LEÇON 3 : LE MARCHE CONCURRENTIEL

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES Marc FIEVET leçons d’économie leçon 3 1 LEÇON 3 : LE FONCTIONNEMENT REEL DES ECONOMIES DE MARCHÉ MACRO-OBJECTIFS (dossier pédagogique de l’UE) 1. présenter et d’analyser de manière critique les principau x mécanismes économiques : l’offre et la demande sur les marchés ; 2. analyser et confronter les fondements des principaux mouvements théoriques (classique, néoclassique, ...) en saisissant leurs relations avec les phénomènes politiques et sociaux. OBJECTIFS : Au cours de cette leçon, l’étudiant va : 1. découvrir les différentes structures de marché ; 2. observer comment la fixation autoritaire des prix entraîne des perturbations sur le marché ; 3. analyser comment les taxes créent des effets pervers ; 4. étudier le principe de la discrimination des prix ; 5. découvrir la nature des marchés oligopolistiques ; 6. appréhender les notions de la théorie des jeux et ses applications à l’oligopole ; 7. examiner quelques stratégies possibles en oligopole ; 8. examiner quelques problèmes posés par la non-transparence du marché (information imparfaite) ; 9. appréhender la notion d'externalité ; 10. découvrir comment soit le marché, soit l’Etat peuvent résoudre les problèmes générés par les externalités ; 11. appréhender les notions de biens publics et biens collectifs ; 12. analyser la problématique de la consommation de biens collectifs. PLAN : SECTION 1 : STRUCTURES DE MARCHE. SECTION 2 : CONTOURNER LE MARCHE ? SECTION 3 : LES IMPERFECTIONS DES MARCHES SECTION 4 : LES EXTERNALITES SECTION 3 : BIENS PUBLICS ET BIENS COLLECTIFS POUR EN SAVOIR PLUS : Fiche de lecture 1/3 : LE MONOPOLE : QUI ET POURQUOI ? 2/3 : LA PROBLEMATIQUE DES CHOIX SOCIAUX

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

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LEÇON 3 : LE FONCTIONNEMENT REEL DES ECONOMIES DE MARCHÉ

MACRO-OBJECTIFS (dossier pédagogique de l’UE)

1. présenter et d’analyser de manière critique les principaux mécanismes économiques : l’offre et la demande sur les marchés ; 2. analyser et confronter les fondements des principaux mouvements théoriques (classique, néoclassique, ...) en saisissant leurs relations avec les phénomènes politiques et sociaux. OBJECTIFS : Au cours de cette leçon, l’étudiant va : 1. découvrir les différentes structures de marché ; 2. observer comment la fixation autoritaire des prix entraîne des perturbations sur le marché ; 3. analyser comment les taxes créent des effets pervers ; 4. étudier le principe de la discrimination des prix ; 5. découvrir la nature des marchés oligopolistiques ; 6. appréhender les notions de la théorie des jeux et ses applications à l’oligopole ; 7. examiner quelques stratégies possibles en oligopole ; 8. examiner quelques problèmes posés par la non-transparence du marché (information imparfaite) ; 9. appréhender la notion d'externalité ; 10. découvrir comment soit le marché, soit l’Etat peuvent résoudre les problèmes générés par les

externalités ; 11. appréhender les notions de biens publics et biens collectifs ; 12. analyser la problématique de la consommation de biens collectifs. PLAN : SECTION 1 : STRUCTURES DE MARCHE. SECTION 2 : CONTOURNER LE MARCHE ? SECTION 3 : LES IMPERFECTIONS DES MARCHES SECTION 4 : LES EXTERNALITES SECTION 3 : BIENS PUBLICS ET BIENS COLLECTIFS POUR EN SAVOIR PLUS : Fiche de lecture 1/3 : LE MONOPOLE : QUI ET POURQUOI ? 2/3 : LA PROBLEMATIQUE DES CHOIX SOCIAUX

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SECTION 1 : STRUCTURES DE MARCHE.

Objectif 1 : découvrir les différentes structures de marchés

Les modalités selon lesquelles se rencontrent offreurs et demandeurs d'un bien diffèrent selon

les STRUCTURES DE MARCHE, qui influencent la formation des prix. Nous avons vu lors de

la leçon précédente que les économistes classiques avaient adopté une classification

dichotomique de ces structures : d'une part la CONCURRENCE (qualifiée de "pure" ou

"parfaite"), et d'autre part le MONOPOLE.

Cette classification a prévalu jusqu'au début des années 1930; mais suite aux travaux

d'Edward CHAMBERLIN1 et de Joan ROBINSON2, elle a été progressivement étendue pour

tenir compte de la réalité économique, où les marchés prennent souvent des formes

intermédiaires entre la concurrence et le monopole ; en même temps, on a cessé de

considérer la concurrence parfaite comme un "must", le régime le plus satisfaisant du point

de vue social.

LA CONCURRENCE PARFAITE … UNE UTOPIE ???

Rappelons les caractéristiques d'un marché de concurrence parfaite : ATOMICITE DE

L'OFFRE ET DE LA DEMANDE, TRANSPARENCE DU MARCHE, HOMOGENEITE DES PRODUITS, MOBILITE

DES FACTEURS.

Le marché n’est pas « atomique ».

si les demandeurs sont fréquemment suffisamment nombreux, on retrouve des situations dans lesquelles ce

n’est pas le cas, entre autres coopératives de consommateurs, biens intermédiaires par des producteurs en

position de force, … ; du côté de l'offre, nombre d’entreprises se retrouvent en position dominante, ou

recherchent cette position ;

la transparence n'est pratiquement jamais réalisée.

en particulier, les consommateurs sont généralement mal informés sur le prix des biens ; les producteurs

peuvent profiter de cette ignorance pour augmenter impunément leurs tarifs ;

différenciation et hétérogénéité caractérisent la plupart des biens de consommation et

des services utilisés par les ménages.

le producteur d'une marque déterminée jouit d'un certain « monopole » ; bien que cette situation soit

précaire face à la concurrence, elle lui permet néanmoins d'exercer une certaine influence sur les prix.

la mobilité est loin d'être parfaite.

différentes barrières empêchent l'accès au marché des candidats producteurs : accès à la profession,

disponibilité des capitaux, numerus clausus, positions dominantes, ... En outre, si le capital (financier) est assez

mobile, il n'en va pas de même du facteur travail, notamment pour cause de formation et de qualification.

1 Edward CHAMBERLIN (1899-1967), économiste américain, Theory of Monopolistic Competition (1933) 2 Joan ROBINSON (1903-1983), économiste britannique, The Economics of Imperfect Competition (1933)

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DU MODELE DE CONCURRENCE AU MONDE REEL

Que constatons-nous dans la réalité ?

les positions dominantes (oligopoles) sont légion3, et les entreprises doivent anticiper les

actions et réactions de leurs concurrents ;

Les entreprises en position dominante sont dites PRICE-MAKERS.

les agents ne sont pas parfaitement informés ; l’information est souvent asymétrique et

coûteuse, et le prix sert parfois de seule référence pour juger de la qualité d’un produit ;

les externalités4 impliquent que les transactions ne tiennent pas compte de tous les

coûts et de tous les bénéfices ; de même, certains marchés peuvent ne pas exister (on

parle de marchés manquants, souvent comblés par les services publics), alors que dans

le modèle d’équilibre général, tous les marchés sont supposés exister ;

en outre, si les marchés concurrentiels assurent une allocation efficace des ressources, la

répartition des revenus qui en découle peut être socialement inacceptable.

STRUCTURES REELLES DE MARCHES « IMPARFAITS »

TABLEAU DE STACKELBERG5

Dem. offre Un seul vendeur Quelques vendeurs Grand nombre ..

Un seul acheteur Monopole bilatéral Monopsone contrarié Monopsone

Quelques acheteurs Monopole contrarié Oligopole bilatéral Oligopsone

Grand nombre Monopole Oligopole Concurrence parfaite

Type Condition(s) non respectées Commentaires

Monopole/Duopole Atomicité 1/2 offreur(s)

Oligopole Atomicité Quelques offreurs

Concurrence monopolistique Homogénéité Marques

Oligopole différencié Atomicité + homogénéité Quelques offreurs

Ces situations seront analysées ci-après.

3 « Catégorie intermédiaire entre la concurrence parfaite et le monopole, l'oligopole admet un nombre très varié de situations, ce qui rend

difficile une théorie unifiée simple ; il faut envisager la diversité des poids relatifs des divers concurrents et celle des comportements compétitifs. L'oligopole peut recouvrir aussi bien des collusions, dont la description relève du monopole, qu'une concurrence à couteaux tirés. À cet égard, il convient de noter que la concentration sur un marché donné ne réduit pas nécessairement la concurrence. (…) Sur les grands marchés internationaux, la structure est définitivement oligopolistique, et le pays d'origine des oligopoles est le plus souvent les États-Unis. En face, les gouvernements européens semblent avoir renoncé, au moins pour le moment, à sauvegarder l'atomicité des marchés ; au contraire, pour mieux résister à la concurrence internationale, ils ont été amenés à favoriser la concentration en oligopoles » (Encyclopaedia Universalis, article par M. LUTFALLA, www.universalis.fr) 4 Une externalité (ou effet externe) est un avantage ou un inconvénient (sans compensation monétaire) résultant pour une tierce personne d’une opération économique entre d’autres agents ; ce problème sera exposé dans la section 4. 5 Baron Heinrich von STACKELBERG (1905-1946), économiste allemand, Marktform und Gleichgewicht (structures de marché et équilibre) (1934).

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SECTION 2 : CONTOURNER LE MARCHE ?

Objectif 2 : observer comment la fixation autoritaire des prix entraîne des perturbations sur

le marché.

POURQUOI « EVITER » LES MECANISMES DU MARCHE ?

Le mécanisme du marché concurrentiel a suscité de très nombreuses critiques, notamment

parce qu'il ne prend pas en compte la notion de « justice sociale ». Ainsi, l'optimum de

Pareto (ou « walrasso-paretien ») peut parfaitement être atteint, alors que nombre de

consommateurs ne peuvent s'offrir certains biens parfois essentiels, pour cause de contrainte

budgétaire, tandis que d’autres, mieux nantis, nourrissent leur chat de caviar ou de foie gras.

Dès lors, certains ont imaginé CONTOURNER LE MARCHE, voire instaurer un système éludant les

mécanismes que nous avons décrit. L'idée est qu'un bon leader, armé d'une batterie

d'ordinateurs, peut planifier l'économie, et faire ainsi mieux que le marché.

L'exemple des pays de l’Europe orientale, et en particulier de l'ex-URSS6, a été

particulièrement édifiant à cet égard : toutes leurs économies ont été pendant des décennies

(URSS : 1917-1991) organisées comme des économies de pénurie, en ce sens que la

planification, en imposant des prix délibérément trop bas pour des biens courants, a créé des

excès de demande, et donc un rationnement des demandeurs.

Par ailleurs, des interventions étatiques peuvent très bien créer des excès d'offre,

comme la PAC7 dans l’Union Européenne (UE) : pour protéger les revenus des agriculteurs,

on a fixé des prix-planchers et des mécanismes de subvention qui n'incitent nullement à

restreindre l'offre, puisque le producteur est sûr d’écouler toute sa production à ce prix, d’où

alors la nécessité d’une politique de QUOTAS8. Et encore faut-il que la demande soit au

rendez-vous.

exemple typique : suite aux manifestations d’éleveurs en août 2015, dénonçant un prix trop bas pour le porc, le gouvernement français a fixé un prix plancher ; résultat : deux grands industriels refusent de participer à la cotation (au marché), qui est suspendue ; ils préfèrent le porc allemand ou espagnol, moins cher, et les éleveurs français se retrouvent avec des animaux … invendables et coûteux – situation pire qu’avant le prix-plancher.

Il est intéressant de se pencher à présent sur l'une ou l'autre application de la loi de l'offre et

de la demande : fixation autoritaire des prix, rationnement, fiscalité indirecte.

6 Un organisme d’Etat, le GOSPLAN, y décidait de toute l’activité économique, par le biais de plans quinquennaux qui imposaient à toutes les entreprises des objectifs de production purement quantitatifs, sans tenir compte des besoins réels et des préférences des consommateurs. Le plan décidait également de l’affectation des travailleurs, du niveau des salaires et des prix. Dans ce cadre, la monnaie nationale ne représentait qu’une simple unité de compte, et non un pouvoir d’achat réel. 7 PAC : Politique Agricole Commune, accordant des aides aux agriculteurs afin d’assurer la compétitivité de l’agriculture européenne, la sécurité des approvisionnements et un revenu décent pour les agriculteurs. En 2012, plus de 40% du budget de l’UE y était consacré, au détriment d’autres affectations, nécessitant une réforme … douloureuse. 8 Quotas qui font d’ailleurs l’objet d’un … marché, certains agriculteurs les revendant à d’autres.

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LA FIXATION AUTORITAIRE DE PRIX PLAFONDS

Un gouvernement veut garantir l’accès des moins nantis à certains produits de base, en fixant

d'autorité les prix maximum de vente (prix plafond). Prenons par exemple le cas du pain, et

imaginons que dans un contexte concurrentiel, son prix naturel d'équilibre soit de 1,25 €.

Notre gouvernement, estimant ce prix « socialement » trop élevé, le ramène arbitrairement à

1 €. La conséquence première sera que les boulangers vont fabriquer moins de pain (voir

plus du tout, si le prix fixé se situe SOUS la courbe d’offre, qui est une courbe de Cm) ; il y

aura distorsion entre l'offre et la demande (RATIONNEMENT DES DEMANDEURS : QS < QD).

p

S

E

1,25 €

D

1,00 €

QS QD Q

Pour tenter de résoudre ce problème, le gouvernement dispose en fait de trois solutions : LA

COERCITION, LA PLANIFICATION GENERALE DES PRIX, OU LE SUBVENTIONNEMENT.

Un dictateur peut se contenter d'imposer aux boulangers de produire un certain quota de

pains, en faisant fusiller ou emprisonner les récalcitrants ; il ne restera alors aux boulangers

qu'à essayer d'adapter leurs coûts au nouveau prix, en réduisant la qualité de leurs produits

(ersatz), en exploitant leurs ouvriers, ... Cette solution « politiquement incorrecte »

pénalisera tout un secteur de l'économie ; QUI demain voudra encore devenir boulanger ?

La seconde solution consiste à étendre le contrôle des prix sur les inputs (farine, produits

laitiers, matériel, énergie, salaires,...), et, pour ne pas les pénaliser outre mesure, sur les

produits alternatifs. Comme on le voit, cette solution tend effectivement vers une

PLANIFICATION GENERALE DES PRIX, y compris ceux des facteurs de production. Le marché

n'a plus alors aucun rôle à jouer dans la formation des prix. Cette solution implique une

surveillance totale de l'économie à l'aide d'une armée de fonctionnaires, afin d'éviter tout

dérapage. En outre, la fixation arbitraire des prix modifie la perception qu'ont les

consommateurs des prix relatifs, et donc leur comportement.

La troisième solution, qui apparaît à d'aucuns comme la plus simple, consiste à PAYER AUX

BOULANGERS UNE SUBVENTION égale à la différence entre le prix fixé et le prix naturel du

marché, soit 0,25 €. Remarquez que si c'est le producteur qui reçoit la subvention, c'est en

fait le consommateur qui est subventionné.

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p

S

E

1,25 €

Subv. D

1,00 €

QS1 QS2 QD Q

On constate que malgré la subvention (pour atteindre le prix naturel du marché), il reste un

excès de demande (QS a augmenté, de QS1 à QS2, mais QD n’a pas baissé). La question se

pose dès lors de savoir quels vont être les consommateurs comblés : les lève-tôt, ou les

copains du boulanger ? Ce qui est classique dans ce cas, c'est l'apparition d'un marché noir

où du pain pourra être acheté, mais à un prix supérieur à 1,25 € (c’est une application de la

notion de surplus du consommateur). De plus, le subventionnement génère des problèmes

d'ordre macro-économique, en particulier celui des finances publiques dans son

ensemble ; lorsqu'il s'agit de subsidier des produits de base, largement consommés, on se

heurte à la difficulté du mode de financement : soit il faut pénaliser d'autres secteurs, ou les

agents à haut revenu, par une fiscalité excessive, soit les pouvoirs publics recourent à

l'endettement, surtout extérieur, et les conséquences à long terme sur les variables macro-

économiques agitent tôt ou tard le spectre de la VERITE DES PRIX9.

Face à cet excès de demande, le rationnement, par exemple à l'aide de cartes, tel qu'on l'a

connu en temps de guerre, apparaît comme une issue socialement correcte, car il a le mérite

de réduire a priori les effets de l'inégale distribution des richesses. Par contre, il présente

l'énorme désavantage de restreindre la liberté de choix des individus : chacun reçoit une

carte de rationnement pour les différents produits disponibles, y compris pour ceux qu'il

n'apprécie pas. Un palliatif peut être trouvé, en transformant la carte en points d'achat et en

fixant ainsi en quelque sorte le montant du revenu que le consommateur peut affecter aux

produits rationnés ; leur prix est fixé non seulement en argent, mais aussi en points ; si l'on

constate qu'un produit est trop demandé, il suffit de monter son prix en termes de points, ce

qui n’est rien d’autre qu’un mécanisme de marché !!!

Ce système n'empêche pas le développement d'un marché parallèle qui ne présente pas

que des inconvénients, dans le sens où il incite les individus à travailler pour obtenir l'argent

nécessaire à ces achats complémentaires. Les problèmes posés par le marché noir sont

d'une part qu'il détourne des ressources productives du circuit normal, en y appauvrissant la

qualité de la production, et d'autre part qu'il accentue les inégalités sociales.

Le PLAFONNEMENT DES PRIX reste pour nos politiciens une mesure séduisante, car elle donne

l'impression que chacun peut ainsi s'offrir le bien ou le service concerné. Mais qu'en est-il

réellement ?

9 L’application de la « vérité des prix » sur des denrées alimentaires a par exemple généré de violentes émeutes au Maroc et en Tunisie en 1981 et 1984. Ce problème y reste d’actualité. En Tunisie, en 2010, la part de la subvention sur les principaux produits alimentaires variait de 30% à près de 60% (30% sur la baguette, 56% sur la semoule ; Institut National de la Statistique de Tunisie, juin 2013). En janvier 2014, le FMI (Fonds Monétaire International, leçon 9) recommandait encore à l’Algérie de supprimer les subventions aux produits alimentaires et énergétiques.

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LE LEURRE DU CONTROLE DES LOYERS10

Dans nombre de grandes villes de par le monde, des lois régissent le CONTROLE DES LOYERS.

Le cas est classique : la forte demande de logements, face à une offre souvent insuffisante,

fait monter les loyers à un niveau intolérable pour les classes défavorisées, voire même pour

les classes moyennes. Les responsables politiques fixent pour certaines catégories

d’immeubles un loyer-plafond (p2 dans notre graphique), permettant aux moins nantis de se

loger décemment. Néanmoins, en pratiquant de la sorte, on crée artificiellement de la rareté

(QD-QS) : = pénurie de logements !

p

S D S S’

E

p1

D

p2

QS QD Q QS* QS QD Q

Effet à court terme Effet à long terme

Pire : le problème va s'aggraver à long terme (graphique de droite).

En effet, alors que l'offre de logements est rigide à court terme, elle devient élastique à long terme (S ► S’) ; la

quantité d'appartements offerts au prix p2 baisse, car sans incitation les propriétaires ne sont pas encouragés à

investir à ce prix ; la pénurie se généralise (QD-QS*) ; on se rend compte que les locataires en place jouissent d'une

sorte de rente de situation, tandis que les propriétaires des immeubles au loyer non régulé bénéficient d’une rente

au sens ricardien du terme11, ce qui induit une inégalitaire répartition des richesses à leur profit.

En outre, il n’est pas rare, dans cette situation, de voir le propriétaire dont le bien se libère

« inciter » les candidats locataires à lui verser un dessous de table (pas-de-porte) pour être

l’heureux élu !!! La loi pénalise ainsi les plus pauvres, ceux qui n'ont pas les moyens de

payer un loyer élevé ou de s'acheter une habitation, les obligeant à s’installer en périphérie

avec chaque jour des heures passées en trajets inconfortables12.

On suivra avec intérêt l’expérience à nouveau menée à Paris dès 2015, où 25% des loyers de logements non

sociaux vont être plafonnés. Notre modèle prédit d’abord un afflux massif de candidats locataires, une rente de

situation pour ceux qui ont un bail, un désintérêt des propriétaires pour leur bien, et à terme une modification dans

la structure de l’offre de logements. Les politiciens, sûrs de leur fait, n’en ont évidemment cure …

10

Lisez à ce sujet l’article du Wall Street Journal du lundi 21 mai 1994, reproduit à la page suivante. 11 Dans ses « Principes d’économie politique et de l’impôt » (1817), Ricardo expose sa théorie de la rente foncière : la croissance durable de la population et donc de la production (alimentaire) fait monter le prix de la terre (qui devient relativement plus rare par rapport aux autres biens), et des loyers versés aux propriétaires, qui s’accaparent un part plus importante des revenus au détriment du reste de la population. Ce principe peut être aisément transposé dans nos économies contemporaines, notamment en matière de loyer dans les grandes zones urbaines, ou encore de prix de matières premières se raréfiant (pétrole, …). Sur de longues périodes, il induit une répartition du revenu plus inégalitaire, pouvant engendrer des problèmes économiques, politiques et sociaux. 12 Une solution consiste à construire du logement public à loyer modéré, mais en général le problème d’excès de demande subsiste et une forme d’injustice risque d’apparaître dans l’attribution de ces logements (clientélisme politique ou critères subjectifs).

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Portefeuille de lecture/3 : le contrôle des loyers

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Objectif 3 : analyser comment les taxes créent des effets pervers

LES EFFETS PERVERS DES TAXES SUR LA PRODUCTION

Jusqu'à présent, nous avons parlé du prix d'un bien en supposant qu'il était issu du

mécanisme de l'offre et de la demande. Or, dans la réalité, le prix à la consommation

inclut les taxes indirectes, imposées par les pouvoirs publics ; certaines de ces taxes

frappent directement la production, d'autres la transaction (telle la TVA). Pour comprendre

comment ces taxes vont affecter l'équilibre, voyons le marché d'un bien, où le prix d’équilibre

se situe à p1, et supposons que le gouvernement instaure sur ce produit une taxe fixe à la

consommation d'un montant t ceteris paribus.

p

D S D A S

p1+t

E p2 E

p1

p2-t

QD QS Q* Q

On comprend que le prix à la consommation ne va pas se fixer à (p1 + t), car à ce niveau, il y a un déséquilibre en

quantité (QS > QD), même en supposant que la taxe n'affecte en rien la courbe d'offre. La taxe réduisant les

quantités demandées, les producteurs vont devoir réduire leur production, en descendant sur leur courbe d'offre (

). Les producteurs vont recevoir un prix inférieur à p1 (p2-t), tandis que les consommateurs paient un prix p2,

inférieur à (p1+t) . = part de la taxe supportée par les producteurs.

La mesure dans laquelle p2 excède p1 dépend des élasticités respectives des

courbes.

Ainsi, si la courbe de demande est très inélastique, ou si la courbe d'offre est très élastique, le nouveau prix p2

incorporera la quasi-totalité de la taxe t ; dans ce cas, on dit parfois que les producteurs sont insensibles à la fiscalité.

C'est là une erreur de raisonnement, car les quantités demandées étant moindres qu'auparavant, les producteurs se

retrouvent avec des capacités excédentaires ; à plus long terme, la capacité de cette industrie sera réduite, afin de

retrouver un taux de return normal sur le capital ; les facteurs non mobiles (par exemple, les travailleurs peu

qualifiés) verront leurs revenus diminuer, ou subiront le chômage. Aussi longtemps que la taxe persiste, les

investissements dans cette branche resteront en dessous de leur seuil optimal. Une taxe à la production produit des

effets identiques, le fardeau fiscal étant partagé entre offreurs et demandeurs.

Les courbes de demande des biens indispensables sont relativement inélastiques, et la loi d’Engel montre

l’importance de ces biens dans les budgets modestes ; les taxes (TVA , …) sur ces biens seront dans une large mesure

économiquement à charge du consommateur, et sont de ce fait INJUSTES pour les ménages les moins bien nantis.

C’est pourquoi les biens alimentaires sont en général peu taxés, pour ne pas pénaliser les familles modestes … mais

les riches se nourrissent alors aussi à bon compte.

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10

UNE ALLOCATION DES RESSOURCES NON OPTIMALE

Il est maintenant intéressant d'utiliser les outils vus à la leçon 2, à savoir les SURPLUS DU

CONSOMMATEUR ET DU PRODUCTEUR, pour encore mieux comprendre les effets négatifs d'une

taxe. En reprenant le graphique précédent, nous constatons que la recette fiscale encaissée

par l'Etat est égale au montant de la taxe [p2- (p2-t)] multiplié par les quantités vendues

OQ*, soit la somme des rectangles B et D.

Or, sur un marché concurrentiel (prix p1), nous avions défini le surplus du

consommateur comme étant l'aire (A+B+C) et le surplus du producteur comme

étant l'aire (D+E+F)13.

A

p

S

p2 C

E D

p2-t F

Q* Q

+ = TAXE = surplus restant au consommateur

+ = perte de surplus. = surplus restant au producteur

L'application de la taxe fait passer une partie de ces surplus (B+D) dans la poche de l'Etat, mais engendre en

outre la perte de l'aire C pour le consommateur et celle de E pour le producteur, ce qui rend les pertes de bien-être

des agents supérieurs à la recette fiscale. Les agents ne peuvent réaliser l'intégralité des avantages qu'ils ont à

participer au marché, et celui-ci alloue les ressources de manière moins efficace.

Un dernier exemple typique est l’idée souvent émise de taxer très fortement les produits

de luxe, tels les fourrures, ou les voitures de sport, ce qui apparaît à la fois comme une

décision de bon sens (les riches ont de quoi payer) et comme un acte de justice sociale

(transfert des riches vers les pauvres). Mais que prédit notre modèle en cette matière ?

SI la demande pour ces types de biens est relativement élastique et que l'offre est relativement inélastique

(rigide), la charge fiscale reposera surtout sur les épaules des fabricants, et donc de leurs travailleurs! Voilà le

paradoxe : notre taxe sur les produits de luxe peut in directement frapper ... des ouvriers ! La situation sera

évidemment toute autre si la demande est relativement inélastique.

13 Revoyez ces concepts à la leçon 2

B

D

B

D

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11

SECTION 3 : LES IMPERFECTIONS DES MARCHES

Objectif 4 : étudier le principe de la discrimination des prix.

Note : le problème traité ici est celui du monopole discriminant. Le raisonnement peut

toutefois s'appliquer à d'autres formes de concurrence imparfaite.

DISCRIMINATION PAR LES PRIX : CLIENTS « DIFFERENTS » = PRIX DIFFERENTS !

La discrimination par les prix consiste essentiellement à imposer des prix différents par

catégories d’acheteurs, et ce pour un même bien ou service. Par exemple, les cinémas

vendent des billets à prix réduit aux étudiants ; les chemins de fer accordent des réductions

aux familles nombreuses, aux jeunes, aux retraités ... La discrimination se base donc sur les

caractéristiques particulières des demandes des acheteurs. La discrimination parfaite

consisterait à vendre chaque unité à un prix différent, en faisant payer à chaque acheteur le

prix le plus élevé qu'il est réellement prêt à payer. Il s'agit là d'une notion théorique utile,

mais qui n'existe pas encore dans la réalité.

Pour qu’une telle discrimination soit possible, il faut que le bien soit vendu sur des marchés

séparés, soit géographiquement, soit temporellement (exemples : tarifs basse ou haute

saison pratiqués en tourisme, tarifs semaine/week-end...), soit d'ordre socio-économique,

différentes catégories d'acheteurs ayant des revenus et des comportements différents.

DISCRIMINATION & MAXIMISATION DU PROFIT

On peut évidemment se poser la question du « pourquoi ? », car à première vue, une telle

discrimination semble aller à l'encontre de l'objectif de maximisation du profit (baisse de prix

= baisse de profit !). En fait, il n'en est rien : une discrimination bien étudiée peut au

contraire augmenter le profit du producteur ; celui-ci aura intérêt à segmenter son

marché en catégories de consommateurs ayant des caractéristiques de demande différentes.

BUT : CAPTER UNE PARTIE AU MOINS DU SURPLUS DU CONSOMMATEUR !

Diverses stratégies sont possibles. Ainsi, on peut imposer le même prix de base à tous les

consommateurs, tout en accordant des réductions à ceux qui achètent des quantités

importantes. Il est également possible aux entreprises de regrouper leur clientèle en

différentes catégories, et à imposer un prix différent à chacun des groupes ainsi

définis.

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Exemples : voyons comment un exploitant de cinéma peut accroître sa recette à partir de la

demande de deux catégories de consommateur :

Prix unitaire Etudiants et retraités Autres

QD RT Rm QD RT Rm

5,00 0 0 0 1 5 5

4,40 0 0 0 2 9 4

4,00 0 0 0 3 12 3

3,50 1 3,50 3,50 4 14 2

3,00 2 6 2,50 4 12 -2

2,50 2 5 -1 4 10 -2

Ce tableau montre qu'en pratiquant un prix normal de 3,50 € et un prix de 3 € pour les étudiants et les retraités,

le vendeur maximise sa recette totale à 20 € ; résultat avec un prix unique à 3,50 : RT=17,50 ; voyez le

raisonnement en recette marginale (Rm)14.

Attention : il n'est pas question d'accorder des réductions de prix qui, en accroissant les quantités demandées,

amèneraient le producteur à supporter des coûts marginaux croissants supérieurs aux recettes marginales ainsi

dégagées (en devant par exemple organiser une séance supplémentaire).

Prix du billet : 3,50 € - Etudiants et retraités : 3 € ; cette affiche ne constitue pas une

marque de philanthropie de la part de l'exploitant du cinéma, mais bien la recherche d'un

meilleur profit.

Autre exemple : dans les magasins de prêt-à-porter, les nouvelles collections sont mises en vente au prix fort, et

le commerçant sait toutefois qu'il n'écoulera pas toute la collection à ce prix ; qu'importe, puisque la saison se

clôturera par des soldes, qui constituent une forme de discrimination. La demande de ceux qui veulent être « à la

mode » est relativement inélastique, puisqu'ils sont prêts à « mettre le prix » ; par contre, ceux qui accordent moins

d'importance au fait de porter des vêtements dernier cri ont une demande plus élastique, plus sensible au prix, et ils

achèteront lors des soldes.

Toute discrimination repose sur l'élasticité-prix de la demande.

Dans les grandes compagnies aériennes, des dizaines de salariés armés de logiciels

sophistiqués calculent « au plus juste » les tarifs. Sur certains vols, on compte jusqu’à 12

tarifs différents en classe touriste, avec des écarts de 1 à 4 ou 5. Les critères pris en compte

sont notamment les prix pratiqués par la concurrence, le moment de la réservation, le jour du

vol, le délai entre l’aller et le retour (délai court = probablement homme d’affaires = tarif

élevé), le type de billet (échangeable ou non, …), mais surtout le « profil » de l’acheteur,

révélé de plus en plus précisément par les immenses bases de données que ces compagnies

nourrissent jour après jour. C’est sans doute un des marchés où les offreurs tendent vers

une réelle personnalisation du prix.

14

Nous avons vu le raisonnement à la leçon 2 : tant que la recette marginale (Rm) reste supérieure au coût marginal (Cm), le profit . Dans le cas d’un cinéma, le Cm (le coût d’un spectateur supplémentaire) est en principe nul. Donc, tant que Rm > 0, le profit s’accroît. Le tableau montre bien que pour chaque catégorie de spectateurs, le prix correspondant au profit optimal est celui qui donne une Rm encore positive.

Page 13: LEÇON 3 : LE MARCHE CONCURRENTIEL

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

13

Objectif 5 : découvrir la nature du marché oligopolistique.

Objectif 6 : appréhender les notions de la théorie des jeux et ses applications à l’oligopole.

LES MARCHES OLIGOPOLISTIQUES

Nous avons défini l’oligopole comme un marché sur lequel évolue un petit nombre de

firmes15, face à un très grand nombre de demandeurs. On parlera :

d’OLIGOPOLE DIFFÉRENCIÉ, lorsque les produits ne sont pas homogènes ;

d’OLIGOPOLE ASYMÉTRIQUE (PRICE LEADERSHIP), lorsqu’une entreprise domine les autres et

d’OLIGOPOLE MÉLANGÉ, s’il y a plusieurs price leaders.

Les entreprises oligopolistiques sont souvent des unités de grande taille, diversifiées,

planifiant et organisant leur croissance ; le progrès technique, la mondialisation et les

imperfections du marché obligent ces entreprises à s'adapter constamment, pour assurer leur

survie à long terme. Il est en général nécessaire qu’elle atteigne et maintenir une taille

suffisante, soit par autocroissance, soit fusions/absorptions, ce qui renforce le caractère

oligopolistique du marché. L'économiste K.W. ROTHSCHILD16 a écrit que la théorie de

l'oligopole a beaucoup à apprendre de l'ouvrage « De la Guerre » de CLAUSEWITZ17

Les problèmes auxquels ont à faire face les entreprises en situation d'oligopole sont

comparables à ceux qui se posent aux stratèges militaires. En effet, avant d'opter pour une

stratégie déterminée, les experts militaires doivent toujours se préoccuper des réactions des

adversaires potentiels ou réels. Il en va de même dans les marchés oligopolistiques ; chacun

doit surveiller ou prévoir les réactions des autres. Question : comment analyser les décisions

des agents ?

LA THEORIE DES JEUX ET LE DILEMME DU PRISONNIER

La THEORIE DES JEUX est une METHODE D'ANALYSE DES SITUATIONS D'INTERACTIONS

STRATEGIQUES, conçue par John von NEUMANN18. Cette théorie peut sans problème

s'appliquer à toutes sortes de jeux : situation à caractère politique ou social, conflit entre

entreprises, ...

Règles Stratégies Gain

Environnement économique, politique, social

maximisation du profit

législations

courbe de demande

technologie, coût des facteurs de production

Actions possibles sur

la production

les prix

la publicité …

Bénéfices ou

pertes

15

On utilise un indice de concentration, qui exprime la part de marché totale des quatre plus grandes sociétés du secteur. On considère qu’il y a oligopole si ce taux atteint au moins 40%. 16 Kurt Wilhelm ROTHSCHILD (1914-2010), économiste autrichien, Price Theory and Oligopoly, in Economic Journal, 1947. 17

Karl von CLAUSEWITZ (1780-1831), général et théoricien militaire prussien, Vom Kriege (1832) 18 John von NEUMANN (1903-1957), mathématicien americano-hongrois, pionnier de la conception des premiers ordinateurs et du « numérique » ; l’architecture « von Neumann » est toujours utilisée aujourd’hui. Theory of Games and Economic Behavior (1944 - avec Oskar MORGENSTERN, économiste américain, 1902 - 1977). Les prix Nobel 2005 Robert AUMANN (1930 – Université hébraïque Jérusalem) et Thomas SCHELLING (1921 – Université du Maryland) ont développé une théorie de « décision interactive », extension de la théorie des jeux, pour expliquer les conflits économiques.

Page 14: LEÇON 3 : LE MARCHE CONCURRENTIEL

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

14

Sur un marché oligopolistique, chaque entreprise sait que son profit dépend de sa production,

mais aussi de celle des autres. Chaque fois qu’elle prend une décision, elle doit s’interroger

quant aux réactions des autres firmes. Un jeu bien connu, le « DILEMME DU PRISONNIER »,

décrit certaines situations fondamentales du duopole, cas particulier d’oligopole (exemple :

Boeing – Airbus, …) ; il démontre notamment la difficulté de maintenir la coopération entre

les protagonistes.

Imaginons la situation suivante : le fringant Rudy et la belle Hélène ont été pris par la police

en flagrant délit de vol de voiture, pour lequel la peine encourue est de trois ans de prison.

Mais … il y a un cadavre dans le coffre, sans que les policiers n’aient là une preuve de leur

culpabilité. L'idéal serait que l'un des deux complices au moins avoue.

Les policiers les enferment dans des pièces séparées, et leur expliquent la situation : compte

tenu des soupçons qui pèsent sur eux, s'ils avouent le meurtre, ils prendront 15 ans de

prison. Si l'un avoue, en dénonçant l'autre, sa peine sera ramenée à un an, tandis que l'autre

écopera de 30 ans. Si aucun n'avoue, ils prendront 3 ans pour le vol de voiture. Ainsi sont

fixés les règles du jeu, les stratégies (avouer ou nier) et les « gains » (les années

de prison). Construisons la matrice des gains :

STRATEGIES DE RUDY STRATEGIES D'HELENE

AVOUER NIER

AVOUER HELENE 15 ans 30 ans

RUDY 15 ans 1 an

NIER HELENE 1 an 3 ans

RUDY 30 ans 3 ans

Chaque prisonnier se trouve ainsi confronté à un dilemme. Si chacun nie, ils ne prendront

que 3 ans. Mais voilà : l'autre niera-t-il ? CHACUN SE POSE DONC LA QUESTION DE L’ATTITUDE

DE L’AUTRE. Pour résoudre ce dilemme, il faut trouver l'équilibre du jeu, le concept le plus

utilisé étant celui de John F. NASH19. On appelle équilibre de NASH une configuration de

stratégies telle qu'aucun joueur n'a intérêt à modifier la sienne, étant donné celles adoptées

par les autres. Donc Hélène doit prendre la meilleure décision possible, compte tenu de la

décision de Rudy ; il en va de même pour ce dernier, mutatis mutandis. Mettons-nous à la

place d’Hélène, qui sait que sa sanction dépend en fait de la décision de Rudy :

s'il avoue, elle a aussi intérêt à avouer (sanction : 15 ans au lieu de 30) ;

s'il nie, elle a intérêt à avouer (sanction : 1 an au lieu de 3).

Chacun de nos prisonniers va ainsi avouer sa culpabilité, et sera condamné à 15 ans, ce qui

ne représente pas pour eux la meilleure solution, mais chacun sait que l'autre a tout intérêt à

avouer, pour éviter le pire (30 ans). Même s’ils se sont « promis-juré » de ne jamais avouer

s’ils étaient pris, la logique individuelle refera surface et les poussera à avouer. On voit bien

qu’une coopération est difficile, car irrationnelle du point de vue de chacun.

19 John F. NASH (1928-2015), mathématicien américain, professeur au MIT, prix Nobel d’économie 1994. Atteint de schizophrénie depuis 1957, sa vie a fait l’objet d’un film : « un homme d’exception » (2001).

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

15

APPLICATION AU DUOPOLE20

Supposons que l’approvisionnement en eau d’un village soit assuré par deux sociétés, A et B,

disposant chacune d’une source (DUOPOLE, qui est une forme particulière d’oligopole) ;

supposons pour la facilité du raisonnement que pomper cette eau ne leur coûte rien (le coût

marginal d’un litre d’eau est nul). La demande d’eau s’établit comme suit, aux différents

prix ; les coûts étant nuls, la recette totale cumulée des deux firmes est égale aux quantités

demandées x le prix.

Prix €/m³ QD m³ QS par chacun Profit de chacun Profit joint

20 20 10 200 400

18 30 15 270 540

16 40 20 320 640

14 50 25 350 700

12 60 30 360 720

10 70 35 350 700

8 80 40 320 640

6 90 45 270 540

4 100 50 200 400

Nous constatons que le profit maximum joint est atteint pour un prix de 12 €/m³. Nos deux

firmes auraient donc intérêt à s’entendre et opérer en situation monopolistique, en produisant

chacune 30 m³, faisant un profit de 360 €, et ce au détriment des consommateurs, le prix de

vente étant supérieur au Cm. Pour cela, il faudrait toutefois un accord contraignant. Sinon,

quel sera le raisonnement des protagonistes ?

PDG A : B produit 30m³, pourquoi pas en produire 40 ? Mais pour vendre 70m³, le prix

tombe à 10, je réalise néanmoins un profit de (40*10) = 400 €, mieux que 360 ! Toutefois,

appât du gain oblige, le PDG B raisonne de la même manière, la production passe à 80 m³,

le prix à 8, et chacun réalise un profit de 320.

PDG A : bon, produisons alors 50 m³ (production totale 90, prix à 6), je réalise un profit de

(50*6) = 300 … moins bien que 320 STOP !!! En passant de 30 à 40 m³, j’avais amélioré

mon profit, plus maintenant. La guerre des prix ne peut donc continuer. PDG B faisant

le même constat, ils vont donc maintenir leur production à 40 m³ chacun. Cette situation

constitue un équilibre de NASH, étant donné que si A produit 40 m³, la meilleure stratégie

de B est de produire aussi 40 m³, et vice-versa.

Nous voyons bien le dilemme entre la coopération, qui maximise le profit joint à 720, et la

poursuite de l’intérêt individuel, qui ne conduit de toute façon pas à une situation

concurrentiel, puisque en dehors des coûts de distribution, le PV devrait être nul (= Cm).

20 Cet exemple est tiré et adapté de G. MANKIW et M. TAYLOR, op. cit., p 411.

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

16

APPLICATION DE LA THEORIE DES JEUX : EXEMPLE GEOPOLITIQUE21

Le dilemme du prisonnier a été appliqué à toutes sortes de problèmes. N. G. MANKIW (op.

cit.) cite notamment la course aux armements et la publicité. Au temps de la guerre froide,

l’URSS et les USA (mais vous pouvez prendre d’autres pays en conflit latent) se sont posés la

question : course à l’armement (A) ou désarmement (D) ? Construisons la matrice des

gains :

USA

URSS

Armer Désarmer

A risque de guerre USA = faiblesse + risque URSS = puissance et protection

D URSS = faiblesse + risque USA = puissance et protection

Paix probable

On voit que si, par exemple, l’URSS s’arme, les USA ont intérêt à en faire autant pour éviter

de perdre à coup sûr une suprématie militaire ; si l’URSS désarme, les USA sont encore plus

gagnants. En tenant le même raisonnement, chaque pays a intérêt à s’armer au maximum.

Objectif 7 : examiner quelques stratégies possibles en oligopole.

COLLUSION ENTRE LES ENTREPRISES

Pour échapper à l’incertitude et dans l’espoir de maximiser leur profit, les firmes peuvent

opter pour la collusion, comme nous venons de le voir ; elles agissent alors collectivement

comme un monopole et se partagent les profits qui en découlent. Les TRUSTS22 et les

CARTELS représentent les formes les plus usitées. Le trust est une agglomération de

capitaux groupés sous une même direction, suite à des opérations de fusion entre

entreprises ; souvent la direction commune est assurée par une société holding, ou société

de portefeuille.

Au sein d'un cartel23, chaque entreprise conserve son indépendance juridique et financière,

mais passe avec d'autres entreprises du secteur des accords sur le prix24, ou une fourchette

de prix, sur les quantités produites (quotas), ou sur la répartition géographique des ventes.

21

Cités par G. MANKIW & M. TAYLOR, op. cit., pp 425 et svtes. R. AUMANN démontre que durant la guerre froide, la possession d’un arsenal nucléaire a évité une 3ème guerre mondiale. Par ailleurs, le problème du désarmement n’était pas de savoir combien « l’autre » détruisait de missiles atomiques, mais combien il lui en restait. Lors des négociations de Genève sur le désarmement (1985), les responsables américains firent appel à des spécialistes de la théorie des jeux afin de définir les meilleures stratégies. 22 Exemples : acier : US Steel ; électricité, média : General Electric ; voitures, chimie, atome, … : Mitsubishi. 23 Le cartel le plus « célèbre » est celui du pétrole, l’OPEP (organisation des pays exportateurs de pétrole), qui toutefois ne regroupe pas tous les pays producteurs ; par exemple, USA, Russie, Norvège, Grande-Bretagne n’en font pas partie. Il y en eu d’autres, tels que celui du café (pays exportateurs d’Amérique latine et d’Afrique) ou du cacao, tous ayant échoué à contrôler les prix. Dans le privé, citons De Beers, conglomérat diamantaire sud-africain, dont la domination sur le marché mondial a nettement diminué ces dernières années. 24

A. Smith écrivait déjà dans la Richesse des Nations : « Les membres d'une même industrie se rencontrent rarement par plaisir ou pour se divertir, mais leur conversation aboutit invariablement sur une conspiration contre l'intérêt général ou sur un accord pour augmenter leur prix. » (www.toupie.org/Citations/Smith.htm)

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

17

Le problème majeur de tout cartel est que chacun de ses membres a intérêt à poursuivre son

intérêt individuel et donc à tricher ; si tous les membres du cartel limitent leur production de

manière à fixer le prix, alors le « dernier membre » va se comporter en « passager

clandestin » ; il a intérêt à accroître sa production et donc son profit, pendant que les autres

supportent le prix de la collusion en limitant leur production.

Poussés par les lobbies de consommateurs, les USA25 puis l’Europe ont adopté des mesures

anti-cartel, prévoyant des amendes exorbitantes aux contrevenants. En Europe notamment,

le concept même de marché unique est incompatible avec l’idée d’un partage géographique

du marché. Malgré ces interdictions et les lourdes amendes, les cartels sont une réalité, ainsi

que vous le lirez en page 18.

La Commission Européenne lutte contre les cartels en utilisant la théorie des jeux, et plus

particulièrement le dilemme du prisonnier. En effet, lorsqu’elle décèle une suspicion de

cartel, elle promet aux repentants des amendes très réduites, comptant ainsi sur leurs aveux.

Et ça marche … En fin 2013, les 4 principaux grossistes en crevettes de la mer du Nord ont

été « dénoncés » par l’un d’entre eux, mis « sous pression », et ont écopé d’une amende de

29 millions d’euros pour s’être entendus sur les prix et les zones de chalandise sur le dos des

consommateurs.

PRICE COMPETITION …

De nombreuses controverses existent quant aux comportements d’entreprises

oligopolistiques. Voyons quelques exemples. Des producteurs imposent contractuellement

des prix de vente à leurs distributeurs, pour empêcher la concurrence entre eux. Légal ou

pas ?... Pas trop, semble-t-il ! Justifié ? Economiquement, pourquoi pas ! Le producteur

souhaite que les distributeurs offrent un niveau de service qu’une guerre des prix risquerait

de détériorer !

Quand sur un marché oligopolistique restreint un concurrent entre et arrive à se faire une

petite place, les grosses entreprises en place ont tendance à pratiquer des baisses de prix,

(prix de prédation). Anti-concurrentiel ou pas ? Oui, si cette politique vise à sortir au plus

vite le nouvel entrant. Mais est-ce si profitable ? A voir, car pour satisfaire la demande, elles

vont devoir produire plus (coûts en hausse), et donc risquer des pertes …

Dernier exemple : les ventes liées. Quand Microsoft intègre son navigateur internet dans son

système d’exploitation, pratique-t-il une vente liée - le consommateur étant obligé d’acheter

les 226 ? Le but est ici d’évincer d’autres producteurs de navigateurs, quand on sait que plus

de 90% des PC sont équipés de Windows ! Est-ce toujours le cas ? Les économistes sont

partagés sur la question.

25

Et depuis longtemps… en effet, aux USA, le « Sherman Anti-trust Act » de 1890 interdit aux dirigeants de firmes concurrentes de parler de la fixation des prix, où qu’ils se rencontrent (sic !). 26 Une action d’atteinte à la concurrence a été intentée par le Gouvernement américain à Microsoft en 1998. Le juge estima que Microsoft avait abusé de son pouvoir de marché, et il ordonna sa scission en deux entreprises, l’une vendant les systèmes d’exploitation, l’autre les logiciels. Le jugement fut réformé en appel, et le Gouvernement passa finalement un accord : Microsoft acceptait des restrictions sur ses pratiques, mais en étant autorisée à intégrer son navigateur à Windows.

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Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

18

Les cartels sont une réalité !!!

Portefeuille de lecture/4 : les cartels27

27 Pour plus d’informations sur l’action de la Commission européenne, voyez http://ec.europa.eu/competition/cartels/cases/cases.html

ANTITRUST: COMMISSION FINES TRUCK PRODUCERS € 2.93 BILLION FOR PARTICIPATING IN A CARTEL

Brussels, 19 July 2016

The European Commission has found that MAN,

Volvo/Renault, Daimler, Iveco, and DAF broke EU

antitrust rules. These truck makers colluded for 14 years

on truck pricing and on passing on the costs of

compliance with stricter emission rules. The Commission

has imposed a record fine of € 2.926.499.000.

http://www.lecho.be/actualité

Page 19: LEÇON 3 : LE MARCHE CONCURRENTIEL

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

19

… NON-PRICE COMPETITION & LOBBYING

Les stratégies envisagées jusqu’ici étaient basées sur le prix et la maximisation du profit.

Les producteurs de produits différenciés seront tentés de jouer chacun de leur côté,

en accentuant les différenciations premières : c'est là la philosophie du « non price

competition ».

les firmes automobiles basent leur publicité plus sur des concepts tels que la ligne, le confort, la sécurité,

l'équipement, la consommation, plutôt que sur le seul prix de vente. Cela satisfait-il toutefois le consommateur ?

Pas nécessairement !

alors que les « monopoles publics » de télévision maintiennent des programmes à faible audience (programmes

culturels, musique classique, sports peu populaires, programmes éducatifs, ...), les chaînes à caractère

oligopolistique standardisent leurs programmes « pour faire de l'audimat »28 : le nivellement par le bas aux heures

de grande écoute, les quelques rares émissions intéressantes après 23 h. Explication : si 5% de la population veut

de la culture et 95% une série, les quelques chaînes qui se partagent le marché passeront toutes une série, car

chacune sait qu'elle peut espérer faire à cette occasion plus de 5 points d'audimat. Le monopole fournit un produit

pour la minorité29, l'oligopole ignore cette même minorité.

Enfin, les oligopoles puissants agissent sur le plan politique ; citons Rothschild30 : « The

oligopolistic struggle for position and security includes political action of all sorts right up to

imperialism. The inclusion of these ‘non-economic’ elements is essential for a full explanation

of oligopoly behaviour and price ». Ils rémunèrent de nombreux lobbyistes qui font pression

sur les gouvernements et les parlementaires afin que soient votées des lois en leur faveur ou

au contraire que ne soient pas votées des lois contraignant leurs activités31.

Objectif 8 : examiner quelques problèmes posés par la non-transparence du marché

(information imparfaite)

INFORMATION IMPARFAITE

Que se passe-t-il lorsque l’hypothèse de la transparence du marché (agents économiques

parfaitement informés) est levée ? Est-ce là une cause importante de dysfonctionnement

du modèle, et si oui, avec quels types d’erreurs ? Voyons quelques éléments de réponse.

L’INFORMATION EST UN BIEN pour lequel il existe un marché, les agents étant prêts à payer

pour en obtenir. Nous vivons dans une « économie de l’information », dont le traitement

est indispensable ; les responsables marketing étudient les marchés potentiels, les banquiers

doivent juger de la solvabilité des emprunteurs, ….

28

Dès que le budget d’une chaîne publique dépend également de la publicité, on assiste au même phénomène, qui est encore accentué par l’existence de chaînes thématiques payantes. 29 à titre d’exemple, la part de marché de la chaîne culturelle ARTE atteignait seulement 1,3% en 2010 en Fédération Wallonie-Bruxelles - Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, www.csa.be 30 Kurt Wilhelm ROTHSCHILD, Price Theory and Oligopoly, in Economic Journal, 1947, p 319 31 On dénombre à Bruxelles au moins 15.000 personnes travaillant dans ce domaine (http://www.brusselsmetropolitan.eu)

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

20

Toutefois, ce marché est imparfait ; l’information étant un bien assez différent de

beaucoup d’autres ; il y a, bien plus que sur d’autres marchés, un problème de crédibilité vis-

à-vis du « vendeur »: son information est-elle exhaustive et fiable ?

INFORMATION ASYMETRIQUE32

Supposons que je veuille vous vendre la maison que j’ai fait construire voici 20 ans, dans

laquelle je vis depuis lors. Elle recèle certainement des imperfections, voire quelques défauts

« cachés » ; je les connais, vous non. Et si je vous vends ma voiture, est-ce parce que je

souhaite changer de modèle, ou parce que c’est une mauvaise voiture qui me cause bien des

soucis ? Je le sais, pas vous ! Le vendeur que je suis détient plus d’informations que

l’acheteur. Les économistes disent qu’il y a là une INFORMATION ASYMETRIQUE ; ces cas

sont nombreux : à l’embauche, le candidat se connaît mieux que son futur employeur, qui lui

sait des choses sur la vraie nature du travail … ; l’emprunteur en sait plus sur ses capacités

de remboursement que le prêteur, qui connaît mieux les termes du contrat, …

MARCHES ETROITS & SELECTION ADVERSE

Quel est l’impact de ce phénomène sur le marché ? Réponse : les offreurs comme les

demandeurs risquent d’être moins nombreux que sur un marché transparent : on parle de

MARCHE ETROIT.

Tel peut être le marché des voitures d’occasion : l’acheteur incapable de faire la distinction entre une « bonne »

et une « mauvaise » voiture renoncera à en acheter une. Conséquence : si les acheteurs sont rares, la demande va

baisser, et donc, toutes choses égales par ailleurs, le prix aussi33. Un prix bas va inciter certains propriétaires de

voitures en bon état à ne pas vendre34, et la qualité moyenne des voitures d’occasion sur le marché va diminuer ; on

appelle cela un EFFET DE SELECTION ADVERSE (la sélection des biens sur le marché va à l’encontre de l’intérêt des

acheteurs).

Autre exemple sur le marché de l’assurance : si une compagnie d’assurance augmente ses primes, les « bons »

clients (ceux qui n’ont pas ou très peu de sinistres) risquent de résilier leur contrat, et la structure de la clientèle

évoluera défavorablement pour cette compagnie.

Pour éviter ces distorsions, une solution consiste pour le vendeur à convaincre l’acheteur

potentiel que le produit est bon, via un « signalement ».

Le vendeur de voitures d’occasion (professionnel) donnera une garantie qui rassurera l’acheteur ; celui-ci pense

alors que le vendeur ne lui refilera pas un « mauvais » véhicule, car l’application de la garantie lui coûterait très cher.

L’agent non informé peut aussi agir pour obtenir l’information, par exemple en demandant que le véhicule soit

contrôlé par un expert. Et si le vendeur refuse ...

32

Cette notion apparaît dans un article de l’économiste US Georges AKERLOF (1940 – prix Nobel 2001) publié dans le Quarterly Journal of Economics en 1970, The market for « lemons » (lemon = voiture d’occasion). 33 Cela explique partiellement pourquoi certains biens, comme les voitures, perdent très vite de la valeur. 34

Cela correspond à une courbe de demande coudée, telle que l’a montré G. Akerlof ; une telle courbe est relativement élastique au-dessus d’un certain prix p1, et devient inélastique en-dessous ; le prix peut baisser, les quantités demandées n’augmentent plus. (Robert Hall and Charles Hitch, « Price Theory and Business Behaviour », Oxford Economic Papers, 1939, pp.12 à 45)

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

21

ALEA MORAL35

L’aléa moral décrit une situation dans laquelle un agent économique, isolé d’un risque, est

amené à se comporter d’une manière différente que s’il était exposé à ce risque, autrement

dit d’une manière inadaptée voire malhonnête.

Exemples :

l’assurance : l’assuré n’est nullement incité, a priori, à éviter le dommage ;

l’entreprise : l’actionnaire n’est pas responsable du comportement non éthique de la société dont il tire des

bénéfices ; le producteur subventionné augmentera sa production, ou ne fera pas les restructurations

nécessaires …

Le problème est une asymétrie d’informations, qui peut être temporelle : nous reportons sur

les générations futures les problèmes que nous ne voulons pas résoudre aujourd’hui.

Les produits dérivés fournissent un bon exemple. Pour faire simple, dans un système d’assurance « logique », les

agents assurent ce qu’ils ont, par exemple leur voiture. Avec les « dérivés », il est possible d’assurer un bien que l’on

ne possède pas. Le fils de mon voisin vient d’obtenir son permis, s’est acheté une rutilante voiture, et roule comme

un fou… Je vais « assurer sa voiture », car il y a de fortes chances qu’il la « crashe ». Si tel est le cas, j’empoche la

valeur de la voiture. Si j’ai conseillé à 50 de mes amis de faire pareil, la compagnie d’assurance paiera 52 fois la

valeur du sinistre. Deux questions : pourquoi cela est-il autorisé ? Réponse : parce que le système n’est pas régulé.

Pourquoi est-ce possible ? Réponse : « parce que des gens vont gagner du fric» : les courtiers empochent les

commissions, les compagnies d’assurance font au départ de plantureux bénéfices, et les bonus de leurs patrons et

cadres sup grimpent en flèche … Rien n’arrête le système, sauf un beau jour la faillite … Comme nous le verrons,

c’est là une des causes de la crise dite des « subprimes », qui déstabilise notre système économique depuis 2008, et

trouve son origine aux USA dès le milieu des années 1990 dans les pratiques bancaires et assurancielles. Entre 2000

et 2008, la plupart des CEO des grandes banques et compagnies d’assurance US se sont « fait » entre 300 et 600

millions de $ !

Depuis cette crise, l’Etat belge garantit les dépôts bancaires des épargnants à concurrence de 100.000 € par

personne et par banque. Cette mesure, apparemment bonne, n’incite pas les épargnants à s’inquiéter de la solidité

des banques dans lesquelles ils placent. Pire, ceux qui disposent de montants importants ont réparti leurs comptes

sur plusieurs banques, de manière à garantir le total de leurs avoirs. Il y a bien aléa moral. Quand à nombre de

banquiers, ils savent qu’ils sont « trop grands pour faire faillite » (too big to fail), autre aléa moral.

Les solutions sont d’abord d’ordre légal. L’Etat légifèrera pour contrôler les banques36, ou

encore pour responsabiliser les administrateurs et les actionnaires des sociétés. On appelle

cela des INCITATIONS37. C’est sans aucun doute dans cette fonction de « régulateur » que

l’Etat justifie ses interventions au sein d’une économie libérale.

Les solutions peuvent être contractuelles : les compagnies d’assurance intègreront dans leurs

contrats des clauses de non intervention ou des pénalités dès lors qu’elles constateront des

abus, … .

35 L’expression est due à Adam SMITH (« moral hazard »). 36

Par exemple pour les empêcher de devenir « trop grandes pour faire faillite » (too big to fail). 37 En fait, tout est incitation : lorsque l’Etat dérégule les marchés financiers, comme dans les années 1980, il donne des incitations … qui vont dans le mauvais sens !

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22

SECTION 4 : LES EXTERNALITES.

Objectif 9 : appréhender la notion d'externalité.

LE MARCHE … PAS TOUJOURS EFFICIENT ?

Le mécanisme de marché constitue apparemment une manière efficace d'allouer les

ressources de façon optimale, et donc d'organiser au mieux l'activité économique. Or, force

est de constater que dans la réalité quotidienne, il n'en va pas toujours ainsi. Pour

comprendre cela, prenons l'exemple du marché d'un bien produit par l’industrie chimique.

Sur ce marché, les courbes d'offre et de demande reflètent respectivement d'une part les

coûts supportés par les producteurs, et d'autre part, la valeur accordée à ce bien par les

consommateurs ; la confrontation des deux courbes détermine les prix et quantités

d’équilibre, qui maximisent la somme des surplus des producteurs et des consommateurs.

Mais depuis les catastrophes de Seveso38, Bhopal39 et Toulouse40, entre autres, nous savons

que ces usines sont non seulement polluantes, mais également très dangereuses pour leur

environnement. Cet « apport », dont on se passerait bien, s'appelle en économie une

EXTERNALITE, négative dans ce cas. En fait, l'effet de cette externalité négative est

de rendre le coût social de la production supérieure au coût privé reflété par la

courbe d'offre ; il faut ajouter à celui-ci le coût public de la pollution et du danger supporté

par les riverains (ex. : coûts générés par la probable augmentation du nombre de maladies

graves au sein de la population concernée).

P coût social

D coût public

E* S

E

p1

Q1 Q

38

Seveso, ville lombarde, a été victime le 10 juillet 1976 d’une catastrophe industrielle à la dioxine : des milliers d’animaux morts ou à abattre, des terres agricoles inutilisables … Seveso est le nom d’une directive européenne (1992) qui oblige les Etats membres à recenser les sites industriels à risques majeurs (dits sites « Seveso ») et à mettre en place moyens de prévention et plans d’urgence. 39

Bhopal, ville du centre de l’Inde, a été victime le 3 décembre 1984 de l’explosion d’une usine de pesticides qui a rejeté dans l’atmosphère 40 tonnes d’un gaz toxique. Plusieurs milliers de morts (8.000 ?) dont près de la moitié dans les années suivantes. 40 Explosion à Toulouse de l’usine AZF, productrice d’engrais, le 21 septembre 2001 ; 31 morts, 2.500 blessés, nombreux dégâts matériels.

Page 23: LEÇON 3 : LE MARCHE CONCURRENTIEL

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

23

Objectif 10 : découvrir comment soit le marché, soit l’Etat peuvent résoudre les problèmes

générés par les externalités.

REVENIR A L’OPTIMUM !

Alors que (p1,Q1) représente en E l'équilibre du marché, E* représente l'optimum ; il serait

en effet logique que les coûts de production incluent les COÛTS EXTERNES. Une réduction de la

production et de la consommation accroîtrait le bien-être général. Une solution pour

atteindre cet optimum serait de taxer les producteurs ; la courbe d'offre est alors poussée

vers la gauche, jusqu'à coïncider avec la courbe de coût social. Ce n'est toutefois pas là le

seul remède, comme nous allons le voir.

Un bon exemple est celui de la production d’électricité, soit à l’aide de combustibles classiques (fuel, …), soit à

l’aide d’énergie éolienne ou solaire. Force est de constater qu’en terme de coûts (S D ► p1), la première solution

est moins onéreuse que la seconde.

énergie polluante énergie propre

p

S’

D S D S

S’’

E* subv.

p2 taxe p1 E

p1 E E*

p2

Q

Par contre, dès lors que l’utilisation des combustibles fossiles génère de la pollution, on constate que le coût social

(p2) est plus élevé que le coût privé de chacune des solutions ! On peut envisager une taxation de la production par

combustibles, qui porte la courbe S en S’, ou encore un subventionnement de la production de l’énergie « propre »,

qui fait passer S en S’’. Nous constatons que l’allocation est ainsi plus efficace.

Les externalités à la production sont parfois positives, notamment dans le domaine

technologique. L'exemple du transistor41 est typique : il a permis la mise au point de

nouveaux produits et d'abaisser le coût de nombreux autres ; l'ensemble de la société a ainsi

reçu un avantage positif externe ; le coût social est ici inférieur au coût privé42.

41

inventé en 1948 dans les laboratoires Bell (USA) et qui valut à ses inventeurs Bardeen, Brattain et Schockley le prix Nobel de physique en 1956. 42 Soulignons ici le raisonnement de certaines grandes firmes dans le débat « idéologique » sur l’impôt des sociétés (le dumping fiscal entre les pays et l’ingénierie fiscale des multinationales) : par exemple, GOOGLE estime qu’il est tout-à-fait normal de payer peu d’impôt sur ses gigantesques bénéfices compte tenu de l’externalité positive générée par son moteur de recherche et ses services. Cohérent ou pas ? Voilà un beau sujet de réflexion …

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

24

LES EXTERNALITES : A LA CONSOMMATION AUSSI !

Il existe également des externalités à la consommation. Par exemple, l'alcool, la drogue et le

tabac génèrent des externalités négatives : risques liés à la conduite en état d'ivresse ou

sous l’influence de stupéfiants, tabagisme « passif », maladies liées à ces consommations

entraînant des coûts à charge de la sécurité sociale. Dans ce cas, la valeur sociale est

inférieure à la valeur privée, représentée par la demande.

A l'inverse l'éducation génère des externalités positives; une population mieux formée

et plus cultivée constitue une source de richesse pour tous. La valeur sociale est ici

supérieure à la valeur privée.

SOLUTION PAR LE MARCHE : LE THEOREME DE COASE

Existe-t-il d'autres solutions aux externalités que la taxation et la subvention, par exemple

des solutions « privées » ? Les pouvoirs publics peuvent-ils apporter d'autres solutions ?

On pourrait tout d'abord penser que les agents économiques développent eux-mêmes des

solutions, par exemple à travers un code moral (je m'abstiens de fumer en public, je ne bois

pas quand je conduis, je trie mes ordures et ne les déverse pas n'importe où, ...). Il semble

hélas que l'individualisme qui gouverne nos sociétés ait fortement estompé ces normes.

On pourrait ensuite imaginer que le marché apporte des réponses par un système

contractuel. C'est là le sens du théorème de COASE43, qui affirme que si les agents

participant à l’échange peuvent négocier sans coût l’allocation des ressources, alors

ils peuvent résoudre le problème des externalités.

Supposons que sont présents dans une pièce Pierre, fumeur et Anne, non-fumeuse. Au-delà de toute

considération « philosophique », la comparaison par un « planificateur » entre l’avantage que retire Pierre de sa

cigarette et le « coût » de supporter la fumée que subit Anne mène à l’équilibre : si l’avantage excède le coût, Pierre

pourra fumer, dans le cas contraire il ne pourra pas. Selon le théorème de COASE, Anne pourrait payer Pierre pour

qu’il ne fume pas ; il faudra pour cela que la somme qu’elle lui propose soit supérieure à l’avantage qu’il retire de sa

cigarette ; si Pierre estime son avantage à 2 € et Anne son désagrément à 4 €, alors elle donnera à Pierre 2,01 €, et

leur situation à tous deux s’améliorera.

Si l'Etat accorde effectivement au fumeur un droit de fumer (un droit sur l'air), alors il est

toujours possible au non-fumeur de lui payer un dédommagement suffisant pour qu'il renonce

à fumer, Selon R. COASE, la définition des droits de propriété permet bien d'atteindre

l'efficience économique, mais en outre, la façon dont ces droits sont définis n'influence que la

distribution du revenu (qui paie à qui ?) et n'a aucun effet sur l'efficience. L’attribution des

droits est donc une question purement normative44 !

43 Ronald COASE (1910-2013), professeur à l'Université de Chicago, Prix Nobel 1991 44 Nous en discuterons à la section 3.

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

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L'avantage du théorème de COASE, c'est que les pouvoirs publics n’y jouent qu’un rôle très

restreint, puisque c'est un mécanisme de marché (le contrat) qui permet d'atteindre

l'optimum. Néanmoins, sa portée est limitée : il n’est vérifié que s’il n’y a pas de coûts de

transaction (par exemple des frais d'avocat ou de médiateur) et pas d’imperfection de

l’information. De plus, il n’est jamais possible de préciser totalement les droits de propriété,

contraints par des facteurs environnementaux, sociaux, …. La négociation elle-même peut

s'avérer compliquée, surtout si le nombre de participants est élevé, et pendant ce temps

l'externalité persiste.

TAXES PIGOVIENNES & PERMIS DE POLLUER

La solution la plus courante consiste donc à internaliser l'externalité par un système de

TAXES, appelées « PIGOVIENNES »45. Pratiquement, une telle taxe revient à définir un

prix pour le droit de polluer ; elle augmente le coût de la pollution (PRINCIPE DU POLLUEUR

- PAYEUR) et incite à développer des technologies propres.

Or, j'ai affirmé plus haut qu'une taxe perturbait le mécanisme de marché. Paradoxe ? Non :

en fait, j'ai montré qu'une taxe « normale » générait une recette fiscale inférieure à la perte

de surplus chez les agents ; il n'en va pas de même ici, puisque notre taxe pigovienne

cherche, en la présence d'externalités, à pousser le marché vers l'optimum social qu'il ne

peut atteindre sans elle, puisque les externalités provoquent des pertes de surplus. Les

économistes considèrent par ailleurs que la taxe est plus efficace que toute réglementation.

Une usine rejette 100 T de polluants dans l’atmosphère ; si l’Etat réglemente le rejet de polluants à 80 T

maximum, l’industriel sera incité à s’y conformer, mais sans plus. Si l’Etat impose une taxe de 5.000 €/tonne, alors

notre industriel, dans la recherche du coût minimum, aura intérêt à trouver des solutions pour polluer le moins

possible, donc sous les 80 T si possible !

Une autre solution est apparue plus récemment : celle des PERMIS DE POLLUTION

NEGOCIABLES.

Imaginons que l'Etat réglemente le rejet de déchets d'un secteur industriel, le fixant à 10 T/an/usine. L'usine X a

besoin de pouvoir rejeter 12 T/an ; sa voisine, l'usine Y, dispose d'une technologie innovante lui permettant

d'abaisser ses rejets à 8 T/an. La solution apparaît clairement : Y VA VENDRE A X UN PERMIS DE POLLUER DE 2T/AN POUR UN

PRIX A NEGOCIER.

Du point de vue de l'efficacité économique, cette solution est satisfaisante : si nos entreprises

passent un tel accord, c'est qu'elles y trouvent toutes deux un réel avantage, tandis que le

niveau admis de pollution est respecté. Ces permis feront ainsi l’objet d’un marché,

gouverné par les forces de l’offre et de la demande. La logique est pratiquement identique à

celle du théorème de COASE : les entreprises qui peuvent réduire leur pollution à faible

coût vendront leurs permis de polluer à celles pour qui la réduction de la pollution à un prix

exorbitant.

45 Faisant référence à son initiateur, Arthur C. PIGOU, The Economics of Welfare (1920), voyez leçon 1.

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Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

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Portefeuille de lecture/5 : les permis de polluer

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

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SECTION 5 : BIENS PUBLICS & BIENS COLLECTIFS.

Objectif 11 : appréhender les notions de biens publics et biens collectifs.

D’INTERESSANTES DISTINCTIONS

Jusqu’à présent, à la question « que produire ? », nous avons répondu par « le marché

fournit les biens que le consommateur désire ». Toutefois, divers arguments

développés au cours de cette leçon nous ont convaincus que le marché peut être déficient,

car d’une part les agents économiques se soucient peu des conséquences que leurs choix font

peser sur les autres, et d’autre part ils ne produisent jamais certains biens et services

pourtant nécessaires à la collectivité, mais non rentables sauf à les vendre à un prix

incompatible avec leur utilité sociale. C’est là que l’Etat intervient. Pour comprendre cela,

nous pouvons classer les biens et les services en fonction de deux caractéristiques :

L’EXCLUSIVITE (ou rivalité d’usage) : un agent qui utilise le bien nuit-il à son utilisation

par un autre ?

LA CONFISCABILITE : peut-on empêcher un agent d’utiliser le bien ?

Confiscable

Exclusif

OUI NON

OUI BIENS PRIVES BIENS COLLECTIFS

NON MONOPOLES NATURELS BIENS PUBLICS

LES BIENS PRIVES, par exemple votre voiture ; il est possible d’empêcher son utilisation

(confiscable) ; dans un monde de rareté, si vous achetez (= consommez) cette voiture,

elle est indisponible pour un autre agent (exclusive) ;

LES BIENS PUBLICS, comme la défense nationale ; elle existe pour tous (y compris les

antimilitaristes – non confiscable) et le fait de protéger un citoyen ne diminue a priori pas

la protection des autres (non rivalité d’usage) ;

LES BIENS COLLECTIFS (OU RESSOURCES COMMUNES), telle une route embouteillée :

personne ne peut vous empêcher de l’emprunter (non confiscable, sauf péage, mais ce

n’est plus un bien collectif) ; toutefois cela nuit aux autres, puisque vous contribuez à sa

saturation (rivalité d’usage) ;

LES MONOPOLES NATURELS, comme une route à péage où la circulation est fluide, ou encore

le câble TV (non rivalité d’usage, mais confiscable).

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ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

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Objectif 12 : déterminer pourquoi le marché ne peut fournir les biens publics demandés.

LE PROBLEME DU « PASSAGER CLANDESTIN » OU LA NECESSITE DE BIENS PUBLICS

Pourquoi opérer une distinction entre biens privés et biens publics ? La réponse est simple :

le bien public ne pourra a priori être produit par une entreprise et offert sur le

marché « classique », et cela à cause d’un problème connu sous le nom de

« PASSAGER CLANDESTIN » (free-rider, que l’on pourrait aussi traduire par « resquilleur »).

Le bien public étant ni exclusif, ni confiscable, chacun peut l’utiliser à sa guise, en quelque

sorte. Imaginons de confier l’organisation de la défense nationale à une entreprise privée.

Comment va-t-elle faire payer la participation des citoyens dès lors que ceux-ci comprendront

très vite qu’ils peuvent en bénéficier sans payer ??? En effet :

si je ne paie pas et que les autres paient, je serai de toute façon protégé ;

si les autres ne paient pas, ma maigre participation ne changera rien, car nous n’aurons

pas de défense nationale.

Conclusion : j’ai de toute façon intérêt à ne pas payer ma participation, et donc à me

comporter comme un « passager clandestin ».

Dans ces conditions, on comprend l’inefficience du marché dans ce domaine ; c’est la

faute à une externalité, celui qui ne paie pas en profite. Si l’on veut une défense nationale,

l’Etat doit la mettre sur pied, en faisant payer un impôt aux citoyens et/ou en exigeant

éventuellement d’eux un service militaire. En fait, la situation de chacun sera améliorée si le

bénéfice social de la défense est supérieur à son coût.

Objectif 13 : analyser la problématique de la consommation de biens collectifs.

DES BIENS COLLECTIFS SURCONSOMMES !

Les biens « collectifs », et que l’on confond souvent avec les biens publics, en diffèrent par

une caractéristique : ils sont exclusifs. Mais leur non confiscabilité pose de sérieux

problèmes. Ceux-ci sont clairement illustrés par la parabole des pâtures

communautaires46.

Imaginez jadis un bourg entouré de quelques terres qui sont des pâtures communes, propriété « collective » des

habitants, qui tirent leurs ressources de leurs moutons y paissant sans problème. Puis la population du bourg

s’accroît, de même que le nombre de moutons ; le cheptel devient à ce point important que l’herbe se raréfie ; la

pâture commune devient aride, et les habitants perdent leur source de revenu.

Comment en est-on arrivé là ? C’est simple : chaque famille, détenant une part marginale du cheptel, ne se sent

pas responsable, et ne veut pas limiter son élevage. Economiquement, une externalité négative a joué : quand mes

moutons mangent l’herbe « commune », ceux de mon voisin en sont privés ! Et personne ne s’est préoccupé de

cette externalité. Les pouvoirs publics auraient dû agir :

46 G. MANKIW et M. TAYLOR, op. cit. p 272.

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Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

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soit en internalisant l’externalité, c’est-à-dire en taxant les moutons (pour limiter leur nombre) ou en vendant

des permis de paître;

soit en répartissant les terres entre les familles, c’est-à-dire en privatisant la terre (les « enclosures » au XVIIème

siècle en Angleterre47).

Le phénomène est classique : quand un agent économique consomme un bien collectif, il

réduit la quantité disponible pour les autres, et il a tendance à le consommer avec excès.

LES EMBOUTEILLAGES : UNE SOLUTION RADICALE !

Tel est le problème de notre réseau routier : une route bien dégagée (sans péage) est un

bien public ; la même, embouteillée, est un bien collectif ! Le problème est crucial dans tous

les pays industrialisés : comment limiter le trafic routier, au moins à certaines heures, pour

éviter les bouchons ? Solutions « classiques » :

taxer les véhicules et les carburants ; ces taxes (non pigoviennes) ne touchent pas

l’externalité. Elles affecteront le revenu des agents, mais n’empêcheront personne (ou

presque) de prendre sa voiture quand il le souhaite.

mettre en place un système de péage, solution intéressante, car le péage est une taxe

pigovienne. Il peut être modulé en fonction du taux d’encombrement des routes, mais ne

peut s’appliquer qu’à certaines infrastructures comme des sections d’autoroute, des ponts

ou des tunnels ; ailleurs, le coût de la collecte du péage est trop important.

Dans un de ses articles, l’économiste américain Lester C. THUROW48 a expliqué comment l’Etat de Singapour avait

solutionné le problème. Les voitures sont taxées à 120%, ce qui les rend 3 fois plus chers qu’en Europe. La ville est

ceinturée de postes de péage (Londres également), péages qui varient en fonction de la route, de l’heure et du

degré de pollution du jour ! Mais ce n’est pas tout : les autorités calculent le nombre de voitures globalement

tolérable, et mettent aux enchères chaque mois un nombre limité de certificats de circulation, valables 10 ans.

Tous ne sont pas identiques. Ceux qui permettent de circuler à tout moment sont évidemment beaucoup plus chers

que les autres, qui subissent des limites. La technologie limite les coûts : la voiture peut être équipée d’un code

barre, et les infrastructures, de lecteurs ; chaque fois que le véhicule passe devant un lecteur, il est débité d’un

péage qui varie en fonction d’une série de critères49.

Que voyons-nous là ? Rien moins qu’un marché soumis à la loi de l’offre et de la demande ! Ce système remet

bien sûr en cause notre principe égalitaire : « j’ai le droit d’avoir une voiture et de m’en servir à ma guise ». On

pourrait même imaginer que chaque conducteur (véhicule) reçoive un « crédit km » en début d’année. Et les « gros

consommateurs » pourraient acheter à d’autres les droits qu’ils ne consomment pas ! Ne serait-ce pas là un bon

exemple de redistribution des revenus ? Mais ce problème est normatif, et dépend des choix politiques et sociaux …

Voyez à ce sujet la fiche lecture 2/3 ci-dessous.

47 Ces enclosures marquent la fin des droits d’usage communs ; elles auraient permis une augmentation de rendement des parcelles de 10 à 15%, mais ont contribué à prolétariser nombre de paysans. 48

Lester C THUROW (1938-2016), article paru dans le Boston Globe du 28 février 1995. 49 En 2014, la France a voulu imposer un système identique pour les poids lourds (péage au kilomètre), violement contesté, notamment en Bretagne, région la plus excentrée du territoire ; en Belgique, une expérience non probante de taxe au kilomètre a aussi été tentée ; depuis le 1

er avril 2016, elle est toutefois implantée sur les autoroutes et certaines nationales pour les camions. Il faut évidemment savoir que

Singapour est un petit Etat (710 km² soit 1/5ème de la Province de Namur) surpeuplé (5,3 millions), et doté de transports en commun très efficaces, … et d’un régime pas très démocratique.

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Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

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FICHE 1/3 : LE MONOPOLE

Adam SMITH écrivait déjà dans la « Richesse des Nations » : « en créant constamment une certaine pénurie sur le marché (...) les monopoleurs vendent leurs marchandises bien au-dessus du prix naturel (...) ». Monopole vient du grec (monos = un seul et polos = vendeur). D'une manière générale, on admet qu'une entreprise se trouve en situation de MONOPOLE lorsqu'elle est la seule à vendre un produit déterminé, et qu'elle n'a donc pas de concurrents directs.

Les MONOPOLES PUBLICS Le monopole naît bien souvent d'une décision des pouvoirs publics, qui accordent à une entreprise publique ou privée une concession, un droit d'exploitation, en fixant ainsi des barrières légales ou réglementaires à l'entrée des producteurs sur le marché. Ces situations sont essentiellement justifiées comme suit : les infrastructures à mettre en œuvre sont d'une telle importance qu'aucune firme ne s'y risquerait à

priori dans un régime concurrentiel ;

un service de base doit être assuré au public ; la compression permanente des coûts recherchées par

les entreprises concurrentielles risquerait de réduire ou de supprimer ce service ;

la course au profit et à la compression des coûts de production pourraient générer, dans certains

domaines « sensibles », des procédés de production ou de commercialisation néfastes au

consommateur.

La première explique, en partie du moins, les monopoles existant dans les chemins de fer, les télécommunications classiques, la distribution d'électricité, d'eau ou de gaz, la télédistribution.

D'ailleurs, au-delà des coûts de ce type d'infrastructure, on imagine mal l'impact sur l'environnement de plusieurs sociétés distributrices d'électricité tirant chacune leurs lignes à travers les campagnes d'une même région ! La seconde permet d'expliquer les monopoles présents dans le domaine des transports en commun ou de la distribution du courrier. La troisième amène les pouvoirs publics non

pas à créer de véritables monopoles, mais à réglementer sévèrement la concurrence dans certains secteurs, notamment en instaurant des « numerus clausus » (officines pharmaceutiques, études

notariales,...) Les difficultés financières de nombreux états européens, et la volonté, née du Traité de Maastricht50, de renforcer la concurrence au sein l’Union Européenne, ont ouvert de solides brèches dans les monopoles classiques ; dans certains cas, on s'est contenté de privatiser des sociétés auparavant publiques; dans d'autres, des monopoles ont été brisés (transport aérien; téléphonie mobile, poste), bien que les activités restent souvent réglementées par la législation et/ou de sévères cahiers des charges. D'aucuns le regrettent, mais la tendance est claire : une partie au moins de l'opinion publique considère que les entreprises monopolistiques, surtout étatiques, ne rendent pas toujours le service attendu, tout en bénéficiant de rentes de situation mal perçues en temps d'austérité.

DES MONOPOLES PRIVES ? Au niveau du secteur privé, les véritables monopoles sont rares (et combattus par la loi) ; on trouve au plus souvent des quasi-monopoles, c’est-à-dire des firmes contrôlant plus de 90% du marché. Certaines disposent de licences ou de brevets quasi incontournables (ex. : Polaroïd, Windows). D’autres ont réussi à s’imposer comme « incontournables » par des stratégies diverses, surtout dans des domaines des technologies de pointe ; citons notamment GOOGLE, AMAZON, …

50 Traité de Maastricht (1992), qui a précisé les conditions du passage à l’Euro – voyez la leçon 9.

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Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

31

FICHE 2/3 : LA PROBLEMATIQUE DES CHOIX SOCIAUX

Lorsque les marchés sont inefficaces, voire inéquitables, il y a de la place pour une intervention étatique.

Certains économistes se sont donc intéressés à une théorie du choix public51 (ou économie du politique),

en appliquant les méthodes d’analyse économique à l’étude du fonctionnement de l’Etat. En ligne de mire,

notamment, les choix démocratiques …

VOTE : LE PARADOXE DE CONDORCET52

En principe, dans toute démocratie, le choix est celui de la majorité. Condorcet a montré que ce choix

peut se révéler problématique lorsque plusieurs solutions sont possibles. Pour démontrer cela, supposons

que le bourgmestre d’un village veuille construire une salle des fête, dispose de 3 emplacements possibles

(A, B et C), et organise un référendum pour le choisir. Supposons 3 types d’électeurs, classés en fonction

de leurs choix.

Electeurs type 1 Electeurs type 2 Electeurs type 3

% du corps électoral 35 45 20

1er choix A B C

2ème choix B C A

3ème choix C A B

Aucune majorité ne se dégageant, le bourgmestre procède à un vote par paires :

CHOIX Entre A et B Entre B et C Entre C et A

Electeurs type 1 35 35 0

Electeurs type 2 0 45 20

Electeurs type 3 20 0 45

TOTAL 55% 80% 65%

A est préféré à B qui est préféré à C … qui est préféré à A. Paradoxe : il n’y a pas de transitivité dans les

choix !!!53 Conclusion : la manière dont la question va être posée au référendum aura un impact sur la

décision « démocratique ».

Pour sortir de ce paradoxe, on pourrait demander aux votants de classer leurs choix, puis d’attribuer 3

points au 1er choix, 2 au second et 1 au 3ème (méthode de comptage Borda54). Dans ce cas, B arrivera en

tête (225 points contre 190 à A et 185 à C).

51

Le fondement de cette théorie est l’ouvrage « The Calculus of Consent : Logical Foundations of Constitutional Démocracy », 1962, des économistes américains James BUCHANAN (1919-2013), prix Nobel 1986, et Gordon TULLOCK (1922-2014). 52 Nicolas de CARITAT, marquis de CONDORCET (1743-1793), mathématicien, ingénieur et homme politique français, a énoncé ce principe en 1785 dans « Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix ». 53 La transitivité implique que si A est préféré à B et B à C, alors A doit être préféré à C. 54 Jean-Charles, Chevalier de BORDA (1733-1799), mathématicien, physicien, officier de marine et politologue français.

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Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

32

LE THEOREME DE L’ELECTEUR MEDIAN

Dans nos sociétés démocratiques, les gouvernements sont élus selon un vote à la majorité. Qui va décider

des politiques à mettre en œuvre ??? Supposons qu’un pays comptant 1.000 électeurs doive déterminer

le montant à affecter au financement public de l’enseignement. Chacun des électeurs a son opinion là-

dessus, et il souhaitera un choix politique le plus proche possible du sien. Nous pouvons classer les

électeurs selon un ordre croissant, en partant de ceux qui estime que l’enseignement n’a pas à être financé

par des fonds publics jusqu’à ceux qui veulent un financement très important. Imaginons le classement

suivant :

Nombre d’électeurs

350

Dans cette série statistique, en terme

de budget (millions d’euros) : 250

la moyenne arithmétique est égale à 180 ; 200

le mode55 vaut 300 ; 150

la médiane56 est de 200.

50

0 100 200 300 400 budget 106€

Le théorème de l’électeur médian57 affirme que si les électeurs désirent que le choix public soit le plus

proche possible de leur opinion individuelle, alors la règle de la majorité conduira à choisir la situation

préférée par l’électeur médian. En effet, si un parti propose un financement de 150 millions, tous ceux qui

veulent un financement de 200 millions et plus voteront comme l’électeur médian, c’est-à-dire contre, et ils

auront la majorité.

Et voilà la ligne de conduite des partis politiques !!! Le parti GAUCHE (G) et le parti DROITE (D)

s’affrontent dans une élection. Dans le sondage, G voit que l’opinion la plus populaire est un financement

élevé (le « mode » = 300 millions). D propose dans son programme un financement de 200 ; il va gagner

(600 électeurs). Si G veut avoir ses chances, il doit se rapprocher de l’électeur médian … et donc de la

proposition de D ! Telle est la logique de la démocratie. Le théorème de l’électeur médian explique aussi

pourquoi les opinions minoritaires ont en général peu de poids.

Ajoutons à cela que les politiciens sont surtout guidés par leur réélection ; pour cela il faut qu’il consolide

leur base électorale, et donc se rapproche de l’électeur médian, quitte à sacrifier l’intérêt de la société dans

son ensemble.

55 Le mode d’une série est la valeur « à la mode », soit la plus choisie (ici, 300 choisie par 350 électeurs). 56 La médiane d’une série est la valeur qui se trouve exactement à la moitié de la distribution. Nous constatons ici que 400 électeurs ont choisi un budget inférieur à 200 et 400 électeurs un budget supérieur à 200. 57 Duncan BLACK (1908-1991), économiste écossais, median voter theorem, “On the Rationale of Group Decision-making”, in Journal of Political Economy, 56, pp 23-24, 1948.

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RESUME

1. Dans le monde réel, les conditions de concurrence parfaite sont très rarement rencontrées : des entreprises ont une taille telle qu’elles influent sur le marché ; les produits ne sont pas homogènes (marques, …), les agents (en particulier les demandeurs) ne sont pas parfaitement informés ; enfin, les facteurs sont loin d’être parfaitement mobiles. Entre concurrence parfaite et monopole existent d’autres structures de marché : duopole, oligopole, concurrence monopolistique. Nous retrouvons également des situations identiques du côté de la demande : monopsone, oligopsone. 2. Un planificateur disposant des informations nécessaires peut-il faire mieux que le mécanisme de marché ? Nous avons montré que la fixation autoritaire de prix plafond ou plancher, et à fortiori un système de planification des prix, éventuellement complété par des subventions aux producteurs, créait en général un excès de demande sur les biens concernés, ou autrement dit, des pénuries. Ces mesures peuvent aboutir à des résultats radicalement contraires à ceux recherchés. Les taxes (à la production ou à la consommation) imposées par les pouvoirs publics provoquent également des déséquilibres, réduisent les avantages que les agents retirent de l'échange et ne permettent plus au marché d'allouer efficacement les ressources. 3. La discrimination par les prix se caractérise par la vente à prix différents d'un même bien. Pour que cette discrimination soit possible, il faut que les marchés concernés soient séparés. La segmentation du marché en catégories de consommateurs bien identifiées, et l'application de prix différenciés vont permettre à l'entrepreneur d'augmenter son profit, en absorbant une partie au moins du surplus du consommateur. Le raisonnement est basé encore une fois sur la notion d'élasticité-prix de la demande. 4 L’entreprise OLIGOPOLISTIQUE est en général une firme de taille importante, susceptible d’influencer par sa politique prix-quantités les autres entreprises présentes sur le marché. Deux éléments essentiels caractérisent cette situation : d’une part, ces firmes tendent à se rendre maître de la demande et des prix (pratique des prix administrés) ; d’autre part, elles œuvrent dans un univers incertain ; cette incertitude porte surtout sur la clairvoyance et les possibilités de réaction des rivaux. 5. Ces situations d’interdépendance peuvent être analysées grâce à la théorie des jeux conçue par von NEUMANN. Un jeu se définit par ses règles, ses stratégies, et les gains que l’on peut en tirer. Dans l’oligopole, les règles résultent de l’environnement économique, politique et social ; les stratégies sont les actions possibles (prix, produits, …), et les gains sont les profits ou les pertes. Un jeu présente un équilibre en stratégies dominantes dès lors qu’un joueur dispose d’une stratégie qui constitue sa meilleure réponse, quoi que fassent les autres. Dans un jeu de duopole, lorsque les entreprises s’approprient le marché par collusion, ce type d’équilibre les conduit apparemment à tricher par rapport aux termes de l’entente, sauf si elles sont convaincues que l’autre dispose de mesures de rétorsion efficaces et est prêt à les mettre en œuvre. 6. Pour échapper à l’incertitude, les entreprises oligopolistiques ont tendance à opter pour la collusion, en formant des cartels qui amènent en fin de compte à une situation de monopole. La réussite d’un cartel tient à l’autodiscipline de ses membres. La théorie des jeux nous montre que chaque membre du cartel a a priori intérêt à « tricher ». Dans certaines situations, les firmes mettent en œuvre des stratégies de « non-price compétition », en mettant en exergue des arguments de vente autres que le prix. Enfin, les entreprises oligopolistiques protègent leurs profits par des barèmes à l’entrée dans la branche : prix limites, fidélisation de la clientèle, prolifération des marques. 7. Les marchés dont la transparence est imparfaite connaissent aussi des dysfonctionnements (par rapport au modèle de base). L’information est un bien apparemment comme un autre, et les agents sont prêts à payer pou l’obtenir. Néanmoins se pose la question de la qualité de cette information. Souvent, elle est asymétrique, dans la mesure où le vendeur dispos d’éléments « cachés » inconnus de l’acheteur. En résulte un phénomène de marché étroit, des acheteurs potentiels du bien concerné préférant s’abstenir. Autre source de dysfonctionnement : l’aléa moral. Pour solutionner ces problèmes, les agents disposent d’outils tels les contrats ; ceux-ci comporteront des clauses visant à la bonne exécution par chacune des parties de leurs obligations respectives.

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8. Des activités de production et de consommation peuvent engendrer des phénomènes dénommés EXTERNALITES qui perturbent le fonctionnement du marché et le rendent inefficient dans l’allocation des ressources. Il existe des externalités négatives et des externalités positives. Les externalités négatives à la production ont pour effet de rendre le coût social de l’activité supérieure au coût privé symbolisé par la courbe d’offre; à la consommation, ces externalités rendent la valeur sociale de l’activité inférieure à la valeur privée. Les externalités positives présentent des effets inverses. 9. Pour rapprocher le marché de son optimum réel, la solution la plus usitée est l’internalisation de l’externalité par les pouvoirs publics; il suffit de taxer l’activité qui génère une externalité négative, et subventionner l’activité à externalité positive. Les taxes créées à cette occasion portent le nom de « pigoviennes »; contrairement à d’autres taxes, elles ne perturbent pas le marché, mais le poussent vers son optimum. D’autres solutions peuvent toutefois être envisagées. La première consiste au respect par les agents économiques d’un code moral qui prohibe l’activité génératrice d’une externalité négative.

La seconde est que le marché apporte lui-même la réponse par un système contractuel; c’est là l’application du théorème de COASE, qui affirment que si les parties peuvent, en fonction de leurs droits de propriété prédéfinis, négocier un arrangement à coût nul. Quant à l’allocation des ressources, le marché résolvera le problème et allouera les ressources de façon optimale. Ce théorème trouve sa limite dès lors que la transaction génère des coûts.

Une troisième solution consiste à négocier des permis de polluer dans le cadre de limites de pollution acceptables fixées par les pouvoirs publics. Ces permis font alors l’objet d’un marché, gouverné par les forces de l’offre et de la demande.

10. Parce que le marché est déficient en la présence d’externalités, il lui est parfois impossible de fournir certains biens ou services pourtant demandés par le consommateur. Les biens publics sont ni exclusifs, ni confiscables et profitent donc à tous sans contrainte; les biens collectifs sont non confiscables mais exclusifs, ce qui fait que la consommation par l’un nuit aux autres. Le bien public ne peut en général être produit par le marché, à cause du phénomène de free-rider (passager clandestin). En l’absence de contrainte, personne n’a intérêt à payer pour ce type de biens, qui n’intéressent donc aucune entreprise. Il appartient aux pouvoirs publics de les produire ou de les faire produire, et d’obliger les bénéficiaires à les payer via taxes ou impôts. 11. Le caractère exclusif des biens collectifs (à ne pas confondre avec les biens publics) génère des problèmes quant à leur utilisation; chacun n’en consommant qu’une part marginale ne voit pas l’externalité, et ne comprend donc pas pourquoi il lui faudrait limiter sa consommation. L’exagération même infime de chacun nuit à la collectivité, et il appartient aux pouvoirs publics d’apporter à ce problème une solution. Celle-ci peut être imaginée à l’aide de taxes de préférence pigoviennes, puisque celles-ci internalisent l’externalité. On peut même imaginer des solutions plus complexes, dans lesquelles se créent des marchés connexes, qui assurent en outre une redistribution des revenus.

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QUESTIONS DE REVISION ET PROBLEMES

NOTIONS A MAÎTRISER : équilibre offre - demande, oligopole, oligopsone, concurrence monopolistique, oligopole différencié, cartel, « non-price compétition », marché étroit, effet de

sélection adverse, aléa moral, externalités, théorème de Coase, biens publics, biens collectifs.

QCM (source : wps.pearsoned.com) 1. Une structure de marché oligopolistique prévaut lorsque : a) Les entreprises sont en concurrence sur le marché en s’alignant sur la hausse ou sur la baisse de prix pratiquées par les autres entreprises. b) Seul un petit nombre d'entreprises produit la plupart ou la totalité de la production du marché. c) Les entreprises s'efforcent constamment de réduire leurs coûts, afin de réaliser des profits plus élevés que leurs concurrents d) Tout ce qui précède.

2. Une entreprise oligopolistique doit soigneusement examiner son prix, ses quantités produites, sa publicité et ses décisions d’investissement, car,

a) Ses stratégies affecteront la rentabilité de ses concurrents, et les réactions de ses concurrents aux stratégies mises en œuvre auront une incidence sur la rentabilité de l'entreprise.

b) Si l'entreprise devient très rentable, des concurrents vont émerger, ce qui baissera les prix sur le marché.

c) Une fois que les choix sont faits, il est coûteux de changer de stratégie.

d) Aucune de ces réponses.

3. Un équilibre de NASH est atteint dans un marché oligopolistique lorsque

a) chaque entreprise prend la meilleure décision compte tenu de son prix de marché et de la technologie de production.

b) chaque entreprise prend des décisions optimales en fonction des actions de ses concurrents..

c) chaque entreprise prend des décisions optimales indépendamment des actions de ses concurrents.

d) chaque entreprise prend des décisions optimales en fonction des informations qu’elle a recueillies sur l’intelligence de ses concurrents.

4. Le dilemme du prisonnier peut être appliqué à l’oligopole lorsque :

a) Il est interdit d’entrer en collusion pour réaliser des profits plus élevés.

b) Un comportement coopératif se traduirait par un profit plus faible ; les entreprises se font alors concurrence jusqu'à atteindre un profit nul.

c) Quelle que soit la stratégie de l’entreprise 1, l'entreprise 2 pratique une concurrence agressive, même si la coopération permet d’atteindre des profits plus élevés.

d) Réponses 1 et 2.

5. Un cartel peut réussir à fixer un prix du marché supérieur à celui résultant d’un marché concurrentiel lorsque :

a) La collusion explicite et des accords formels sont légaux.

b) La demande pour le bien ou le service est inélastique.

c) Les membres ne dévient pas de l’accord et ne produisent pas une quantité supérieure au niveau convenu.

d) Tout ce qui précède.

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6. Une entreprise en situation oligopolistique prendra les meilleures décisions :

a) Compte tenu de sa demande du marché et de ses fonctions de coût.

b) Compte tenu des prévisions de croissance du marché et des investissements futurs dans la technologie.

c) Compte tenu de la demande de marché, de la technologie et les coûts des inputs.

d) Compte tenu de son anticipation des stratégies de ses concurrents et de leurs réactions à sa stratégie.

7. A votre avis, lorsque des économistes s’opposent tant à l’annulation de la dette des pays pauvres qu’à l’accroissement de l’aide, ils invoquent un concept économique qui est :

a) aléa moral

b) passage clandestin

c) malhonnêteté

d) sélection adverse

8. Les externalités constituent un problème si

a) toutes les entreprises sont monopolistiques

b) les externalités sont négatives

c) toutes les entreprises sont parfaitement concurrentielles

d) les décideurs ne les prennent pas en compte

9. Le théorème de Coase établit que

a) le secteur privé va échouer à produire le niveau efficient d'un bien public à cause du problème du passager clandestin

b) sous certaines conditions les parties privées à l'échange peuvent aboutir à la solution efficiente sans intervention de l'État

c) les biens publics devraient être produits jusqu'au point où le bénéfice additionnel retiré par la société est égal au coût additionnel de production du bien

d) dans le cas où existent des externalités négatives à la production, l'État doit intervenir sur le marché afin d'assurer que le niveau de production efficient sera produit

10. Les biens privés ont les caractéristiques suivantes : (appropriabilité = confiscabilité)

a) Non-rivalité dans la consommation et non-appropriabilité des bénéfices retirés de leur consommation.

b) Rivalité dans la consommation et appropriabilité des bénéfices retirés de leur consommation.

c) Rivalité dans la consommation et non-appropriabilité des bénéfices retirés de leur consommation.

d) Non-rivalité dans la consommation et appropriabilité des bénéfices retirés de leur consommation.

11. L’ensemble des biens qui seront sous-produits ou non-produits dans une économie de marché « pure » sont des

a) biens libres

b) biens publics

c) biens privés

d) biens de Pareto

12. Comme une des caractéristiques des biens publics est qu’ils peuvent être consommés collectivement,

a) ils sont très onéreux, dans la mesure où le secteur privé ne peut pas les fournir

b) l'État ne peut pas les produire

c) ils sont illégaux

d) le secteur privé ne va pas les produire parce qu'il ne peut pas exclure de leur consommation ceux qui ne paient pas (problème du passager clandestin).

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Questions 1. Si le gouvernement impose une taxe spéciale de 5.000 € sur les voitures de sport, le prix payé par les acheteurs augmentera-t-il de 5.000 €, plus, ou moins ? Pourquoi ? Expliquez en terme d’élasticité des courbes d’offre et de demande. (**) 2. Le parlement décide d'imposer une taxe de 0,25 € sur les carburants, dans le but de réduire la pollution atmosphérique : (**) la taxe doit-elle être imposée aux producteurs ou aux consommateurs ? Pourquoi ? la demande de carburant étant relativement inélastique, la mesure sera-t-elle efficace ? Pourquoi ? les consommateurs de carburant sont-ils avantagés ou désavantagés par cette taxe ? même question pour les travailleurs de l'industrie pétrolière. Expliquez. est-ce à priori, sur le plan purement économique un bon moyen ? A court terme ? A long terme ?

Discutez. (pistes de réflexion : substitution, compétitivité d’énergies alternatives, …)

3. Sur le marché du fromage belge, les producteurs se plaignent du prix trop bas qui les met en difficulté. Le gouvernement les entend et décide d’imposer un prix plancher supérieur. (***) a) à l’aide d’un diagramme O-D, montrez les effets de cette situation. Y a-t-il excédent ou pénurie de fromage ? Qui est rationné : producteurs ou consommateurs ? b) les producteurs de fromage se plaignent alors que leurs revenus ont diminué. Est-ce possible et pourquoi ? c) le prix des fromages italiens baisse ; conséquences ? c) le gouvernement décide alors d’acheter tous les stocks restants au prix plancher, pour les revendre à prix très faible dans des pays pauvres. Qui gagne ? Qui en fait les frais ? Est-ce là un bon signal pour les producteurs ? Conséquences ? (pistes de réflexion : production laitière, cheptel, surfaces agricoles, …) 4. Commentez ces graphiques. Les évolutions de l’O et de la D (graphique de gauche) expliquent-elles les variations de prix sur le marché mondial (graphique de droite) ? (***) (piste de réflexion : qu’est-ce qui « fait » le prix du pétrole ?).

5.

Vers l’Avenir, 30/07/2015

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L’Europe avait instauré depuis 1984 des quotas laitiers (limitation de la production de lait). Ces quotas ont pris fin le 31 mars 2015, l’argument étant une demande mondiale en forte expansion, notamment de la part de pays émergents (Chine, …). Comment pouvez-vous expliquer les problèmes rencontrés par les éleveurs, notamment au regard de l’évolution du prix du lait présentée sur ce graphique ? (pistes de réflexion : structure du marché, nature de l’offre – cheptel, pâturages, … ; voyez notamment http://www.bcz-cbl.be/www/index.php?lang=fr et http://www.cra.wallonie.be ) (***) 6. Livrez-vous via internet à une analyse économique du marché du café en dosettes. Selon vous, quelle est la structure de ce marché ? Argumentez. 7. L’OPEP est un cartel : (**) pourquoi ses membres se réunissent-ils régulièrement pour fixer des quotas de production ? pourquoi ce cartel n’a-t-il pas toujours fonctionné correctement ? 8. Les grandes équipes de football forment un oligopsone sur le marché des joueurs. Quel pourrait être leur objectif en matière de politique salariale ? Pourquoi un tel objectif est-il difficile à atteindre ? (**) 9. Le tableau ci-dessous décrit l’impact des tarifs douaniers dans les relations commerciales entre les USA et le Mexique (en milliards de $). (***)

USA

Mexique

TARIF élevé bas

Élevé USA = + 20 MEX = + 20

USA = + 10 MEX = + 30

Bas USA = + 30 MEX = + 10

USA = + 25 MEX = + 25

Quelle est la stratégie dominante pour chacun des participants ? Quel est dans ce cas l’équilibre de

NASH ? Commentez et justifiez. La signature en 1993 de l’Accord de Libre-échange entre les deux pays (ALENA), prévoyant une baisse

simultanée des tarifs douaniers, se justifie-elle au vu de ce tableau ? 10. Les pouvoirs publics ont deux solutions pour aider les pauvres : leur donner de l’argent ou leur fournir des colis alimentaires gratuits. Discuter du pour et du contre de ces solutions, notamment en termes d’asymétrie d’information et d’aléa moral. Vous pouvez aussi vous appuyer sur les réflexions de la leçon1 à propos de J. Rawls et aussi celle d’Amartya Sen (à rechercher). (***)

11. Etendons le champ de nos investigations. A propos d’asymétrie d’information et de signalement, comment pouvez-vous interpréter les deux situations suivantes58 () : Ne connaissant pas trop bien ses goûts, vous offrez comme cadeau d’anniversaire à votre petite amie

une enveloppe avec de l’argent, en lui disant qu’elle pourra ainsi s’acheter ce qui lui plaît ; elle vous quitte !

ses parents lui donnent comme cadeau d’anniversaire une enveloppe avec de l’argent, en lui disant de s’acheter ce qui lui plaît ; elle est contente !!! (et on se dit que les femmes sont bien compliquées, alors que le problème s’explique « économiquement »).

58 Vous vous demandez sans doute ce qu’une telle question fait dans un cours d’économie. Gary BECKER (1930-2014), économiste américain, prix Nobel 1992, a élargi le champ d’étude de la micro-économie à de nombreux comportements humains. Il estime par exemple que les criminels agissent rationnellement dans les situations où les bénéfices de leurs crimes excèdent la probabilité d’une peine de prison ou d’une amende. Il s’est aussi intéressé à l’« économie de la famille ». Par exemple, il constate qu’aux USA, les divorces dans les familles riches sont proportionnellement moins nombreux que dans les familles pauvres, car le coût en est très élevé. De même, il explique la baisse du taux de fertilité par deux phénomènes : d’une part, les femmes ont investi en « capital humain » (elles ont fait des études) et veulent rentabiliser en travaillant ; pour elles, le coût d’opportunité d’élever un enfant augmente et d’autre part, le return sur éducation augmente, d’où le désir d’offrir à ses enfants une éducation coûteuse.

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12. Le CO2 semble être le principal responsable de l’effet de serre, cause du réchauffement de notre planète. Il est émis en quantités variables par les différents pays, mais semble réparti équitablement sur l’ensemble de la Terre. Certains estiment que la solution ne consiste pas à demander aux divers pays de stabiliser leurs émissions de CO2, mais au contraire devrait être de demander une réduction aux pays qui peuvent le faire à moindre coût, ces coûts étant financés par les autres. Qu'en pensez-vous du point de vue économique? Expliquez. (***) 13. Dans certains pays, le prix du billet de train coûte plus cher aux heures de pointe. Est-ce logique ? Expliquez. (**) 14. L’Europe souhaite imposer les quotas de pollution au secteur aérien. Quelles en seront selon vous les conséquences ? Quid des vols « low-cost » ? Quelles solutions pourrait-on envisager pour éviter que l’avion ne soit finalement accessible qu’aux nantis ? (***) 15. Classez ces biens en fonction du tableau de la page 7 : services de police, déneigement des routes, enseignement supérieur, routes municipales, route à péage embouteillée, poissons dans l’océan, recherche scientifique financée par l’Etat, bibliothèque communale, tunnel routier à péage, parking public en zone bleue, crèche communale, concert public gratuit de la fanfare municipale, déchetterie publique, feu d’artifice organisé par la ville, feu d’artifice organisé dans le parc Disney ; discutez et argumentez vos réponses. (**) 16. Nous savons aujourd’hui que certaines espèces de poissons de mer (cabillaud, …) se font rares tant la pêche de ces dernières décennies a été excessive. (***) a) l’attitude des pêcheurs a-t-elle été rationnelle ? b) les pêcheurs auraient-ils pu gérer sagement ces ressources naturelles ? c) une des mesures prises dans ce domaine a été d’étendre l’application des législations nationales de 12 à 200 miles des côtes ; en quoi cela contribue-t-il à résoudre ou non le problème ?

Réponses au QCM : 1) a ; 2) a ; 3) b ; 4) c ; 5) d ; 6) d ; 7) a ; 8) d ; 9) b ; 10) b ; 11) b ; 12) d