L'entropion du Sharpei_QDC_PratiqueVet

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34 EN FORMATION j j > QUESTIONS DE COURS PratiqueVet (2011) 46 : 158-161 (158) L’entropion est une affection oculaire fréquente chez le Shar-Peï. La technique de traitement, habituellement chirurgicale, dépend essentiellement de l’âge du patient et de la configuration de l’enroulement palpébral. L’entropion du Shar-Peï RÉSUMÉ L’entropion est une anomalie de position palpébrale fréquente chez le Shar-Peï et qui peut être soit due à une anomalie primaire de conformation de la paupière qui s’enroule en direction de la cornée, soit secondaire à la mucinose cutanée. L’essentiel des cas sont des formes majeures d’entropion s’accompagnant de lésions cornéennes potentiellement graves et invalidantes. Le traitement, nécessairement chirurgical, est mis en œuvre selon la gravité des lésions cornéennes. Il consiste en techniques temporaires ou définitives, dont le choix dépend de l’âge de l’animal et de la sévérité de l’enroulement palpébral. F. FAMOSE, DV, CES Ophtalmologie Vétérinaire Clinique vétérinaire des Acacias 42 avenue Servanty 31700 Blagnac OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES Savoir évaluer la gravité d’un entropion chez un Shar-Peï. Savoir choisir la technique optimale pour le traiter. C ette origine est double : la première cause est liée à la fai- blesse du squelette palpébral qui favorise l’enroulement des paupières. Ceci se tra- duit par une lésion concernant le plus souvent la paupière inférieure et l’angle externe (PHOTO 1). Cette forme d’entro- pion est rencontrée chez le chiot et le jeune adulte. Il s’agit alors d’entropion primaire [1] ; la deuxième cause est la mucinose cuta- née : cette affection se caractérise par l’accumulation de mucine dans l’espace CRÉDITS DE FORMATION CONTINUE La lecture de cet article ouvre droit à 0,05 CFC. La déclaration de lecture, individuelle et volontaire, est à effectuer auprès du CNVFCC (cf. sommaire). Quelle est l’origine de l’entropion du Shar-Peï ? l ’entropion est une dominante pathologique rencontrée chez le jeune Shar- Peï. Cette affection, causée en particulier par la mucinose cutanée, consiste en un enroulement des paupières vers l’intérieur de la fente palpébrale. Il en résulte un degré variable d’atteinte cornéenne et conjonctivale, dont la résolution est habituellement chirurgicale. sous-cutané, augmentant l’épaisseur de la peau et accentuant l’effet d’enroule- ment (PHOTO 2). Cette mucinose provoque également la formation de plis cutanés dont le poids déstabilise la position des paupières. Cette forme est rencontrée chez l’adulte mais également chez le très jeune chien. Il s’agit alors d’entropion secondaire. Cette prédisposition se retrouve, à des degrés divers, dans d’autres races : Blood- Hound, Chow-Chow [2]. Photo 1. Entropion secondaire à une faiblesse du squelette palpébral. Photo 2. Entropion consécutif à une mucinose cutanée.

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> QUESTIONS DE COURS

PratiqueVet (2011) 46 : 158-161 (158)

L’entropion est une affection oculaire fréquente chez le

Shar-Peï. La technique de traitement, habituellement

chirurgicale, dépend essentiellement de l’âge du patient et de

la confi guration de l’enroulement palpébral.

L’entropion du Shar-Peï

RÉSUMÉ

L’entropion est une anomalie de

position palpébrale fréquente

chez le Shar-Peï et qui peut être

soit due à une anomalie primaire

de conformation de la paupière

qui s’enroule en direction de

la cornée, soit secondaire à la

mucinose cutanée.

L’essentiel des cas sont des

formes majeures d’entropion

s’accompagnant de lésions

cornéennes potentiellement

graves et invalidantes.

Le traitement, nécessairement

chirurgical, est mis en œuvre

selon la gravité des lésions

cornéennes. Il consiste en

techniques temporaires ou

défi nitives, dont le choix

dépend de l’âge de l’animal et

de la sévérité de l’enroulement

palpébral.

F. FAMOSE, DV, CES Ophtalmologie Vétérinaire Clinique vétérinaire des Acacias42 avenue Servanty31700 Blagnac

OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES

Savoir évaluer la gravité d’un

entropion chez un Shar-Peï.

Savoir choisir la technique optimale

pour le traiter.

C ette origine est double :

■ la première cause est liée à la fai-blesse du squelette palpébral qui favorise l’enroulement des paupières. Ceci se tra-duit par une lésion concernant le plus souvent la paupière inférieure et l’angle externe (PHOTO 1). Cette forme d’entro-pion est rencontrée chez le chiot et le jeune adulte. Il s’agit alors d’entropion primaire [1] ;

■ la deuxième cause est la mucinose cuta-née : cette affection se caractérise par l’accumulation de mucine dans l’espace

CRÉDITS DE FORMATION CONTINUE

La lecture de cet article ouvre droit à 0,05 CFC. La déclaration de lecture, individuelle et volontaire, est à effectuer auprès du CNVFCC (cf. sommaire).

Quelle est l’origine de l’entropion du Shar-Peï ?

l ’entropion est une dominante pathologique rencontrée chez le jeune Shar-Peï. Cette affection, causée en particulier par la mucinose cutanée, consiste en un enroulement des paupières vers l’intérieur de la fente palpébrale. Il en

résulte un degré variable d’atteinte cornéenne et conjonctivale, dont la résolution est habituellement chirurgicale.

sous-cutané, augmentant l’épaisseur de la peau et accentuant l’effet d’enroule-ment (PHOTO 2).

Cette mucinose provoque également la formation de plis cutanés dont le poids déstabilise la position des paupières. Cette forme est rencontrée chez l’adulte mais également chez le très jeune chien. Il s’agit alors d’entropion secondaire.

Cette prédisposition se retrouve, à des degrés divers, dans d’autres races : Blood-Hound, Chow-Chow [2].

Photo 1. Entropion secondaire à une faiblesse du squelette palpébral.

Photo 2. Entropion consécutif à une mucinose cutanée.

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Faut-il opérer tous les Shar-Peï atteints d’entropion ?

Quelles techniques chirurgicales utiliser (TABLEAU 1) ?

Encadré : L’évaluation de l’entropion

Elle comprend :

■ l’évaluation de la sévérité de l’enroulement des paupières ;

■ la mise en évidence de lésions cornéennes (ulcère, granulome, mélanose) et l’évaluation de leur gravité (risque visuel, doulou-reux et cosmétique) ;

■ la mise en évidence des fac-teurs déclenchants ou aggra-vants (plis frontaux proéminents, mucinose cutanée).

Tableau 1. Choix de la technique chirurgical lors d’entropion chez le Shar-Peï.

Âge Sévérité de l’entropion Gravité des lésions cornéennes Facteurs associés Technique recommandée

< 2 mois Majeure Variable Mucinose Tension temporaire

2 à 4 mois Modérée Faible Néant Hotz-Celsus

Age > 4 mois Majeure Elevée Mucinose Stades

Chez le chiot

La présentation clinique est celle d’un enroulement complet des paupières infé-rieures, supérieures et de l’angle externe.

La technique de choix, compte tenu de la petite taille de l’œil et de son potentiel de croissance cutanée, est la technique de “tension temporaire” (tacking).

L es signes cliniques de l’entropion sont de gravité variable. Ils dépendent de

la sévérité de l’enroulement palpébral et des conséquences du contact irritant des poils de la paupière sur la cornée.

Le très jeune chiot (moins de 3 mois) peut présenter des troubles de l’appétit et une baisse d’activité associés à un écoulement oculaire.

Chez le chiot plus âgé (de 3 à 6 mois), les lésions cornéennes vont de la simple irritation accompagnée de larmoiement à l’ulcération profonde pouvant conduire à la perforation ou à la formation d’un granulome cornéen, avec des signes de douleur oculaire : blépharospasme, réaction de défense.

Parfois, la gravité de l’entropion est telle que la cornée ne peut être examinée.

Enfi n, dans certains cas, l’irritation cor-néenne conduit à une pigmentation noire de la surface (mélanose cornéenne) et à une baisse de l’acuité visuelle [3].

La décision d’intervention dépend de l’existence et de la sévérité des lésions cor-néennes.

■ Lorsque les lésions cornéennes sont pré-sentes, l’intervention chirurgicale rapide, voire immédiate, est indiquée.

■ Lorsqu’elles sont absentes, l’animal doit être réévalué à échéances régulières et l’intervention de correction peut être pro-grammée à un moment où l’animal a ter-miné sa croissance faciale (après l’âge d’un an) [4].

> La technique de “tension temporaire”

Cette technique consiste en la pose de points cutanés sans excision de peau, placés perpendiculairement au bord libre de la paupière et qui ont pour but d’éver-ser le bord palpébral.

Le fi l traverse la peau en deux points et

réalise un froncement de la paupière vers l’extérieur. Les conditions d’un bon résul-tat sont les suivantes [5] :

■ placer le fi l le plus près possible du bord palpébral (1-2 mm) ;

■ appliquer la tension maximale là où l’enroulement est le plus marqué.

En pratique, 2 à 4 points sont placés par

Photo 3. Chiot Shar-Peï de 6 semaines : entropion majeur bilatéral. Photo 4. Chiot Shar-Peï de 6 semaines : technique de tension temporaire, aspect post-opératoire immédiat.

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paupière en utilisant un fi l fi n (nylon 5/0) chez un chien préalablement tranquillisé ou anesthésié. Ces points sont laissés en place aussi longtemps que possible, au moins trois semaines si la mère ou les autres chiots ne les retirent pas avant.

Le retrait de contact du bord palpébral sur la cornée amène un soulagement immédiat : le chiot ouvre les yeux et la croissance rapide au cours des semaines suivantes permet à la face d’évoluer et aux plis péri-oculaires de se combler. (PHOTOS 3 ET 4).

Chez le jeune Shar-Peï (après 2 mois)Les formes limitées d’entropion de la paupière inférieure, supérieure ou de l’angle externe peuvent être traitées avec la technique de Hotz-Celsus.

> Technique de Hotz-CelsusCelle-ci consiste en une résection cuta-née palpébrale en “côte de melon” suivie d’une suture bord à bord (PHOTOS 5 ET 6).

Les principes restent les mêmes que pour toute chirurgie d’entropion :

■ anesthésie générale ;

■ incision la plus proche possible du bord palpébral tout en préservant le limbe ;

■ excision d’un lambeau cutané dont la largeur maximale correspond à la zone d’enroulement majeur de la paupière ;

■ suture bord à bord en prenant soin d’éloigner les fi ls (nylon 5/0) de la cornée.

Les points sont retirés au bout de 10 jours [6].

> Technique de StadesSur les formes très sévères d’entropion sur de jeunes chiens (4-6 mois), dans les-quels les plis frontaux viennent appuyer sur la paupière supérieure et contribuer à son enroulement, la technique de choix est la technique de Stades.

Elle consiste en la résection d’un lam-beau cutané de grande taille (2,5-3 cm de

large) sur la paupière supérieure et à la suture de la partie distale (frontale) de la peau à distance du bord palpébral.

Il reste donc une zone d’environ 5 mm de large entre le bord libre et la peau qui n’est pas recouverte et qui cicatrise par deuxième intention.

Cette résection cutanée permet d’élimi-ner en partie le pli frontal et la cicatrisa-tion de seconde intention augmente la rigidité de la paupière, empêchant ainsi son enroulement ultérieur.

Techniquement, la première incision est réalisée près du bord libre, sur toute la longueur de la paupière supérieure. La deuxième incision dessine un large lam-beau (en “œil de clown”) sur la paupière supérieure et une partie du pli frontal. La suture est réalisée par points séparés (PHOTOS 7 ET 8).

La cicatrisation intervient en 10-12 jours, avec un comblement de la zone exposée. Lors du retrait des points, ceux-ci sont

Photo 5. Shar-Peï de 5 mois : entropion inférieur et latéral modéré (œil droit).

Photo 7. Shar-Peï de 6 mois : mucinose, entropion majeur, œdème et vascularisation cornéens.

Photo 6. Shar-Peï de 5 mois : technique de Hotz-Celsus, aspect post-opératoire immédiat (œil droit).

Photo 8. Shar-Peï de 6 mois : technique de Stades, aspect post-opératoire immédiat.

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> QUESTIONS DE COURS

(161) PratiqueVet (2011) 46 : 158-161

Faut-il traiter les lésions cornéennes associées à l’entropion ?

Quels sont les résultats de la chirurgie d’entropion chez le Shar-Peï ?

L a plupart des lésions (granulome, ulcère) rétrocèdent à la correction

de l’entropion et reçoivent un traitement médical local de courte durée (PHOTO 10). En revanche, les lésions chroniques de la cornée (mélanose) persistent malgré la correction chirurgicale de l’anomalie palpébrale. Elles peuvent, dans un se-cond temps, faire l’objet d’un traitement spécifi que (corticothérapie locale, cryo-thérapie).

P our les très jeunes chiots opérés avant deux mois par des points de

tension externe temporaire, les résultats sont habituellement excellents sur le court terme. Malgré tout, ils présentent une prédisposition à l’entropion primaire et, dans ce cas, font l’objet d’une intervention chirurgicale défi nitive par la suite.

■ Chez les jeunes présentant un entro-pion limité, la technique de Hotz-Celsus donne d’excellents résultats avec des résections cutanées limitées. Malgré tout, le risque de récidive reste élevé, les résections cutanées limitées s’accompa-gnant souvent d’une sous-correction de l’anomalie palpébrale.

■ La technique de Stades donne d’excel-lents résultats à la fois sur le court, le

moyen et le long terme (PHOTO 9). Les ré-cidives sont rares si la résection cutanée du pli frontal est suffi sante.

souvent englobés dans la zone cicatri-cielle et leur retrait peut être délicat et né-cessiter une tranquillisation de l’animal.

Cette technique concerne uniquement la paupière supérieure. Elle peut être com-binée à la technique de Hotz-Celsus sur la paupière inférieure [5].

■ Sur un plan zootechnique, l’entropion par défaut d’angle externe est sous dé-terminisme génétique chez le Shar-Peï. Opérer un chien revient à masquer un défaut transmissible à la descendance et il convient d’être extrêmement prudent lors d’interventions sur un futur repro-ducteur.

>>A LIRE

1. Chaudieu G (2004). Affections oculaires héréditaires ou à prédisposition raciale chez le chien, Editions du Point vétérinaire. 328p.

2. Rubin LF (1989). Inherited diseases in purebred dogs. Williams & Wilkins, Baltimore. 383p.

3. Gelatt KN (2007. Veterinary Ophthalmology. 4th edition. Blackwell, Victoria. 1696p.

4. Riis RC (2002). Small Animal Ophthalmology Secrets. Hanley & Belfus, Philadelphia. 332p.

5. Gelatt KN, Gelatt JP (1994). Handbook of Small Animal Ophthalmic Surgery vol 1 : Extraocular procedures. Elsevier Science Inc., Oxford. 195p

6. Wyman BM (1979). Ophthalmic surgery for the practitioner. Vet Clin North Am Small Anim Pract 9 : 311-3.

MÉMO

■ L’entropion est une affection oculaire

fréquente chez le jeune Shar-Peï et dont les

conséquences sur la cornée peuvent être

dramatiques.

■ Son traitement est essentiellement chirurgical

avec un degré d’urgence variable selon la

présence et la gravité des lésions cornéennes

associées.

■ La technique de tension temporaire est à

réserver aux très jeunes chiens.

■ Les techniques de résection cutanées

permettent une guérison beaucoup plus

durable de l’entropion.

Confl its d’intérêts : néantPhoto 10. Granulome cornéen secondaire à l’entropion.

Photo 9. Aspect post-opératoire avec la technique de Stades.