Léon Denis - Après La Mort

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LEON DENIS ______ APRES LA MORT EXPOSE DE LA DOCTRINE DES ESPRITS SOLUTION SCIENTIFIQUE ET RATIONNELLE DES PROBLEMES DE LA VIE ET DE LA MORT NATURE ET DESTINEE DE L'ETRE HUMAIN LES VIES SUCCESSIVES Semper ascendens. ______ NOUVELLE EDITION CONFORME A L'EDITION DE 1922

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Après la mort de Léon Denis

Transcript of Léon Denis - Après La Mort

  • LEON DENIS ______

    APRES LA MORT

    EXPOSE DE LA DOCTRINE DES ESPRITS

    SOLUTION SCIENTIFIQUE ET RATIONNELLE

    DES PROBLEMES

    DE LA VIE ET DE LA MORT

    NATURE ET DESTINEE DE L'ETRE HUMAIN

    LES VIES SUCCESSIVES

    Semper ascendens.

    ______

    NOUVELLE EDITION CONFORME A L'EDITION DE 1922

  • Aux nobles et grands Esprits qui m'ont rvl le mystre auguste de la destine, la loi

    de progrs dans l'immortalit, dont les enseignements ont raffermi en moi le sentiment de la

    justice, l'amour de la sagesse, le culte du devoir, dont les voix ont dissip mes doutes, apais

    mes soucis ; aux mes gnreuses qui m'ont soutenu dans la lutte, consol dans l'preuve, qui

    ont lev ma pense jusqu'aux hauteurs lumineuses o sige la vrit, je ddie ces pages.

  • INTRODUCTION

    ________________

    J'ai vu, couches dans leurs linceuls de pierre ou de sable, les villes fameuses de

    l'antiquit, Carthage, aux blancs promontoires, les cits grecques de la Sicile, la campagne

    de Rome, avec ses aqueducs briss et ses tombeaux ouverts, les ncropoles qui dorment leur

    sommeil de vingt sicles sous la cendre du Vsuve. J'ai vu les derniers vestiges de cits

    anciennes, autrefois fourmilires humaines, aujourd'hui ruines dsertes que le soleil d'Orient

    calcine de ses brlantes caresses.

    J'ai voqu les multitudes qui s'agitrent et vcurent en ces lieux ; je les ai vues dfiler

    devant ma pense, avec les passions qui les consumrent, leurs haines, leurs amours, leurs

    ambitions vanouies, leurs triomphes et leurs revers, fumes emportes par le souffle des

    temps. Et je me suis dit : Voil ce que deviennent les grands peuples, les capitales gantes :

    quelques pierres amonceles, des tertres mornes, des spultures ombrages de maigres

    vgtaux, dans les rameaux desquels le vent du soir jette sa plainte. L'histoire a enregistr les

    vicissitudes de leur existence, leurs grandeurs passagres, leur chute finale ; mais la terre a

    tout enseveli. Combien d'autres dont les noms mmes sont inconnus ; combien de villes, de

    races, de civilisations gisent jamais sous la nappe profonde des eaux, la surface des

    continents engloutis !

    Et je me demandais pourquoi cette agitation des peuples de la terre, pourquoi ces

    gnrations se succdant comme les couches de sable apportes incessamment par le flot

    pour recouvrir les couches qui les ont prcdes ; pourquoi ces travaux, ces luttes, ces

    souffrances, si tout doit aboutir au spulcre. Les sicles, ces minutes de l'ternit, ont vu

    passer nations et royaumes, et rien n'est rest debout. Le sphinx a tout dvor.

    O va donc l'homme dans sa course ? Au nant ou une lumire inconnue ? La

    nature souriante, ternelle, encadre de ses splendeurs les tristes dbris des empires. En elle,

    rien ne meurt que pour renatre. Des lois profondes, un ordre immuable prsident ses

    volutions. L'homme, avec ses uvres, est-il seul destin au nant, l'oubli ?

    L'impression produite par le spectacle des cits mortes, je l'ai retrouve plus

    poignante devant la froide dpouille de mes proches, de ceux qui partagrent ma vie.

    Un de ceux que vous aimez va mourir. Pench vers lui, le cur serr, vous voyez

    s'tendre lentement sur ses traits l'ombre de l'au-del. Le foyer intrieur ne jette plus que de

    ples et tremblantes lueurs ; le voil qui s'affaiblit encore, puis s'teint. Et maintenant, tout ce

    qui, en cet tre, attestait la vie, cet il qui brillait, cette bouche qui profrait des sons, ces

    membres qui s'agitaient, tout est voil, silencieux, inerte. Sur cette couche funbre, il n'y a

    plus qu'un cadavre ! Quel homme ne s'est demand l'explication de ce mystre et, pendant la

    veille lugubre, dans ce tte--tte solennel avec la mort, a pu ne pas songer ce qui l'attend

    lui-mme ? Ce problme nous intresse tous, car tous nous subirons la loi. Il nous importe de

    savoir si, cette heure, tout est fini, si la mort n'est qu'un morne repos dans l'anantissement

    ou, au contraire, l'entre dans une autre sphre de sensations.

    Mais, partout des problmes se dressent. Partout, sur le vaste thtre du monde,

    disent certains penseurs, la souffrance rgne en souveraine, partout l'aiguillon du besoin et

    de la douleur stimule la ronde effrne, le branle terrible de la vie et de la mort. De toute part

    s'lve le cri d'angoisse de l'tre se prcipitant dans la voie qui mne l'inconnu. Pour lui,

    l'existence ne semble qu'un perptuel combat ; la gloire, la richesse, la beaut, le talent, des

    royauts d'un jour. La mort passe, elle fauche ces fleurs clatantes et ne laisse que des tiges

    fltries. La mort est le point d'interrogation sans cesse pos devant nous, la premire des

    questions laquelle se rattachent des questions sans nombre, dont l'examen a fait la

    proccupation, le dsespoir des ges, la raison d'tre d'une foule de systmes philosophiques.

  • Malgr ces efforts de la pense, l'obscurit pse encore sur nous. Notre poque s'agite

    dans les tnbres et dans le vide, et cherche, sans le trouver, un remde ses maux. Les

    progrs matriels sont immenses, mais, au sein des richesses accumules par la civilisation,

    on peut encore mourir de privation et de misre. L'homme n'est ni plus heureux, ni meilleur.

    Au milieu de ses rudes labeurs, aucun idal lev, aucune notion claire de la destine ne le

    soutient plus ; de l, ses dfaillances morales, ses excs, ses rvoltes. La foi du pass s'est

    teinte ; le scepticisme, le matrialisme l'ont remplace, et, sous leurs souffles, le feu des

    passions, des apptits, des dsirs a grandi. Des convulsions sociales nous menacent.

    Parfois, tourment par le spectacle du monde et les incertitudes de l'avenir, l'homme

    lve ses regards vers le ciel et lui demande la vrit. Il interroge silencieusement la nature et

    son propre esprit. Il demande la science ses secrets, la religion ses enthousiasmes. Mais

    la nature lui semble muette, et les rponses du savant et du prtre ne suffisent pas sa raison

    et son cur. Pourtant, il est une solution ces problmes, une solution plus grande, plus

    rationnelle, plus consolante que toutes celles offertes par les doctrines et les philosophies du

    jour, et cette solution repose sur les bases les plus solides qu'on puisse concevoir : le

    tmoignage des sens et l'exprience de la raison.

    Au moment mme o le matrialisme a atteint son apoge et rpandu partout l'ide du

    nant, une science, une croyance nouvelle, appuye sur des faits, apparat. Elle offre la

    pense un refuge o celle-ci trouve enfin la connaissance des lois ternelles de progrs et de

    justice. Une floraison d'ides que l'on croyait mortes, et qui sommeillaient seulement, se

    produit et annonce un renouveau intellectuel et moral. Des doctrines, qui furent l'me des

    civilisations passes, reparaissent sous une forme agrandie, et de nombreux phnomnes,

    longtemps ddaigns, mais dont certains savants entrevoient enfin l'importance, viennent leur

    offrir une base de dmonstration et de certitude. Les pratiques du magntisme, de

    l'hypnotisme, de la suggestion ; plus encore, les tudes de Crookes, Russell Wallace, Lodge,

    Aksakof, Paul Gibier, de Rochas, Myers, Lombroso, etc., sur des faits d'ordre psychique,

    fournissent de nouvelles donnes pour la solution du grand problme. Des perspectives

    s'ouvrent, des formes d'existence se rvlent dans des milieux o l'on ne songeait plus les

    observer. Et de ces recherches, de ces tudes, de ces dcouvertes se dgagent une conception

    du monde et de la vie, une connaissance des lois suprieures, une affirmation de la justice et

    de l'ordre universels, bien faites pour veiller dans le cur de l'homme, avec une foi plus

    ferme et plus claire en l'avenir, un sentiment profond de ses devoirs et un rel attachement

    pour ses semblables.

    C'est cette doctrine, capable de transformer la face des socits, que nous offrons aux

    chercheurs de tous ordres et de tous rangs. Elle a dj t divulgue en de nombreux

    volumes. Nous avons cru devoir la rsumer en ces pages, sous une forme diffrente,

    l'intention de ceux qui sont las de vivre en aveugles, en s'ignorant eux-mmes, de ceux que ne

    satisfont plus les uvres d'une civilisation matrielle, toute de surface, et qui aspirent un

    ordre de choses plus lev. C'est surtout pour vous, fils et filles du peuple, travailleurs dont la

    route est pre, l'existence difficile, pour qui le ciel est plus noir, plus froid le vent de

    l'adversit ; c'est pour vous que ce livre a t crit. Il ne vous apporte pas toute la science, -

    le cerveau humain ne saurait la contenir, - mais il peut tre un degr de plus vers la vraie

    lumire. En vous prouvant que la vie n'est pas une ironie du sort, ni le rsultat d'un stupide

    hasard, mais la consquence d'une loi juste et quitable ; en vous ouvrant les perspectives

    radieuses de l'avenir, il fournira un mobile plus noble vos actions, il fera luire un rayon

    d'esprance dans la nuit de vos incertitudes, il allgera le fardeau de vos preuves et vous

    apprendra ne pas trembler devant la mort. Ouvrez-le avec confiance, lisez-le avec attention,

    car il mane d'un homme qui, par-dessus tout, veut votre bien.

    Parmi vous, beaucoup peut-tre rejetteront nos conclusions ; un petit nombre

    seulement les acceptera. Qu'importe ! Nous ne cherchons pas le succs. Un seul mobile nous

  • inspire : le respect, l'amour de la vrit. Une seule ambition nous anime : nous voudrions,

    lorsque notre enveloppe use retournera la terre, que notre esprit immortel pt se dire :

    Mon passage ici-bas n'aura pas t strile, si j'ai contribu apaiser une douleur, clairer

    une intelligence en qute du vrai, rconforter une seule me chancelante et attriste.

  • APRES LA MORT

    ______________________________________

    PREMIRE PARTIE

    -

    CROYANCES ET NGATIONS

    _________

    I - LA DOCTRINE SECRETE. LES RELIGIONS

    Lorsqu'on jette un regard d'ensemble sur le pass, lorsque l'on voque le souvenir des

    religions disparues, des croyances teintes, on est saisi d'une sorte de vertige l'aspect des

    voies sinueuses parcourues par la pense humaine. Lente est sa marche. Elle semble d'abord

    se complaire dans les cryptes sombres de l'Inde, les temples souterrains de l'gypte, les

    catacombes de Rome, le demi-jour des cathdrales ; elle semble prfrer les lieux obscurs,

    l'atmosphre lourde des coles, le silence des clotres l lumire du ciel, aux libres espaces,

    en un mot l'tude de la nature.

    Un premier examen, une comparaison superficielle des croyances et des superstitions

    du pass conduit invitablement au doute. Mais, si l'on carte le voile extrieur et brillant qui

    cachait la foule les grands mystres, si l'on pntre dans le sanctuaire de l'ide religieuse, on

    se trouve en prsence d'un fait d'une porte considrable. Les formes matrielles, les

    crmonies des cultes avaient pour but de frapper l'imagination du peuple. Derrire ces voiles,

    les religions anciennes apparaissaient sous un tout autre aspect ; elles revtaient un caractre

    grave, lev, la fois scientifique et philosophique.

    Leur enseignement tait double : extrieur et public, d'une part ; intrieur et secret, de

    l'autre, et, dans ce cas, rserv aux seuls initis. Celui-ci a pu, dans ses grandes lignes, tre

    reconstitu rcemment, la suite de patientes tudes et de nombreuses dcouvertes

    pigraphiquesi. Depuis, lors, l'obscurit et la confusion qui rgnaient dans les questions

    religieuses se sont dissipes, l'harmonie s'est faite avec la lumire. On a acquis la preuve que

    tous les enseignements religieux du pass se relient, qu'une seule et mme doctrine se

    retrouve leur base, doctrine transmise d'ge en ge une longue suite de sages et de

    penseurs.

    Toutes les grandes religions ont eu deux faces, l'une apparente, l'autre cache. En

    celle-ci est l'esprit ; dans celle-l, la forme ou la lettre. Sous le symbole matriel, le sens

    profond se dissimule. Le brahmanisme dans l'Inde, l'hermtisme en gypte, le polythisme

    grec, le christianisme lui-mme, son origine, prsentent ce double aspect. Les juger par leur

    ct extrieur et vulgaire, c'est juger la valeur morale d'un homme d'aprs ses vtements. Pour

    les connatre, il faut pntrer la pense intime qui les inspire et fait leur raison d'tre ; du sein

    des mythes et des dogmes, il faut dgager le principe gnrateur qui leur communique la force

    et la vie. Alors on dcouvre la doctrine unique, suprieure, immuable, dont les religions

    humaines ne sont que des adaptations imparfaites et transitoires, proportionnes aux besoins

    des temps et des milieux.

    On se fait, notre poque, une conception de l'univers absolument extrieure et

    matrielle. La science moderne, dans ses investigations, s'est borne accumuler le plus grand

    nombre de faits, puis en dgager les lois. Elle a obtenu ainsi de merveilleux rsultats ; mais,

  • ce compte, la connaissance des principes suprieurs, des causes premires et de la vrit lui

    restera jamais inaccessible. Les causes secondes, elles-mmes, lui chappent. Le domaine

    invisible de la vie est plus vaste que celui qui est embrass par nos sens ; l, rgnent ces

    causes dont nous voyons seulement les effets.

    L'antiquit avait une tout autre manire de voir et de procder. Les sages de l'Orient et

    de la Grce ne ddaignaient pas d'observer la nature extrieure, mais c'est surtout dans l'tude

    de l'me, de ses puissances intimes, qu'ils dcouvraient les principes ternels. L'me tait pour

    eux comme un livre, o s'inscrivent en caractres mystrieux toutes les ralits et toutes les

    lois. Par la concentration des facults, par l'tude mditative et profonde de soi-mme, ils

    s'levaient jusqu' la Cause sans cause, jusqu'au Principe d'o drivent les tres et les choses.

    Les lois innes de l'intelligence leur expliquaient l'ordre et l'harmonie de la nature, comme

    l'tude de l'me leur donnait la clef des problmes de la vie.

    L'me, croyaient-ils, place entre deux mondes, le visible et l'occulte, le matriel et le

    spirituel, les observant, les pntrant tous les deux, est l'instrument suprme de la

    connaissance. Suivant son degr d'avancement et de puret, elle reflte avec plus ou moins

    d'intensit les rayons du foyer divin. La raison et la conscience ne guident pas seulement nos

    jugements et nos actes ; ce sont aussi les moyens les plus srs pour acqurir et possder la

    vrit.

    La vie entire des initis tait consacre ces recherches. On ne se bornait pas, comme

    de nos jours, prparer la jeunesse par des tudes htives, insuffisantes, mal digres aux

    luttes et aux devoirs de l'existence. Les adeptes taient choisis, prpars ds l'enfance la

    carrire qu'ils devaient fournir, puis entrans graduellement vers les sommets intellectuels

    d'o l'on peut dominer et juger la vie. Les principes de la science secrte leur taient

    communiqus dans une mesure proportionne au dveloppement de leur intelligence et de

    leurs qualits morales. L'initiation tait une refonte complte du caractre, un rveil des

    facults endormies. L'adepte ne participait aux grands mystres, c'est--dire la rvlation des

    lois suprieures, que lorsqu'il avait su teindre en lui le feu des passions, comprimer les dsirs

    impurs, orienter les lans de son tre vers le Bien et le Beau. Il entrait alors en possession de

    certains pouvoirs sur la nature et communiquait avec les puissances occultes de l'univers.

    Les tmoignages de l'histoire touchant Apollonius de Tyane et Simon le Mage, les

    faits, prtendus miraculeux, accomplis par Mose et le Christ, ne laissent subsister aucun

    doute sur ce point. Les initis connaissaient le secret des forces fluidiques et magntiques. Les

    phnomnes du somnambulisme et du psychisme, au milieu desquels se dbattent les savants

    de nos jours, dans leur impuissance les expliquer ou les concilier avec des thories

    prconuesii, ce domaine, la science orientale des sanctuaires l'avait explor et en possdait

    toutes les clefs. Elle y trouvait des moyens d'action, devenus incomprhensibles pour le

    vulgaire, mais dont les phnomnes du spiritisme nous fourniraient aisment l'explication.

    Dans ses expriences physiologiques, la science contemporaine est arrive au seuil de

    ce monde occulte connu des anciens. Jusqu'ici, elle n'a pas os y pntrer franchement ; mais

    le jour est proche o la force des choses et l'exemple des audacieux l'y contraindront. Alors

    elle reconnatra qu'il n'y a, dans ces faits que rgissent des lois rigoureuses, rien de surnaturel,

    mais, au contraire, un ct ignor de la nature, une manifestation des forces subtiles, un aspect

    nouveau de la vie qui remplit l'infini.

    Si du domaine des faits nous passons celui des principes, nous aurons tout d'abord

    retracer les grandes lignes de la doctrine secrte. D'aprs elle, la vie n'est que l'volution, dans

    le temps et dans l'espace, de l'esprit, seule ralit permanente. La matire est son expression

    infrieure, sa forme changeante. L'tre par excellence, source de tous les tres, est Dieu, la

    fois triple et un, substance, essence et vie, en qui se rsume tout l'univers. De l, le disme

    trinitaire qui, de l'Inde et de l'gypte, est pass, travesti, dans la doctrine chrtienne : celle-ci,

    des trois lments de l'tre, a fait des personnes. L'me humaine, parcelle de la grande me,

  • est immortelle. Elle progresse et remonte vers son auteur travers des existences nombreuses,

    alternativement terrestres et spirituelles, et par un perfectionnement continu. Dans ses

    incarnations corporelles, elle constitue l'homme, dont la nature ternaire, corps, prisprit et

    me, devient un microcosme ou petit monde, image rduite du macrocosme ou Grand Tout.

    C'est pourquoi nous pouvons retrouver Dieu au plus profond de notre tre, en nous

    interrogeant dans la solitude, en tudiant et en dveloppant nos facults latentes, notre raison

    et notre conscience. La vie universelle a deux faces : l'involution, ou descente de l'esprit dans

    la matire par la cration individuelle, et l'volution, ou ascension graduelle par la chane des

    existences, vers l'Unit divine.

    A cette philosophie se rattachait tout un faisceau de sciences : la science des nombres

    ou mathmatiques sacres, la thogonie, la cosmogonie, la psychologie, la physique. En elles,

    la mthode inductive et la mthode exprimentale se combinaient et se contrlaient de faon

    former un ensemble imposant et harmonique.

    Cet enseignement ouvrait la pense des perspectives capables de donner le vertige

    aux esprits mal prpars. Aussi le rservait-on aux forts. Si la vue de l'infini trouble et affole

    les mes dbiles, elle fortifie et grandit les vaillants. Dans la connaissance des lois

    suprieures, ils puisent la foi claire, la confiance en l'avenir, la consolation dans le malheur.

    Cette connaissance rend bienveillant pour les faibles, pour tous ceux qui s'agitent encore dans

    les cercles infrieurs de l'existence, victimes des passions et de l'ignorance. Elle inspire la

    tolrance pour toutes les croyances. L'initi savait s'unir tous et prier avec tous. Il honorait

    Brahma dans l'Inde, Osiris Memphis, Jupiter Olympie, comme des images affaiblies de la

    Puissance suprme, directrice des mes et des mondes. Ainsi la vraie religion s'lve au-

    dessus de toutes les croyances et n'en proscrit aucune.

    L'enseignement des sanctuaires avait produit des hommes vraiment prodigieux par

    l'lvation des vues et la puissance des uvres ralises, une lite de penseurs et d'hommes

    d'action, dont les noms se retrouvent toutes les pages de l'histoire. De l sont sortis les

    grands rformateurs, les fondateurs de religions, les ardents semeurs d'ides : Krishna,

    Zoroastre, Herms, Mose, Pythagore, Platon, Jsus, tous ceux qui ont voulu mettre la porte

    des foules les vrits sublimes qui faisaient leur supriorit. Ils ont jet aux vents la semence

    qui fconde les mes ; ils ont promulgu la loi morale, immuable, partout et toujours

    semblable elle-mme.

    Mais les disciples n'ont pas su garder intact l'hritage des matres. Ceux-ci tant morts,

    leur enseignement a t dnatur, rendu mconnaissable par des altrations successives. La

    moyenne des hommes n'tait pas apte percevoir les choses de l'esprit, et les religions ont vite

    perdu leur simplicit et leur puret primitives. Les vrits qu'elles apportaient ont t noyes

    sous les dtails d'une interprtation grossire et matrielle. On a abus des symboles pour

    frapper l'imagination des croyants, et bientt, sous le symbole, l'ide mre a t ensevelie,

    oublie.

    La vrit est comparable ces gouttes de pluie qui tremblent l'extrmit d'une

    branche. Tant qu'elles y restent suspendues, elles brillent comme de purs diamants sous l'clat

    du jour ; ds qu'elles touchent le sol, elles se mlent toutes les impurets. Tout ce qui nous

    vient d'en haut se salit au contact terrestre. Jusqu'au sein des temples, l'homme a port ses

    passions, ses convoitises, ses misres morales. Aussi, dans chaque religion, l'erreur, cet apport

    de la terre, se mle la vrit, ce bien des cieux.

    *

    * *

    On se demande parfois si la religion est ncessaire. La religioniii

    , bien comprise,

    devrait tre un lien unissant les hommes entre eux et les unissant par une mme pense au

    principe suprieur des choses.

  • Il est dans l'me un sentiment naturel qui la porte vers un idal de perfection auquel

    elle identifie le Bien et la justice. S'il tait clair par la science, fortifi par la raison, appuy

    sur la libert de conscience, ce sentiment, le plus noble que l'on puisse prouver, deviendrait

    le mobile de grandes et gnreuses actions ; mais, terni, fauss, matrialis, il est devenu trop

    souvent, par les soins de la thocratie, un instrument de domination goste.

    La religion est ncessaire et indestructible, car elle puise sa raison d'tre dans la nature

    mme de l'tre humain, dont elle rsume et exprime les aspirations leves. Elle est aussi

    l'expression des lois ternelles, et, ce point de vue, elle doit se confondre avec la

    philosophie, qu'elle fait passer du domaine de la thorie celui de l'excution, et rend vivante

    et agissante.

    Mais, pour exercer une influence salutaire, pour redevenir un mobile d'lvation et de

    progrs, la religion doit se dpouiller des travestissements qu'elle a revtus travers les

    sicles. Ce qui doit disparatre, ce n'est pas son principe ; ce sont, avec les mythes obscurs, les

    formes extrieures et matrielles. Il faut se garder de confondre des choses aussi

    dissemblables.

    La vraie religion n'est pas une manifestation extrieure, c'est un sentiment, et c'est dans

    le cur humain qu'est le vritable temple de l'ternel. La vraie religion ne saurait tre

    ramene des rgles ni des rites troits. Elle n'a besoin ni de formules, ni d'images ; elle

    s'inquite peu des simulacres et des formes d'adoration, et ne juge les dogmes que par leur

    influence sur le perfectionnement des socits. La vraie religion embrasse tous les cultes, tous

    les sacerdoces, s'lve au-dessus d'eux et leur dit : La vrit est plus haute !

    On doit comprendre cependant que tous les hommes ne sont pas en tat d'atteindre ces

    sommets intellectuels. C'est pourquoi la tolrance et la bienveillance s'imposent. Si le devoir

    nous convie dtacher les bons esprits des cts vulgaires de la religion, il faut s'abstenir de

    jeter la pierre aux mes souffrantes, plores, incapables de s'assimiler des notions abstraites,

    et qui trouvent dans leur foi nave soutien et rconfort.

    Toutefois, on peut constater que le nombre des croyants sincres s'amoindrit de jour en

    jour. L'ide de Dieu, autrefois simple et grande dans les mes, a t dnature par la crainte de

    l'enfer ; elle a perdu sa puissance. Dans l'impossibilit de s'lever jusqu' l'absolu, certains

    hommes ont cru ncessaire d'adapter leur forme et leur mesure tout ce qu'ils voulaient

    concevoir. C'est ainsi qu'ils ont rabaiss Dieu leur propre niveau, lui prtant leurs passions et

    leurs faiblesses, rapetissant la nature et l'univers, et, sous le prisme de leur ignorance,

    dcomposant en couleurs diverses le pur rayon de la vrit.

    Les claires notions de la religion naturelle ont t obscurcies plaisir. La fiction et la

    fantaisie ont engendr l'erreur, et celle-ci, fige dans le dogme, s'est dresse comme un

    obstacle sur le chemin des peuples. La lumire a t voile par ceux qui s'en croyaient les

    dpositaires, et les tnbres dont ils voulaient envelopper les autres se sont faites en eux et

    autour d'eux. Les dogmes ont perverti le sens religieux, et l'intrt de caste a fauss le sens

    moral. De l un amas de superstitions, d'abus, de pratiques idoltres, dont le spectacle a jet

    tant d'hommes dans la ngation.

    La raction s'annonce cependant. Les religions immobilises dans leurs dogmes

    comme des momies sous leurs bandelettes, alors que tout marche et volue autour d'elles,

    s'affaiblissent chaque jour. Elles ont perdu presque toute influence sur les murs et la vie

    sociale, et sont destines mourir ; mais, comme toutes choses, les religions ne meurent que

    pour renatre. L'ide que les hommes se font de la vrit se modifie et s'largit avec les temps.

    C'est pourquoi les religions, qui sont des manifestations temporaires, des vues partielles de

    l'ternelle vrit, doivent se transformer ds qu'elles ont fait leur uvre et ne rpondent plus

    aux progrs et aux besoins de l'humanit. A mesure que celle-ci avance dans sa voie, il lui

    faut de nouvelles conceptions, un idal plus lev, et elle les trouve dans les dcouvertes de la

    science et les intuitions grandissantes de la pense.

  • Nous sommes arrivs une heure de l'histoire o les religions vieillies s'affaissent sur

    leurs bases, o un renouveau philosophique et social se prpare. Le progrs matriel et

    intellectuel appelle le progrs moral. Un monde d'inspirations s'agite dans les profondeurs des

    mes, fait effort pour prendre forme et natre la vie. Le sentiment et la raison, ces deux

    grandes forces, imprissables comme l'esprit humain, dont elles sont les attributs, forces

    jusqu'ici hostiles et qui troublaient la socit de leurs conflits, tendent enfin se rapprocher.

    La religion doit perdre son caractre dogmatique et sacerdotal pour devenir scientifique ; la

    science se dgagera des bas-fonds matrialistes pour s'clairer d'un rayon divin. Une doctrine

    va surgir, idaliste dans ses tendances, positive et exprimentale dans sa mthode, appuye

    sur des faits indniables. Des systmes opposs en apparence, des philosophies contradictoires

    et ennemies, le spiritualisme et le naturalisme, par exemple, trouveront en elle un terrain de

    rconciliation. Synthse puissante, elle embrassera et reliera toutes les conceptions varies du

    monde et de la vie, rayons briss, faces diverses de la vrit.

    Ce sera la rsurrection, sous une forme plus complte, rendue accessible tous, de la

    doctrine secrte qu'a connue le pass, l'avnement de la religion naturelle, qui renatra simple

    et pure. La religion passera dans les actes, dans le dsir ardent du bien ; l'holocauste sera le

    sacrifice de nos passions, le perfectionnement de l'esprit humain. Telle sera la religion

    suprieure, dfinitive, universelle, au sein de laquelle se fondront, comme des fleuves dans

    l'ocan, toutes les religions passagres, contradictoires, causes trop frquentes de division et

    de dchirement pour l'humanit.

  • II - L'INDE

    Nous avons dit que la doctrine secrte se retrouvait au fond de toutes les grandes

    religions et dans les livres sacrs de tous les peuples. D'o vient-elle ? Quelle est sa source ?

    Quels hommes, les premiers, l'ont conue, puis transcrite ? Les plus anciennes critures sont

    celles qui resplendissent dans les cieuxiv. Ces mondes stellaires qui, travers les nuits

    silencieuses, laissent tomber leurs tranquilles clarts, constituent les critures ternelles et

    divines dont parle Dupuis dans son ouvrage sur l'origine des cultes. Les hommes les ont sans

    doute longtemps consultes avant d'crire, mais les premiers livres dans lesquels se trouve

    consigne la grande doctrine sont les Vdas. C'est dans les Vdas, dont l'ge n'a pu tre tabli,

    que s'est forme la religion primitive de l'Inde, religion toute patriarcale, simple comme

    l'existence de l'homme dpourvu de passions, vivant d'une vie sereine et forte, au contact de la

    nature splendide de l'Orient.

    Les hymnes vdiques galent en grandeur, en lvation morale, tout ce que le

    sentiment potique a engendr de plus beau dans la suite des temps. Ils clbrent Agni, le feu,

    symbole de l'ternel Masculin ou Esprit crateur ; Sm, la liqueur du sacrifice, symbole de

    l'ternel Fminin, me du monde, substance thre. Dans leur union parfaite, ces deux

    principes essentiels de l'Univers constituent l'tre suprme, Zyaus ou Dieu.

    L'tre suprme s'immole lui-mme et se divise pour produire la vie universelle. Ainsi

    le monde et les tres, issus de Dieu, retournent Dieu par une volution constante. De l, la

    thorie de la chute et de la rascension des mes, que l'on retrouve en Occident.

    Le sacrifice du feu rsume le culte vdique. Au lever du jour, le chef de la famille, la

    fois pre et prtre, allumait la flamme sacre sur l'autel de terre, et, avec elle, montait,

    joyeuse, vers le ciel bleu, la prire, l'invocation de tous la force unique et vivante que

    recouvre le voile transparent de la nature.

    Pendant que s'accomplit le sacrifice, disent les Vdas, les Asouras, ou Esprits

    suprieurs, et les Pitris, mes des anctres, entourent les assistants et s'associent leurs

    prires. Ainsi la croyance aux Esprits remonte aux premiers ges du monde.

    Les Vdas affirmaient l'immortalit de l'me et la rincarnation :

    Il est une partie immortelle de l'homme, c'est elle, Agni, qu'il faut chauffer de tes rayons,

    enflammer de tes feux. - D'o sont nes les mes ? Les unes viennent vers nous et s'en

    retournent ; les autres s'en retournent et reviennent.

    Les Vdas sont monothistes ; les allgories qu'on y rencontre chaque page

    dissimulent peine l'image de la grande cause premire, dont le nom, entour d'un saint

    respect, ne pouvait tre prononc sous peine de mort. Quant aux divinits secondaires ou

    dvas, elles personnifiaient les auxiliaires infrieurs de l'tre divin, les forces de la nature et

    les qualits morales. De l'enseignement des Vdas dcoulait toute l'organisation de la socit

    primitive, le respect de la femme, le culte des anctres, le pouvoir lectif et patriarcal.

    A l'poque vdique, dans la solitude des bois, au bord des fleuves et des lacs, des

    anachortes ou rishis passaient leurs jours dans la retraite. Interprtes de la science occulte, de

    la doctrine secrte des Vdas, ils possdaient dj ces mystrieux pouvoirs, transmis de sicle

    en sicle, et dont jouissent encore les fakirs et les yoguis. De cette confrrie de solitaires est

    sortie la pense cratrice, l'impulsion premire qui a fait du Brahmanisme la plus colossale

    des thocraties.

    Krishna, lev par les asctes au sein des forts de cdres que dominent les cimes

    neigeuses de l'Himalaya, fut l'inspirateur des croyances hindoues. Cette grande figure apparat

    dans l'histoire comme celle du premier des rformateurs religieux, des missionnaires divins. Il

    renouvela les doctrines vdiques, en les appuyant sur l'ide de la Trinit, sur celle de l'me

    immortelle et de ses renaissances successives. Aprs avoir scell son uvre de son sang, il

  • quitta la terre, laissant l'Inde cette conception de l'univers et de la vie, cet idal suprieur

    dont elle a vcu pendant des milliers d'annes.

    Sous des noms divers, cette doctrine s'est rpandue sur le monde avec toutes les

    migrations d'hommes dont la haute rgion de l'Inde a t la source. Cette terre sacre n'est pas

    seulement la mre des peuples et des civilisations ; elle est aussi le foyer des plus grandes

    inspirations religieuses.

    Krishna, entour d'un groupe de disciples, allait de ville en ville rpandre son

    enseignement :

    Le corps, disait-ilv, enveloppe de l'me qui y fait sa demeure, est une chose finie, mais l'me

    qui l'habite est invisible, impondrable et ternelle.

    Le sort de l'me aprs la mort constitue le mystre des renaissances. Comme les profondeurs

    du ciel s'ouvrent aux rayons des toiles, ainsi les profondeurs de la vie s'clairent la lumire

    de cette vrit.

    Quand le corps est dissous, lorsque la sagesse a le dessus, l'me s'envole dans les rgions de

    ces tres purs qui ont la connaissance du Trs-Haut. Lorsque c'est la passion qui domine,

    l'me vient de nouveau habiter parmi ceux qui se sont attachs aux choses de la terre. De

    mme, l'me obscurcie par la matire et l'ignorance est de nouveau attire par le corps d'tres

    irraisonnables.

    Toute renaissance, heureuse ou malheureuse, est la consquence des uvres pratiques dans

    les vies antrieures.

    Mais il est un mystre plus grand encore. Pour parvenir la perfection, il faut conqurir la

    science de l'Unit, qui est au-dessus de la sagesse ; il faut s'lever l'tre divin, qui est au-

    dessus de l'me et de l'intelligence. Cet tre divin est aussi en chacun de nous :

    Tu portes en toi-mme un ami sublime que tu ne connais pas, car Dieu rside dans l'intrieur

    de tout homme, mais peu savent le trouver. L'homme qui fait le sacrifice de ses dsirs et de

    ses uvres l'tre d'o procdent les principes de toutes choses et par qui l'univers a t

    form, obtient par ce sacrifice la perfection, car celui qui trouve en lui-mme son bonheur, sa

    joie, et en lui-mme aussi sa lumire, est un avec Dieu. Or, sachez-le, l'me qui a trouv Dieu

    est dlivre de la renaissance et de la mort, de la vieillesse et de la douleur, et boit l'eau de

    l'immortalit.

    Krishna parlait de sa propre nature et de sa mission en des termes qu'il est bon de

    mditer. S'adressant ses disciples :

    Moi et vous, disait-il, nous avons eu plusieurs naissances. Les miennes ne sont connues que

    de moi, mais vous ne connaissez mme pas les vtres. Quoique je ne sois plus, par ma nature,

    sujet natre ou mourir, toutes les fois que la vertu dcline dans le monde, et que le vice et

    l'injustice l'emportent, alors je me rends visible, et ainsi je me montre d'ge en ge, pour le

    salut du juste, le chtiment du mchant et le rtablissement de la vertu.

    Je vous ai rvl les grands secrets. Ne les dites qu' ceux qui peuvent les comprendre. Vous

    tes mes lus, vous voyez le but, la foule ne voit qu'un bout du cheminvi

    .

    Par ces paroles, la doctrine secrte tait fonde. Malgr les altrations successives

    qu'elle aura subir, elle restera la source de vie, o, dans l'ombre et le silence, s'abreuveront

    tous les grands penseurs de l'antiquit.

    La morale de Krishna n'tait pas moins pure :

    Les maux dont nous affligeons notre prochain nous poursuivent, ainsi que notre ombre suit

    notre corps. - Les uvres inspires par l'amour de nos semblables sont celles qui pseront le

    plus dans la balance cleste. - Si tu frquentes les bons, tes exemples seront inutiles ; ne crains

    pas de vivre parmi les mchants pour les ramener au bien. - L'homme vertueux est semblable

    l'arbre gigantesque dont l'ombrage bienfaisant donne aux plantes qui l'entourent la fracheur

    et la vie.

    Son langage s'levait au sublime lorsqu'il parlait d'abngation et de sacrifice :

  • L'honnte homme doit tomber sous les coups des mchants comme l'arbre santal qui,

    lorsqu'on l'abat, parfume la hache qui l'a frapp.

    Lorsque des sophistes lui demandaient de leur expliquer la nature de Dieu, il

    rpondait :

    L'infini et l'espace peuvent seuls comprendre l'infini. Dieu seul peut comprendre Dieu.

    Il disait encore :

    Rien de ce qui Est ne peut prir, car tout ce qui Est est contenu en Dieu. Aussi, les sages ne

    pleurent ni les vivants ni les morts. Car, jamais je n'ai cess d'tre, ni toi, ni aucun homme, et

    jamais nous ne cesserons d'tre, nous tous, au-del de la vie prsentevii

    .

    Au sujet de la communication avec les Esprits :

    Longtemps avant qu'elles se dpouillent de leur enveloppe mortelle, les mes qui n'ont

    pratiqu que le bien acquirent la facult de converser avec les mes qui les ont prcdes

    dans la vie spirituelle (swarga)viii

    .

    C'est ce que les brahmes affirment encore de nos jours par la doctrine des Pitris. De

    tous temps, l'vocation des morts a t une des formes de leur liturgie.

    Tels sont les principaux points de l'enseignement de Krishna, que l'on retrouve dans

    les livres sacrs conservs au fond des sanctuaires du sud de l'Indoustan.

    Dans le principe, l'organisation sociale de l'Inde fut calque par les brahmes sur leurs

    conceptions religieuses. Ils divisrent la socit en trois classes, d'aprs le systme ternaire ;

    mais, peu peu, cette organisation dgnra en privilges sacerdotaux et aristocratiques.

    L'hrdit imposa ses bornes troites et rigides aux aspirations de tous. La femme, libre et

    honore aux temps vdiques, devint esclave. La socit se figea dans un moule inflexible, et

    la dcadence de l'Inde en fut la consquence invitable. Ptrifie dans ses castes et dans ses

    dogmes, elle s'est endormie de ce sommeil lthargique, image de la mort, que le tumulte des

    invasions trangres n'a mme pas troubl. Se rveillera-t-elle jamais ? L'avenir seul pourra le

    dire.

    Les brahmes, aprs avoir tabli l'ordre et organis la socit, ont perdu l'Inde par excs

    de compression. De mme, ils ont t toute autorit morale la doctrine de Krishna, en

    l'enveloppant de formes grossires et matrielles. Si l'on ne considre que le ct extrieur et

    vulgaire du Brahmanisme, ses prescriptions puriles, son crmonial pompeux, ses rites

    compliqus, les fables et les images dont il est si prodigue, on est port ne voir en lui qu'un

    amas de superstitions. Mais ce serait une faute de le juger seulement d'aprs ses apparences

    extrieures. Dans le Brahmanisme, comme dans toutes les religions antiques, il faut faire deux

    parts. L'une est celle du culte et de l'enseignement vulgaire, remplis de fictions qui captivent

    le peuple et aident le conduire dans les voies de la servitude. A cet ordre d'ides se rattache

    le dogme de la mtempsycose, ou renaissance des mes coupables dans les corps d'animaux,

    d'insectes ou de plantes, pouvantail destin terroriser les faibles, systme habile qu'a imit

    le Catholicisme dans sa conception des mythes de Satan, de l'enfer et des supplices ternels.

    Autre chose est l'enseignement secret, la grande tradition sotrique, qui fournit sur

    l'me, sur ses destines, sur la cause universelle, les spculations les plus leves et les plus

    pures. Pour les recueillir, il faut pntrer le mystre des pagodes, fouiller les manuscrits

    qu'elles renferment, interroger les brahmes savants.

    *

    * *

    Environ six cents ans avant l're du Christ, un fils de roi, akya-Mouni ou le Bouddha,

    fut frapp d'une profonde tristesse, d'une immense piti la vue des souffrances des hommes.

    La corruption avait envahi l'Inde par suite de l'altration des traditions religieuses et des abus

    d'une thocratie avide de domination. Renonant aux grandeurs, la vie fastueuse, le

    Bouddha quitte son palais et s'enfonce dans la fort silencieuse. Aprs de longues annes de

  • mditation, il reparat, apportant au monde asiatique, sinon une croyance nouvelle, du moins

    une nouvelle expression de la Loi.

    D'aprs le Bouddhismeix

    , la cause du mal, de la douleur, de la mort et de la

    renaissance, c'est le dsir. C'est lui, c'est la passion qui nous attache aux formes matrielles et

    veille en nous mille besoins sans cesse renaissants, jamais assouvis, qui deviennent autant de

    tyrans. Le but lev de la vie est d'arracher l'me aux enlacements du dsir. On y parvient par

    la rflexion, l'austrit, le dtachement graduel de toutes les choses terrestres, par le sacrifice

    du moi, par l'affranchissement de toutes les servitudes de la personnalit et de l'gosme.

    L'ignorance est le mal souverain, d'o dcoulent la souffrance et la misre ; et le premier

    moyen d'amliorer la vie dans le prsent et dans l'avenir, c'est d'acqurir la connaissance.

    La connaissance comprend la science de la nature, visible et invisible, l'tude de

    l'homme et celle des principes des choses. Ceux-ci sont absolus et ternels. Le monde, sorti

    par sa propre activit d'un tat uniforme, est dans une volution continue. Les tres, descendus

    du Grand Tout, afin de rsoudre le problme de la perfection, insparable de l'tat de libert,

    sont en voie de retour vers le bien parfait. Ils ne pntrent dans le monde de la forme que pour

    y travailler l'accomplissement de leur uvre de perfectionnement et d'lvation. Ils peuvent

    le raliser par la science, dit un Oupanichad ; ils peuvent l'accomplir par l'amour, dit un

    Pourana.

    La science et l'amour sont les deux facteurs essentiels de l'univers. Tant que l'tre n'a

    pas acquis l'amour, il est condamn poursuivre la chane des rincarnations terrestres.

    Sous l'influence d'une telle doctrine, l'instinct goste voit se resserrer peu peu son

    cercle d'action. L'tre apprend embrasser dans un mme amour tout ce qui vit et respire. Et

    ce n'est encore l qu'une tape de son volution. Celle-ci doit le conduire ne plus aimer que

    l'ternel principe d'o mane tout amour et o tout amour doit ncessairement revenir. Cet tat

    est celui de Nirvana.

    Cette expression, diversement commente, a caus bien des malentendus. Suivant la

    doctrine secrte du Bouddhismex, le Nirvana n'est pas, comme l'enseignent l'glise du Sud et

    le grand prtre de Ceylan, la perte de l'individualit, l'vanouissement de l'tre dans le nant ;

    c'est la conqute, par l'me, de la perfection, l'affranchissement dfinitif des transmigrations et

    des renaissances au sein des humanits.

    Chacun fait sa destine. La vie prsente, avec ses joies et ses douleurs, n'est que la

    consquence des bonnes ou des mauvaises actions accomplies librement par l'tre dans ses

    existences antrieures. Le prsent s'explique par le pass, non seulement pour le monde pris

    dans son ensemble, mais pour chacun des tres qui le composent. On appelle Karma la

    somme des mrites ou des dmrites acquis par l'tre. Ce karma est pour lui, tout instant de

    son volution, le point de dpart de l'avenir, la cause de toute justice distributive :

    Moi, Bouddhaxi

    , qui ai pleur avec toutes les larmes de mes frres, dont le cur a

    t bris par la douleur de tout un monde, je souris et je suis content, car la libert est. O

    vous qui souffrez, sachez. Je vous montre la vrit. Tout ce que nous sommes est le rsultat de

    ce que nous avons pens. Cela est fond sur nos penses ; cela est fait de nos penses. Si un

    homme parle et agit d'aprs une pense pure, le bonheur le suit comme une ombre. La haine

    n'a jamais t apaise par la haine. La haine n'est vaincue que par l'amour. Comme la pluie

    passe travers une maison mal couverte, la passion passe travers un esprit peu rflchi.

    Par la rflexion, par la retenue, par la domination de soi-mme, l'homme se fait une le

    qu'aucun orage ne peut ravager. L'homme revient moissonner les choses qu'il a semes. Ceci

    est la doctrine du Karma.

    La plupart des religions nous recommandent le bien en vue d'une rcompense cleste.

    Il y a l un mobile goste et mercenaire, que l'on ne retrouve pas au mme degr dans le

    Bouddhisme. Il faut pratiquer le bien, dit Lon de Rosnyxii

    , parce que le bien est le but

    suprme de la nature. C'est en se conformant aux exigences de cette loi que l'on acquiert la

  • seule satisfaction vritable, la plus belle que puisse goter l'tre dgag des entraves de la

    forme et des attractions du dsir, causes continuelles de dception et de souffrance.

    La compassion du bouddhiste, sa charit s'tendent tous les tres. Tous, ses yeux,

    sont destins au Nirvana. Et, par les tres, il faut entendre les animaux, les vgtaux et mme

    les corps inorganiques. Toutes les formes de vie s'enchanent suivant la loi grandiose de

    l'volution et du transformisme. Nulle part la vie n'est absente dans l'univers. La mort n'est

    qu'une illusion, un des agents qui permettent un renouvellement incessant et d'incessantes

    transformations. L'enfer - pour les initis la doctrine sotrique - n'est autre chose que le

    remords et l'absence d'amour. Le purgatoire est partout o se rencontre la forme et o volue

    la matire. Il est sur notre globe aussi bien que dans les profondeurs du firmament toil.

    Le Bouddha et ses disciples pratiquaient le Dhyna ou la contemplation, l'extase.

    L'esprit, dans cet tat d'exaltation, communique avec les mes qui ont quitt la terrexiii

    .

    Le Bouddhisme exotrique ou vulgaire, refoul vers le VI sicle aux deux extrmits

    de l'Inde, aprs des luttes sanglantes provoques par les brahmes, a subi des vicissitudes

    diverses et de nombreuses transformations. Une de ses branches ou glises, celle du Sud, dans

    certaines de ses interprtations, semble incliner vers l'athisme et le matrialisme. Celle du

    Thibet est reste diste et spiritualiste. Le Bouddhisme est devenu en outre la religion du plus

    vaste empire du monde, la Chine. Ses fidles composent aujourd'hui le tiers de la population

    du globe. Mais dans tous les milieux o il s'est rpandu, de l'Oural au Japon, ses traditions

    primitives se sont voiles, altres. L, comme ailleurs, les formes matrielles du culte ont

    touff les hautes aspirations de la pense ; les rites, les crmonies superstitieuses, les vaines

    formules, les offrandes, les tonneaux et moulins prires ont remplac l'enseignement moral

    et la pratique des vertusxiv

    .

    Cependant, les principaux enseignements du Bouddha ont t conservs dans les

    Soutrasxv

    .

    Des sages, hritiers de la science et des pouvoirs des anciens asctes, possdent aussi,

    dit-onxvi

    , la secrte doctrine dans son intgralit. Ils auraient fix leur demeure loin des foules

    humaines, sur les plateaux levs, d'o la plaine de l'Inde apparat, vague et lointaine, comme

    dans un rve. C'est dans la pure atmosphre et le silence des solitudes qu'habiteraient les

    Mahatmas. Possesseurs des secrets qui permettent de dfier la douleur et la mort, ils

    passeraient leurs jours dans la mditation, en attendant l'heure problmatique o l'tat moral

    de l'humanit rendra possible la divulgation de leurs arcanes. Malheureusement, aucun fait

    bien authentique n'est venu jusqu'ici confirmer ces affirmations. La preuve de l'existence des

    Mahatmas est encore faire.

    Depuis vingt ans, de grands efforts ont t tents pour rpandre la doctrine bouddhique

    en Occident. Notre race, avide de mouvement, de lumire et de libert, semble peu dispose

    s'assimiler cette religion du renoncement, dont les peuples orientaux ont fait une doctrine

    d'anantissement volontaire et d'affaissement intellectuel. Le Bouddhisme est rest dans notre

    Europe le domaine de quelques lettrs. L'sotrisme thibtain est en honneur parmi eux. Sur

    certains points, celui-ci ouvre l'esprit humain des perspectives tranges. La thorie des jours

    et des nuits de Brahma, Manvantara et Pralaya, renouvele des anciennes religions de l'Inde,

    parat bien un peu en contradiction avec l'ide du Nirvana.

    En tous cas, ces priodes immenses de diffusion et de concentration, l'issue

    desquelles la grande Cause premire absorbe tous les tres et reste seule, immobile, endormie,

    sur les mondes dissous, jettent la pense dans une sorte de vertige. La thorie des sept

    principes constitutifs de l'homme, celle des sept plantesxvii

    , sur lesquelles se droule la ronde

    de vie dans son mouvement ascensionnel, constituent aussi des vues originales et sujettes

    examen.

    Une chose domine cet enseignement. La loi de charit proclame par le Bouddha est

    un des plus puissants appels au bien qui aient retenti en ce monde ; mais, suivant l'expression

  • de Lon de Rosnyxviii

    , cette Loi calme, cette Loi vide, parce qu'elle ne prend rien pour appui,

    est reste inintelligible pour la majorit des hommes dont elle rvolte les apptits, auxquels

    elle ne promet pas le genre de salaire qu'ils veulent recevoir .

    Le Bouddhisme, malgr ses taches et ses ombres, n'en reste pas moins une des plus

    grandes conceptions religieuses qui aient paru en ce monde, une doctrine toute d'amour et

    d'galit, une raction puissante contre la distinction des castes tablie par les brahmes. Elle

    offre sur certains points des analogies frappantes avec l'vangile de Jsus de Nazareth.

  • III. - L'GYPTE

    Aux portes du dsert, les temples, les pylnes, les pyramides se dressent, fort de

    pierres, sous un ciel de feu. Les sphinx contemplent la plaine, accroupis et rveurs, et les

    ncropoles, tailles dans le roc, ouvrent leurs seuils profans au bord du fleuve silencieux.

    C'est l'gypte, terre trange, livre vnrable, dans lequel l'homme moderne commence peine

    peler le mystre des ges, des peuples et des religionsxix

    .

    L'Inde, disent la plupart des orientalistes, a communiqu l'gypte sa civilisation et sa

    foi ; d'autres rudits affirment qu' une poque recule la terre d'Isis possdait dj ses

    traditions propres. Elles taient l'hritage d'une race teinte, la race rouge, venue de l'ouestxx

    ,

    que des luttes formidables contre les blancs, et des cataclysmes gologiques ont presque

    anantie. Le temple et le sphinx de Giseh, antrieurs de plusieurs milliers d'annesxxi

    la

    grande pyramide et levs par les rouges vers l'endroit o le Nil se joignait alors la merxxii

    ,

    sont deux des rares monuments que ces temps lointains nous ont lgus.

    La lecture des stles, celle des papyrus recueillis dans les tombeaux, permettent de

    reconstituer l'histoire de l'gypte, en mme temps que cette antique doctrine du Verbe-

    Lumire, divinit la triple nature, la fois intelligence, force et matire ; esprit, me et

    corps, qui offre une analogie parfaite avec la philosophie de l'Inde. Ici, comme l, on retrouve,

    sous la gangue grossire des cultes, la mme pense cache. L'me de l'gypte, le secret de sa

    vitalit, de son rle historique, c'est la doctrine occulte de ses prtres, voile soigneusement

    sous les mystres d'Isis et d'Osiris, et tudie au fond des temples par des initis de tous rangs

    et de tous pays.

    Les livres sacrs d'Herms exprimaient, sous des formes austres, les principes de

    cette doctrine. Ils formaient une vaste encyclopdie. On y trouvait classes toutes les

    connaissances humaines. Tous ne sont pas parvenus jusqu' nous. La science religieuse de

    l'gypte nous a t surtout restitue par la lecture des hiroglyphes. Les temples, eux aussi,

    sont des livres, et l'on peut dire de la terre des Pharaons que les pierres y ont une voix.

    Le premier parmi les savants modernes, Champollion dcouvrit trois sortes d'criture

    dans les manuscrits et sur les monuments gyptiensxxiii

    . Par l fut confirme l'opinion des

    anciens, que les prtres d'Isis employaient trois ordres de caractres : les premiers,

    dmotiques, taient simples et clairs ; les seconds, hiratiques, avaient un sens symbolique ou

    figur ; les autres taient des hiroglyphes. C'est ce que Hraclite exprimait par les termes de

    parlant, de signifiant et de cachant.

    Les hiroglyphes avaient un triple sens et ne pouvaient tre dchiffrs sans clef. On

    appliquait ces signes la loi d'analogie qui rgit les trois mondes, naturel, humain et divin, et

    permet d'exprimer les trois aspects de toutes choses par des combinaisons de nombres et de

    figures qui reproduisent la symtrie harmonieuse et l'unit de l'univers. Ainsi, dans un mme

    signe, l'adepte lisait la fois les principes, les causes et les effets, et ce langage avait pour lui

    une puissance extraordinaire.

    Le prtre, sorti de tous les rangs de la socit, mme des plus infimes, tait le vritable

    matre de l'gypte ; les rois, choisis et initis par lui, ne gouvernaient la nation qu' titre de

    mandataires. De hautes vues, une profonde sagesse prsidaient aux destines de ce pays. Au

    milieu du monde barbare, entre l'Assyrie froce et l'Afrique sauvage, la terre des pharaons

    tait comme une le battue des flots, o se conservaient les pures doctrines, toute la science

    secrte du monde ancien. Les sages, les penseurs, les conducteurs de peuples, Grecs, Hbreux,

    Phniciens, trusques, venaient s'y instruire.

    Par eux, la pense religieuse se rpandait des sanctuaires d'Isis sur toutes les plages de

    la Mditerrane, allant faire clore des civilisations diverses, dissemblables mme, suivant le

  • caractre des peuples qui la recevaient, devenant monothiste en Jude avec Mose,

    polythiste en Grce avec Orphe, mais toujours uniforme dans son principe cach.

    Le culte populaire d'Isis et d'Osiris n'tait qu'un brillant mirage offert la foule. Sous

    la pompe des spectacles et des crmonies publiques se cachait le vritable enseignement,

    donn dans les petits et les grands mystres. L'initiation tait entoure de nombreux obstacles

    et de rels dangers. Les preuves physiques et morales taient longues et multiplies. On

    exigeait le serment du silence, et la moindre indiscrtion tait punie de mort. Cette discipline

    redoutable donnait la religion secrte et l'initiation une force, une autorit incomparables.

    A mesure que l'adepte avanait dans sa voie, les voiles s'cartaient, la lumire se faisait plus

    brillante, les symboles devenaient vivants et parlants.

    Le sphinx, tte de femme sur un corps de taureau, avec des griffes de lion et des ailes

    d'aigle, c'tait l'image de l'tre humain, mergeant des profondeurs de l'animalit pour

    atteindre sa condition nouvelle. La grande nigme, c'tait l'homme, portant en lui les traces

    sensibles de son origine, rsumant tous les lments et toutes les forces de la nature infrieure.

    Les dieux bizarres, ttes d'oiseaux, de mammifres, de serpents, taient d'autres

    symboles de la vie, dans ses multiples manifestations. Osiris, le dieu solaire, et Isis, la grande

    nature, taient partout clbrs ; mais, au-dessus d'eux, il tait un dieu innom, dont on ne

    parlait qu' voix basse et avec crainte.

    Le nophyte devait apprendre avant tout se connatre. L'hirophante lui tenait ce

    langage :

    O me aveugle, arme-toi du flambeau des mystres et, dans la nuit terrestre, tu dcouvriras

    ton double lumineux, ton me cleste. Suis ce guide divin et qu'il soit ton gnie, car il tient la

    clef de tes existences passes et futuresxxiv

    .

    A la fin de ses preuves, bris par les motions, ayant ctoy dix fois la mort, l'initi

    voyait s'approcher de lui une image de femme, portant un rouleau de papyrus.

    Je suis ta sur invisible, disait-elle, je suis ton me divine, et ceci est le livre de ta vie. Il

    renferme les pages pleines de tes existences passes et les pages blanches de tes vies futures.

    Un jour, je les droulerai devant toi. Tu me connais maintenant. Appelle-moi et je viendrai !

    Enfin, sur la terrasse du temple, sous le ciel toil, devant Memphis ou Thbes

    endormies, le prtre racontait l'adepte la vision d'Herms, transmise oralement de pontife en

    pontife et grave en signes hiroglyphiques sur les votes des cryptes souterraines.

    Un jour, Herms vit l'espace et les mondes, et la vie qui s'panouit en tous lieux. La

    voix de la lumire qui emplissait l'infini lui rvla le divin mystre :

    La lumire que tu as vue, c'est l'intelligence divine qui contient toute chose en puissance et

    renferme les modles de tous les tres. Les tnbres, c'est le monde matriel o vivent les

    hommes de la terre. Mais le feu qui jaillit des profondeurs, c'est le Verbe divin ; Dieu est le

    Pre, le Verbe est le Fils, leur union, c'est la Vie.

    Quant l'esprit de l'homme, sa destine a deux faces : captivit dans la matire, ascension

    dans la lumire. Les mes sont filles du ciel, et leur voyage est une preuve. Dans

    l'incarnation, elles perdent le souvenir de leur origine cleste. Captives par la matire,

    enivres par la vie, elles se prcipitent comme une pluie de feu, avec des frissons de volupt,

    travers les rgions de la souffrance, de l'amour et de la mort, jusque dans la prison terrestre o

    tu gmis toi-mme et o la vie divine te parat un vain rve.

    Les mes basses et mchantes restent enchanes la terre par de multiples renaissances,

    mais les mes vertueuses remontent coups d'ailes vers les sphres suprieures, o elles

    recouvrent la vue des choses divines. Elles s'en imprgnent avec la lucidit de la conscience

    claire par la douleur, l'nergie de la volont acquise dans la lutte. Elles deviennent

    lumineuses, car elles possdent le divin en elles-mmes et le rayonnent dans leurs actes.

    Raffermis donc ton cur, Herms, et rassrne ton esprit obscurci, en contemplant ces vols

    d'mes remontant l'chelle des sphres qui conduit au Pre, l o tout s'achve, o tout

  • commence ternellement. Et les sept sphres dirent ensemble : Sagesse ! Amour ! Justice !

    Beaut ! Splendeur ! Science ! Immortalit !xxv

    Le pontife ajoutait :

    Mdite cette vision. Elle renferme le secret de toutes choses. Plus tu apprendras la

    comprendre, plus tu verras s'tendre ses limites. Car la mme loi organique gouverne tous les

    mondes.

    Mais le voile du mystre recouvre la grande vrit. La totale connaissance ne peut tre

    rvle qu' ceux qui ont travers les mmes preuves que nous. Il faut mesurer la vrit selon

    les intelligences ; la voiler aux faibles, qu'elle rendrait fous ; la cacher aux mchants, qui en

    feraient une arme de destruction. Renferme-la dans ton cur et qu'elle parle par ton uvre. La

    science sera ta force ; la loi, ton glaive, et le silence, ton bouclier.

    La science des prtres d'gypte dpassait sur bien des points la science actuelle. Ils

    connaissaient le magntisme, le somnambulisme, gurissaient par le sommeil provoqu et

    pratiquaient largement la suggestion. C'est ce qu'ils nommaient la magiexxvi

    .

    L'initi n'avait pas de but plus lev que la conqute de ces pouvoirs, dont l'emblme

    tait la couronne des mages.

    Sache, lui disait-on, ce que signifie cette couronne. Toute volont qui s'unit Dieu pour

    manifester la vrit et oprer la justice entre, ds cette vie, en participation de la puissance

    divine sur les tres et sur les choses, rcompense ternelle des esprits affranchis.

    Le gnie de l'gypte fut submerg par le flot des invasions. L'cole d'Alexandrie en

    recueillit quelques parcelles, qu'elle transmit au Christianisme naissant. Mais, avant elle, les

    initis grecs avaient fait pntrer dans l'Hellade les doctrines hermtiques. C'est l que nous

    allons les retrouver.

  • IV. - LA GRCE

    Parmi les peuples initiateurs, il n'en est pas dont la mission se manifeste avec plus

    d'clat que celle des peuples de l'Hellade. La Grce a initi l'Europe toutes les splendeurs du

    Beau. C'est de sa main ouverte qu'est sortie la civilisation, et son gnie, vingt sicles de

    distance, rayonne encore sur notre pays. Aussi, malgr ses dchirements, ses luttes intestines,

    malgr sa dchance finale, est-elle reste un sujet d'admiration pour tous les ges.

    La Grce a su traduire en un clair langage les beauts obscures de la sagesse orientale.

    Elle les exprima d'abord l'aide de ces deux harmonies clestes qu'elle rendit humaines : la

    musique et la posie. Orphe et Homre, des premiers, en ont fait entendre les accents la

    terre charme.

    Plus tard, ce rythme, cette harmonie que le gnie naissant de la Grce avait introduits

    dans la parole et dans le chant, Pythagore, l'initi des temples gyptiens, les reconnut partout

    dans l'univers, dans la marche des globes qui se meuvent, futures demeures de l'humanit, au

    sein des espaces ; dans l'accord des trois mondes, naturel, humain et divin, qui se soutiennent,

    s'quilibrent et se compltent, pour produire la vie. De cette vision formidable dcoulait, pour

    lui, l'ide d'une triple initiation, par laquelle l'homme, instruit des principes ternels,

    apprenait, en s'purant, se librer des maux terrestres et s'lever vers la perfection. De l

    tout un systme d'ducation et de rforme, auquel Pythagore laissa son nom et qui produisit

    tant de sages et de grands hommes.

    Enfin Socrate et Platon, en popularisant les mmes principes, en les rpandant dans un

    plus large cercle, inaugurrent le rgne de la science ouverte, venant se substituer

    l'enseignement secret.

    Tel fut le rle de la Grce dans l'histoire du dveloppement de la pense. A toutes les

    poques, l'initiation a exerc une influence capitale sur les destines de ce pays. Ce n'est pas

    dans les fluctuations politiques qui ont agit cette race mobile et impressionnable, qu'il faut

    chercher les plus hautes manifestations du gnie hellnique. Celui-ci n'avait son foyer, ni dans

    la sombre et brutale Sparte, ni dans la brillante et frivole Athnes, mais plutt Delphes,

    Olympie, leusis, refuges sacrs de la pure doctrine. Il s'y rvlait dans toute sa puissance

    par la clbration des mystres. L, penseurs, potes, artistes, venaient recueillir

    l'enseignement cach, qu'ils traduisaient ensuite la foule en vivantes images et en vers

    enflamms. Au-dessus des cits turbulentes, toujours prtes se dchirer, au-dessus des

    formes changeantes de la politique, passant tour tour de l'aristocratie la dmocratie et au

    rgne des tyrans, un pouvoir suprme dominait la Grce, le tribunal des Amphictyons, qui

    sigeait Delphes et se composait des initis du degr suprieur. Lui seul sauva l'Hellade aux

    heures de pril, en imposant silence aux rivalits de Sparte et d'Athnes.

    Dj au temps d'Orphe, les temples possdaient la science secrte.

    coute, disait le matre au nophytexxvii

    , coute les vrits qu'il faut taire la foule et qui

    font la force des sanctuaires. Dieu est un et toujours semblable lui-mme. Mais les dieux

    sont innombrables et divers ; car la Divinit est ternelle et infinie. Les plus grands sont les

    mes des astres, etc.

    Tu es entr d'un cur pur dans le sein des mystres. L'heure solennelle est venue o je vais

    te faire pntrer jusqu'aux sources de la vie et de la lumire. Ceux qui n'ont pas soulev le

    voile pais qui recouvre aux yeux des hommes les merveilles invisibles, ne sont pas devenus

    fils des Dieux.

    Aux mystes et aux initis :

    Venez vous rjouir, vous qui avez souffert ; venez vous reposer, vous qui avez lutt. Par vos

    souffrances passes, par l'effort qui vous amne, vous vaincrez, et, si vous croyez aux paroles

    divines, vous avez dj vaincu. Car, aprs le long circuit des existences tnbreuses, vous

  • sortirez enfin du cercle douloureux des gnrations et vous vous retrouverez tous comme une

    seule me dans la lumire de Dionysosxxviii

    .

    Aimez, car tout aime. Mais aimez la lumire, et non les tnbres. Souvenez-vous du but

    pendant le voyage. Quand les mes retournent dans la lumire, elles portent, comme des

    taches hideuses sur leur corps thr, toutes les fautes de leur vie... Et, pour les effacer, il faut

    qu'elles expient et qu'elles reviennent sur la terre... Mais les purs, mais les forts s'en vont dans

    le soleil de Dionysos.

    *

    * *

    Une imposante figure domine le groupe des philosophes grecs. C'est Pythagore, celui

    des fils d'Ionie qui sut le premier coordonner, mettre en lumire les doctrines secrtes de

    l'Orient, en faire une vaste synthse qui embrassait la fois la morale, la science et la religion.

    Son acadmie de Crotone fut une cole admirable d'initiation laque, et son uvre, le prlude

    de ce grand mouvement d'ides qui, avec Platon et Jsus, allait remuer les couches profondes

    de la socit antique et porter ses ondes jusqu'aux extrmits du continent.

    Pythagore avait tudi pendant trente annes en gypte. A de vastes connaissances, il

    joignait cette intuition merveilleuse, sans laquelle l'observation et le raisonnement ne suffisent

    pas toujours dcouvrir la vrit. Grce ces qualits, il put lever le magnifique monument

    de la science sotrique, dont nous ne pouvons nous dispenser de retracer ici les lignes

    essentielles :

    L'essence en soi se drobe l'homme, disait la doctrine pythagoriciennexxix

    . L'homme ne

    connat que les choses de ce monde, o le fini se combine avec l'infini. Comment peut-il les

    connatre ? Parce qu'il y a entre lui et les choses une harmonie, un rapport, un principe

    commun, et ce principe leur est donn par l'Un, qui leur fournit avec leur essence la mesure et

    l'intelligibilit.

    Votre tre vous, votre me est un petit univers. Mais elle est pleine de temptes et de

    discordes. Il s'agit d'y raliser l'unit dans l'harmonie. Alors seulement Dieu descendra dans

    votre conscience, alors vous participerez son pouvoir et vous ferez de votre volont la pierre

    du foyer, l'autel d'Hestia, le trne de Jupiter.

    Les pythagoriciens appelaient esprit ou intelligence la partie active et immortelle de

    l'tre humain. L'me, c'tait pour eux l'esprit, envelopp de son corps fluidique, thr. La

    destine de Psych, l'me humaine, sa descente et sa captivit dans la chair, ses souffrances et

    ses luttes, sa rascension graduelle, son triomphe sur les passions et son retour final la

    lumire, tout cela constituait le drame de la vie, reprsent dans les mystres d'leusis comme

    l'enseignement par excellence.

    Selon Pythagorexxx

    , l'volution matrielle des mondes et l'volution spirituelle des

    mes sont parallles, concordantes et s'expliquent l'une par l'autre. La grande me, rpandue

    dans la nature, anime la substance qui vibre sous son impulsion et produit toutes les formes et

    tous les tres. Les tres conscients, par de longs efforts, se dgagent de la matire, qu'ils

    dominent et gouvernent leur tour, se librent et se perfectionnent travers leurs existences

    innombrables. Ainsi l'invisible explique le visible, et le dveloppement des crations

    matrielles est la manifestation de l'Esprit divin.

    Si l'on recherche dans les traits de physique des anciens leur pense sur la structure

    de l'univers, on se trouve en prsence de donnes grossires et arrires ; mais ce ne sont l

    que des allgories. L'enseignement secret donnait sur les lois de l'univers des notions

    autrement leves. Aristote nous dit que les pythagoriciens connaissaient le mouvement de la

    terre autour du soleil. L'ide de la rotation terrestre est venue Copernic en apprenant par un

    passage de Cicron qu'Hyctas, disciple de Pythagore, avait parl du mouvement diurne du

    globe. Au troisime degr de l'initiation, on enseignait le double mouvement de la terre.

  • Comme les prtres d'gypte, ses matres, Pythagore savait que les plantes sont nes

    du soleil et qu'elles tournent autour de lui, que chaque toile est un soleil clairant d'autres

    mondes et composant, avec son cortge de sphres, autant de systmes sidraux, autant

    d'univers rgis par les mmes lois que le ntre. Mais ces notions n'taient jamais confies

    l'criture. Elles constituaient l'enseignement oral, communiqu sous le sceau du secret. Le

    vulgaire ne les aurait pas comprises ; on les et considres comme contraires la mythologie

    et, par suite, sacrilgesxxxi

    .

    La science secrte enseignait aussi qu'un fluide impondrable s'tend partout, pntre

    tout. Agent subtil, sous l'action de la volont, il se modifie et se transforme, s'affine et se

    condense suivant la puissance et l'lvation des mes, qui se servent de lui et tissent leur

    vtement astral dans sa substance. C'est le trait d'union entre l'esprit et la matire, et tout, les

    penses, les vnements, se grave en lui, s'y reflte comme des images dans un miroir. Par les

    proprits de ce fluide, par l'action qu'exerce sur lui la volont, s'expliquent les phnomnes

    de la suggestion et de la transmission des penses. Les anciens l'appelaient, par allgorie, le

    voile mystrieux d'Isis ou le manteau de Cyble qui enveloppe tout ce qui vit. Ce mme fluide

    sert de moyen de communication entre le visible et l'invisible, entre les hommes et les mes

    dsincarnes.

    La science de l'occulte formait une des branches les plus importantes de

    l'enseignement rserv. Elle avait su dgager de l'ensemble des phnomnes la loi des

    rapports qui unissent le monde terrestre au monde des Esprits. Elle dveloppait avec mthode

    les facults transcendantes de l'me humaine et lui rendait possibles la lecture de la pense et

    la vue distance. Les faits de clairvoyance et de divination produits par les oracles des

    temples grecs, les sibylles et les pythonisses, sont attests par l'histoire. Beaucoup d'esprits

    forts les considrent comme apocryphes. Sans doute, il faut faire la part de l'exagration et de

    la lgende, mais les dcouvertes rcentes de la psychologie exprimentale nous ont montr

    qu'il y avait dans ce domaine autre chose qu'une vaine superstition. Elles nous engagent

    tudier avec plus d'attention un ensemble de faits qui, dans l'antiquit, reposait sur des

    principes fixes et faisait l'objet d'une science profonde et tendue.

    Ces facults ne se rencontrent, en gnral, que chez des tres d'une puret et d'une

    lvation de sentiments extraordinaires ; elles exigent une prparation longue et minutieuse.

    Delphes a possd de tels sujets. Les oracles rapports par Hrodote, propos de Crsus et de

    la bataille de Salamine, le prouvent. Plus tard, des abus se mlrent ces pratiques. La raret

    des sujets rendit les prtres moins scrupuleux dans leur choix. La science divinatoire se

    corrompit et tomba en dsutude. Selon Plutarque, sa disparition fut considre par toute la

    socit antique comme un grand malheur.

    Toute la Grce croyait l'intervention des Esprits dans les choses humaines. Socrate

    avait son damon ou gnie familier. Lorsque, Marathon et Salamine, les Grecs en armes

    repoussaient l'effroyable invasion des perses, ils taient exalts par la conviction que les

    puissances invisibles soutenaient leurs efforts. A Marathon, les Athniens crurent voir deux

    guerriers, brillants de lumire, combattre dans leurs rangs. Dix ans plus tard, la Pythie, sous

    l'inspiration de l'Esprit, indiqua Thmistocle, du haut de son trpied, les moyens de sauver la

    Grce.

    Xerxs vainqueur, c'tait l'Asie barbare se rpandant sur l'Hellade, touffant son gnie

    crateur, reculant de deux mille ans peut-tre l'closion de la pense dans son idale beaut.

    Les Grecs, une poigne d'hommes, dfirent l'arme immense des Asiatiques, et, conscients du

    secours occulte qui les assistait, c'est Pallas-Athn, divinit tutlaire, symbole de la

    puissance spirituelle, qu'ils adressaient leurs hommages, sur ce roc de l'Acropole qu'encadrent

    la mer blouissante et les lignes grandioses du Pentlique et de l'Hymette.

    La participation aux mystres avait beaucoup contribu la diffusion de ces ides. Elle

    dveloppait chez les initis le sentiment de l'invisible, qui, de l, sous des formes altres, se

  • rpandait parmi le peuple. Car partout, en Grce comme en gypte et dans l'Inde, les mystres

    consistaient en une mme chose : la connaissance du secret de la mort, la rvlation des vies

    successives et la communication avec le monde occulte. Ces enseignements et ces pratiques

    produisaient sur les mes des impressions profondes. Ils leur procuraient une paix, une

    srnit, une force morale incomparables.

    Sophocle appelle les mystres les esprances de la mort , et Aristophane crit que

    ceux qui y prenaient part menaient une vie plus sainte et plus pure. On refusait d'y admettre

    les conspirateurs, les parjures, les dbauchs.

    Porphyre a dit :

    Notre me doit tre, au moment de la mort, ce qu'elle tait durant les mystres, c'est--dire

    exempte de passion, de colre, d'envie et de haine.

    Plutarque affirme en ces termes qu'on s'y entretenait avec les mes des dfunts :

    Le plus souvent, d'excellents Esprits intervenaient dans les mystres, quoique parfois les

    pervers cherchassent s'y introduire.

    Proclus ajoutexxxii

    :

    Dans tous les mystres, les dieux (ce mot signifie ici tous les ordres d'Esprits) montrent

    beaucoup de formes d'eux-mmes, apparaissent sous une grande varit de figures et revtent

    la forme humaine.

    La doctrine sotrique tait un lien entre le philosophe et le prtre. C'est ce qui

    explique leur entente commune et le rle effac du sacerdoce dans la civilisation hellnique.

    Cette doctrine apprenait aux hommes dominer leurs passions et dvelopper en eux la

    volont et l'intuition. Par un entranement graduel, les adeptes du degr suprieur arrivaient

    pntrer certains secrets de la nature, diriger leur gr les forces en action dans le monde,

    produire des phnomnes d'apparence surnaturelle, mais qui taient simplement la

    manifestation de lois physiques inconnues du vulgaire.

    Socrate et aprs lui Platon continurent, dans l'Attique, l'uvre de Pythagore. Socrate,

    voulant garder la libert d'enseigner tous les vrits que sa raison lui avait fait dcouvrir, ne

    se fit jamais initier. Aprs sa mort, Platon passa en gypte et y fut admis aux mystres. Il

    revint s'aboucher avec les Pythagoriciens et fonda son acadmie. Mais sa qualit d'initi ne lui

    permettait plus de parler librement, et, dans ses uvres, la grande doctrine parat quelque peu

    voile. Cependant, la thorie des migrations de l'me et de ses rincarnations, celle des

    rapports entre les vivants et les morts, se retrouvent dans le Phdre, le Phdon et le Time :

    Il est certain que les vivants naissent des morts, que les mes des morts renaissent encore.

    (Phdre.)

    On connat galement la scne allgorique que Platon a place la fin de la

    Rpublique. Un gnie prend sur les genoux des Parques les sorts et les diverses conditions

    humaines, et s'crie :

    Ames divines ! rentrez dans des corps mortels ; vous allez commencer une nouvelle

    carrire. Voici tous les sorts de la vie. Choisissez librement ; le choix est irrvocable. S'il est

    mauvais, n'en accusez pas Dieu.

    Ces croyances avaient pntr dans le monde romain. De mme que Cicron dans le

    Songe de Scipion (ch. III), Ovide en parle en ses Mtamorphoses (ch. XV). Au sixime livre

    de l'nide, de Virgile, ne retrouve son pre Anchise aux Champs lysens et apprend de

    lui la loi des renaissances. Tous les grands auteurs latins disent que des gnies familiers

    assistent et inspirent les hommes de talentxxxiii

    . Lucain, Tacite, Apule, aussi bien que le Grec

    Philostrate, parlent frquemment, dans leurs uvres, de songes, d'apparitions et d'vocations

    des morts.

  • *

    * *

    En rsum, la doctrine secrte, mre des religions et des philosophies, revt des

    apparences diverses dans le cours des ges, mais partout la base en reste immuable. Ne dans

    l'Inde et en gypte, elle passe de l en Occident avec le flot des migrations. Nous la

    trouverons dans tous les pays occups par les Celtes. Cache en Grce dans les mystres, elle

    se rvle dans l'enseignement de matres tels que Pythagore et Platon, sous des formes pleines

    de sduction et de posie. Les mythes paens sont comme un voile d'or qui drape dans ses

    replis les lignes pures de la sagesse delphique. L'cole d'Alexandrie en recueille les principes

    et les infuse dans le sang jeune et imptueux du Christianisme.

    Dj l'vangile tait illumin par la science sotrique des Essniens, autre branche

    d'initis. La parole du Christ avait puis cette source, comme une eau vive et intarissable,

    ses images varies et ses envoles puissantes. Ainsi, partout, travers la succession des temps

    et les remous des peuples, s'affirment l'existence et la perptuit d'un enseignement secret, qui

    se retrouve identique au fond de toutes les grandes conceptions religieuses ou philosophiques.

    Les sages, les penseurs, les prophtes des temps et des pays les plus divers y ont trouv

    l'inspiration, l'nergie qui fait accomplir de grandes choses, et transforme mes et socits, en

    les poussant en avant dans la voie de l'volution progressive.

    Il y a l un grand courant spirituel qui se droule dans les profondeurs de l'histoire. Il

    semble sortir de ce monde invisible qui nous domine, nous enveloppe, et o vivent et agissent

    encore les Esprits de gnie qui ont servi de guides l'humanit et n'ont jamais cess de

    communiquer avec elle.

  • V. - LA GAULE

    La Gaule a connu la grande doctrine. Elle l'a possde sous une forme originale et

    puissante, et elle a su en tirer des consquences qui ont chapp aux autres pays. Il y a trois

    units primitives, disaient les Druides : Dieu, la Lumire et la Libert. Alors que l'Inde tait

    dj organise en castes immobiles, aux limites infranchissables, les institutions gauloises

    avaient pour bases l'galit de tous, la communaut des biens et le droit lectoral. Aucun des

    autres peuples de l'Europe n'a eu, au mme degr que nos pres, le sentiment profond de

    l'immortalit, de la justice et de la libert.

    C'est avec vnration que nous devons tudier les tendances philosophiques de la

    Gaule, car la Gaule est notre grande aeule, et nous retrouvons en elle, fortement accuss,

    toutes les qualits et aussi tous les dfauts de notre race. Rien, d'ailleurs, n'est plus digne

    d'attention et de respect que la doctrine des Druides, lesquels n'taient pas des barbares,

    comme on l'a cru tort pendant des sicles.

    Longtemps nous n'avons connu les Gaulois que d'aprs les auteurs latins et les

    crivains catholiques, qui doivent, juste titre, nous tre suspects. Ces auteurs avaient un

    intrt direct dnigrer nos aeux, travestir leurs croyances. Csar a crit ses Commentaires

    avec l'intention vidente de se rehausser aux yeux de la postrit : cette uvre fourmille

    d'inexactitudes, d'erreurs volontaires ; Pollion et Sutone le constatent. Les chrtiens ne voient

    dans les Druides que des hommes sanguinaires et superstitieux, dans leur culte que des

    pratiques grossires. Pourtant, certains Pres de l'glise, Cyrille, Clment d'Alexandrie,

    Origne, distinguent avec soin les Druides de la foule des idoltres et leur dcernent le titre de

    philosophes. Parmi les auteurs antiques, Lucain, Horace, Florus considraient la race gauloise

    comme dpositaire des mystres de la naissance et de la mort.

    Le progrs des tudes celtiquesxxxiv

    , la publication des Triades et des chants

    bardiquesxxxv

    nous permettent une plus juste apprciation des croyances de nos pres. La

    philosophie des Druides, reconstitue dans toute son ampleur, s'est trouve conforme la

    doctrine secrte de l'Orient et aux aspirations des spiritualistes modernes. Comme eux, ils

    affirmaient les existences progressives de l'me travers les mondes. Cette doctrine virile

    inspirait aux Gaulois un courage indomptable, une intrpidit telle qu'ils marchaient la mort

    comme une fte. Alors que les Romains se couvraient d'airain et de fer, nos pres se

    dpouillaient de leurs vtements et combattaient la poitrine nue. Ils s'enorgueillissaient de

    leurs blessures et considraient comme une lchet d'user de ruse la guerre : de l, leurs

    checs ritrs et leur chute finale.

    Ils croyaient la rincarnationxxxvi

    : leur certitude tait si grande qu'ils se prtaient de

    l'argent remboursable dans les vies venir. Aux mourants, ils confiaient des messages pour

    leurs amis dfunts. Les dpouilles des guerriers morts, disaient-ils, ne sont que des

    enveloppes dchires . A la grande surprise de leurs ennemis, ils les abandonnaient sur les

    champs de bataille comme indignes de leur attention.

    Les Gaulois ne connaissaient pas l'enfer. C'est ce dont Lucain les loue en ces termes,

    dans le chant I de la Pharsale :

    Pour vous, les ombres ne s'ensevelissent pas dans les sombres royaumes de l'rbe, mais

    l'me s'envole animer d'autres corps dans des mondes nouveaux. La mort n'est que le milieu

    d'une longue vie. Ils sont heureux, ces peuples qui ne connaissent pas la crainte suprme du

    trpas ! De l leur hrosme au milieu des sanglantes mles et leur mpris de la mort.

    Nos pres taient chastes, hospitaliers, fidles la foi jure.

    Nous trouvons dans l'institution des Druides la plus haute expression du gnie de la

    Gaule. Elle ne constituait pas un corps sacerdotal. Le titre de druide quivalait celui de sage,

    de savant. Il laissait ceux qui le portaient toute libert de choisir leur tche. Quelques-uns,

  • sous le nom d'eubages, prsidaient aux crmonies du culte, mais la plupart se consacraient

    l'ducation de la jeunesse, l'exercice de la justice, l'tude des sciences et de la posie.

    L'influence politique des Druides tait grande, et leurs vues tendaient raliser l'unit de la

    Gaule. Ils avaient institu, dans le pays des Carnutes, une assemble annuelle o se

    runissaient les dputs des rpubliques gauloises et o se discutaient les questions

    importantes, les graves intrts du pays. Les Druides se recrutaient par voie d'lection. Il

    fallait vingt annes d'tudes pour se prparer l'initiation.

    Le culte s'accomplissait sous la vote des bois. Tous les symboles taient emprunts

    la nature. Le temple, c'tait la fort sculaire, aux colonnes innombrables, aux dmes de

    verdure que les rayons du soleil percent de leurs flches d'or, pour se jouer sur les mousses en

    mille rseaux d'ombre et de lumire. Les plaintes du vent, le frmissement des feuilles

    l'emplissaient d'accents mystrieux qui impressionnaient l'me et la portaient la rverie.

    L'arbre sacr, le chne, tait l'emblme de la puissance divine ; le gui, toujours vert, celui de

    l'immortalit. Pour autel, des blocs assembls. Toute pierre taille est une pierre souille,

    disaient ces penseurs austres. Aucun objet sorti de la main des hommes ne dparait leurs

    sanctuaires. Les Gaulois avaient horreur des idoles et des formes puriles du culte romain.

    Afin que leurs principes ne fussent ni dnaturs, ni matrialiss par des images, les

    Druides proscrivaient les arts plastiques et mme l'enseignement crit. Ils confiaient la seule

    mmoire des bardes et des initis le secret de leur doctrine. De l, la pnurie de documents

    relatifs cette poque.

    Les sacrifices humains, tant reprochs aux Gaulois, n'taient, pour la plupart, que des

    excutions de justice. Les Druides, la fois magistrats et justiciers, offraient les criminels en

    holocauste la puissance suprme. Cinq annes sparaient la sentence de l'excution. Dans

    les temps de calamit, des victimes volontaires se livraient aussi en expiation. Impatients de

    rejoindre leurs ans dans les mondes heureux, de s'lever vers le cercle de flicit, les

    Gaulois montaient gaiement sur la pierre du sacrifice et recevaient la mort au milieu d'un

    chant d'allgresse. Mais ces immolations taient dj tombes en dsutude au temps de

    Csar.

    Teutats, Esus, Gwyon n'taient, dans le Panthon gaulois, que la personnification de

    la force, de la lumire et de l'esprit. Au-dessus de toutes choses, planait la puissance infinie

    que nos pres adoraient prs des pierres consacres, dans le majestueux silence des forts. Les

    Druides enseignaient l'unit de Dieu.

    Selon les Triades, l'me se forme au sein de l'abme, anoufn. Elle y revt les aspects

    rudimentaires de la vie et n'acquiert la conscience et la libert qu'aprs avoir t longtemps en

    proie aux bas instincts. Voici ce que dit le chant du barde Talisin, clbre dans toute la

    Gaule :

    Existant de toute anciennet au sein des vastes ocans, je ne suis point n d'un pre et d'une

    mre, mais des formes lmentaires de la nature, des rameaux du bouleau, du fruit des forts,

    des fleurs de la montagne. J'ai jou dans la nuit, j'ai dormi dans l'aurore ; j'ai t vipre dans le

    lac, aigle sur les cimes, loup-cervier dans la fort. Puis, marqu par Gwyon (esprit divin), par

    le sage des sages, j'ai acquis l'immortalit. Il s'est coul bien du temps depuis que j'tais

    pasteur. J'ai longtemps err sur la terre avant de devenir habile dans la science. Enfin j'ai brill

    parmi les chefs suprieurs. Revtu des habits sacrs, j'ai tenu la coupe des sacrifices. J'ai vcu

    dans cent mondes. Je me suis agit dans cent cerclesxxxvii

    .

    L'me, dans sa course immense, disaient les Druides, parcourt trois cercles auxquels

    correspondent trois tats successifs. Dans anoufn, elle subit le joug de la matire ; c'est la

    priode animale. Puis elle pntre dans abred, cercle des migrations, que peuplent les mondes

    d'expiation et d'preuves ; la terre est un de ces mondes.

    L'me s'incarne bien des fois leur surface. Au prix d'une lutte incessante, elle se

    dgage des influences corporelles et quitte le cycle des incarnations pour atteindre gwynfid,

  • cercle des mondes heureux ou de la flicit. L s'ouvrent les horizons enchanteurs de la

    spiritualit. Plus haut encore se dploient les profondeurs de ceugant, cercle de l'infini, qui

    enserre tous les autres et n'appartient qu' Dieu. Loin de se rapprocher du panthisme, comme

    la plupart des doctrines orientales, le Druidisme s'en loignait par une conception toute

    diffrente de la Divinit. Sa conception de la vie n'est pas moins remarquable.

    D'aprs les Triades, l'tre n'est, ni le jouet de la fatalit, ni le favori d'une grce

    capricieuse. Il prpare, difie lui-mme ses destines. Son but n'est pas la recherche de

    satisfactions phmres, mais l'lvation par le sacrifice et par le devoir accompli. L'existence

    est un champ de bataille, o le brave conquiert ses grades. Une telle doctrine exaltait les

    qualits hroques et purait les murs. Elle tait aussi loigne des purilits mystiques que

    des scheresses dcevantes de la thorie du nant ; elle semble cependant s'tre loigne de la