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incontournable : le sport est une institution. Qu'est-ce en effet qu'une institution, sinon un ensemble d'actes ou d'idées tout institués que les individus trouvent devant eux et qui s'imposent plus ou moins à eux ? (Fauconnet, Mauss, 1901). Se pose alors la question centrale de l'adhésion à l'institution sportive mal- gré les traumatismes qu'elle engendre qui sous-tend celle du dopage et nous con- fronte à des pratiques à l'articulation de processus bio-psycho-sociologiques, elles-mêmes inscrites dans un tissu serré d'intérêts médiatiques, économiques, politiques et éducatifs. Car le sport repré- sente probablement un modèle de pureté et d'excellence sans faille dont la mise en doute affecterait le modèle de société qui l'a produit dans ses fondements imaginaires, toute institution représen- tant également un réseau symbolique, socialement sanctionné, où se combi- nent en proportions et en relations variables une com- posante fonctionnelle et une composante imaginaire (Castoriadis, 1975, p.184). Aussi l'élucidation de cette question impose-t-elle un regard complexe où il s'agit de distinguer, sans séparer, des pro- cessus inhérents dans la réalité et l'idéali- té dont le plan en triptyque de ce dossier tente de rendre compte dans le cadre d'une approche complémentariste (Devereux, 1985) de différentes démarches scienti- fiques, toute prétention au monopole explicatif d'une discipline étant vouée à l'échec au sujet du dopage. La sociologie qui guide les deux premiè- res parties de cet article présente cepen- dant une spécificité. Permettre, d'une part, de se détacher du problème social et des représentations dominantes du dopage comme un problème relativement nouveau, d'ordre économique et externe au sport, en construisant un problème P EU APRÈS la coupe du Monde de football 1998, l'affaire Festina éclate sur le Tour de France, et le 21 septembre, l'athlète Florence Griffith- Joyner meurt à trente-huit ans, à peine dix ans après son triple titre de champ- ionne olympique à Séoul, sans que n'aient jamais cessé les rumeurs de dopa- ge à son sujet. Deux affaires qui nous placent au cœur des contraintes de la compétition sportive : avoir des résultats quels que soient les moyens à consentir pour rester au haut niveau. Et si l'on envisage presque comme une nécessité le recours aux produits dopants dans le sport intensif et leur lien avec les drogues, le dopage apparaît alors comme une contradiction majeure du sport du fait des exigences compé- titives au mépris de la santé et de la mise en dépendance au détriment d'une autonomie affichée. La seule enquête française sur la mortalité de sportifs est de ce point de vue accablante pour l'évolution du sport puisque des cyclistes de la période récente semblent évoluer à rebours de la population générale dont la mortalité diminue dans toutes les tranches d'âge depuis 1945 (Mondenard, 1998). Par ailleurs, les statistiques sur l'espérance de vie de 55 ans des footballeurs américains professionnels actuels (la moitié décè- dent à 47 ans) confirment les dégâts du dopage (Mondenard, 2001). Le sport paraît pourtant susciter toujours autant l'engouement du public et des pra- tiquants. Et si des enfants et des adolescents s'identifient aux champions sportifs au point d'y sacrifier tout leur temps dans une pratique intensive, si l'homme moderne se doit d'avoir l'allure sportive, si l'école a fait du sport un moyen d'édu- cation, si l'économie adopte le dynamisme sportif, c'est que le sport est devenu revue toxibase n° 3 - septembre 2001 1 thema Lectures sociologiques et cliniques du dopage - 1 Lectures sociologiques et cliniques du dopage Nous n'en sommes encore qu'à la première étape de l'analyse du dopage. L'irruption du phénomène, pourtant présent dans le mouvement sportif et dans la société depuis de nombreuses années, doit nous amener à une étude précise de ses déterminants sociologiques, historiques et politiques. Le domaine de la prévention du dopage est à repenser pour sortir du clivage de l'image d'un sport éthiquement «pur » et de recettes de prévention toutes faites. Troisième volet de ce thema et non le moindre, la compréhension du fonctionnement psychique du sportif est une nécessité pour la mise en place d'un accompagnement clinique véritable qui ne soit pas seulement fondé sur le sevrage et la médecine. Grâce à la contribution de trois auteurs complémentaires, Jean Pierre Escriva sur le plan sociologique, Serge Simon pour la prévention et Claire Carrier pour la psychologie clinique, ce thema engage une réflexion de haut niveau sur le dopage dont on mesure toujours davantage les conséquences en terme de dépendance. Enfin, sur un sujet aussi riche, une bibliographie Toxibase et un repérage des sites Internet permettront d'approfondir les références sur d'autres axes : produits dopants, législation et réglementation, organisation du mouvement sportif… *Jean-Pierre Escriva Sociologue, Professeur agrégé d’EPS chercheur au laboratoire de changement social Univ. Paris VII ATER, UFR, STAPS Univ. des Antilles et de la Guyane, Campus de Fouillole, BP 250, 97157 Pointe-à-Pitre cedex Sport et dopages : une lecture sociologique Jean-Pierre Escriva*

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incontournable : le sport est une institution.Qu'est-ce en effet qu'une institution,sinon un ensemble d'actes ou d'idées toutinstitués que les individus trouventdevant eux et qui s'imposent plus oumoins à eux ? (Fauconnet, Mauss, 1901).

Se pose alors la question centrale del'adhésion à l'institution sportive mal-gré les traumatismes qu'elle engendrequi sous-tend celle du dopage et nous con-fronte à des pratiques à l'articulation deprocessus bio-psycho-sociologiques,elles-mêmes inscrites dans un tissu serréd'intérêts médiatiques, économiques,politiques et éducatifs. Car le sport repré-sente probablement un modèle de puretéet d'excellence sans faille dont la miseen doute affecterait le modèle de société

qui l'a produit dans sesfondements imaginaires,toute institution représen-tant également un réseausymbolique, socialementsanctionné, où se combi-nent en proportions et enrelations variables une com-posante fonctionnelle etune composante imaginaire(Castoriadis, 1975, p.184).

Aussi l'élucidation de cette questionimpose-t-elle un regard complexe où ils'agit de distinguer, sans séparer, des pro-cessus inhérents dans la réalité et l'idéali-té dont le plan en triptyque de ce dossiertente de rendre compte dans le cadre d'uneapproche complémentariste (Devereux,1985) de différentes démarches scienti-fiques, toute prétention au monopoleexplicatif d'une discipline étant vouée àl'échec au sujet du dopage.

La sociologie qui guide les deux premiè-res parties de cet article présente cepen-dant une spécificité. Permettre, d'unepart, de se détacher du problème socialet des représentations dominantes dudopage comme un problème relativementnouveau, d'ordre économique et externeau sport, en construisant un problème

PEU APRÈS la coupe du Monde defootball 1998, l'affaire Festinaéclate sur le Tour de France, et le

21 septembre, l'athlète Florence Griffith-Joyner meurt à trente-huit ans, à peinedix ans après son triple titre de champ-ionne olympique à Séoul, sans quen'aient jamais cessé les rumeurs de dopa-ge à son sujet. Deux affaires qui nousplacent au cœur des contraintes de lacompétition sportive : avoir des résultatsquels que soient les moyens à consentirpour rester au haut niveau.

Et si l'on envisage presque comme unenécessité le recours aux produits dopantsdans le sport intensif et leur lien avec lesdrogues, le dopage apparaît alors commeune contradiction majeure du sport dufait des exigences compé-titives au mépris de lasanté et de la mise endépendance au détrimentd'une autonomie affichée.

La seule enquête françaisesur la mortalité de sportifsest de ce point de vueaccablante pour l'évolutiondu sport puisque descyclistes de la périoderécente semblent évoluer à rebours de lapopulation générale dont la mortalitédiminue dans toutes les tranches d'âgedepuis 1945 (Mondenard, 1998). Parailleurs, les statistiques sur l'espérance devie de 55 ans des footballeurs américainsprofessionnels actuels (la moitié décè-dent à 47 ans) confirment les dégâts dudopage (Mondenard, 2001).

Le sport paraît pourtant susciter toujoursautant l'engouement du public et des pra-tiquants. Et si des enfants et des adolescentss'identifient aux champions sportifs aupoint d'y sacrifier tout leur temps dansune pratique intensive, si l'hommemoderne se doit d'avoir l'allure sportive,si l'école a fait du sport un moyen d'édu-cation, si l'économie adopte le dynamismesportif, c'est que le sport est devenu

revue toxibase n° 3 - septembre 2001 1

thema

Lectures sociologiques et cliniques du dopage - 1

Lectures sociologiqueset cliniques du dopageNous n'en sommes encore qu'à lapremière étape de l'analyse dudopage. L'irruption du phénomène,pourtant présent dans le mouvementsportif et dans la société depuis denombreuses années, doit nousamener à une étude précise de sesdéterminants sociologiques,historiques et politiques.

Le domaine de la prévention dudopage est à repenser pour sortirdu clivage de l'image d'un sportéthiquement «pur» et de recettesde prévention toutes faites.

Troisième volet de ce thema et nonle moindre, la compréhension dufonctionnement psychique du sportifest une nécessité pour la mise enplace d'un accompagnement cliniquevéritable qui ne soit pas seulementfondé sur le sevrage et la médecine.

Grâce à la contribution detrois auteurs complémentaires, Jean Pierre Escriva sur le plansociologique, Serge Simon pourla prévention et Claire Carrier pourla psychologie clinique, ce themaengage une réflexion de hautniveau sur le dopage dont on mesuretoujours davantage les conséquencesen terme de dépendance.

Enfin, sur un sujet aussi riche,une bibliographie Toxibase etun repérage des sites Internetpermettront d'approfondirles références sur d'autres axes :produits dopants, législation etréglementation, organisation dumouvement sportif…

*Jean-Pierre EscrivaSociologue, Professeur

agrégé d’EPSchercheur au laboratoire

de changement socialUniv. Paris VII

ATER, UFR, STAPSUniv. des Antilles et de la

Guyane, Campus deFouillole, BP 250,

97157 Pointe-à-Pitre cedex

Sport et dopages :une lecture sociologique

Jean-Pierre Escriva*

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sociologique décalé de l'actualité (Cham-pagne et al., 1990) à partir de l'interroga-tion des catégories de perception et depensée dudit problème. Dégager, d'autrepart, un ensemble de déterminismessociaux d'autant plus opérants qu'ilsdemeurent latents. Ainsi un choix appa-remment aussi aberrant que le dopage, dupoint de vue de la santé, s'opère-t-il souscontraintes sociales, en l'occurrence l'ac-tuelle légitimité de l'institution sportive sus-ceptible de favoriser des investissementsdémesurés dans des pratiques intensivespréparant un terrain addictif , si ce n'estdes addictions proprement dites, en amontmême de l'usage de produits dopants.

Enfin, aux antipodes d'une sociologiebavarde dans ses commentaires de problè-mes médiatiques déjà pré-construits, lasociologie à l'œuvre ici, un peu à l'image dela philosophie selon Jacques Derrida, aune plus haute ambition, peut-être plusdérangeante, plus insatisfaisante aussi, carmoins pragmatique : celle d'interrogerl'institution du social. Et en ne dérogeantpas aux questions des valeurs et du sens,elle réintroduit le doute et nous met face ànos responsabilités, même en tant quespectateur du sport, dans la mesure où le

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Soumise au choix de faits essentiels auxyeux du chercheur, de surcroît devant l'im-mensité du matériau historique, aucunerecherche scientifique n'est jamais intégra-le. Cependant, même limité ici, l'axe socio-historique s'avère décisif dans la compré-hension d'un problème dont la perceptionest le produit de catégories datées aux-quelles contribue pour une part une certai-ne sociologie souvent appelée pour exper-tise et surtout de plus en plus médiatisée.

Dans une perspective dialectique, la pre-mière section donnera donc des élémentsd'importantes études du dopage afin derelever certains de leurs apports, manqueset présupposés, et d'en dégager le proces-sus historique dont les façons de poser leproblème et les solutions sont à un momentdonné le produit , la plupart du temps,faute d'analyse du rapport à l'institutiondans sa triple dimension : culturelle, sym -bolique et imaginaire (Enriquez, 1988).

voyeurisme est déjà une caution au système.De ces principes découle l'organisation dece dossier.

La première partie, rédigée par Jean-Pierre Escriva, étudie les déterminantssocio-historiques du dopage afin d'ap-précier comment le problème est posé pardes sociologues et en quoi il n'est pas nou-veau sans être cependant intemporel. Lesecond développement de l’article de J. P.Escriva est par contre une sociologie orien-tée vers le présent qui rend compte, à par-tir de quelques axes, de déterminantssocio-politiques du problème en termesde tendances de développement.

Dans la seconde partie de ce thema, SergeSimon analyse les insuffisances desobjectifs de prévention du dopage et lanécessité de repenser les méthodes et l’in-tervention de prévention.

Enfin, la troisième partie est une analyseclinique des addictions sportives éla-borée par Claire Carrier au cours de plu-sieurs années d'écoute et de soins auxsportifs de haut niveau, fondée sur unepsychologie clinique attentive au sujet, àsa souffrance et au sens manifeste oulatent de ses conduites. Cette approche

En tant que contradiction majeure dusport, le dopage donne l'occasion de met-tre des théories sociologiques à l'épreuve.

Parmi les travaux marquants de ces vingtdernières années, on peut distinguer lesgrandes enquêtes (les trois premières ici)

I - Déterminants socio-historiques du problème

permet d’analyser la spécificité des réper-cussions psychopathologiques déclenchéespar la pratique sportive intensive. En per-spective avec cette nécessité pourrontalors être compris les autres approchespsychologiques, expérimentales et cogniti-ves, majoritairement retenues dans lemonde sportif d'abord et avant tout orientévers l'optimisation des performances.

Chacun de ces trois axes qui pourraient selire indépendamment l'un de l'autre, posedes questions spécifiques, sources possiblesde désaccords, et appelle éventuellementdes réponses de nature différentes voire àl'occasion contradictoires.

Mais peut-être en regard de ces insatisfac-tions potentielles, peut-on se référer à l'undes pères fondateurs de l'anthropologiefrançaise qui soulignait déjà l'enjeu d'étu-des au carrefour des disciplines : Quandune science fait des progrès, disaitMarcel Mauss, elle ne les fait jamais quedans le sens du concret, et toujours dansle sens de l'inconnu. Or, l'inconnu setrouve aux frontières des sciences, là oùles professeurs «se mangent entre eux»,comme dit Gœthe (Je dis mange, maisGœthe n'est pas si poli). (Mauss, 1950).

On y considérera une théorie dans le sensgrec de theorein (voir) et capable d'exercerun effet de théorie (…) c'est-à-dire d'imposerune vision des divisions (Bourdieu, 1987).

Faute de place, l'aspect plus synthétiqueque démonstratif du propos semblera àl'occasion dogmatique, mais le lecteursouhaitant aller plus loin pourra consulterles travaux eux-mêmes (référencés etcomplétés dans la bibliographie) et trouverd'autres arguments développés ailleurs

Genèse des formes de dopage

(thèse J. P. Escriva, 2000). Une secondesection proposera ensuite une périodisation

de la genèse des formes de dopage afind'envisager la pluralité de motivations,parfois connexes, trop vite unifiées parl'argent et de se dégager de l'auto-présen-

tation officielle que l'institution sportive -comme toute institution - impose pour sedonner une image vertueuse et obtenir des

visions du monde complémentaires à lasienne (Douglas, 1999).

de théories générales (les deux suivantes)en fonction de l'ambition de la problé-matique.

thema

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L’enquête INSEP (1995) Cette enquête représente un travail socio-logique d'envergure qui cherche à dépas-ser le seul point de vue médical en partantd'un doute sur l'efficacité des campagnesde lutte antidopage, mais elle se limite àl'étude des représentations des acteurs,sans vraiment se préoccuper des pratiquesréelles et, surtout, de leurs effets sur le planhumain. D'ailleurs, la prudence sur leseffets du dopage sur la santé des athlètesparaît excessive même si le phénomène nepouvait alors être appréhendé qu'à partirde la marginalité.

Dans l'ensemble, les chercheurs pointentdes problèmes importants, mais restentdans la juxtaposition de facteurs (un sys-tème, des acteurs, des médias, etc.) sansappréhender leur articulation dans uneautonomie relative, et, de surcroît, demeu-rent dans l'antichambre du réel en se limitantà l'étude de paradoxes, sans aborder lescontradictions à l'œuvre. En outre, un pré-supposé distinguant a priori les personna-lités du sportif et du toxicomane les empê-che de faire le lien entre drogues etdopages.

En définitive, cette enquête prend l'institu-tion sportive telle qu'elle se donne à voir,c'est-à-dire comme une organisation, sanspercevoir que celle-ci n'est qu'un momentde l'institution, en même temps matérielleet idéelle, équivoque, assurant la média-tion des contradictions, tout en demeuranttravaillée par une négativité (Pagès et al.,1979).

Les travaux du CNRS (1998)Bien qu'elle soit le produit de trois cher-cheurs, la contribution des sciences socia-les à cette expertise collective apparaît trèshomogène.

Une des contradictions traversant les étu-des se trouve dans l'approche épistémolo-gique (Dopage : le questionnement dessciences sociales) qui explique d'embléequ'il n'est pas de la compétence du socio-logue d'évaluer le danger du dopage, alorsque celui-ci ne peut se passer, une pageplus loin, d'apprécier le problème de santéposé par le dopage, tout en précisant qu'ilest difficile de faire de la sociologie sansstatistiques.

Cette position est amplifiée dans la contri-bution suivante (Une affaire banale) quidistingue le rapport au corps de popula-tions de sportifs populaires (cyclistes) etfavorisés (marathoniens) pour expliquer ledopage, mais sans imaginer que le dopage

INSEP (1995)Cette enquête est réalisée par des chercheursmembres de l'INSEP (Institut National desSports et de l'Education Physique) qui est leplus important pôle français de regroupementpermanent de sportifs de haut niveau. L'approche sociologique tente de repérer lesobstacles que rencontre la lutte antidopage etles conditions susceptibles d'expliquer ledopage dans sa dimension collective. L'étude des représentations du sport est pri-vilégiée. Elle constitue le cœur de l'ouvrageprécédé d'une mise en perspective historiquede l'argumentaire de la lutte contre le dopage(1960-1995) et suivi d'une analyse en deuxtemps du contexte propice au dopage (con-traintes inhérentes au sport de haut niveau, etvaleurs et modes de vie contemporains). Sous forme de prospective, la conclusion envi-sage trois scénarios d'évolution du dopage etleur probabilité : développement de l'éthique ;auto-contrôle du phénomène par les sportifs,libéralisation du dopage.Louveau C., Augustini M., Duret P., et al., Dopageet performance sportive, Analyse d’une pratiqueprohibée, Paris, INSEP publications, 1995.

CNRS (1998)La publication de ce rapport auquel est associéle ministère de la Jeunesse et des Sportss'inscrit dans les études préparatoires à la loidu 23 mars 1999. L'expertise comprend deuxparties. En premier lieu, un rapport de syn-thèse à partir des points importants dégagéspar les experts (30p.) dont l'introduction poseun problème sanitaire et social dépassant lacommunauté du sport par la proximité dudopage et du spectre des addictions, mêmesi les conclusions s'avèrent beaucoup plusnuancées. En second lieu, les expertises révèlent lacomplexité du dopage et ses difficultés d'ap-proches par des champs scientifiques parfoiscontradictoires entre eux : sciences sociales,psychologie, psychopathologie, neurobiolo-gie, toxicologie, etc.CNRS, Expertise collective, Dopage et pratiquessportives, Paris, CNRS, 1998.

AQUATIAS (1999)Il s'agit de l'un des trois rapports commandéspar le ministère de la Jeunesse et des Sportsà propos des jeunes, du sport et des conduitesà risques (avec Arvers et al. et Choquet et al.). L'enquête empirique s'inscrit dans une socio-logie qualitative privilégiant l'écoute et lacompréhension des personnes qui apportede nombreuses informations sur le sport etses pratiques clandestines. La problématique pose le problème de l'i-déologie sportive, de ce qu'elle pourrait mas -quer, et se demande dans quelles conditionsles activités sportives sont susceptibles d'êtrefacteur de protection ou de vulnérabilisationen matière de consommation de produitspsychoactifs et/ou dopants. Dans la première partie, le concept de car-rière de Goffman permet d'appréhender la viedes pratiquants et les modifications des per-sonnalités dans quatre cadres d'usages dusport (auto-organisé ; d'éducation ; d'insertion ;institutionnel ludique ou de performance) enfonction de trois critères : pédagogique, tem-poralités et lieux d'exercice. Une seconde partie, plus synthétique, exa-mine ensuite les données recuillies en regardde la problématique risques/ressources de lapratique sportive.Aquatias S., (sous la direction de) et al., Activitéssportives, pratiques à risques, usages de substancesdopantes et psychoactives : recherche sur la pratiquemoderne du sport, Paris, Ministère de la Jeunesse etdes Sports, 1999.

puisse être dangereux pour les athlètes -toujours, nous dit-on, faute de statistiques -jusqu'à banaliser le dopage de manière toutà fait inquiétante en prétendant rétablir unesorte d'égalité des chances.

La 3e partie de cette étude (De la règle dujeu au jeu avec la règle : le dopage dansle sport de haut niveau) se réfugie aussiderrière une forme de neutralité axiolo-gique et une sociologie qui ne permet pasde penser les contradictions de l'institutionsportive, la dialectique de l'instituant et del'institué (Lourau, 1970 ; Castoriadis, 1975)et en outre passe à côté du problème dudopage et des addictions en général quiétaient l'enjeu même de ce rapport.

En définitive, à l'instar des deux précédentescontributions de l'étude, les limites de laproblématique ne permettent pas de saisirl'ambivalence de l'institution sportive et lacomplexité de ses effets déterminants.

Le rapport Aquatias et al., 1999Ce rapport relève d'une autre méthode desociologie qualitative beaucoup plus adap-tée à l'étude d'une pratique clandestine.

Malgré les limites d'une telle approchedont sont d'ailleurs conscients les auteurs,l'apport à la connaissance des pratiques etdes représentations en fait sans doute l'unedes plus importantes enquêtes empiriquesde ces dernières années dans les quatrecadres d'usage distingués : sport auto-organisé, sport d'éducation, sport d'inser -tion et sport institutionnel.

Néanmoins, des présupposés de départconduisent à opter pour les travaux deNorbert Elias en excluant curieusement apriori une étude d'autres travaux pertinents(Pierre Bourdieu et Jean-Marie Brohm).

Cette fermeture sera lourde de conséquen-ces pour la recherche qui se prend elleaussi dans les rets de la pensée institution-nelle et de l'idéologie sportive qu'elle avaitpourtant commencé par remettre judicieu-sement en question.

Malgré un recueil d'entretiens approfondistrès heuristiques, les analyses des repré-sentations des sportifs en restent au niveaude la positivité du corps et de l'organisationsportive en excluant l'inconscient.

Enfin, les auteurs ne parviennent pas àrépondre à une question essentielle qu'ilsposent (Pourquoi ceux qui souffrent leplus de l'idéologie sportive sont-ils ceuxqui la défendent le mieux ?) et finissentmême par adopter l'une des idéologies

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cardinales de l'institution sportive : la neu-tralité du sport qui entretient la perceptiond'une pureté ontologique corrompue pardes agents externes excluant les contradic-tions internes de l'institution.

L’approche théorique de Brohm, 1987En regard des précédentes enquêtes, lesthéories générales ont d'autres ambitions. Lathéorie critique du sport à l'œuvre danscette étude, publiée dans un ouvrage enassociation avec le docteur Jean-Pierre deMondenard, est, en France, la premièreétude sociologique globale à poser demanière associée le problème des drogueset des dopages, alors que des spécialistesen toxicomanie s'interrogeaient égalementsur cette proximité (Olievenstein, 1992),bien avant que cette problématique ne com-mence à s'imposer à la fin des années 90.

Cette approche est remarquable car elle estla seule à poser le problème du sportcomme une institution, quand l'ensembledes autres théories pensent à travers l'insti-tution sportive, confirmant ainsi une thèseanthropologique majeure selon laquelle :La grande réussite de la pensée institution-nelle est de rendre nos institutions complè-tement invisibles (Douglas, 1999).

D'ailleurs son caractère prémonitoire nelui a guère permis d'être entendue àl'époque, voire lui a provoqué les foudresdes membres de l'institution sportivedéfendant la compétition (Barrault, 1988).

La iatrogenèse sportive de Brohm analy-se en outre la nature contradictoire del'institution sportive articulée à d'autresinstitutions d'une totalité organique situéed'un point de vue socio-historique : lemode de production capitaliste.

BROHM (1987)Ce texte appartient a l'enquête collectivepubliée dans Drogues et dopages (1987) maisreprésente un moment parmi de nombreusesrecherches et une théorisation générale dusport considéré comme une institution dans laperspective de l'analyse institutionnelle. Il s'inscrit en outre dans la tradition d'une phi-losophie et d'une sociologie critiques centréessur l'appréhension globale du mode de pro-duction capitaliste.Le point de départ est la dissociation entre lesdiscours sur les valeurs du sport et la réalitédes pratiques compétitives ainsi que lacontradiction entre un dopage néfaste pour lasanté des sportifs et efficace pour la produc-tion des performances. Á partir d'enquêtes médicales, les tendancestoxicomanes du sport de compétition sontmises en exergue avant de dégager, en ter-mes sociologiques, la logique d'un systèmeaxé sur la recherche du rendement corporelqui engendre une contreproductivité institu-tionnelle ou iatrogénèse sociale à l'image decelle que repère Illich à propos du système desanté. Dans ce cadre, le sport est une entre-prise capitaliste parmi d'autres.Brohm J. M., La iatrogénèse sportive, In : DeMondenard J. P., Drogues et dopage, Sport etsanté, Paris, Chiron, 1987.

EHRENBERG (1989)Il s'agit de l'un des premiers textes sociolo-giques sur le développement du dopage dansla société fondé sur une problématique d'en-semble, attentive aux imaginaires, où l'ex-pansion des usages de drogues dans unesociété plus concurrentielle ferait écho audopage des sportifs. Associé à de précédents travaux sur le sport,ce texte retravaillé constituera une partie del'ouvrage Le culte de la performance (1991). Le problème est posé à partir de l'inquiétudede la presse face aux consommations massi-ves de psychotropes par les Français mise encorrélation avec l'obsession de gagner, deréussir et de devenir quelqu'un. La réussite del'individu le plus fort semble prendre le pas surles collectifs de l'époque précédente. L'analyse de la nouvelle culture d'entrepriseva ensuite dans le même sens avec une pré-dilection pour la mobilisation, la motivation etle sport au sein de l'entreprise. En définitive, c'est d'un nouveau rapport à l'é-galité dont il est question, ce qui pose le pro-blème du lien social contemporain dans lamesure où l'individu risque de se tourner verslui-même jusqu'à l'excès.Ehrenberg A., L’individu sous perfusion, Sociétéconcurrentielle et anxiété de masse, Esprit, n°152-153, Juillet-Août 1989, 36-48.

Rompre avec nombre de présupposés quialimentent nos catégories et grèvent laprise en compte des contradictions endo-gènes, impose de resituer le problème dudopage lui-même d'un point de vue socio-historique.

L'analyse des rapports entre les sujets etl'institution sportive en regard de diversenjeux et conflits idéologiques de notretemps permettra de mettre en exergue troisformes typiques de dopage encore d'ac-tualité en fonction des intérêts de chacunet de l'hétérogénéité culturelle, écono-mique et politique mondiale.

Genèse des formes de dopage

L’approche de Ehrenberg, 1989Dans cette seconde théorie générale rete-nue, l'auteur pose un problème global etessentiel où la consommation de droguesdans une société plus concurrentielle feraitécho au dopage sportif.

Néanmoins, alors que le rapport d'un phé-nomène circonscrit est rapporté à l'ensem-ble dans lequel il s'inscrit, comme les troispremières enquêtes, ce travail subit la pré-gnance de l'institution sportive, et plus net-tement encore dans Le culte de la perfor-mance (1991) qui reprend et étoffe le texteétudié.

En fait, la théorie à l'œuvre comprend plu-sieurs présupposés, d'une part, notammentcelui du sport comme mariage harmonieuxde la concurrence et de la justice, hélasrepris, sans vérification, par nombre detravaux ensuite, et des difficultés, d'autrepart, qui minent une approche critique parla faiblesse des analyses des idéologies, del'aliénation et des imaginaires.

L'auteur, qui se revendique anthropologuedes imaginaires contemporains, semble selaisser prendre à ce que Cornelius Casto-riadis nommait les fraudes publicitairesen célébrant un individualisme d'apparen-ce, là où le capitalisme instaure en réalitéun conformisme (Castoriadis, 1996).

De surcroît, en oubliant l'institution ambi-valente de l'imaginaire - comme toute pro-duction d'une institution -, celui-ci n'est plusapprécié dans son caractère double,moteur ou leurrant, pas plus que ne sontévalués les effets concrets du sport et dudopage que l'intéressante problématiquede départ laissait pourtant espérer.

Le dopage d'intérêt économiqueLoin d'atteindre la puissance structurellecontemporaine, et selon des dynamiquesnationales spécifiques, l'institution sportivemondiale est en marche au XIXe siècle,traversée par un projet manqué, de maîtrisede l'agressivité par la bourgeoisie victo-rienne qu'on a tendance à occulter par lesponcifs du fair-play alors qu'une culturede la haine fut le terreau du sport moderne(Gay, 1997).

C'est aussi le moment des grands discoursfondateurs comme ceux de Pierre de Cou-bertin qui définira le sport par la liberté de

l'excès et surtout contribuera à instaurer lemythe de sa pérennité par le truchement del'olympisme. Par là, il renforce l'instancesymbolique et assure la légitimation d'uneinstitution dont la force tient à des idéolo-gies datées mais perçues comme desvaleurs anhistoriques et universelles (com-pétition, progrès, mesure, record, culte del'effort, goût du risque, etc.).

Avant les premières lois sur le dopagedatant de 1965, en France et en Belgique,la dimension historique de la constructiondu problème doit demeurer présente lorsde notre regard rétrospectif à propos d'une

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ment du sportif, notamment médical,s'effectue en fonction d'une rationalitéinstrumentale où la norme, qui définit ennégatif le dopage, est de ne pas pouvoir sereposer. La temporalité du sujet s'évanouit auprofit du corps-machine d'un agent sportifobnubilé par le futur (entraînements etcompétitions permanents). L'évolutiondes dopants résulte du couplage de lascience et de la technique à l'origine debiotechnologies échappant à présent auxcontrôles les plus élémentaires de l'AMM

(CNRS, 1998, p. 82-94).

Cependant, à l'instar d'un régime politique,le macro-système et l'institution sportivedoivent encore être fondés en légitimité.Elle se réalisera dans les années 80, malgréune première difficulté liée au fait qu'au-delà des États, les commanditaires vonts'intéresser au symbole porteur que lessportifs représentent dans le marché enexpansion des années 70.

En outre, bien que les systèmes diffèrent,les nouvelles contraintes d'entraînementexacerbées par la concurrence des deuxblocs ont fait voler en éclats la notiond'amateurisme (supprimée en 1981 par leCIO).

Mais la crise du système culturel est enréalité beaucoup plus grave avec le boy-cott des Jeux Olympiques de Moscou en1980 par les pays occidentaux, et surtout,avec les morphologies inquiétantes dessportives de l'Est qui révèlent des struc-tures rigides et coercitives d'entraînementantinomiques avec les valeurs humanistesde l'institution.

Avant (Mondenard, 1987) comme après lacharnière de 1990, le dopage demeure uneconstante et le CIO doit poursuivre sansfléchir son travail idéologique et decontrôle en affichant sa déterminationdans la lutte contre le dopage et en inté-grant officiellement les nouveaux enjeuxfinanciers (Samaranch, 1992). On passede fait de l'athlète amateur ou d'État àl'athlète libéral.

En France, l'institution sportive sera alorssoutenue par différents agents. D'une part,lors de la Coupe du monde de football1998, des intellectuels sont devenus desalliés inattendus pour renforcer le systèmesymbolique de l'institution en intervenantdans l'espace public, alors que d'autrepart, l'institution scolaire, dont le sportest devenu le moyen quasi exclusif de l'é-ducation physique, légitimait encore lesystème culturel par les interventions du

pratique auparavant intégrée au système.On peut alors rappeler que le sportconnaît très tôt des morts tragiques dûesà l'absorption de diverses drogues.

L'une d'elles touche déjà le cyclisme enla personne du Gallois Arthur Lindonqui mourra en 1896, deux mois aprèsBordeaux-Paris, des suites d'un cocktaild'opiacés alors utilisés dans les sportsd'endurance. Mais l'État français del'époque ne finance pas les athlètes.

Dans les années 30, les fédérations dessports les plus populaires (football,cyclisme, boxe) passeront d'ailleurs sousle contrôle d'industriels et de commerçantsdans un contexte qui révèle une forme dedopage d'intérêt économique.

Dans un sport qui reste un univers mas-culin, mais devient le second média demasse après le cinéma, l'origine socialedes professionnels du football, du cyclis-me et du rugby tend en effet à prouver qu'ildonne à de jeunes ouvriers la possibilitéd'échapper à la production pendant quel'effroyable dureté de la boxe permet lapromotion du prolétariat le plus misérable(Dubief, 1976, p. 135).

Le dopage d'intérêt politiqueD'importantes politiques de loisirs d'uncôté, et fascistes de l'autre, vont ensuitemarquer le développement du sport avantl'expansion économique et les autres poli-tiques qui l'accompagneront après laSeconde Guerre mondiale (Defrance,1995). Les États vont investir les systèmesculturels et symboliques de l'institutionsportive et étendre leurs contrôles.

À l'occasion des Jeux Olympiques deBerlin 1936, les amphétamines seront uti-lisées par les athlètes allemands d'un IIIe

Reich bien décidé à prouver sa supériori-té, avant même leur emploi massif par lessoldats, selon une pratique relevant cettefois d'un dopage d'intérêt politiqueannonciateur de la période de la guerrefroide dominée par cet intérêt bien compris.

Le sport devient un enjeu de concurrenceidéologique majeur entre les deux blocsEst-Ouest, la domination sportive étantcensée confirmer la supériorité d'un pôlesur l'autre.

À l'Est, l'État totalitaire d'URSS, avecd'autres pays comme la RDA dans sonsillage, misera gros sur le sport. À l'Ouest,et à leur manière, les États-Unis fontde même.

Les athlètes se transforment objective-ment en athlètes d'État en fonction durythme d'intégration nationale du systèmesportif au cours d'une période dont lesenjeux économiques ne sont pas absents,mais le moment symbolique de l'institu-tion est d'abord investi par le politique.Même si de multiples formes de dopagepeuvent toujours coexister, un dopaged'intérêt politique paraît caractériser cettepériode.

Comme le prouve un système mortifèreconçu et planifié au lendemain même dela guerre sous couvert de culture physique,l'humain va être intrumentalisé au plushaut point.

Le dopage a été intégré à l'appareil d'Étatde certains pays de l'Est dans le desseind'améliorer le rendement de cobayes spor-tifs avec un mépris total des Droits del'Homme : sélection et entraînement spé-cialisé dès le plus jeune âge, nanisme pro-voqué chez les gymnastes, obligation dese doper, emploi de toutes les méthodespossibles et imaginables, jusqu'à la miseenceinte de jeunes femmes, avortées en-suite, pour élever leur taux d'hormonesmâles (Noret, 1990, p. 23). C'est alorségalement un dopage collectif.

À côté de l'hégémonie sportive des grandespuissances, la France paraît bien modeste,mais il faut relever que sous l'impulsionde la politique gaullienne, le pays doitaussi rayonner grâce à ses sportifs et vase doter de structures fédérales de détec-tion, de sélection et d'entraînement qui ontencore des effets à ce jour.

Le dopage d'intérêt narcissiqueLa dernière période est marquée par lamétamorphose de l'institution sportived'abord inhérente au développement expo-nentiel de son organisation, c'est-à-diredes moyens matériels et humains repré-sentant sa partie visible.

Un macro-système sportif, qui imposeavec les sponsors les formes et les rythmesdes compétitions partout dans le monde encontrôlant les flux et le temps des sportifsde haut niveau, se met en place dans unespace supranational et se branche surd'autres macro-systèmes techniques enréseaux comme les transports, l'énergie,les médias, etc., qui sous-tendent nossociétés industrielles (Gras, 1993).

La performance de haut niveau dépend decette structure dont le phénomène dudopage est aussi l'un des effets : le traite-

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À la première partie de cet article dont l'a-nalyse est orientée vers une apparenteabstraction produite par l'objectivationsocio-historique, succédera ici une secon-de partie qui pourra sembler aller encoreplus loin dans ce sens et presque s'opposerà un éclairage au plus près du sujet qu'of-frira l'analyse clinique (troisième partie).

Or, dans ces deux premières parties, lamême démarche de recherche de média-tions est toujours à l'œuvre, afin d'étudierla totalité concrète (Lukács, 1960) quereprésente la société. L'analyse des déter-minants socio-politiques actuels, qui repo-se sur l'articulation de la société, du sportet de l'idéologie de l'excellence, devraitnous permettre de saisir le problème dudopage dans sa fonction réelle à l'intérieur

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ministre de l'Éducation nationale en per-sonne, prônant l'attrait des championscontre l'ennui scolaire (Allègre, 1999).

Si l'on ajoute, en amont, une convergenceidéologique du sport avec l'entreprise,autre institution majeure des années 80(étudiée en seconde partie), on peut envi-sager la transversalité d'une idéologiede l'excellence susceptible d'affecter descatégories sociales de plus en plus diver-ses. Mais la particularité du sportif de haut

La transversalité de l'idéologiede l'excellence et du stress

Ce premier axe apparaît dans la sociétéfrançaise atteinte, au cours des deux der-nières décennies, par la déferlante de l'en-treprise à laquelle tout devait semblerdevoir se rapporter.

Assez vite cependant, des chercheurs ontmis en doute une frénésie de l'excellence(Aubert, Pagès, 1989 - Aubert, Gaulejac,1991) aux effets très proches de la mise entension permanente du sportif de hautniveau.

L'étude du processus de diffusion des exi-gences de l'excellence permet de constaterque la production actuelle est traversée parla devise olympique : Citius, Altius, Fortius,relativisant la fin du taylorisme (Gollac,Volkoff, 1996), pendant que l'excellence

niveau contemporain, soumis à une fortemédiatisation, tient à la quête incessanted'une image. Un dopage d'intérêt narcis-sique pourrait alors coexister avec lesdeux types précédents, économique etpolitique.

Pas plus que les autres, on ne peut dateravec précision cette ultime forme de dopa-ge, le narcissisme étant bien évidemmentà la fois une étape nécessaire du dévelop-pement subjectif et un résultat de celui-ci.

Cependant le recours à ces formes dedopage résulte bien de conjoncturestraversées par une articulation originale- pondérée par les caractéristiques desagents - des instances de l'institution avecles fonctions des idéologies sportives(distorsion du réel, légitimation d'uneautorité, intégration d'un individu) com-munes à l'idéologie en général (Ricœur,1997) qui les rendent possibles.

II - Déterminants socio-politiques actuels du dopage

de l'unité du processus historique, des ten-dances en voie de s'imposer, afin de reve-nir, à un niveau plus général, sur la ques-tion centrale des conditions de l'adhésionà l'institution sportive.

Car les représentations que nous construi-sons par notre appropriation du social sonttoujours fragmentaires et saturées d'idéo-logie dont l'une des fonctions (distorsion)est précisément de produire une visionpartielle et sous-dialectique de la réalité(Goldmann, 1966).

Il s'agira donc de faire à présent un effortde totalisation, évidemment inachevable,et pourtant condition sine qua non pourdépasser la juxtaposition et la séparationde processus liés à partir du repérage desquatre axes décrits ci-après.

Quatre axes déterminant le dopage actuel

généralisée conduit à prendre l'individu aupiège de la structure et à mobiliser uncadre dont on attend une personnalité detueur cool (Enriquez, 1997).

En outre, l'imposition de ce modèle a étépréparée par une gestion économique pré-datrice, source d'une dévalorisation du tra-vail qui fait sa force (Ginsbourger, 1998).

Les caractéristiques délétères de cettenouvelle organisation, reposant sur lacompétitivité , la flexibilité et une logiquede guerre, provoquent une forme demaladie de l'excellence, une maladie del'idéalité similaire à des problématiquesaddictives du sportif intensif où le sujetinvestit tout dans son mode de relation ausport.

Dans l'ensemble, émergent des difficultéstransversales se traduisant par une médi-calisation des problèmes sociaux d'autant

plus forte quand les exigences de résultatssont de haut niveau (sport ou entreprise).Néanmoins des travaux de psychodyna-mique du travail (Dejours, 1998) montrentque les responsabilités envers la souffran-ce restent partagées et les stratégies dedéfense du sujet contradictoires.

Les dynamiques sportives et économiquesLe sport est un marché avec ses consom-mations spécifiques soutenues par despratiques sportives en plein développe-ment. Toutefois les enjeux économiquessont beaucoup plus significatifs au niveaude l'élite sportive et révèlent l'ambiva-lence de l'argent, déifiant pour les uns,réifiant pour les autres.

Ainsi au cours de l'année 1997, le basket-teur Michael Jordan, alors le sportif lemieux payé du monde, a encaissé 78,3millions de dollars (salaires, primes etcontrats publicitaires), mais surtout,l'équipementier Nike lui aura versé20 millions de dollars, c'est-à-dire plusque le salaire des 30 000 ouvriers indoné-siens qui fabriquent ses chaussures.

Or, paradoxalement, ce point offre l'occa-sion de critiquer une nouvelle fois le poncifdu sport pur corrompu par l'argent présent.

Pourquoi en effet, à partir de très raresmais significatifs travaux (Brohm, 1976,1993, Simonnot, 1988), ne pas envisagerinversement l'univers mortifère de la com-pétition sportive - où la fin justifie tou-jours les moyens - comme une idéologie,voire l'idéologie du nouvel esprit du capi-talisme à un moment où le managementutilise les leçons des grands sportifs ? (LeNouvel Économiste, 2001).

D'autant plus que l'étude des dynamiqueséconomiques et sportives permet de repé-rer un double processus dialectique.

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D'une part, la dynamique économique dusport, car, contrairement au lieu commundu tout est possible, les facteurs écono-miques interviennent de manière déter-minante dans la victoire sportive (lechampionnat 2000 de première divisionde football a ainsi été dominé par les cinqclubs ayant les plus gros budgets :Monaco, Paris Saint-Germain, Lyon,Bordeaux et Lens).

En outre, le sport est animé d'une logiquelibérale qui a de nombreux effets sur l'or-ganisation du travail sportif (conflits entreinstances dirigeantes et sportifs, grèves,etc.), ainsi que dans le rapport des clubset des athlètes avec l'État, comme l'illustreparfaitement le groupe d'athlétisme HSI

qui recrute l'élite internationale (commeMarie-José Pérec à l'époque) et associegestion moderne et différents types dedomination dans la figure de son entraî-neur charismatique.

D'autre part, la dynamique sportive del'économie valorise un véritable esprit deconquête similaire à une logique guerrièregrâce à un lexique si proche de celui dusport qu'ils finissent par se confondre :dégraissage, tailler dans le vif, mentald'acier, gagneur, adaptabilité, etc. La finjustifie alors les moyens et l'on assiste àune légitimation idéologique globale del'entreprise, quelle que soit sa réalitéhumaine effective.

Enfin, ces tendances extrêmes de l'écono-mie et du sport peuvent nous conduire ànous demander si n'est pas en germe unecivilisation du même type favorisée par laconvergence de deux institutions majeu-res comme l'entreprise et le sport.

Le processus de médiatisationDans le cas de ce troisième axe, il s'agitd'une véritable lame de fond (dont LoftStory est l'un des derniers avatars) affectantl'évolution de la société et du sport quiaccentue à son tour ce phénomène.

La nature de la popularité de certainsathlètes peut servir de point de départ àl'analyse en émettant l'hypothèse d'un sta-tut intermédiaire du sportif contemporain,entre l'exigence d'efficacité et d'apparence,afin de comprendre le glissement de sensqui s'opère sous nos yeux.

Dans cette perspective, la publicité fait unusage massif et bien connu de l'image desgagneurs dans le sillage de la montée enpuissance des agents médiatiques dontl'organisation dans la bataille des droits de

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retransmissions télévisuels a nourri ledéveloppement du sport contemporain (de1,2 millions de dollars lors des JeuxOlympiques de Rome en 1960 à 1350millions de dollars en 2000 à Sidney).

Cependant, un renversement décisif dansl'organisation d'événements (notammentle Tour de France) s'est produit par unedynamique de transformation du sportfondée sur la création de liens structurelsentre sport et médias, sur le plan mondialet national, où la France demeure originalepar le monopole du groupe Amaury sur lapresse sportive (L'Équipe).

Trois axes de transformation du sport peu-vent alors être envisagés : le contrôle dutemps, la simplification des règles et lamise en spectacle.

Ces tendances se retrouvent dans la dia-lectique de l'instituant et de l'institué d'uneinstitution sportive, ne pouvant plus sesatisfaire de la seule efficacité des cham-pions, qui se traduit par celle du gagneuret du séducteur.

En définitive, nous sommes actuellementface à la tendance d'un modèle du corpscontradictoire, probablement encore diffé-rencié entre hommes et femmes, incarnantà la fois des valeurs marchandes, un nar-cissisme et une hétéronomie, sur fond demédiatisation, de mondialisation et de vir-tualisation.

Les responsabilités despolitiques et des intellectuelsAfin de mieux comprendre encore la puis-sance générale de l'adhésion à l'institutionsportive, on doit se tourner en quatrièmeet dernier lieu vers ces agents détermi-nants dans la légitimation du sport commemodèle de pureté et d'excellence sans failleque sont les politiques et les intellectuels.

L'analyse des récents débats parlementai-res à propos de la loi du 23 mars 1999relative à la protection de la santé dessportifs et à la lutte contre le dopage per-met de révéler un inquiétant consensus àpropos du modèle sportif d'où toute inter-rogation sur le sens a disparu et qui aconduit à une loi contradictoire violant lesecret médical (Escriva, 2000).

Aucun député n'est en effet intervenu pourapprécier le sens et la fonction sociale dumodèle sportif - de fait, l'institution de lacompétition - ou son efficacité globale quiprendrait en compte l'ensemble de ses coûtssociaux et humains réels et aurait permis dereformuler la problématique du dopage.

Une analyse rhétorique classique montreraitla cohérence interne du discours ministériel,mais impose ensuite d'apprécier les réactionsdes différents groupes parlementaires.Celles-ci se traduisent par un consensusidéologique hégémonique face à de trèsrares avis critiques, qui permet de dégagerdes axes absolument convergents dereprésentations du sport chez des groupespolitiques pourtant opposés.

D'autre part on pourrait mettre en évidence,par l'analyse de la cohérence externe desdiscours, les conditions de leur efficacitésymbolique et institutionnelle fondée surl'usage d'un langage autorisé par un minis-tre de l'État qui peut faire autorité (Bour-dieu, 1982).

Mais par ailleurs, l'océan consensuel despolitiques à propos du dopage trouve sonorigine dans au moins trois processus :

• les habitus de certains politiques (liés àleur éventuelle pratique sportive) articulésavec des responsabilités locales dans lemouvement sportif ;

• la médiatisation sportive influençant lesreprésentations lors des débats (L'Équipefut par exemple cité comme référence) ;

• l'expertise et son usage dans la crise delégitimité de l'État qui conduit à privilégiertoujours le comment aux dépens du pour-quoi (Laufer, Paradeise, 1982).

De leur côté, nombre d'intellectuels incar-nant autrefois une conscience critique ontégalement failli dans l'interrogation dusens du sport, en se rapprochant de la figu-re de l'expert, comme lors de la Coupe duMonde de football 1998 et, à l'instar despolitiques, n'ont pas assumé les responsa-bilités inhérentes à leur capital symboliqueauprès de l'opinion publique. La plupart,défendant de concert les vertus de promo-tion sociale par le sport, sans aucunexamen critique des réalités, d'aucunsallant même jusqu'à dire que l'aliénationsportive n'avait jamais existé et que «s'il yavait de l'opium à fumer, il fallait le fumeravec le peuple...»

Face à cette montée de l'insignifiance, sansdoute faudrait-il que la politique assume ànouveau réellement ses responsabilitésdans la valorisation d'un modèle à l'origi-ne d'un problème de santé publique engerme, et, en outre, retrouve ses fonde-ments, «c'est-à-dire l'activité collectiveexplicite se voulant lucide (réfléchie etdélibérée), se donnant comme objet l'ins-titution de la société comme telle.»(Castoriadis, 1990).

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Et la prévention ?Serge Simon*

* Serge Simon, anciensportif de haut niveau,

Médecin coordonnateur duCAPS,

Centre d’Accompagnementet de Prévention pour

les Sportifs,91 cours d’Albret33000 Bordeaux

Lectures sociologiques et cliniques du dopage - 2

LES RÉVÉLATIONS des médias concer-nant le dopage imposent auxinstances politiques et sportives des

actions de lutte visibles et pertinentes. Lerenforcement de la répression en est lepassage obligé. Parallèlement et pour desraisons opposées, la prévention et la dimi-nution des risques ne sont pas opérantes.

Le chemin sera long avant de voir défilerspontanément dans nos consultations dessportifs usagers de Produits d'Aide à laPerformance (PAP) et en difficulté. Ils sontconsidérés comme des tricheurs, desvoleurs de rêves et indignes d'une écouteou de soins.

La prévention elle, regorge de subsidesmais elle est à repenser. Le décalage desmoyens entre curatif et préventif est déjà

parlant. En effet, malgré les messagespolitiques visant la santé des sportifs, l'ob-jectif est un sport sans dopage , un sportpropre, un sport pur.

Ainsi, la prévention viserait moins à s'oc-cuper des sportifs que du sport, ou plusprécisément de l'idéal sportif. Un sportifreconnu comme usagers de PAP ne faitplus partie du monde du sport. La défensede l'idéal impose même son rejet.

Autre conséquence de cette préventionidéologique : son évaluation est quasiinexistante. La prévention est menée detelle façon qu'elle semble se suffire à elle-même.

Qu'advient-il des messages délivrés ?Quelle est l'influence de l'action menée surles comportements individuels ?

La critique ne s'adresse pas seulement aufond. Les messages pour la prévention dudopage méritent sans doute d'être repensés.Passons en revue les plus courants.

La dangerositéLes dangers du dopage sont un des axespréférés de la prévention. Pour autantl'exemple du tabac suffirait à tempérer lesplus ardents porte-parole du genre. 60.000morts par an dûs au tabac, l'image du cancerplanant sur les fumeurs n'empêche pas laconsommation d'augmenter.

Plus particulièrement, notre expérienceclinique auprès de sportifs usagers de PAP

nous amène à quelques conclusions provi-soires. L’utilisation du risque est peu opé-rant en matière de prévention pour plusieursraisons.

Tout d'abord, comme dans le cas du tabac lerisque est différé et morcelé. Les consé-quences négatives sont à long terme et semesurent sur l'ensemble des produitsconsommés. Autrement dit, le risque n'est pasprésent à chaque prise mais le bénéfice oui.

Il existe une spécificité supplémentairepour les PAP. Le risque est intégré. Leséventuels dommages sont implicitementinclus dans la pratique. Comme un joueurde rugby intégrera ses blessures multiplesà la pratique de son sport, un culturistepourra inclure les risques de l'usage desstéroïdes au sien. Il est même valorisantdans les deux cas d'affronter ces risques.

L'égalité des chancesAvec la dangerosité, le deuxième argumentde prévention est l'égalité des chances.

Trois remarques sur ce point : les contrôlesanti-dopage actuels sont peu efficaces etpoussent les athlètes les moins bien préparésdans les mailles du filet.

Ensuite un athlète se préparant au centreolympique de Berlin a plus de chancesqu'un athlète du continent africain d'é-chapper au contrôle.

Enfin, difficile de convaincre un jeunesportif des banlieues assoiffé de réussitede renoncer aux PAP et à ses rêves de gloire

Les messages de prévention

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Cet angle de vue pratique permet égalementde dégager dès à présent quelques axes detravail novateurs et à ce titre soumis àdiscussion.

La prise de PAP s'appuie sur au moinsdeux piliers. La culture propre à chaquepratique sportive et l'efficacité supposéedu produit sur la performance.

Chaque sport possède sa propre culture.Certains d’entre eux intègrent le produitdans leur pratique. Ce qui permet une initia-tion précoce, une totale banalisation voireune valorisation de l'usage de PAP. Pourbeaucoup d'autres sports la prise de pro-duits interdits ne peut être qu'occulte, iso-lée et donc limitée. Identifier, maintenir oudévelopper ces remparts naturels seraitdonc un moyen de prévention efficace.

Pour cela, les pratiquants doivent êtreimpliqués et responsabilisés dans cettedémarche. Non seulement dans l'applicationde mesures mais aussi et surtout dans ladéfinition des objectifs. Aucun résultat nesera obtenu durablement sans l'accord despratiquants.

Ensuite l'efficacité présumée d'un produitest évidemment un moteur puissant pourson usage. Cette évidence mérite quelquesdéveloppements.

Tout d'abord l'efficacité peut être réelle oufantasmée. La limite est ténue tant la partpsychologique d'une performance peutêtre importante. Cependant si un sportifest sur de gagner en prenant un produit, lerisque de consommer est plus importantque si la victoire est incertaine. Or uneperformance peut être le fruit de plusieursvariables. Sans être exhaustif, citons latechnique, le talent, des capacités phy-siques multiples comme la force, la vitesse,la résistance, la souplesse mais aussi lasimple incertitude. On le voit, la victoirepeut être une arithmétique complexe maisil existe des sports ou celle-ci ne l'est pas.

En effet, certaines pratiques sont plusmonotypiques que d'autres. Plus la perfor-mance est liée à une capacité physiquedominante, plus le produit correspondantsera prisé. On retrouve cette logique dansles deux sports certainement les plusconcernés par l'usage de produit : lecyclisme et le culturisme. Une des voiesde prévention possible serait que le légis-lateur veille en permanence à instruire larègle pour multiplier et diversifier sciemmentles facteurs entrant en jeu pour la perfor-mance finale.

Enfin, un des axes majeurs à développerpour la prévention est celui de l'accompa-gnement psychologique des sportifs. Lapsychopathologie liée à la pratique sportiveest un champ pour l'instant difficilementreconnu. Des études récentes posent pour-tant le sport comme un facteur de vulnéra-bilité*.

L'évaluation psychologique régulière etstandardisée est peut-être une réponseintéressante à plusieurs titres.

Ainsi, lors d'entretiens spécialisés compé-tents et surtout ne faisant pas partie de l'ar-senal répressif, des informations ou desdemandes concernant l'usage de PAP pour-raient être établies. Une relation deconfiance permettrait d'aborder leschamps du comportement alimentaire, del'anxiété, de la dépression, de la socialisa-tion, de la personnalité, du sommeil voirede la sexualité et bien sûr de la consomma-tion de produits psychoactifs comme l'al-cool, le tabac, les médicaments mais aussiles stupéfiants et les PAP.

Cet accompagnement spécialisé de l'athlèteaurait d'autres conséquences positives. Ildevrait permettre d'amorcer avec toute laprudence nécessaire un travail minimumavec l’aide de ces leviers puissants que sontl'entraîneur et le médecin, avec bien surune exigence d’évaluation.

ConclusionComme nous le voyons la prévention

est à repenser. Tant sur le fond, quidoit sortir du débat idéologique pur

que sur la forme.

Les messages habituels comme ladangerosité, le respect de l'éthiquesont à discuter et d'autres voies plus

pratiques sont à explorées.

La modification des règles dansun sens idoine, la responsabilisation

des pratiquants dans la défense desvaleurs culturelles de leurs pratiquesmais surtout l'accompagnement

psychologique du sportif au longcours pourraient constituer

les premières pistes pour sortirde l'impasse.

* par rapport aux conduites à risques :

• Analyse psychologique des comportements deprise de risques en sport, Philippe Fleurance,chercheur et responsable du Laboratoire dePsychologie du Sport, Institut National du Sport etde l'Éducation Physique INSEP, France

• Jeunes, sport, conduites à risques , France,Marie Choquet, épidémiologiste, directeur derecherche à L'Institut National de la Santé et de larecherche Médicale INSERM,

• Hypothèses sociologiques sur le risque sportifet les conduites de consommation à partir d'uneétude clinique préliminaire, Philippe Arvers,épidémiologiste CRSSA et Patrick Perreti Watel,docteur en sociologie et statisticien, ObservatoireFrançais des Drogues et des Toxicomanies OFDT,France.

• Éducation, prévention et pratiques sportives :de la socialisation des jeunes aux pratiques àrisques, Sylvain Aquatias, sociologue, membre dugroupe de recherche politiques, psychotropes etsociété, CNRS et membre de l'AssociationRecherches et sociétés RES, France.

pour respecter l'idéal d'une égalité deschances très éloignée de son quotidien.

Ceci illustre les difficultés structurelles dela prévention construite par et pour lerespect de l'éthique sportive. L'éthiquesportive résume les valeurs positives asso-ciées au sport. Justice, courage, loyauté,altruisme, respect des règles et de la mora-le, la liste est longue. La réalité du sport est

moins idéale. Cependant notre formidableengouement pour le sport impose sinon undéni de cette réalité, pour le moins une lutteféroce pour la défense de cet idéal. La LAD

incarne ce combat.

Malheureusement, appliquer une loi ou unrèglement par trop éloigné de la réalitéconduit le plus souvent à une escaladerépressive en forme d'impasse.

Quelques propositions

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Approche clinique du dopageClaire Carrier*

DEPUIS MARS 1999, le monde sportifbénéficie de la loi Buffet protégeantla santé du sportif et organisant la

lutte contre le dopage. En termes de bien-être et de qualité de vie individuels commecollectifs, elle permet de soumettre à laquestion toute forme d'expression d'unelimite entre le naturel et l'artifice .

Les interactions normales de l'individuavec son environnement s'organisentautour d'échelles évaluant les couples res-source/résultat et risque/sécurité. Par sonapplication à la médecine du principe deprécaution, cette loi apparaît comme uneréférence d'écologie médicale. Le déve-loppement du progrès remodèle à chaqueinstant la définition des minimums vitauxenvironnementaux (pollution de l'air, eau,nuisances sonores, et alimentations). Despontanément satisfaits par la bonne natu-re et sa sélection, les besoins vitaux ducorps en soi sont d'autant plus menacésque diminuent la résistance et l'enduranceà leur variations.

Prenant appui sur la culture sportive, cesouci bioéthique témoigne de la placeexemplaire pour notre fonctionnementsocial contemporain du champion sportif.

Son objectif : sa performance psychomotricesportive se déroule dans le temps de sacarrière sportive. En moyenne d'une dizained'années, cette période est elle-mêmeintriquée à un temps de formation équiva-lent. Ce cursus débute de plus en plus tôtdans l'histoire d'un individu. Ceci n'est pastellement lié aux impératifs des discipli-nes à maturité précoce mais bien plutôt àla reconnaissance de la précocité commeparamètre de performance.

À la manière de la puberté pour l'adoles-cence, le processus intra-psychique de l'in-vestissement sportif de haut niveau estdéclenché par le remodelage musculairecomme sensorimoteur volontaire des assisesnarcissiques (ou du moi corporel) dû à lapratique sportive intensive : l'équivalentdu traumatisme pubertaire de l'incestedevenu possible, se retrouve dans le trau-matisme de la réalité des garanties scienti-fiques de transformations corporellesextra-ordinaires.

Cette dynamique intra-psychique qui, rap-pelons-le se déroule chronologiquement etphysiologiquement dans le même tempsque l'adolescence, s'organise sur un modeque, pensant à l'axe des travaux sur la pho-bie, nous avons appelé contre-adolescen-ce. Il stimule / réactive / fixe une écono-mie psychique de type infantile. Cettenotion pourrait se rassembler autour d'uneproposition agie, anticipant et prescrivantles solutions habituellement recherchées àl'adolescence pour équilibrer la force de lapoussée pubertaire.

Va donc s'installer chez notre sportif soumisà une sollicitation physique intensive, auniveau de la structuration de ses assisesnarcissiques, une interaction entre, d'unepart, le moi corporel (et son image) naturel,

pubertaire en particulier, et, d'autre part, lemoi corporel idéal performant (et sonimage) ou néocorps performant. Le néocorpsperformant n'est pas exclusivement déter-miné par les représentations et intégrationsde tous les paramètres résultant de la trans-formation corporelle déclenchée par l'en-traînement intensif.

À celles-ci il faut ajouter le membre mortque représente le matériel nécessaire àl'activité sportive (protège-dents, kimono,arme, bicyclette). L'intégration centrale dunéocorps sportif permet à une cycliste dedire qu'elle a mal à sa selle, à un épéisteque son bras droit se termine à la pointe deson arme parce que c'est là qu'il touchel'autre . Lorsqu'il est présent, le produitdopant est une partie de ce membre mort.La tricherie réside dans le fait qu'il dépos-sède l'acteur humain de la performancepuisqu'il développe en lui-même un effetpropre : les androgènes favorisent le déve-loppement de la masse musculaire, lesopiacés le contrôle du signal d'alarmequ'est la douleur, etc.

Se substituant à la structure d'accueil,l'hôte que représente l'acteur sportif, lemembre mort dopé, de saprophyte devientun parasite actif, ce qui a pu faire décrirele dopage comme la gangrène ou le cancer

Le processus psychique de la performance

Lectures sociologiques et cliniques du dopage - 3

Constatant par le statut même du championqu'il y a beaucoup d'appelés pour peu d'élus,les échecs dans cette trajectoire sont plé-thore. Récemment la société sportivecommence à y être sensible mais elle nepeut se donner comme consigne prioritai-re leur gestion. C'est ainsi que les échouésdu sport se retrouvent dans les consultationsextérieures aux centres de soins commecelles de toxicomanie ou de trouble ducomportement, alimentaire en particuliercomme le démontre les travaux deWilliam Lowenstein.

* Docteur Claire CarrierPsychiatre, psychanalyste,

médecin du sport, Docteur en psychologie cliniqueAntenne de lutte et de prévention

du dopageCentre anti-pôison

Hôpital Salvator249, bd de Ste Marguerite

13009 Marseille

A travaillé 12 ans à l’INSEP

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d'une problématique narcissique primaire.Se précise le reflet psychologique dudialogue entre moi corporel et néocorpsperformant : au premier correspond ledéveloppement pubertaire déclenchant leprocessus de l'adolescence, au deuxièmele renforcement jubilatoire de la constructionvolontaire des assises narcissiques par lamaîtrise musculaire, conforté par l'enva-hissement du champ psychique par leprogramme d'adaptation du stade anal,réactivé, immobilisé et magnifié.

L'économie psychique du sujet va cons-ciemment se concentrer sur le jeu entre sesdeux images du corps : son intérioritédevient l'épaisseur de la distance entre sesdeux Moi corporels. D'après les théoriesde Winnicot, les deux parties du moi fonc-tionnent entre elles de manière ludique :tout l'art du sujet sportif va s'exprimerentre le play ou jeu spontané créatif et nonrépétitif et le game répondant aux aspectsdéterminés de la règle du jeu.

En témoignant de l'idéal corporel atteint,c'est-à-dire à la fois évalué et ressenti, laperformance annule soudainement cettedistance entre les deux partenaires du Moi ;elle interrompt le dialogue interne. Lemiroir narcissique se brise en un trauma-tisme : il rend réelle l'idée mégalomaniaquede soi-même qui avait servi à construire etanticiper le Moi idéal performant. Secréant lui-même, l'instant de la performan-ce équivaut symboliquement à un passageà l'acte d'un fantasme de toute-puissance,l'auto-engendrement. Être à soi-même sonpère-formant n'est pas un moment de délire

du sport. L'aboutissement du processus del'investissement sportif de haut niveaucorrespond à la mise en place de ce fonc-tionnement intra-psychique sur le mode-du clivage du moi.

Cet axe théorique a le mérite de mettre enconflit deux parties du moi. La premièredénie le corps génital en restant accrochéeà un corps infantile (lieu d'expression d'i-dées de toute puissance) ; la secondeadmet la réalité développementale génita-le pubertaire mais, freinée par le moiinfantile, s'oriente vers une idéalisationfrénétique du corps. La richesse de cettetrame de lecture psychopathologique estqu'elle permet de réfléchir la clinique endifférents termes conceptuels comme lerefoulement, l'isolation, le clivage ou ledéni. Cette discontinuité du moi s'accom-pagne d'un clivage de l'objet : du côté dumoi infantile nous retrouvons le parentpare-excitant de la période de latence, ducôté du moi génital, le parent grandiosedé-génitalisé auquel le sujet se soumet ouencore le père intermédiaire (le mâle sub-adulte des éthologues) non menaçant etdont l'aspect œdipien est refoulé ou clivé.Cette figure est supportée par l'entraîneurdont le désir rejoint celui de son athlète,amenant ces deux partenaires à représenter,dans un échange de regards, l'image/sym-bole de la performance sportive, supportde ce que nous avons appelé leur identitébicéphale entraîneur-athlète dans une sou-mission réciproque homosexuelle.

Pour le sportif de haut niveau ce fonction-nement est favorisé par la place donnéeaux regards, aux sensations organisées parl'exaltation kinesthésique et à l'illusoireimmobilisation du temps qui empêche lefonctionnement imaginaire et l'élaborationde la pensée. Le langage verbal des étapessuivantes du développement est donc misà distance. Les mots redeviennent desobjets mentaux sans signification symbo-lique mais bénéficiant d'une compréhensionfonctionnelle, de situation, uniquementaccessible pour les initiés compétiteurs.En régate, le barreur d'un huit va dire allez !pour désigner un choix tactique uniquementcompréhensible par ses rameurs. Ce n'estqu'au debriefing qu'il pourra discuter de cechoix. S’'il l'avait fait au moment de l'ac-tion, il aurait perdu du temps et pénaliséson équipe.

Ainsi s'exerçant à travers le prisme défor-mant de la maîtrise, voire de l'emprise surl'image du corps performant à venir, ledialogue interne renvoie à une actualisation

puisque le regard social non seulement levalide mais encore lui donne sens.

En effet, cette image est devenue uneéquivalence, une métaphore du statutsocial d'adulte. Force est de convenir quecette image-performance limite rime nonseulement avec emblème de qualitéhumaine mais encore avec garantie desocialité. En cela, elle s'est substituée auxreprésentations morales (historiques) de ladimension adulte. Au risque de ne rienvaloir ou d'être méconnu, l'individu doitêtre performant : la performance psycho-motrice sportive devient la référence dequalité humaine à imiter.

L'exercice de style, que représente le fonc-tionnement psychique sur le mode quasi-exclusif du dialogue interne conscient, estaccessible et même parfois recherché endébut de carrière où les deux trajectoiress'intriquent ; au fil du temps, la distance secreuse, le risque étant que la trajectoiresportive n'enferme la trajectoire propredans une boucle autarcique et aliénante(culturelle, sociale, comme mentale).L'accompagnement psychologique cliniquede ces sportifs durant leur carrière autorisel'étude de l'évolution de ce dialogue interneau sportif . Il permet d'observer le dérou-lement, à la manière d'un film au ralenti,des étapes successives de l'expression parle jeu, d'un lien relationnel. En cela, l'in-vestissement sportif de haut niveau proposeune compréhension psychopathologiquedu lien au sens large (entre le sujet et sonobjet d'amour) permettant en particulierl'analyse de l'indication et de l'évaluationdes différentes réponses thérapeutiques.

Afin que la médecine n'arrive pas trop tarddans le cursus-santé mentale de nos sportifs,la formation, information des cadres tech-niques et médicaux devient une priorité.Quel qu'en soit le motif et le moment,accompagner le sevrage de la pratiquesportive intensive déclenché par tout repossportif est une réalité de la pratique. Lebut de cette attention thérapeutique estd'intervenir, autant que faire se peut, dansles phases où l'adaptation somatopsy-chique aux contraintes du haut niveausportif est réversible.

La vitalité et la santé de la relation du sujetà son objet performance, s'expriment par

le maintien de la fonction ludique et duplaisir à éprouver sa psychomotricité effi-cace. Puis vont se dérouler, à la manièred'un film au ralenti, les étapes successivesde la vie et de la mort d'un lien relationnel.Quatre stades ont pu être ainsi observés :seuls les deux premiers sont compatiblesavec la performance. Le premier d'expres-sion verbale (plaintes anxieuses) et le secondd'expression comportementale (auto-éro-tisme répétitif) sont réversibles avec uneprise en charge. L'accent est mis sur ledépistage et la prise en charge du troisième(addiction au mouvement corporel oukinesthésique) pour prévenir l'installationdans le quatrième (aliénation).

Accompagner le sevragede la pratique sportive intensive

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Le premier stade est celui du dialogueréciproque, équilibré et souple entre lesdeux parties du Moi. Le projet individuelet la nécessaire assistance (qui fonctionnealors comme un système de tutorat, d'é-tayage) sont dans une relation équilibréeet réciproque. Le jeune est conscient desdeux processus de transformation corporelledans lesquels il se situe. Il s'interroge aussibien sur sa puberté dans l'espace sportif(par exemple, le développement musculairedu cou qui gêne le port d'un collier) quesur ses adaptations corporelles sportivesdans les investissements non-sportifs (per-manence d'une crispation de la main,contracture normale pour l'escrimeurgênant la tenue d'un crayon). Mêmeanxieuses, ces plaintes sont normales pourla situation, c'est-à-dire qu'elles sontréversibles grâce à un réaménagementtemporel des deux investissements, et unereconnaissance du travail du penser.

Le deuxième stade est celui de l'accrochageau mouvement du corps, portail organisantles sensations qui caractérisent l'investis-sement sportif de haut niveau. L'envie depratiquer devient un besoin de s'accrocheraux représentations psychomotrices de l'idéalperformance. S'établit un rapport de conti-guïté entre les deux parties du Moi.Aucune question ne se pose : nous sommesdans des comportements de répétition oùles références psychocorporelles sportivesse superposent au risque de se confondreavec leurs homologues non-sportives. Lapensée est remplacée par des auto-stimula-tions répétitives évoquant des manifestationsauto-érotiques progressivement déshabitéesde tout aspect d'Eros.

D'expression comportementale, ces attitu-des autistiques sont encore réversiblespour peu qu'un dispositif d'étayage rela-tionnel se mette en place. Le plaisir deboire et donc de déglutir lorsqu'on a soifpeut être remplacé par la satisfaction, àdéfaut de jubilation, de contrôler sa glotteet ainsi d'ingurgiter des quantités liquidesnettement supérieures à glotte ouverte(flux continu), quelle que soit la circons-tance (ce qui ouvre à des concours debuveurs de bière, par exemple). Monterspontanément quatre à quatre les escaliersdevient un entraînement spécifique etmaîtrisé, quitte à le répéter de manièreanormale par rapport à la situation et à enfaire un auto-entraînement sauvage.

En fait, il semble s'agir davantage d'unattachement successif à chacune descaractéristiques de l'image objet performant,morcellant ainsi ce dernier dans une quête

perfectionniste de collectionneur. Aveccette assistance forcée, nous sommes dansla première phase de la mise en placed'une addiction. Ce mot apparaît en langueanglaise et dérive du verbe to addict qui,lui-même, vient du latin addicere, en fran-

çais assigner et du verbe anglais to add,ajouter (du latin adhere, différent deadhoere, être fixe). Il y a donc d'abord uneidée de contrainte (dictare) et non dedépendance, même si celle-ci est secon-daire à celle-là.

Les deux étapes suivantes sont du registrede la pathologie dans le sens où le sujetperd son sens critique par rapport à sestroubles. Alors que dans le registre dugame des deux stades précédents, il lesexprimait soit dans le langage verbal soitdans celui du corps, ici pour lui tout vabien dans sa tête comme dans son corps. Iln'a pas conscience du jeu pathologiquedans lequel il s'inscrit avec son corps :véritable objet misé dans une conduiteordalique. C'est aux autres de rester lucideset, résistant à la fascination qu'il exerce, deproposer des alternatives environnementaleset comportementales. Il faut insister surl'intérêt du dépistage du troisième stadeafin de donner toutes ses chances à la priseen charge psychothérapique individuellecomme de groupe. Il convient aussi designaler le risque, éthiquement très grave,d'un excès d'utilisation des techniquesdites de préparation du mental : ces der-nières, du fait de leurs propres évaluationsd'efficacité strictement axées sur les résultats,se fixent comme objectif le renforcementdu contrôle de l'anticipation motrice. Aidépar les techniques informatiques, ceci peutparfois aboutir à produire un fantasme derobotique humaine.

Le troisième stade est celui du lien addictifau mouvement à proprement parler témoi-gnant d'une trop belle adaptation. Le sportifnon seulement va vivre les entraînementsde manière rigide et stéréotypée maisencore va se faire un devoir d'exemplaritésur les autres registres de la vie qui endécoulent : comportement alimentaire,isolement affectif… S'exprime alors unsystème de co-addictions associant demanière horizontale (sans hiérarchisationdes intérêts : il faut tout garder) dans uneconfusion entre les champ sportif et non-sportif, différentes conduites toutes carac-térisées par la valeur donnée à la mesure(l'intéressant n'est pas de maigrir maisd'obtenir un record de kilos atteints, nonpas de consommer un toxique mais d'aug-menter le nombre de shoots). Peuventainsi se retrouver, en coexistant de manière

souple, différentes expressions d'une fixationsur la recherche de la mesure des sensationsavec, simultanément ou alternativement,une valorisation d'un état douloureux perma-nent ; une phobie de la passivité s'exprimantpar la nécessité de s'auto-exciter (pour luttercontre l'endormissement par exemple) ;l'obsession du corps donné en spectacleavec multiplication des regards dans lesmiroirs ; une attaque du corps natureldépassée sous forme d'anorexie... Et lemonde non-sportif n'existe plus.

Les co-addictions peuvent prendre n'importequelle forme pourvu qu'elles bénéficientd'une reconnaissance identitaire ajoutantla référence du regard à celle du mouvement(l'anorexique, le toxicomane, le délinquantviolent…). Ainsi, l'identité sportive est-elleapparemment dominée par l'identité ducomportement addictif qu'elle garde cepen-dant toujours en son pouvoir. L'avantage dece mécanisme est de reporter à plus tard ledeuil de la carrière ou de la reconnaissancesportive. Maradona, dans sa toxicomanie,reste malheureusement de haut niveau. Encela il rejoint les questions existentiellesde tout un chacun. En l'absence de recon-naissance par l'élite intellectuelle, artis-tique, sportive, il va falloir trouver d'aut-res champs et c'est l'éclosion de toutes lesidentités limites donc performantes, qu'ontl'avantage de conférer les originalitéssociales : de la toxicomanie à l'homo-sexualité en passant par l'obésité ou la vio-lence des supporters.

Dans ce troisième stade et d'un point devue psychopathologique, phagocytant leMoi corporel naturel, le Moi idéal perfor-mant est devenu tyrannique et sous le coupdu surmoi impose sa loi. Ce lien tyranniquesigne la conduite dopante : le néocorps per-formant inhibe et aliène le Moi naturel et ladécharge psychomotrice utilisée naguèredans les entraînements sert dorénavant demanière anarchique la psychomotricité dela quête et de la recherche de sensations pro-voquées par n'importe quel substrat exogè-ne. Il sera plus important pour le sportif

La pratique sportive au risquede l’aliénation pathologique et de l’addiction

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Le numéro vert Écoute dopage :

0 800 15 2000Créé fin 1998 sur crédits du Ministère de laJeunesse et des Sports et avec le soutiende la Fondation France Télécom, le numérovert «Écoute dopage» fonctionne gratuite-ment du lundi au vendredi de 10h à 20hpour l'orientation, l'information, l'aide et lesoutien du public.Une équipe de chargés d'accueil télépho-nique, essentiellement des psychologuesdu sport, répond en garantissant l'anony-mat des personnes et en cas de besoinpeut faire appel immédiatement à unréseau d'experts pharmaciens, médecinsou spécialistes des toxicomanies. Le premier rapport d'activité de «Écoutedopage» présente une répartition nationa-le équilibrée des appels dont la majoritéproviennent des sportifs eux-mêmes, avantleur entourage, dirigeants et entraîneurs.Les principaux sports cités au cours desappels sont le cyclisme, la musculation,l'haltérophilie, l'athlétisme et le football.L'essentiel des appels concernent desdemandes d'information générale (80%)les principaux produits cités étant la créa-tine, le cannabis, ensuite les anabolisants,corticoïdes, EPO et hormones de crois-sance et enfin les produits énergétiques etles amphétamines. Les demandes de sou-tien thérapeutique ou d'aide à la décision(quel produit peut on consommer) sontplus rares. 30% des appels ont fait l'objetd'une orientation vers un médecin spécia-liste du dopage, un médecin fédéral ouune structure spécialisée.Les adolescents sportifs sont les premiersutilisateurs de «Écoute dopage» (32% desappelants), pour les adultes il s'agit de plusen plus de sportifs de haut niveau qui ontbesoin d'exprimer leurs difficultés. «Écou-te dopage» répond à une demande enaugmentation qui témoigne du besoind'une approche de prévention et de proxi-mité sur ces problèmes.Le service d'accueil téléphonique, numérovert d'accès national est situé à Mont-pellier et est géré par une association loi1901, présidée par le Prof. Jean Bilard.

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de faire des kilomètres à pied (même s'ilen manque des séances d'entraînement) pourse procurer ce dont il est dépendant (pro-duit, cercle relationnel, aliment…) que decouvrir la même distance sur piste dans lecadre de sa préparation physique. À cemoment-là, la conduite dopante est uneévidence non critiquable par le sujet lui-même. Ici se situe la place structurante del'environnement. Si un entraîneur demandeà ses jeunes de prendre un psychostimulanten vente libre avant une compétition, ilcautionne l'idée que, seul, le jeune estincapable de se dépasser ; il doit donc êtreaidé par un membre mort actif. Croyantbien faire, le coach déclenche ainsi, chezle sportif en question , un mouvement deculpabilité devant son impuissance qui atoute chance de démissionner devant laforce de la représentation négative de sonnéo-corps performant qu'a son entraîneur.

Le quatrième stade est celui de l'organi-sation en aliénation par le mouvementtenant dans son pouvoir les liens addictifsprécédents.

Notre pratique clinique nous incite à isolerun tableau, l'addiction au travail musculaireavec ses deux aspects : la sensation de lacontraction musculaire elle-même (douleur,chaleur, dureté) et le déplacement qu'ellesous-tend (actualisant certains fantasmesd'être ailleurs, à l'envers des autres, insai-sissable). Si l'organisme musculaire proprene suffit pas pour satisfaire ce besoinimpérieux de bouger et de faire, le sportifva se déplacer sur des objets extérieurs :tel va s'acheter un chien de concours, l'en-traîner à mort et le coacher ; tel autre vareprendre une activité sportive abandonnéepar lui quelques temps auparavant et s'ydéfoncer ; tel enfin va faire des compétitionspar modèles réduits interposés ou devenirboulimique des lignes du téléphone rose :parler (durant des heures à un inconnu surn'importe quel sujet) devient un exercicesportif remplaçant la communication oraleet a fortiori l'élaboration d'une relation. À

la manière des enfants hyperactifs (symp-tôme parfois retrouvé dans les anamnèsesde ces sportifs) le sujet n'a ni conscienceni représentation de son sentiment d'exis-tence incarné dans les composantes dyna-miques de sa motricité. Il bouge et a cons-tamment besoin de bouger : il ne tient pasen place. S'il a constamment besoin d'êtreoccupé, de faire quelque chose, le plussouvent il s'agit d'une psychomotricitésans objet : faire les cent pas. Il exprimeplutôt sa problématique par le biais d'unedistorsion de sa perception du temps : Jene comprends pas ce que vous diteslorsque vous me parlez de maintenant, jene peux pas entendre ; je suis demain etd'ailleurs il va falloir que je parte... je doistoujours avoir un programme à faire....

Les questions de santé déclenchées,déchaînées par les conduites déviantes nefont que déplacer des interrogations fon-damentales sur la place de l'être humaindans le fonctionnement social contemporain.

Repérer la déviance, dévoile le modèle !La dénonciation du dopage qui, rappe-lons-le, ne concerne officiellement que lesport de haut niveau, informe sur les mou-vements sociaux qui nous animent. Lehéros sportif témoignerait par ses perfor-mances de l'existence d'un surhomme,auto-généré... Utiliser la fascination qu'ilexerce sur ceux qui l'admire pour faire pas-ser cette image comme modèle de réussitehumaine serait peut-être à comprendrecomme du dopage de masse. Comme toutmodèle, il devient référence sinon d'éduca-tion du moins d'intégration sociale. Appa-raît là le grave problème du dopage desmineurs participant du syndrome de réus-site par procuration décrit par R. Meadow.

Espérons que les mesures prises servirontà renforcer, chez tous les acteurs de la per-formance, sportive en particulier, l'expres-sion du plaisir de l'art de vivre sa passionà l'abri de la fascination qu'exerce le narcis-sisme malmené de notre contexte culturel.

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Bibliographie de l’auteur

Errata, revue Toxibase n°2/2001 :

Quelques précisions sont à apporter à l’article Thema,Sur la route les conduites à risques de J.P. Assailly :

• p. 2 : les données présentées par F. Facy dans le ta-bleau les importances respectives des consommationsproviennent des travaux de l’Observatoire Français desDrogues et des Toxicomanies (OFDT).

• p. 3 : dans le tableau enquête ESPAD : la sourceInserm 93 est erronée.

• p. 14 : dans la bibliographie : - la 2e note bibliographique des documents généralistesdoit être rectifiée avec les auteurs suivants : Beck F.,Legleye S., Peretti-Watel P., Tendances n°10, OFDT- la 6e note bibliographique des documents généralistescomporte des erreurs d’orthographe pour les auteurs,rectifier par Choquet M., Ledoux S., Menke H.- la 8e note bibliographique des documents généralistesdoit être rectifiée avec les auteurs suivants pour le rap-port ESPAD: Hibell B., Andersson B., Ahlstrom S. et al.

• Pour l’article Que disent sur les drogues les médiaspour jeunes , p. 36, dans l’encadré sur l’article L630 =L3421-4, la phrase la plupart des procédures n’abou-tissent pas doit être resituée à la fin du paragraphe pré-cédant, qui traite des interpellations.

thema

Page 15: Lectures sociologiques et cliniques du dopage - 1 ... - Psydoc-Francepsydoc-fr.broca.inserm.fr/toxicomanies/Textes/Lecture_dopage.pdf · quels que soient les moyens à consentir pour

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