. Comme on ne peut se baser sur la théorie des différences salariales compensa­toires pour établir l'existence d'une telle prime, il faut donc conclure à une mauvaise spécification de la forme fonctionnelle. L'annexe I présente ces résultats. .

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322 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

leur performance. D'autre part, la seconde proposition ne se trouve pas confirmée d'un point de vue statistique puisque la différence entre les coefficients estimés de la performance courante pour les sous-groupes n'est pas statistiquement significative10. Toutefois, les résultats laissent entrevoir que la rémunération des francophones de Montréal et les franco-Canadiens qui sont des attaquants s'apparentent davantage au critère de performance à vie par partie que l'indice de performance courante qui est utilisée par les équipes pour les joueurs canadiens-français unilingues.

5 . REMARQUES FINALES

Dans un monde réel où les coûts de transaction sont positifs, le marché cherche des arrangements qui minimisent les pertes de ressources. Les équipes de hockey de la LNH transigent continuellement et régulière­ment avec des joueurs qui ont une faible facilité de s'exprimer en anglais. Ces joueurs de langue française doivent assumer le coût de leur investisse­ment en capital humain pour être aussi productifs que les joueurs de langue anglaise. Comme cet apprentissage en bilinguisme persiste durant quelques années, ce phénomène incite les entreprises de hockey à lier la rémunération des Canadiens français à leur performance courante plutôt qu'à leur performance à vie. Cette stratégie ne devrait pas être utilisée pour les joueurs francophones de Montréal et pour les franco-Canadiens puisque les premiers n'ont pas à investir en langue anglaise alors que les seconds ont déjà réalisé cet investissement très tôt dans leur vie.

Ce dernier élément permet d'affirmer qu'il existe un moyen de ré­duire les différents coûts d'ajustement linguistique que supportent les joueurs francophones. Il consiste à devenir bilingue le plus tôt possible, l'exemple étant donné par les francophones hors Québec11. Toutefois, cette possibilité semble devenir de plus en plus improbable puisque les politiques linguistiques des différents gouvernements du Québec tendent à réduire l'emploi de la langue anglaise dans la province en faisant la promotion de la langue française. La conséquence logique de ces diverses politiques gouvernementales est d'accroître les coûts d'ajustement lin­guistique.

10. Pour les attaquants, l'estimation obtenue pour la performance courante de tous les francophones est de 0,754 avec un écart-type de 0,221 alors que le coefficient estimé pour les francophones unilingues, les autres Canadiens français étant assimilables à des joueurs anglophones est de 0,506 avec un écart-type de 0,307. Quant aux résultats pour les défen­seurs et les gardiens de but, leur faible nombre dans l'échantillon ne permet pas d'obtenir des résultats intéressants.

11. Le lecteur intéressé peut consulter McManus, Gould et Welch (1983) pour la population américaine de langue espagnole et Carliner (1981) pour la situation canadienne-française.

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LES CANADIENS FRANÇAIS DANS LA L.N.H. 3 2 3

A N N E X E I RÉGRESSIONS SALARIALES POUR LES JOUEURS DE LA LNH

PAR POSITION, POUR LA SAISON 1977-78

Variables

Constante

Performance Anglais

(LTPA)

(LGAA)

Français (LTPF)

(LGAF)

Expérience Anglais (GPA)

Français (GPF)

Expérience2

Anglais (GP2A)

Français (GP2F)

Interaction LTPA.GPA

L\jAA . KJP A

LTPF.GPF

LGAF.GPF

R2A S.E.E. F N

Attaquant

10,687 (156,69)

0,174

(1,41)*

0,673 (2,88)

0,00093 (4,58) -0,00045

(-1,07)*

-0,103E-5 (-6,00) -0,222E-6

(-0,43)*

0,135E-4 (4,89)

0,145E-4 (2,80)

0,671 0,231

55,46 211

Défenseur

10,732 (150,02)

0,168 (1,00)*

0,440 (0,95)*

0,00100 (3,33) 0,00036 (0,52)*

-0,808E-6 (-3,04)

0,499E-7 (0,04)*

0,189E-4 (4,05)

0,129E-4

(1,11)*

0,715 0,187

35,12 110

Gardien de but

10,513 (31,20)

-0,170 (-1,15)*

-0,174 (-1,44)*

0,0092 (5,12) 0,0054

(1,99)

-0,540E-5 (-4,14) -0,348E-5

(-1,56)*

-0,148E-4 (-3,19)

-0,775E-5 (-1,12)*

0,732 0,175

13,97 39

NOTE : Les nombres entre parenthèses sont les statistiques t de Student et l'astérisque (*) indique que le coefficient estimé n'est pas statistiquement significatif au seuil de 5%. Cette spécification emploie le critère de performance à vie par partie pour tous les joueurs anglophones comme francophones.

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324 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

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