L'économie collaborative et la Smart City

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2 [TEC 223] juillet-septembre 2014 Smart city : la technologie au service des citadins L’économie collaborative : une approche de la Smart City par le service au-delà de la donnée Ville durable-Ecomobile Résumé En ville, sous l’effet de la raréfaction des ressources, de la crise économique et de la prise de conscience environnementale, la possession de biens a été remplacée par la consommation de services. Ces services sont délivrés par des prestataires mais aussi entre particuliers. L’économie consumériste et productiviste cède sa prédominance totale au développement de l’économie collaborative. La Smart City est avant tout relationnelle. Les réseaux sociaux et les plateformes d’intermédiation sont les nouveaux vecteurs de la création de valeur locale en valorisant des investissements déjà réalisés. La mobilité collaborative témoigne de la cote de confiance de ces nouvelles pratiques auprès du grand public par de nombreuses success stories dans le covoiturage, l’auto- partage ou dernièrement le parking partagé. L’évolution de l’Économie urbaine : du productivisme à l’économie de fonctionnalité En France, les villes se sont reconstruites après la seconde guerre mondiale sur un modèle de la ville américaine : étalement urbain, prédominance de la voiture, spécialisation des zones (habitat social, centre commerciaux, cité administrative, zones d’activité économique…). Les zones d’emploi se sont éloignées des zones d’habitat. Les temps de parcours se sont allongés en voiture et en transports collectifs. La consommation énergétique galopante est allée de pair avec ces tendances urbanistiques. Depuis la fin des « trente glorieuses 1 », années de reconstruction, de production industrielle et de consumérisme, l’évolution de l’activité économique en France montre une réduction de la part des activités consacrées à la production de biens manufac- 1. Expression de Jean Fourastié. turées et services fonctionnels associés, qui portent pour l’essen- tiel les coûts des services sociétaux (santé, services à la personne, habitat, transports, éducation, culture…). Jean Fourastié pensait qu’une croissance de 7 % par an (approximativement celle du PIB français pendant les trente glorieuses) doublerait le PIB en 10 ans. Sur l’échelle d’un siècle l’équation était intenable ; arri- verait alors, d’après lui, une civilisation technique à haut niveau de vie, mais où la croissance serait faible ou nulle. Il est difficile de prévoir si la crise que l’on vit actuellement s’inscrit dans les cycles économiques de Kondratiev 2 ou bien dans un changement de paradigme social et économique dont on ignore les modalités de fonctionnement, les modèles éco- nomiques pour les entreprises et les modèles de protection sociale associés. L’arrivée des nouvelles technologies et des nouveaux usages à dominante relationnelle confirme que nos sociétés industria- lisées vont connaître des destructions massives d’emplois. Il est aujourd’hui difficile de prévoir si ces emplois seront remplacés par des nouveaux métiers, et ce, au même endroit. Il n’est pas certain que les crises économiques successives entraînant des destructions d’emplois massives et des délocalisations soient suivies de phases d’innovation créatrices de valeur comme l’affirmait Joseph Schumpeter 2 . En tout état de cause, sous l’influence conjuguée de la perte de pouvoir d’achat des foyers, de la prise de conscience écologique des jeunes générations, de la raréfaction des ressources (énergie, espace urbain…) les mentalités des consommateurs ont évolué vers moins de possession de biens et d’équipements et vers plus de consommation de service. Ce phénomène est théorisé sous le concept d’« économie de fonctionnalité ». Elle entraîne le 2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_de_Kondratiev Bernard MATYJASIK Président du Comité Stratégique Ecoville d’Advancity, Egis C et article est issu de réflexions menées au sein du groupe Egis visant à définir le métier d’« opérateur des intelligences urbaines ». Des rencontres ont alimenté ce cheminement au fil des mois : Commuto, Wayz-up, Stimpe et Sharette pour le covoiturage, ZenPark, YesPark, OnePark, Parking Facile, MobyPark, pour le parking partagé, BuzzCar, Koolicar pour l’autopartage communautaire. Deux entretiens avec les start-up Sharette et OnePark, menés par Anne-Sophie JAMET et Bernard MATYJASIK, illustrent l’article. La Ville de Paris complète l’approche théorique par un témoignage pragmatique.

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L’économie collaborative :une approche de la smart City par le service au-delà de la donnée

Ville durable-Ecomobile

Résumé

En ville, sous l’effet de la raréfaction des ressources, de la crise économique et de la prise de conscience environnementale, la possession de biens a été remplacée par la consommation de services. Ces services sont délivrés par des prestataires mais aussi entre particuliers. L’économie consumériste et productiviste cède sa prédominance totale au développement de l’économie collaborative.

La Smart City est avant tout relationnelle. Les réseaux sociaux et les plateformes d’intermédiation sont les nouveaux vecteurs de la création de valeur locale en valorisant des investissements déjà réalisés. La mobilité collaborative témoigne de la cote de confi ance de ces nouvelles pratiques auprès du grand public par de nombreuses success stories dans le covoiturage, l’auto-partage ou dernièrement le parking partagé.

L’évolution de l’Économie urbaine : du productivisme à l’économie de fonctionnalité

En France, les villes se sont reconstruites après la seconde guerre mondiale sur un modèle de la ville américaine : étalement urbain, prédominance de la voiture, spécialisation des zones (habitat social, centre commerciaux, cité administrative, zones d’activité économique…). Les zones d’emploi se sont éloignées des zones d’habitat. Les temps de parcours se sont allongés en voiture et en transports collectifs. La consommation énergétique galopante est allée de pair avec ces tendances urbanistiques.

Depuis la fi n des « trente glorieuses 1», années de reconstruction, de production industrielle et de consumérisme, l’évolution de l’activité économique en France montre une réduction de la part des activités consacrées à la production de biens manufac-

1. Expression de Jean Fourastié.

turées et services fonctionnels associés, qui portent pour l’essen-tiel les coûts des services sociétaux (santé, services à la personne, habitat, transports, éducation, culture…). Jean Fourastié pensait qu’une croissance de 7 % par an (approximativement celle du PIB français pendant les trente glorieuses) doublerait le PIB en 10 ans. Sur l’échelle d’un siècle l’équation était intenable ; arri-verait alors, d’après lui, une civilisation technique à haut niveau de vie, mais où la croissance serait faible ou nulle.

Il est diffi cile de prévoir si la crise que l’on vit actuellement s’inscrit dans les cycles économiques de Kondratiev2 ou bien dans un changement de paradigme social et économique dont on ignore les modalités de fonctionnement, les modèles éco-nomiques pour les entreprises et les modèles de protection sociale associés.

L’arrivée des nouvelles technologies et des nouveaux usages à dominante relationnelle confi rme que nos sociétés industria-lisées vont connaître des destructions massives d’emplois. Il est aujourd’hui diffi cile de prévoir si ces emplois seront remplacés par des nouveaux métiers, et ce, au même endroit. Il n’est pas certain que les crises économiques successives entraînant des destructions d’emplois massives et des délocalisations soient suivies de phases d’innovation créatrices de valeur comme l’affi rmait Joseph Schumpeter2.

En tout état de cause, sous l’infl uence conjuguée de la perte de pouvoir d’achat des foyers, de la prise de conscience écologique des jeunes générations, de la raréfaction des ressources (énergie, espace urbain…) les mentalités des consommateurs ont évolué vers moins de possession de biens et d’équipements et vers plus de consommation de service. Ce phénomène est théorisé sous le concept d’« économie de fonctionnalité ». Elle entraîne le

2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_de_Kondratiev

Bernard MaTYJasiKPrésident du Comité Stratégique Ecoville d’Advancity, Egis

C et article est issu de réfl exions menées au sein du groupe Egis visant à défi nir le métier d’« opérateur des intelligences urbaines ». Des rencontres ont alimenté ce cheminement au fi l des mois : Commuto, Wayz-up, Stimpe et Sharette

pour le covoiturage, ZenPark, YesPark, OnePark, Parking Facile, MobyPark, pour le parking partagé, BuzzCar, Koolicar pour l’autopartage communautaire.

Deux entretiens avec les start-up Sharette et OnePark, menés par Anne-Sophie JAMET et Bernard MATYJASIK, illustrent l’article. La Ville de Paris complète l’approche théorique par un témoignage pragmatique.

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veront un modèle économique rentable dans l’intermédiation (mise en relation d’offres avec des demandes).

L’économie collaborative s’appuie sur une organisation horizon-tale (place de marché) et non plus verticale (chaîne fabricant - grossiste - distributeur - consommateur). Les citadins s’orga-nisent en réseaux par affinités. Dès lors, il est possible d’optimi-ser les usages de biens, des espaces urbains, des infrastructures. L’intermédiation se fait par des réseaux sociaux ou par des places de marché (NetMarket).

Les activités de l’économie collaborative se répartissent en cinq thématiques :

▬ modes de vie ; ▬ consommation ; ▬ finance ; ▬ savoir ; ▬ production.

Chacun pratique ces activités parfois sans le savoir : c’est le cas de 7 Français sur 10.

En 2011, Bostman et Rogers distinguent trois formes organisa-tionnelles :

▬ Les Product Service Systems (PSS) : leasing classique et la location Peer to Peer (de particulier à particulier) pour des biens dont le taux d’usage est réellement faible : voiture (92 à 97 % de son temps à l’arrêt), machine à laver, camping-car, vélo, jouets, robe de soirée… Exemples : BlaBlaCar, Wayz-up, Drivy.

▬ Les marchés de redistribution : troc, don, échange de biens d’occasion entre particuliers. Exemple : Leboncoin.

▬ Les styles de vie collaboratifs : partage d’espaces, de com-pétences, de temps ou d’argent, coworking, couchsurfing, crowdfunding, achat groupé direct au producteur (AMAP)… Exemples : Buro’nomad, Airbnb, Kisskissbankbank.

Les échanges entre particuliers sont directs et rapides avec Internet.

découplage de la valeur ajoutée et de la consommation d’éner-gie et de matières premières.

Dans la mobilité, les exemples d’économie de fonctionnalité les plus cités mettent en évidence Michelin qui facture les kilomètres parcourus par les camions équipés de ses pneus au lieu de vendre ces derniers, ou encore JC Decaux qui a mis en place, pour le compte de la Ville de Paris, un système complet de location de Vélib’ partout et tout le temps disponibles évitant au citadin d’acheter un vélo…

On retrouve l’économie de fonctionnalité à la base du concept d’économie quaternaire3 développé par Michèle Debonneuil, à laquelle elle intègre les technologies de l’information et de la communication ainsi que le soutien de l’État par le biais de la fiscalité comme le CESU (chèque emploi service universel).

En 1978, Felson et Spaeth définissent l’économie collaborative comme un renouvellement des logiques économiques où les individus co-conçoivent, partagent, donnent ou troquent… En 2010, Botsman et Rogers4 reprennent ce terme pour désigner un système.

L’économie collaborative

Aujourd’hui les fournisseurs de technologies (informatique et télécom) définissent la Smart City à partir du traitement de l’information. Le prérequis est la mise à disposition de la donnée (mouvement de l’open data). Il s’agit de remonter un gros volume de données, de les stocker et de les traiter (big data). Cela revient à informatiser une fonction : les transports en commun, la distribution d’eau ou d’énergie… La transversalité n’est apportée véritablement que lors du croisement de données entre elles.

Or très rapidement, la Smart City va tendre à développer le volet relationnel des communautés vivant en ville. Ceux qui animeront ces communautés en y apportant des services trou-

3. http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3 %89conomie_quaternaire4. « What’s mine is Yours : The rise of Collaborative consumption »

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Les modèles sous-jacents à l’économie collaborative

Les services de mobilité de l’économie collaborative suscitent beaucoup d’adhésion auprès du grand public et des pouvoirs publics. Ce sont des services qui combinent le « Système D » pour réussir avec peu de moyens, des relations sociales et un geste éco-citoyen. La communication des start-up surfe sur cette utilité sociale. « Covoiturage.fr » s’est rebaptisé « Blablacar » pour mettre en évidence la convivialité des relations et communique sur le nombre de personnes transportées en « nombre équivalent de TGV ».

XLe modèle économique

Le modèle économique des sociétés de l’économie collaborative a de quoi séduire les investisseurs. Au départ, il y a peu d’inves-tissement dans le matériel : pas de véhicule acheté, pas de parking construit, pas d’immeuble acheté… L’investissement (le CAPEX) se résume à la mise en œuvre de la plateforme d’intermédiation et à un équipement léger de la voiture ou du parking : de 400 à 2 000 €. L’amortissement pèse peu dans les comptes.

Par la suite, il existe peu de frais d’exploitation et de maintenance techniques (l’OPEX) hormis ceux de la plateforme. En revanche, il faut consentir des efforts de commercialisation importants pour constituer l’offre. Il faut recruter des propriétaires de voitures pour louer une place ou le véhicule tout entier, pour le covoi-turage et pour l’autopartage, ou encore trouver des places de parking bien situées, à proximité de gares, d’aéroports ou de sites fréquentés disposant de peu de places publiques.

Puis il faut constituer la demande. Cela peut se faire par achat de fichiers, par ciblage, par campagne de recrutement… ou par un démarchage terrain (flyers…) pour les places de parking.

Il faut maintenir un flux important d’offres et de demandes.

Les plateformes d’intermédiation peuvent se distinguer par leur approche client ou bien les combiner. Certains services de parking partagé recherchent des places entre particuliers en Peer to Peer P2P (Parkadom, SharedParking…) ou bien auprès d’entreprises (hôtels, logement social…) pour les offrir aux particuliers en Business to Consumer B2C (ZenPark, YesPark, OnePark, Parking Facile…) ou mixent les approches (MobyPark). D’autres ciblent des marchés de niche comme le stationnement à proximité des aéroports (TravelerCar) et des gares ou les priorisent (MobyPark). Certains se positionnent sur la location de courte durée, d’autres sur la longue durée (ou bien sûr un mix).

TravelerCar se positionne à la fois sur le parking partagé et sur la voiture partagée à proximité des aéroports.

MobyPark se développe simultanément en France et Belgique et aux Pays-Bas, sur une approche très segmentée.

Entretien avec OnePark

Gilles LaTouChECofondateur de OnePark.

OnePark Privilégie-t-il la lOcatiOn en Parking Partagé en lOngue durée Ou en cOurte durée ?

OnePark est une plateforme globale qui référence l’ensemble de l’offre de stationnement en ville, dans les parkings partagés ou traditionnels. Notre offre intègre à la fois le stationnement pour quelques heures ou pour un mois entier.

Quel est le mOdèle écOnOmiQue le Plus PrOche du vôtre : « airbnb » Ou « bOOking » ?

Notre métier s’inscrit parfaitement dans l’économie collaborative comme Airbnb, et notre modèle économique se cale vraisemblablement sur celui de Booking.

Nous agrégeons sur une plateforme des lots de places de stationnement après contractualisation avec des « fournisseurs de places » de deux types : les gestionnaires de parkings privés (bailleurs sociaux, bailleurs immobiliers, hôtels, immeubles de bureaux), et les exploitants de parkings publics (concédés par la Ville, ou propriétés de l’exploitant). Les hôteliers sont très sensibles à notre offre, cette solution se rappro-chant de leur métier de gestion des chambres d’hôtel. Les bailleurs y voient un moyen de lutter contre la vacance locative.

OnePark a mis en place une solution qui donne à l’usager un accès rapide à une place de stationnement. Ce dernier a la possibilité de tout gérer par l’intermédiaire de son Smartphone : recherche de places libres, réservation d’une place, paiement, accès physique au parking.

cOmment le service fOnctiOnne-t-il sur site ?

Le parking est équipé d’un boîtier de commande de l’ouverture de la porte, posé sur la borne d’accès au parking et commandé par le serveur OnePark. Ce serveur donne l’ordre d’ouverture à la porte dès réception de la demande du client via son Smartphone. L’accès au service peut également se faire avec un simple téléphone en ayant réservé sa place au préalable sur Internet et en recevant les codes d’accès par SMS, puis en les saisissant sur un clavier à code installé sur la borne d’accès du parking.

Un boîtier à clavier à code est également installé au niveau de l’accès piétons pour entrer et sortir à pied du parking. Une signalétique de guidage vers les places dédiées à OnePark complète l’installation sur site.

Gilles Latouche, cofondateur de OnePark

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territoire comme un écosystème de ressources existantes ne demandant qu’à être utilisées de façon plus économique, plus efficiente, plus durable. Le territoire n’est plus le réceptacle qui ne subit que les externalités négatives, il devient le creuset de ressources à valoriser.

La ville doit pouvoir prendre sa place dans l’émergence de ces nouveaux modèles économiques sans pourtant être intrusive. Si elle définit une vision de la mobilité urbaine à 15 ans, elle saura créer les conditions favorables du développement de ces services qui ne sollicitent pas ses budgets d’investissement et qui complètent avantageusement les services de transport existants. Elle mettra à disposition de ces acteurs émergents les possibilités offertes par ses Services, SEM et Régies : places de stationnement dans le logement social et dans les immeubles administratifs, véhicules administratifs disponibles le week-end…

Il est probable en revanche que l’État intervienne sur les volets fiscaux et réglementaires : imposition des particuliers qui encaissent des recettes, généralisation de la TVA, paiement de charges sociales… L’État devra alors arbitrer entre l’équité com-merciale (concurrence avec les taxis…) et le développement de services utiles et durables dans la cadre de la Loi sur la Transition Énergétique et Écologique. L’État aura des difficultés à légiférer pour protéger les règles de concurrence loyale sur des théma-tiques où les tendances mondiales sont lancées.

NB : Uber n’entre pas vraiment dans le cadre de l’économie collaborative. Uber demande à ses conducteurs d’effectuer des trajets spécifiques avec leur véhicule. Les taxis considèrent que ces chauffeurs occasionnels entrent directement en concurrence avec eux sans respecter la réglementation (assurance, qualité de service…). De nombreux états européens ont mené une croisade contre cette concurrence parfois qualifiée de déloyale, mais en tout état de cause non réglementée.

Les effets bénéfiques pour la ville

Les territoires qui prendront conscience des bénéfices de l’éco-nomie collaborative pourront en tirer des effets bénéfiques.

XOptimiser les ressources urbaines

Les villes construites et aménagées pour la voiture se réappro-prient progressivement leur espace urbain. Les finances publiques ne laissent guère de marges de manœuvre. Se pose alors à la collectivité l’alternative de la construction de nouveaux ouvrages, de la subvention de nouveaux services de mobilité ou de favoriser l’essor de l’économie collaborative. La construc-tion d’un nouveau parc en ouvrage varie entre 3 et 6 millions d’euros en centre-ville et le prix d’une place entre 30 000 et 40 000 euros. La solution du parking partagé valorise les « places cachées » chez un particulier, un bailleur social, un commerce, un bâtiment administratif, un hôtel… Des dizaines de places existent à proximité de la construction envisagée. Au-delà de l’impact positif pour les finances publiques, on évite aux riverains les nuisances de la construction et les émissions de CO2 y afférant.

Les intermédiaires de location de véhicules sont majoritairement sur un modèle P2P (Drivy, BuzzCar, OuiCar, Koolicar…), d’autres sur un modèle B2B (Ubeeqo) ou encore en Governement to Business to Consumer G2B2C (Autolib’).

Dans le covoiturage, les premières entreprises ont été dévelop-pées par des informaticiens. Le modèle consistait à vendre une licence logicielle à une collectivité (territoire, entreprise…) qui s’acquittait d’un coût d’acquisition et d’une licence de mainte-nance. Les diverses clientèles ont été regroupées sur une plate-forme sous une marque commune. Puis sont apparues les premières plateformes conçues dès l’origine comme des plate-formes collaboratives sans frontière territoriale, en s’adressant directement au grand public, et en croissant par de nombreux partenariats (loueurs, assureurs…). Les secondes plateformes ont surpassé les premières. Le choix du modèle économique initial s’est avéré déterminant.

XLes facteurs clés de succès

La première expérience ne doit pas décevoir. Cela débute par l’inscription sur le site qui doit être conviviale, intuitive et simple, en moins de 3 clics pour y accéder. L’expérience réelle doit présenter les mêmes qualités. Ces nouveaux opérateurs doivent prêter toute leur attention à la qualité de service.

Pour une plateforme d’intermédiation, l’important est de créer le flux de mise en relation. Il s’agit dès lors de disposer très rapidement de beaucoup d’offres pour satisfaire les premières demandes ; puis de beaucoup de demandes pour ne pas déce-voir les offreurs. Les prestataires parlent d’atteinte de la « masse critique ». A partir de ce seuil, le service devient crédible et le cercle vertueux de croissance s’engage.

Pour fidéliser les offreurs et les demandeurs, la plateforme d’intermédiation doit faire en sorte que la transaction ait toutes les chances de bien se dérouler. Après chaque transaction, chacune des deux parties mises en relation évalue l’autre : ponctualité, propreté du véhicule, conversation… Chaque membre se voit ainsi délivrer une « cote de confiance », élément indispensable, notamment pour rassurer les nouveaux membres.

L’implication de la collectivité publique

L’un des grands enjeux des grandes métropoles du XXIe siècle est la maîtrise des flux : énergie, fluides, mobilité. L’économie collaborative est un pourvoyeur de solutions ayant un impact très positif sur les flux de mobilité et sur les émissions de gaz à effet de serre et autres particules fines. Elle associe la viabilité économique à l’utilité sociale et à l’impact environnemental positif et vise à décourager l’achat de biens pour la production de services immatériels. Par l’exemplarité et la facilité d’usage des services, elle invite la société à réfléchir sur les modes de vie et de consommation en effaçant les effets d’une course au « toujours plus » et en gommant la visibilité des inégalités.

L’économie collaborative invite ainsi les élus à réfléchir sur les relations sociales et les modes de vie urbaine. Elle positionne le

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est certain que la pratique se popularisera. On peut imaginer que la voie de gauche du boulevard périphérique ne soit acces-sible qu’aux Taxis, véhicules d’urgences et aux covoitureurs en train de covoiturer. Les technologies l’autorisent. Ou encore que les bandes d’arrêt d’urgence (BAU) aménagées de certains tronçons autoroutiers pour y faire circuler des bus en longue distance, soient aussi accessibles à ces mêmes véhicules. La politique de stationnement en ville étant appelée à être plus stricte dans les prochaines années, pourrait être plus tolérante pour les covoitureurs.

XAméliorer la qualité de vie

L’amélioration du taux de remplissage d’une voiture, par le covoiturage, ne peut être que bénéfique pour la qualité de l’air par la diminution du nombre de véhicules circulants. Au-delà du célèbre BlaBlaCar, très efficace sur des trajets longue distance, des acteurs nouveaux comme Wayz-up, Sharette, iDvroom tentent d’apporter des solutions nouvelles au covoiturage quo-tidien domicile-travail.

XDécongestionner le trafic

Dans les métropoles, aux heures de pointe, de 20 à 30 % des automobiles circulant recherchent une place de stationnement. Proposer les places de stationnement cachées aux résidents permet de libérer des places en voirie. Mais pour ne pas créer un appel d’air pour de nouvelles voitures, il est important d’accom-pagner ces mesures d’un contrôle du paiement de stationnement car la fraude atteint en France une moyenne de 80 %. Dans la perspective de la loi sur la décentralisation du stationnement5, les villes encaisseront les recettes des anciennes amendes devenues forfaits de post-paiement. Les conditions seront réunies pour changer significativement les conditions de mobilité en ville.

Le covoiturage domicile-travail est clairement une pratique visant à optimiser le nombre de passagers par voiture. Si la ville accom-pagne cette mesure des droits spécifiques pour le véhicule, il

5. Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM » ou « loi MAPTAM ».

Entretien avec SharetteGrégoire dE PinsResponsable Opérationnel - cofondateur

Quels sOnt les éléments de différenciatiOn de sharette sur le marché du cOvOiturage dynamiQue ? selOn vOus Quels sOnt les facteurs clés de succès du cOvOiturage ?

Le covoiturage courte distance seul est très difficile à mettre en place pour des raisons de masse critique, c’est pourquoi nous ne croyons pas au covoiturage seul pour un trajet de bout en bout.

Sharette se positionne comme une solution de transport collabora-tif complémentaire de l’offre de transport existante. Constatant que la voiture particulière est sous-utilisée, il s’agit de l’intégrer aux transports en commun en traitant à la fois les données issues du covoiturage dynamique et celles mises en open data par la RATP et de la SNCF. L’intégration des deux modes permet de s’affranchir du fameux problème de masse critique à atteindre pour faire vivre l’application. En effet, s’il n’y a pas suffisamment d’utilisateurs, la probabilité pour qu’une personne allant d’un point A à un point B trouve un covoitureur qui passe au bon moment par le point A, puis par le point B, est très faible. C’est pourquoi Sharette propose des déplacements multimodaux, dont le trajet en covoiturage n’est qu’une partie (il est en moyenne de 20 km). Le service se veut com-plémentaire aux services de transports en commun tout en faisant gagner du temps au francilien grâce au covoiturage.

Quel est vOtre mOdèle écOnOmiQue ? cOmment intégrez-vOus les disPOsitiOns du fisc et des assurances ?

À ce jour, notre modèle économique repose sur deux types de revenu. D’une part, Sharette met à disposition l’application sous forme d’une licence annuelle pour une entité représentant une communauté (entreprise ou collectivité locale). D’autre part, chaque trajet est payé

à bord de l’application par le passager. Dans ce second cas, le ticket de covoiturage est au prix de 1,70 € (15 € le carnet de 10 tickets). Sur un ticket, le covoitureur perçoit 1,40 € et Sharette 0,30 €.

Inspiré des principes de l’économie collaborative, le covoitureur ne fait pas de bénéfice mais perçoit une somme correspondant à une réduction de frais liés à son véhicule. C’est pourquoi, il n’y a pas de TVA. En ce qui concerne le domaine de l’assurance, depuis 2004, le covoiturage est intégré dans les dispositions des assurances.

Sharette est une place de marché mettant en relation des offres et des demandes de covoiturage au sein d’une communauté. En tant que tiers d’intermédiation, Sharette n’engage pas sa responsabilité en cas de fraude de l’automobiliste (pas de permis, pas d’assurance…).

Quelles sOnt vOs PersPectives de dévelOPPement et cOmment atteindre cette masse critiQue ?

Sharette est issu de 2 ans de recherche et développement, au sein des incubateurs de Paris-Région Lab et de Centrale Paris, et est actuellement au camping du NUMA, accélérateur de start-up numé-riques. L’application est disponible sur les « stores » depuis le 1er octobre 2014.

Actuellement, Sharette s’adresse à des communautés fermées (sala-riés d’une entreprise, Zone d’activités, communauté d’aggloméra-tion). Mais l’application s’ouvrira au grand public en 2015. Une communication ciblée sera alors organisée pour atteindre la masse critique. Avec 1 200 utilisateurs aujourd’hui, nous avons l’objectif d’atteindre 8 000 utilisateurs en 2015.

Le public visé est celui du territoire de l’Ile-de-France, quel que soit le motif de son déplacement, effectuant un bout de trajet en zone urbaine autour de Paris. En effet, Sharette n’adresse pas les trajets uniquement à l’intérieur de Paris, mais plutôt les zones urbaines où il y a une rupture de l’offre de transport en commun. La plus grande valeur du service proposé par l’application concerne les trajets ban-lieue-banlieue.

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De même, la mise à disposition des « places cachées » améliore l’offre de stationnement et diminue la congestion urbaine.

Un véhicule partagé n’est pas utilisé en ville comme un autre. Ses utilisateurs parcourent de l’ordre de deux fois moins de kilomètres selon les études menées, et cela se fait au bénéfice des transports en commun. Une voiture partagée en remplace de 8 à 13, selon les études menées en France et aux États-Unis. De nombreuses plateformes proposent des services de location de voitures entre particuliers : Zilok, Deways, Livop, Drivy, Buzzcar, OuiCar, KooliCar…

La diffusion massive des services numériques modifie nos percep-tions de la ville, des distances et des temps à parcourir ; ils com-plètent l’offre de transport déjà disponible dans les centres urbains. Grâce à ces nouveaux services, le regard du piéton, du cycliste ou de l’automobiliste sur la ville est transformé par le flux d’infor-mations émanant de leur environnement immédiat : immobilier, mobilier, interactions des autres usagers et des autres véhicules. Leur champ de vision est en quelque sorte élargi ; le citoyen est aidé à appréhender le réseau et son infrastructure non pas dans sa globalité mais de manière personnalisée et intégrée.

Dans le domaine de la mobilité, en mars 2014, on a dénombré 165 applications cherchant à faciliter la mobilité des Parisiens (Ile-de-France comprise) ou promouvant l’utilisation de certains modes de transports (inventaire des applications grand public disponibles sur les « stores » proposant un service lié à la mobi-lité et concernant Paris – Agence de la mobilité – Ville de Paris).

Ces applications, dont une part non négligeable est du ressort de l’économie collaborative, s’appuient sur les Smartphones vecteurs incontournables de la diffusion de l’information dyna-mique auprès des usagers, de remontée d’information et in fine d’accompagnement à la mobilité.

Dans le panel de ces 165 applications accompagnant la mobi-lité des Parisiens, 34 % utilisent la remontée active de données

collaboratives, et 28 % la remontée passive de données colla-boratives.

Le crowdsourcing s’inscrit dans la tendance à l’économie colla-borative puisqu’il valorise la remontée d’information de com-

Conclusion

L’économie collaborative propose des solutions alternatives et surtout complémentaires aux mobilités traditionnelles. La situa-tion de crise et l’ardente nécessité de se réapproprier l’espace urbain sont deux facteurs de développement de ces services.

Les prochaines années devraient en fixer le cadre réglementaire. Les villes et les grands opérateurs devraient s’en approprier les fonctionnalités. Ces services devraient alors contribuer très positivement à la Transition Énergétique et Écologique par leur pragmatisme et leur simplicité d’usage. La Smart City en est le creuset et rend possible l’instantanéité de ces services accessibles depuis son Smartphone. n

Point de vue d’une Ville sur les nouveaux services numériques de mobilité : entre soutien au développement

et recherche de cohérence avec la politique menée

Par anne-sophie JaMET, avec le concours d’inès haEFFnER et Julien FLaGEuL

Agence de la Mobilité, Ville de Paris

Répartition des 165 applications selon les domaines de mobilité pris en compte

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munautés. On constate que les usagers de l’Internet mobile acceptent de créer de la valeur pour répondre à la demande de nombreux utilisateurs. L’ancrage territorial est essentiel dans la réflexion puisqu’il est l’un des facteurs de développement des communautés. Ce modèle économique axe son développement autour de l’usager, de ses besoins et de ses attentes, mais éga-lement de la valeur que celui-ci donne au service. Sur le marché des applications d’accompagnement à la mobilité, les déve-loppeurs s’attachent à mettre l’usager au centre de la démarche, étant souvent usagers eux-mêmes. Ces nouveaux modèles collaboratifs permettent l’organisation des intelligences collec-tives.

Les opérateurs traditionnels de mobilité se sont notamment également mobilisés sur ce marché, bien que le développement applicatif ne fasse pas partie directement de leur mission de service public. On note toutefois qu’une grande majorité des applications sont développées par des entreprises venant du monde numérique ou des développeurs indépendants spécia-lisés. Ceux-ci cherchent alors à proposer de nouveaux services issus du croisement et de la visualisation de données publiques ou privées. L’enjeu sous-jacent est celui de la production, de la diffusion et de la réutilisation des données nécessaires à ces services ainsi que leur qualité.

Si les autorités publiques ont un rôle essentiel à jouer dans le secteur de l’innovation numérique, le rôle de la Ville de Paris n’est pas de produire des applications de mobilité mais de s’assurer de leur existence et de leur orientation vers une mobi-lité durable des citoyens.

La Ville de Paris soutient activement certains de ces projets.

En 2010, la Ville de Paris s’est lancée dans une démarche open data. Cette dernière ne se limite pas à la publication de jeux de données, mais consiste également à animer ces données pour stimuler l’écosystème des ré-utilisateurs. La Ville de Paris a par exemple organisé en 2013 un hackathon d’un mois en parte-nariat avec JC Decaux, Autolib, la Région Ile-de-France, la RATP et SNCF Transilien. Cet événement, appelé « Moov’in the city » proposait aux développeurs de créer des applications à partir des données de transport. L’enjeu est que les ré-utilisateurs se

saisissent de ces données pour développer des outils que la Ville de Paris n’a pas vocation à développer elle-même.

Sharette faisait partie des projets lauréats et s’est depuis large-ment développée. C’est une application de mise en relation au sein d’une communauté fermée qui intègre le covoiturage aux transports en commun (voir interview de Sharette).

Les applications grand public de l’économie collaborative ont des points de contact avec les services publics sur le territoire. Par exemple, les nouveaux services de « parking partagé » se veulent également intégrateurs de l’accès à l’offre de station-nement (voir l’interview de OnePark).

Un autre exemple est celui de l’autopartage entre particuliers, que la Ville de Paris observe avec intérêt mais en soulevant quelques questions. Tout d’abord, ce type de service repose sur des véhicules qui appartiennent à des particuliers. Or, des études démontrent que la dépossession du véhicule est un élément majeur dans la rationalisation du recours à une voiture et donc de la diminution des kilomètres parcourus. En effet, ce qu’on appellera la « voiture servicielle1 » mise à disposition par un opé-rateur d’autopartage s’intègre au sein d’une gamme complète de mobilité où l’usager aura recours plus souvent aux solutions alternatives (transport en commun, taxi, vélo en libre-service…). De plus il s’agit néanmoins de rester vigilent sur la question des véhicules mis en jeu notamment sur leur motorisation, âge, ou cylindrée.

Pour une collectivité, toute la difficulté est d’appréhender au mieux ces points de contacts face aux nouvelles idées qui émergent très rapidement. Tout l’intérêt est alors de réussir à mettre en adéquation les attentes et les ambitions des deux parties et de faire en sorte que ces développements soient compatibles et intégrées à la mise en œuvre des politiques de la Ville, notamment la politique de mobilité. n

1. Expression du sociologue Bruno Marzloff.