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85 L’ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES : CONTENUS ET METHODES Contribution de la commission inter-IREM du second cycle présentée par Jean-Pierre FERRIER Irem de Lorraine REPERES - IREM. N° 75 - avril 2009 On annonce des réformes de structure profondes pour le lycée, avec la suppression des filières scientifique et littéraire et l’ins- tauration d’un tronc commun représentant 60 % de l’horaire en première et 40 % en termina- le. Dans ces conditions l’heure n’est plus de savoir comment s’adapter à telle ou telle peti- te nouveauté instaurée dans les programmes, comment renouveler l’enseignement de tel petit chapitre y ayant toujours figuré, comment intégrer telle technologie à la mode dans les apprentissages traditionnels. Il s’agit de tenter d’énoncer quelques principes incontournables à la base de la définition de progressions quelles qu’elles soient, avant de savoir quelles pro- gressions pourront faire partie du tronc commun et quelles autres des options et en quelle année on placera précisément tel niveau. Le contenu de ce texte est issu de débats récents au sein de la commission inter- IREM du second cycle sous la responsabili- té de Catherine Farjot, débats qui ont impli- qué notamment Loïc Jussiaume et Jean-Marie Thomassin en plus de la responsable et du rédacteur. Il aurait du être rediscuté et approuvé, puis transmis à l’Inspection géné- rale en vue de son colloque de novembre dernier. Ce devait même être le testament de ladite commission. Malheureusement elle est morte un peu trop tôt pour cela. Au passage, aussi invraisemblable que cela paraisse, les IREM n’ont plus de commission généraliste pour le lycée. Les positions avancées ne correspondent donc pas toujours exactement à celles du signataire de l’article. Disons, pour simplifier, qu’il les assume, parce qu’ils les considère défendables et dignes d’être présentées.

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L’ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES :

CONTENUS ET METHODES

Contribution de la commissioninter-IREM du second cycle

présentée par Jean-Pierre FERRIER

Irem de Lorraine

REPERES - IREM. N° 75 - avril 2009

On annonce des réformes de structureprofondes pour le lycée, avec la suppressiondes filières scientifique et littéraire et l’ins-tauration d’un tronc commun représentant 60 %de l’horaire en première et 40 % en termina-le. Dans ces conditions l’heure n’est plus desavoir comment s’adapter à telle ou telle peti-te nouveauté instaurée dans les programmes,comment renouveler l’enseignement de telpetit chapitre y ayant toujours figuré, commentintégrer telle technologie à la mode dans lesapprentissages traditionnels.

Il s’agit de tenter d’énoncer quelquesprincipes incontournables à la base dela définition de progressions quellesqu’elles soient, avant de savoir quelles pro-gressions pourront faire partie du tronccommun et quelles autres des options eten quelle année on placera précisémenttel niveau.

Le contenu de ce texte est issu de débatsrécents au sein de la commission inter-IREM du second cycle sous la responsabili-té de Catherine Farjot, débats qui ont impli-qué notamment Loïc Jussiaume et Jean-MarieThomassin en plus de la responsable et durédacteur. Il aurait du être rediscuté etapprouvé, puis transmis à l’Inspection géné-rale en vue de son colloque de novembredernier. Ce devait même être le testamentde ladite commission. Malheureusementelle est morte un peu trop tôt pour cela. Aupassage, aussi invraisemblable que celaparaisse, les IREM n’ont plus de commissiongénéraliste pour le lycée.

Les positions avancées ne correspondentdonc pas toujours exactement à celles dusignataire de l’article. Disons, pour simplifier,qu’il les assume, parce qu’ils les considèredéfendables et dignes d’être présentées.

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Le risque est en effet considérable devoir retenues des aberrations comme celle qu’ajustement dénoncées, à propos du socle ducollège, Jacques Moisan, doyen de l’inspec-tion générale de mathématiques, alors qu’ilétait invité en fin d’année 2007 par la com-mission inter-IREM du second cycle. On a placédans ce socle le calcul algébrique du pre-mier degré et les identités remarquables,mais on en a retiré la résolution de l’équa-tion du premier degré.

Ce faisant on n’a pas respecté la gestioncorrecte de ce qu’on pourrait appeler uneunité de pensée d’une part et des rupturesde l’autre. Dans la résolution des problèmes,l’unité de pensée à l’école élémentaire — ainsiqu’au début du collège — est résumée dansle sens des opérations ; elle se traduit parune solution qu’on appelait jadis “arithmétique”.Ensuite, au collège — l’unité de pensée, en rup-ture avec la précédente — est résumée dansles équations algébriques. Dans le calcullittéral que leur résolution mobilise, la lettre“x” représente une valeur inconnue aveclaquelle on travaille et pousse le calcul commesi elle était connue. Ce n’est que plus tard quela lettre pourra désigner une variable, dansune approche fonctionnelle. Pour le momentil ne s’agit pas non plus de calculer pour cal-culer, comme lorsqu’on simplifie une expres-sion à évaluer pour différentes valeurs de lalettre “x” 1. C’est à une solution dite “algé-brique” des problèmes que les équations algé-briques sont associées.

La gestion de la transition est délicate. Lanouvelle façon de penser n’efface pas la pre-

mière. En revanche il n’y a lieu de s’y intéresserdans l’enseignement que pour en escompterdes stratégies plus efficaces, qui seront alorsprivilégiées. Bien sûr le coût de l’enseignementde cette nouveauté, de la rupture avec ce quiprécède, doit être discuté. On pourrait ima-giner qu’on y renonce pour le collège, commec’était le cas pour le Certificat d’études primaires.En revanche, dès lors qu’on introduit la pen-sée algébrique avec le calcul correspondant,on ne peut pas accepter de s’arrêter là, lais-sant l’ancien mode de pensée seul pour larésolution des problèmes du premier degré.

L’exigence locale d’une unité de pensée aune traduction didactique — Aline Robertparle à ce sujet de référent — mais c’est avanttout un concept de nature épistémologique. Sou-vent un mode de pensée donné va corres-pondre à une période dans la constructiondes Sciences et on rejoindra peut-être à l’occa-sion une approche historique, mais ce n’est pasde ce côté qu’on cherchera une éventuellelégitimité.

Dans ce qui suit, on a cherché non pas àdécrire la totalité des contenus, mais à poserquelques repères, pour dégager des fils de pro-gression correspondant à des modes de pen-sée cohérents. On n’y a fait apparaître que cequi a un rôle structurant, ce qui est un élé-ment constructif, dans la constitution d’unbagage scientifique. Cela n’interdit pasd’aborder certains sujets en amont de ce quiaura été indiqué, à condition de ne pas setromper. Cette façon d’en parler, avant termeen quelque sorte, aussi utile qu’elle puisse êtreà la vie courante le cas échéant, ne doit pasperturber le rôle structurant attendu del’enseignement ; mais elle pourra bien sûrvenir en illustration, en application du corpusprincipal. Pour être clair et à titre d’exemple1 + 1 = 2 fait bien partie de ce dernier alors

1 Ce dernier exercice serait à la mode : il permet à la fois deforcer l’utilisation des machines et d’appliquer le triptyque obser-ver/conjecturer/démontrer dont Rudolf Bkouche se plaît à dénon-cer le ridicule. En fait il dénature le sujet.

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qu’en est exclu tel autre sujet sur lequel lesémissions de vulgarisation de la télévisionsont en concurrence avec l’école.

La géométrie plane.

Au début de la géométrie, le seul mode depensée qui corresponde à une première entréedans la Science est celui de la géométrie desanciens Grecs, du livre I d’Euclide plus pré-cisément, sachant qu’il ne s’agit pas d’y recher-cher des références absolues. Disons, de façonschématique, que la géométrie part du problèmephysique de la superposition par déplace-ment des corps solides, au moins des corps planset en particulier des triangles.

Ce faisant on écarte toute idée de trans-formation du plan ou de l’espace, notam-ment les symétries axiale et centrale quisont toujours à la base de l’enseignementdes premières classes du collège, même si beau-coup d’enseignants n’en font plus aujourd’huileur unique credo. Entendons-nous bien : iln’est pas interdit de parler des symétriesd’une figure ; mais ce n’est pas un élémentconstructif et cela ne peut venir qu’en appli-cation du reste. En revanche est vraimentétranger au mode de pensée dont on chercheà préserver l’unité tout ce qui relève destransformations agissant sur des points quel-conques du plan ou de l’espace ; a fortiori toutesles propriétés que peuvent posséder cestransformations, lesquels remplissent abon-damment les fameuses boîtes à outils, arse-nal toujours privilégié de beaucoup de for-mateurs pour présenter des modèles deraisonnement.

En clair, la géométrie plane commence ainsi,comme c’était le cas il y a un demi-siècle enFrance, à ceci près qu’on ne dit pas dans quel-le classe du collège se fait le commencement.

On noterait qu’il se faisait plus tard hors denos frontières.

1) les cas d’égalité des triangles,2) le parallélisme et le théorème de Thalès,3) le triangle rectangle

et tout ce qui va avec.

Mieux vaut ici parler de cas d’égalitécomme jadis, mais pas comme Euclide. Leterme d’isométrie présente beaucoup d’incon-vénients. Il fait entrer dans un autre mode depensée, celui des transformations, et mieuxvaut le réserver au moment où la ruptureaura été faite, avec la théorie des ensemblescomme support, donc probablement après lelycée. Il s’agit, dans le sens mathématiquemoderne, d’une conservation des longueurs.Pour une transformation, c’est clair pourune figure, comme le triangle, c’est ambigu :les longueurs des côtés ? Pourquoi pas aussides médianes ou des hauteurs ? Même si l’oninclut les angles, l’égalité n’est pas, a priori,celle des côtés et des angles mais la super-posabilité. Si l’on ne retient que les côtés,c’est mettre dans la définition le troisième casd’égalité.

Par ailleurs il ne semble pas que l’on doiveinsister sur les problèmes de constructionde figures, ni s’en servir comme motiva-tion 2. La démarche fondatrice de la géomé-trie, comme celle de la science en général,est dite hypothético-déductive : partant depropriétés posées en hypothèse, on en obtientd’autres par déduction. C’est l’analyse d’unefigure ayant des propriétés données qui

2 Les tracés simples, comme celui d’une médiatrice, ne sontpas visés. L’élève doit apprendre à dessiner et à tracer. Il fautdonner à la géométrie un support concret. En revanche fairedes constructions pour apporter du grain à moudre aux logi-ciels de géométrie dynamique ou au triptyque observer/conjec-turer/démontrer serait dénaturer le sujet.

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reste l’élément essentiel du raisonnement.On s’appuiera éventuellement sur cette ana-lyse pour discuter de l’existence et de l’uni-cité d’une telle figure, mais on ne s’intéres-sera pas spécialement à la construction enelle-même, comme pour définir une séquen-ce précise d’opérations codées réalisant cetteconstruction. La question se pose explicite-ment à celui qui veut produire une bellefigure pour l’exposer, donc le cas échéant auprofesseur ; ce n’est pas ce qu’on demandeaux élèves.

Il est vrai que le problème fondateur dela superposition des corps solides est essen-tiellement le même que celui de la caractéri-sation d’une topographie donnée par un cer-tain nombre de mesures. Qui dit caractérisationdit implicitement possibilité de reconstruction.Il n’y a donc pas une différence énorme entrechercher à superposer et chercher à construi-re. Mais de même qu’on ne visera pas, pourle moment, le détail du processus de super-position, on n’insistera pas, non plus, sur lamanière d’effectuer la construction.

A fortiori l’exercice dit des “figures télé-phonées” qui semble occuper aujourd’hui la char-nière entre l’école et le collège est à évacuerdéfinitivement. C’est un parfait exemple deconfusion entre les modes de pensée. On trou-ve en effet la trace des mathématiques axio-matiques dans l’emploi d’un langage officiel,prétendument correct si l’on préfère, qui carac-térise un mode de pensée ultérieur à celui dela géométrie traditionnelle. En même tempson ne dispose d’aucun outil, ce qui place l’exer-cice très en deçà. La confusion est révélatri-ce d’une transposition didactique comme onen constate tant.

La suite est un peu floue en ce qui concer-ne l’ordre exact des chapitres. Disons que

cette suite viendra s’asseoir solidement sur lebloc des trois premiers chapitres précédem-ment proposés.

4) Tôt ou tard il faudra parler de rotations,de symétries axiales, de projections orthogo-nales. Il ne s’agit pas d’employer un discourssavant mais de dire simplement comment onfait tourner un point M autour d’un centre donnéd’un angle donné, comment on prend sonsymétrique par rapport à une droite donnée,ou comment on prend sa projection orthogo-nale. On aura, par exemple, besoin de vérifierqu’en faisant tourner un parallélogramme(ou en le projetant) on obtient encore un paral-lélogramme (aplati). On introduira les anglesorientés à cette occasion.

Cependant on n’entre pas, pour le moment,dans le monde des transformations, lequelcommence quand on les compose et se préci-se quand on en fait des groupes. Il s’agit sim-plement de donner un peu plus de sens au mou-vement qui est à la base de la superpositiondes figures, dont les triangles. Le discours revientainsi sur lui-même pour se préciser, maissans rupture du sens.

Peu à peu la géométrie va s’algébriser.On aura de moins en moins recours à lafigure, dans laquelle la disposition des diverséléments peut restreindre sournoisementle champ de validité du raisonnement, pourfaire de plus en plus appel à un calcul obéis-sant à des règles précises. Il n’apporte pasun surcroît de rigueur, mais une plus gran-de efficacité, et in fine diminue surtout lesrisques d’erreur. Pour le moment le calculreste en effet toujours fondé sur la géomé-trie primitive, contrairement à ce qui sepassera plus tard. C’est la raison pour laquel-le on doit probablement parler d’évolutionplutôt que de rupture.

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5) On introduit les vecteurs, appelés aussivecteurs libres, non pas comme des classes devecteurs liés équipollents, mais plutôt, à lamanière de Wessel 3 notamment, par leureffet en projection sur des droites. On construitles opérations sur ces derniers. C’est d’abordl’addition, à laquelle on demande d’être conser-vée en projection. C’est ensuite la multiplicationpar un scalaire, avec la distributivité par rap-port à l’addition, qui s’appuie bien sûr sur lethéorème de Thalès.

Avec les vecteurs on a la décompositiondans une base et la représentation d’un pointpar ses coordonnées. Ainsi s’ouvre une pers-pective nouvelle : celle de la géométrie dite “ana-lytique”. Avec, plus tard, les barycentres oules produits scalaires on découvrira une palet-te de stratégies nouvelles qui vont entrer enconcurrence avec celles de la stratégie tradi-tionnelle et qui ont toutes en commun d’êtreplus algébriques.

6) On introduit en même temps que lesvecteurs la similitude des triangles. La défi-nition pose un petit problème car on ne peutpas la faire reposer sur une propriété physiquecomme on l’a fait pour l’égalité : on ne trou-ve pas l’agrandissement ou la réduction dansla nature. On peut décider, à la manièred’Euclide, d’en prendre acte en assumant unchoix abstrait : deux triangles sont semblabless’ils ont des angles égaux et des côtés pro-portionnels. On peut tenter d’illustrer ce choixpar la reproduction des figures en changeantd’échelle ; on noterait que le changementd’échelle est implicite dans les constructionssur papier ou ailleurs.

On peut aussi dire qu’un triangle estsemblable à un autre s’il est égal à un homo-

thétique de cet autre. Même si l’on s’y prendainsi, il n’est pas question d’étudier l’homo-thétie comme transformation. Il s’agit seule-ment de constater qu’on passe toujours par lasituation de deux triangles ayant en com-mun un sommet et les droites portant lescôtés qui en partent et ayant des côtés oppo-sés parallèles. On retrouve la multiplicationd’un vecteur par un scalaire, donc une situa-tion d’homothétie, pour ne pas parler, commeon le fait trop souvent au lycée, d’une “figu-re de Thalès”.

Le travail sur les vecteurs se prolonge alorstout naturellement, principalement dans deuxdirections qui vont faire évoluer très sensi-blement la géométrie et préparer la ruptureavec la suite :

7) celle du produit scalaire

8) et celle du calcul barycentrique.

9) Surtout la connaissance des vecteurset des rotations permet d’introduire les nombrescomplexes par la géométrie, à la manière deWessel déjà cité. On se place dans un plan danslequel on se sera donné une origine représentantle nombre 0, un vecteur unitaire représentantl’unité 1 — la droite qui le porte représentantalors les nombres réels — et un autre ortho-gonal au premier qui sera noté i. L’additionétant celle des vecteurs, la multiplicationobéira à la règle des proportions, en longueuret en déviation. On obtient toutes les règles

de calcul, l’écriture a + ib comme l’écriture eiθ .On pourra utiliser le calcul complexe librementen géométrie sans avoir à effectuer un passagepermanent et dans les deux sens entre pointset nombres, sans parler d’affixe et d’image 4.

4 Dans tel exercice d’un sujet du baccalauréat S, on intro-duit un repère orthonormal direct (O; u; v) dont on ne se sertjamais, on emploie six fois le mot “affixe” et utilise le mot “image”dans le sens qu’il a pour les transformations et non pas enliaison avec l’affixe; il y aurait plus simple.

3 Caspar Wessel, mémoire à l’Académie royale des scienceset des lettres du Danemark, 1797.

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Dès que, explicitement ou non, on aura choi-si dans le plan deux vecteurs unitaires ortho-gonaux 1 et i, on pourra considérer par exemple

le vecteur i sans craindre la réprobation.

L’utilisation du calcul complexe en géo-métrie amène à composer des similitudes.Cela peut se faire dans le cadre de la géomé-trie traditionnelle sans qu’il y ait besoin de lanotion de groupe ; on le faisait en terminaleil y a quelques décennies avec les isométriesde l’espace. Quand faut-il commencer à com-poser ? C’est à discuter. En tout cas on ne consi-dèrera que certaines transformations parti-culières, ne cherchant pas à donner unedéfinition ensembliste générale.

10) Plus tard, à l’université sans doute,c’est en rupture complète avec cette approchequ’on partira du corps C des nombres complexesintroduit — sans utiliser le vocable — commeune extension algébrique du corps R denombres réels. Ensuite on y développera la géo-métrie in situ, avec un produit scalaire, desrotations puis des angles, le tout venantimmédiatement sans effort ni présupposé.On retrouvera les formules d’addition deslignes trigonométriques comme de puresconventions d’écriture.

Ensuite on s’intéressera, à peine plusgénéralement, à la géométrie d’un plan vec-toriel euclidien — i.e. muni d’un produit sca-laire. Enfin on passera à la géométrie d’un espa-ce vectoriel euclidien de dimension n.

11) En même temps la géométrie nou-vellement revue, sous ses formes vectorielle,affine, projective ou métrique, reposera sur laconsidération de groupes de transformation,qui sont les groupes linéaire, affine, projectifou orthogonal.

u

En résumé ce sont deux modes de penséequi se succèdent, l’un inspiré par la géomé-trie d’Euclide et l’autre par l’ouvrage élé-mentaire de Dieudonné et le programme deKlein. Dans tout cela on notera qu’il n’y a pasla place pour enseigner les présentations axio-matiques de la géométrie traditionnelle. Ceserait semer le désordre dans un paysagedéjà difficile à décrypter.

On a omis dans ce qui précède desquestions comme les coniques ou la pola-rité par rapport à un cercle. Elles figu-rent dans la progression des deux côtésde la rupture.

D’un côté on donne des coniques une défi-nition bifocale ou par foyer et directrice,jusqu’à l’obtention de leur équation dans desaxes adaptés. De l’autre on s’intéresse auxformes quadratiques dans le plan, dont on éta-blit le classement projectif, affine puis métrique.D’un côté la polarité par rapport à un cerclepart de la puissance d’un point. De l’autre côtéon trouve l’orthogonalité pour une forme qua-dratique non positive.

La géométrie dans l’espace.

La géométrie dans l’espace est un sujetdifficile. La raison la plus évidente de cettedifficulté réside dans le délicat problèmede la représentation des figures de l’espace.C’est là qu’un contresens majeur alimenteles propositions qui fleurissent aujourd’hui.A voir nombre d’activités présentées, onpourrait s’imaginer qu’il faille obligatoire-ment partir de représentations géométri-quement exactes pour asseoir le raisonne-ment. Or on ne peut rien comprendre à cesreprésentations sans en démonter le prin-cipe, ce qui suppose que l’on sache déjà rai-sonner avec l’espace.

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1) Il faudra donc impérativement partirde représentations suggestives, qui sont justelà pour aider la pensée et sur lesquelles onne peut rien lire directement. Certes, quelquesconventions simples aideront à la compré-hension du dessin : différence entre desdroites se coupant et des droites passantl’une devant l’autre, figuration d’une droiterencontrant un plan par la transition entreun trait plein et un trait pointillé, figura-tion d’une droite incluse dans un plan par salimitation aux bords du parallélogrammefigurant le plan etc. Cependant ces conven-tions ne sont pas impératives et elles ne rem-placent pas l’énoncé de propriétés prises enhypothèse ou déduites par raisonnement.Jamais il ne doit être demandé de tirer quoique ce soit de la lecture d’un dessin.

On comprend assez facilement les réticencesque manifestent certains à aborder la ques-tion de cette façon. D’abord le dessin s’affran-chit complètement des exigences de rigueurà la mode. Ensuite il n’est plus possible de pro-poser des exercices où il n’y a pas d’énoncé àlire. Pour ces deux raisons on a créé des exer-cices de construction d’intersections de solidesavec des plans. On les oubliera parce qu’ils nerelèvent pas du mode de pensée, abstraitindiscutablement, dont on recherche l’acqui-sition par les élèves. Ces problèmes d’inter-section sont d’abord sans intérêt réel ; ensui-te ils tendent à transformer le raisonnementen recettes.

2) La géométrie dans l’espace commenceavec l’incidence et le parallélisme des droiteset des plans et il se poursuit avec l’orthogo-nalité de ces figures, laquelle nous ramène auxcas d’égalité.

Cette géométrie ne peut être abordée,dans le savoir structurant, qu’au lycée. Sans

doute n’est-elle pas accessible à tous. Celane veut pas dire qu’il ne faille pas considérerdes objets de l’espace avant. On doit même lefaire dès l’école élémentaire, et calculer desvolumes par exemple. Là il ne s’agit pas d’uneinitiation à la géométrie comme science. Enrevanche le calcul de surfaces et volumesdonne du sens aux opérations, au même titreque les petits problèmes de négoce ou que lesexercices élémentaires de sciences de la natu-re. Il a donc toute sa place aussi bien à l’écolequ’au collège, voire au-delà.

On ne cherchera pas à faire travaillerles élèves sur des patrons du genre que l’onpropose pour un parallélépipède ; construi-re une boîte en bois se fait en clouant desplanches rectangulaires, pas par pliage ;même pour une boîte en carton, on économi-se la matière et on colle des rectangles ; pourune robe on procède à des coutures plutôtque des pliages. Mieux vaut présenter dessolides réels et faire jouer les élèves avec.C’est même la seule activité à retenir pours’accoutumer aux représentations sugges-tives dont on a parlé.

3) Après avoir travaillé sérieusement lagéométrie dans l’espace, on peut alors rai-sonnablement s’intéresser aux représenta-tions planes comme la perspective, qui seraparallèle pour commencer, et fuyante ensui-te. Le risque est grand de voir la perspectivefuyante s’introduire dans le tronc commun futuralors que la géométrie dans l’espace n’y seraitplus. Déjà, en série L, cette perspective est ensei-gnée non pas comme un prolongement de lagéométrie dans l’espace, ce qui serait d’ailleursambitieux, mais comme une technique dedessin, dont on apprend quelques règles àappliquer sans chercher à les comprendre.On l’admettrait dans un enseignement pro-fessionnel, encore qu’il y a aujourd’hui des outils

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de conception assistée qui rendent ces tech-niques obsolètes.

Il y a deux conditions pour que la pers-pective fuyante puisse être un prolongementnaturel de la géométrie plane ou dans l’espa-ce. D’abord que l’on ait maîtrisé la visiondans l’espace, jusqu’à être capable de se repré-senter la scène dans laquelle l’observateur regar-de le paysage à travers un écran. Ensuiteque l’on dispose des éléments de géométrie pro-jective plane, tels que division harmonique,faisceau harmonique et si possible birapport,qui permettent de travailler sans référenceconstante à la scène précédente. Il y a quelquesdécennies, l’enseignement de la géométrie dulycée apportait une partie de ces certains élé-ments. C’est au moins à ce prix qu’on pourraparler utilement de perspective.

En attendant on peut très bien utiliserl’espace comme un outil de démonstration engéométrie plane, pour des propriétés d’incidenceà la Desargues. On relie le plan à l’espace parune projection, parallèle ou centrale, conser-vant ces propriétés, et on relève les points d’unefigure plane en respectant l’appartenance àcertains plans ou certaines droites.

Terminons sur un point particulier. Onpourrait être tenté de saisir l’occasion de lagéométrie dans l’espace pour introduire un peusystématiquement le vocabulaire de la théo-rie des ensembles, puisque les situationsd’intersection y sont plus variées qu’en géo-métrie plane. Mieux vaut y renoncer cepen-dant. On parlera bien sûr d’un point sur unedroite, d’une droite passant par un point oude deux droites sécantes, mais aussi bien par-lera-t-on d’un point commun à deux droites,d’une droite contenue dans un plan ou del’intersection de deux plans etc. Cependant rienn’oblige à y voir la théorie des ensembles, à

distinguer par exemple appartenance et inclu-sion5. D’ailleurs il s’agit bien d’une théorie, pasd’un langage. Son introduction dans l’ensei-gnement ne doit intervenir qu’après la rup-ture qui fait de l’algèbre le nouveau point dedépart. Pour le moment donc, loin de toute inten-tion normalisatrice, on devrait présenter la ter-minologie, dans sa grande variété, commeun témoignage de richesse linguistique.D’ailleurs autoriser une expression souplepour désigner un concept précis est fait cou-rant en mathématiques.

Les fonctions.

Au départ une fonction est une variablequi dépend d’une autre. C’est ainsi qu’on voitles fonctions en géométrie, en mécanique, enphysique : la surface d’un triangle de base don-née dépend de la hauteur, la position d’un mobi-le dépend du temps, la force d’attraction entredeux masses dépend de la distance mutuelleetc. C’est aussi le cas pour les premiersexemples rencontrés au collège : la masse defil de cuivre de section donnée dépend de lalongueur par exemple.

Etudier des fonctions, c’est d’abord envi-sager et exprimer différents modes de dépen-dance : proportionnelle, affine, proportion-nelle au carré, inversement proportionnelleetc. On exprime ces dépendances par y = ax,y = ax + b, y = ax2, y = a/x, etc. Il est donc toutà fait indiqué de parler de la fonction y = ax + b et d’en étudier les propriétés.

On introduit en revanche une confusiontotale dans la pensée si l’on veut traduire lanotion abstraite de fonction telle qu’elle est consi-dérée dans Bourbaki, laquelle repose princi-

5 Les deux façons de s’exprimer continuent d’ailleurs decohabiter lorsqu’on pratique le langage ensembliste.

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palement sur la considération d’un graphe. C’estce qu’on fait lorsqu’on présente les tableauxde valeur ou les courbes représentativescomme des procédés définissant des fonc-tions.

La notation fonctionnelle f(x) n’a pas saplace dans l’initiation aux fonctions : elle relè-ve de la théorie des ensembles. Par ailleurscette notation n’est pas très performante enpratique. Ecrire une dérivée f’(x) ou dy/dxn’est absolument pas indifférent quand ils’agit d’y mettre du sens ou d’effectuer des cal-culs simples.

Les limites.

Le mode de pensée qui doit présider unlong moment à l’apprentissage des limitesest celui de leur calcul. Dans un premiertemps en effet, on ne cherchera absolumentà donner un sens tant soit peu général à l’idéede limite, même pas dans un contexte très par-ticulier. C’est même du mot “limite” qu’oncherchera à faire un usage très ... limité. Enaucun cas on n’utilisera le symbole lim, sousquelque prétexte que ce soit. Même à l’universitéil faudra se méfier de ce formalisme, quiconjugue inefficacité pratique et risqued’erreurs.

Le principe de passage à la limite — plu-tôt que de limite — commence avec la consi-dération de la dérivée. Cette notion de déri-vée est centrale dans l’enseignement délivréau lycée, ce qui est parfaitement défendable.Elle figure actuellement dans toutes les sérieset il est à peu près sûr qu’elle sera dans le futurtronc commun.

Quel est le sens premier de la dérivée ?C’est certainement celui de pente, qu’on trou-vait déjà chez les Grecs avec les tangentes. En

géométrie la dérivée est la pente de la tangente.L’association entre les mots “pente” et ”tan-gente” est dans la nature des choses.

C’est la mécanique, comme celle de New-ton, qui a donné à la dérivée l’importancequ’on lui connaît aujourd’hui ; en effet lavitesse est une dérivée, l’accélération en estune autre, plus importante encore. Cepen-dant la novation n’a pas seulement résidédans la considération des variations de lavitesse plutôt que de la position ; elle a aussiété de traiter de la même façon la variable detemps et les variables d’espace, autrement ditde faire de la vitesse une pente. C’est d’ailleursle mot pente qui est utilisé en Physique pourdésigner la dérivée dy/dx d’une grandeur parrapport à une autre, indépendamment deleur espèce.

A la pente on oppose le taux, qui est unedérivée logarithmique ou une pente relati-ve, à savoir dy/ydx. Dans le taux n’y intervientque la dimension de x, alors que dans une penteinterviennent celles de x et de y ; sachant quela pente est sans dimension en géométriepuisque x, y sont des longueurs.

Au moment où l’on envisage un tronccommun important, comprenant notammentla série ES, il est fondamental de bien déga-ger ces deux notions de pente et de taux et d’uti-liser autant que possible un vocabulaire com-mun, lequel sera ensuite complété par diverssynonymes : vitesse, coût marginal etc.

On met beaucoup trop l’accent aujourd’huisur la problématique des limites dans la déri-vée. C’est y introduire un mode de penséequi n’aura sa vraie place que beaucoup plustard. Il est douteux que les élèves, surtout ceuxqui ne s’intéresseront pas beaucoup auxsciences, y trouvent beaucoup de sens. En

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revanche ils en oublieront vite que la dérivéese voit sur la courbe représentative comme unepente et que c’est un quotient de petits accrois-sements.

1) Pour commencer on apprendra donc àcalculer une dérivée : on formera le quotient

∆y/∆x

pour ∆x ≠ 0 et on obtiendra la dérivée “en pas-sant à la limite” quand ∆x tend vers 0. Le résul-tat est noté

dy/dx

et les physiciens se contenteront de voir dansdx et dy des accroissements ∆x et ∆y suffi-samment petits ; on y reviendra. En pratiquec’est souvent la valeur de l’expression simplifiéepour ∆x = 0. On “passe à limite” là où c’est évi-dent, pour trouver la “vraie valeur” comme ondisait.

En tout cas on se garde bien de chercherà dire ce qu’est une fonction dérivable. Laseule question est de savoir si l’on peut cal-culer une dérivée, ce qui revient au même maisn’a pas à donner lieu à une définition quelconque.

Un cas posant problème est celui deslignes trigonométriques. On peut se servirdu fait que

sin x ≤ x ≤ tan x

mais, pour donner de la seconde inégali-té une preuve heuristique à la fois simpleet convaincante, plutôt que la longueurd’arc mieux vaut considérer des aires. Ilen résulte

cos x ≤ sin x / x ≤ 1 .

Il est étonnant que les programmes actuels,qui mettent l’accent sur le “théorème des gen-darmes” ne s’en soient pas saisis.

2) Dans la foulée des passages à la limi-te sans problème, on admet, comme tombantsous le sens, la dérivée d’une somme ou d’unproduit, avec la règle de la chaîne

= .

et la dérivée d’une fonction réciproque. Lespuristes vont certainement hurler car on n’apas dit que y était dérivable par rapport à xet z par rapport à y. Où est le risque ? On n’appli-quera la formule pour trouver le membre degauche que si l’on sait calculer chacun des fac-teurs de droite. Pour la fonction réciproque c’estpareil, sauf qu’il y a une difficulté, mais faci-le à cerner heureusement : on n’accepte pasles pentes infinies.

3) Une situation dans laquelle on peut allerun peu plus loin est celle des suites. On peuten effet “calculer” une limite monotone et“démontrer” le résultat suivant lequel toutesuite croissante majorée admet une limite.Calculer signifie ici que pour une suite mono-tone, soit elle tend vers +∞ ou -∞, soit on peutobtenir une après l’autre les décimales d’unnombre qui sera la limite cherchée. Il neserait pas conforme au mode de pensée danslequel on évolue de tenter de définir ce nombre$l$ par ses propriétés. On se contentera d’éta-blir la règle “de passage à la limite” suivan-te : si un ≤ vn pour tout n, on a une inégalitél ≤ k en passant à la limite.

4) Pour les fonctions monotones on peutparler de continuité pour dire qu’il n’y a pasde saut, ni à gauche ni à droite. Parler à cesujet de limite ne sert strictement à rien.

L’intégrale étant introduite heuristique-ment comme une aire, comment dérive-t-onpar rapport à la borne supérieure l’intégrale

dy—dx

dz—dy

dz—dx

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d’une fonction continue monotone ? On expliquepar un changement d’échelle la relation

= ƒ(t) dt = ƒ(a + uh) du

et l’on constate que le membre de droite estune fonction monotone de h. Supposons parexemple f croissante et dérivons la à droite ena ; on peut passer à la limite pour h → 0, h > 0, obtenant une valeur l qui vérifie

f(a) ≤ l ≤ f(a + k)

pour k > 0 ; alors l = f(a) parce qu’il n’y a pasde saut.

5) Il faudra parler du comportement à l’infi-ni, mais davantage dans le sens de son cal-cul que dans celui d’une quelconque définitionabstraite. On insistera sur la démonstrationdu fait que xe – x est infiniment petit quand x → + ∞ en le majorant, pour x ≥ 1, par 2/xqui est ostensiblement infiniment petit.

Le comportement à l’infini d’une fractionrationnelle se fera en écrivant le quotientsous une forme du genre

où il n’y a plus qu’à remplacer par zéro les puis-sances négatives de x des numérateur et déno-minateur pour conclure.

Dans le même ordre d’idées il serait cohé-rent de remettre au goût du jour la recherchedes asymptotes.

6) La simple convergence des suites mono-tones permet, entre autres, de définir l’expo-

ax

bxcx

n ....

...

1

1

+ +

+ +

1

∫0

a+h

∫a

1–h

nentielle ax pour a > 0 et x réel à partir de ap/q

pour p, q entiers. Pour dériver les fonctionsexponentielle et logarithme, on insistera surles calculs dont on s’assurera la validité, indé-pendamment de toute définition générale,suivant le schéma proposé par Jean-PierreDemailly. C’est ainsi que la continuité en 0 dela fonction ax s’établira à partir des inégali-tés

1 ≤ (1 + h)1/q ≤ 1 +

pour h ≥ 0 et q entier supérieur ou égal à 1 .

Il n’y a pas de différence énorme avec cequi est enseigné aujourd’hui. On est un peuplus ambitieux sur les limites monotones etsurtout plus réaliste en évitant de parler desautres pour ne rien dire. Ce faisant on a res-pecté une unité de pensée, celle du calcul engénéral, des majorations en particulier. Cer-tains se révolteront, bien à tort. Tenir un dis-cours qu’on dit correct en haut lieu mais quine vous dit rien est bien la pire des choses.

7) Ce n’est que plus tard, à l’université sansdoute, qu’on reprendra ab ovo la question deslimites, pour donner une définition généraleet investir autant qu’il le faudra.

Les nombres et le calcul sur machine.

Un grand problème des élèves qui sortentaujourd’hui de notre système éducatif estleur inculture numérique. Dès le départ l’uti-lisation des calculatrices, même si elle n’estpas aussi générale que certains le souhaite-raient, a au moins eu pour effet la déprécia-tion du calcul mental ou posé et une moindrefamiliarité des élèves avec les nombres, leurtaille ou leur précision, puisqu’ils ne disposentplus autant du baromètre que constituait ladifficulté du calcul. En même temps la culture

h–q

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de la rigueur, d’une rigueur toute superfi-cielle d’ailleurs, a fait dédaigner tout ce quin’était pas exact. Or les calculs numériquesne le sont jamais. Aujourd’hui la notiond’erreur est complètement évacuée : on parlemême de calcul approché pour ce qui est unencadrement exact ou une limite exacte.

Voici un exemple pour illustrer le propos.On veut faire calculer par une machine quel-conque — calculatrice ou tableur — la déri-vée en un point d’une fonction simple, la pentede y = sin x au point x = 1 par exemple, en pre-nant un quotient d’accroissements :

=

Comment faut-il choisir ∆x ? Le calcul dif-férentiel nous dit que l’erreur, absolue commerelative, par rapport à la dérivée exacte estde l’ordre de ∆x. Supposons que l’on calculeà la précision (en virgule flottante, donc rela-tive) ε = 10 – 10 . Les erreurs absolues sur lenumérateur et le dénominateur étant de cetordre, les erreurs relatives seront de l’ordrede ε/∆x. Ce sera aussi le cas de l’erreur, rela-tive comme absolue, sur le quotient. Fina-lement, en ajoutant les deux causes d’erreur,on aboutit à ∆x + ε/∆x, qui est minimumpour ∆x de l’ordre de ε = 10 – 5 . Si l’on avaitpris une différence symétrique, on auraiteu (∆x) 2 + ε/∆x et on aurait choisi ∆x del’ordre de ε1/3, soit 10 – 3 environ, pour erreurde l’ordre de 10 – 6 .

Les probabilités et statistiques.

La théorie des probabilités est connuecomme difficile. Et elle précède celle des sta-tistiques mathématiques, qui ne le sont doncpas moins.

sin(1 + ∆x) – sin 1––––––––––––––

∆x∆y––∆x

1) Le premier mode de pensée, parfai-tement représenté par Pascal, est celui d’uneprobabilité fixée a priori pour un événe-ment donné. C’est le jeu de pile ou face nonfaussé qui impose, par sa qualification même,une probabilité égale à 1/2 pour chacunedes faces.

Le choix a priori n’est pas gratuit ; sou-vent il tient compte de symétries qu’il seraitsage d’expliciter. On ne doit pas confondre l’inva-riance par symétrie — qui est l’invariancesous l’action d’un groupe — et l’équiprobabilité,même si la première implique souvent laseconde : quand on lance deux dés il n’y a paséquiprobabilité des paires ; mais il n’y a pasnon plus, dans la nature du problème, degroupe opérant utilement sur les paires 6. Ilen est de même dans les exemples géomé-triques ; souvent le choix respecte aussi uneinvariance par symétrie, précisément parl’action d’un sous-groupe du groupe des dépla-cements. On ne doit pas la confondre avec l’uni-formité de la loi. On peut donc à la rigueur choi-sir au hasard un point sur un cercle ; dans lesautres cas, comme pour un point sur unedroite ou dans un disque, on doit absolumentspécifier la loi considérée.

2) La théorie s’installe avec la notion deprobabilité conditionnelle et celle d’indé-pendance. Cette dernière est aussi posée apriori et il serait sage d’être explicite. Lan-cer deux dés, en même temps ou l’un aprèsl’autre, laisse imaginer que les lancers sontindépendants. Autant le dire ; de cettefaçon, le modèle à considérer sera en géné-ral, à des détails cosmétiques près, uniqueet incontesté.

6 En revanche on traduit le fait que les faces sont inter-changeables en faisant agir de deux façons le groupe S6 surles couples de dés.

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3) Lancer plusieurs fois un dé permetd’aborder l’aspect statistique et de prévoirune fluctuation que l’on constatera expéri-mentalement.

Le problème est que ces petites probabi-lités s’appuient sur l’arithmétique combina-toire. Or il s’agit d’une question difficile, qu’onne peut pas aborder dès le berceau malheu-reusement.

Là encore, il ne s’agit pas d’interdire defaire des calculs, dits statistiques, sur destableaux de valeurs. Cependant cette statis-tique descriptive n’est pas à voir comme uneintroduction aux probabilités, mais comme unprolongement du sens des opérations. On cal-culera des moyennes, des moyennes parpaquets ; c’est une préparation aux bary-centres plus qu’autre chose. En même tempson reverra les proportions, les fractions ; c’estun retour utile sur les opérations.

En revanche l’approche fréquentiste, à lamode depuis pas mal de temps déjà, n’estqu’une formule pour embrouiller tous lesmodes de pensée 7. Puisqu’on ne peut pascomprendre la combinatoire de base et qu’ondoit rester en deçà, faisons comme si l’on étaitinitié aux lois des grands nombres et pen-sons bien au-delà.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pasfaire des calculs de proportions, bien aucontraire. Sous l’hypothèse de l’équiprobabi-lité, ces calculs vont déboucher sur des pro-babilités. Mais commencer par maîtriser les

proportions est déjà un objectif sérieux, commefacette du sens des opérations, sans plus etsans sauce fréquentiste en tout cas.

Les rapports avec l’informatique.

Contrairement à ce qu’on entend sou-vent, l’informatique n’est pas entrée dans lesprogrammes de l’école, du collège ou du lycée.Il ne faut pas confondre l’apprentissage de lascience informatique avec l’utilisation desnouvelles technologies.

A priori l’utilisation d’une technologiedans l’enseignement n’a pas plus à être encen-sée qu’à être diabolisée. On a abandonné laplume d’oie pour écrire. Il n’y a pas de raisonde s’interdire l’usage d’Internet.

Il y a deux technologies largement répan-dues aujourd’hui à l’école, le calcul sur machi-ne et la géométrie assistée par ordinateur. Leproblème n’est pas de les avoir essayées. C’estd’en avoir fait un progrès a priori et d’inter-dire de les remettre en cause. Or nous allonsvoir que, dans l’un et l’autre cas, le résultatest une désagrégation de la pensée structu-rante et de la cohérence des contenus.

Pourquoi apprend-on à calculer à la mainou de tête ? Pour acquérir simultanément lafamiliarité avec les nombres et le sens des opé-rations. C’est une grande unité qui se déga-ge à cette occasion. Le calcul mental intervienten permanence dans le calcul posé par l’appelaux tables. L’un et l’autre concourent à asseoirles principes de la numération. En mêmetemps effectuer une opération ainsi nécessi-te une relation permanente avec le sens de cetteopération : ajout, retrait, ajouts répétés, par-tage. Les ordres de grandeurs des données etdu résultat sont dans la tête ou sous les yeux.Pour une division, la précision est liée à l’effort

7 L’exemple du lancer de punaise est pris pour illustrer cetteapproche. Pourtant si l’on réfléchit, on y trouve encore àl’origine l’idée de probabilités p, 1-p. On ne les connaît pas,mais on peut faire diverses supputations ; l’expérimentationn’en est que plus intéressante après. D’ailleurs la statistiques’appuie bien sur la probabilisation les échantillons à partird’une probabilité a priori.

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accepté. Sans oublier que mieux vaut ne pasgaspiller son énergie en se lançant dans uncalcul sans réfléchir.

Certains disent qu’avec une machine,délivré de l’effort du calcul, on pourra passerplus de temps à réfléchir au sens des opéra-tions. Certes, demander aux élèves d’effectuerà la chaîne des calculs fastidieux n’apprendrarien. La machine serait préférable dans un telcas, mais ce n’est pas une situation d’appren-tissage. A l’école la machine va désagréger labelle unité dont on a parlé, ne permettant pasà l’élève de s’approprier le calcul. On va alorsdélirer sur le sens des opérations en disser-tant sur les multiples facettes de la sous-traction ou de la division, délivrant le messagequ’il y a quantité de mystères dont on ne ferajamais le tour. On notera que les programmesne vont pas jusqu’à proposer l’usage exclusifdes machines. Ils présentent les quatre cal-culs : mental, posé, instrumenté, approché.L’insistance sur la différentiation est bien lesigne de l’absence d’unité. Comme le calcul ins-trumenté n’appartient pas à l’élève mais auconcepteur de l’instrument, il ne peut sefondre avec les premiers ; on a alors inventéun calcul approché qui n’en n’est pas un pourfaire diversion.

Passons à la géométrie assistée par ordi-nateur, aux logiciels de géométrie dyna-mique comme on dit. Il y a une différence avecles quatre opérations. Pour ces dernières, lamachine fait ce que l’élève n’a pas le coura-ge de faire. C’est comme s’il volait la solutionà un autre, mais sans plus. La géométrie dyna-mique ne fait pas ce qu’on demande à l’élève.Elle modifie fondamentalement la problé-matique du sujet, nécessitant un appren-tissage spécifique. Elle s’appuie en internesur des procédures totalement étrangères àla culture de l’élève auquel elle est proposée.

Tout ce qu’il pouvait y avoir de communavec la démarche scientifique dans l’ensei-gnement de la géométrie est sacrifié. C’estbeaucoup plus grave que l’utilisation pares-seuse d’une machine.

La géométrie dynamique n’est pas sansintérêt. Mais à sa place, comme applica-tion des calculs analytiques en géométrie.Autrement dit à la fin du lycée, à titre derécréation.

Pour autant il n’est pas dit que l’on doive,pour enseigner, suivre indéfiniment la voied’Euclide et celle de Descartes. Un argumenttrès fort est qu’elles correspondent, au-delà desmathématiques, à la naissance ou à un grandpas de la science. Mais la science évolue.D’ailleurs on peut aussi s’interroger sur l’uti-lité d’enseigner la géométrie. On pourrait aumoins s’entendre sur la nécessité de débattreen profondeur de la nature de ce qu’il faut ensei-gner avant d’introduire des éléments pou-vant la modifier. Si la commission avait pu pro-poser une vision alternative de la géométrie,aussi riche, cohérente et enchâssée dans la scien-ce que celle de nos devanciers, qui intègrenaturellement la géométrie dynamique, elleserait proposée ici. Peut-être d’autres y par-viendront-ils.

Il y a eu quelques vagues tentatives de colo-ration informatique des programmes. Déjà,depuis trois ou quatre décennies, on lit dansles exposés des motifs l’importance qu’onentend donner à la démarche algorithmique.Pour autant toute formulation d’inspirationalgorithmique est encore interdite au bacca-lauréat. On notera deux exceptions.

En série ES on a introduit les graphes dansles programmes. Seulement on n’a pas misd’algorithmique. On dispose d’une structure

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de données assez riche pour en faire, mais onn’en fait pas. En série L on a introduit expli-citement l’algorithmique, mais sans langageadapté ni structuration des données.

La seule façon de justifier ces nouveau-tés serait de les voir, non pas comme de nou-veaux contenus puisqu’elles n’en sont pas,mais comme un prolongement du contenustructurant s’il y en avait un. Pour les graphes,on ne voit pas. Pour l’algorithmique de lasérie L, ce ne peut être qu’une façon, commeune autre sans plus, de s’exercer au raison-nement et à la maîtrise de la langue. Onpourrait aussi parler au lycée des aspectstrès basiques de l’information, à propos despetits nombres entiers par exemple ; ce n’estqu’une façon de repenser au calcul posé, à laprécision etc.

De façon générale, le mieux est encore deconsidérer que l’informatique n’a pas sa placedans les premiers degrés de l’enseignement.

Les rapports avec la physique.

De quelque façon qu’on retourne la chose,il n’y a pas le moindre contenu, ni dans un sensni dans l’autre, dans une hypothétique inter-face entre les mathématiques et la physique ;les deux disciplines s’interpénètrent en effetlargement.

Déjà, la géométrie étant une science phy-sique, les enseignants de mathématiquesenseignent encore de la physique sans lesavoir. L’enseignement de la mécanique,laquelle ne fait jamais qu’ajouter le temps àla géométrie, ne leur posait aucun problèmeil y a quelques décennies. Leur demander detraiter la cinématique du point ne serait pro-bablement pas absurde. Mais peu importelequel, du mathématicien ou du physicien,

enseigne une question donnée. On pourrait parexemple envisager de placer l’optique géo-métrique dans le programme de mathématiquessi celui de physique n’en veut plus.

A l’inverse les enseignants de physique onttoujours enseigné des mathématiques. Ilsdémontraient les lois de Newton et de Descartesen optique, autrement dit ils écrivaient des équa-tions réduites pour certaines involutions ouhomographies. Ils résolvent depuis toujoursdes équations différentielles. Il est vrai quela tendance de l’enseignement de la physiqueest plutôt d’en retirer les aspects mathéma-tiques, même si cela va contre l’avis de quelquesphysiciens éminents.

Dans une situation idéale, les contenusde l’enseignement des mathématiques et dela physique se chevauchent donc harmo-nieusement. A défaut il faut éviter à toutprix quelques écueils.

C’est d’abord se croire obligé de donner unecoloration physique à certains exercices demathématiques, alors qu’on ne sait pas de quoil’on parle. Déjà le fameux chariot “fou” dubaccalauréat 2004 était loin d’être convaincant.Bien souvent l’exercice tourne au grotesque.Il ne semblerait d’ailleurs pas que cela heur-te les collègues physiciens ; l’idée est que cha-cun fait se qu’il veut dans son cours.

C’est aussi s’atteler à écrire un dictionnairedonnant la traduction de chaque terme d’unediscipline vers l’autre. Il faut bien comprendreque la physique utilise le langage des mathé-matiques. Si l’on constate quelques diver-gences, c’est parce que l’enseignement de tellediscipline s’est coupé de celui de l’autre etque le vocabulaire s’est mis à diverger. Il suf-firait de prendre l’avis de quelques scientifiquesincontestés pour y remettre de l’ordre.

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Que faut-il faire alors ? Tout simplementmettre en place, en mathématiques, descontenus compatibles avec l’enseignementde la physique, ce qui suppose qu’ils aurontreçu l’aval des autorités scientifiques. Lesenseignants de mathématiques pourront

alors enseigner tranquillement leur disci-pline, sans autre souci. Du côté des contenusen physique, il serait bon que l’accent soit missur quelques équations de base, pour permettrede s’en servir en mathématiques, facultati-vement et à l’occasion.