L'enfant et la communication (Préface)

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J’ai souhaité une réédition de “L’enfant et la communication”...pour expliquer pourquoi les rapports, déclarations, propositions et mesures imposées du gouvernement français au cours des cinq dernières années, ont été insensés et irresponsables...(pour la petite enfance et l'enfance). Hubert Montagner

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PREFACE DE LA NOUVELLE EDITION

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PREFACE DE LA NOUVELLE EDITIONDE LENFANT ET LA COMMUNICATION

Jai souhait une rdition de Lenfant et la communication pour rpondre la demande de nombreux ducateurs de crche, denseignants des coles maternelles, de psychologues, pdopsychiatres, pdiatres, sociologues, chercheurs... et parents, sans oublier quelques-uns des enfant que nous avons suivis entre leurs premiers jours ou semaines et la fin de leur troisime anne (ils ont maintenant plus de trente ans). Mais aussi, pour expliquer pourquoi les rapports, dclarations, propositions et mesures imposes du gouvernement franais au cours des cinq dernires annes, ont t insenss et irresponsables. Ils sont particulirement dsastreux pour les enfants fragiles, vulnrables et dmunis dont la famille est elle-mme fragile, vulnrable et dmunie. Enfin, il ma paru ncessaire de contribuer dsamorcer, chez les dcideurs et dans lopinion publique, des priori, certitudes errones, dogmes et idologies qui causent un lourd prjudice aux enfants, mais aussi aux structures daccueil, dducation et denseignement qui les accueillent, et la nation elle-mme.

Des donnes confortes et mises en pratique par les professionnels de la petite enfance

Beaucoup de professionnels de la petite enfance me font lhonneur de souligner que Lenfant et la communication apporte un clairage indit sur les registres et modes de communication du jeune enfant avec ses diffrents partenaires, en particulier ses pairs la crche et lcole maternelle (il nest pas inutile de rappeler que, selon le LAROUSSE, communiquer cest transmettre quelque chose quelquun et donc, priori, sans prjuger ce qui est transmis). Selon eux, Lenfant et la communication permet galement de comprendre comment se structurent les groupes entre un et quatre ans en fonction du profil comportemental des enfants, cest--dire les comportements et modes de communication quils privilgient dans les interactions avec les pairs. Mais aussi, comment et sous quelles influences le profil comportemental de chacun peut voluer au fil du dveloppement et de lge. Les professionnels ont vrifi en particulier qu tout moment les dplacements, relations et changes en activit libre sorganisent souvent autour dun ou de plusieurs leaders, cest--dire des enfants attractifs, imits et suivis dont les conduites affiliatives (comportements dapaisement, doffrande, de sollicitation, de coopration et dentraide) sont rgulirement prdominantes dans la journe et dun jour lautre. Ainsi se constituent, selon leffectif, un ou plusieurs petits groupes dans lesquels les enfants suiveurs dveloppent les mmes conduites affiliatives que le ou les leaders. Cependant, selon la situation, le contexte et lenvironnement, les uns et les autres peuvent aussi sengager dans des conflits, comptitions et relations de dominance apparentes ou relles pour sapproprier les objets, mobiliers et espaces, avec des menaces plus ou moins ritualises (symboliques) ou des agressions qui peuvent entraner des vitements, fuites, pleurs, retraits ou isolements. Au fond, en dehors de la prsence des partenaires familiaux, mais sous le regard rassurant des ducateurs, les jeunes enfants crivent entre eux un livre de vie dans lequel chacun rvle, faonne, libre et affine son identit au sein dune micro socit. Chacun dcouvre quil est diffrent des autres, et quil peut communiquer librement selon dautres modes et registres que dans le milieu familial. Chacun dcouvre quil sait transmettre peu ou prou son savoir tre et son savoir faire travers les imitations quil suscite chez ses pairs, tout en tant capable de les mettre dans sa poche en reproduisant leurs mimiques, rires, gestes, postures, vocalisations, habilets motrices... Plus gnralement, nos quipes de recherche ont observ que, ds la premire anne, un enfant est capable de sajuster tout moment ce que fait son partenaire, en mme temps que celui-ci peut sajuster son comportement, mme si lun et lautre ne parlent pas encore, ou sils ont un langage mergeant, non structur, vocal, hsitant, balbutiant... (ce qui ne les empche pas de comprendre ce que dit linterlocuteur). Les sourires, rires, enlacements, mimiques, offrandes, postures, gestes de sollicitation, menaces ritualises, colres, pleurs... que chaque enfant induit chez ses pairs en fonction de la situation et du contexte, puis lenchanement des rponses, nourrissent lhypothse forte quil peuvent et savent se mettre sur la mme longueur donde motionnelle. Lun et lautre peuvent ainsi dvelopper tout moment des interactions accordes, cest--dire des ajustements rciproques non seulement des comportements, mais galement des motions, affects et rythmes daction. Renouvele au quotidien, cette imbrication comportementale, motionnelle et rythmique gnre un sentiment de scurit affective qui permet aux enfants de tisser et nouer entre eux des liens scurisants et un attachement scure. Installs dans la scurit affective par et avec un ou plusieurs pairs, ils peuvent nourrir le sentiment quils ne sont pas abandonns, dlaisss, ignors, mal aims... par tout le monde, en particulier quand leur milieu familial cumule des difficults inscurisantes, anxiognes et/ou angoissantes . Il nest donc pas rare que des duos se forment la crche, parfois des trios. Sagissant des duos, chacun recherche lautre tout moment et le rclame quand il (elle) est absent(e) comme sil ne pouvait se passer de sa prsence rassurante (bien entendu, les interactions peuvent aussi tre accordes avec les professionnels et gnrer un attachement scure, mais dun autre type). En dautres termes, la crche collective permet aux enfants de dcouvrir que, lorsquils retrouvent tous les jours des partenaires familiers (leurs copains et copines), ils sont capables de trouver trs tt leur place dans une micro socit 0 ils peuvent se dcouvrir et se dvoiler sans retenue, sans dommage et sans danger, et 0 ils apprennent les prmices de la vie sociale. Il apprennent communiquer de faon diversifie, quelles que soient leur faon dtre et celle des autres (plutt rieurs, plutt gestuels, plutt grimaants, plutt vocalisateurs, plutt turbulents, plutt agressifs, plutt en retrait du groupe...), mme sils nutilisent pas ou ne matrisent pas le langage oral. Sexprimant dans un registre singulier, chaque enfant peut tre reconnu comme une personne part entire, quelles que soient ses particularits et diffrences, y compris sil est handicap, et quelles que soient ses possibilits langagires. Evoluant tous les jours au sein dun groupe de pairs dont les familles diffrent dans leurs particularits sociales, modes de vie, rythmes de vie et de travail, ou encore dans leur langue usuelle, mentalit, culture, origine ethnique... les enfants sont engags de facto dans une dynamique de socialisation, cest--dire un processus par lequel lenfant intgre les divers lments de la culture environnante, et sintgre dans la vie sociale (dfinition du LAROUSSE). A la crche, les diffrents enfants sont en effet immergs dans une mixit humaine et culturelle sans gale. Les arrives chelonnes et fluides de nouveaux partenaires au fil du temps renforcent la dynamique de socialisation, en tout cas lorsque les enfants sont prsents les uns aux autres. En effet, la nouveaut suscite toujours la curiosit et permet aux anciens rsidents de dcouvrir avec des inconnus devenant familiers dautres registres et modes de communication travers les imitations rciproques. Ce sont ainsi les regards qui voluent en permanence, ce sont de nouvelles rencontres qui permettent de reconnatre et daccepter les diffrences, cest la pense qui se nourrit de nouveauts.

Cest pourquoi, il faut implanter des crches collectives dans tous les habitats afin que chaque enfant puisse spanouir dans la communication plurielle et la socialisation, de lui-mme et sans dressage (conditionnement) ou apprentissage formel, sans subir de pression pour quil sexprime tout moment par le langage oral, mme sil faut videmment lui parler. Il faut amliorer les diffrentes structures daccueil de la petite enfance en agissant en priorit sur les trois leviers fondamentaux qui permettent aux enfants de sinstaller dans la scurit affective, de prendre confiance en soi et dans autrui, de librer leurs motions imbriques dans le langage oral, de dvelopper leurs systmes de communication, de sengager dans la socialisation, tout en ayant la possibilit de librer lensemble de leurs ressources caches ou mergentes, notamment cognitives et intellectuelles, et den acqurir de nouvelles. Cest--dire, au moins une personne familire, apaisante et rassurante qui puisse tre perue comme une figure dattachement scure, un amnagement du temps qui ne soit pas contretemps des rythmes biopsychologiques, socles des processus dadaptation tous les ges, et un amnagement de lenvironnement qui permette chacun de sceller lalliance du corps et de la pense (de donner sens ce que fait le corps dans toutes les dimensions de lespace, et en mme temps de le piloter).

Les mmes registres de communication et les mmes phnomnes de groupe sont observs lcole maternelle entre deux ans et demi et six ans ds lors que les enfants peuvent voluer en activit libre. Jai t particulirement intress et touch par les observations, analyses et propositions rapportes en 2012 dans Llve est aussi un enfant, publi Interditions par Franoise HENAFF, matresse dapplication et ancienne Directrice dcole maternelle, Christiane SALON, enseignante spcialise et rducatrice dans un RASED (Rseau dAide aux Elves en Difficult), et Agns LE GUERNIC, Professeur de Franais, Inspectrice de lEducation Nationale et formatrice de personnels de lEducation Nationale. En effet, elles y expliquent pourquoi lcole et les enseignants ne peuvent ignorer que les lves sont dabord des enfants et des personnes, et non pas simplement ou seulement des lves quil faut instruire. Il est alors possible de mieux cerner les freins, peurs, blocages, inhibitions, angoisses... qui empchent lenfant-lve de comprendre et dapprendre, ou den avoir envie. On peut ainsi formuler dautres hypothses ou explications que des supposs dficits dans les processus cognitifs et/ou des petits moyens intellectuels dans la gense de ce quon appelle lchec scolaire, plus gnralement dans lappropriation des savoirs et des connaissances. Franoise HENAFF, Christiane SALON et Agns LE GUERNIC soulignent aussi que le ou les leaders au sein du groupe-classe peuvent tre des auxiliaires prcieux dans lorganisation de la pdagogie, en tout cas lcole maternelle. Riches de leurs comptences professionnelles (elles savent de quoi elles parlent), ces enseignantes-ducatrices-pdagogues exprimentes ont observ, elles aussi, que les mimiques, postures, gestes, vocalisations... se chargent progressivement de sens au fil du temps et du dveloppement individuel, et donc que la communication ne saurait tre confondue avec le langage oral. A juste titre, elles considrent la communication dans sa globalit et sa diversit et, mme si le langage oral accrot, videmment, les possibilits relationnelles avec autrui.

En rsum, les donnes, analyses et ides rapportes dans Lenfant et la communication, et confortes par dautres tudes et observations, sont toujours dactualit. Quand les jeunes enfants sont accueillis en dehors du milieu familial et peuvent voluer en activit libre dans un groupe de pairs, ils ne senferment pas et ne se laissent pas enferms dans le langage oral ni dans lgocentrisme, contrairement ce qui a t souvent affirm. Ils ont dj une capacit plurielle de communiquer et de sorganiser en micro socit au sein de laquelle les interactions sont rgules par des comportements et conduites diversifis, par des faons dtre et de faire qui permettent tout moment chacun de transmettre quelque chose quelquun, en fonction de la situation, du contexte, du partenaire, de lenvironnement global, sans oublier ses expriences et son vcu.

Lirresponsabilit sans borne, les positions insenses et linculture abyssale du Gouvernement de la Rpublique franaise

La recherche scientifique a largement montr et dmontr entre 1970 et 2000 la prcocit des interactions accordes du bb avec ses partenaires, en particulier sa mre, ainsi que la complexit tous les ges des systmes de communication, des conduites sociales et des processus cognitifs des enfants. Pourtant, de rares exceptions prs, elle est rgulirement ignore, dtourne ou dforme par les consultants, experts et Ministres du gouvernement de la Rpublique franaise. Par dogmatisme, idologie, inculture, laxisme ou btise, ils ne connaissent pas rellement la gamme des possibilits, potentialits, capacits, comptences et ressources qui faonnent la vie motionnelle, laffectivit, les attachements, les systmes de communication, les interactions sociales et les processus cognitifs qui sous-tendent les constructions intellectuelles des enfants. Ou alors, ils les caricaturent. En tout cas, si on se fonde, par exemple, sur les rapports remis entre 2008 et 2011 au Premier Ministre et au Ministre de lEducation Nationale. En effet, les experts, consultants et Ministres sont obnubils par la matrise du langage oral tout prix et le plus tt possible, et par la ncessit dengager les enfants ds lge de deux ou trois ans dans les apprentissages scolaires dits fondamentaux (lecture criture, calcul), au nom dun concept flou et archaque (linstruction), alors que, pour devenir un lve qui peut, veut et sait apprendre, le petit de lHomme doit dabord se raliser dans ses dimensions denfant. Selon eux, il sagit de pr-requis qui doivent permettre de rduire les retards, insuffisances et lacunes scolaires des coliers, en particulier ceux que lon dit en chec scolaire. Pourtant, la FRANCE est rgulirement montre du doigt pour son incapacit rduire les difficults de ses enfants matriser lcole les apprentissages dits fondamentaux, et pour un fonctionnement ingalitaire qui pnalise les enfants des milieux dfavoriss 0 les familles cumulent les difficults de tout ordre.

En consquence, les experts, consultants et technocrates du Ministre de lEducation Nationale prconisent qu lcole maternelle la majeure partie du temps soit consacre lapprentissage et la matrise du langage oral. Mais, sans se proccuper des diffrences de dveloppement entre les enfants... comme sils taient tous prts matriser la langue au mme ge (ils confondent rgulirement lge et le dveloppement). Et sans former lide que les difficults ou checs dans les apprentissages scolaires peuvent tre surtout lis des peurs, blocages affectifs, inhibitions, tats danxit, angoisses... dont les enfants doivent dabord se librer ou tre librs. Cest--dire, principalement, linscurit affective, le manque de confiance en soi et dans autrui, la faible estime de soi, limpossibilit invalidante de librer ses motions, ses affects et son imagination, ou encore lexcs de fatigue, le stress, la paralysie cre par le trac (lanxit de performances ou peur de mal faire), les troubles du rythme veille-sommeil, les dficits dans la vigilance, lattention, la rceptivit et la disponibilit. Lorsque les enfants cumulent une partie ou la totalit de ces freins ou empchements, ils ne peuvent librer les possibilits, potentialits, comptences et ressources du cerveau qui permettent de donner sens et signification aux messages, explications... de lenseignant(e) et de toute autre personne. Au fil du temps, ils perdent lenvie de comprendre et dapprendre, ou ne peuvent mme plus former lide quils sont capables de russir comme les autres, ou mieux que les autres.

Je me limiterai ici deux exemples pour illustrer lirresponsabilit sans borne, les positions insenses et linculture dexperts ou de consultants dans les rapports quils ont remis aux ministres entre 2008 et 2011, mais aussi leur dmagogie et leur nocivit. Leur mise en pratique aggraverait coup sr les difficults des enfants les plus fragiles, vulnrables et dmunis.

Le dogme du linguiste Alain BENTOLILA Intitul La maternelle : au front des ingalits linguistiques et sociales, le rapport remis au Ministre de lEducation Nationale en 2008 par le linguiste Alain BENTOLILA, recommande que la mission prioritaire, pour ne pas crire exclusive, de l'cole maternelle doit tre d'augmenter le temps consacr la matrise de la langue franaise. Les personnes non averties peuvent percevoir le rapport de Monsieur Alain BENTOLILA comme un document de bon sens (c'est--dire nourri par une capacit de bien juger, sans passion : dfinition du Larousse), en accord avec le dsir lgitime des parents, soucieux que leurs enfants apprennent bien parler l'cole maternelle, acqurir ainsi les fondements ncessaires l'apprentissage de la lecture et de l'criture, au dveloppement des capacits de communication et, bien entendu, la construction de la pense. Effectivement, lune des missions de lcole maternelle est de dvelopper les stratgies, dmarches, mthodes, techniques... qui peuvent permettre aux enfants, tous les enfants, denrichir leur vocabulaire, tout en dcouvrant le sens et la signification des mots, dans le respect de la grammaire et de la syntaxe de la langue. Mais, telle quelle est formule et explique, lexigence de Monsieur Alain BENTOLILA est irresponsable, dogmatique, illusoire, irralisable, insense et litiste. Le linguiste crit en effet il est impratif que chaque lve termine l'cole maternelle en ayant compris l'conomie gnrale du systme alphabtique du franais. Diable ! Lcole maternelle doit-elle tre conue pour accueillir les surdous, les futurs candidats lcole polytechnique... dont la famille matrise le langage oral dans sa complexit et ses nuances ? On peut se demander si Monsieur Alain BENTOLILA a dj dialogu avec des familles et des enfants qui sont enferms dans leurs difficults quotidiennes et nont pas la moindre ide de ce que signifie l'conomie gnrale du systme alphabtique du franais, ni mme lenvie de savoir. Ce qui leur importe, cest dabord de comprendre et de se faire comprendre.

Dans le systme de Monsieur Alain BENTOLILA, chaque enseignant devient une sorte de technicien qui doit travailler des squences dans lesquelles les productions sont concrtes, dcorticables, observables, comme par exemple dans les exercices de graphisme. En consquence, selon l'une des recettes de Monsieur Alain BENTOLILA, il conviendra de chercher les moyens qui permettront aux enseignants de pouvoir travailler efficacement en ateliers de sept ou huit lves sans avoir se demander ce qu'ils vont faire des autres. Autrement dit, les enfants n'existeraient plus en dehors des ateliers linguistiques. Tout doit tre organis en classe pour que mme les temps consacrs aux comptines et aux chants doivent devenir des temps d'apprentissage o l'on privilgiera la qualit d'articulation, de mmorisation, d'explication du lexique, plutt que la quantit de comptines marmonnes.

La recette de Alain BENTOLILA est que le temps de concentration quotidien pour chaque lve doit absolument tre augment de manire significative. Certes, mais c'est plus facile assner qu' mettre en oeuvre ! Monsieur Alain BENTOLILA n'explique pas ce quil faudrait faire et comment il faudrait procder avec les enfants en dficit frquent ou permanent de concentration intellectuelle. Il ne fait aucune allusion aux mcanismes, processus ou phnomnes qui sous-tendent la concentration de l'lve, c'est--dire non seulement sa capacit mobiliser ses ressources intellectuelles, mais aussi sa rceptivit et sa disponibilit, elles-mmes dpendantes de son niveau de vigilance, de ses capacits d'attention et de son niveau de scurit affective. Cela ne se dcrte pas. Fort heureusement, les enfants ne sont pas des ordinateurs dont on peut programmer les temps de concentration, la vigilance, les capacits dattention... De toute vidence, Monsieur Alain BENTOLILA ignore les donnes de la recherche scientifique sur le dveloppement, les conduites, les systmes dinteraction et de communication, les capacits dcoute, les processus de socialisation et les rythmes de lenfant (voir par exemple les publications scientifiques et les articles de vulgarisation sur les fluctuations de la vigilance au cours de la journe et de la semaine. Je me limiterai ici larticle de synthse que jai crit pour linformation des professionnels de la petite enfance et de lcole : Les rythmes majeurs de lenfant, H. MONTAGNER, 2009).

Au total, le rapport de Monsieur Alain BENTOLILA est inquitant. Il a lair srieux alors quil est simpliste, dshumanis et dshumanisant. Monsieur Alain BENTOLILA considre en effet que les enfants d'cole maternelle doivent tre essentiellement considrs comme des systmes linguistiques qu'il faut formater dans des ateliers de langage oral ds la petite section. L'lve conu par Monsieur Alain BENTOLILA est ni dans ses dimensions de personne et d'enfant. A aucun moment, il n'est considr comme une personne d'attachement, d'motions et d'affectivit qui se construit aussi dans les interactions sociales avec des partenaires multiples, notamment avec les pairs (selon Monsieur Alain BENTOLILA, communiquer et parler avec ses pairs ... conduit l'inscurit linguistique !). Les systmes de communication de lenfant sont rduits au langage oral, et les processus de socialisation ne sont mme pas voqus ... pas plus que les activits ludiques (le mot jeux apparat une seule fois dans le rapport). De toute vidence, Monsieur Alain BENTOLILA oublie ou ignore que la socialisation et les activits ludiques jouent un rle primordial dans le dveloppement de l'enfant, y compris aux plans langagiers, cognitifs et intellectuels. Dans son rapport, les sensorialits auditive et visuelle ne sont considres que dans l'acquisition et la matrise du langage oral, puis de la lecture et de l'criture. Le dveloppement du corps et les habilets motrices sont escamots. Un besoin fondamental comme le rythme veille-sommeil est tourn en drision. Il n'est jamais question de l'imaginaire (selon Monsieur Alain BENTOLILA, le discours quotidien, les comptines et le chant doivent devenir des outils dont les finalits sont l'acquisition d'un vocabulaire plus important, et l'apprentissage de la syntaxe et de la grammaire). La petite section apparat comme une propdeutique de la moyenne section, elle-mme propdeutique de la grande section, elle-mme propdeutique du cours prparatoire, mme s'il est affirm que l'cole maternelle doit tre une cole part entire. Le dogmatisme, linculture, le rductionnisme et les drives de Monsieur Alain BENTOLILA sont terrifiants.

En voulant imposer le tout linguistique comme pierre de vote de l'cole maternelle, Monsieur Alain BENTOLILA est implicitement litiste alors que, pourtant, il se propose de monter Au front des ingalits linguistiques et sociales En effet, seuls les enfants vigilants, attentifs, rceptifs, disponibles, motivs et scures peuvent faire l'effort entre trois et six ans d'tre intellectuellement concentrs des moments qui ncessitent une forte mobilisation des ressources intellectuelles pour apprendre encore plus de vocabulaire et matriser encore mieux la syntaxe et la grammaire. Qui sont ces lves modles en supposant quils existent vraiment et que les ralits et contraintes du dveloppement individuel puissent tre matrises ? Ceux qui se rapprochent de ces exigences sont des enfants qui ont une forte probabilit dvoluer tous les jours dans un bain langagier qui respecte la langue, dans les interactions accordes, la scurit affective et l'attachement scure... mais aussi la scurit sociale (revenus suffisants, emploi valorisant et rythmes de travail non puisants des parents, logement suffisamment confortable, famille accorde ). En revanche, si on impose tous les jours ou presque des ateliers de langage oral des enfants rgulirement non vigilants, non attentifs, non rceptifs, non disponibles, non motivs et non scures, on cre des conditions qui ont une forte probabilit daugmenter leur inscurit affective et leur inscurit linguistique. On sait que la plupart de ces enfants (voire la quasi totalit) ne vivent pas la maison dans les interactions accordes, la scurit affective, l'attachement scure... et la scurit sociale (pauvret, chmage, logement insalubre et exigu, conflits rcurrents entre les parents...).

Avec les positions dogmatiques et outrancires de Monsieur Alain BENTOLILA, les ingalits sociales et linguistiques ont une forte probabilit de se creuser, en tout cas de ne pas s'attnuer.

Les jardins dveil

Les rapports remis en 2008 aux ministres concerns par la dpute Madame Michelle TABAROT et les snateurs Madame Monique PAPON et Monsieur Pierre MARTIN sur laccueil des jeunes enfants, sont des tissus d'affirmations gratuites, de prsupposs, d'ignorances et derreurs qui masquent mal une manipulation de lopinion publique. Aucun de leurs arguments ne justifie la cration des jardins dveil, structures "spcifiques" qui seraient rserves aux enfants gs de deux trois ans. En effet, dans cette classe dges, les enfants ne se caractrisent nullement par des besoins, "mergences", constructions... qui en feraient des tres fondamentalement diffrents de leur ans gs de trois quatre ans, notamment ceux qui sont accueillis en petite section d'cole maternelle, sinon des diffrences de moindre complexit lies l'ge et aux particularits individuelles. En fait, les "jardins d'veil" ne reposent nullement sur la prise en compte de l'intrt des enfants ni dailleurs de celui de leur famille. Contrairement aux dclarations de la Ministre, Madame Nadine MORANO, rien ne permet d'affirmer que la cration des jardins dveil constitueune nouvelle approche en matire de politique daccueil de la petite enfance dans notre pays".

Comme le montrent les donnes de la recherche nationale et internationale, et de nombreux ouvrages de vulgarisation dont Lenfant et la communication, les "jardins d'veil" ne sont que des coquilles vides et de la poudre aux yeux. C'est une diversion qui masque mal les besoins et demandes croissants des familles pour que l'accueil de leur enfant se fasse, juste titre, dans des lieux et conditions qui prservent son intgrit, son bien-tre, son panouissement, son rythme veille-sommeil, ses possibilits de socialisation, ses capacits et ressources de tout ordre, tout en lui assurant videmment une alimentation approprie et des soins corporels de tous les instants.

Examinons quelques-unes des affirmations assnes dans les rapports qui ont conduit la Ministre Madame Nadine MORANO crer les jardins dveil

Lenfant de deux ans serait un individualisteQuand les snateurs Madame Monique PAPON et Monsieur Pierre MARTIN crivent en 2008 que Lenfant de deux ans, cest en quelque sorte un individualiste auquel il faut laisser le temps dvoluer, de mrir pour tre en capacit un peu plus tard de devenir lve, ils commettent un contresens total (leur rapport est intitul Accueil des jeunes enfants: pour un nouveau service public). En effet, la recherche a largement dmontr que, pendant la deuxime anne et lorsque lenvironnement sy prte, les enfants multiplient spontanment les comportements affiliatifs avec leurs pairs, cest--dire les signes dadhsion ce quils font et disent (gestes dapaisement, sourires et rires qui dminent les chagrins, enlacements de rconfort, offrandes et trocs...). Ils ont aussi toute une gamme de comportements de sollicitation manuelle, corporelle, vocale... (verbale chez ceux qui parlent), de coopration, danticipation du comportement des autres, dentraide, plus gnralement de conduites sociales (voir par exemple les publications de H. MONTAGNER et al., 1993,1994). De nombreuses vidos montrent sans ambigut la ralit et la diversit de ces comportements et conduites bien avant lge de 2 ans, et leur complexit croissante lorsque les espaces sont amnags pour tre investis dans toutes leurs dimensions. Rien ne permet donc daffirmer que, "en quelque sorte", lenfant de deux ans est un individualiste.

Les besoins affectifsSelon les snateurs, Lintense besoin de scurit des petits enfants ne peut se faire avec les pairs. La qualit de ce lien est conditionne surtout par la scurit de lattachement aux parents. La plupart des enfants scuriss avec leurs parents le sont aussi avec le professionnel rfrent du lieu daccueil. Bien entendu, la scurit affective et les liens dattachement qui se nouent et se renforcent dans le milieu familial entre lenfant et sa mre, son pre (les deux parents) dans un bain dinteractions accordes, sans oublier la fratrie, les grands-parents, parfois la belle-mre ou le beau-pre, sont des nourritures affectives de premire importance. La scurit affective est en effet le coeur de lenfant et le moteur de son dveloppement. Cependant, comme je lai soulign prcdemment, des liens scurisants et un attachement scure peuvent aussi se tisser avec les pairs... et pas seulement avec le professionnel rfrent du lieu daccueil. Il est tonnant que, malgr les nombreuses recherches nationales et internationales, les snateurs ignorent ou nient limportance des relations affectives (et autres) de lenfant avec ses pairs, en particulier entre 2 et 3 ans. Contrairement ce que le linguiste Alain BENTOLILA crit en 2009 dans La maternelle : au front des ingalits linguistiques et sociales, rien ne permet daffirmer quelles gnrent une inscurit linguistique (voir prcdemment). Dans les interactions non linguistiques avec les pairs, en tout cas non fondes sur la parole, les enfants dcouvrent que les mimiques, postures, gestes, vocalisations... des partenaires ne sont pas dpourvus de sens mais vhiculent des messages qui dvoilent leurs motions, motivations, intentions... comme le montre Lenfant et la communication, ils nont pas besoin de mots pour comprendre et se faire comprendre

Les besoins disolement ou de mouvement Le constat est le mme pour les besoins disolement ou de mouvement. Tout dabord, il est simpliste dopposer isolement et mouvement. En effet, entre deux et trois ans la crche, deux ans et demi et six ans lcole maternelle, un enfant peut se tenir lcart des autres sans chercher pour autant sisoler de ses pairs et/ou de ses ducateurs. Lobservation montre en effet que sil est alors sollicit par un tiers, il peut rpondre par des sourires, rires, mimiques, postures, gestes, vocalisations ... et/ou paroles, selon le moment, la situation et le contexte, et non par lvitement ou lisolement, la fuite ou les pleurs. Lorsquun enfant se met en retrait (en stand by), cela ne signifie donc pas quil ne soit pas disponible pour des interactions et changes avec un ou plusieurs tiers. Par comparaison, un enfant du mme ge peut apparatre en mouvement pour le mouvement (il est qualifi improprement dhyperactif), et ne pas rpondre aux sollicitations de ses partenaires, comme sil tait dans sa bulle, sur son nuage, dans sa forteresse... Cela ne veut pas dire quil ne peroit pas la signification et le sens des messages qui lui sont adresss, au moins parfois et dans certaines situations. En fait, la crche et lcole maternelle, il faudrait concevoir les objets (jouets, ustensiles ...), les mobiliers, les espaces et lenvironnement global, organiser les plages dactivits libres et proposer les activits considres comme structurantes, ducatives et/ou pdagogiques, pour que chaque enfant puisse alterner de lui-mme et son rythme les temps de retrait par rapport au groupe, les vrais temps disolement (il se met en position de non vigilance et de rvasserie et se dconnecte de lenvironnement), et les temps du mouvement. Mais aussi, les temps dinteraction et de communication, que les enfants soient ou non en mouvement, quils soient ou non en retrait du groupe. Il est trange que, dans leur confrence de presse du 4 novembre 2008, les deux snateurs Madame Monique PAPON et Monsieur Pierre MARTIN ne disent pas un mot sur les capacits avres de lenfant initier la communication (transmettre quelque chose quelquun), rpondre ceux qui sadressent lui, ou sengager dans une interaction ds lors quil en a la possibilit et lenvie. Dans leur rapport de 2008, le mot communication est cit une seule fois... propos de lhistoire rcente de lcole maternelle.A 2, 3, 4, 5 ans ... tous les enfants ont des capacits de communication personnalises, nuances, diversifies et complexes. Elles ne se confondent pas avec les capacits langagires, mme si le langage oral joue videmment un rle dans les changes motionnels, les processus de communication, les constructions cognitives, le faonnement et la mobilisation des ressources intellectuelles et, bien videmment, lorganisation de la pense. Et rciproquement. Comme mes collaborateurs et moi-mme lavons montr dans nos publications et nos livres, en particulier Lenfant et la communication, cest dj ce quon observe entre 1 et 2 ans, mme si le langage oral nest pas encore clairement structur et audible chez la plupart des enfants. Parmi dautres scientifiques, nous avons notamment tudi les capacits de communication des enfants de moins de 2 ans avec leurs pairs. Par exemple, dans deux articles publis en 1993 respectivement par Pediatrics, le priodique officiel de la Socit Amricaine de Pdiatrie et par Les Archives Franaises de Pdiatrie(voir la bibliographie). Nous avons montr que, dans un lieu qui autorise la conqute de lespace dans toutes ses dimensions avec cinq ou six pairs, les enfants de moins de 2 ans rvlent des conduites bien structures de coopration, dentraide et danticipation du comportement des pairs. Contrairement aux snateurs, on ne peut donc affirmer que entre deux et trois ans, les enfants sont gnralement en situation de juxtaposition durant leurs phases de jeux. En outre, les squences de collaboration entre eux" ne sont pas forcment "peu frquentes et courtes. Plus gnralement, en crant la crche des conditions daccueil scurisantes pour lenfant et sa famille, en amnageant lespace et le temps, en multipliant les stratgies relationnelles... afin que tout soit a priori possible, on observe que tous les enfants de moins de 2 ans rvlent un registre large, inattendu et complexe de possibilits, potentialits, comptences et ressources caches, et en acquirent de nouvelles. Y compris ceux qui taient autocentrs et paraissaient replis sur eux-mmes, ceux qui se caractrisaient par des conduites dvitement et de fuite, par une hyperactivit dbordante et/ou par une agressivit hors de propos (sans raison apparente). Lmergence et le dveloppement des capacits communiquer et sapproprier les espaces dans toutes leurs dimensions, ne sont donc pas fondamentalement ou seulement lis lge. Elles dpendent aussi des conditions denvironnement, notamment quand les changes avec les pairs stimulent et facilitent les interactions sociales. En dautres termes, tout dpend tous les ges de lenfant, de la situation et du contexte.

Deux trois ans: lge fondamental du langage oral?On ne peut pas affirmer que la priode deux-trois ans est lge fondamental de lacquisition du langage. En effet, il est clair que certains enfants dveloppent dj peu ou prou le langage oral au cours de la deuxime anne. Cependant, si on se fonde sur les donnes des recherches longitudinales aprs la naissance et tout au long des premires annes, ainsi que sur les observations et le vcu des ducateurs de jeunes enfants, l'mergence et le dveloppement du langage oral dans ses dimensions motionnelle, affective, relationnelle, sociale (communiquer), linguistique (parler), cognitive et intellectuelle (penser, comprendre, apprendre), apparaissent indissociables des combinaisons plurisensorielles et comportementales qui enveloppent et englobent la parole. En d'autres termes, le langage oral est un joyau qui ne peut briller en dehors de l'crin constitu par le regard, les postures, attitudes et contacts corporels, les expressions faciales, les mouvements manuels et gestuels, les vocalisations et autres bruits oraux, plus gnralement les manifestations qui prcdent, accompagnent et suivent les productions langagires, sans oublier les odeurs et les saveurs des partenaires et de l'environnement. C'est grce sa capacit de diversifier et symboliser les combinaisons il il, locomotrices, manuelles, gestuelles, vocales, langagires et autres que l'enfant structure et organise son langage oral.

Lcole maternelle aurait une fonction de premire socialisation qui se fonde sur des savoir. Comment peut-on affirmer que lcole maternelle a une fonction de premire socialisation ? En effet, accueillis la crche, chez une assistante maternelle, dans une halte-garderie ... les enfants de moins de deux ans sengagent dj avec leurs pairs dans des interactions et communications labores et diversifies qui fondent les relations sociales (voir la bibliographie). Ils dcouvrent alors les diffrences des uns et des autres, apprennent les reconnatre, faire reconnatre leurs propres particularits et saccorder avec autrui, cest--dire sinstaller dans une vie de groupe apaise, au moins certains moments, et ainsi se socialiser, y compris lorsqu'il y a des conflits et des comptitions. Il est donc faux daffirmer que lcole maternelle a une fonction de premire socialisation.En outre, pourquoi et comment cette fonction se fonde sur des savoirs. De quels savoirs sagit-il ? Les interactions sociales ne seraient-elles pas possibles si elles ne reposaient pas sur des processus cognitifs ? Les changes motionnels et affectifs nauraient-il pas une fonction de socialisation ?Toutes les structures daccueil de la petite enfance, et pas seulement les coles maternelles, devraient effectivement tre conues pour que les imbrications entre les motions, la libration de la communication et du langage, les interactions sociales, la conqute de lespace et la libration des processus cognitifs soient possibles ds larrive de lenfant avec son ou ses accompagnateurs. Elles doivent imprativement s'organiser pour que les enfants non scures ou inscures puissent s'installer dans une scurit affective minimale, ou la restaurer si elle a t altre ou dtruite. Un accueil rassurant dans une sphre d'accueil bien amnage, des interactions accordes et des possibilits d'attachement scure avec au moins une personne apaisante sont des leviers majeurs qui permettent un enfant non scure ou inscure de s'imprgner d'une scurit affective qu'il ne trouve pas (ou ne trouve plus) dans le milieu familial. Il peut ainsi dvelopper une confiance minimale en soi et dans autrui, mais galement nourrir peu ou prou l'estime de soi. Mais, faute de moyens, lcole maternelle dispose rarement dune sphre daccueil.

En conclusion,

Il est temps de sortir l'cole maternelle de l'oubli et du dogmatisme, de redfinir ses finalits et d'en faire une priorit pour la nation. C'est en effet entre trois et six ans qu'il faut agir intelligemment pour donner toutes leurs chances tous les enfants, quelles que soient leurs particularits, quel que soit leur milieu familial, social, culturel et ethnique. Il faut notamment mditer l'exemple de la Finlande, reconnue par tous ou presque comme le meilleur lve de la classe europenne, un pays o on privilgie l'coute, le bien-tre, les rythmes et l'panouissement de l'enfant, et o l'apprentissage de la lecture l'cole est seulement organis partir de l'ge de sept ans, ou plus tard.

Les priori, certitudes errones, dogmes et idologies

Un autre questionnement illustre l'incapacit de la FRANCE rnover ou refonder son cole : on pense et on fait comme si les enfants taient programms gntiquement, socialement et/ou culturellement pour devenir entre six et sept ans des lves-coliers domestiqus et formats que l'on a dj enferms dans les apprentissages dits fondamentaux. Ainsi, l'un des objectifs explicites des jardins d'veil est de prparer les enfants gs de deux trois ans se prparer l'cole maternelle. Mais, pour quoi faire, comment, avec quels principes et travers quelles activits ? Pour quelles acquisitions, pr-apprentissages ou apprentissages ? Comprenne qui pourra. Cependant, les snateurs thoriciens Madame Monique PAPON et Monsieur Pierre MARTIN prcisent que lobjectif des jardins dveil nest pas de prparer les enfants aux apprentissages fondamentaux de l'cole lmentaire, cette mission devant, selon les rdacteurs, tre assume par l'cole maternelle... comme cela est prvu par les textes officiels. En prenant cette prcaution d'criture et de prsentation, les parlementaires et la Ministre Madame Nadine MORANO voulaient viter que les jardins d'veil ne soient perus comme des structures concurrentes de la petite section de l'cole maternelle alors que, bien videmment, le projet politique tait d'aboutir sa suppression... pour des raisons comptables et idologiques. En effet, admis ds l'ge de deux ans dans un jardin d'veil (payant), les enfants pouvaient (peuvent) y rester pendant 18 mois, et tre ensuite inscrits (gratuitement) dans une cole maternelle l'ge de trois ans et demi. La probabilit est leve que, la demande et sous la pression des parents, ils soient accueillis directement dans la moyenne section comme s'ils venaient d'une petite section, avec le plus souvent l'accord explicite ou tacite des enseignants, soucieux de rduire l'effectif de la petite section, souvent trop lev et difficile grer, en tout cas le matin (on peut les comprendre). Ainsi tait dmontr qu'on pouvait se passer de la petite section.

S'agissant de l'cole maternelle dans son ensemble, les objectifs, missions, finalits, perspectives... sont donc, officiellement, de prparer les enfants aux apprentissages dits fondamentaux, comme si cela tait naturel, normal, programm, prdtermin, biblique... et comme si le vocable apprentissages fondamentaux avait du sens (qu'est-ce qui est fondamental et qu'est-ce qui ne l'est pas ?). Au nom de qui et au nom de quoi, en se fondant sur quels arguments, sur quelles recherches, sur quelles thories, sur quels besoins de la socit... les enfants gs de deux quatre ans, de quatre cinq ans, de cinq six ans doivent-ils tre considrs comme des pr-coliers ou des pr-lves ? En les formatant dans une logique apparente de bon sens , on leur vole une partie de leur vie d'enfant, mme si le talent et l'imagination des enseignants d'cole maternelle leur permettent de prendre du plaisir dans des activit rcratives, ludiques... et d'apprendre autre chose que du fondamental. On les appauvrit dans leur spontanit, leurs capacits d'exploration, leur crativit, leurs capacits d'expression... et leur pense (seuls les enfants vivant dans une famille de nantis et de sachants peuvent s'ajuster, se mouler et se plier au systme actuel... parce qu'il est cultiv la maison). Est-ce que le formatage dans et par les apprentissages dits fondamentaux prpare pour autant les enfants un parcours de russite affective, intellectuelle, sociale, civique, intellectuelle, crative, humaniste, professionnelle... ? Ignore-t-on que tous les enfants peuvent rvler et structurer leurs ressources intrinsques tout moment ds lors qu'ils peuvent explorer, modifier et rorganiser librement les objets, les mobiliers, les lieux de vie... s'approprier les espaces dans toutes leurs dimensions et sceller ainsi l'alliance du corps et de la pense, exprimenter sans retenue leurs habilets corporelles, gestuelles et manuelles, (r)inventer sans limite les activits ludiques, les stratgies de communication, les langages et les faons de penser au cours des interactions avec les pairs et avec les diffrents partenaires qu'ils rencontrent ? Mais aussi, imaginer sans consigne ni limite de nouvelles activits, de nouveaux jeux, de nouveaux savoirs et de nouvelles connaissances qu'ils chargent d'imaginaire, de symboles et de rgles, et encore dcouvrir qu'ils sont capables de construire, d'induire, de dduire, de penser... L'cole doit donc crer les conditions existentielles, relationnelles, sociales, temporelles et spatiales qui permettent chaque enfant de librer quand il est prt, ou quand il a envie d'tre prt, les possibilits, potentialits, comptences et ressources caches, non lisibles, pas encore structures et fonctionnelles, en jachre... qu'il porte forcment en lui (les capacits du cerveau sont illimites), quelles que soient les apparences.

L'idologie dterministe du parcours scolaire des enfants est une aberration car elle contient l'ide implicite que, dans la petite enfance, tous les humains ont le mme scnario de dveloppement, c'est--dire les mmes successions d'mergences, d'acquisitions et d'apprentissages d'un ge l'autre et selon le mme rythme ou tempo. En consquence, le postulat est que tous les enfants peuvent (doivent) tre prts librer leurs possibilits, potentialits, comptences, ressources... aux moments et dans les situations que les adultes ont dcids pour eux, en se fondant sur des routines, des moyennes et des certitudes non dmontres qui n'ont aucun sens ni signification. Selon ce mythe qui relve du religieux (c'est un dogme), les enfants doivent tre faonns (pour ne pas crire conditionns) d'un ge l'autre pour s'accrocher au fil conducteur plus ou moins linaire ou en zigzag, et impos arbitrairement, qui mne la quasi-obligation d'apprendre lire, crire et compter avant la fin du cours prparatoire. C'est le credo immuable de l'cole de la FRANCE. Il est invraisemblable qu'on ne sache pas (qu'on ne veuille pas) tenir compte des importantes diffrences dans les scnarios de dveloppement des enfants. Pourquoi faut-il rappeler sans cesse que l'ge est un indicateur de la croissance corporelle, morphologique, anatomique, physiologique, psychologique et intellectuelle... qui ne se confond pas avec la dynamique du dveloppement individuel, carte d'identit de chacun, quelle que soit la part des facteurs gntiques, des influences de l'environnement, des auto-apprentissages, des auto-transformations, des expriences individuelles et du vcu ? On raisonne comme si la prcocit de la mise en situation d'apprentissage scolaire dterminait la russite scolaire... C'est videmment faux. On vit dans l'ide fausse que plus tt on apprend, mieux et plus tt on russira l'cole... et que, au fond, la russite au baccalaurat, l'universit... doit dj se prparer deux ans, trois ans... (selon la mme ide dterministe, on se propose de reprer ces ges les graines de violence dont la germination donnera les plantes vnneuses de la dlinquance: H. MONTAGNER, 2011). De dterminismes en dterminismes dcrts, va-t-on driver peu ou prou vers un systme de slection naturelle ?

On ne peut faire l'conomie d'un tel dbat si on veut donner chaque enfant une chance maximale de se raliser dans ses diffrentes possibilits, sensibilits, potentialits, comptences, ressources, ambitions... tout en acqurant de nouvelles, quelles que soient ses particularits, et quelles que soient les particularits de sa famille et de son milieu familial, social et culturel. Pour cela, il faut enfin comprendre que le fonctionnement crbral en imbrication avec le fonctionnement corporel ne doit pas tre enferm dans un carcan arbitraire, fut-il celui des apprentissages dits fondamentaux, mais qu'il doit tre libr, notamment et d'abord au cours de la petite enfance. L'organisation de l'cole maternelle et de l'cole lmentaire, leurs modes de fonctionnement, leurs stratgies d'accueil, leurs systmes de communication et de relation, leurs temps et leurs espaces doivent tre conus pour donner au cerveau de chacun un maximum de plasticit et autoriser ainsi un maximum de flexibilit des comportements, et donc d'volution dans toutes les formes de conduites, d'acquisitions et d'apprentissages. Commenons par supprimer le cours prparatoire tel qu'il existe, et par instaurer un systme cohrent et humaniste avec un minimum de ruptures dstabilisantes et un maximum de repres et de continuits, qui permette chaque enfant de s'panouir sans peurs, blocages affectifs ou inhibitions dans toutes ses dimensions... son rythme et dans la scurit affective... en revenant en arrire s'il en a besoin (voir les crches-coles enfantines que jai proposes pour les enfants gs de deux quatre ans). Cela implique videmment qu'il faut repenser l'articulation entre les diffrentes classes de l'cole maternelle et de l'cole lmentaire, et entre les deux coles. C'tait au fond l'une des propositions de Guy GEORGES, ancien Secrtaire gnral du Syndicat national des Instituteurs, avec l'cole fondamentale (voir son livre i majuscule comme instituteur), une autre de ses propositions majeures tant de repenser l'articulation entre l'cole lmentaire et le collge.

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