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• Rapporteur du Centre d'étude des revenus et des coQts (CERO. - Université de Paris 1.
La lutte contre la pauvreté dans la construction européenne
Françoise Euvrard* et Alain Prélis**
Préoccupée par les problèmes de pauvreté en Europe, la Communauté européenne développe depuis plusieurs années des initiatives de lutte contre ce phénomène. Ceci passe d'abord par une compréhension commune à tous les pays sur le concept de pauvreté. Les approches dynamiques de ce travail conceptuel ont abouti au caractère multidimensionnel de la pauvreté qui n'est plus perçue comme en ses débuts par la seule privation de biens matériels et monétaires, puisque sa définition aborde l'exclusion sociale qui met en jeu la cohésion sociale. Pour chiffrer les pauvres et les exclus, la Communauté retient une mesure qui met l'accent sur l'aspect relatif de la pauvreté variant avec le niveau de vie de chaque pays, l'environnement social et ses valeurs. D'autres travaux visent la compréhension du changement social et du processus d'exclusion. La notion de disqualification sociale souligne l'interaction entre plusieurs facteurs d'exclusion, chômage et lien conjugal, et parfois chômage et affaiblissement de sociabilité familiale. Mais des travaux cherchent aussi à savoir comment on devient pauvre et quels sont les processus d'exclusion pour des individus voire des groupes. L'objectif de ces travaux est de favoriser des pratiques nouvelles de lutte contre la pauvreté.
1 a pauvreté n'est évidemment pas une réalité nouvelle en Europe, mais elle s'esttransforméeaufuretàmesuredes
changements économiques et sociaux dus en particulier à la construction européenne. De plus en plus préoccupée par ce problème, la Communauté a engagé différentes initiatives depuis le milieu des années soixante-dix, dans le but de contribuer aux actions des Etats membres. La lutte contre la pauvreté relève en effet de la responsabilité de ces Etats, et la Communauté n'a ni les moyens ni les compétences de répondre à l'ampleur des situations dans ce domaine. Elle s'est cependant donné la possibilité d'apporter une valeur ajoutée aux Etats en développant et en diffusant des innovations, en mobilisant des acteurs et en stimulant les débats concernant la lutte contre la pauvreté.
La pauvreté est ressentie et présentée comme un défi pour les Etats membres mais aussi
pour la construction européenne. Les changements structurels que connaissent les sociétés européennesconduisentà la vulnérabilisation croissante de larges fractions de la population : mutations technologiques et transformations du marché du travail, fragilisation des structures familiales, tendances à la fragmentation sociale, évolution des phénomènes migratoires, mutations des systèmes de valeurs ... induisentuneintégrationéconomique et sociale précaire pour un nombre croissant de personnes. Ces personnes connaissent de façon ponctuelle ou récurrente des périodes de pauvreté et sont menacées de la perte des liens sociaux.
La Communauté a donc mis en oeuvre trois programmes successifs de lutte contre la pauvreté accompagnés de manifestations, d'initiatives et de communications diverses. Le troisième de ces programmes a pris fin en juin 1994. En revanche, un quatrième programme
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proposé par la Commission n'a, pour l'instant, pas été adopté par l'ensemble des Etats membres.
Une compréhension commune du phénomène de la pauvreté
L'approche de la Communauté se fonde sur une compréhension commune du phénomène de la pauvreté. Au-delà de la diversité des situations nationales, le caractère structurel des situations de pauvreté et des mécanismes qui produisent ces situations a été peu à peu reconnu. Il en va de même pour le caractère multidimensionnel des processus par lesquels des personnes, des groupes, et parfois des territoires entiers sont rejetés de la participation aux échanges et aux droits sociaux constitutifs de l'intégration dans nos sociétés, ce que recouvre le concept d'exclusion sociale.
Définitions et concepts de la pauvreté ont évolué pour la Communauté depuis le lancement du premier programme en 1975. Au fil du temps et du dialogue avec les Etats membres, les acteurs de terrain, les universitaires ... le concept d'exclusion sociale s'est imposé de préférence à celui de pauvreté. Les travaux d'analyse et de mesure de la pauvreté, engagés parallèlement aux programmes, ont accompagné cette évolution en dépit desambiguïtésdesdéfinitionsetdeschiffrages.
Quant aux enseignements des programmes successifs, et plus particulièrement du troisièmequi vientdeprendrefin, il peut être utile d'examiner les méthodes et les politiques spécifiques de lutte contre l'exclusion sociale qu'ils ont testé et qu'ils permettent d'identifier et de valider.
Les évolutions structurelles dessociétéseuropéennescontemporaines (chômage de longue durée, dissolution du lien familial et social) ne touchent pas seulement les familles du Quart Monde dont la pauvreté se reproduit de génération en génération. Elles touchent, depuis le début des années quatre-vingt, des franges de la population de plus en plus larges, femmes, jeunes, immigrés, personnes avec des emplois précaires ou irréguliers, maisaussidesouvriers et des employés ou même des cadres.
Pour suivre ce constat, la Communauté a été conduite à recourir de façon croissante à la notion d'exclusion sociale. L'exclusion sociale manifeste en effet que le problème n'est plus celui des inégalités entre le haut et le bas de l'échelle sociale, mais aussi celui de la distance entre ceux qui participent à la dynamique de la société et ceux qui en sont peu à peu exclus. Elle recouvre aussi l'idée qu'il s'agit de processus pour les personnes concernées comme pour le corps social, et non de situations fi-gées.
L'apparition des nouvelles formes de pauvreté, de l'exclusion sociale, et l'approfondissement des concepts sont reflétées dans les définitions adoptées par les différents organismes de la Communauté européenne au cours de ces dix dernières années et dans les mesuresstatistiquesqui les ont accompagnées.
L'utilisation du concept de pauvreté et son évolution au sein de la Communauté européenne sont liées tout autant à la réflexion théorique qu'aux exigences et aux expériences concrètes des actions de la Communauté dans ce domaine.
Le concept de pauvreté
Vers le milieu des années soixante-dix, l'intérêt de la Communauté européenne pour les problèmes des groupes les moins favorisés portait sur la notion de pauvreté. En 1974, le Conseil européen avait défini la pauvreté comme suit: «personnes dans la pauvreté: individus ou familles dont les ressources sont tellement minimes qu'ils se trouvent en deçà du niveau de vie minimum acceptable de l'Etat membre dans lequel ils vivent». Dans cette définition, l'accent est mis sur l'association directe de la pauvreté et de l'absence de ressources : la pauvreté est définie essentiellement en termes de revenu. Elle est également conçue comme relative, c'est-à-dire par rapport au niveau de vie courant dans l'Etat membre.
Le premier programme européen de lutte contre la pauvreté (1975-1980), ainsi que le deuxième (1984-1988), ont adopté explicitement les termes de cette définition qui date de 1974 et correspondant bien, par ailleurs,
aux habitudes anglo-saxones ou plus nordiques. Le troisième programme (1989-1994) a marqué une transition terminologique. Le programme a visé, en effet, l'intégration économique et sociale des groupes les moins favorisés, et dans ses différents documents la Communauté est passée de la notion de pauvreté à celle d'exclusion sociale (1).
L'exclusion sociale: une notion plus large que la pauvreté
La Commission européenne a souligné à plusieurs reprises l'importance de la notion d'exclusion sociale, notion distincte de celle de pauvreté car elle l'inclut tout en étant plus large.
L'exclusion sociale est vue comme un processus composé de plusieurs stades qui vont d'un éloignement du marché de travail à la désintégration des relations familiales, avec la rupture de tous liens sociaux dans les cas extrêmes. Ce processus d'exclusion est multidimensionnel :il s'étend à d'autres domaines que le revenu, comme à l'éducation, la santé, la sécurité sociale. Il dépasse ainsi largement la notion économique de la pauvreté, comprise comme la seule privation matérielle liée en dernière instance à un manque de ressources (2).
Cette conception élargie de la pauvreté se retrouve dans un document important de la Commission, reflétant les lignes directrices de la politique sociale européenne pour les années à venir <de Livre Vert sur la politique sociale européenne>> (1993) (3): «L'exclusion sociale ne signifie pas uniquement des revenus insuffisants. Elle va au-delà même de la participation dans le monde du travail, elle se manifeste dans des domaines tels que le logement, l'éducation, la santé et l'accès aux services.» (p. 21).
Au-delà des inconvénients causés par le manque de ressources, le Livre Vert s'attaque à la marginalisation ou l'exclusion, au sens large du terme, dont la discrimination, la ségrégation ou l'affaiblissement des relations sociales sont des aspects dangereux : «L'exclusion sodale touche non seulement les individus qui ont subi de graves revers, mais aussi des
groupes soumis à la discrimination, à la ségrégation ou à l'affaiblissement des formes traditionnelles de relations sociales. D'une manière plus générale, en soulignant les défauts du tissu social, elle porte en elle le risque d'une sodété double ou fragmentée» (pp. 20-21).
Le problème est ainsi posé de la cohésion sociale ou de l'intégration de la société en son entier, avec la question de la formation d'une «underclass» ou de l' enfermement dans une logique de «ghetto» (4).
Au-delà de l'exclusion : l'intégration ?
Le Livre Vert met l'accent sur «la nature structurelle du processus qui écarte une partie de la population des opportunités économiques et sociales» (p. 20). Ainsi, l'exclusion peutêtredéfinieen termes d'échec d'unou de plusieurs des quatre systèmes considérés comme fondamentaux pour le fonctionnement de la société, la pire forme d'exclusion étant l'échec de l'ensemble de ces quatre systèmes: -le système démocratique et juridique ; -le marché de l'emploi; - la protection sociale ; -la famille et la communauté.
Le sentiment que l'on a d'appartenir à la société provient de la conjonction des quatre systèmes. L'intégration civique est assurée parla possibilitéd'êtreuncitoyenà part égale dans un système démocratique. L'intégration économique, par le fait d'avoir du travail, une fonction économiquement reconnue, d'être capable de payer ce dont on a besoin. L'intégration sociale est assurée par l'accès aux services sociaux mis à disposition par l'Etat. L'intégration interpersonnelle, enfin, dépend des liens avec la famille et les amis, les voisins et, plus largement, des réseaux sodaux sur lesquels on peut compter en cas de besoin (5).
L'intégration est présentée alors comme une situation où les relations de travail, familiales et sociales sont stables et solides. Certes, la garantie de ressources suffisantes contribue à cette intégration, mais elle ne peut pas la
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garantir dans son intégralité. n faut développer une approche en termes de droits sociaux, civils et politiques.
Comment définir de façon scientifique et comment chiffrer ces concepts de pauvreté et d'exclusion sociale? Telle est la question à laquelle les chercheurs et les statisticiens sont confrontés depuis une vingtaine d'années. Le développement des différentes mesures statistiques a suivi de près le débat conceptuel, sans pour autant aboutir à une solution universellement acceptée. Nous exposons id quelques étapes décisives dans cette évolution, sans prétendre à l'exhaustivité. Débat à suivre ...
Les mesures de la pauvreté
Une gamme aussi vaste que variée d'approches conceptuelles et empiriques a été suggérée par les chercheurs. La technique qui est probablement la plus usitée, et qui a été l'une des premières adoptée par Eurostat, l' organisme européen de statistique, pour définir la pauvreté et chiffrer le nombre de pauvres consiste à établir un seuil de pauvreté basé sur lerevenu :estconsidéréecommepauvretoute personne dont les revenus sont inférieurs à ce seuil. Un premier élargissement des mesures fondées sur le revenu a été apporté par l'approche des indicateurs de désavantage ou de privation («deprivation indicators))), élaborée à partir des travaux désormais classiques de Peter Townsend. Néanmoins, ces indicateursrestentprincipalementmatérielsetmême monétaires comme on le verra plus bas. L'incorporation d'éléments «subjectifs)) a amené un second élargissement en permettant l'élaboration de plusieurs seuils de pauvreté subjectifs.
Leseuildepauvretéabsolueestdéfinicomme le revenu correspondant à un panier minimum de biens «nécessaires>>. Ce concept de pauvreté absolue a surtout été développé aux Etats-Unis. En tant que seuil ccofficieb>, il y joue un rôle important dans l'administration de l'assistance sociale (6). Le seuil de pauvreté absolue peut être converti d'un pays à l'autre surlabasedeséquivalencesdepouvoird'achat afin d'effectuer des comparaisons internationales. Dans ce cas, le seuil doit correspondre au même panier de biens dans tous les pays.
La Communauté européenne n'a pas retenu cette approche en termes de pauvreté absolue, elle lui a préféré une mesure qui met l'accent sur l'aspect relatif de la pauvreté (d. supra): la pauvreté est considérée en relation avec le niveaudeviedanschacundesdifférentspays.
Ainsi, dans la plupart des études comparatives, le seuil de pauvreté correspond à un certain pourcentage du revenu disponible moyen ou médian dans chaque pays. Le seuil de pauvreté adopté dans les premier et second programmes communautaires de lutte contre la pauvreté est défini comme 50 % du revenu moyen équivalent (7). Le chiffre le plus souvent cité de cinquante millions de pauvres en Europe a été calculé selon cette méthode. Plus récemment, l'université Erasmus de Rotterdam a élaboré le même type de calculs pour la Commission, en utilisant les enquêtes <<budget de familles)) qui sont comparables pour les différents pays membres (8).
Ces données sur les dépenses des ménages ont été utilisées comme des approximations des revenus disponibles (tableau 1). On remarquera la grande sensibilité du seuil retenu pour chiffrer le nombre de pauvres et le niveau de dépenses en dessous duquel un ménage ou une personne est définie comme pauvre : en passant de 50 % à 40 % des dépenses moyennes le nombre de ménages pauvres est divisé par deux puisqu'il passe de 3 millions à 1,5 million en France et de 17,5 millions à 8,5 millions dans l'ensemble des Etats membres. Le seuil de 60 %donne également des chiffres en forte augmentation par rapport à ceux du seuil de 50 % : 5 millions de ménages pauvres en France et 29 millions pour l'Europe des Douze.
La méthode des indicateurs de désavantages ou de privation est dérivée de la définition désormais classique de la pauvreté par Peter Townsend (9) : c<On peut dire de personnes individuelles, de familles et de groupes de la population qu'ils sont pauvres lorsqu'il leur manque les ressources permettant de se procurer le type de régime alimentaire, de participer aux activités et de jouir de conditions de vie et d'articles qui sont usuels, ou tout au moins encouragés, ou approuvés, dans lasociété à laquelle ils appartiennent. ( ... ) lls sont en fait exclus des modèles de vie, des usages et des activités ordinaires)).
Tableau 1 -Estimations de la pauvreté dans les Etats membres, aux environs de l'année 1988. Pourcentages et nombres absolus (milliers) de ménages et de personnes pauvres selon les conventions utilisées aux seuils de 40 %, 50 % et 60 % du montant moyen des dépenses annuelles
Montant MENAGES PERSONNES PAYS ANNEE moyen
100% (1) seuil de 40% seuil de 50% seuil de 60% seuil de 40% seuil de 50% seuil de 60%
% (1000) % (1000) % (1000) % (1000) % (1000) % (1000)
Belgique 1988 327058 2,6 103 6,7 265 15,3 605 3,8 375 9,4 928 19,6 1932 Danemark (2) 1987 80570 1,3 30 3,6 84 10,1 235 1,5 77 4,3 220 12,0 615 Allemagne (3) 1988 22782 4,7 1278 10,8 2938 19,7 5358 5,0 3062 11,9 7287 21,3 13044 Grèce 1988 832188 13,0 445 20,6 706 29,7 1017 12,8 1279 20,5 2048 30,1 3007 Espagne 1988 674331 8,6 944 16,7 1833 26,2 2875 9,2 3564 17,7 6856 27,7 10730 France 1989 73084 6,5 1412 14,0 3042 23,1 5019 7,7 4 313 16,5 9243 26,7 14 957 Irlande 1988 5130 8,4 85 16,9 171 27,0 273 10,1 358 19,4 687 30,3 1073 Italie 1988 11548338 11,2 2288 20,6 4208 30,4 6209 12,0 6888 22,0 12628 32,3 18540 Luxembourg 1987 516846 3,5 4 8,8 11 17,2 22 5,4 20 11,5 42 21,1 78 Pa y-Bas 1988 20736 1,1 64 4,3 252 12,1 709 1,3 191 4,8 706 13,8 2031 Portugal 1990 556118 15,7 498 25,2 799 34,4 1091 15,5 1602 25,1 2594 34,6 3576 Royaume-Uni 1988 5683 5,8 1307 14,2 3289 25,2 5677 6,7 3819 15,3 8 721 26,7 15218
Europe des Douze 8 459 17 596 29 092 25 547 51 960 84 800
Sourœ : Erasmus University Rotterdam, "Living amditions of the least priviliged in the European Community ; research on poverty statistics based on micro-data for the Member States of the European Community", research report submitted to the Commission, april1993.
(1) Dtpmses moyennes ~~m~udles ptzr ~t adulte, m mDmUlie ruuiorWe, pour l'annie d' trllfldte (IDiiUs de consomrrulticm selon l'tchelle d'~ OCDE.). (2) Sous réserue des irrartitudts rdatifles Ilia t(Jitllitt des dormies. (3) Domrtes 1988' dmrc 4IXZ1It l'IDiifica.ticm ll1lemJmde .
...... ...... .....,
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Des études ont été effectuées à partir de cette définition par Brendan Whelan pour Eurostat et le programme communautaire Pauvreté 3 (10). Desindicateursontétéconstruits à partir de données sur la mesure dans laquelle les ménages possèdent certains articles,sontenmesuredemenercertainesactivités ou sont soumis à des pressions financières de différentes sortes. La série d'articles utilisée est une série de «nécessités», c'est-à-dire une série de biens et services dont la jouissance est considérée comme normale dans toutes les sociétés concernées. Ces données ont été regroupées en douze grandes souscatégories: régime alimentaire, vêtements, chauffage et éclairage, articles ménagers, conditions de logement, conditions de travail, santé, éducation, environnement, activités familiales, détente, rapports sociaux afin d' estimer un équivalent monétaire en seuil de revenu au-dessous duquel la participation aux «modèles de vie, usages et activités ordinaires» est menacée ou même impossible. Pour le calcul de ce seuil, les indicateurs sont pondérés par la proportion des ménages qui possèdent les biens ou qui mènent les activités considérées.
L'approche en termes d'indicateurs de désavantages a été considérablement affinée par l'élaboration d'indicateurs non-monétaires et subjectifs. Les mesures subjectives prennent
en compte les appréciations et l'environnement social des personnes enquêtées : la pauvretéestcomprisecommeunecatégorieconstruite socialement et qui ne peut pas être déterminée sans référence à l'environnement social et ses valeurs. Ainsi cette méthode n'utilise pas uniquement des données (objectives) sur la possession de certains biens, mais aussi sur l'appréciation (subjective) de la nécessité de posséder ces biens. L'estimation des besoins permet de déterminer le «revenu minimum nécessaire».
Trois méthodes subjectives assez proches ont été élaborées et utilisées dans des études comparatives pour la Communauté européenne : la ligne subjective de pauvreté (SPL) élaborée en particulier par Kapteyn à l'université de Tilburg (Pays-Bas), la ligne de sécurité de subsistance (CSP) élaborée par le Centre de politique sociale de l'université d' Anvers(Belgique) et la ligne de pauvreté établie par Van Praag à l'université de Leyde (Pays-Bas). Le tableau 2 permet une comparaison, pour sept pays européens, entre les seuils de pauvreté subjective (CSP etSPL) et le seuil de pauvreté européen fixé à 50% du revenu moyen (11).
Lalignedesécuritédesubsistanceestcalculée à partir de l'addition non pondérée de la valeur des articles considérés comme nécessaires par la majorité des ménages interrogés.
Tableau 2- Pourcentage des ménages pauvres selon trois seuils de pauvreté dans sept pays ou régions en Europe
Pays ou régions Années
Belgique
Pays-Bas
Luxembourg
Lorraine
Irlande
Catalogne
Grèce
(1) Ligne de sicuritt de subsJStence. (2) Ligne subjectit~e de pauvrett.
1985 1988
1985 1986
1985 1986
1985 1986
1987 1989
1988
1988
CSP(l)
21,4 22,4
12,4 10,9
14,7 14,5
26,6 30,8
29,6 32,0
31,3
42,6
Seuils européen SPL (2) 50 % du revenu
moyen
24,9 6,1 20,7 5,7
8,6 7,1 15,9 7,2
23,2 7,6 12,5 7,6
29,1 11,2 26,5 10,8
31,6 17,2 39,6 17,3
37,3 15,1
42,0 19,9
La ligne subjective de pauvreté de Tilburg est élaborée à partir des réponses à une question sur le revenu minimum nécessaire «quel est le montant de revenu minimum nécessaire à votre famille pour joindre les deux bouts ?». La réponse dépend d'un certain nombre de caractéristiques du ménage dont le revenu et la taille. La ligne subjective de pauvreté est établie à l'aide d'une régression loglinéaire sur ces données.
La ligne de pauvreté de Leyden, la première développée en Europe, est plus complexe que les précédentes. Elle a été actualisée en 1991 mais n'a pas été utilisée pour l'étude comparative européenne sur les mesures subjectives et relatives de pauvreté.
n est clair qu'il existe empiriquement des différences significatives entre les seuils de pauvreté traditionnels établis à partir du revenu et les seuils selon l'approche des désavantages. Ainsi, une analyse effectuée sur des données hollandaises en 1988 montre que seuls 30 % des pauvres selon le revenu (définition européenne) sont aussi «désavantagés» (seuil de désavantage subjectif); d'autre part, 7,6 % des non pauvres sont «désavantagés» (12). Les ménages d'agriculteurs, par exemple, sont bien plus susceptibles d'être pauvres en revenu que de souffrir de désavantages. Les deux approches semblent donc désigner des réalités empiriques différentes et doivent être considérées comme complémentaires plutôt que substitutives.
Peut-on mesurer l'exclusion sociale?
Même si les approches en termes de désavantages insistent sur la multidimensionnalité de la pauvreté, celle-ci y est encore considérée comme attribuable au manque de biens et de ressources matérielles. Ne peuvent être classées comme pauvres que les personnes qui ne possèdent pas certains biens ou qui ne participent pas aux activités jugées nécessaires dans la société considérée, ces informations étant traduites en termes de revenu. Comment décrire alors les personnes qui ne sont pas à même de participer aux activités habituelles de la société du fait d'autres facteurs, tels la maladie, la faiblesse du niveau de scolarisation ou l'isolement? D s'agit ici aussi
bien de personnes désavantagées, marginalisées que de personnes socialement exclues. Il faut donc prendre en compte plusieurs facteurs de causalité ou de prédisposition et leurs effets par rapport au processus de l'exclusion sociale. C'est ce que tentent les approches qui visent la compréhension de la dynamique du changement social et des processus d'exclusion de certains groupes sociaux (13).
Dans cette dernière perspective, une recherche comparative vient d'être élaborée par le Centre d'étude des revenus et des coilts (CERC) pour la Commission Européenne (DG V) et Eurostat. Elle analyse le processus de l'exclusion sociale dans sept pays européens sous l'angle de la disqualification sociale (14). Cette approche constitue une tentative pour étudier l'exclusion sociale comme un processus d'accumulation progressive des difficultésdesindividusoudesménages (15).
A partir des deux axes principaux que sont l'éloignement du marché du travail et la fragilité de la sociabilité familiale, l'interaction entre plusieurs facteurs d'exclusion a pu être analysée: situation par rapport à l'emploi, revenu, lien conjugal, sociabilité familiale, participation à la vie associative, réseau social d'aide privée, confort du logement, équipement du logement, aspect extérieur de l'habitat et du quartier, part des transferts sociaux dans le revenu disponible, état de santé, et problèmes dans la jeunesse.
L'étude a permis de constater, d'une façon générale, que la précarité professionnelle et le chômage sont des facteurs de la dégradation des conditions matérielles dans tous les pays concernés, mais pas nécessairement avec la même intensité. Dans les pays du Sud, en particulier dans les régions peu industrialisées, le chômage peut apparaitre comme une cause relativement marginale de la pauvreté économique. La situation par rapport à l'emploi est également corrélée avec le lien conjugal dans tous les pays : la probabilité de vivre sans conjoint ou de connaitre une séparation conjugale est plus forte pour les personnes en situation précaire sur le marché de l'emploi. Les divergences les plus manifestes portent sur les réseaux sociaux. L'instabilité de l'emploi et le chômage ne se traduisent pas, dans tous les pays, par un affaiblissement de la sociabilité familiale et du réseau d'aide privée
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(par exemple dans les pays du Sud, ou pour les Pays-Bas et le Danemark). En revanche, pour la France et la Grande-Bretagne, l'expérience de l'instabilité de l'emploi et du chômage s'accompagne d'une réduction sensible de ces liens sociaux. Les auteurs émettent donc l'hypothèse que le processus de disqualification sociale y est plus radical que dans les autres pays européens.
Les recherches actuelles menées sous la responsabilité d'Eurostat ou de la Commission européenne cherchent non seulement à décrire qui sont les pauvres (identifiés par l'insuffisancederevenusparexemple)maisaussi à répondre à la question «comment devienton pauvre en Europe aujourd'hui ?»L'exclusion sociale est alors envisagée comme un processus dynamique, un engrenage de phases successives qui ont un début et une fin.
Une telle approche nécessite de disposer de données statistiques sur une base longitudinale. Danscetteperspective,Eurostatvientde lancer avec les instituts de statistiques nationaux des Etats membres, un panel européen concernant tous les pays de la Communauté. Les premiers résultats sont attendus pour 1995. Ils devraient nous permettre de suivre dans le temps la succession des différents phases de l'exclusion. On pourra ainsi examiner la nature des antécédents, les caractéristiques des phases antérieures et leur influence sur la séquence du processus. On pourra ensuite distinguer des types d'individus afin d'examiner si certains groupes sont plus susceptibles d'être pris dans l'engrenage de l' esclusion du fait de leur statut antérieur ou de certains événements qui les prédisposeraient à subir l'exclusion (16).
Des politiques efficaces de lutte contre l'exclusion sociale
Même s'ils ne sont pas suffisamment visibles au niveau national, une grande partie de la valeur ajoutée par la Communauté aux actions des Etats membres provient des programmes européens de lutte contre l'exclusion sociale. «Pauvreté 3», le dernier en date, s'est déroulé du début 1990à juin 1994. L'objectif a consisté à favoriser l'expérimentation
de stratégies nouvelles de lutte contre la pauvreté, à contribuer ainsi à l'identification de ce que la Commission appelle «les bonnes pratiques)) afin de stimuler les politiques et le débat public dans ce domaine. Pour ce faire, la Communauté a cofinancé une quarantaine de projets locaux (dont quatre en France) répartis dans les Etats membres et les a réunis dans une dynamique européenne au moyen d'une animation spécifique. Il s'agissait d'actions modèles ainsi que de quelques actions novatrices conçues pour mettre en oeuvre et valider un certain nombre de principes: une approche multidimensionnelle de l'exclusion sociale fondée sur le partenariat des institutions publiques et privées et menée avec la participation des populations concernées. Au terme de son déroulement, il n'est pas inutile de s'interroger sur les enseignements du programme «Pauvreté 3)) au regard des politiques nationales et territoriales contre la pauvreté et l'exclusion sociale?
CommedanslaplupartdesEtatsmembres,le programme s'est appuyé en France sur quatre projets: trois actions modèles à Calais, dans le Doubs, dans le Mantois Val-de-Seine et une action novatrice :l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) (17).
Chaque action modèle a réuni un ensemble d'acteurs et d'institutions qui devaient s'efforcer de définir et de mettre en oeuvre ensemble, sur un territoire délimité, une stratégie cohérente d'intégration économique et sociale de l'ensemble des groupes défavorisés vivant sur ce territoire. Concrètement, les actions modèles ont été animées par des équipes opérationnelles de dix à quinze personnes sous l'autorité de comités directeurs réunissant des autorités locales, des organismes publics ou parapublics et les associations intervenant dans des secteurs tels que la formation, le logement, la santé etc. Dans certains pays, des syndicats de salariés et des groupements d'employeurs ont fait partie des comités directeurs.
Conformément au principe du programme selon lequel la lutte contre la pauvreté doit être multidimensionnelle, les projets ont mené, au cours de leurs quatre années d' existence, plusieurs dizaines d'actions dans des champs très divers : formation profession-
nelle, aide à la création d'emploi, développement local, amélioration des conditions de logement, de santé, développement des services sociaux etc. Mais ces différentes actions ont été développées selon des modalités qui ont varié selon les hypothèses de travail des projets:
-à Calais, l'axe de développement du projet a consisté à s'appuyer sur les personnes en difficulté elles-mêmes pour trouver les ressources et les capacités de mobilisation et de participation nécessaires, et pour tenter une approche nouvelle, résolument positive, de ce public.
Parmi les premières actions qui ont assuré la visibilité locale du projet et qui ont servi de références pour caractériser les méthodes de travail de l'équipe citons les «points-rencontresenfants-parents»,lieuxd'accueilanonyme, ouverts à tout enfant accompagné de l'adulte qui en a la charge pour un temps de jeu, de parole, d'écoute. Les «accueillantes» avaient reçu une formation spécifique. Il s'agissait de lutter contre la méfiance et le repli sur soi qu'entraîne trop souvent l'exclusion, de développer les capacités des adultes à assumer leur fonction de parents, en un mot de favoriser la socialisation de l'adulte et de l'enfant;
-dans le Mantois Val-de-Seine, où l'équipe hautement qualifiée a eu d'abord du mal à s'inscrire sur le terrain, le choix a été fait de se mettre au service des initiatives et projets locaux ... Les responsables ont joué le rôle de facilitateurs de projets qui n'arrivaient pas à trouver de financement ou achoppaient sur des difficultés techniques. Le projet a mené une trentaine d'actions sur le thème emploi et qualification, les actions évoluant au fil du temps pour passer de la formation à l'intégrationparl'entrepriseetaumicrodéveloppement économique local ;
- dans le Doubs, le projet avait démarré avec une approche très sociale qui a été vite dépassée. Les responsables ont alors investi largement le champ de l'insertion par l'économiquetouten faisantuneprioritéde la participation du public à la conduite des actions qui le concernent. En fin de période, le projet s'est vu reconnaître un rôle central, avec les servicesdel'Etatetceuxduconseilgénéral,dansla
politique départementale de lutte contre l'exclusion.
Un grand nombre d' «actions collectives» ont été initiées par le projet dans des quartiers urbains et dans des zones rurales: les personnes en difficulté se retrouvaient au sein d'un groupe où elles exercaient des activités communes (bricolage, apprentissage de la conduiteautomobile,entretiendesappartements, créations théatrales sur des thèmes tels que la santé, l'hygiène etc.). Ces personnes avaient ainsi la possibilité de dialoguer, d'échanger des expériences et de tisser des liens sociaux. Les opérateurs de terrain apportaient des informations ; des personnes extérieures intervenaient sur des thèmes concrets concernant directement la population tels que la santé ou la scolarité des enfants.
Ces actions collectives ont eu des effets positifs à la fois sur les usagers, les opérateurs de terrain et l'environnement social global:
- sur les usagers, on a constaté une amélioration de l'autonomie, de la participation, et des conditions de vie;
- sur les opérateurs de terrain, les actions collectivesontpermisdedépasserl'accompagnement individuel traditionnel et d'engager un travail de groupe dans lequel les personnes sont en situation d'acteur. Pour les opérateurs, ce type d'action a facilité aussi l' approche multidimensionnelle des personnes, les intervenants étant amenés à travailler ensemble autour de l'analyse de la situation des usagers, en partenariat avec d'autres;
-enfin, sur l'environnement social global,les actions collectives ont permis de changer le regard de la population du quartier sur les personnes en difficulté.
Quant à l'A die, elle s'était donnée pour objectif de permettre à des personnes sans emploi etmarginaliséesn'ayantpasaccèsauxcircuits courants du crédit, d'obtenir des prêts leur permettant de créer leur propre emploi. Elle s'est donc attachée à repérer l'ensemble des personnes en difficulté intéressées par la création d'activité et à leur assurer un soutien efficacetoutaulongdumontageetdudémarrage du projet. Elle s'est parallèlement donné
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les moyens de convaincre les pouvoirs publics, le monde associatif et l'opinion publique de l'intérêt, pour les exclus, de créer leur propre activité lorsqu'ils le souhaitent.
Les actions modèles ont dQ respecter les trois principes clés fixés par le programme : partenariat, multidimensionnali té des actions et participation des publics. Quels enseignements peut-on tirer de leur expérience, la pertinence et l'efficacité de ces principes?
Conceptuellement, la nécessité d'une stratégiemultidimensionnelleestdirectement liée à la forme du phénomène que l'on cherche à combattre. La pauvreté et, plus encore, l'exclusion sociale sont multidimensionnelles; donc l'action, pour être efficace, doit être multidimensionnelle et le partenariat n'est que la modalité institutionnelle qui découle de la multidimensionnalité (18).
Concrètement, la définition d'une stratégie multidimensionnelle et la construction du partenariat ont, en effet, constitué les deux faces complémentaires du démarrage des projets. Toutefois, il semble que là où les acteurs locaux du développement social ont été fortement mobilisés dès le départ, avant la définition des lignes directrices d'action, le projet s'est développé dans de bien meilleures conditions que quand il y a eu des difficultés pour mener le dialogue avec les partenaires locaux.
Il est ainsi apparu préférable de travailler d'abord sur le partenariat pour améliorer ensuite, ensemble, la qualité du projet. Les pr~ jets ont eu, en effet, à s'inscrire dans un environnement local très encombré par les multiples structures administratives ou para-publiques chargées de la mise en oeuvre de différents programmes d'insertion et la multiplication des structures partenariales n'est pas apparue comme la garantie d'une réflexion commune sur les orientations à donner, au contraire (17).
Le principe de la multidimensionnalité des actions laissait entier le problème de leur cohérence ; cette cohérence a dQ être recherchée dans plusieurs directions. Certains pr~ jets l'ont cherché en programmant des parcours individuels d'insertion à partir d'actions relevant de différents domaines de l'ac-
tion sociale au sens large. D'autres ont construit leur approche multidimensionnelle autour de l'accompagnement de l'individu qu'il faut aider à trouver ou retrouver ses potentialités.
D'autresencoreontcombinéleparcoursindividuel d'insertion avec l'accès effectif des publics aux droits et services qui doivent leur être garantis comme citoyen.
Dans cette dernière approche, ce n'est plus l'exclu qui doit accomplir un parcours difficile, mais la société, les institutions qui sont questionnées : proposent-elles des réponses pertinentes par rapport aux attentes de la population concernée? évitent-elles les doubles emplois et les incohérences ? sont-elles suffisamment coordonnées ? diffusent-elles l'information de façon à ce que la population puisse s'y retrouver?
Enfin, la participation des populations en difficulté aux projets a été considérée, au début du programme, comme un des points faibles des actions modèles françaises dans le pr~ gramme. L'absence des usagers dans les c~ mités directeurs comme dans les équipes de permanents des projets ne laissait pas attendre de grands développements : le partenariat institutionnel local et la participation des groupes défavorisés semblaient en France largement antinomiques.
Cependant, les responsables français de l'animation du programme ont constaté que le principe de participation a évolué au fil du programme pour se rapprocher du sens qui lui est donné dans d'autres pays européens, en particulier au Royaume-Uni (19). La participation ne se réfère plus alors seulement à la capacité individuelle d'une personne à nég~ cier les propositions qui lui sont faites par les institutions sociales, elle se caractérise par une forme d'organisation collective capable d' initiatives pour obtenir une meilleure réponse à ses besoins.
Dans la dernière période du programme, en effet, une des priorités communes à tous les projets a été de favoriser l'émergence de groupes de personnes défavorisées capables de piloter eux-mêmes des actions collectives autonomes par rapport aux opérateurs s~ ciaux.
Mais les différents responsables de projet ont attiré l'attention sur les changements importants que nécessite, de la part des institutions et des intervenants sociaux, le fait de donner aux défavorisés les moyens de leur participations.
Il faut en particulier se situer au même niveau que les personnes donc perdre du pouvoir, accepter les remises en cause donc considérer les personnes comme compétentes ...
Quels enseignements pour la France?
Certainescaractéristiquesde l'environnement poli tiro-administratif national et local ont pesé sur le démarrage et la mise en oeuvre des projets en France. Il n'est peut-être pas inutile de les rappeler ici dans la perspective de la recherche d'une plus grande efficacité des politiques sociales.
Tout d'abord, la construction du partenariat pour les projets de «Pauvreté 3•• a été difficile. Cette difficulté semble avoir été largement imputable au mauvais fonctionnement initial des comités directeurs qui avaient été, au contraire, pensés comme l'instrument privilégié de la coordination entre les partenaires. Tout en respectant formellement les modalitésd' organisation prévues par la Commission européenne, les comités directeurs, et tout particulièrement les élus, ne se sont pas vraiment impliqués dans les projets, ils ne les ont pas porté politiquement. Ce sont les équipes opérationnelles qui ont dQ impulser les actionsen faisant oeuvre de pédagogie en direction tant de leur comité directeur que de leurs partenaires extérieurs.
Lesauteursdurapportfinalsurleprogramme en France (17)s'interrogentsurlaresponsabilité du caractère tardif de la décentralisation en France dans la faible implication des élus. Les acteurs locauxauraientencoredu mal à se coordonner pour agir et à se passer du rôle de l'Etat pour impulser des programmes innovants.
Ils développent aussi une explication complémentaire du faible engagement des comités directeurs en s'appuyant sur l'évolution récente des formes d'action publique d'aide à
l'insertion. Plutôt que de modifier en profondeur l'organisation des services existants, on a multiplié la création de structures pour mettre en oeuvre de nouveaux programmes (20) et les projets de «Pauvreté 3•• se sont trouvés confrontés à deux types de risques : ils pouvaient prétendre coordonner les diverses instances de coordination déjà en place en brouillant la répartition des compétences pour le public et en accumulant les charges de réunions, les conflits de compétence etc. Ils pouvaient aussi risquer d'entrer en concurrence avec d'autres instances.
D'une façon paradoxale, les projets semblent avoir été, sur leur territoire, le lieu presque unique d'une réflexion partenariale sur la pauvretéetl'exclusionsociale.Cetteobservation est d'autant plus étonnante que de nombreuses politiques nationales ont prévu des instances partenariales au niveau des communes, du département, des régions etc. politiques de la ville, du logement, de l'emploi, du RMI ... En réalité, le partenariat provoqué par la création de ces structures reste formel, il s'agit de remplir les obligations imposées par l'Etat pour bénéficier des crédits prévus mais «il paraîtrait presque incongru de s'engager à rechercher ensemble des solutions adaptées•• (17).
N'est-il pas normal, dans ces conditions, de demander le retour à un Etat fort, reprenant la maîtrise de la lutte contre l'exclusion? Mais cela supposerait des transformations profondes dans les moyens des services. Les projets se sont en effet souvent heurtés aux services de l'Etat qui étaient d'accord avec leurs propositions, qui ne savaient ou ne pouvaient pas les mettre en oeuvre mais qui pour autant n'acceptaient pas qu'elles soient traitées par les projets au motif qu'il s'agissait de missions de service public.
Au fur et à mesure du déroulement du programme, la Communauté européenne a développé un ensemble diversifié d'initiatives visant à en renforcer l'impact. La Commission européenne s'est engagée dans un dialogue permanent avec les associations et les partenaires sociaux sur les problèmes de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Elle a également amorcé une réflexion sur la contribution que pourraient apporter les fonds structurels à la lutte contre l'exclusion sociale.
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Le quatrième programme de recherche défini par la DG XII, Direction générale de la Recherche, prévoit pour la première fois un important volet sur l'exclusion sociale. Enfin, un système cohérent et intégré de statistiques sociales est en cours de définition sous l'impulsion de la Commission et d'Eurostat avec la poursuite et l'approfondissement des travaux statistiques sur la pauvreté et les processus d'exclusion sociale.
Il faut souhaiter voir les Etats membres relayer, aux différents niveaux de responsabilité et d'intervention, les initiatives engagées par la Commission. Certes, les réalités natio-
nales sont diverses, les questions et les réponses susceptibles de leur être apportées diverses aussi. Mais la Commission a balisé certaines directions : mobilisation de tous les acteurs, échangessystématiquesd'infonnations et d'expériences, alimentation et stimulation du débat ... Il revient aux responsables dans chaque Etat membre de s'appuyer sur les avancées faites au niveau européen, de se saisir des outils élaborés pour enrichir et dynamiser leurs analyses et leurs actions dans le domaine de la lutte contre l'exclusion.
-------------------------------NOUS-------------------------------(1) Voir en particulier résolution du Conseil européen concernant la luute contre l'exclusion sociale (29 septembre 1989); communication de la Commission européenne «Vers une Europe des solidarités, Intensifier la luttre contre l'exclusion sociale, promouvoir l'Intégration" (23 décembre 1992, programme d'action à moyen terme de lutte contre l'exclusion et de promotion de la solidarité (22 septembre 1993), etc. (2) «Définitions de la pauvreté, de l'exclusion et de l'intégration» par J. Anderson, A. Bruto Da Costa, C. Chigot, K. Duffy, S. Mancho, M. Memagh, dans «Les leçons du Programme Pauvreté 3 ... (3) Uvre Vert sur la politique sociale européenne, options pour l'Union. Document de consultation, communication de M. Flynn le 17 novembre 1993, a>M(93)551. (4) Cf. J.C. La gree, «Economies integration, Sodallntegration, The Social Exclusion Definition Revisited», seminar on the Measurement and Analysis of Soda! Exclusion, Bath, 17-18 juin 1994. (5) Cette définition a été développée par P. Commlns, «Combatlng Exclusion ln lreland 1990-1994», A. Midway Report, 1993, p. 4, dté par J. Berghman dans «La mesure et l'analyse de l'exclusion sociale en Europe: deux paradoxes pour les chercheurs», semlnar on the Measurement and Analysis of Soda! Exclusion, Bath, 17-18 juin 1994. (6) Pour une analyse de l'évolution et de l'utilisation du seuil absolu aux Etats-Unis, d. D. Debordeaux «Les recherches sur les lignes de pauvreté à l'étranger» i1l La Pauvreté, CNAF, Recherches et Prévisions, n°14/15, décembre 1988-mars 1989. (7) Echelle d'équivalence de l'OCDE : multiplié par le facteur 1 pour le premier adulte, le facteur 0,7 pour chaque adulte supplémentaire et 0,5 pour chaque enfant. (8) R. Teekens et A. Zaidi, «Relative and absolute poverty ln the Emopean Community : Results from family budget surveys», ln Teekens, Van Praag (éd) Analyslng Poverty ln The European Community, Publications des Communautés emopéennes, Luxembourg. (9) P. Townsend, «Poverty ln the United Klngdom», Penguin, 1979, p.31. (10) B. Whelan, «Research on Non-monetary lndicators ln Europe», B. Whelan etC. Whelan «Dans quel sens la pauvreté est-elle multidimensionnelle?», seminar on the Measurement and Analysis of Social Exclusion, Bath, 17-18 juin 1994, pp.2-3. (11) K. Van den Bosch, T. Callan, J. Estivill, P. Hausman, B. jeandidier, R. Muffels, J. Yfantopoulos, «A Comparison of Poverty ln seven Emopean countrles and reglons uslng subjective and relative measures», Journal of Population Economies, n° 6,1993, p. 248. (12) J. Berghman, «La mesure et l'analyse de l'exclusion sociale en Europe :deux paradoxes pour les chercheurs», seminar on the Measurment and Analysis of Sodal Exclusion, Bath, 17-18 juin 1994, p. 7. (13) CF. B. etC. Whelan, op. dt. p . 3, p. 6. (14) «Appréhension de la pauvreté sous l'angle de la disqualification sociale», rapport final, DG V /Eurostat, juin 1994. (15) Cette approche a été appliquée en France par le CERC en exploitant l'enquête 198~ 1987 de l'INSEE sur les conditions de vie des ménages, d. «Précarité et risque d'exclusion en France», Documents du CERC, n° 109,1993. (16) Cf. les communications pour le séminaire sur la mesure et l'analyse de l'exclusion sociale, Bath, 17-18 juin 1994, par S. Paugam «L'engrenage de la précarité» et R. Walker «Dynamique de la pauvreté : problèmes et exemples». (17) C. Chigot et B. Slmonier, rapport final sur le programme communautaire «Pauvreté 3» en France, aoQt 1994. (18) Partenariat et multidlmenslonnalité dans le programme «Pauvreté 3», mars 1993. (19) La partidpation dans le programme «Pauvreté 3,. de W. Van Rees et F. Rodrlguès, juin 1993. (20) Rapport français de l'Observatoire européen des politiques de lutte contre les exclusions sociales, D. Bouget et H. Noguès, juin 1993.