Le virage ambulatoire : Defis et enjeux

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© 2002 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Le virage ambulatoire : défis et enjeux, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté, ISBN 2-7605-1195-2

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Priver ou privatiser la vieillesse ?Entre le domicile à tout prix et le placement à aucun prixMichelle Charpentier2002, ISBN 2-7605-1171-5, 226 pages, D-1171

Huit clés pour la prévention du suicide chez les jeunesMarlène Falardeau2002, ISBN 2-7605-1177-4, 202 pages, D-1177

La rue attractiveParcours et pratiques identitaires des jeunes de la rueMichel Parazelli2002, ISBN 2-7605-1158-8, 378 pages, D-1158

Le jardin d’ombresLa poétique et la politique de la rééducation socialeMichel Desjardins2002, ISBN 2-7605-1157-X, 260 pages, D-1157

Problèmes sociaux• Tome 1 – Théories et méthodologiesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001, ISBN 2-7605-1126-X, 622 pages, D-1126

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Dans la même collectionSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer

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Presses de l’Université du Québec

Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bur. 450Sainte-Foy (Québec) Canada G1V 2M2

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Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés© 2002 Presses de l’Université du Québec

Dépôt légal – 4e trimestre 2002Bibliothèque nationale du Québec / Bibliothèque nationale du CanadaImprimé au Canada

Données de catalogage avant publication (Canada)

Vedette principale au titre :

Le virage ambulatoire : défis et enjeux

(Collection Problèmes sociaux & interventions sociales ; 6)Comprend des réf. bibliogr.

ISBN 2-7605-1195-2

1. Santé, Services de – Réforme – Québec (Province). 2. Traitement ambulatoire –Québec (Province). 3. Désinstitutionnalisation – Québec (Province). 4. Soins àdomicile – Aspect social – Québec (Province). 5. Personnel médical – Québec (Province) –Conditions sociales. 6. Aidants naturels – Québec (Province) – Conditions sociales.7. Travail et famille – Québec (Province). I. Côté, Denyse, 1954- . II. Pérodeau, Guilhème,1950- . III. Collection.

RA395.C974V57 2002 362.1'2'09714 C2002-941283-0

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canadapar l’entremise du Programme d’aide au développementde l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

La publication de cet ouvrage a été rendue possiblegrâce au soutien de l’Université du Québec en Outaouais.

Révision linguistique : LE GRAPHE ENR.

Mise en pages : CARACTÉRA PRODUCTION GRAPHIQUE INC.

Couverture : Conception graphique : RICHARD HODGSON

Illustration : TOM THOMSON (1877-1917).Dans le Nord, 1889. Huile sur toile, Musée des beaux-arts de Montréal.

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PR

ÉF

AC

E

VIRAGE AMBULATOIRE

Virage paradigmatique, virage éthique

F

RÉDÉRIC

L

ESEMANN

INRS – Urbanisation, Culture et Société

Ce qui est en cause

[avec le virage ambulatoire]

, c’est bien plus une réorientation conceptuelle et idéologique du recouvrement de la santé qu’un simple changement de la gestion des ressources sanitaires.

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PRÉFACE

IX

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Cette évaluation, formulée en 1996 par le Conseil du statut de la femme dans uneétude sur le virage ambulatoire (1996, p. 9), m’apparaît constituer une bonne miseen perspective du phénomène du « virage ambulatoire», promu ensuite dans tousles énoncés de réformes sociosanitaires successifs. Il est avéré que ce « concept » et lesstratégies qui en découlent sont l’une des manifestations fortes de la volonté del’État-providence québécois de procéder à des réformes majeures de ses orientationset, partant, de son rôle.

Pour le dire autrement, si le « virage ambulatoire » se présente dans une pre-mière lecture comme une mesure de gestion administrative, il s’inscrit immédiatementdans une dynamique politique de restructuration de l’État pourvoyeur de services etil illustre même un véritable changement paradigmatique des fonctions« providentielles » de l’État. En effet, au cours des deux dernières décennies, l’État aprogressivement évolué d’un État-providence à un État qu’on peut qualifier de« partenaire » (Lesemann, 2000) ou, encore, d’un État « social-bureaucratique » àun État « social-libéral » (Bresser Pereira et Cunill Grau, 1998) ou d’« investissementsocial » (Giddens, 1998 ; Esping-Andersen, 2001 ; Jenson et Saint-Martin, 2001)ou même, pour utiliser un terme anglais qui le résume mieux que tout autre, à un

enabling state

(Noël, 1996). Le « virage » est l’une des expressions majeures decette évolution.

De quoi s’agit-il ? De la nécessité pour l’État de trouver des modalités de réponsesfiscalement, politiquement et socialement acceptables à l’épuisement de cette formed’action de régulation étatique qu’on a qualifiée de « providentielle » et qui s’estdéveloppée au cours d’une période très particulière de l’histoire des pays industria-lisés, celle des années de l’immédiat après-guerre jusqu’au début des années 1980.L’État-providence a en effet été un coproducteur exceptionnel de cette période excep-tionnelle d’expansion de la production et de la consommation, en soutenant unemodernisation démocratique des sociétés qui a rendu possible une mobilité sociale demasse grâce à un accès universel aux services d’éducation, de santé, de protectionsociale et à la défense et à la promotion des droits civiques et sociaux.

Je ne crois pas exagérer en soutenant que la grande majorité des réflexionsrécentes des sciences sociales, et peut-être même des sciences administratives, est mobi-lisée par cet enjeu majeur pour nos sociétés : « Comment penser ce-qui-vient-après-l’État-providence, et comment penser l’action sociale et politique en conséquence ? »On sait, d’une part, que la forme d’intervention providentielle qu’on a connue nepourra être ressuscitée, compte tenu des transformations structurelles et culturellesqui caractérisent nos sociétés aujourd’hui, et que, d’autre part, la solution ultra-libérale du « tout au marché » des années 1990 a vécu, qu’elle s’est révélée contre-productive et, bien sûr, insupportable en termes humains.

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X

LE VIRAGE AMBULATOIRE

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C’est pourquoi la réflexion contemporaine est mobilisée par les questions du« vivre ensemble », des liens sociaux, des risques d’exclusion, des nouveaux méca-nismes de régulation, des rapports entre la société civile et l’État, des rapports entrele marché, la société, l’individu et l’État. Ne négligeons pas le fait que deux acteurspolitiques majeurs ont progressivement émergé au cours du dernier demi-siècle :

lesclasses moyennes salariées

, largement construites par les mécanismes de mobilitésociale élaborés et favorisés par l’État-providence ; ces classes occupent aujourd’huile devant de la scène politique dans toutes les démocraties et, à titre de clientèle,elles orientent principalement les choix politiques ;

l’individu

, de plus en plusdétaché de ses liens communautaires, se méfiant des institutions et de leurs pratiquesbureaucratiques, producteur du propre sens de sa relation au monde et aux autres,de plus en plus centré sur son intimité, scolarisé, informé, réflexif, doté de droits etde responsabilités, qui évolue et « s’épanouit » dans un environnement idéologiquelibéral exacerbé, et qui s’affirme au principe de toute vie en société.

Voilà, pour l’esquisser très sommairement, le contexte d’émergence du « virageambulatoire ». En réalité, et j’insiste d’emblée, ce contexte est double :

institution-nel

, en ce qu’il touche et réclame une réarticulation des relations entre l’État et lasociété civile, une redéfinition des responsabilités entre action étatique, action publiquenon étatique et action privée ;

culturel

, en ce qu’il en appelle à l’individu, à sesinitiatives, à ses choix, à sa liberté et à ses responsabilités.

Par conséquent, il me semble important que les analyses du «virage ambulatoire»prennent en compte ce double contexte et qu’elles s’efforcent d’en refléter la doubledynamique, même si la « face d’ombre » dont témoignent bien légitimement lesacteurs de terrain qui y sont confrontés l’emporte sur la face plus lumineuse de sespotentialités. Le « virage ambulatoire » ne me semble en effet pas pouvoir être analyséuniquement en termes de pertes, de restrictions, d’impacts négatifs ; ces dimensionsexistent sans aucun doute et de nombreuses contributions de cet ouvrage les évoquentéloquemment ; loin de moi l’idée de négliger ces réalités, et encore moins de les nier.Il me semble cependant que le « virage » doit aussi être appréhendé comme uneorientation porteuse de nouveaux espaces de liberté, de réponses à des quêtes crois-santes d’autonomie – peut-être même d’éléments de démocratisation dans tout ce quitouche au domaine de la « vie » –, de réduction de la dépendance à l’égard desnormes institutionnelles, bureaucratiques et professionnelles, dans la perspective descourants de désinstitutionnalisation et de réinsertion sociale, de respect de la sphèreprivée, de valorisation du domicile, des initiatives de soins alternatifs, des maisonsde naissances, etc. Bien sûr, tout cela dans le cadre de normes de qualité, de justiceet d’équité établies, reconnues et appliquées. Et c’est là, je le sais, que le bât blesse,mais c’est là aussi que doit se porter l’action, plutôt que sur la dénonciation et latentation d’un refus global du processus en cours.

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PRÉFACE

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L’État, en effet, a été confronté, dès la fin des années 1980, au Québec commeà peu près partout, à de multiples sources de pression pour exercer différemment sesresponsabilités dans le domaine de la santé et des services sociaux : crise budgétaireet endettement public, bien sûr, mais aussi croissance incontrôlable des coûts de lasanté et de l’aide sociale ; crise de la culture bureaucratique qui préside à la gestiondes services ; incrustation des corporatismes sectoriels dans le système ; contexte idéo-logique de pressions pour une réduction de la taille de l’État ; développement destechnologies de l’information, mais aussi des technologies biomédicales ; émergenced’usagers-consommateurs-citoyens de plus en plus critiques à l’égard des services atten-dus ou reçus ; évolution démographique qui oblige le système à anticiper de nouveauxbesoins et à répondre à de nouvelles maladies, etc. Tous ces phénomènes exigent dela part d’un système de services une capacité d’adaptation, de souplesse, d’innovationque son mode historique d’organisation ne lui permet que très difficilement.

C’est la raison pour laquelle les réformes vont proclamer, par exemple, la pré-éminence du client ou du citoyen que l’on va décréter être « au centre » du système :on espère ainsi créer une alliance pratique entre les planificateurs et les usagers,« contre » les professionnels et les employés en exercice que les planificateurs soup-çonnent de détourner le système en fonction de leurs intérêts catégoriels. C’est laraison pour laquelle, aussi, les réformes vont compter de plus en plus sur un secteur« communautaire» – les organismes de la « société civile » – que l’État va financeren fonction de sa contribution à l’atteinte des objectifs du système ; c’est encore laraison pour laquelle les réformes vont également, dans la même opération, viser àréduire au minimum le temps de séjour dans les ressources hospitalières lourdes etcoûteuses et en appeler à la contribution des familles au domicile, ou encore créerune « chaîne de soins » en paliers hiérarchiques descendants, à partir des ressourcesmédicales très spécialisées jusqu’aux familles qu’on va au besoin qualifier pourexercer des actes infirmiers peu qualifiés, en passant par toutes les catégories depersonnel infirmier. C’est dans ce cadre administratif et politique que se déploie le« virage ambulatoire ».

Mais dans le même temps – et l’on retrouve ici les débats qu’ont dû mener,par exemple, le secteur communautaire au cours des dernières années, ou les asso-ciations de défense des droits des personnes désinstitutionnalisées –, cette actionréformatrice de l’État ouvre des espaces de critique du monopole étatique et profes-sionnel sur la santé et sur la vie des individus ; elle ouvre par là de nouveauxespaces de participation démocratique et, pour l’individu, de « déprise » de la nor-mativité institutionnelle, et donc d’un possible exercice de sa liberté d’acteur et deses choix de vie.

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Ainsi, l’État a ouvert, avec la « virage ambulatoire » et, plus largement avecses diverses initiatives de réforme, un espace de débat pour les problèmes d’éthiquecollective (Forest, 1999), pour les questions de justice et d’équité à propos des servicessociosanitaires. Il n’est en effet pas possible de bouleverser un système de services,c’est-à-dire d’affaiblir l’emprise d’un système établi de services fondé sur des normesqui, jusqu’à récemment, garantissaient au moins formellement un accès universelaux soins, pour lui substituer une autre organisation, fondée sur d’autres principeset d’autres règles, sans expliciter ces règles et les soumettre au débat public. Onretrouve là des préoccupations qui sont activement discutées et mises en forme depuisde nombreuses années, par exemple à propos des services de soutien à domicile, ausujet des normes de qualité et de sécurité des services, des conditions de préservationet de promotion d’une autonomie maximale non seulement pour les personnes prisesen charge, mais pour celles qui les aident directement, en particulier les conjointsou les membres familiaux touchés de plus près.

La rareté des ressources (qui n’est nullement un problème nouveau, mais bienplutôt un problème dont on a objectivé la réalité constante pour mieux l’affronter)exige l’énonciation de critères de priorité (en fonction, par exemple, du degré dedépendance, de la force et de la capacité de mobilisation du réseau familial ou devoisinage, des ressources financières disponibles) et de mécanismes d’arbitrage recon-nus et acceptés pour octroyer les ressources de manière pragmatique, équitable, etdonc reconnue comme légitime. La réflexion éthique permet de pondérer les objectifsd’un accès équitable aux ressources, ou encore l’équité des conditions d’un soutienà domicile, en fonction d’une situation physique ou psychologique, sociale et écono-mique. Mais, pour que ces objectifs d’équité soient atteints, il est indispensable quel’État se préoccupe de les porter dans l’espace public de délibération qu’il a laresponsabilité de créer et d’empêcher ainsi qu’ils soient maintenus dans l’espace privédu domicile et de la délibération limitée aux proches. L’enjeu est en effet public etpolitique, même s’il est vécu comme individuel (ou familial) et donc privé.

Le problème de l’équité est un problème d’équilibre entre « ce que chacun est endroit d’attendre et ce qu’on est en droit d’attendre de chacun» (Van Parijs, 1991, citépar Forest, 1999, p. 40). « Dans cette optique, sont équitables toutes les politiquesqui donnent accès à des services ou à des avantages en échange d’une “contribution”socialement acceptable » (

ibid.

). C’est la question et l’enjeu de la « responsabilité »(Charbonneau et Estèbe, 2001). Cela dit, il faut immédiatement et fermementétablir qu’on est généralement en présence, dans le cas des populations concernéespar le « virage ambulatoire », de personnes qui vivent en situation de fortes inégalités,ne serait-ce que par le préjudice que leur cause leur situation de perte d’autonomieou de service requis pour soutenir une personne invalide. Il appartient donc évidem-ment aux politiques de pondérer ces inégalités flagrantes en tentant de trouver desmesures (au double sens du terme : des actions et des quantités) compensatoireséquitables. On est donc aux antipodes d’un abandon de la prise en charge aux mainsde familles laissées à elles-mêmes, sans ressources ou presque ; on est au contraire

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PRÉFACE

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dans un processus, dont les normes sont fondées sur la délibération publique, deredéfinition des actions publiques, d’ouverture à une diversification des modèles deprotection sociale, pour en accroître l’efficacité, dans un contexte institutionnelen profonde transformation.

C’est, me semble-t-il, à de telles conditions que le « virage ambulatoire» pourradevenir à terme « équitable » pour ceux et celles qui le vivent comme premiers concer-nés et que, pour la société, il pourra être considéré comme une initiative positive dedésinstitutionnalisation, d’émergence d’une société civile forte, délibérative et solidaire.

Cet ouvrage témoigne avant tout de la difficulté, voire de la dureté du « virageambulatoire » et de ses conséquences pour les patients de même que pour ceux et cellesqui les soutiennent, qu’ils soient des membres familiaux ou des professionnels desservices. Est-il utopique d’imaginer que les lecteurs et les lectrices qui vont en entre-prendre la lecture puissent envisager qu’il pourrait en être autrement, que le« virage » pourrait être une source d’innovation, de découverte d’autres liens sociaux,d’autres formes de solidarités ? La condition serait qu’une vraie délibération éthiquepublique s’instaure à propos des processus et des critères d’allocation des ressourcesdans une société où, bonne nouvelle, l’État ne peut plus être et n’est déjà plus leprincipal définisseur des besoins et pourvoyeur des solutions (s’il l’a jamais été !),mais où il doit rendre possible l’arbitrage de la répartition des ressources et garantirla protection des plus vulnérables.

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

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TAB

LE D

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ATI

ÈRES

PRÉFACE

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII

INTRODUCTIONLE VIRAGE AMBULATOIRE : DÉFIS ET ENJEUX

. . . . . . . . . . . . . 1

Guilhème Pérodeau et Denyse Côté

P

ARTIE

1

LA PROBLÉMATIQUE DU VIRAGE AMBULATOIRE

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

C

HAPITRE

1

LE VIRAGE AMBULATOIRE : VERS L’HUMANISATION DES SOINS ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Denyse Côté

1. Le virage ambulatoire : expression polysémique, transformation majeure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

2. La réduction des séjours hospitaliers et les soins ambulatoires :une mise à profit du travail gratuit des soignantes . . . . . . . . . . . 17

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XVI

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3. Restructuration du réseau et mise en place de services ambulatoires : des changements sur lesquels les travailleuses ont peu d’emprise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

4. Le virage ambulatoire et l’humanisation des soins . . . . . . . . . . . 28

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

C

HAPITRE

2

LA VIABILITÉ DE LA DÉSINSTITUTIONNALISATION FACE AUX CHANGEMENTS SOCIODÉMOGRAPHIQUES

. . . . . 33

Yves Carrière, Janice Keefe et Georgia Livadiotakis

1. Le maintien à domicile : une clientèle de plus en plus nombreuse et de plus en plus lourde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

2. Les changements dans la structure familiale . . . . . . . . . . . . . . . . 39

3. La participation des femmes au marché du travail . . . . . . . . . . . 47

4. Les défis politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

C

HAPITRE

3

LE VIRAGE AMBULATOIRE ET LA CONCILIATION TRAVAIL-FAMILLE

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

Lise Lachance, Nathalie Brassard et Louis Richer

1. Les types de relations entre le travail et la vie familiale . . . . . . . 61

2. Les impacts du virage ambulatoire sur les travailleuses . . . . . . . 63

3. Les impacts du virage ambulatoire sur les aidantes naturelles . . . 65

4. Les impacts du virage ambulatoire sur les usagères . . . . . . . . . . 69

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

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Page 16: Le virage ambulatoire : Defis et enjeux

TABLE DES MATIÈRES

XVII

© 2002 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

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ARTIE

2

LES ENJEUX SUR LE TERRAIN

. . . . . . . . . . . . . . . . . 81

C

HAPITRE

4

L’IMPACT DU VIRAGE AMBULATOIRESUR LES PROFESSIONNELLES DE LA SANTÉ EN PRÉCARITÉ D’EMPLOI

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Guilhème Pérodeau, Sylvie Paquette, Lorraine Brissette,Chantal Saint-Pierre, Diane Bernier et André Duquette

1. État de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

2. Le virage ambulatoire et ses conséquences . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

3. Recommandations pour atténuer les effets du virage ambulatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

4. Enjeux et défis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

C

HAPITRE

5

FEMMES ET SOINS : L’EXPÉRIENCE DU VIRAGE AMBULATOIRE À LA VIEILLESSE

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Francine Ducharme, Guilhème Pérodeau et Denise Trudeau

1. La problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

2. Les considérations théoriques ayant guidé l’exploration de l’expérience des femmes âgées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

3. Comment a été évaluée l’expérience des femmes âgées face au virage ambulatoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

4. Les résultats : ce que perçoivent les femmes âgées… . . . . . . . . . 112

5. Femmes, soins et vieillesse : que retenir de l’expérience partagée ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

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XVIII

LE VIRAGE AMBULATOIRE

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

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HAPITRE

6

LES FAMILLES ET LE SOUTIEN AUX PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

Mario Paquet, André Guillemette et Caroline Richard

1. Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

2. Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

P

ARTIE

3

CE QUE PENSENT LES PRATICIENS

. . . . . . . . . 151

C

HAPITRE

7

LES RÉSEAUX FORMEL ET INFORMEL EN ACTION

. . . . . . . . . 153

Chantal Saint-Pierre

1. La perspective anthropologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

2. La perspective politico-administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

3. La perspective économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

4. La perspective féministe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158

5. La perspective légale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158

6. La perspective sociologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

7. La perspective sanitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160

C

HAPITRE

8

LA RÉFORME DU SYSTÈME DE SANTÉ ET LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163

Martin Bédard

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TABLE DES MATIÈRES

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LES BESOINS DES AIDANTES NATURELLES ET LES SOLUTIONS POUR UN MEILLEUR ÉQUILIBRE ENTRE LES RESSOURCES PROFESSIONNELLES ET INFORMELLES

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

Nicole L’Heureux

1. Les besoins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 000

2. Les améliorations réclamées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

C

HAPITRE

10

VIRAGE AMBULATOIRE ET DÉSINSTITUTIONNALISATION :EXPLOITATION DU TRAVAIL FÉMININ

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

Sylvie Boulanger

1. Des objectifs louables, mais… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

2. D’abord des coupures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180

3. Des effets sur l’entourage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

4. Les femmes : de plus en plus sollicitées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

5. Vers une déresponsabilisation… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

CONCLUSION QUE PEUT-ON CONCLURE ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

Denyse Côté et Guilhème Pérodeau

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

INT

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DU

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

Défis et enjeux

G

UILHÈME

P

ÉRODEAU

Département de psychoéducation et de psychologieUniversité du Québec en Outaouais

D

ENYSE

C

ÔTÉ

Département de travail social et des sciences socialesUniversité du Québec en Outaouais

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INTRODUCTION

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© 2002 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

Ce livre est un recueil d’articles de chercheurs appartenant à divers uni-vers disciplinaires, accompagné de réflexions et de recommandations dequelques praticiens intervenant à différents niveaux stratégiques de lachaîne de soins. L’objectif est de faire l’analyse critique des effets du virageambulatoire et de ses impacts sur la pratique professionnelle ainsi que surla population en général.

Les questions auxquelles ont réfléchi ces chercheurs et praticienssont centrales à la compréhension des ondes de choc qui ont frappé lesystème sociosanitaire québécois : que doit-on retenir de ces réaménage-ments structuraux et de l’implantation d’une nouvelle philosophie desoins ? Quels en sont les effets sur les personnes qui requièrent des soins ?Quels en sont les effets sur la population québécoise en général et surcertains groupes en particulier : les professionnelles en milieu hospitalier,les employées à statut précaire, les femmes… ? Le transfert de soins àdomicile est-il souhaitable et, si oui, dans quelles conditions ?

Il faut comprendre ici que ces réaménagements structuraux ont étéopérés dans le cadre de l’objectif gouvernemental du « déficit zéro » et dansun temps très limité. Les nouveaux fonds fédéraux transférés aux provincesont été amputés de sept millions de dollars entre 1996 et 1999.

Ce qu’on a appelé au Québec « virage ambulatoire » s’est caractérisépar la réduction systématique de la durée du séjour hospitalier et la géné-ralisation des services ambulatoires, la réduction du personnel et du nombrede lits dans les hôpitaux, l’alourdissement de l’ensemble de la tâche dupersonnel des hôpitaux et des CLSC. Tout comme le virage ambulatoire(ou phénomène de la désinstitutionnalisation) vécu dans le milieu psy-chiatrique depuis plusieurs décennies, ces revirements dans le domainede la santé requièrent des ajustements à tous les paliers de soins. Cettenouvelle philosophie allait donc bouleverser les pratiques en milieu hos-pitalier ainsi que les mandats des CLSC. Le virage ambulatoire a aussiprovoqué une réflexion sur la qualité des soins de santé, de même qu’undébat public sur l’avenir du système sociosanitaire : à tel point qu’il estdevenu un thème central de l’élection provinciale de 1999. Le virageambulatoire a aussi eu des effets profonds sur la structure des famillesmaintenant responsables des soins des personnes déshospitalisées plusrapidement, la surveillance médicale étant souvent effectuée à domicilepar les malades et par leurs proches. Cette situation soulève quelquesquestions, notamment sur l’équité entre les genres, les procès et les con-ditions de travail en matière de soins à la personne et de soins de santé.

Notre livre présente les concepts et mécanismes sous-jacents auvirage ambulatoire, tant sur le plan théorique que pratique. Dans la pré-face, Frédéric Lesemann

(Virage ambulatoire : virage paradigmatique, virage

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4

LE VIRAGE AMBULATOIRE

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

éthique)

évoque les potentialités du virage. Il signale en particulier la misede côté du carcan institutionnel pour aller vers des solutions faisant appelà la liberté individuelle et à la réinsertion sociale, plus en lien avec lesvaleurs et les attentes des usagers dans une société postmoderne. Sonappel vibrant vers un virage libérateur et créateur d’alternatives auxanciens modèles est modulé par son constat des difficultés de parcours. Ilnous exhorte néanmoins à maintenir le cap en considérant les avantagesdu virage à long terme. Nous le faisons tout en pensant qu’il est importantd’en souligner les obstacles et déraillements possibles.

Chaque article décrit les recherches effectuées par des spécialistes dudomaine de la santé pour mettre en perspective les effets du virage ambu-latoire sur les populations décrites de manière à susciter la réflexion. À ceteffet, nous avons divisé le livre en trois parties. Dans la première partie sur

la problématique du virage ambulatoire

, Denyse Côté (

Le virage ambulatoire : versune humanisation des soins ?)

s’interroge sur la manière dont le virage a étéimplanté et sur ses conséquences, en particulier sur deux groupes defemmes : les professionnelles de la santé et les aidantes dites naturelles.Elle appuie sa présentation sur deux recherches menées auprès de cesdeux groupes. Le constat est sévère : faute des ressources adéquates quiauraient dû l’accompagner, le virage ambulatoire, loin d’humaniser lessoins, impose de nouvelles contraintes et difficultés aux personnes (enmajorité des femmes) assurant les soins quotidiens d’une personne maladeou en perte d’autonomie. Par la suite, Yves Carrière et ses collaborateurs(

La viabilité de la désinstitutionnalisation face aux changements sociodémographiques

)attaquent le problème sous l’angle démographique. La génération vieillis-sante des baby-boomers, sans un transfert de ressources financières et orga-nisationnelles suffisant, et avec la désinstitutionnalisation des services dontfait partie le virage ambulatoire, risque de se heurter à des obstacles detaille engendrés par des changements dans la structure familiale, dans lesmodes de vie et surtout par l’entrée massive des femmes sur le marché dutravail. Le passage de l’institution vers le milieu naturel signifie que c’estsouvent la conjointe, la fille ou la belle-fille qui prend le relais. L’égalitédes sexes est loin d’être atteinte en ce qui concerne le soin aux parentsvieillissants. Comment vont réagir les nouvelles générations de femmes (etd’hommes) devant cette problématique ? L’État se doit de jouer son rôles’il veut que ses politiques s’harmonisent avec cette réalité de plus en plusprésente et pressante. Dans le chapitre suivant, Lise Lachance et sonéquipe

(Le virage ambulatoire et la conciliation travail-famille

) explorent plusavant l’un des effets du virage ambulatoire en fonction de la difficultéaccrue de concilier les sphères professionnelle et familiale. Tout en gardantle virage ambulatoire comme toile de fond, les auteurs font une analyseapprofondie des diverses perspectives théoriques sur l’interface entre le

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INTRODUCTION

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travail et la famille. L’impact du virage ambulatoire sur la travailleuse,l’aidante et l’usagère est présenté tour à tour. L’accent est mis sur l’impor-tance de bien saisir les mécanismes qui sous-tendent l’interaction entre lesrôles professionnels et familiaux afin d’être à même de mettre sur pieddes dispositifs visant à minimiser l’impact des uns sur les autres dans uncontexte de ressources rarissimes tant du côté formel qu’informel.

La deuxième partie,

Les enjeux sur le terrain

, pose des constats précisà la suite d’études menées auprès de divers groupes, principalement com-posés de femmes. Ces dernières ont subi, de diverses manières, les effetsdélétères du virage ambulatoire. Dans une recherche sur les infirmièresmenée à l’échelle québécoise, Guilhème Pérodeau et ses collaborateurs(

L’impact du virage ambulatoire sur les professionnelles de la santé en précaritéd’emploi

) présentent la teneur de groupes de discussion (

focus groups

) tenusà travers le Québec et formés d’infirmières inscrites sur des listes de rap-pel. Ce groupe très vulnérable, dont le nombre va en s’accroissant au fildes ans, a fortement ressenti le contrecoup du virage : des conditions detravail plus difficiles et un statut d’emploi d’autant plus précaire en ontrésulté, tant et si bien que toute chance de stabilisation a été tuée dansl’œuf par le redéploiement d’une main-d’œuvre à statut permanent placéed’office dans les postes convoités de longue date. Le climat de travailpénible et le manque de reconnaissance de la tâche accomplie font ensorte que le niveau de détresse psychologique est élevé. Dans leur étudesur l’effet du retour précoce à la maison après une hospitalisation, FrancineDucharme et son équipe (

Femmes et soins : l’expérience du virage ambulatoireà la vieillesse)

en viennent à des conclusions similaires sur la santé desconjointes qui se trouvent seules à prodiguer des soins quasi médicaux àleur conjoint malade. Sans encadrement ou soutien adéquat, ces femmesapportent des soins qui étaient assurés par des professionnelles dans lepassé. Tout en étant dévouées à leur conjoint, ces aidantes expriment leurfatigue, leur stress et leur désarroi face à une tâche qui les dépasse et quele virage les a soudain contraintes d’accomplir. De façon plus large, MarioPaquet (

Les familles et le soutien aux personnes âgées dépendantes : une étudeexploratoire sur le recours aux services

) s’intéresse à la réticence des aidantesà utiliser les services formels. Selon la philosophie du virage ambulatoire,la personne, de même que son entourage, devrait avoir accès à un panierde services visant à la maintenir dans la communauté. Or, non seulementces services sont souvent peu connus, mais les familles semblent, pourtoutes sortes de raisons, réticentes à les utiliser. La peur de l’inconnu, unepudeur à faire appel à des « étrangers » sont autant d’obstacles à lademande d’aide. L’aidante se replie donc souvent sur elle-même et assumela majorité de la tâche au détriment de sa santé.

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

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Dans la troisième et dernière partie du livre,

Ce qu’en pensent les prati-ciens

…, trois gestionnaires représentants de groupes communautaires oude syndicats prennent la parole pour faire les constats qui s’imposent etproposer des solutions, autant pour les professionnels que pour les aidantsnaturels. Ces derniers textes sont le fait d’acteurs au cœur de l’action, etils apportent ainsi une perspective d’ensemble de la politique. ChantalSaint-Pierre, professeure en sciences infirmières (

Les réseaux formel et informelen action

), introduit ces trois textes et les commente à travers une lentilletour à tour anthropologique, politico-administrative, économique, fémi-niste, légale, sociologique et sanitaire. De façon éclairante, elle émaille sondiscours théorique de diverses citations de praticiens sur le terrain. En tantque gestionnaire, Martin Bédard, conseiller en gestion des ressourceshumaines dans un grand hôpital psychiatrique à Québec, observe dans sonchapitre (

La réforme du système de la santé et la gestion des ressources humaines

)l’ampleur des bouleversements organisationnels auxquels les travailleursde la santé (en particulier ceux œuvrant dans le monde psychiatrique) ontdû faire face ainsi que le sentiment d’impuissance qui en a résulté. Il sou-ligne la nécessité de redonner un sentiment de contrôle aux travailleurs,grâce à un style de gestion dans lequel ils seraient parties prenantes et à lamise sur pied de processus visant à améliorer les conditions de vie dans letravail et à la maison. Sa réflexion nous fait réaliser que le virage ambula-toire a eu lieu encore plus tôt dans le monde de la psychiatrie et qu’il sepoursuit encore. Comme pour la problématique qui nous intéresse, le sous-financement et le manque de vision à long terme ont fait que la désinsti-tutionnalisation psychiatrique s’est heurtée à de multiples obstacles et aoccasionné des stress tant dans le réseau formel que dans le réseau infor-mel. Ainsi, les bénéficiaires se sont retrouvés sans les services appropriés,et cela, dans un système alternatif inadéquat. Dans le chapitre suivant (

Lesbesoins des aidantes naturelles et les solutions pour un meilleur équilibre entre lesressources professionnelles et informelles

), Nicole L’Heureux met l’accent sur lebesoin qu’a l’aidante naturelle de recevoir des services directs et surtoutd’être respectée en tant que personne. Elle souligne ainsi qu’une aidanten’est pas une soignante professionnelle et que la prise en charge ne devraitpas être imposée par un système déficient. Enfin, Sylvie Boulanger, pre-mière vice-présidente de la Fédération des infirmières et infirmiers duQuébec (FIIQ)

(Virage ambulatoire et désinstitutionnalisation : exploitation du tra-vail féminin

),

appelle à la vigilance des professionnelles de la santé et desaidantes devant la déresponsabilisation du réseau qui, par ricochet, alourditle fardeau des soignantes professionnelles et naturelles.

Le virage ambulatoire est un phénomène relativement récent quireflète les changements politiques d’une société en évolution constante. Levieillissement de la population, l’entrée massive et le maintien de la main-d’œuvre féminine sur le marché du travail, des services formels surtaxés

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INTRODUCTION

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sont autant de facteurs dans l’équation qui font que le pari du virage ambu-latoire est loin d’être gagné. Il est donc important de s’y attarder, nonseulement pour en jauger les forces et les faiblesses, mais également pourapporter des solutions constructives à un projet dont la philosophie de basepourrait conduire au bien-être des personnes en perte d’autonomie ou quiont besoin de soins. Cela ne doit toutefois pas se faire au détriment decelles qui les soutiennent dans un contexte professionnel ou familial.

Ce livre est un ouvrage de référence destiné aux étudiants, cliniciens,gestionnaires et intervenants communautaires. Notre souhait est que leslecteurs y trouvent non seulement des sujets de réflexion, mais égalementdes pistes de solution.

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LA PROBLÉMATIQUE DU VIRAGE AMBULATOIRE

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

Vers l’humanisation des soins ?

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ENYSE

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ÔTÉ

Université du Québec en Outaouais

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LE VIRAGE AMBULATOIRE : VERS L’HUMANISATION DES SOINS ?

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Les nouveaux rapports entre l’État et la société civile se caractérisent,depuis plus d’une décennie déjà, par un désinvestissement du premier rela-tivement à la seconde, par un désinvestissement de l’État dans le social.Plusieurs stratégies ont été mises en œuvre à cet effet et le

virage ambulatoire

fait partie au Québec de cette série de mesures qui mettent en scène l’Étatdans son nouveau rôle d’

accompagnateur

(Bégin

et al

., 1999). Les effets deces transformations sur la société québécoise sont substantiels ; celles-ci ontdonc fait beaucoup parler d’elles dans les médias et ont même constituéun enjeu majeur d’élections législatives. Cependant, peu d’analyses en pro-fondeur ont été menées sur la dimension sociale. On commence en effetà peine à documenter les incidences de ce phénomène complexe, dont lanature et la portée varient selon les institutions et les acteurs : médecins,personnel médical, malades ou aidantes « naturelles ».

Ce texte a pour objectif de remettre en contexte le virage ambula-toire comme phénomène de société. Nous nous appuyons à cet effet surquelques résultats d’une recherche menée six mois après l’implantationdu virage ambulatoire

1

. Cette recherche constitue en fait une chroniquedes transformations dans le domaine de la santé et des services sociauxau Québec relativement à la responsabilité qu’assument les femmes,

soi-gnantes

2

et employées des services de santé, pour les soins des personnesmalades et dépendantes. Cette recherche exploratoire a été menée danscinq régions du Québec dans le cadre d’entrevues individuelles semi-structurées avec des travailleuses du réseau de la santé et d’entrevues degroupe réunissant des soignantes de malades ayant besoin de soins à domi-cile et déshospitalisés dans le cadre du virage ambulatoire. Les donnéesprésentées ici ont été recueillies en Outaouais.

Le virage ambulatoire propose une transformation radicale du modede fonctionnement, des habitudes et des conceptions entourant la prise encharge des personnes malades. Il institue un retour plus rapide des maladeshospitalisés à leur communauté, à leur famille (CSF, 1999). Les résultats decette recherche exploratoire mettent en lumière les effets du virage ambu-latoire

sur certaines catégories d’acteurs, ceux-là mêmes qui ont été appelés

1. Cette recherche a été effectuée en partenariat avec l’Association féminine d’éducationet d’action sociales (AFÉAS) et financée par Condition féminine Canada. Voir DenyseCôté, Éric Gagnon, Claude Gilbert, Nancy Guberman, Francine Saillant, NicoleThivierge et Marielle Tremblay,

Qui donnera les soins ? Les incidences du virage ambulatoireet des mesures d’économie sociale sur les femmes du Québec

, Ottawa, Condition féminineCanada, 1998.

2. Nous utiliserons dans ce texte le terme

soignante

pour désigner les personnes quiprennent en charge un proche malade ou en perte d’autonomie. Nous croyons en effetque l’expression plus courante d’

aidante naturelle

occulte le caractère social et bénévolede ce travail de prise en charge.

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

© 2002 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

à mettre en place le virage, les travailleuses des établissements de santé, etles personnes qui ont été appelées à prendre en charge à domicile les soinsrequis par leurs proches, les soignantes. Le virage ambulatoire a-t-il étéperçu par ces acteurs comme une forme d’humanisation des soins ?

Il faut d’entrée de jeu rappeler que la collecte des données s’est effec-tuée peu après la mise en œuvre du virage ambulatoire et que les personnesque nous avons interviewées n’avaient pas encore pu réellement intégrerces changements ; elle s’est faite avant que des solutions soient apportéesaux problèmes les plus criants et pendant que des réformes structurellesavaient encore cours. Ce contexte colore donc les propos des personnesinterrogées et devra être pris en compte par le lecteur. Cela dit, ces donnéesnous permettent de mieux saisir une dimension du phénomène tropsouvent laissée dans l’ombre.

1. LE VIRAGE AMBULATOIRE : EXPRESSION POLYSÉMIQUE, TRANSFORMATION MAJEURE

Mais qu’est-ce que le virage ambulatoire

?

Les remous et les nombreusesréactions causées par sa mise en place en 1996 ont tendance à nous faireoublier la nature ambiguë et polysémique de cette expression. Car si elles’est retrouvée rapidement sur toutes les lèvres, ses origines restent mys-térieuses. Une recherche dans les journaux, les textes officiels ainsi quedans certains textes liés au domaine médical ne nous a pas permis deretracer quelque racine technique, médicale ou officielle à l’expressionvirage ambulatoire

.

Les textes gouvernementaux préparatoires à cetteréforme n’y font même pas allusion, mais on la voit apparaître dans lesmédias vers 1996. Force nous est de conclure qu’il s’agit là d’une expres-sion créée de toutes pièces par ceux-ci et dont la portée symbolique masquela multiplicité de sens qu’elle recèle.

Car le virage ambulatoire renvoie à plusieurs éléments qui sontd’ailleurs indissociables. Il représente une réorganisation en profondeurdu système sociosanitaire du point de vue de sa gestion. Il comporte ainsien premier lieu un changement dans la philosophie de prestation dessoins par le système public de santé. Ce changement de philosophie setraduit entre autres par la réduction systématique de la durée du séjourhospitalier, l’augmentation des chirurgies d’un jour et la généralisationdes services ambulatoires rendue possible par les progrès de la technologiemédicale : l’antibiothérapie peut maintenant s’administrer à domicile, cer-taines chirurgies sont maintenant beaucoup plus légères, etc. (Côté

et al

.,1998 ; Conseil du statut de la femme, 1999).

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Cette nouvelle philosophie des soins répond par la même occasionà certains besoins administratifs. Le virage ambulatoire vise donc, endeuxième lieu, à effectuer une série de compressions budgétaires renduesnécessaires, notamment, par la diminution des paiements de transfert dugouvernement fédéral aux provinces en matière de santé et par la réduc-tion du budget québécois alloué à la santé et aux services sociaux qui enrésulte (Bégin

et al

., 1999).

Dans cette foulée, le virage ambulatoire

correspond également auxfusions d’établissements réalisées à la même époque afin selon les autoritésgouvernementales, d’être plus efficace sur le plan administratif et d’atteindreles objectifs de compressions budgétaires : déplacement de personnel desétablissements hospitaliers vers les CLSC, conversion d’hôpitaux générauxen établissements de soins de longue durée ou de courte durée, fusiond’établissements (hôpitaux, CLSC et centres d’accueil), réduction du per-sonnel et du nombre de lits dans les hôpitaux. Dans cette optique, le viragepropose une transformation ou un resserrement des missions de plusieursétablissements du réseau de la santé et des services sociaux.

Le virage ambulatoire favorise par la même occasion l’apparitiond’une tendance à la privatisation de certains services, à une forme de sous-traitance vers le secteur privé (CSF, 1996, 1999). En diminuant les soinspris en charge en milieu hospitalier, il crée en effet une série de besoinsque ne pourront plus combler les services publics de soins à domicile etque le secteur communautaire ne pourra ou ne voudra pas combler nonplus. Bref, le virage ambulatoire prend appui sur la prise en charge despersonnes malades par la « communauté », voire par leurs familles, touten diminuant les budgets consacrés à la santé. Il s’agit d’une transforma-tion majeure dans la structuration des soins que l’on observe partout auCanada, en Amérique du Nord et dans la Communauté européenne(Armstrong et Armstrong, 1996).

Mis en place à partir de 1996, le virage ambulatoire constitue, certes,un changement radical du système sociosanitaire et il correspond en cesens à la volonté exprimée par le gouvernement du Québec de donnerun sérieux coup de barre. Mais il ne s’agit pas là de la première réformedu système sociosanitaire, loin de là. Parmi les nombreuses vagues decompressions budgétaires du réseau de la santé et des services sociaux,celle-ci n’est pas le résultat du hasard ou d’une génération spontanée : elleest le fruit d’une longue maturation ponctuée d’un ensemble de réformeslégislatives, politiques et financières. Les motivations administratives duvirage ambulatoire ont vu le jour bien avant celui-ci, et plusieurs vagues

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de restrictions budgétaires l’ont précédé et l’ont suivi. Enfin, ce virage aété reçu par la population québécoise comme un changement imposé : ledébat de société n’a pas précédé son implantation, mais l’a plutôt suivi.

Il serait nécessaire de rappeler ici quelques éléments d’histoire. Lesystème public de santé et des services sociaux québécois s’est édifié aumoment de la Révolution tranquille. Dans les années 1960, le gouverne-ment du Québec a pris en charge le système de santé et a investi largementdans les ressources humaines et institutionnelles. Le système de santé apar la suite évolué graduellement vers l’instauration d’un réseau préconi-sée par la commission Castonguay-Nepveu : l’accessibilité universelle etgratuite des services a alors été mise en place. Mais déjà, dans les années1970, la désinstitutionnalisation des services de santé et des servicessociaux s’est amorcée et elle a réduit l’offre de services publics disponiblespour les personnes aux prises avec des problèmes chroniques de santémentale ou souffrant de handicaps physiques. Dans les années 1980, lesystème sociosanitaire québécois s’est réorienté : l’accent s’est déplacé versles problèmes de santé et les problèmes sociaux au lieu d’être mis sur laprésence de services et sur leur accessibilité. Les services ont été à partirde ce moment envisagés en fonction de leur finalité : l’efficience et l’effi-cacité du système sociosanitaire étaient alors à l’ordre du jour, et ce, enmatière de ressources et de recherche de solutions. Depuis la fin desannées 1980, on fournit de moins en moins de services : les urgences sontbondées et doivent parfois fermer et, malgré l’augmentation des ressourcesconsacrées au maintien à domicile, il se révèle difficile d’offrir autant deservices qu’auparavant à chaque personne malade.

C’est l’abrogation en 1996 du Régime d’assistance publique duCanada (RAPC) et du Financement des programmes établis (FPE) par legouvernement fédéral et leur remplacement par le Transfert canadien enmatière de santé et de programmes sociaux (TCSPS)

qui ont servi derampe de lancement du virage ambulatoire au Québec

.

En 1996, le gou-vernement fédéral réorganisait les transferts fédéraux destinés aux servicesde santé, à l’éducation postsecondaire et aux services sociaux. Le nouveaufonds unique serait aussi amputé de sept millions de dollars en trois ans.En contrepartie, les provinces joueraient un rôle accru dans la déter-mination des façons dont l’argent pourrait être dépensé et quant auxstratégies de compensation du manque à gagner. Pour le Québec, cetteannonce signifiait aussi un réajustement des sommes reçues en fonctionde la baisse de son importance démographique au sein du Canada : sapart des transferts, qui représentait 27,3 % de l’ensemble des transferts en1996-1997, baisserait à 25,2 % en 2002-2003 (Côté

et al.,

1998).

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Les transformations récentes du système de santé québécois ont per-mis au gouvernement de réagir à la diminution des paiements de transfertdu fédéral, tout en introduisant une nouvelle façon de donner les soinsmédicaux. Le principe organisateur du virage ambulatoire était en effetd’offrir des soins de santé en maintenant la personne dans sa commu-nauté, la communauté étant entendue ici comme le milieu familial d’ori-gine des personnes en opposition au milieu hospitalier. En fait,l’expression

communauté

semble renvoyer à toute institution ou à toutservice existant en aval du centre hospitalier et pouvant ou devant prendreen charge les soins de la personne malade.

Le virage ambulatoire vise ainsi à réduire la durée des séjours hospi-taliers, à augmenter les chirurgies d’un jour et à accroître par conséquentle volume des soins et des services médicaux donnés à l’extérieur du milieuhospitalier. L’hôpital ne sera plus dorénavant le seul lieu associé à la gué-rison des personnes ; il deviendra un lieu de séjour de courte durée pourla prestation de services et de soins spécialisés. Certains traitements autre-fois reçus à l’hôpital (dialyse, hémodialyse, antibiothérapie, chimiothéra-pie par exemple) seront maintenant obtenus en clinique externe et nenécessiteront plus d’admission à l’hôpital (Conseil du statut de la femme,1999). Ces soins pourront être donnés par la personne malade elle-même,par un proche qui l’accompagne ou par un service de maintien à domicile.Les services préopératoires et postopératoires seront aussi ambulatoires :le départ des personnes malades après le passage à la salle de réveil et àla salle d’observation sera accéléré, l’admission se fera au service externeet les préparatifs (lavement, rasage, par exemple) seront aux frais de lapersonne opérée. Le suivi postopératoire sera fait par la personne maladeou par un de ses proches : on remettra à cet effet des directives pour lesuivi postopératoire (complications possibles et actions à entreprendre) etle CLSC effectuera un suivi téléphonique au besoin. Les services ambula-toires fournis par les centres hospitaliers et par les CLSC viendront ainsicompléter ceux que pourront donner ou obtenir les proches de la per-sonne malade. Les services hospitaliers de type ambulatoire concernerontprincipalement l’admission de la personne malade à l’hôpital, puis le trans-fert de celle-ci vers les CLSC pour la poursuite du traitement.

2. LA RÉDUCTION DES SÉJOURS HOSPITALIERS ET LES SOINS AMBULATOIRES : UNE MISE À PROFIT DU TRAVAIL GRATUIT DES SOIGNANTES

Les personnes soignantes que nous avons interrogées ne situaient pasclairement le moment de la mise en place du virage ambulatoire. Ellesnous ont plutôt relaté l’histoire de la prise en charge de leur parent

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déshospitalisé, nous confiant leur expérience, en particulier en ce qui atrait à la nature des soins, à leur capacité à les assumer et au soutienprofessionnel qu’elles ont pu recevoir à domicile et en clinique ambula-toire. Les entrevues dont nous présentons l’analyse dans cette sectionillustrent le point de vue des soignantes que nous avons interviewées dansle cadre de cette recherche exploratoire. En aucun cas, on ne doit associerce matériel à une quelconque évaluation de services ou à un point de vueclinique sur les soins. Ces données qualitatives recueillies en groupes dediscussion ont été codifiées et analysées de façon à faire émerger lesthèmes communs que nous présentons ici (Bardin, 1977) ; les citationsprésentées servent à illustrer ces thèmes.

La maladie d’un proche signifie pour les soignantes

une perte decontrôle sur leur vie quotidienne. L’hospitalisation bouleverse la famille,qui devient en quelque sorte dépendante de l’évolution de la maladie etdes soins que requiert le malade : les visites à l’hôpital défont les routinesquotidiennes, on doit s’absenter du travail, négliger d’autres obligationspour se trouver le plus souvent possible au chevet de la personne malade.Lorsque arrive le congé de l’hôpital, on pourrait croire que s’ensuit unereprise de contrôle sur leur vie, car malade et soignante ne sont plussoumis aux contraintes institutionnelles du milieu hospitalier. Or, ce nesemble pas être le cas. Si les malades désirent souvent retrouver leurdomicile, les soignantes voient et vivent au contraire le retour tout autre-ment, puisqu’elles devront prendre en charge le malade à domicile. Lecongé semble plutôt être vécu par celles-ci comme une perte de contrôle.

En effet, si le malade récupère normalement, il semble maintenantdevoir quitter l’hôpital après un laps de temps très court : la durée prévuepour les chirurgies d’un jour est claire, mais, dans le cas de séjours hospi-taliers d’une autre nature, la durée réelle est souvent plus courte que celleconvenue au départ avec le médecin. Cela signifie que la famille n’aurapas le temps voulu pour se préparer au retour du malade à la maison. Lesproches qui visitent le malade ne s’attendent souvent pas à un retour aussirapide, étant donné l’état de santé du malade encore hospitalisé. Etlorsqu’il s’agit de décider de la sortie, l’évaluation de la condition physiquedu malade est, au dire des soignantes interrogées, minimale et approxima-tive. Selon ces soignantes, l’évaluation semble parfois se limiter à la capa-cité du patient de se lever et de marcher, et cela – dans certains cas –malgré des étourdissements et un état de faiblesse générale.

Y a été malade trois fois dans la même journée, y a vomi du sang, en plusil urinait, pis dans son cathéter, sa sonde-là, y avait du sang. Pis lui yvoulait qu’on retourne à la maison avec.

(Soignante)

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Les proches et le malade sont souvent loin de se douter que le congédoit se donner alors que l’état de santé du malade leur semble encore bienprécaire. Certains autres aspects techniques, comme le retrait du soluté,l’état général du patient, peuvent aussi tenir lieu de critères de congé. Lanécessité de libérer des lits pour accueillir de nouveaux malades sembleaussi intervenir dans la décision de donner congé à un patient : les soignantesou les malades qui ont subi une pression pour que le congé soit donnérapidement disent s’être souvent fait servir cet argument. Les besoins del’institution hospitalière semblent primer ici sur les besoins des familles,lesquelles devront pourtant assurer les soins à domicile après le congé.

C’est quoi qui a été évalué pour décider qu’elle allait sortir, qu’ellepouvait sortir ce samedi-là, par exemple ?

Qu’on avait besoin de son lit.

[…]

Ç’a été l’explication qu’on a donné àquelqu’un de la famille qui est allé ; on a besoin de son lit, y faut qu’asorte

. (Soignant)

Retournées plus rapidement à domicile, à peine remises de leur opé-ration, de leur maladie ou de leur accouchement, les personnes soignéessont extrêmement dépendantes. Elles auront besoin d’aide pour tous leursgestes et toutes les tâches quotidiennes, pour s’autoadministrer les soins.La présence à leur domicile de personnes pouvant les assister est doncessentielle dans leur vie quotidienne, pour leur guérison et pour leur capa-cité à conserver une emprise sur leur situation. Ainsi, une vérification dansle milieu familial afin de s’assurer de la présence de soignantes potentiellesà la maison devrait se faire avant que le congé de l’hôpital ne soit donné :la famille pourrait ainsi se préparer à l’arrivée du malade et le maladeserait assuré d’une prise en charge à domicile. Or, il semble que ces véri-fications ne sont pas courantes et qu’elles sont très certainement insuffisantes :nos répondants soulignent que souvent seul l’état physique de la personnea été considéré. À l’hôpital, avant de donner le congé, on s’informe peude la situation qui attend le malade à la maison. Parfois même, un maladese voit signifier son congé sans préavis. Dans ces cas, il est possible qu’iln’ait personne pour prendre soin de lui à la maison.

On n’a pas vérifié

[s’]

il y avait quelqu’un pour m’aider parce que j’ai eule bras comme ça en traction pendant deux semaines à la maison.

[…]

Jene pouvais pas me faire à manger et mes jeunes ne pouvaient pas me faireà manger non plus.

(Malade)

La décision de la sortie peut aussi occasionner des conflits au seinde la famille ou avec les autorités médicales : les proches contestent parfoisla décision de la sortie, ils ne veulent pas prendre en charge la personnemalade, ou bien ils se sentent inaptes à donner les soins. Cette situationest difficile pour les malades et leurs soignantes, qui doivent alors gérer

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une situation de conflit en plus de la maladie et du retour à la maison.Mais, toujours d’après nos répondants, dans certains cas, les ordres seraientstricts et la sortie s’effectue coûte que coûte…

Il était 11 h le soir, j’ai attendu jusqu’à 5 h le matin, là ils voulaient queje le ramène chez nous. Je l’ai pas pris, j’ai dit non je ne le ramène pas,c’est ben de valeur. C’est moi qui lui ai parlé, le docteur était en mauditcontre moi.

(Soignant)

Une fois à la maison, les malades déshospitalisés doivent se donnereux-mêmes des soins ou confier ces soins à un proche. Or, le soutien qu’ilsont reçu des hôpitaux et des CLSC est inégal. Certaines informatricesdisent avoir reçu un soutien adéquat de l’hôpital au moment de leurcongé. Ce soutien a pris la forme d’un suivi téléphonique, ou encored’une offre de médicaments ou de références lors de complications.D’autres soignantes nous ont dit avoir manqué d’informations sur le suivipostopératoire (comment administrer les soins, les médicaments, lerégime alimentaire) ou avoir dû se battre pour obtenir l’aide nécessaire,surtout au moment du retour à domicile. Dans certains cas, le CLSC n’apas tenu compte de l’évaluation faite par l’hôpital. Plusieurs répondantesn’ont pas reçu l’information voulue ou ont été obligées de se déplacerpour des pansements. Certaines ont dû attendre de façon exagérée pourdes services médicaux au CLSC ou n’ont pas été suffisamment renseignéessur les services disponibles en matière de soins à domicile. Ces lacunesrendent la prise en charge d’un proche déshospitalisé encore plus difficile,car les soignantes sont privées des moyens pour l’assurer : information,déplacement, absence de traitements, etc.

Non, c’est tout ; la seule chose, c’est que la première fois que maman estsortie de l’hôpital, c’était évident qu’il y a eu un manque avec le CLSC.Maman est sortie, l’hôpital n’a pas averti, donc j’ai pas pu avoir deservices, je pense, avant la fin de la semaine suivante parce qu’ils serencontrent le jeudi eux autres pour planifier leur patente. Ça fait quifallait que j’attende au jeudi suivant et là ce que j’ai trouvé difficile aussic’est que ç’a pris du temps avant qu’il y ait une évaluation de maman.

(Soignante)

L’assistance et l’accompagnement par le personnel professionnel aumoment de la prestation des soins à domicile sont souvent nécessaires. Ilspermettent aux soignantes et aux malades de donner ou de se donnersoi-même les soins prescrits sous surveillance professionnelle. Rappelonsque ces soins peuvent être de nature médicale (l’antibiothérapie en estun exemple) et qu’ils sont habituellement fournis par des professionnelsen milieu hospitalier ou au sein des CLSC. La présence de personnelprofessionnel à domicile est nécessaire à l’apprentissage des techniquesde soin et au maintien d’un sentiment de sécurité. Or, les soignantes et

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les malades ne peuvent pas toujours compter sur l’assistance régulière del’infirmière à domicile et il leur faut parfois multiplier les démarchespour prolonger l’aide reçue. Dans ces cas, non seulement faut-il prendreen charge des soins professionnels qu’on connaît peu ou pas, mais il fauten plus se battre contre un système pour obtenir l’aide professionnellenécessaire.

Les soignantes interrogées mentionnent aussi qu’on leur demandesouvent d’effectuer des tâches pour lesquelles elles ne se sentent pascompétentes : changement des sacs (colostomie), pose de cathéter, injec-tions d’insuline, pansements, surveillance de la pression artérielle ou véri-fication du bon fonctionnement d’un appareil, désinfection de plaies. Cessoins exigent souvent un apprentissage :

C’est qu’on nous demandait de prendre soin de quelqu’un qui est quandmême très malade, mais on n’a pas la compétence pour prendre soin d’euxautres c’est pas juste leur donner le bain là, c’est doser la prise de médica-ments, s’assurer qu’il va bien, que la pression est bonne.

(Soignante)

Les soins très intimes que nécessite l’état du malade peuvent aussiêtre extrêmement embarrassants lorsqu’il s’agit d’un membre de safamille : poser un cathéter à son père, par exemple. Et, en plus d’apprendreà donner des soins infirmiers ou de nature médicale, les soignantes

doiventse charger des soins hygiéniques et corporels que la ou le malade ne peutse donner. La présence d’une personne malade à la maison, on l’oublietrop souvent, entraîne en outre une augmentation considérable des tâchesdomestiques.

Là, à la maison, le CLSC faut que t’appelles là, c’est pareil qu’elle a dit,tu t’occupes de la paperasse en plus de ta job plus tes soins à toi.

(Soignante)

La complexité de certains traitements effraie plusieurs soignantesque nous avons interrogées. La peur de commettre des erreurs ou de malfaire, l’insécurité et l’anxiété quant au régime alimentaire, aux effets secon-daires des médicaments et aux complications sont monnaie courante. Letype de soins semble habituellement dépasser les compétences des soignan-tes, tout au moins au début de la prise en charge. On observe donc unsentiment de perte de contrôle sur la situation, un sentiment d’incompé-tence qui semble généralisé. Se pose aussi de façon importante pour lessoignantes une question de responsabilité et d’imputabilité. Qui sera res-ponsable des problèmes découlant de complications médicales, d’un mau-vais diagnostic domestique ou de la mauvaise administration des soins ?

J’écrivais l’heure pis quelle pilule j’y donnais, j’avais peur. D’un coup qu’ilsme disent que j’y en donne trop pis qu’il meurt là. J’avais peur

.(Soignante)

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Par ailleurs, les soignantes et les malades doivent assumer plusieurstypes de coûts associés aux soins dont ont besoin les malades maintenantrevenus à domicile. Plusieurs de ces coûts étaient autrefois supportés parl’hôpital.

Ainsi, les malades doivent plus souvent se procurer eux-mêmesles médicaments dont ils ont besoin. En même temps, le programmed’assurance-médicaments les force à payer une plus grande part de cescoûts. D’autres dépenses sont rendues nécessaires par la présence d’unmalade à domicile : aseptiser la pièce de la maison pour donner les soinsliés à l’hémodialyse représente, par exemple, un gros investissement. Dansd’autres cas, on embauche des personnes au noir et à petit salaire. Lesproches doivent également payer le loyer du malade hospitalisé ou placédans un centre d’accueil jusqu’à expiration de son bail ou, encore, ilscontribuent à même leurs propres revenus à améliorer la qualité de viedu malade, son bien-être mental ou affectif.

Son manteau de fourrure était trop pesant

[…]

on est allé magasiner

[…]

c’est moi qui l’ai payé

. (Soignante)

Aux coûts financiers s’ajoutent les coûts humains. La soignante n’apas beaucoup de répit, elle est souvent de garde. L’état du malade peutnécessiter une surveillance de nuit et le sommeil de la soignante est alorsplus aléatoire. L’horaire quotidien de sa maisonnée et le sien propre sontaffectés du lever au coucher.

Non, c’est comme vivre, en tout cas, moi, je trouve que c’est comme, pournous les enfants, c’est comme vivre deux vies. C’est notre vie puis la vie del’autre personne, la vie de la personne dont on prend soin parce qu’en plusde notre vie, tout gérer notre quotidien, faut gérer le quotidien d’une autrepersonne, incluant de sortir les vidanges la bonne journée de la semaine.(Soignante)

Et puis, il y a l’incertitude quant à la durée de la maladie. Le fardeauest plus lourd pour les soignantes qui sont âgées, ou lorsque le malade sefait soigner en dehors de sa région d’origine. Soigner demande unegrande abnégation : l’inquiétude est permanente, les émotions sont intenseset constantes.

Je trouve ça difficile parce que c’est l’inquiétude de dire quand t’asquelqu’un de malade, tu surveilles, toi, tu te reposes pas. Quand t’asquelqu’un de malade, qui a de la difficulté à respirer et pis tu sais qu’ellea passé à travers de quelque chose de difficile, tu vas vérifier souvent si larespiration, comment est-ce qu’elle est : c’est pas de tout repos, c’est pas facile.(Soignante)

Lorsque les soins s’échelonnent sur une longue période, les soignantesfont état d’une fatigue constante, d’épuisement et d’insomnie. Les tâchesde soins exigent parfois aussi des capacités physiques qu’elles ne possèdentpas. Comment, par exemple, lever un malade de son lit quand la soignante

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a plus de 72 ans et que le malade en question est un homme costaud ?L’effort peut occasionner des blessures chez les soignantes. À cause de lalourdeur de la tâche et de leur état de fatigue constant, les soignantesréduisent leurs loisirs, pourtant nécessaires au bien-être et à l’équilibretant de la personne malade que de la soignante.

J’avais des activités avant […] bien maintenant là je m’en tiens unique-ment à la marche parce que ça, je peux le faire n’importe quand.(Soignante)

La relation de parenté affecte aussi le rapport de la soignante avec lapersonne soignée : elle suscite souvent des attentes exagérées du malade àl’égard de la soignante. La personne malade peut parfois être désagréable,intransigeante, manquer de reconnaissance envers la soignante ou mêmerefuser les traitements prescrits. Certaines personnes doivent ainsi soignerleur conjoint violent. Lorsque la relation avec la personne soignée étaitconflictuelle au départ, elle se dégrade souvent. La soignante doit alorsredoubler de patience pour continuer à encourager le malade vers la gué-rison. Les exigences relatives à la prise en charge d’une personne maladepeuvent aussi provoquer une augmentation de la tension entre les conjointsdont l’une est soignante ou avec les enfants de celle-ci.

Ça fait deux reprises que je remarque ça quand elle passe de longuespériodes [ici], parce que mon mari sent peut-être du négatif vis-à-vis demoi et ça affecte mon mari. (Soignante)

Bref, les soignantes se sentent souvent coupables, souvent irritables,continuellement stressées, peu reconnues, peu appréciées. Certaines nousont rapporté avoir parfois l’impression de devenir folles. D’autres ont étéamenées à prendre des calmants et des antidépresseurs. Les incertitudessont multiples : quelles complications pourront survenir dans l’état desanté du malade ? pourra-t-on tenir le coup ? quelle aide obtiendra-t-on ?quels seront les effets de la prise en charge sur les rapports avec lesproches ? sur leur avenir ?

Ce portrait assez sombre ne constitue pas, bien entendu, un refletde la qualité des soins prodigués par les proches du malade ni de la qualitédes conditions de guérison, pas plus que de la guérison elle-même. Il n’estnullement un reflet du cheminement clinique de la personne malade. Ilnous renvoie plutôt aux conditions de la prise en charge à domicile desmalades déshospitalisés dans le cadre du virage ambulatoire qui ne sontpas connues des experts médicaux ou des décideurs du systèmesociosanitaire : il s’agit de conditions propres au domicile, aux soignantes,de conditions qui, de l’avis de plusieurs, relèvent de la vie privée descitoyens. Or, cette vie privée, cette vie familiale est perturbée par l’arrivéehâtive d’un malade qui a besoin de soins lourds. Elle devient par la même

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occasion entièrement sinon prioritairement soumise aux besoins dumalade, au rythme des soins, aux exigences médicales. Les proposrecueillis auprès des soignantes ne nous permettent pas de conclure àl’humanisation de leurs conditions de vie.

3. RESTRUCTURATION DU RÉSEAU ET MISE EN PLACE DE SERVICES AMBULATOIRES : DES CHANGEMENTS SUR LESQUELS LES TRAVAILLEUSES ONT PEU D’EMPRISE

Les travailleuses du réseau public de la santé et des services sociaux onteu une expérience différente, il va de soi, du virage ambulatoire. Cetteréforme s’est faite très rapidement : les changements de structures (fusionsd’établissements, fermetures de départements…), les changements dansla clientèle (personnes plus malades, roulement plus grand des patientsen centre hospitalier, augmentation de la clientèle en maintien à domi-cile…), les changements de mission des établissements ont eu des réper-cussions sur leur milieu de travail. Ces transformations se sont égalementproduites ailleurs au Canada (Armstrong et al., 1994).

La tâche avec le virage va être plus lourde parce que la clientèle va êtredéfinitivement plus lourde. T’imagines le client qu’on laisse partir à moitiéorganisé, imagine celui qui reste à l’hôpital. Y est drôlement et sévèrementatteint et en perte de capacité. (Travailleuse sociale en centre hospitalier)

La tendance au transfert à domicile des soins de santé autrefois prisen charge par des travailleuses de la santé a entraîné la transformationdes procès de travail dans les établissements : car il s’agissait aussi dans lecadre du virage ambulatoire de maximiser la productivité des employées.Nous avons donc assisté à l’accentuation de la division du travail, à lafusion de tâches, à l’accélération du rythme de travail (Glazer, 1990). Enconséquence, la situation des professionnelles et travailleuses de la santés’est détériorée rapidement au moment de la mise en place du virageambulatoire : instabilité, surcharge, déqualification ou requalification nonreconnue, transformation des champs de pratique ont été tour à tourmentionnées par les travailleuses que nous avons rencontrées. Et le carac-tère hautement féminin de ces métiers (p. ex., préposées aux bénéficiaires)et de ces professions (p. ex., infirmières) fait en sorte que ce sont parti-culièrement les femmes qui ont été touchées (Conseil du statut de lafemme, 1995, 1999).

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Les effets premiers du virage ambulatoire sur les travailleuses de lasanté et des services sociaux sont ceux qu’ont occasionnés les réaffecta-tions du personnel hospitalier. Rappelons que lors des entrevues ces réaf-fectations étaient en cours. La vie professionnelle de ces travailleuses a étérapidement et parfois brutalement modifiée : plusieurs ont été changéesd’établissement ou affectées à de nouvelles tâches et à de nouvelles équipes :des infirmières en bloc opératoire se sont par exemple retrouvées enobstétrique. Les employées des établissements hospitaliers qui sontdemeurés ouverts, ou dont le département est demeuré ouvert, ont parfoisvu leur poste supprimé ou ont été supplantées par une personne venantd’un autre établissement.

Le moral est assez affreux depuis un an, un an et demi parce que les genschoisissent pas, les gens se ramassent. Des préposés qui ont travaillé surl’unité de médecine depuis 3, 4 ans, 10 ans, 12 ans, tu te ramasses enréaffectation, sans préparation, sans rien, sur une unité de chirurgie spé-cialisée par exemple. (Travailleuse sociale en centre hospitalier)

Les conditions irrespectueuses et inhumaines dans lesquelles s’estopéré le transfert des travailleuses ont été soulignées en entrevue par lestravailleuses que nous avons interrogées. Elles ont souvent disposé de trèspeu de temps pour décider de leur avenir et elles ont souvent été mutéesrapidement. Elles sont parfois demeurées longtemps dans l’attente etl’expectative, ou encore elles ont été mises en disponibilité. La stabilitédes années passées avait permis le développement d’une cohésion au seinde plusieurs équipes de travail, mais les supplantations l’ont anéantie.L’expérience et la compétence que les équipes et que les employéesavaient acquises ont été perdues. Plusieurs travailleuses ont dû faire ledeuil de leur ancien travail. De plus, l’atmosphère générale au travail lorsde la mise en place du virage ambulatoire a longtemps été tendue, surtouten milieu hospitalier. On a constaté dans les entrevues un sentiment géné-ral d’insécurité, d’angoisse, de peine et de deuil. Les réaffectations ontprovoqué des drames humains de tous genres. Et à la tension causée parces réaffectations s’ajoute celle qu’entraîne la surcharge de la tâche.

On a coupé le personnel, t’as toujours 31 patients, t’en as 10 à fairemanger, mais t’es deux pour les faire manger les 10. […] Fait qu’endonnant le meilleur de toi-même, t’es ben moins prudent. […] C’est couriraprès les accidents de travail. (Préposée aux bénéficiaires en centrehospitalier)

La situation est quelque peu différente dans les CLSC. On y aobservé peu d’abolitions de services, mais il ne semble pas y avoir eu unapport suffisant de ressources pour répondre à l’augmentation de lademande. La charge de travail a donc augmenté en conséquence. Les cas

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les plus lourds sont maintenant plus nombreux et sont considérés commeprioritaires. Et les chirurgies d’un jour entraînent plus de demandesvariées de soins dans les CLSC : accompagnement, soins postchirurgicaux,pansements, etc.

Avec l’introduction de postes à temps partiel au CLSC et la mise enplace d’équipes de soir, des employées à temps plein ont accepté desemplois à temps partiel afin de pouvoir conserver leurs horaires. Destravailleuses occasionnelles à temps partiel ont perdu des heures de travail.Les conditions de rappel sont devenues plus strictes (disponibilité irrégu-lière à 30 minutes d’avis), rendant la situation encore plus difficile pourcelles qui ont des enfants. À cela s’ajoute le fait que les modifications auProgramme d’assurance-emploi avaient déjà pénalisé ces travailleuses (cesont les heures de travail et non plus les semaines de travail qui serventau calcul de la prestation).

Je me disais, en l’espoir qu’ils m’appellent une journée, je vais laisser mesenfants en garderie cinq jours. […] Alors j’ai coupé ma disponibilité dejour et quand les enfants seront rendus à l’école, je leur donnerai le jour[…] C’est aussi ridicule que ça. (Infirmière en CLSC)

Enfin, les infirmières en CLSC interviewées soulignent que l’approchedu virage ambulatoire a causé en CLSC un délestage de la prévention etde la promotion de la santé : les travailleuses ont moins de temps pour lesaspects affectifs et relationnels des soins (le « care ») et les aspects curatifs(le « cure ») semblent accaparer maintenant tout le temps disponible. Tousces changements et ces nouvelles conditions de travail ne sont pas sansperturber la vie et la santé des travailleuses.

On délaisse la promotion de la santé et la prévention pour aller plus auniveau du curatif. C’est un peu ce que les infirmières ont trouvé un peudifficile. Et la clientèle est beaucoup plus à, disons, à multiples risques etplus pesante. (Infirmière en CLSC)

Les travailleuses en centre hospitalier comme en CLSC déclarentn’avoir plus le temps de parler à la personne malade et de l’écouter. Lesinfirmières interrogées se disent par exemple insatisfaites des soins : ellesdoivent faire en 24 ou 48 heures ce qu’elles faisaient avant en trois jourset elles n’ont plus le temps d’enseigner. La diminution de la durée deséjour en centre hospitalier ne laisse pas la possibilité aux travailleusessociales de créer un lien avec le malade, comme c’était le cas auparavant.Ce lien facilitait la reprise de contact en cas de complications, de rechutesou en périodes de crise. Autant les infirmières, les auxiliaires familialesque les travailleuses sociales interviewées se plaignent de n’avoir plus detemps pour l’écoute, l’accompagnement et la prévention.

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Les travailleuses sont protégées en matière de responsabilité profes-sionnelle pour autant qu’elles accomplissent des actes qui relèvent de leurfonction. Or, les réformes et le transfert de personnel ont créé des situa-tions problématiques. Ainsi, dans certains cas, on aurait exercé des pres-sions sur des préposées pour qu’elles exécutent des tâches qui relèventdes infirmières et qui dépassent le cadre juridique de leur profession (parexemple, donner des médicaments, des injections d’insuline, faire destouchers rectaux). Les travailleuses à domicile sont également moins pré-parées pour faire face à certaines situations. Il existe ainsi une confusionau sujet des actes délégués. Certains actes sont en effet formellement délé-gués par le médecin à l’infirmière, ou par l’infirmière à l’infirmière auxi-liaire. Or, certains CLSC ont voulu permettre aux auxiliaires d’accomplirdes actes qu’ils disent autorisés et qui seraient plutôt, selon une informatrice,de nature infirmière.

Moi, j’ai été dans un colloque d’auxiliaires familiales et il y avait un grosdébat là-dessus, les actes délégués. Nous autres, c’est pas dans nos tâchesde faire ces actes-là. Mais, eux autres, ils se sont revirés de bord, parcequ’après ça, on est allé voir le patron et c’est des actes délégués et, nousautres, on veut être protégé. Il faut que tu nous donnes sur papier pourque si madame Unetelle fait une poursuite, ça ne soit pas contre moi.(Auxiliaire familiale)

La difficulté pour les travailleuses de concilier vie familiale et vieprofessionnelle n’est pas nouvelle, mais le virage ambulatoire a aggravé lasituation. L’insécurité, la dégradation des conditions d’exercice du travail,l’augmentation du niveau de stress, l’absence de politiques en matière desoutien pour les mères les mettent parfois en situation d’avoir à choisirentre leur carrière et leur famille.

Je peux pas rentrer, pis dire : ah je suis fatiguée, bon à matin je vas justem’asseoir pis recommencer une demi-heure plus tard. Je peux pas me per-mettre de faire ça là. On sort pas vendredi soir si je travaille le samedi,parce que physiquement je suis pus capable, pis j’ai beau avoir 43, maisles filles d’une vingtaine d’années qui font la même chose aussi mainte-nant. (Infirmière en centre hospitalier)

Car les changements de quart de travail bouleversent les habitudesde gardiennage et compliquent la vie quotidienne des mères. Les journéesplus lourdes occasionnent aussi une plus grande fatigue et un stress cons-tant qui ont un effet certain sur la vie personnelle. Les rapports avec leconjoint ou les enfants sont affectés, tout comme les loisirs : la mère estsouvent trop fatiguée pour s’y engager. La conciliation du travail salarié etdes responsabilités domestiques et familiales est plus difficile, augmentantpar le fait même le niveau général de fatigue.

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Quand on rencontre des infirmières en ce moment que ça fait 30 ans, 20et 30 ans qui sont ici, pis qui ont toujours été fières de donner une qualitéde soins, pis qui se disent je ne suis plus capable de fonctionner comme ça,je vois ma qualité de soins diminuer. (Infirmière en centre hospitalier)

Enfin, selon les travailleuses interviewées, l’ensemble des change-ments apportés aux services de santé et aux services sociaux menacentaussi la qualité des soins : les malades reçoivent moins d’attention à l’hôpi-tal, ils sont renvoyés plus vite chez eux, alors que les programmes d’aideà domicile sont insatisfaisants faute de réallocation suffisante de ressourcesdans les CLSC. Cette situation peut occasionner un bris de service. Lessoins sont donnés de façon plus expéditive, même lorsqu’il s’agit de soinsessentiels. Il n’y aurait selon les travailleuses plus de place pour le côtéhumain.

On peut pas se permettre de faire des erreurs. Moi, si je fais une erreur avecun papier, oui je peux effacer, pis je recommence. Mais avec un patient, jepeux pas faire ça, mon erreur est vite faite à ce moment-là, même si j’avaispas, même si c’était… même si je veux jamais en faire d’erreurs, avec lafaçon qu’on court en ce moment, je sais pas si ça va pouvoir être évité.(Infirmière en centre hospitalier)

L’augmentation du rythme de travail, l’adaptation à de nouvellestâches et la diminution de l’encadrement ne font qu’augmenter le risqued’erreur, ce qui suscite à son tour une plus grande insécurité chez lestravailleuses. Les travailleuses maintiennent depuis un certain temps déjàun rythme de travail accéléré pour satisfaire aux demandes, pour donnerles soins requis, pour éviter ou écourter les listes d’attente. Elles ont ditclairement qu’à leur avis elles ne pourront pas tenir encore longtemps.

4. LE VIRAGE AMBULATOIRE ET L’HUMANISATION DES SOINS

Le virage ambulatoire a-t-il introduit une plus grande humanisation dessoins ? S’il a permis un retour plus rapide des personnes malades à domi-cile – et la plupart des sondages nous indiquent sans équivoque que lespersonnes malades préfèrent se rétablir à domicile –, force nous est deconstater que les expériences des soignantes et des travailleuses du secteurde la santé révèlent un tableau très différent de l’humanisation souhaitée.Au-delà de la situation instable et démotivante pour les travailleuses, deleur surcharge de travail, nous avons découvert l’existence d’une discon-tinuité entre les services hospitaliers et les services à domicile qui peutmenacer la santé et la sécurité des soignantes. Nous avons aussi découvertqu’en prônant le retour plus rapide des malades à « la communauté », le

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virage ambulatoire met en place dans les faits de nouveaux mécanismescontraignant la famille à prendre en charge des soins de nature parfoistrès complexe et à investir un travail bénévole considérable auprès desmalades, autrefois assumé par le système public de soins.

Et il est socialement attendu des femmes qu’elles prennent encharge les soins dont leurs proches ont besoin même si ces soins sontbénévoles. En général, un seul membre de la famille joue le rôled’aidante, et c’est une femme dans 70 % à 80 % des cas. Parler de soinsdonnés par la famille est donc un euphémisme pour faire référence auxsoins donnés par des femmes. Exigibles de toutes les femmes, ces soinssont aussi la plupart du temps passés sous silence, invisibilisés.

Ces travailleuses silencieuses et non rémunérées ont rarement étéconsidérées comme des actrices importantes du système de santé.(Therrien, 1987, p. 7)

Les proches et les malades ont dû s’adapter rapidement aux besoinsdes hôpitaux, ainsi qu’en matière de soins à domicile, quels qu’aient étéleurs moyens ou leur situation. Ils ont eu à se former, parfois même às’autoformer, à l’administration de soins infirmiers et médicaux. Ils ont dûsupporter des coûts supplémentaires : des frais de médicaments, des fraisde garde et d’hébergement et de multiples autres frais entraînés par la priseen charge de ces soins à domicile. La présence d’un malade à la maison aeu de multiples impacts sur leur vie quotidienne, sur leur santé, sur leurqualité de vie. Dans bien des cas, il s’est agi d’un travail constant et éprou-vant. Pour les soignantes, tout est devenu plus difficile à concilier : la priseen charge de la personne malade, la vie familiale et la vie professionnelle.

Mais qu’en est-il de l’humanisation des soins prônée dans le discourssur le virage ambulatoire (Conseil du statut de la femme, 1999) ? Celui-cia en effet repris à son compte des critiques formulées depuis très long-temps sur l’excessive institutionnalisation des malades et de la maladie.Car on a longtemps cru que la maladie devait nécessairement et obliga-toirement être prise en charge dans un centre hospitalier. La guérisonétait donc automatiquement associée à l’hôpital, seul cadre permettantl’exercice de soins hautement technologiques et correctement donnés.Cette situation suscitait de nombreuses critiques sur la déshumanisationdes soins, sur le cadre bureaucratique de la prise en charge de la maladie,sur les rythmes de vie institutionnels imposés aux malades : ils étaient enfait dépossédés de leur corps, réduits à la passivité face à leur maladie etaux soins dont ils avaient besoin.

Le principe général du virage ambulatoire est le suivant : la commu-nauté sera désormais responsable de la guérison du malade après l’inter-vention plus technique et de courte durée de l’hôpital. Cette guérison se

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fera à domicile. Elle devra être assurée par la personne malade ou par unproche de celle-ci (administration de médicaments, soins infirmiers et soinspersonnels). On s’appuie cependant alors sur une définition mythique dela communauté ou de la famille. Dans la réalité, la famille, ce sont la plupartdu temps des femmes qui ne sont pas nécessairement disponibles pourrecevoir un malade à qui l’hôpital décide de donner congé. Tout ceci sefait souvent au pied levé. De plus, les CLSC n’ont souvent pas les ressourcessuffisantes pour assister toutes les soignantes à domicile. Il est donc de plusen plus difficile de répondre aux critères pour obtenir des services.

Le virage ambulatoire a-t-il modifié l’importance de l’hôpital dans lachaîne de soins ? Cela ne semble pas être le cas, puisque le virage ambu-latoire renforce même la centralité de l’hôpital dans la chaîne de soins,par rapport aux CLSC et au domicile. L’hôpital demeurera en effet res-ponsable du suivi médical et devra coordonner ses interventions aveccelles des CLSC. Les soignantes et les professionnelles devront donner lessoins prescrits par le centre hospitalier qui, par ailleurs, n’est souvent pasconscient des conditions de prestation des soins à domicile. Ces soinsdonnés à domicile ou en clinique ambulatoire deviennent en quelquesorte l’extension de l’hôpital : on doit aseptiser, organiser la maison et leshoraires en fonction des soins, vivre au rythme des visites à domicile.

Le « care » regroupe une multitude d’activités, tant à la maison, dansla communauté que dans les établissements de santé. Il s’agit essentielle-ment d’actes de nature relationnelle – puisqu’ils impliquent un échangeentre deux personnes, la personne soignante et la personne soignée –, quiexigent une responsabilité et une continuité de la part de la personne quiles prend en charge (Saillant, 1991, 1992). Le « cure » correspond aux actesmédicaux et infirmiers. Dans le cadre du virage ambulatoire, les traite-ments (cure) se déplacent vers le domicile, tandis que l’aspect relationneldes soins (care) est à peu de chose près évacué du milieu hospitalier et deplus en plus lié au travail bénévole des soignantes. Les CLSC doivent orien-ter leurs ressources vers le « cure », au point où les intervenantes que nousavons interviewées se demandent si elles n’assistent pas à la fin du préventifet du secteur communautaire en CLSC. Par voie de conséquence, l’affectifet le social sont renvoyés à domicile et évacués des soins hospitaliers. Cequi est paradoxal, puisqu’on reconnaît de plus en plus que le care est essen-tiel à la guérison : or, le virage ambulatoire a pour effet de dissocier encoreplus le care des fonctions hospitalières. Ce qui est aussi paradoxal, c’est quedes soins de plus en plus complexes et nombreux de l’ordre du cure sontconfiés aux proches des malades, qui ne sont pas des experts. Et les soi-gnantes à qui l’on confie ces soins manquent souvent de soutien profes-sionnel et de formation pour les aider dans leur tâche.

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Le virage ambulatoire visait à transformer l’organisation des soins desanté, à adapter le système de santé à une nouvelle philosophie de gestiondes soins plus humaine, plus proche de la communauté. À cet effet, ildevait transformer les rapports entre la société civile et l’État, confiant àla société civile la charge des personnes malades ayant encore besoin desoins assez complexes. Ce transfert s’est effectué, certes, mais au prixd’une grave détérioration des conditions de vie et de travail des personnesresponsables de donner ces soins. Il impose une nouvelle contrainte auxsoins bénévoles pour les femmes et pour les familles. Ce constat interrogedonc le concept même d’humanisation des soins : peut-il exister une réellehumanisation des soins si l’on fait abstraction des conditions de prestationdes soins et des conséquences de celles-ci sur les soignantes bénévoles etsur les travailleuses de la santé ?

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LA VIABILITÉ DE LA DÉSINSTITUTIONNALISATION FACE AUX CHANGEMENTS SOCIODÉMOGRAPHIQUES

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Professeur associé, Département de démographieUniversité de Montréal

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Department of Family Studies and GerontologyMount Saint Vincent University

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Gerontology ProgramsSimon Fraser University

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Le virage ambulatoire s’inscrit dans un mouvement de désinstitutionnali-sation qui se poursuit depuis plusieurs années déjà. Le cas des personnesâgées en perte d’autonomie est probablement l’exemple qui illustre lemieux l’ampleur de ce mouvement. Parmi les raisons avancées pour justi-fier la désinstitutionnalisation des personnes âgées, on a d’abord et avanttout souligné les coûts élevés associés à l’hébergement en institution(Challis

et al.,

1991 ; Harrow, Tennstedt et McKinlay

,

1995 ; Steinbach,1992 ; Wolinsky

et al.,

1992), la croissance du nombre de personnes âgéeset le désir des personnes âgées de vieillir dans la communauté le pluslongtemps possible (Frossard, dans Hébert

et al.,

1997). Tout comme levirage ambulatoire, la désinstitutionnalisation des personnes âgées enperte d’autonomie est fortement basée sur l’hypothèse que la famille seraprésente pour apporter une bonne partie des services jadis offerts eninstitution. En ce sens, la politique de maintien à domicile n’a surtout pasun rôle de substitution par rapport à la famille, mais plutôt un rôle complé-mentaire (Denton, 1997). Le réseau formel compense alors dans le casoù le réseau informel est à peu près inexistant ou, dans une moindremesure, il remplacera le réseau informel pour certains types d’aide. Dansune telle perspective, passer de l’hébergement en institution au maintienà domicile se traduit pour plusieurs par le passage d’une prise en maincollective à une prise en main privée des coûts associés à la perte d’auto-nomie. Étant donné que ce que l’on définit comme « famille » est dans laplupart des cas limité à la conjointe ou à un enfant – plus précisémentune fille – (Keating

et al.,

1994), les coûts sociaux sont largement suppor-tés par les femmes.

Le présent chapitre soulève des questions qui nous apparaissentimportantes en ce qui concerne l’ampleur et la disponibilité de la famillepour répondre aux besoins des personnes âgées en perte d’autonomie.Bien que nous nous attardions d’abord et avant tout à la désinstitutionna-lisation des personnes âgées, le virage ambulatoire devra aussi relever lesmêmes défis. Après une brève introduction sur la transformation de laclientèle du maintien à domicile, nous analyserons certaines tendancessociodémographiques qui ont marqué les sociétés canadienne et québé-coise au cours des dernières décennies et discuterons de leur impact surl’étendue, la composition et la disponibilité du réseau familial. Au coursdes prochaines décennies, ces changements seront d’ailleurs de plus enplus notables alors que les générations du baby-boom franchiront graduel-lement la barre des 65 ans et plus. Notre intention n’est pas de remettreen question le bien-fondé d’une politique qui favorise la désinstitutionna-lisation, mais bien de souligner que, pour être menée à bien, une tellepolitique demande un transfert important de ressources financières etnon pas simplement un transfert de responsabilité de l’État vers la famille.

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1. LE MAINTIEN À DOMICILE : UNE CLIENTÈLE DE PLUS EN PLUS NOMBREUSE ET DE PLUS EN PLUS LOURDE

Le vieillissement de la population est souvent présenté comme un phéno-mène qui exerce de fortes pressions sur le système de soins de santé. Cettepression serait appelée à augmenter avec le vieillissement des baby-boomers. Pour faire face à ce défi, on a présenté le maintien à domicilecomme une solution économiquement efficace à l’augmentation des coûtsassociés à l’institutionnalisation de la population âgée en perte d’autono-mie. On a aussi rationalisé cette politique avec l’idée que les Canadienspréfèrent vieillir au sein de leur collectivité, plutôt qu’être hébergés eninstitution (ACSSD, 1998 ; Burbridge, 1993 ; Chappell, 1993). Les besoinsen soins de maintien à domicile ont toutefois considérablement augmentéau fil du temps. D’une part, la hausse de l’espérance de vie a pour effetd’accroître le nombre d’aînés parmi les 75 ans ou plus, âge à partir duquelon note une augmentation des limites fonctionnelles nécessitant des soinsde longue durée (ACSSD, 1998 ; Anderson et Parent, 1999 ; Aronson etNeysmith, 1996 ; Fienberg, 1993). D’autre part, le manque de lits dans lesétablissements de soins de courte et de longue durée (Aronson et Neysmith,1996), combiné avec les hospitalisations plus courtes et les congés plusrapides qui ont pour effet de renvoyer à la maison des patients « plus tôtet plus malades » (Coyte et Young, 1997 ; Neysmith, 1995), a aussi contribuéà l’accroissement des besoins en services de maintien à domicile.

La clientèle du maintien à domicile a évolué, passant d’aînés ayantbesoin d’un soutien pour les tâches ménagères à une combinaison depatients postopératoires, d’aînés fragiles (Aronson et Neysmith, 1996) etde personnes en phase terminale (Scanlon et McLaughlin, 1998). Dansson étude du maintien à domicile au Manitoba, Neysmith (1995) concluaitque, parce que le personnel du maintien à domicile voyait un plus grandnombre de patients sortis de l’hôpital plus tôt et plus malades, l’environ-nement du maintien à domicile était devenu un système de substitutionaux hôpitaux. Un nombre accru de personnes ayant recours aux soins àdomicile ont un profil comparable à celles qui résident en institution. Celaa des conséquences importantes sur le maintien à domicile, en particuliersur la pratique des professionnels en soins communautaires et sur lesressources disponibles pour fournir des soins hautement qualifiés. Morriset Morris (1992) soutiennent que, pour chaque personne âgée en perted’autonomie résidant en institution, on trouve au moins trois et jusqu’àcinq aînés dans une situation comparable, vivant dans leur communauté.Ellenbecker et Warren (1998) ont noté que les infirmières reconnaissentque les clients du maintien à domicile ont actuellement des besoins médi-caux et techniques plus complexes ; ils sortent de l’hôpital avec descathéters ; souffrent de plusieurs affections chroniques ; connaissent des

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problèmes sociaux plus grands, en particulier avec leur famille ; présententun profil comparable à certains patients comme ceux qui souffrent dusida, de la maladie d’Alzheimer ou encore qui sont aux soins palliatifs.

Avec le nombre accru de bénéficiaires de soins spécialisés qui viventà la maison et qui utilisent une portion plus grande des ressources dumaintien à domicile, les conditions d’accès aux programmes de maintienà domicile ont été modifiées (Spector et Kemper, 1994). Noddings (1994)soutient que le coût des soins à ce nombre plus élevé d’aînés en perted’autonomie ou en phase terminale est à ce point considérable qu’ilmenace la prestation d’autres services sociaux. D’autres ont lié l’augmen-tation de l’usage de services formels de maintien à domicile à une utilisa-tion accrue par les personnes qui en bénéficiaient déjà, plutôt qu’à unehausse du nombre de celles qui en reçoivent (Fama et Kennell, 1990).

Les premières compressions imposées aux soins institutionnelss’accompagnaient de la promesse de redistribuer les crédits dans les com-munautés. On peut toutefois mettre en doute la mise en œuvre de cettepromesse ; du moins, elle ne s’est certainement pas réalisée à un niveaunécessaire pour répondre à la demande croissante (Béland et Lemay,1995 ; Chappell, 1993 ; Keating

et al.,

1997 ; Neysmith, 1989). De fait,Chappell (1993) soutient que, si les fonds supplémentaires ne sont pasattribués aux soins communautaires, les aînés ne se retrouveront pas avecun nouveau système de santé, mais tout simplement avec un vieux système,moins adéquat. Les soins à domicile sont plus lourds, plus intenses etexigent de plus grandes compétences qu’auparavant (Dansky, 1995 ; Doddet Coleman, 1994 ; Ellenbecker et Warren, 1998 ; Scanlon et McLaughlin,1998 ; Sperling, 1998). Ce profil nouveau de la clientèle, combiné avecl’augmentation inadéquate du financement du maintien à domicile, apour conséquence que ceux qui souffrent de limitations fonctionnellesmoins graves et qui, auparavant, étaient les principaux bénéficiaires dumaintien à domicile n’ont pas accès aux soins de longue durée et sontsouvent à la charge de leur famille.

Dans ce contexte, l’existence d’un soutien familial est primordialepour les personnes qui ont besoin d’aide. La politique de maintien àdomicile a une fonction complémentaire où les soins formels sont prodi-gués, dans la plupart des cas, lorsqu’il y a absence d’un conjoint ou d’unenfant (Denton, 1997). De fait, la présence d’un soutien familial est unindicateur important de la non-utilisation de services du réseau formel(Carrière

et al.,

2002 ; Chen et Wilkins, 1998 ; Choi, 1994 ; Denton, 1997 ;Williams, Lyons et Rowland, 1997). Aux États-Unis, des chercheurs ontmontré que pour les aînés le mode de vie et la présence d’un aidantnaturel pouvant offrir les soins nécessaires étaient de meilleurs détermi-nants de l’utilisation du réseau formel que le fait d’être frêle (Stroller et

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Cutler, 1993 ; Tennstedt, Crawford et McKinlay, 1993). Au Canada, on estarrivé à des conclusions analogues. Carrière

et al.

(2002) ont ainsi signaléque la présence d’un conjoint ou d’autres parents dans un domicile réduisaitle recours aux services formels.

On a placé les aidants naturels au cœur de la politique de maintienà domicile (Cranswick, 1997 ; Gee, 1990). Or, Robinson (1997) soutientque le succès de tout programme de maintien à domicile dépend engrande partie de l’ampleur de l’aide informelle reçue. Mais l’on ne s’entendgénéralement pas sur la capacité du réseau formel à considérer les aidantsnaturels comme étant des partenaires à part entière dans la prestation desoins de longue durée. Keating

et al.

(1997) proposent un nouveau para-digme pour la politique des soins de longue durée au Canada. Elles sontd’avis que les concepts de « soins axés sur le client » et de « partenariat desoins » sont apparus du fait que les soins aux personnes frêles vivant dansla communauté sont trop coûteux et que la responsabilité des soins auxaînés doit être partagée par les réseaux formel et informel. Or, 70 % à90 % des soins aux aînés sont assurés par le réseau informel, d’abord etavant tout par un membre féminin de la famille (Chappell, 1993). En1996, environ 2,8 millions de Canadiens s’occupaient d’un parent âgé, cessoignants étant en majorité des femmes (Cranswick, 1997).

Ce sont les conjoints qui le plus fréquemment prodiguent les soinsprimaires aux personnes âgées, suivis des filles, des belles-filles et des fils.Les frères et sœurs qui vivent à proximité aideront plus fréquemment auxactivités instrumentales de la vie quotidienne qu’aux soins personnels. Defaçon analogue, les autres membres de la famille, comme les nièces, lesneveux et les cousins apporteront moins souvent (que les amis ou lesvoisins) de l’aide, et cette aide sera le plus souvent du transport ou l’achatd’aliments, par exemple, et non des soins personnels (Chappell, 1992 ;Keating

et al.,

1999). Les services formels et quasi formels (par exempleles services offerts par des organisations bénévoles comme des centrespour les personnes âgées et les Églises) sont habituellement offerts de pairavec ces soutiens informels. Les politiques de maintien à domicile reposentsur l’hypothèse, implicite ou explicite, que des membres de la famille sontdisponibles dans la communauté pour offrir un soutien informel à lapersonne âgée.

La désinstitutionnalisation des personnes âgées en perte d’autono-mie ou le virage ambulatoire auront inévitablement des conséquencespour les aidants naturels (Chappell, 1993). Par exemple, des études ontmontré un effet significatif du rôle d’aidante naturelle sur la vie profes-sionnelle des femmes : l’augmentation des absences, des retards, des inter-ruptions de travail, du niveau de stress au travail, baisse de la productivitéet possibilités d’avancement perdues (Keating

et al.,

1999 ; Medjuck,

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Fancey et Keefe, 1998 ; Schorlach, 1994). En outre, on a constaté que lesresponsabilités d’aidante naturelle avaient un effet négatif sur l’état desanté de la soignante (Clipp et George, 1993 ; Liebieg, 1993). Haug (1985)affirme qu’il est déraisonnable d’abuser des capacités des aidants naturels,puisque le système pourrait ainsi devoir s’occuper de deux patients oumême plus, plutôt que d’un seul (cité dans Havens, 1995).

Ce bref aperçu de la littérature montre que de plus en plus deservices de santé sont offerts dans la communauté et que les besoins deceux qui reçoivent des services de maintien à domicile s’accroissent. Sansl’ajout de ressources financières adéquates, cette situation entraînera desexigences accrues pour les aidants naturels. À quel point cette politiquesera-t-elle réaliste dans le futur, alors que le vieillissement de la populations’accélérera entre 2011 et 2031 avec l’arrivée graduelle des baby-boomersdans les rangs des 65 ans et plus ? Dans la section suivante, nous exami-nerons quelques tendances démographiques qui caractérisent une popu-lation vieillissante et verrons comment ces tendances pourraient affecterla composition, l’étendue et la disponibilité du soutien informel.

2. LES CHANGEMENTS DANS LA STRUCTURE FAMILIALE

Le vieillissement de la population n’affectera pas seulement la demandeglobale de services de maintien à domicile ; il aura aussi un effet notablesur l’offre de services, principalement la disponibilité de soutien informel(Chappell, 1994 ; Gee, 1990 ; Neysmith, 1993 ; Rosenthal, 1997 ; Rosenthalet Gladstone, 1994). Lorsque nous discutons du vieillissement de la popu-lation, nous soulignons surtout la proportion croissante de personnesâgées de 65 ans ou plus et l’accroissement de leur nombre ; c’est particu-lièrement le cas, lorsque l’on considère l’accession graduelle des baby-boomers

à cette tranche d’âge, à partir de 2011. Les mécanismes sous-jacents au vieillissement de la population ont pourtant d’autres effetsimportants.

2.1. L

A

FÉCONDITÉ

Au cours des dernières décennies, la baisse de la fécondité a été le principalfacteur qui a contribué au vieillissement de la population. Comme on peutle constater à la figure 1, la baisse de la fécondité est très marquée, tantau Québec que dans le reste du Canada. Toutefois, la chute est plus sen-sible au Québec où l’indice synthétique de la fécondité est d’abord passéde 3,83 à 2,65 enfants par femme entre 1946 et 1966, période du baby-boom. Par la suite, l’indice a chuté jusqu’à 1,38 en 1986, se stabilisant

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finalement autour de 1,6 au milieu des années 1990. Pour l’ensemble duCanada, la même tendance est observée ; l’indice synthétique de féconditépasse de 3,37 à 2,75 entre 1946 et 1966, continue à chuter jusqu’à 1,59 en1986 et se stabilise par la suite autour de 1,6 au milieu des années 1990.L’impact sur l’étendue et la composition du réseau de soutien informelsera grand (Stone, 1993). Les parents des baby-boomers ont eu par défi-nition plusieurs enfants. Ces enfants ont donc théoriquement plusieursfrères et sœurs, mais ils ont aussi moins d’enfants. Les tendances récentesnous indiquent que ces derniers auront non seulement peu de frères etsœurs, mais aussi peu d’enfants. Ces tendances dénotent une modificationimportante des capacités du réseau informel à répondre aux besoins despersonnes âgées en perte d’autonomie.

Cependant, Carrière

et al.

(2002) ont montré que le fait d’avoir unenfant survivant plutôt que deux ou plus n’avait que peu d’effet sur laprobabilité de recourir au réseau formel chez les personnes âgées qui rece-vaient de l’aide pour l’accomplissement des tâches quotidiennes. Dans cecas, c’est moins le nombre d’enfants que le fait d’en avoir au moins un

Figure 1

Évolution de l’indice synthétique de fécondité, Canada et Québec, 1946-1991

Note : Les données jusqu’en 1986 excluent Terre-Neuve.Source : Statistique Canada, 1946-1981 : catalogue n

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82-553 ; 1986-1996 : catalogue n

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84-214.

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1946 1951 1956 1961 1966 1971 1976 1981 1986 1991 1996

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qui influe sur la probabilité de recevoir de l’aide de sources formelles. Or,en 1991, au moins huit femmes sur dix nées au cours de la première moitiédu baby-boom (1947 à 1956) avaient donné naissance à au moins unenfant. La diminution de l’indice synthétique de fécondité pour ces géné-rations s’explique d’abord par la baisse marquée de la proportion de femmesayant au moins trois enfants (Statistique Canada, 1998).

Cette baisse nedevrait avoir que peu d’incidence sur l’utilisation des sources formelles demaintien à domicile. Elle signifie cependant que l’aide devra être fourniepar un réseau informel restreint, ce qui pourrait entraîner une augmenta-tion du fardeau des aidants naturels.

Carrière et ses collaborateurs sou-lignent que leur étude ne portait pas sur l’efficacité de l’aide reçue et que,par conséquent, pour les personnes dont le réseau informel est plus res-treint, il pourrait également exister une probabilité supérieure que leursbesoins ne soient pas comblés. De plus, leur étude excluait les personnesvivant en institution et pouvait ainsi exclure les personnes âgées qui ontdû recourir à l’institutionnalisation faute de soutiens informels adéquats.

Bien que la baisse de la fécondité ait un effet sur l’étendue du réseauinformel, il n’est pas certain que les conséquences sur l’utilisation desservices de maintien à domicile prodigués par le réseau formel serontimportantes. Il faudra peut-être s’intéresser à l’évolution de la proportionde personnes sans enfants plutôt qu’à l’indice synthétique de féconditépour bien évaluer l’effet de la baisse de la fécondité sur la demande detels services.

2.2. L’

ÉTAT

MATRIMONIAL

L’analyse des tendances observées depuis 1966 concernant l’état matrimo-nial montre des changements importants qui pourraient avoir un effet surles ressources nécessaires en maintien à domicile dans le futur. Par exemple,la hausse du taux de prévalence du divorce et l’émergence des famillesrecomposées auront sans doute un impact sur la relation parents-enfants(Bornat

et al.,

1999 ; Bulcroft et Bulcroft, 1991 ; Parrott et Bengston, 1999 ;Peters-Davis, Moss et Pruchno, 1999 ; Wu et Pollard, 1998).

La figure 2 montre l’ampleur de la croissance du divorce au Canada.Bien que la proportion de personnes divorcées soit relativement faiblechez les 75 ans et plus, elle croît à chaque recensement depuis 1971. Parexemple, chez les 75-79 ans, la proportion de divorcés est passée de 0,6 %en 1971 à 3 % en 1996. La figure 2 laisse présager une augmentation decette proportion au cours des prochaines décennies. On note en effet qu’àchaque nouveau recensement l’âge où la proportion de divorcés est laplus forte tend à augmenter. En 1976, les 40-44 ans montraient la plusforte proportion de divorcés (3,1 %), alors qu’en 1996 c’était chez les

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50-54 ans que la proportion était la plus élevée (9,6 %). Il est importantde souligner ici que ces proportions tendent à sous-estimer le phénomènedu divorce, puisque les personnes divorcées dont il est question ne vivaientavec aucun conjoint au moment du recensement. Toutefois, plusieurs per-sonnes divorcées vivaient avec un conjoint et étaient alors considéréescomme vivant en union libre. Des données sur l’état matrimonial légalmontreraient une proportion sensiblement plus élevée de divorcés.

Des études ont montré comment le divorce pouvait affecter la rela-tion d’aidant, particulièrement chez les hommes âgés qui, pendant desannées, ont eu peu de contacts avec leurs enfants (Cooney et Uhlenberg,1990 ; De Jong Gierveld et Dykstra, 1997 ; Uhlenberg, 1994). Pour projeterla demande future de services formels destinés à la population âgée enperte d’autonomie, on devra considérer ces transformations qui ontchangé la nature des liens familiaux. On pourra sans doute observerl’apparition dans les sociétés canadienne et québécoise d’un nouveau typede structure de soutien informel. La structure familiale actuelle comprenddavantage de personnes auxquelles on peut demander des soins à la

Figure 2

Proportion d’individus divorcés à chaque âge à différents recensements, Canada, 1951-1996

Source : Recensements du Canada.

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dernière minute. L’accroissement des divorces, la cohabitation et la per-sistance de familles traditionnelles ont contribué à cette multiplication derelations de parenté et du nombre d’aidants naturels potentiels. Baum etPage (1991) prétendent que les responsabilités et liens familiaux s’affai-blissent avec l’expansion de la structure familiale, réduisant ainsi la capa-cité de cette structure à fonctionner comme un véritable système d’aidantsnaturels. Ils soutiennent que l’augmentation des divorces et l’animositéqui leur est associée peuvent conduire à une désintégration des liens entreles membres de la famille. Bien qu’il y ait désaccord dans la littérature surles structures informelles de soutien, les chercheurs s’entendent sur lanécessité d’une redéfinition du concept de famille.

Il n’y a pas que l’état de divorcé qui peut avoir un effet sur la com-position du réseau informel. Bien que certaines tendances liées à l’étatmatrimonial pointent dans la direction d’une croissance des besoins dansle réseau formel, d’autres tendances vont dans la direction inverse. Lesfigures 3a et 3b indiquent effectivement que la proportion de célibataires

Figure 3a

Distribution des femmes âgées de 65 ans et plus selon l’état matrimonial, Canada et Québec, 1966-1996

Source : Recensements du Canada.

60

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chez les 65 ans et plus a diminué à chaque recensement depuis 1966, saufchez les femmes âgées au Québec pour la période 1966-1976. Il n’endemeure pas moins que des différences significatives existent entre lessexes. Alors qu’en 1996 trois hommes sur quatre âgés de 65 ans et plussont mariés, seulement quatre femmes sur dix le sont. Entre 1966 et 1996la proportion de veufs a chuté, passant d’environ 20 % à 13 % chez leshommes, alors qu’elle se situe à plus de 45 % chez les femmes. Si l’espé-rance de vie des hommes continue toutefois à croître plus rapidementque celle des femmes, comme c’est le cas depuis un certain nombred’années, il est possible de croire que la proportion de veuves âgées de65 ans et plus puisse chuter au cours des prochaines décennies. En termesrelatifs, cette tendance pourrait amoindrir la pression sur le réseau desoutien formel.

Figure 3b

Distribution des hommes âgés de 65 ans et plus selon l’état matrimonial, Canada et Québec, 1966-1996

Source : Recensements du Canada.

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2.3. LES MODES DE VIE

Parmi les caractéristiques sociodémographiques qui pourraient avoir unimpact important sur la demande de services provenant du réseau de sou-tien formel, on doit aussi souligner l’évolution des modes de vie des per-sonnes âgées. Par exemple, vivre seul est un facteur fortement associé àl’utilisation des services du réseau formel (Carrière et al., 2002 ; Martel etLégaré, 2000). Signalons d’abord que la très grande majorité des per-sonnes âgées vivent en ménage privé. La proportion de celles qui viventen institution varie entre 6 % et 8 % selon les provinces canadiennes. Parailleurs, parmi les personnes âgées vivant en ménage privé, la proportionde celles qui vivent seules a augmenté pendant la période 1981-1996, par-ticulièrement chez les femmes âgées de 75 ans et plus (figures 4a et 4b).On note que la proportion de personnes seules croît avec l’âge et que d’unrecensement à l’autre cette proportion augmente. Lorsque l’on regarde latendance chez les 55-64 ans, on constate que celle que l’on observe chezles 65 ans et plus se poursuivra fort probablement au cours des prochainesannées. À cet égard, la tendance au Québec sera vraisemblablement plusmarquée que dans le reste du Canada.

Figure 4aProportion de femmes en ménages privés vivant seules, selon le groupe d’âge, Canada et Québec, 1986-1996

Source : Recensements du Canada.

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On trouve des différences importantes parmi les hommes et parmiles femmes ainsi qu’entre les sexes. Par rapport aux hommes du mêmeâge, qui le plus souvent vivent avec des personnes apparentées ou non, lesfemmes des trois groupes d’âges sont proportionnellement plus nombreusesà vivre seules, un effet du veuvage plus fréquent chez les femmes. Commele montre la figure 4a, une forte proportion de femmes âgées de 65 ansou plus vivent seules, au Canada comme au Québec. C’est, aujourd’hui,plus de la moitié des femmes âgées de 75 ans ou plus qui vivent seules ;une augmentation qui a été encore plus marquée au Québec. Bien que,par rapport aux femmes, la proportion d’hommes âgés vivant seuls soitbien plus faible, elle s’est accrue de façon marquée pendant la périodeconsidérée. Le nombre croissant de personnes âgées vivant seules etsouffrant de maladies chroniques risque de constituer un défi pour lesprogrammes de maintien à domicile dans le futur.

L’étendue et la composition du réseau informel sont en grande par-tie liées aux tendances démographiques (Himes, 1992). On peut diffi-cilement planifier l’établissement d’un réseau de soutien formel quipourra répondre aux besoins d’une population vieillissante en ignorantces tendances. Nous avons souligné ici les effets de la fécondité, de l’état

Figure 4bProportion d’hommes en ménages privés vivant seuls, selon le groupe d’âge, Canada et Québec, 1986-1996

Source : Recensements du Canada.

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matrimonial et des modes de vie. Dans chacun des cas, les tendancesindiquent que l’étendue et la composition du réseau informel connaîtrontde profondes transformations au cours des prochaines décennies. Leréseau informel sera de toute évidence plus restreint et composé davan-tage de collatéraux (frères et sœurs surtout) et d’ami(e)s. Cette transfor-mation aura des effets sur le type d’aide apportée aux personnes en perted’autonomie, puisque les attentes et le sentiment d’obligation seront sansdoute différents de ceux associés à une relation entre conjoints ou entreparent et enfant. Le réseau informel étant le principal pilier de la poli-tique de maintien à domicile actuelle, il est évident que sa transformationau fil du temps aura des conséquences importantes sur l’utilisation duréseau de soutien formel.

D’autres facteurs démographiques sont aussi à considérer. Parexemple, la hausse de l’espérance de vie fera en sorte qu’il sera de plusen plus fréquent pour les deux membres d’un couple de voir leurs deuxparents atteindre l’âge de 80 ans. D’un côté, le réseau informel sera deplus en plus réduit, alors que de l’autre les besoins pourraient aller enaugmentant. Toutefois, avant d’apporter une réponse définitive à cetteproblématique, on devra mieux comprendre le lien entre l’espérance devie et l’espérance de vie en bonne santé. Si les années ajoutées se viventen bonne santé, les implications pour les réseaux formel et informelseront beaucoup plus nuancées que si les gains sur la mort ne se traduisentque par une augmentation des années en perte d’autonomie.

3. LA PARTICIPATION DES FEMMES AU MARCHÉ DU TRAVAIL

Il ne suffit pas d’essayer de mesurer l’étendue et la composition du réseauinformel. La présence d’un membre de la famille n’assure pas nécessaire-ment la disponibilité de cette personne comme aidant naturel. Si deschangements dans les comportements démographiques viennent modifierla composition du réseau informel, d’autres tendances peuvent influer surla disponibilité des membres de ce réseau. La présente section jette unbref regard sur l’une de ces tendances : la participation des femmes aumarché du travail.

Précédemment, nous avons souligné certaines tendances dans lescomportements démographiques qui auront pour conséquence deréduire les possibilités d’intervention émanant du réseau informel. Il nes’agit toujours là que d’un réseau potentiel, puisque ce ne sont pas toutesles personnes du réseau informel qui jouent le rôle d’aidant naturel(Keating et al., 1994). On sait par ailleurs que, parmi les individus qui

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composent ce réseau, l’aidant principal est dans la majorité des cas unefemme – conjointe ou fille de la personne en perte d’autonomie. Malgréles changements dans les comportements démographiques, certains pour-raient avancer que l’étendue du réseau « potentiel » influera peu surl’implication du réseau « actif ». On peut appuyer un tel argument enavançant que, tant qu’il y aura un conjoint ou une fille présente, l’aideinformelle est hautement probable. Bien que cette affirmation soit relati-vement solide dans le cas où la conjointe est à la retraite, l’hypothèse peutparaître douteuse dans le cas où les membres du réseau informel sont surle marché du travail. La figure 5 montre bien que cette dernière éventua-lité sera de plus en plus fréquente au cours des prochaines années, surtoutchez les femmes de 50 ans et plus. Le bassin d’aidantes naturelles ne vapas que rétrécir ; la disponibilité des femmes qui en font partie est appeléeà être réduite en raison des changements dans les comportements àl’égard du marché du travail (Cantor, 1992 ; Doty, Jackson et Crown, 1998 ;Gee, 1990 ; Rosenthal, 1997).

Bien que les taux d’activité des femmes aient commencé à augmen-ter avant que les générations du baby-boom franchissent l’âge d’accéderau marché du travail, ce sont les femmes qui ont le plus modifié le profil

Figure 5Taux d’activité des femmes selon l’âge et la génération

Source : Statistique Canada, données de l’enquête sur la population active.

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des courbes des taux d’activité (figure 5). En fait, l’arrivée des dernièrescohortes du baby-boom (1957-1966) a complètement effacé la baisse destaux qui marquait jadis l’ensemble des générations lorsqu’elles attei-gnaient le groupe des 20-34 ans. Cette chute temporaire est maintenantdisparue et l’évolution des taux d’activité par génération semble indiquerque, même parmi les 50-54 ans, les taux d’activité se situeront entre 70 %et 80 %. Il y a dix ans, ce taux atteignait à peine 55 %. D’ailleurs, lestendances observées à la figure 5 montrent que le taux d’activité desfemmes sera de moins en moins dépendant de la génération à laquellecelles-ci appartiennent. Le taux d’activité sera relativement constantautour de 80 % (contre environ 90 % chez les hommes) jusqu’à l’âge de50 ans, pour chuter graduellement par la suite au moment de la retraite.

En ce qui a trait à l’éventualité d’une retraite anticipée pour prodi-guer des soins à un membre de la famille en perte d’autonomie, on peutfaire l’hypothèse suivante : si les femmes ont aujourd’hui beaucoup moinstendance à quitter le marché du travail pour s’occuper à plein temps deleurs jeunes enfants, elles ne vont sans doute pas quitter leur emploi pourdevenir les aidantes naturelles d’un conjoint ou de parents âgés en perted’autonomie. Loin d’être interprété comme un désengagement de la partde ces générations, il s’agit d’abord et avant tout de remettre en questionle rôle de la famille dans la prestation des soins à domicile et de revoirl’équité entre les sexes à cet égard.

Planifier les ressources nécessaires pour répondre aux besoins futursen maintien à domicile sera un exercice futile si l’on ne tient pas comptede l’ensemble des tendances sociodémographiques. Compter essentielle-ment sur le réseau informel pour donner ces soins est de moins en moinsréaliste considérant le vieillissement de la population, les changementsdans la structure familiale et le rôle que jouent maintenant les femmessur le marché du travail.

4. LES DÉFIS POLITIQUESAu Canada, il n’existe aucune politique fédérale à l’égard des aidants natu-rels qui s’occupent d’un parent âgé ; toutes les politiques qui régissent lesprogrammes de maintien à domicile sont du ressort des gouvernementsprovinciaux. Les services offerts par le réseau formel d’aide aux aînés vivantdans la communauté sont fournis par l’entremise de programmes de main-tien à domicile financés par le gouvernement ou par des entreprises pri-vées. Des programmes de maintien à domicile financés publiquementexistent dans chaque province et territoire du Canada et leurs dépenses sesont accrues de plus de 100 % au cours des sept dernières années (Santé

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Canada, 1998). Avec les pressions croissantes pour transférer les soins desinstitutions à la communauté, comme moyen de réduire les coûts, l’indus-trie du maintien à domicile vit des changements systémiques considérables,dont la privatisation accrue de la prestation de soins, l’augmentation de laconcurrence et la croissance d’organismes imposants et parfois complexes(Close et al., 1994). L’industrie subit également une restructuration dutravail sous la forme d’un nombre croissant de travailleurs à contrat ou àtemps partiel et une médicalisation accrue des services de maintien à domicile(Close et al., 1994 ; Keefe, 1999).

Un élément crucial du maintien à domicile est la présence d’unemain-d’œuvre compétente pour fournir les services au patient. Cette main-d’œuvre est souvent décrite comme ayant peu de formation, des bas salaires,peu d’avantages sociaux et peu d’encadrement. La disponibilité de cestravailleurs décroît aux États-Unis et la possibilité d’une pénurie de per-sonnel menace également le Canada. Au Canada, l’ampleur de la crise dupersonnel de maintien à domicile varie d’une province à l’autre. On ajusqu’ici porté peu d’attention aux travailleurs canadiens du maintien àdomicile, et aucune recherche ne s’est penchée sur l’impact que les chan-gements dans la disponibilité du réseau familial auront sur le besoin enservices fournis par le réseau formel.

La question du genre sexuel est une variable contextuelle impor-tante dans la discussion des enjeux liés à la main-d’œuvre du maintien àdomicile, y compris les aidants naturels. La majorité de ces travailleurs,professionnels et non professionnels, sont des femmes. Les faibles salaireset les avantages sociaux limités qui caractérisent leur emploi s’inscriventdans le contexte général des emplois féminins sous-payés, et plus particu-lièrement dans la sous-valorisation du travail accompli dans la sphèredomestique (Baines, Evans et Neysmith, 1991).

Bornstein (1994) soutient que les difficultés de définir une politiquede maintien à domicile vont au-delà des problèmes fiscaux associés au faitque l’on s’attend à ce que les femmes prodiguent des soins non rémuné-rés, ou sous-rémunérés. Selon lui, le problème central réside plutôt dansla place que notre société accorde aux aînés et la responsabilisation desgouvernements face à la prestation de soins adéquats.

Le défi du maintien à domicile, qu’il soit lié aux personnes âgées enperte d’autonomie ou à des séjours à l’hôpital de plus en plus écourtés,est sans doute l’un des plus importants que devra relever le système desanté. Une politique de maintien à domicile ne pourra longtemps survivresur le dos du réseau de soutien informel sans avoir de conséquencesimportantes sur les femmes qui composent l’essentiel de ce réseau appeléà devenir de plus en plus restreint. Le marché du travail a connu une

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expansion sans précédent avec l’arrivée des baby-boomers jumelée à l’entréemassive des femmes sur le marché du travail à partir des années 1960. Lemarché du travail est ainsi devenu beaucoup mieux partagé entre hommeset femmes. Le soutien informel n’a pas connu la même progression versl’équité entre les sexes. Pour qu’une politique de maintien à domicileatteigne son but de réduire les coûts du système de santé, on devra d’unepart investir les sommes publiques nécessaires, investissement qui enbonne partie devrait se traduire par un transfert de sommes déjà existantesdans le réseau de la santé ; d’autre part, la charge assumée par le réseauinformel devra être mieux partagée entre hommes et femmes. Dans lecontexte sociodémographique actuel, les politiques liées au maintien àdomicile laissent plutôt entrevoir un système où les plus favorisés aurontrecours au secteur privé, alors que les plus démunis se verront contraintsà quitter le marché du travail pour prodiguer des soins de plus en plusspécialisés. C’est non seulement la qualité de vie des personnes en perted’autonomie qui pourrait en être affectée, mais aussi celle des femmespoussées à prendre une retraite prématurée.

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Université du Québec à Chicoutimi et Centre de recherche interuniversitaire sur l’éducation et la vie au travail

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Dans le contexte socioéconomique actuel, les expressions « coupure depostes », « réduction des heures de travail », « mises à pied massives »,« chirurgies d’un jour » et « soutien à domicile » ne sont que quelquesexemples, devenus langage courant, des enjeux et conséquences des com-pressions budgétaires dans le domaine de la santé. Le désinvestissementprogressif de l’État en matière de santé au Québec, amorcé avec le mouve-ment de désinstitutionnalisation des patients psychiatriques il y a quelquesannées, poursuit sa course avec le virage ambulatoire et bouleverse plu-sieurs sphères de vie des citoyens (Conseil du statut de la femme, 1999).Notamment, des changements dans l’environnement et le contexte detravail sont imposés au personnel des milieux sociosanitaires. Les réamé-nagements du système de soins de santé, les chirurgies d’un jour et l’alour-dissement de la charge de travail non seulement perturbent la prestationdes soins de la part des travailleurs, mais altèrent également la qualité dessoins reçus de tous les usagers. Le transfert des responsabilités des hôpitauxvers les centres locaux de services communautaires et autres organismes,et plus fortement même vers le domicile du bénéficiaire, fait en sorte queles aidants naturels

1

de personnes malades ou en perte d’autonomie ensubissent également les contrecoups (David

et al.

, 1999). Cette récentevolonté de maintenir les personnes dépendantes dans les milieux commu-nautaires, et plus précisément dans leur environnement naturel, dissimuleune réalité importante : la communauté, dans les faits, se limite générale-ment aux familles, lesquelles se réduisent bien souvent aux femmes(Guberman, Maheu et Maillé, 1994). En ce sens, les transformationsvécues ces dernières années dans le milieu de la santé et des servicessociaux ont continué à creuser l’écart entre les sexes. D’ailleurs, le Conseildu statut de la femme (1999) relevait récemment les conséquences néga-tives du virage ambulatoire, qui risquent d’affecter particulièrement lesfemmes

2

à la fois comme travailleuses, aidantes naturelles et usagères desservices de santé.

Les impacts du virage ambulatoire sont difficiles à dissocier des effetsinhérents à tous les changements démographiques, économiques etsociaux actuels. L’accroissement de la proportion de femmes sur le marchédu travail, la recrudescence des couples à double carrière ou à doublerevenu, l’augmentation du nombre de familles monoparentales et la dimi-nution de la pérennité des emplois sont tous des facteurs ayant contribué

1. Nous employons le terme « naturel » malgré les malaises qu’il soulève en laissant sous-entendre qu’il est naturel que les aidants prennent en charge les soins aux personnesatteintes de troubles mentaux ou en perte d’autonomie.

2. Puisque le virage ambulatoire risque d’affecter principalement les femmes, nous utili-serons les termes « travailleuses », « aidantes » et « usagères » tout au long du texte afind’en alléger la lecture.

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à faire ressortir l’importance de considérer le lien entre le travail et la viefamiliale (Dompierre et Comeau, 1998 ; Van Der Klaauw, 1996). La conci-liation des demandes issues de ces deux sphères de vie constitue déjà undéfi de taille pour la majorité des personnes occupant un emploi rémunéré(Kossek, Noe et DeMarr, 1999). Le manque de temps et de ressources desparents sur le marché du travail, notamment des mères, complique souventla gestion des responsabilités professionnelles et familiales (Conseil de lafamille et de l’enfance, 1999 ; Descarries

et al.

, 1995a, 1995b ; Guérin

et al.

,1994). On peut facilement supposer que le virage ambulatoire contribueà réduire l’accessibilité aux ressources et à accentuer la somme des respon-sabilités des familles, et particulièrement celles des femmes.

Les remous provoqués par le virage ambulatoire peuvent toucher lavie des femmes non seulement comme travailleuses, mais également à titred’aidantes naturelles ou d’usagères. En effet, le virage est à l’origine de laprise en charge des personnes malades ou en perte d’autonomie par desaidants naturels et de nombreuses études indiquent que ce sont principa-lement les femmes qui assument ce rôle (Conseil du statut de la femme,1999 ; Hoffmann et Mitchell, 1998 ; Lavoie, Lévesque et Jutras, 1995). Deplus, dans son transfert de responsabilité des soins à la famille et auxfemmes, l’État considère ces acteurs comme des ressources plutôt quecomme des partenaires (Lavoie

et al.

, 1998 ; Conseil du statut de la femme,1999). À l’heure actuelle, les recherches n’ont pas évalué spécifiquementles conséquences de l’ajout de ces nouvelles responsabilités. Cependant,le travail rémunéré des femmes, les changements dans la cellule familialeet le vieillissement de la population rendent ce nouveau rôle potentielle-ment incompatible avec les autres. Il devient donc possible de déduirecertaines répercussions du virage ambulatoire sur ce rôle additionnel(Conseil du statut de la femme, 1999).

Les effets du virage ambulatoire se font également ressentir surl’expérience des bénéficiaires des services de santé, puisque les ressourcessont actuellement dirigées vers les besoins médicaux immédiats plutôt quevers la prévention et la promotion de la santé.

Selon le Conseil du statutde la femme (1999), ce sont les usagères qui risquent d’en subir les con-séquences les plus adverses, car leur espérance de vie est plus élevée, ellessont moins en santé, utilisent davantage ces services, sont souvent pluspauvres et plus laissées à elles-mêmes. De plus, à la sortie rapide deshôpitaux et à la convalescence à domicile s’ajoutent les difficultés deprendre en charge les tâches quotidiennes et les soins aux enfants.

Considérant l’ensemble des bouleversements engendrés par le virageambulatoire et les exigences inhérentes à la conciliation travail-famille, lesderniers changements vécus en matière de santé peuvent-ils être vuscomme des sources de contraintes additionnelles à la gestion des rôles

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multiples pour les femmes en tant que travailleuses, aidantes naturelles etusagères ? Avant de répondre à cette question, un examen théorique destypes de relations entre le travail et la famille est indispensable.

1. LES TYPES DE RELATIONS ENTRE LE TRAVAIL ET LA VIE FAMILIALE

Plusieurs conceptions ont été suggérées pour expliquer la relation entrele travail et la vie familiale : la segmentation, l’instrumentalisme, la com-pensation, l’accommodation, le conflit, le débordement et la transmission(Barnett, 1999 ; Lambert, 1990 ; Westman et Vinokur, 1998 ; Zedeck etMosier, 1990).

Selon la notion de

segmentation,

la vie professionnelle et la vie familialesont deux sphères mutuellement exclusives ou indépendantes. D’après lestenants de cette conception, la difficulté à préserver le travail des interfé-rences de la vie familiale refléterait l’incapacité d’une personne à établirses priorités (Barnett, 1999). Cependant, pour plusieurs, la segmentationne serait pas un processus qui s’effectuerait de façon naturelle ; elle seraitplutôt utilisée en réponse au stress vécu dans le milieu de travail (Hall,Stevens et Meleis, 1992 ; Parasuraman, Greenhaus et Granrose, 1992).

L’

instrumentalisme

conçoit que l’individu qui choisit de se consacrerprincipalement à une sphère de vie utilise l’autre comme un moyen luipermettant de parvenir à ses fins. Ainsi, par le revenu qu’il procure, letravail rémunéré peut devenir un instrument pour la personne qui décided’investir davantage dans sa vie familiale. De même, les bénéfices résultantde la vie familiale peuvent servir à développer ou à maintenir une vieprofessionnelle satisfaisante (Evans et Bartolomé, 1984).

Les deux prochaines conceptions sont apparentées par le fait qu’ellesimposent un caractère limité au degré d’implication de la personne dansl’une ou l’autre des sphères de sa vie. Selon la notion de

compensation,

unetravailleuse qui est insatisfaite au travail ou dans sa vie familiale aura ten-dance à limiter sa participation dans le domaine à l’origine de son insatis-faction et tendra à rechercher un plus grand contentement dans l’autredomaine en s’y investissant davantage (Evans et Bartolomé, 1984 ; Lambert,1990 ; Zedeck et Mosier, 1990). Cela expliquerait en partie pourquoi cer-taines travailleuses deviennent plus engagées dans la sphère profession-nelle lorsqu’elles vivent des difficultés familiales. Par exemple, en réactionaux nombreuses tensions vécues dans les soins prodigués à un proche, uneaidante naturelle pourrait choisir de demeurer sur le marché du travail demanière à s’accorder, d’une certaine façon, quelques moments de répit. À

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l’inverse, le processus qui sous-tend la notion d’

accommodation

laisse croireque s’engager plus à fond dans une sphère de vie en réponse à ses demandeset exigences nécessite ou entraîne une diminution de la participation dansl’autre (Lambert, 1990). Par exemple, une aidante naturelle pourraitréduire ses heures de travail dans le but de procurer davantage d’assistanceà une personne qui a besoin de soutien. En somme, puisque la fin viséepar ces deux approches est similaire, ce sont les moyens pris pour y parvenirqui diffèrent.

La notion de

conflit

renvoie à l’hypothèse du déficit, qui rappelle quela somme de temps et d’énergie dont dispose l’individu n’est pas illimitéeet que chaque activité dans laquelle il s’engage en requiert une certainepart (Goode, 1960). L’implication contiguë dans plusieurs rôles de viepeut conduire à des conflits interrôles, notamment lorsque l’horaire oules comportements à adopter deviennent incompatibles (Greenhaus etBeutell, 1985 ; Marks, 1977). Selon le Conseil de la famille et de l’enfance(1999), les récentes transformations vécues dans les milieux professionnelset à l’intérieur de la cellule familiale ont eu pour conséquence de multi-plier les occasions de conflits entre ces deux sphères de vie. Malgré l’inté-rêt croissant pour l’étude de la conciliation travail-famille, rares sont lesrecherches qui ont abordé le problème sous l’angle du conflit entre letravail et les divers rôles familiaux, malgré le fait que les attentes et lescomportements associés à chacun de ceux-ci puissent différer (Aryee,1992). En contraste avec le concept de conflit, la multiplicité des rôles neproduit pas forcément des conséquences psychologiques négatives (Burkeet Greenglass, 1987). Le cumul des rôles peut également mener à l’épa-nouissement et au développement personnels (Bujold

et al.

, 1996 ; Carrieret Roskies, 1993). D’après l’hypothèse de cause sociale (influence des rôlessur la santé), les personnes occupant plusieurs rôles ont l’occasion d’expri-mer leurs habiletés, de développer leurs aptitudes, d’avoir accès à unréseau de soutien et à des ressources pouvant les aider à maintenir leursanté physique. Selon l’hypothèse de sélection (influence de la santé surles rôles), les personnes ayant des problèmes de santé réduisent vraisem-blablement leurs activités, car elles sont habituellement incapables des’engager dans plusieurs rôles sociaux à la fois (Adelmann

et al.

, 1990 ;Elstad, 1995).

Les dernières conceptions, « débordement » et « transmission », fontréférence à des conditions à l’intérieur desquelles le stress peut se propager(Bolger

et al.

, 1989). Ces conceptions permettent d’accroîtr

e

la compré-hension dynamique de la complexité des rôles multiples. D’une part,

le

débordement

se concentre sur la façon dont une personne vit le stress àtravers ses divers domaines d’implication. Selon cette conception, unetravailleuse peut rentrer à la maison avec des émotions, des attitudes,

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des habiletés et des comportements établis au travail ou vice versa. Quoiquele débordement puisse se révéler positif lors d’événements heureux, lesrecherches illustrent habituellement les effets négatifs du travail sur lafamille (Burke et Greenglass, 1987). D’autre part, lorsque le stress d’unindividu s’étend plutôt à ses proches, il est question du phénomène de

transmission

. Ce processus se produit lorsque le stress vécu par l’individudans l’une de ses sphères de vie affecte directement ou indirectement despersonnes de son entourage immédiat, telles que ses collègues, son conjointet ses enfants (Lambert, 1990). Les recherches sur le phénomène de trans-mission sont limitées et se sont principalement attardées à l’impact du stressvécu par l’homme au travail sur sa conjointe (Jones et Fletcher, 1993 ;Westman et Etzion, 1995 ; Westman et Vinokur, 1998).

Ces différentes conceptions expliquant la relation entre le travail etla vie familiale ont souvent été considérées comme des théories antago-nistes. Les tentatives pour résoudre le débat et définir un modèle uniquesont futiles, puisque des données empiriques indiquent que ces processuspeuvent se produire simultanément (Lambert, 1990). De plus, la relationentre le travail et la famille peut varier dans le temps et selon les circons-tances (Evans et Bartolomé, 1984). L’accent devrait donc être mis sur lacompréhension des facteurs sociaux et psychologiques (p. ex. situationconjugale, stade de vie ou de carrière, cycle familial) en lien avec cesdifférentes conceptions (Burke et Greenglass, 1987). Lambert (1990) sug-gère d’identifier l’effet de ces processus sur le bien-être de l’individu auxplans physique, familial et organisationnel dans le but de déterminer sicertains d’entre eux sont plus influents que d’autres. Enfin, plusieursauteurs soulignent l’importance d’approfondir les différences entre leshommes et les femmes dans l’étude des conflits interrôles (Macewen etBarling, 1994 ; O’Driscoll, Ilgen et Hildreth, 1992).

2. LES IMPACTS DU VIRAGE AMBULATOIRE SUR LES TRAVAILLEUSES

Il est nécessaire de considérer les effets du virage ambulatoire sur lesfemmes à titre de travailleuses, puisque les trois quarts du personnel de lasanté et des services sociaux sont des femmes. Toutefois, peu de recherchesont traité spécifiquement de cette question. Les propos actuels relèventd’organisations syndicales ou professionnelles et peuvent être teintésd’intérêts corporatistes. Il devient, par conséquent, pratiquement impos-sible de dégager les effets du virage ambulatoire de ceux des autres enjeuxsociaux actuels (Conseil du statut de la femme, 1999).

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Malgré l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, laresponsabilité première des travaux domestiques et des tâches parentalessemble encore relever principalement du domaine féminin (DeMaris etLongmore, 1996 ; Fouad et Tinsley, 1997). Puisque leur participation ausein de la population active implique l’ajout d’un nouveau rôle plutôt quesa substitution aux responsabilités familiales, la majorité des recherchesayant porté sur l’interface travail-famille concernent la notion de conflit.À partir des principaux constats dégagés de ces études, il est possibled’envisager que les conséquences du virage ambulatoire sur l’organisationdu travail amplifient les conflits travail-famille des travailleuses dudomaine de la santé.

De nombreuses études démontrent les effets négatifs des conflitstravail-famille sur le bien-être. Plus spécifiquement, des liens sont observésentre ces effets et plusieurs composantes de la qualité de vie. Il s’agit, entreautres, de la satisfaction au travail, de la satisfaction et de l’ajustementmaritaux, de la cohésion et de la satisfaction familiales, de l’efficacité duréseau de soutien social, de la satisfaction de vie ainsi que de la santéphysique et mentale (Ahmad, 1996 ; Matthews, Conger et Wickrama, 1996 ;Thomas et Ganster, 1995).

L’ampleur des conflits travail-famille vécus par le personnel hospita-lier dépend, entre autres, des caractéristiques du travail et de l’environne-ment de travail (St-Onge

et al.

, 1994). Sans contredit, le virage ambulatoirea donné lieu à une importante dégradation des conditions de travail. L’undes principaux résultats de la réorganisation de l’emploi dans le domainede la santé consiste en l’augmentation de la charge de travail en milieuhospitalier (Conseil du statut de la femme, 1999). Les mises à la retraiteont eu pour effet de réduire le personnel et de priver les milieux d’uneexpertise, tandis que le transfert du personnel vers les CLSC a entraînéune désorganisation des équipes de travail en place. Les hospitalisationsde courte durée ont fait que la lourdeur des cas a augmenté, car lespersonnes séjournant à l’hôpital sont celles qui présentent, du moins enprincipe, des besoins plus grands. Le transfert des soins à domicile a faitapparaître des difficultés entourant le respect des procédures sécuritaires,les risques d’accidents de travail, l’isolement et la manifestation de com-portements violents à l’endroit du personnel. En plus, la charge de travailqui incombe aux travailleuses augmente, les cas s’alourdissent, les tâcheset les rôles deviennent plus ambigus et l’organisation de l’horaire se com-plexifie. Il y a également un danger que le virage contribue à la diminu-tion de la pérennité des emplois du fait du remplacement des emplois dusecteur public par des emplois temporaires ou moins rémunérés. Lesfemmes sont particulièrement vulnérables devant ces nouvelles politiquesd’emploi, car elles ont généralement moins d’ancienneté et occupent

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davantage des postes à temps partiel (Stoltz-Loike, 1995). Non seulementces changements compliquent l’organisation quotidienne de la garde desenfants, mais ils font également en sorte que les mères n’ont plus accès àdes mesures comme les congés de maternité et les congés parentaux payés.L’ensemble de ces facteurs n’est pas sans conséquences sur le stress et surla santé mentale des travailleuses ainsi que sur la qualité de la prestationdes soins.

En somme, il devient facile d’extrapoler les conséquences que levirage a pu avoir sur l’émergence et sur l’ampleur des conflits travail-familleétant donné ses impacts sur les conditions et l’environnement de travail.Malgré l’ensemble des difficultés vécues par le personnel du réseau de lasanté et des services sociaux, il faut tout de même noter que, pour plusieurs,le virage a permis une plus grande autonomie et a offert la possibilité derelever de nouveaux défis (Conseil du statut de la femme, 1999).

3. LES IMPACTS DU VIRAGE AMBULATOIRE SUR LES AIDANTES NATURELLES

Le rôle d’aidant naturel a toujours existé et a traditionnellement relevédu travail des femmes. Mais depuis l’arrivée du virage ambulatoire lesfemmes se voient de plus en plus contraintes à exercer ce rôle. Puisquela population vieillit et que les personnes dépendantes choisissent davan-tage d’être traitées à domicile, le nombre de personnes occupant le rôled’aidantes est en pleine croissance (Gourde, 1998). Actuellement, unadulte sur cinq, au mitan de la vie, est susceptible de prodiguer des soinsà une personne en perte d’autonomie et de devoir faire face aux deman-des et aux responsabilités découlant de ce rôle, en plus de celles issues dela famille et du travail (Marks, 1998). En outre, les changements clairsdans la participation des femmes au marché du travail chez les plus jeunesn’apparaissent pas altérer leur participation aux soins. Au contraire, cesfemmes deviennent des aidantes au même titre que leurs aïeules, peuimporte leur statut d’emploi (Moen, Robison et Fields, 1994).

Les données sur la prise en charge des malades par les familles,notamment avec le virage ambulatoire, et plus particulièrement par lesfemmes de la « génération sandwich

3

», permettent d’envisager les mul-tiples obstacles gênant l’implication au travail de nombreuses aidantesainsi que les impacts majeurs sur leur santé physique, psychologique et

3. L’expression « génération sandwich » utilisée ici fait référence à la génération des adul-tes ayant à la fois des enfants et des parents dépendants à leur charge, souvent en plusd’occuper un emploi.

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sociale. En effet, la prise en charge par la famille d’un parent âgé ou d’unproche atteint de troubles mentaux ou d’un handicap physique constitueun lourd fardeau, une source de stress et d’épuisement, et même unepériode de crise (Baumgarten

et al.

, 1994 ; Lavoie

et al.

, 1995 ; Schulz

etal.

, 1995 ; Marks, 1998). Les conséquences sont nombreuses et touchentnon seulement le bien-être et la santé de l’aidante, mais également sa viefamiliale et sa situation économique.

Les multiples tâches de l’aidante requièrent une disponibilité presqueconstante. Ce sont les aidantes qui prodiguent les soins directement liésà la maladie, comme administrer les médicaments et traitements divers,et même donner des injections, et ceux relatifs aux soins quotidiens, telsque nourrir, vêtir, faire la toilette. Bref, il ne s’agit plus d’assumer seule-ment un rôle d’aidante ; on demande à ces personnes de poser des actesprofessionnels pour lesquels elles ne sont pas nécessairement formées.Cela constitue une source de stress supplémentaire, car dans certains casla survie du malade peut dépendre des soins offerts. De plus, les aidantesse chargent habituellement de l’entretien ménager et, pour celles qui ontdes enfants, des soins quotidiens et de l’éducation. Avec cette surchargede tâches, plusieurs d’entre elles se voient contraintes à réorganiser leurtravail salarié, à abandonner leur emploi ou à se retirer temporairementdu marché du travail (Moen, Robison et Dempster-McClain, 1995). Deplus, sous le poids de l’ensemble des tâches, la qualité des soins donnéspeut se dégrader.

Quelles raisons poussent les femmes à s’impliquer principalementdans le rôle d’aidantes en plus des autres rôles qu’elles occupent et àaccepter le fardeau qui en découle ? Les femmes sont les dispensatricesdes soins à la famille. Les différences de genre dans la socialisation, lafaçon de s’impliquer dans le rôle de parent, l’importance vouée au corpset à la santé et la valeur accordée au travail sont tous des facteurs quipeuvent expliquer que les femmes se retrouvent les aidantes naturelles depremier ordre. L’explication du phénomène peut également résider dansle fait qu’elles développent un attachement plus profond et des liensémotionnels plus intenses avec l’aidé. Ainsi, elles peuvent se sentir concer-nées et plus inquiètes du sort de la personne à charge que les hommes(Penning, 1998). Leur grande implication fait d’elles les personnes les pluslourdement affectées par les rôles multiples. Les femmes ont moins accèsau soutien matériel et émotionnel extérieur et s’engagent plus intensé-ment dans les soins. Elles peuvent également considérer l’aide comme lereflet de leur valeur personnelle et accorder moins de temps à leursbesoins et à leurs autres réalisations sociales (Penning, 1998).

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Ces nouvelles responsabilités ne sont pas nécessairement compatiblesavec la réalité du travail salarié. Ces femmes, qui deviennent des aidantessouvent sans formation, assument également plusieurs autres rôles, telsceux de mère, de conjointe, de travailleuse. Il n’est pas étonnant de cons-tater que la gestion des rôles multiples peut représenter une source impor-tante de stress pour la personne engagée, voire une source de conflitsinterrôles. Actuellement, il existe plusieurs études sur le fardeau de cesaidantes naturelles, alors que bien peu portent sur l’impact de ce rôle encontiguïté avec les autres. Quelques recherches, cependant, portent sur lesconflits entre les rôles d’aidante et de travailleuse (Marks, 1998).

Diverses caractéristiques de l’aidante ou encore les facteurs relatifsaux rôles adoptés influencent le degré de tension associé à la gestion deplusieurs rôles sociaux. Par exemple, l’âge de l’aidante, son niveau descolarité, sa santé émotionnelle, son lien avec la personne nécessitant dusoutien, la présence d’enfants, la présence d’un conjoint ou d’un parte-naire de soutien, la sévérité de l’atteinte de la personne soignée, la durée,la quantité et l’exigence des soins prodigués, le fait d’habiter la mêmerésidence que la personne à charge sont autant de variables ayant uneinfluence sur le fardeau des aidantes engagées dans des rôles multiples.De plus, le type d’emploi occupé, la flexibilité de l’horaire, les exigenceset responsabilités associées à ce rôle, la présence de ressources sociales,de même que le pouvoir décisionnel fourni par l’emploi lui-même, sontdes sources de tensions supplémentaires pour les unes, des sources d’unsentiment de maîtrise et de satisfaction pour les autres.

Le rôle d’aidante naturelle, pour une travailleuse, est souvent associéà une exacerbation des conflits travail-famille, à la détérioration du bien-être, à une prédisposition accrue aux problèmes de santé physique, à destensions financières et à de la détresse émotionnelle (Fredriksen et Scharlach,1999 ; Marks, 1998). Les aidantes qui occupent un emploi doivent consa-crer une partie de leurs congés, de leur temps de repos ou de leurs loisirspersonnels à la prise en charge des soins de leur proche (Association despraticiens de service social en milieu de santé du Québec, 1996). L’épui-sement, le manque de concentration et la dégradation de la qualité dutravail sont des interférences possibles du rôle d’aidante sur l’emploi desfemmes. De même, le travail influence les soins par un manque de tempset d’attention dans les tâches (Stephens, Franks et Atienza, 1997). Occu-per un emploi exigeant réduit le temps et l’énergie disponibles (Fredriksenet Scharlach, 1997). Prendre soin d’une personne en perte d’autonomieengendre plus d’exigences liées aux soins et peut entraîner une plusgrande dégradation personnelle (Fredriksen et Scharlach, 1999 ; Stephenset Townsend, 1997). Il est bien connu que le fardeau des aidantes aug-mente avec la gravité de la maladie et que les familles assument souvent

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des soins pour une longue période de temps en raison de la durée de lamaladie (Acton et Miller, 1996 ; Buffum et Brod, 1998). Les conflits inter-rôles, les absences partielles du travail et les tensions psychologiques seprédisent par le degré d’implication physique et psychologique dans lessoins (Barling

et al.

, 1994). Les conflits travail-famille provoquent particu-lièrement une grande détresse psychologique chez les aidantes naturellesde conjoints (Marks, 1998).

Cependant, pour pallier les conflits interrôles, les aidantes naturellesadoptent plusieurs stratégies. En général, les femmes vont préférer délais-ser leur travail plutôt que les soins. Les absences constituent un méca-nisme socialement adaptatif aux demandes de l’environnement (Barling

et al.

, 1994). Les études démontrent que les femmes s’accommodentdavantage, c’est-à-dire qu’elles limitent leur participation au travail pourrépondre aux autres demandes : elles peuvent réduire le nombre d’heuresde travail rémunérées, prendre des congés sans traitement ou même quit-ter leur poste (Jenkins, 1997 ; Fredriksen et Scharlach, 1997). Les aidantesqui laissent leur emploi vivent plus de tensions en raison de la perte deressources matérielles et personnelles disponibles au travail, et elles ontelles-mêmes besoin de soutien (Barnes

et al.

, 1995). Selon Penning (1998),les aidantes qui vont jusqu’à abandonner leur emploi pour donner dessoins sont tout de même peu nombreuses.

Allant à l’encontre de ce qui est stipulé jusqu’à présent, certainsaspects du rôle d’aidante peuvent constituer des sources de satisfaction etêtre associés à des humeurs et à des émotions positives (Lauzon

et al.

, 1998 ;Stephens, Franks et Townsend, 1994). Selon Marks (1998), les effets néga-tifs de la prise en charge sont éliminés lorsque les aidantes parviennent àconcilier leur travail et leur vie familiale. Pour Penning (1998), les aidantesqui cumulent le rôle de travailleuse et celui de mère démontrent unemeilleure santé émotionnelle. De même, les femmes en meilleure santéémotionnelle sont plus susceptibles de vivre des expériences positives àtravers la conciliation de multiples rôles. Un emploi gratifiant permet habi-tuellement d’atténuer les effets du stress lié aux soins et aux conflits avecles enfants et peut protéger la santé émotionnelle des aidantes (Stephens

et al.

, 1997). Le travail, plus souvent que les autres rôles, peut fournir àl’aidante des ressources favorisant l’estime de soi et un sentiment de maî-trise (Christensen, Stephens et Townsend, 1998), souvent érodés par lestress des soins (Stephens

et al.

, 1997). Selon Stephens et ses collaborateurs(1994), la satisfaction des femmes à l’égard de la vie et leur bien-être résultentde l’accumulation de gratifications et du sentiment de maîtrise tiré de cesdifférents rôles. Les femmes avec des niveaux plus élevés de maîtrise dansle rôle d’aidante sont habituellement moins dépressives et plus satisfaitesde leur vie (Christensen et al., 1998). Les aidantes qui travaillent, et qui

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ont un partenaire, ont aussi une plus grande satisfaction de vie (Murphyet al., 1997). De même, les femmes les plus scolarisées sont les mieux pré-parées à retirer des bénéfices de l’aide informelle (Moen et al., 1995).

La présence et la disponibilité de ressources formelles (p. ex. assis-tance physique, aide aux repas ou aux tâches ménagères, soutien psycho-logique et économique) de la part des organismes publics et du lieu detravail peuvent diminuer l’ampleur du fardeau ressenti par les aidantesnaturelles. Selon certains, ces ressources extérieures contribuent à réduireles tensions émanant du travail et des soins (Fredriksen et Scharlach,1999 ; Kramer et Kipnis, 1995) et améliorent généralement les habiletésdes aidantes dans la gestion des responsabilités du travail et de la famille(Fredriksen et Scharlach, 1997 ; 1999). De plus, un meilleur soutien de lapart des partenaires, des enfants plus âgés, des frères et sœurs ou autresmembres de la famille étendue peut réduire le fardeau des soins offertspar l’aidante naturelle et procurer un répit à celles dont la vie est large-ment centrée sur ce rôle (Murphy et al., 1997). Ces ressources peuventpermettre aux aidantes de conserver leur emploi en même temps qu’ellesassument les responsabilités des soins (Barnes et al., 1995). Malgré lesservices mis en place pour atténuer les conséquences négatives du stressinhérent au rôle d’aidante, on ne constate guère l’efficacité des servicesde répit et des groupes de soutien ou psychoéducatif (Montgomery, 1995 ;Winslow, 1997).

4. LES IMPACTS DU VIRAGE AMBULATOIRE SUR LES USAGÈRES

Qu’on les nomme patientes, usagères, bénéficiaires ou clientes, les femmesqui reçoivent des soins, tout comme les hommes, sont touchées par leseffets du virage ambulatoire, et ce, à plusieurs égards. Par exemple, l’insa-tisfaction à l’égard de la qualité des soins reçus, le sentiment d’êtreretourné trop hâtivement au domicile, y compris l’insécurité et les risquespour la santé, la nécessité de trouver un proche pour la prise en chargede soins à caractère plus ou moins professionnel sont autant de consé-quences provoquées par les nouvelles réformes en matière de santé (Con-seil du statut de la femme, 1999). Les nouvelles politiques connaissent déjàdes difficultés diverses, comme le fait que des malades quittent l’hôpitaldans un état de santé fragile. Des patientes doivent céder leur lit à d’autresmalades sous des pressions plus ou moins grandes et elles reçoivent leurcongé de l’hôpital sans que les proches soient nécessairement prévenusou préparés à apporter les soins nécessaires. De plus, elles manquent desoutien filial, d’aide médicale ainsi que d’informations concernant les

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soins et les ressources communautaires. Enfin, pour ne nommer que cesconséquences, la situation familiale, notamment la présence de jeunesenfants, n’est pas toujours prise en compte avant le retour en milieunaturel (Côté et al., 1998).

Quoique l’espérance de vie des femmes soit supérieure à celle deshommes, il n’en demeure pas moins qu’elles vivent les dernières annéesde leur vie en moins bonne santé et consomment davantage de soins desanté. Comme elles sont les pourvoyeuses naturelles des soins à la familleet aux proches, qu’elles remplissent traditionnellement les multiplestâches domestiques et qu’il n’est pas dans leur habitude de demander dessoins pour elles-mêmes, lorsqu’elles deviennent les patientes elles viventune plus grande désorganisation (Conseil du statut de la femme, 1999).Elles risquent alors de subir plus directement certains contrecoups deschangements induits par le virage ambulatoire.

Chez plusieurs usagères, les conditions de vie, qu’elles soient d’ordreéconomique, psychologique ou social, ne permettent pas toujours unretour rapide au domicile. La précocité du retour à la maison à la suited’une hospitalisation contribue à créer fatigue, épuisement et difficultésd’organisation de la vie quotidienne, familiale et professionnelle. De plus,pour les femmes qui travaillent et qui sont chefs de famille monoparen-tale, cette situation peut se révéler des plus complexes. Elles ont à veillerseules sur la famille et sur les tâches domestiques, en plus de devoir com-poser avec les exigences du travail. Bien entendu, les bénéficiaires de soinsqui occupent un emploi ont généralement droit à un congé de maladieleur permettant de se remettre sur pied. Les chirurgies et les soins médi-caux étant plus perfectionnés, les traitements sont habituellement demoins longue durée. Cela comporte l’avantage, pour celles qui sont sou-tenues, de pouvoir vivre leur convalescence dans leur environnementnaturel. Cependant, pour celles que l’on renvoie prématurément au domi-cile, plusieurs facteurs, comme des complications, le fait d’être seules oula fatigue, prolongent le temps nécessaire à leur rétablissement. Commela durée d’un congé de maladie n’est pas nécessairement adaptée auxbesoins ni suffisante à la guérison complète, les patientes peuvent êtreforcées de prendre un congé sans solde. Cette situation peut donc entraî-ner une baisse de revenu, une insécurité psychologique et des difficultéssur le plan de la réintégration au travail. Les risques pour la santé physiqueet psychologique de ces femmes s’accroissent si le retour au travail estforcé en raison de difficultés financières.

Par sa mission d’éducation et de prise en charge individuelle, levirage peut avoir des effets positifs sur la vie des usagères des services desanté, notamment parce qu’il incite à une plus grande autonomie et à unsentiment de contrôle et de maîtrise accru sur sa vie. Toutefois, ces effets

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bénéfiques sont bien minimes en regard de la fréquence des erreurs, descomplications entraînant insécurité et risques pour la santé et du senti-ment de dépendance croissant et non apprécié de la personne maladeenvers son entourage.

CONCLUSIONÀ une période où la plupart des femmes doivent composer avec de mul-tiples rôles, l’étude du stress que ce mode de vie engendre revêt uneimportance particulière. Développer une meilleure compréhension desconflits travail-famille s’avère crucial en raison des multiples conséquencesde ceux-ci pour l’individu, la famille et la collectivité (Conseil canadiende développement social, 1999 ; Hammer, Allen et Grigsby, 1997). C’estseulement quand on parvient à comprendre la nature dynamique desconflits interrôles ainsi que les divers déterminants et conséquences quileur sont associés que l’on est en mesure de choisir, avec un certain niveaude confiance, des stratégies appropriées pour y faire face. Le ciblage destratégies permettant de concilier les rôles multiples est particulièrementimportant et pertinent, puisque le contexte actuel ne risque guère dechanger. Quelques études soulignent d’ailleurs les effets bénéfiques liés àl’accomplissement de plusieurs rôles (Hong et Seltzer, 1995). En plus demettre l’accent sur les ressources destinées à augmenter la résistance per-sonnelle au stress (p. ex. hardiesse, soutien social), des actions préventivesdevraient conduire à modifier l’organisation du travail afin d’en améliorerles conditions, à légiférer pour mieux prendre soin des enfants et despersonnes à charge âgées et à équilibrer les responsabilités familiales parun changement social. Toutefois, il apparaît essentiel de ne pas remplacerla rigidité des rôles sexuels traditionnels par une structure tout aussi rigidedes rôles égalitaires. La lenteur à accepter en pratique la notion d’égalitéentre les sexes à l’égard des opportunités professionnelles a eu pourconséquence que les parents ne partagent pas également les demandesvenant de la maison et de la famille. Les responsabilités familiales sontorganisées autour de la mère, peu importe son statut d’emploi (Kushnir,Malkinson et Kasan, 1996). Comme la plupart des femmes sont fières detravailler et retirent de la gratification du travail familial, le partage desresponsabilités familiales n’est généralement pas perçu comme injuste ouparticulièrement coûteux. Les femmes perçoivent que leur mari contribuemoins aux travaux domestiques intérieurs, mais davantage dans d’autresdomaines (p. ex. gros travaux domestiques surtout extérieurs, revenu supé-rieur, soins apportés aux enfants).

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Les recherches traitant du lien entre le travail et la vie familiale sefont au sein de plusieurs disciplines. Malgré l’ensemble des efforts investis,les progrès sont plutôt minces (Barnett, 1998). Cela peut s’expliquer parl’absence d’un modèle conceptuel intégrant les paradigmes des diversesdisciplines. De plus, les auteurs persistent à étudier les sphères séparémentou ils se situent presque exclusivement dans la perspective du travailleur.Il importe de bâtir des modèles qui intègrent les besoins et les responsa-bilités des divers rôles afin de tracer un portrait plus représentatif de laréalité (Barnett, 1998 ; Burke et Greenglass, 1987). Aux limites sur le planthéorique s’ajoutent une série de biais méthodologiques.

Les travaux sur la théorie des rôles ont surtout envisagé les consé-quences des rôles multiples sur la santé des femmes et se sont principale-ment attardés aux effets négatifs (Adelmann, 1994 ; Barnett, 1998). Bienque plusieurs études aient examiné leurs conséquences sur la santé deshommes, la majorité portent uniquement sur les femmes, combinent lesdeux sexes ou ne procèdent qu’à quelques comparaisons fragmentairesentre les hommes et les femmes.

Ces dernières années, la perspective développementale de l’interfacetravail-famille a suscité beaucoup d’intérêt (Lambert, 1990 ; Swanson,1992). Plutôt que d’adopter une analyse statique, cette approche proposeune analyse longitudinale des liens entre ces deux sphères de vie. Puisquele modèle du développement adulte des hommes et des femmes diffèreet que les demandes issues de la vie familiale et de la carrière fluctuentselon le stade de développement d’une personne, les liens entre ces deuxsphères sont susceptibles de différer en fonction du stade de vie (Chi-Ching, 1995). Des auteurs ont étudié les variations dans les conflits travail-famille sur une base quotidienne (Larson, Richards et Perry-Jenkins, 1994 ;Macewen, Barling et Kelloway, 1992 ; Williams et Alliger, 1994). Il est faciled’imaginer à quel point l’incompatibilité entre les demandes d’un rôle etcelles d’un autre peuvent varier quotidiennement (p. ex. enfant malade)(Macewen et Barling, 1994). Cette approche méthodologique offre l’avan-tage d’étudier le processus dynamique de l’organisation travail-familleplutôt que son état statique (Williams et Alliger, 1994).

Plusieurs ressources peuvent protéger les individus des effets négatifsdes stresseurs ou des conflits travail-famille. Dans l’étude des ressources,il ne faudrait surtout pas oublier qu’en raison des effets modérateurs larelation stress-maladie peut exister seulement parmi certains groupesd’individus (Zapf, Dormann et Frese, 1996), par exemple chez ceux quiont des niveaux insuffisants de stratégies d’adaptation, de hardiesse ou desoutien social (Cohen et Wills, 1985 ; D’Arcy et Siddique, 1984 ; Krause,1995 ; Macewen et Barling, 1988 ; Maddi et Kobasa, 1984). Selon Kahn etByosiere (1992), les recherches n’ont pas suffisamment considéré les

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facteurs qui peuvent servir de modérateurs ou d’antidote aux stresseursainsi qu’à leurs effets. De plus, l’étude des individus a bien souvent signifiél’isolement de variables spécifiques avec très peu d’attention portée à lafaçon dont ces variables interagissent pour refléter le vécu de l’individu(London et Greller, 1991).

Enfin, la majorité des études sur le stress se heurtent à des problèmesméthodologiques. Un devis fort commun consiste à utiliser des question-naires autoadministrés pour recueillir de l’information concernant la per-ception des individus sur les conditions organisationnelles et les réponsesindividuelles (Arsenault et Dolan, 1983). Une telle approche, parl’absence de mesures objectives du stress, rend difficile la compréhensionde la relation stress-maladie. L’insertion de mesures objectives du stress,de nature physiologique ou comportementale, pourrait se révéler fort per-tinente dans les recherches futures. Le recours à plusieurs types de mesures(p. ex. questionnaire, mesure physiologique) et à diverses sources d’infor-mation (p. ex. individu, conjoint, employeur, dossier médical) au momentde la collecte des données constitue un avantage indéniable.

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PA

RT

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2

LES ENJEUX SUR LE TERRAIN

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CH

AP

IT

RE

4

L’IMPACT DU VIRAGE AMBULATOIRE SUR LES PROFESSIONNELLES DE LA SANTÉ EN PRÉCARITÉ D’EMPLOI

G

UILHÈME

P

ÉRODEAU

Département de psychoéducation et de psychologieUniversité du Québec en Outaouais

S

YLVIE

P

AQUETTE

Statistique Canada

L

ORRAINE

B

RISSETTE

CLSC Pierrefonds

C

HANTAL

S

T

-P

IERRE

Université du Québec en Outaouais

D

IANE

B

ERNIER

Université de Montréal

A

NDRÉ

D

UQUETTE

Université de Montréal

* Cette étude a été subventionnée par le Conseil de recherche ensciences humaines du Canada, subvention stratégique Femmes etchangement n

o

816-96-0013. Nous remercions par ailleurs Mme LiseCaron, assistante de recherche associée au projet, pour son travail decoordination de l’étude.

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L’IMPACT DU VIRAGE AMBULATOIRE SUR LES PROFESSIONNELLES DE LA SANTÉ

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1. L’ÉTAT DE LA SITUATION

1.1. L

A

TRANSFORMATION

DU

RÉSEAU

Une onde de choc a secoué le réseau de la santé et des services sociauxquébécois au milieu des années 1990. Il s’agit du

virage ambulatoire

, dontle but avoué était de « dispenser des soins et des services plus près desmilieux de vie des personnes, en évitant ou en écourtant les hospitalisa-tions dans les cas de chirurgie ou de maladie » (Conseil du statut de lafemme, 1999). Comme ce mouvement, apparu dans la foulée de la

désins-titutionnalisation

,

est fortement imbriqué dans la restructuration globaledu réseau, il est difficile de départager les influences des diverses trans-formations qui ont eu lieu à ce jour. Ces réformes, rappelons-le, ont étéopérées sur un arrière-fond de compressions budgétaires, de déficit zéroet de mise à la retraite anticipée (Conseil du statut de la femme, 1999).

À ce jour, peu d’études ont examiné les effets du virage sur lestravailleurs et travailleuses dans le milieu de la santé. La raison en est lanouveauté du phénomène ainsi que la difficulté de le cerner avec exacti-tude (Conseil du statut de la femme, 1999). Il est donc plus simple deparler de restructuration du réseau de façon

globale.

Bourbonnais et sescollègues (1998) ont ainsi mené un sondage téléphonique, en 1997,auprès de 2 006 infirmières occupant des postes permanents à temps com-plet ou à temps partiel dans la région de Québec.

Comment vivaient-ellesla

restructuration des services ?

Plutôt mal, semble-t-il.

Parmi les répon-dantes, pas moins de 41 % souffraient d’un

niveau de détresse psycholo-gique élevé, comparativement à seulement 28 % en 1994 et à 32 % en 1995d’échantillons comparables interrogés par la même chercheure peu avantla restructuration (Bourbonnais

et al

., 1997).

L’auteure note que le tauxde détresse psychologique des infirmières dans la période de prérestruc-turation se compare à celui observé chez des travailleuses québécoises(31 %) selon les données Santé Québec 1992-1993 (Santé Québec, 1995).

À peu près à la même époque, une recherche menée sous l’égidede l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFÉAS) (Côté

et al

., 1998) s’intéressait, entre autres, aux effets du virage sur les profes-sionnelles de la santé. Les auteurs constatent que les grandes perdantesdans le système sont les travailleuses occasionnelles sur la liste de rappel,c’est-à-dire un groupe vivant la précarité d’emploi.

Cette catégorie detravailleuses, au nombre grandissant, est relativement peu étudiée.

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1.2. L

A

PRÉCARITÉ

D

EMPLOI

ET

LES

INFIRMIÈRES

AU

Q

UÉBEC

Les postes à temps partiel occasionnel (TPO), c’est-à-dire sur liste derappel et à statut

précaire, ont augmenté au cours des dernières annéesau détriment des postes permanents. Selon les statistiques de l’Ordre desinfirmières et infirmiers du Québec, le nombre d’infirmières sur liste derappel a pratiquement doublé,

passant de 5 455 membres en 1994 à 9 754membres en 1999 (soit

de 8,5 % à 16,4 % de l’effectif total) (OIIQ, 1994,1999)

1

. Par comparaison, et toujours selon les données de l’OIIQ, 46,8 %des infirmières ont déclaré occuper un poste à temps plein en 1998, cequi représente une diminution totale de 5,2 % en quatre ans (OIIQ,1998).

La proportion d’infirmières qui exercent la profession à tempspartiel a également diminué, passant de 36,7 % en 1993-1994 à 32,5 % en1997-1998 (OIIQ, 1998).

Tremblay (1995)

considère comme précaire « un emploi dont ladurée dans le temps est incertaine ou limitée (travail occasionnel ou tem-poraire), dont le statut n’est pas défini ou ne donne aucun droit (à desavantages sociaux, des régimes de retraite ou au simple maintien del’emploi) ». Cette description correspond parfaitement à la situation desinfirmières TPO. Prévost (1997) démontre que, sur le plan personnel, laprécarité d’emploi entraîne plusieurs conséquences négatives chez lestravailleurs : elle provoque de l’insécurité, de la pauvreté, du stress, desproblèmes de santé.

1.3. L

A

PRÉSENTE

ÉTUDE

Le présent travail rapporte les résultats du deuxième volet d’une étudeportant sur des femmes professionnelles en précarité d’emploi

(Bernier

et al.

, soumis ; Pérodeau

et al.

, sous presse).

Cette étude visait à approfondirl’impact du stress au travail et dans la famille ainsi que l’interface famille-travail sur l’adaptation sociale et la santé des travailleuses.

L’objectif dudeuxième volet était d’approfondir les résultats de la première partie del’étude afin d’en tirer un portrait plus intimiste.

Une perspective initiale, de type quantitatif, avait été obtenue grâceà l’envoi de questionnaires autoadministrés (

n

= 3 527) à une populationplus large regroupant des infirmières inscrites à l’Ordre des infirmières etinfirmiers du Québec et répondant à des

critères précis, soit avoir un statutd’emploi « occasionnel », être francophone, de sexe féminin, avoir 64 ansou moins et résider dans l’une des régions suivantes : Montréal-Laval,

1. L’année 1999 a vu l’émergence d’un fort mouvement de revendication, y compris unegrève illégale, de la part des infirmières du Québec. L’un des résultats a été la promessefaite par le gouvernement d’ouvrir plus de postes permanents (Paré, 1999).

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Québec, Mauricie–Bois-Francs et Chaudière-Appalaches.

À l’occasion decet envoi, les répondantes étaient invitées à participer au deuxième voletde l’étude.

Dans l’enveloppe se trouvaient non seulement le question-naire, mais également une lettre d’invitation à participer à un groupe dediscussion et deux enveloppes-réponses affranchies de type «correspon-dance-réponse d’affaires » ; l’une pour le questionnaire (retour anonyme),l’autre pour la participation aux groupes de discussion. Dans cettedeuxième enveloppe, les volontaires donnaient

leurs coordonnées afinque l’on puisse communiquer avec elles ultérieurement. Les documentsétaient accompagnés d’une lettre de présentation des chercheurs poursusciter la participation et donner l’assurance du caractère anonyme etentièrement volontaire des réponses. Il y avait également une lettred’appui de l’OIIQ. Par ailleurs, les participantes aux groupes de discussionse faisaient offrir un guide-résumé de la recherche de 14 pages. Ce guide(Pérodeau et al., 1999) leur fut envoyé par la poste à la fin de l’étude.

Pour participer à ce volet de l’enquête, les répondantes devaientavoir des dépendants à leur charge, c’est-à-dire des enfants ou un adulteen perte d’autonomie dont l’état requiert de l’aide. C’est donc à partird’un sous-groupe d’infirmières ayant d’abord répondu au questionnairecorrespondant au volet quantitatif et satisfaisant nos critères (n = 1 435)que nous avons formé le présent échantillon de 48 infirmières. Au total,huit groupes de discussion ont eu lieu dans quatre régions différentes duQuébec : trois groupes de discussion ont été formés dans la région deQuébec, deux réunions de groupe se sont tenues à Montréal, de mêmeque dans la région Mauricie–Bois-Francs, et une seule dans la régionChaudière-Appalaches.

En ce qui concerne la détermination du nombre de groupes, nousavons suivi le principe de saturation, c’est-à-dire que nous avons effectuéles entrevues aussi longtemps que celles-ci ont apporté des données nou-velles sur le sujet (Miles et Huberman, 1994). De plus, le nombre depersonnes à l’intérieur de chaque groupe de notre enquête variait dequatre à huit participantes.

1.4. DESCRIPTION DE L’ÉCHANTILLON

Le tableau de la page suivante présente les statistiques descriptives con-cernant les variables sociodémographiques des 48 infirmières « sur appel »ayant participé aux réunions de groupes. Les deux tiers (62,6 %) desrépondantes avaient 36 ans ou plus ; plus des trois quarts (77,1 %) étaientmariées ou vivaient en union libre. Étant donné la maturité du groupe iln’est pas étonnant de constater que plus des trois quarts des répondantes(78,7 %) ont cinq ans ou plus d’expérience à titre d’infirmières, en fait

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

Répartition des répondantes des groupes de discussion selon leurs caractéristiques socioéconomiques (n = 48)

Variables sociodémographiques Fréquences (%)*Pourcentage

cumulatif

Âge< 26 ans26 à 35 ans36 à 45 ans> 45 ans

31521

9

6,331,343,818,8

63881

100

État civilConjoint de fait ou mariée

conjoint avec travailconjoint sans travail

CélibataireSéparée, divorcée ou veuve

3736

138

77,197,3

2,76,3

16,7

7797

10083

100

Année(s) d’expérience à titre d’infirmière< 5 ans5 à 10 ans11 à 15 ans> 15 ans(manquant : 1)

1015

616

21,331,912,834,0

215366

100

FormationDiplôme d’infirmièreBaccalauréatMaîtrise

2817

3

58,335,4

6,3

5894

100

Nombre d’emplois rémunérés0 emploi1 emploi2 emplois et plus

12621

2,154,243,8

256

100

Heures de travail par semaine< 8 heures8 à 15 heures16 à 23 heures24 à 31 heures32 à 39 heures40 heures et plus(manquant : 3)

779

1273

15,615,620,026,715,6

6,7

1631517894

100

Employeur(s) (une personne peut avoir plus d’un employeur)CLSCCHCHSLDAgence privéeAutre

1723

85

12

26,235,412,3

7,718,5

27627482

100

Revenu annuel brut du ménagemoins de 20 000 $entre 20 000 $ et 29 999 $entre 30 000 $ et 39 999 $40 000 $ et plus

42

1032

8,34,2

20,866,7

81334

100

* Les pourcentages n’incluent pas les données manquantes (manquant).

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presque la moitié (46,8 %) ont plus de dix ans d’expérience. Sur le planprofessionnel, il s’agit donc d’un groupe fort expérimenté. Par ailleurs,même si la majorité des participantes (58,3 %) possèdent un diplômed’études collégiales (DEC) en sciences infirmières, il faut noter que 35,4 %sont titulaires d’un baccalauréat et que 6,3 % ont fait une maîtrise. Alorsque la majorité des répondantes (54,2 %) ont un seul emploi rémunéré,43,8 % occupent deux emplois ou plus. En outre, seules 22,3 % des infir-mières consultées travaillent 32 heures ou plus par semaine2. Le centrehospitalier constitue l’employeur principal des infirmières interrogéesavec 35,4 % des participants, suivi du CLSC qui en compte 26,2 %, tandisque 11,8 % sont au service du CHSLD et que 7,7 % travaillent pour uneagence privée. Enfin, l’ensemble des participantes aux groupes de discus-sion vivent en situation de précarité occupationnelle et le sixième (12,5 %)affirment posséder un revenu annuel brut de moins de 30 000 $. Précisonsque les conjoints des participantes occupaient tous un emploi, sauf un,alors sans travail.

2. LE VIRAGE AMBULATOIRE ET SES CONSÉQUENCES

2.1. LE REDÉPLOIEMENT DE LA MAIN-D’ŒUVRE ET SES MULTIPLES CONSÉQUENCES

Parmi les mesures du virage ambulatoire, le redéploiement de la main-d’œuvre est celle qui semble avoir le plus affecté les TPO. Si au départ cethème n’était pas prioritaire dans notre recherche, il est vite devenu incon-tournable. En effet, la réaffectation du personnel hospitalier a entraînéun important transfert d’infirmières vers les CLSC :

Nous autres, au CLSC, depuis le virage ambulatoire, ils ont ouvert despostes, sauf que ça été des infirmières qui les ont eus. En étant là, j’envoulais pas à la fille, mais au système complet. C’est le redéploiement desressources. C’est une autre frustration que l’on vit.

Plusieurs infirmières ont été reléguées en fin de liste de rappel,même après avoir travaillé pour le même établissement pendant denombreuses années :

Douze ans, j’ai travaillé au CLSC. J’ai fait mon bac. J’ai brûlé de l’énergie,et là, avec la réorganisation du réseau, des postes sont donnés aux

2. Ces statistiques ont probablement changé au cours des années suivantes, puisque selonun article du journal Le Devoir (Truffaut, 1999) entre 1998 et 1999 les infirmières surrappel avaient travaillé en heures supplémentaires l’équivalent de 800 employés à tempsplein.

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infirmières d’hôpital. J’ai rien contre les infirmières d’hôpital. Pas du tout,sauf que, les postes sont transférés ou sont donnés à des infirmières parceque l’hôpital a fermé.

Des infirmières d’un autre établissement viennent parfois occuperun poste longtemps convoité par les TPO. Ces dernières ont souventpeu d’ancienneté, ce qui diminue leurs chances d’embauche lorsqu’ellesdoivent entrer en concurrence avec des infirmières venant de l’extérieur :

Quand il va y avoir un affichage de poste, ce sera le monde de Québec quiviendra chez nous. Donc, cela veut dire que moi, qui étais sur le bordd’avoir un poste, je viens tout juste de le perdre car je n’ai pas assezd’ancienneté. Après mon congé de maternité, il y en a une de Québec quiest venue chez nous et je me suis fait tasser dans le coin. Je n’ai pas hâtede retourner au travail, car je ne sais pas de quelle façon je vais agir aveccette personne.

Un moment donné, il y a eu des postes d’affichés. Ils sont allés chercherdes filles dans une autre région. Moi aussi, j’ai rien contre ces filles-là,parce que j’me mets à leur place.

Comme le montrent ces témoignages, les suppressions et supplanta-tions de postes engendrent de nombreuses frustrations chez les infirmières« sur appel » qui montrent une certaine hostilité envers les nouvelles arri-vantes. Bien que les participantes pointent du doigt les politiques de réformesen santé et non les infirmières qui ont été réaffectées dans leur établisse-ment, il reste que les rapports entre collègues demeurent difficiles etmême conflictuels durant un certain temps :

Je ne sais pas pour vous autres, mais moi j’ai remarqué une agressivitéenvers les filles qui étaient transférées chez nous avec des postes. Puis là,on se dit : « Aye ! On recule encore nous autres ! Ils ne peuvent pas resterchez eux ! » (rire). Mais ils ne vivent pas la situation agréablement, nonplus. Il faut se raisonner un peu. Mais au début, tu ne veux même pasleur parler.

Un sentiment de colère se mêle à une peine profonde chez cetteparticipante qui s’indigne devant la négation des besoins des TPO etl’acceptation de cette situation par ses collègues de travail :

Même mes compagnes de travail, la première assignation que j’ai perdue,j’étais en colère. Ils m’ont dit : « À quoi tu t’attendais ? » C’est comme sion n’avait pas le droit d’aimer ce que l’on fait. Puis, pourtant, on a ledroit d’aimer ce que l’on fait. Mais on n’a pas le droit d’avoir d’émotions.Faudrait jamais être touchée. Tu ne parles pas et tu te fais taire. Tu n’aspas le droit d’être malheureuse. Tu n’as pas le droit d’avoir de la peined’avoir perdu le remplacement. Je trouve que, continuellement, on se faitbrasser tout le temps comme ça.

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Ainsi, les processus de redéploiement et de réaffectation du person-nel affectent le climat de travail qui demeure tendu. Un sentiment d’insé-curité, d’inquiétude, lié à ces changements est ressenti au sein des équipesde travail qui ont été disloquées par les réaffectations. Les infirmièresinterrogées vivent dans l’angoisse, craignant de se voir supplantées parquelqu’un d’autre, d’être réaffectées ailleurs ou de perdre carrément leuremploi.

Une instabilité dans le milieu, des coupures. Je crois qu’il n’y a pas unepersonne qui a conservé son poste. Fermer un département, ouvrir uneclinique de jour. Le tout a été un bouleversement dans l’hôpital. Il n’y apas une personne qui n’a pas été touchée.

2.2. UNE TÂCHE DE PLUS EN PLUS LOURDE

Le marché du travail connaît une croissante intensification du rythme detravail et les travailleuses doivent s’adapter à une vitesse toujours plusélevée. En plus de vivre le stress et la pression causés par le redéploiementdes ressources, les TPO doivent composer avec une charge accrue detravail. La fermeture de centres hospitaliers entraîne une augmentationde la clientèle dans les autres unités de soins, lesquelles ont déjà fait l’objetd’une réduction de personnel. De plus, il faut noter un alourdissementde cette clientèle dans les établissements en raison du retour plus rapidedes patients à domicile. Bref, les besoins en soins s’intensifient sans qu’ily ait une augmentation correspondante des ressources pour répondre àla demande :

Nous autres à l’hôpital, on vit présentement un gros bouleversement. C’estle virage ambulatoire. Ils vont fermer le quatrième. Je travaille au troisième.Par exemple, vendredi, on avait 36 patients, puis samedi on en avait 50.

Ajoutons que, dans le contexte des restrictions budgétaires et desréformes, les employeurs peuvent profiter de cette période de suppres-sions pour exiger une surcharge de travail sans trop provoquer de fortescontestations de la part des travailleuses, ces dernières craignant de perdreleur emploi. La diminution du personnel entraîne un accroissement géné-ral de la cadence de travail pour les TPO qui ont l’impression qu’en touttemps leur propre poste, tout précaire soit-il, peut être supprimé. Ainsi,des infirmières « sur appel » sont forcées d’accepter une surcharge detravail. De plus, bien souvent, les tâches les plus lourdes et qui requièrentle moins de compétences sont assignées aux TPO :

Ils exigent énormément de nous. Nous autres, dans mon domaine, il fautpresque tu sois super performante ou bien, on se l’exige nous autres mêmes.On veut tellement garder notre job, tu comprends bien que l’on donne le

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maximum. Mais ceux qui sont là, à cinq jours par semaine, ils ne sefatiguent pas tant que ça. Ce qu’ils n’aiment pas faire des fois, bien ils lelaissent à nous autres.

La cadence élevée de travail est difficile à maintenir pour les TPOqui changent fréquemment de milieu de travail. Les TPO doivent s’adap-ter rapidement à des procédures, à une clientèle, à des équipes et à deslieux différents au cours d’une même semaine, ce qui constitue un défiépuisant pour les nouvelles infirmières :

Les filles qui sont bien expérimentées, ça prend 20 minutes [pour nourrirles patients]. Puis il faut que tu t’enfermes dans la pharmacie, la portebien fermée, pour ne pas être dérangée. Imagine les filles qui rentrent là,une fois par deux mois. Tu n’es pas encore prête, les soupers sont arrivéset on a juste 20 minutes pour les nourrir. Aye ! Minute là !

Les TPO sont sans cesse affectées à de nouvelles tâches et à denouvelles équipes. Les infirmières interrogées ont à vivre de nombreuxchangements de lieux de travail à l’intérieur d’une même semaine :

Tu ne sais jamais. Tu peux être cinq jours à travailler dans un centrehospitalier et à chaque fois, tu n’es pas sur le même département. Même sila veille tu étais au 4B et que ce soir ils ont besoin au 4B, tu n’es pas au4B. Ils ont décidé que ce soir tu seras au 4A puis demain tu vas au 2B,même s’ils ont besoin de quelqu’un au 4A. Tu connais tes patients à lafin de la soirée, puis le lendemain, tu changes de place même si demain ilavait besoin de toi. Mais, il n’était pas rendu à toi dans la liste.

En raison de l’alourdissement des tâches, plusieurs TPO disent souf-frir d’épuisement, tandis que la motivation au travail n’y est plus. Lesconditions de travail se révèlent si pénibles que certaines ont remis enquestion leur choix de carrière et que d’autres pensent quitter la profession :

Je suis fatiguée d’être à la merci des gens. Toujours être disponible aux gens.Alors, je suis en train d’y réfléchir. C’est sûr que j’ai 48 ans. J’ai quandmême fait beaucoup d’années dans le domaine. Je vais peut-être me réorienterdans quelque chose de plus paisible.

Justement cette semaine je pensais, est-ce que j’aime encore mon métier ? Suiteà cela, avec tout ce que l’on vit d’année en année. Quand je suis près dela clientèle, j’suis bien, j’suis heureuse. Mais quand j’ai le boss devant moiou quand j’pense au CLSC, je débarquerais, je m’en irais, je ne sais pasoù. Les frustrations qu’on vit, à un moment donné cela écœure. Tu te dishum… dans quoi je m’en irais. Tu te cherches une autre orientation.

Les TPO déplorent l’augmentation de tâches administratives audétriment des soins accordés aux malades. Ainsi, une infirmière interro-gée mentionne qu’elle doit consacrer davantage de temps à remplir les

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dossiers des patients, réduisant par le fait même sa disponibilité pourprendre soin d’eux :

On doit faire de la paperasse. Moi, ce que j’envisageais de la professioninfirmière, ce n’était pas de faire de la paperasse. C’étaient des soins auprèsdes personnes. J’ai l’impression d’en faire de moins en moins. D’être moinsprésente auprès des patients, car je suis prise à faire de la paperasse, quiest, je trouve, souvent inutile, car c’est seulement pour faire plaisir à ladirection. Le temps que je mets à le faire, c’est moins de temps pour lepatient.

Plusieurs infirmières interrogées poursuivent leurs tâches après la findes heures de travail ou ne prennent pas leur pause pour combler lasurcharge de travail :

Si tu donnes cinq minutes de plus à un, tu te ramasses dans l’autrechambre, puis t’as cinq minutes en moins. Tu te ramasses à la fin de ton« shift » puis tu es carrément débordée. Tu as fini d’être payée à 11 h 30.Tu travailles jusqu’à 11 h 45 pour finir ton ouvrage, parce que tu n’aspas fini et tu ne peux pas partir sans que ton ouvrage soit fini.

En fait, la disponibilité et les procédures d’appel ont été au cœurdes préoccupations et des critiques des infirmières « sur appel ». Ces der-nières souffrent particulièrement de devoir toujours être libres pour tra-vailler, d’accepter du travail à la dernière minute, d’avoir à travailler desportions de quart non contiguës et d’assumer dans la même semaine desquarts de jour, de soir et de nuit :

Moi, cette journée-là, où je travaillais et je n’avais pas eu de dîner. J’avaistravaillé six heures et j’étais payée moins cher. J’avais mal à la tête, j’étaisfatiguée, hum… trop fatiguée, trop épuisée. Moins payée, trop épuisée…T’es moins payée, t’es plus malade, puis hum… Quand j’ai des journéescomme ça là, c’est pas moi qui les choisis là. Ça se répète tout le temps. Çase présente de plus en plus, ces situations-là.

Ils ont mis des heures coupées, nous aussi au CLSC. En faisant rentrerpour quatre heures, ils sauvent au niveau des dîners, ces choses-là.

Soulignons par ailleurs que les infirmières interrogées s’inquiètentde la qualité des soins apportés aux patients étant donné la réduction dupersonnel qui est imposée. Avec l’alourdissement de la tâche, les infir-mières affirment que des erreurs se produisent en raison du rendementcontinuellement élevé qui est exigé :

Je te dis que ça va vite hein ! J’dis pas qu’il n’y a pas d’erreurs non plus.Pas des grosses erreurs, mais des petites affaires qui normalement devraientpas hum… des erreurs que l’on devrait pas faire.

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D’autres participantes constatent également une détérioration dessoins et manifestent un sentiment de frustration et d’impuissance face aumanque de ressources nécessaires pour suffire à la demande :

Vous savez, quand je suis rendue à vérifier trois fois, puis avoir mal à latête, c’est très dangereux pour le patient.

Ça a pas de sens, les coordonnatrices de l’hôpital nous disaient : « On n’apas de personnel aujourd’hui, pour assurer le service essentiel. » Mais quelleest la sécurité que l’on assure à nos patients quand l’on vit cette situation-là ?

En outre, le manque de ressources et la dégradation des conditionsde travail font obstacle à l’accomplissement de leur travail et au pleindéveloppement de leur savoir-faire :

Puis là bien, c’est le soin qu’on doit donner, puis on peut pas le donner cesoin-là, comme on le pense, comme on aime le donner. Ça prend unestabilité d’emploi pour pouvoir donner les soins comme il faut.

2.3. UN TRAVAIL PAS TOUJOURS RECONNU À SA JUSTE VALEUR

La profession d’infirmière exige de nombreuses compétences qui restentsouvent invisibles et, par conséquent, ne sont pas valorisées ni considérées.Dans plusieurs emplois typiquement féminins, les compétences sont con-sidérées comme étant innées et non acquises. Ainsi, les compétences desinfirmières restent trop souvent occultées et leurs savoirs banalisés sousprétexte qu’elles posséderaient les qualités « naturelles » à l’exercice de cetravail. Les TPO interrogées soutiennent que leur expérience et leurexpertise ne sont pas reconnues. Elles ont donc de la difficulté à fairevaloir leurs savoirs et à orienter certaines décisions :

Tu n’as aucune considération. T’es un « shift ». T’es une employée, unnuméro, c’est comme ça. Tu ne rentres pas dans le modèle, puis c’est tantpis. Il n’y a pas de reconnaissance.

Il en est de même pour ces participantes qui racontent que leurssuggestions ne sont pas prises en considération. Selon elles, il y a unmanque de respect à l’égard des idées exprimées par les TPO :

Toi, tu as le sentiment que tu n’as pas le droit de parole. Parce que letravail, c’est aux régulières.

Des fois, c’est difficile quand tu es TPO. Tu trouves que t’as une bonneidée, t’en parles. C’est de le faire passer aux régulières. Des fois, fairechanger seulement l’heure d’une sieste d’une patiente et puis de la laissercoucher une journée, parce que, cela en fait trop le soir. Juste cela, ne passepas du tout. Tu te fais dire toutes sortes de choses. Seulement faire passerune simple petite idée, c’est difficile.

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2.4. SE SENTIR SEULE AU MILIEU DE SES COLLÈGUES DE TRAVAIL

Les conditions de travail des participantes ne facilitent pas la création d’unsentiment d’appartenance. Bien que certaines aient affirmé avoir été bienaccueillies par les équipes en place, la majorité des TPO interrogées sou-lignent le manque de soutien de la part des pairs et souffrent d’un manquede sentiment d’appartenance :

Je n’ai pas de sentiment d’appartenance à mon CLSC, parce que je n’aipas de place à moi. Je suis arrivée pour travailler aujourd’hui : j’ai pas declasseur, pas de bureau, ni de chaise ou de vestiaire, absolument rien.

Ce que j’ai besoin, c’est du soutien entre consœurs de travail. On travaillechacune pour soi là-dedans.

Ainsi, les TPO éprouvent des difficultés à s’intégrer, car elles se sententexclues des équipes de travail. La réorganisation et les réaffectations ontégalement contribué à créer un climat de tension affaiblissant les liens desolidarité entre collègues de travail. Les TPO se disent rejetées par le per-sonnel permanent qui échange très peu avec elles. Elles ne se sentent doncpas acceptées par les infirmières à temps plein qui ne manifestent pas grandappui et soutien à leur égard :

Deux infirmières régulières échangent entre elles. Puis, on veut essayer departiciper un p’tit peu à la conversation, de s’intégrer à leur groupe. Puisc’est bien difficile. J’trouve ça difficile des fois hum… parce qu’elles nousignorent. Elles nous font savoir qu’on n’est pas chez nous là, sur cetteunité-là. Puis fallait pas trop empiéter dans leurs affaires.

Bref, les participantes n’ont pas le sentiment de faire partie d’uneéquipe de travail et constatent qu’aucun effort particulier n’est fait de lapart du personnel régulier pour faciliter l’intégration des TPO :

Quand tu es une infirmière sur la liste de rappel, on te considère pas commemembre de l’équipe des infirmières. Ça, c’est épouvantable !

J’ai pas de soutien ici et j’ai trouvé ça difficile. Justement, j’aurais vouluavoir du support, après la naissance de mon enfant.

2.5. UN BESOIN CRIANT DE FORMATION CONTINUE

Les changements fréquents de milieu de travail poussent les TPO à lalimite de leurs compétences. Dans le milieu même, leur situation estaggravée par la quasi-absence de mécanismes d’orientation et de mise àjour, parfois par un manque de soutien professionnel et par leur exclusiondes programmes de formation continue :

Alors, moi, je voulais savoir ce qu’on doit prendre pour désinfecter. J’avaisappelé sur l’autre étage parce qu’eux autres ne voulaient pas me répondre.

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J’ai fini dans le bureau de l’assistante à l’autre bout, pour me faire dire :« Eh ! Tu fonctionnes pas toi, hein ? Va falloir te réinitier ! » Moi, ça faitdeux ans que je ne suis pas venue sur ce département.

L’absence de mesures d’encadrement a été largement abordée dansles groupes de discussion. Les TPO doivent arriver dans un nouveaudépartement, sont appelées à travailler régulièrement dans des unités dif-férentes. Elles doivent composer avec un nouvel environnement, des pro-cédures spécifiques suivant les unités et des protocoles particuliers selonles établissements. Il n’existe pas de mesures d’encadrement et lesemployés sur place n’ont pas le temps d’informer les TPO des change-ments. Cette difficulté est particulièrement éprouvante pour les nouvellesTPO, qui possèdent habituellement moins d’expérience :

T’es jeune toi là, là. On donne très peu de formation, très peu de soutien.J’ai trouvé ça très, très difficile.

Il faut que tu arrives là et que tu t’arranges toute seule. Arrange-toi ! Fais-moi la preuve que tu es capable de travailler, puis à la fin, si tu restes deuxou trois jours, bien là, on t’aidera.

Admettons que je ne suis pas là, pendant trois ou quatre mois. Je peuxtravailler une journée de temps en temps. Mais ce qui se passe entre ça, lesdonnées, les documents ont changé. On ne me met pas au courant. Alorsc’est encore un stress. Qu’est-ce qui s’est passé ? Y a-t-il quelque chose denouveau ? Y a-t-il des projets qui s’en viennent ? C’est toujours toi qui doisaller à l’information.

La critique des fois. Je me suis fait accrocher par l’assistante, parce que çafaisait quelques mois que je n’étais pas allée dans ce département. Elle medisait : « Bien voyons, ce n’est pas comme ça que nous faisons ça. – Maiscoudon ! Il y a trois mois, c’était de même. » Ils ne réalisent pas que çachange souvent.

En résumé, il est important, croyons-nous, de faire ressortir cettedimension astreignante, parmi d’autres, du travail des infirmières pourqu’on puisse porter une attention particulière au travail des profession-nelles en situation de précarité. C’est à cette condition qu’on pourra arri-ver à une amélioration nette des conditions de travail, à un changementorganisationnel prenant en considération les difficultés quotidiennes desfemmes qui veulent travailler et surtout être traitées avec respect.

2.6. UN GROUPE DE TRAVAILLEUSES PARTICULIÈREMENT STRESSÉES

Nous avons déjà pu relever un niveau de détresse psychologique élevé chezles infirmières « sur appel ». En effet, plus de la moitié (56 %) des répon-dantes, dans le volet quantitatif (n = 1 435), avouent ressentir un niveauélevé de détresse psychologique, comparativement à seulement 20 % de

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L’IMPACT DU VIRAGE AMBULATOIRE SUR LES PROFESSIONNELLES DE LA SANTÉ 97

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la population féminine québécoise en général. Les témoignages recueillisà l’intérieur des groupes de discussion apportent un éclairage intéressantsur les facteurs pouvant être associés au malaise psychologique rapportépar les participantes3.

L’absence de toute forme de sécurité d’emploi amène plusieurs infir-mières à accepter des conditions de travail qui risquent de taxer encoreplus un état de santé quelquefois précaire. Celle-ci retourne au travail,après un congé de maladie, alors qu’elle ne se sent pas prête :

Depuis le 9 septembre, j’étais en congé de maladie, j’suis retournée progres-sivement, parce que le boss m’a obligée à y aller, sinon j’avais pas leremplacement de deux jours que j’ai annuellement là, qui se renouvelle.« Si tu ne rentres pas, t’as pas le poste, je le passe à l’autre. » J’avais pasgrand choix.

Par ailleurs, les répondantes ressentent une pression constantedevant l’obligation de remplir le maximum de tâches dans le moins detemps possible, de peur de perdre leur emploi, précaire ou pas :

Si je remplis un contrat, j’le fais bien, puis j’travaille bien, bon je vais enavoir d’autres. Si on entend dire que j’suis pas rentrée à temps, ou j’aioublié une telle affaire, il y a toujours une pression très forte pour laperformance. En plus, il y a beaucoup de personnes qui ont le diplôme etqui n’ont pas d’emploi alors, ils ont le choix. Il y a beaucoup de gens quipeuvent prendre ma job.

En plus de devoir composer avec l’administration, les infirmières seretrouvent en porte-à-faux entre la clientèle, qui elle aussi parfois vit leseffets du virage avec difficulté, et l’administration qui l’applique. Déjàépuisée et insatisfaite, cette participante exprime son tiraillement et sonsentiment d’impuissance :

Puis la clientèle est pas satisfaite. Il y a beaucoup d’insatisfaction. Cela terevient à toi, t’es déjà pas satisfaite. Comment tu peux donner, toi qui nereçois jamais rien, et notre travail c’est de donner. Je suis mère je donne, jedonne à ma job, alors je suis faite là.

L’impuissance et la perte de contrôle sur les activités profession-nelles, avec des retombées sur le plan personnel, semblent être un facteurimportant de stress, comme l’exprime clairement cette participante :

Tout le monde était insécure : « Qu’est-ce qui va m’arriver demain ? »Comme TPO, le tout a retardé le moment où j’aurais eu ma stabilité. Pou-voir planifier un peu mon temps. C’est toujours l’instabilité qui me tue, quime stresse. Ne pas pouvoir planifier mon temps. C’est une perte de contrôle.

3. Nous avons utilisé le même indice de santé mentale que l’étude de Santé Québec (1992-1993).

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

Une mise en garde s’impose ici. Étant donné le devis transversal del’étude, la santé mentale des infirmières et les autres facteurs sont mesurésen même temps. Il n’est donc pas possible de conclure à des relationscausales entre le niveau de santé mentale et la situation de précarité. Seulun devis longitudinal permettrait de le faire.

3. RECOMMANDATIONS POUR ATTÉNUER LES EFFETS DU VIRAGE AMBULATOIRE

Bien que les femmes professionnelles élaborent diverses stratégies indivi-duelles en réaction aux difficiles conditions de travail, l’amélioration tan-gible de ces conditions nécessite des transformations majeures dansl’organisation du travail et la gestion des ressources humaines. L’analysedes témoignages recueillis auprès des infirmières fait émerger des pistesd’intervention susceptibles d’améliorer la situation de ces dernières. Enfait, après avoir soulevé les difficultés inhérentes à l’occupation d’unemploi à temps partiel occasionnel, les infirmières ont elles-mêmes sug-géré de nombreuses solutions. Si certaines recommandations énoncéessont en lien direct avec la situation spécifique du travail des infirmièresinscrites sur une liste de rappel, d’autres sont d’ordre général et s’appliquentaux diverses formes d’emploi précaire. Ainsi, les recommandations expri-mées par les participantes témoignent de la nouvelle réalité sociale desfemmes professionnelles en situation de précarité.

3.1. LA GESTION DES HORAIRES

D’abord, l’obtention d’heures de travail régulières constitue l’une desrevendications majeures exprimées par les participantes et demeure unenjeu important pour tout travailleur en situation de précarité. En effet,l’irrégularité des heures de travail pèse lourdement sur les infirmièresinterrogées, qui exigent la garantie d’un minimum d’heures de travail :

C’est sûr que si on avait l’assurance d’un minimum d’heure ou unhoraire… Réfléchir à cela en tout cas, pour avoir des horaires de travailun peu plus stables, parce que c’est très dur pour la santé.

Ce que j’aimerais le plus, peut-être comme une recommandation qui pour-rait être faite là, ce serait que, même si on est des occasionnelles, si l’onpeut avoir plus de stabilité.

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

Les infirmières interrogées demandent une meilleure répartition dutemps de travail par la planification d’une grille horaire des TPO. Parailleurs, elles dénoncent les conditions de rappel, plus particulièrementles préavis trop courts :

Moi, je ne sais pas comment ça pourrait être possible de le faire, maisprévoir quelques jours à l’avance. Pourquoi, ils attendent toujours à ladernière minute ? Ils vont nous faire entrer quand ils sont vraiment rendusà bout. Ils espèrent toujours qu’il va y avoir des départs chez les patientset qu’ils n’auront pas besoin de nous.

De plus, pour éviter qu’une infirmière cumule des quarts de travailde jour, de soir et de nuit au cours d’une même semaine, certaines parti-cipantes proposent de dresser une liste des TPO de garde :

Il faudrait des TPO de garde. Il y a des médecins de garde, alors pourquoine pas avoir des TPO de garde ? Qu’il y ait des infirmières disponibles cettejournée-là et qu’il y ait une compensation pour cela. Je suis certaine qu’ilsseraient gagnants avec des TPO de garde. Il serait certain que ces person-nes-là vont rentrer au travail. […] À force d’en parler, on peut toujourstrouver des idées.

Par ailleurs, des infirmières interrogées suggèrent qu’on leur per-mette de limiter leur disponibilité à certains quarts de travail seulement,alors que d’autres proposent plutôt la création d’une équipe volante :

Ce serait peut-être d’éviter de donner trois « shifts » de travail à la mêmepersonne. J’trouve ça inhumain moi, qu’une personne ait à donner unedisponibilité, deux fins de semaine sur trois. J’trouve ça inhumain. Moi,j’me suis toujours battue pour ça. J’ai toujours travaillé qu’un « shift ».

Il y a un paquet d’équipes volantes, mais ce sont eux autres qui placentsur des remplacements. Les maladies de dernière minute, le surplus detravail à l’urgence, à l’obstétrique, peu importe, c’est une fille sur appel.C’est à cela qu’une équipe volante sert. À remplacer des trous, et à comblerles surplus de travail. Un remplacement ou un férié qui est prévu d’avance,ce devrait être une TPO.

Outre le manque de planification, une infirmière déplore l’absencede procédure à suivre dans l’attribution des patients. Celle-ci est en effeteffectuée sans que soient prises en considération les distances à parcourirpour se rendre au domicile des malades, ce qui entraîne bien souvent uneconduite imprudente :

Je peux en avoir huit [patients] à domicile, maison éloignée. J’avais tou-jours la pédale dans le fond. Un moment donné, tu prends des risques.C’est ça, les choix des patients, puis c’est de prendre des ententes, je ne saispas quels moyens prendre là, mais heu…

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3.2. L’ACCÈS À LA FORMATION

Les participantes déplorent le manque de soutien des employeurs auprèsdes nouvelles TPO, qui doivent trop souvent apprendre dans des condi-tions de surcharge de travail. Ainsi, elles souhaitent que l’employeuraccorde une journée d’encadrement pour se familiariser avec le nouvelenvironnement et s’initier aux tâches à accomplir :

Quand on demande aux infirmières sur la liste de rappel, qui est nouvelle,de lui donner la formation au soutien nécessaire. Pendant quelques nuits,on va te soutenir. Tu vas suivre une infirmière. On t’enverra pas là touteseule. C’est pas évident [pour une nouvelle infirmière] d’aller dire :« Bien là, j’me sens pas vraiment capable. » Parce qu’ils vont dire : « Si t’espas capable ma belle, y’en a bien d’autres en arrière. » Tu sais, t’esorgueilleuse aussi là. Tu fais ta job, mais t’as des risques. Il y a des risquespour les clients que t’as à ta charge.

Ces observations corroborent les résultats de l’étude de Côté et al.(1998) qui démontrent également une insatisfaction des travailleuses qué-bécoises de la santé et des services sociaux en ce qui a trait à la formationdes corps d’emploi. Par ailleurs, nos participantes soulignent la réticencedu personnel permanent à offrir de la formation aux occasionnelles :

C’est pas parce qu’on est des occasionnelles, que ça nous intéresse pas laformation et qu’on n’en a pas besoin.

En outre, les professionnelles interrogées insistent sur l’importanced’assurer des activités de formation, car des changements constants affectentl’univers dans lequel travaillent les infirmières, ce qui nécessite des activi-tés de mise à jour. Plus concrètement, les TPO voudraient disposer decrédits pour ces activités de formation ou être autorisées à participer àcelles qu’offre l’employeur aux infirmières à temps complet :

Des budgets d’alloués pour de la formation des TPO : il n’y a jamais rien.Là, j’ai eu une offre pour un cours en évaluation physique. Moi, ce cours-là, cela fait trois ou quatre ans que je voulais le faire, mais je ne pouvaispas aller le faire parce que je n’ai pas les moyens de le faire. Ils le payentaux filles qui ont un poste. Ils se sont dit « vu qu’elle est là pour longtemps,ce serait peut-être un bon investissement ». Mais c’est rare ; il n’y a jamaisde budget alloué pour de la formation. Jamais, jamais. Si tu veux aller enformation, il faut que tu payes la gardienne, le cours et tout le reste.

3.3. DES REGROUPEMENTS

Enfin, les infirmières interrogées demandent la création d’un regrou-pement officiel qui leur permettrait des échanges, un appui mutuel etla mise en avant de propositions. La création d’un tel regroupement

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encouragerait, selon les participantes, une collaboration tripartite entre lesyndicat et les gestionnaires :

Une solution peut-être, ce serait de rencontrer les syndicats des TPO avecles gens de l’administration et que l’on en vienne à un consensus. […] IIfaut faire des comités de TPO, dans chaque… Il faut faire quelque chose.– Les comités de TPO. – Ne serait-ce pour se défouler, cela ferait du bien.– De voir que nous sommes pas seules. – S’il y a un problème de gestion,qu’on le règle ensemble. – Si on disait toutes la même chose, si on avaittoutes la même attitude, ils n’auraient pas le choix d’accepter les conditionsque l’on veut soumettre.

De plus, le rapport aux collectifs de travail est fragile en raison del’instabilité des équipes et de l’irrégularité des heures de travail, ce quirend pour le moins complexe la création d’un réseau de soutien dynamiqueentre collègues :

Et ce que je trouve de plus déplorable, c’est qu’elles ne s’unissent pas. Ellesn’ont pas du tout cette préoccupation-là. J’trouve ça épouvantable. C’estune perte énorme de… d’investissement en ressources humaines. Mais c’estdémoralisant aussi.

Encore une fois, cette situation n’est pas propre aux infirmières. Eneffet, Beaud et son équipe (1990, cité dans Maranda, 1997) montrent que« les horaires atypiques ont des incidences particulièrement claires sur lavie syndicale et la vie collective hors travail ». Les travailleurs en situationde précarité ont de la difficulté à se rassembler en raison des changementsde quart. La mobilisation des travailleurs en vue d’une action collectivenécessite donc un effort particulier de leur part afin de coordonner leséquipes au travail avec les confrères à la maison et les autres pris par leursactivités (Maranda, 1997).

4. ENJEUX ET DÉFISPour conclure, nous voudrions rappeler les principaux enjeux et les défisque pose la précarisation de l’emploi, dans un contexte de virage ambu-latoire et de restructuration du réseau de la santé, et proposer des pistesà creuser à la lumière des témoignages recueillis et analysés. Nous avonsvu que la situation de précarité implique souvent une incertitude quant àla durabilité de l’emploi, une irrégularité des heures de travail et uneimpossibilité d’obtenir un poste permanent. À ces faits s’ajoutent leschambardements internes d’un réseau en pleine effervescence.

En plus des changements associés au virage ambulatoire, les établis-sements de santé subissent actuellement des compressions budgétairesimportantes. Il en résulte un système de santé qui repose en grande partie

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sur des infirmières inscrites sur des listes de rappel. En dépit des négo-ciations avec le gouvernement, l’ouverture de postes permanents se faitattendre. Pour les infirmières, le travail à temps partiel occasionnel nefavorise pas le développement de l’expertise des infirmières et est encontradiction avec l’idée de la continuité des soins. Il en résulte une non-reconnaissance ainsi qu’une dévalorisation de la qualification spécialiséedes infirmières.

Les infirmières sont des personnes à risque élevé d’épuisement pro-fessionnel et leur milieu de travail est source de divers stress. Notre rechercheconfirme les résultats obtenus dans plusieurs études observant que la pro-fession d’infirmière comporte des stresseurs occupationnels majeurs, telsque les horaires variables, la lourdeur de la tâche, les responsabilitésimportantes, le manque de reconnaissance des compétences, les risquesphysiques, l’ambiguïté des rôles, les relations de travail difficiles.

Le thème des conditions de travail est abordé spontanément et abon-damment par un plus grand nombre de participantes. La disponibilité etles procédures d’appel ont été au cœur de leurs préoccupations et de leurscritiques. Il semble que ce soient des facteurs de stress très présents, bienplus que la surcharge de travail, par exemple. Devoir être toujours dispo-nibles, être appelées à la dernière minute avec toutes les difficultés quecela suppose, subir les changements d’horaires dans la même semainesont des conditions de travail très éprouvantes.

Aussi, le fait de devoir s’adapter continuellement à des milieux detravail, à une clientèle et à des programmes différents, parfois dans unemême semaine, est particulièrement épuisant pour les répondantes. Ellesont le sentiment de devoir toujours « performer » dans des milieux quileur sont relativement étrangers. Elles ont aussi le sentiment d’être lesboucs émissaires du personnel régulier s’il y a des erreurs dans le travail.Le changement fréquent de milieu les place toujours à la limite de leurscompétences. Elles se sentent laissées pour compte par leurs collèguesrégulières. Ces dernières ne prennent pas le temps de les informer deschangements et elles se montrent parfois impatientes à leur égard.

Bien qu’en pleine expansion, la précarité d’emploi chez les profes-sionnelles, en particulier les infirmières sur liste de rappel, est un phéno-mène dont toutes les dimensions n’ont pas encore été explorées.Cependant, l’analyse présentée ici a montré que les infirmières doiventfaire face à d’importantes contraintes temporelles et organisationnelles.Les infirmières « sur appel » doivent composer avec une clientèle variée,des lieux de travail différents. Les infirmières sur « liste de rappel » doiventcomposer avec des horaires de travail très variables et leur rythme detravail est également marqué par une grande instabilité.

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CH

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FEMMES ET SOINS

L’expérience du virage ambulatoire à la vieillesse

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RANCINE

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Faculté des sciences infirmièresUniversité de Montréalet Centre de rechercheInstitut universitaire de gériatrie de Montréal

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P

ÉRODEAU

Département de psychoéducation et psychologieUniversité du Québec en Outaouais

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ENISE

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RUDEAU

Agente de rechercheCentre de rechercheInstitut universitaire de gériatrie de Montréal

* Ce texte est issu des résultats d’un projet de recherche réalisé grâceau soutien financier du Conseil de recherche en sciences humainesdu Canada.

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1. LA PROBLÉMATIQUE

Le vieillissement et sa féminisation au sein de la population canadiennelaissent entrevoir que les femmes auront, à l’avenir, de plus en plus àprendre en charge la santé d’un membre âgé de leur famille à domicile(Étude sur la santé et le vieillissement au Canada, 1994). En fait, danscertaines provinces canadiennes, notamment au Québec, plus de 70 % del’aide apportée aux personnes âgées est fournie par une femme de plusde 65 ans, le plus souvent une conjointe (Gouvernement du Québec,1993). Ces femmes qui jouent le rôle d’aidantes dites naturelles ou nonprofessionnelles sont elles-mêmes de plus en plus âgées. Leur état de santéest souvent précaire et elles subissent les contrecoups de nombreux stressqui constituent une menace pour leur propre bien-être (Given

et al.

, 1990 ;Pearlin, 1989).

Dans cette perspective, certaines analyses différenciées selon le genreont révélé des distinctions entre les hommes et les femmes qui jouent cerôle important d’aidant à domicile (Marcus et Jaeger, 1989 ; Zarit, Toddet Zarit, 1986). Les femmes, notamment les conjointes âgées, exprime-raient plus de détresse psychologique que les hommes et recevraientmoins d’aide de leur réseau social (Ducharme, 1993 ; Lévesque, Cossetteet Ducharme, 1993 ; Garant et Bolduc, 1990). Les nombreuses répercus-sions du rôle que jouent les aidantes naturelles sur leur vie personnelle,familiale et sociale, par exemple états dépressifs, isolement social, conflitsfamiliaux, fardeau, sont d’ailleurs confirmées par plusieurs études (voirles revues de Guberman, 1999, et de Schulz

et al.

, 1995).

Par ailleurs, même si les femmes qui agissent comme aidantes natu-relles constituent un rouage essentiel de la société, plus particulièrementde l’intégration sociale des personnes âgées souffrant d’incapacités et deproblèmes de santé divers, les grandes transformations sociales qui ontcours actuellement dans le domaine de la santé occultent bien souventl’importance accordée à ce rôle (Therrien, 1989). Plus particulièrement,l’émergence du virage ambulatoire, soit d’un système où les soins de santésont en grande partie donnés à domicile et où le milieu de vie se voitofficialisé comme lieu de prestation des services de santé (Di Domenico,1995 ; Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, 1995), est suscitée non seulement par l’état déficitaire des financespubliques, mais également par la notion de responsabilisation des personnesau regard de la santé (ministère de la Santé et des Services sociaux, 1992,1995). Dans ce contexte particulier, les femmes se voient imposer de plusen plus de responsabilités au moment où elles fournissaient déjà à domi-cile, avec peu ou pas de préparation et au détriment de leur proprevie personnelle et sociale, des soins complexes aux membres âgés deleur famille. En 1989, Lesemann et Chaume parlaient des « familles-

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

providence ». Aujourd’hui, des soins aigus, incluant des aspects techniquescomplexes, des habiletés de gestion des problèmes de santé et des dimen-sions socioaffectives, se surajoutent à l’expérience déjà difficile de cesfamilles, principalement des femmes qui en font partie.

Jusqu’à présent, devant ces nouvelles orientations du système desanté, peu d’efforts concrets ont été consentis afin d’accorder diversesformes de soutien à ces femmes. Plus spécifiquement, peu de programmeset de politiques s’adressent à cette population toujours croissante d’aidantes.En fait, plusieurs facettes de la réalité des aidantes naturelles n’ont pas étéexplorées jusqu’à présent. Qui plus est, le virage ambulatoire a été amorcéavant qu’on n’ait une connaissance approfondie de la signification de cephénomène pour les principales actrices de ce changement du système deprestation des soins. La façon dont les femmes évaluent l’impact de cechangement sur leur vie et les stratégies qu’elles utilisent pour y faire faceont fait l’objet de rares réflexions théoriques et travaux empiriques (Côté

et al.

, 1998 ; Fournier, 1999).

Par ailleurs, plusieurs études ont révélé que ce ne sont pas tant lessituations de stress qui affecteraient le bien-être, mais plutôt l’évaluationou l’appréciation qu’en font les personnes en termes de signification etd’importance dans leur vie quotidienne (Ducharme, 1994 ; Lazarus etFolkman, 1984 ; Lévesque, Cossette et Laurin, 1995 ; Nolan, Grant et Ellis,1990). Dans cette perspective, plusieurs questions demeurent sansréponse. Comment l’expérience de prodiguer des soins à domicile à sonconjoint après une hospitalisation de courte durée est-elle perçue par lesfemmes âgées ? Est-elle source de stress ou de défi ? Également, le transfertdes lieux de soins des établissements « lourds », tels les centres hospitaliers,vers le domicile apporte de nouvelles exigences qui sollicitent les capacitésadaptatives des femmes. Plusieurs travaux ont démontré que les stratégiesadaptatives, définies comme les efforts cognitifs et comportementauxdéployés pour composer avec une situation (Lazarus et Folkman, 1984),peuvent être des facteurs protecteurs du stress généré par le rôle d’aidante(Hinrichsen et Niederehe, 1994 ; Williamson et Shulz, 1993). Toutefois,les stratégies utilisées par les femmes âgées pour composer avec les exi-gences de soins à domicile issues du virage ambulatoire n’ont pas encoreété examinées. Quelles stratégies adaptatives utilisent ces femmes âgéesqui doivent prendre en charge les soins de leur conjoint après un séjourhospitalier écourté ?

Enfin, il semble que de façon générale les femmes âgées aidantesnaturelles soient réticentes à utiliser les services tels qu’ils sont conçus etproposés actuellement (Paquet, 1996). Également, les études évaluativesréalisées sur les quelques services disponibles présentement, tels les ser-vices de répit ou les groupes de soutien, concluent généralement à un

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FEMMES ET SOINS : L’EXPÉRIENCE DU VIRAGE AMBULATOIRE À LA VIEILLESSE

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

effet modeste sur leur bien-être (Knight, Lutsky et Macofsky-Urban, 1993 ;Lavoie, 1995 ; Zarit, 1994). Ces constats nous amènent à nous interrogersur les attentes des femmes âgées à l’égard des services offerts dans lecadre du virage ambulatoire.

En résumé, changement majeur de la reconfiguration du réseau dela santé dans l’ensemble du Canada, le virage ambulatoire pose de nom-breux défis aux femmes, défis auxquels les chercheurs et les décideursdevraient s’attarder. Une meilleure compréhension de l’expérience de cesfemmes devrait permettre d’asseoir le contenu de programmes et de poli-tiques sur des bases ayant un « sens » pour ces actrices importantes de cechangement. C’est dans cette perspective que nous avons mené un projetde recherche dont les objectifs étaient d’explorer : 1) la perception qu’ontles femmes âgées aidantes naturelles du virage ambulatoire, plus spécifi-quement, du stress associé à ce changement du système de santé ; 2) lesstratégies ou moyens qu’elles mettent en œuvre afin de répondre auxnouvelles exigences de soins qu’on leur impose ; 3) leurs attentes à l’égarddes services.

2. LES CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES AYANT GUIDÉ L’EXPLORATION DE L’EXPÉRIENCE DES FEMMES ÂGÉES

Le cadre théorique de Lazarus et Folkman (1984), qui se situe dans leparadigme stress-

coping

, a été retenu pour cette étude. Cette perspectivethéorique a constitué le point d’ancrage de nombreuses études issues dedisciplines variées concernant les aidantes naturelles (voir Aldwin, 1994 ;Biegel, Sales et Schulz, 1991). Selon cette théorie, le stress est conceptua-lisé comme une transaction avec l’environnement que la personne évaluecomme excédant ses ressources personnelles et sociales. Les deux élé-ments principaux de ce cadre de référence, retenus dans le cadre del’étude, sont l’appréciation cognitive des situations potentiellement stres-santes et les stratégies adaptatives (

coping)

qui sont considérées commedeux facteurs de protection des effets délétères du stress sur la qualitéde vie (voir la figure à la page suivante). L’appréciation cognitive est leprocessus par lequel une personne accorde une signification à une situa-tion en tenant compte de ses ressources et des choix mis à sa dispositionpour composer avec cette situation. Une situation peut ainsi être perçuecomme étant une menace ou un défi, ou encore comme une source destress ou non, selon les ressources et les stratégies personnelles dont ondispose pour y faire face. Les stratégies d’adaptation correspondent parailleurs aux efforts déployés par la personne pour faire face à une situa-tion perçue ou appréciée comme étant stressante. Ces efforts peuvent

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

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être dirigés vers la résolution de la situation génératrice de stress, vers larégulation des émotions ressenties à l’égard de cette situation ou, le plussouvent, vers les deux modalités. De façon plus opérationnelle, seloncette perspective théorique, la gestion du retour précoce du conjoint àson domicile, inhérente au phénomène du virage ambulatoire, pourraitêtre appréciée ou perçue comme étant une situation de stress requérantdes efforts d’adaptation importants pour les aidantes naturelles (Corbinet Strauss, 1988).

3. COMMENT A ÉTÉ ÉVALUÉE L’EXPÉRIENCE DES FEMMES ÂGÉES FACE AU VIRAGE AMBULATOIRE ?

Cette étude, à devis exploratoire, a été réalisée en recueillant des donnéesau moyen d’entrevues individuelles au domicile de 40 femmes, âgées deplus de 60 ans, aidantes naturelles de leur conjoint qui avait subi unehospitalisation de courte durée pour un problème d’ordre médical ouchirurgical. Ces femmes ont été recrutées par l’entremise de centreslocaux de services communautaires (CLSC) et de centres hospitaliers decourte durée (CHCD).

Éléments du cadre théorique de Lazarus et Folkman (1984) ayant guidé l’exploration de l’« expérience du virage ambulatoire » des femmes âgées

Facteurs deprotection

Appréciationcognitive du

stress

Stratégiesd’adaptation

Stress Qualité de vie

• Retour précoce du conjoint à domicile après l’hospitalisation

• Soins à prodiguer au sein du milieu de vie naturel

• Ressources personnelles

• Choix et possibilités envisageables

• Centrées sur le problème ou la situation génératrice de stress

• Centrées sur la régulation des émotions

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Les entrevues individuelles ont été menées à l’aide d’un guided’entrevue. Des données concernant l’âge, la scolarité, le revenu, le nombred’années de vie commune avec le conjoint, l’expérience antérieure desoins, la présence de problèmes de santé et la perception subjective del’état de santé ont d’abord été recueillies. Des questions étaient égalementposées sur l’utilisation du soutien social formel (dimensions tant instru-mentales qu’affectives) fourni par les services et du soutien informeldonné par l’entourage (parents, amis, voisins) avant l’hospitalisation duconjoint. Des questions ouvertes permettaient enfin de solliciter des infor-mations concernant les perceptions des participantes relativement à leurexpérience de soignantes (

De façon générale, comment vivez-vous l’expériencede donner des soins à votre conjoint suite à son hospitalisation

?), les stratégiesadaptatives qu’elles privilégient

(Pouvez-vous décrire les moyens

[trucs]

quevous utilisez pour faire face aux exigences que vous demande le fait de vous occuperde votre conjoint à domicile ?)

et leurs attentes face aux services (

Face à lasituation que vous vivez, quels sont vos besoins et les services que vous apprécieriezrecevoir pour vous aider ?

). Afin de documenter davantage l’expérience deces femmes et considérant le fait que certaines participantes âgées pour-raient être plus réticentes à discuter ouvertement de leur expérience, desoutils standardisés complétaient ce guide d’entrevue. Ces questionnairesportaient sur l’appréciation du stress (

SAM

, Peacock et Wong, 1990) etsur les stratégies de

coping

(

Ways of Coping Questionnaire

, Lazarus et Folkman,1988) utilisées par les femmes âgées pour faire face à leur situationd’aidantes dans le contexte du virage ambulatoire. La mesure d’apprécia-tion du stress permet d’évaluer une situation précise, en l’occurrence lasituation de soins à domicile d’un conjoint convalescent, selon les septdimensions suivantes : 1) la menace ressentie (

jusqu’à quel point cette situa-tion me menace

? ; 2) le défi potentiel associé à cette situation (

est-ce que j’aile goût de faire face à cette situation ? ;

3) l’importance perçue des consé-quences de la situation pour l’état de bien-être à long terme (

est-ce que cettesituation aura des effets négatifs sur moi ?

) ; 4) le contrôle de la situation parsoi-même (

est-ce que j’ai la capacité de réussir dans cette situation ?)

; 5) lecontrôle de la situation par autrui (

y a-t-il quelqu’un ou une agence à qui jepourrais demander de l’aide si nécessaire ? ;

6) la perception d’une impossibi-lité à maîtriser la situation (

peu importe la personne, est-ce que ce problème estsans solution ?

) et 7) le degré général de stress (

est-ce que cette situation merend tendue ?

).

Quant au questionnaire sur les stratégies adaptatives, il permet d’éva-luer la fréquence d’utilisation de différentes stratégies adaptatives courantespour composer avec une situation spécifique, en l’occurrence la situationde soins à domicile du conjoint. Plus précisément, il évalue l’utilisation dehuit types de stratégies centrés sur la résolution de la situation stressanteelle-même ou sur la régulation des émotions ressenties : 1) la résolution de

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problèmes (

je me fais un plan d’action et je le suis

) ; 2) la recherche de soutiensocial (

je parle à quelqu’un capable de m’offrir une aide concrète face à masituation

) ; 3) la confrontation (

je me concentre seulement sur ce que j’ai à faire

) ;4) la distanciation (

j’essaie de ne pas laisser mes émotions trop intervenir dans lasituation ;

5) l’autocontrôle (

je me dis des choses réconfortantes qui m’aident àme sentir mieux

)

;

6)

la responsabilisation (

il m’arrive de croire que je peux êtreresponsable de la situation

)

;

7) l’évitement-échappement (

je continue de vivrecomme si de rien n’était

)

;

et 8) la réévaluation positive (

j’essaie de voir le boncôté des choses

).

4. LES RÉSULTATS : CE QUE PERÇOIVENT LES FEMMES ÂGÉES…

Avant de présenter les données qui illustrent la perception des femmesâgées, un regard sur le profil des femmes ayant participé à ce projets’impose. Afin de fournir une description reflétant mieux les différentesréalités des femmes soignantes, deux sous-groupes seront considérés dansles pages qui suivent. La réalité de 19 femmes ayant vécu une situation« relativement simple » de soins à domicile et celle de 21 femmes ayant eul’expérience de situations complexes de soins seront abordées.

4.1. L

E

PROFIL

SOCIODÉMOGRAPHIQUE

ET

DESCRIPTIF

DES PARTICIPANTES

L’échantillon d’aidantes ayant participé aux entrevues est composé defemmes catholiques francophones majoritairement retraitées ou n’ayantjamais eu de travail à l’extérieur du domicile au cours de leur vie. Cesfemmes habitaient différentes régions, soit la région métropolitaine(

n

= 18), la banlieue (

n

= 14) et des régions rurales (

n

= 8). Elles étaientégalement issues de milieux socioéconomiques divers (revenu annuelvariant de moins de 15 000 $ à plus de 35 000 $).

Les 19 participantes qui avaient à composer avec des situations desoins dites simples ont été interviewées au 15

e

jour post-hospitalisation deleur conjoint en moyenne. Ces femmes devaient prodiguer des soins à lasuite d’une chirurgie mineure (opération pour cataractes, déviation de laparoi nasale, cure de hernie, par exemple). Leur conjoint était âgé de70 ans en moyenne et avait été hospitalisé pour une seule journée. Pource qui est des participantes ayant à composer avec des situations de soinsdites complexes (n = 21), elles ont été interviewées en moyenne au 22e jourpost-hospitalisation de leur conjoint. Elles devaient donner des soins liés à

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des problèmes cardiovasculaires, pulmonaires, digestifs et rénaux importants(insuffisances, cancers) ou effectuer des traitements de plaies profondes.Leur conjoint avait un âge moyen de 74 ans et avait été hospitalisé pendant12 jours en moyenne.

Le tableau suivant fait état des principales caractéristiques socio-démographiques et descriptives des participantes aux entrevues indivi-duelles (échantillon total et sous-échantillons). Ces femmes ont plus de40 années de mariage en moyenne et présentent elles-mêmes pour laplupart des problèmes de santé chroniques (problèmes cardiaques ourespiratoires, troubles de la mobilité). On remarque par ailleurs que lesfemmes ayant à composer avec une situation simple de soins se consi-dèrent comme étant en meilleure santé que celles qui doivent composeravec une situation complexe. Plusieurs d’entre elles ont déjà vécu l’expé-rience de prodiguer des soins avant l’hospitalisation de leur conjoint. Lesdonnées révèlent que les services (soutien formel), de même que le sou-tien social informel fourni par l’entourage, sont utilisés principalementpar les femmes qui doivent faire face à une situation complexe de soins.Les données du questionnaire sociodémographique ont par ailleurs per-mis de conclure à une utilisation presque exclusive de soutien de typeinstrumental (aide pour les soins, gardiennage, aide pour les activités dela vie domestique) chez l’ensemble des participantes.

Caractéristiques sociodémographiques et descriptives des participantes aux entrevues individuelles (n = 40)

Caractéristiques

Situations simples(n = 19)

Situationscomplexes

(n = 21)

Échantillontotal

(n = 40)

Âge moyen 66,7 69,1 68,0

Scolarité moyenne (ans) 9,7 9,0 9,4

Nombre moyen d’années de vie commune 40,7 41,4 41,1

Expérience de soin avant hospitalisation (%) 31,6 42,9 37,2

Présence de problèmes de santé chez l’aidante (%) 63,2 66,7 65,0

Utilisation du soutien informel (%) 26,3 52,4 40,0

Utilisation du soutien formel (%) 21,1 76,2 50,0

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4.2. LA PERCEPTION DU STRESS ET L’UTILISATION DES STRATÉGIES ADAPTATIVES

Les résultats qualitatifs obtenus des entrevues individuelles ont permisd’explorer en profondeur l’expérience vécue par les aidantes âgées. Lesanalyses du verbatim ont plus spécifiquement permis de relever certainsthèmes redondants dans le discours des participantes. Ces thèmes sontprésentés ici pour chacun des sous-groupes.

4.3. LES DONNÉES QUALITATIVES PORTANT SUR L’EXPÉRIENCE D’UNE SITUATION « SIMPLE » DE SOINS

Dans ce sous-groupe, les soins requis à domicile consistaient principale-ment en l’administration de médication (gouttes, onguents ou autres), enune légère assistance dans les activités de la vie quotidienne (se laver,s’habiller, s’alimenter, se déplacer, etc.) et en une surveillance occasion-nelle du site opératoire. Les résultats de l’analyse du verbatim font ressortirde nombreux éléments positifs relativement au virage ambulatoire et uni-quement quelques aspects stressants. En fait, ce qui frappe chez ce groupeest l’attitude généralement positive envers le « virage » et la confiance enelles que les répondantes manifestent. Les thèmes qui permettent dedécrire les aspects positifs du virage ambulatoire sont les suivants :

1) La possibilité qui est offerte, au sein du domicile, de personnaliserles soins :

C’est aussi un avantage parce que la personne se retrouve dans son milieufamilial. Elle a son lit qui est très important, elle dort mieux, sa nourritureà laquelle elle est habituée.

2) Le défi associé au fait de prodiguer des soins :

Moi, j’aime ça soigner. Je suis encore capable de lui donner des soins…tant que je pourrai.

Quand je prends soin de Jean, je prends soin de moi, parce que je veuxpas le perdre.

3) La proximité soignante-soigné (ne pas se sentir seule lorsque sonconjoint est hospitalisé) :

C’est très pratique, je trouve. On s’ennuie pas d’être seule. Quand ce n’estpas grave, que c’est une chose qui est relativement bénigne… qu’est-ce quej’aurais fait moi toute seule à la maison ? Je me serais fait du mauvaissang… je suis plus tranquille quand il est dans la maison.

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4) La familiarité, pour le conjoint malade, avec l’environnement desoins (domicile), situation perçue comme pouvant accélérer leprocessus de guérison :

Parce que tel que je connais mon mari, il est bien chez lui, il est entouré.Ça remonte plus facilement.

5) La réduction du nombre de transports épuisants de l’hôpital à lamaison et vice versa :

Pour moi, c’est bien, c’est que j’ai pas besoin d’aller me promener à l’hôpital !

6) Une meilleure gestion des urgences pour le système de santé :

L’opération a très bien réussi, puis il se sentait bien après. Pourquoi l’avoirgardé ? On prend la place des autres qui en ont besoin…

Quant aux aspects stressants évoqués, ils concernent :

1) L’anxiété et la peur des complications, tout particulièrement lapremière nuit suivant le retour au domicile :

J’aurais demandé si y avait moyen qu’il couche là [hôpital] pour unejournée. J’étais inquiète, ça a saigné la première journée…

« J’aurais mieux aimé qu’ils le gardent au moins pour la nuit. Parce quetoi t’es à côté du lit, tu le sais pas : y es-tu malade ? Y bouge pas. C’est moiqui le réveillais pour voir si y était correct. J’ai pas bien dormi. J’étaisinquiète. »

2) La quasi-absence de préparation à la courte hospitalisation et aucongé :

On est arrivé à l’hôpital, on savait absolument rien. Ça, c’était une lacune.Avec aucune directive. Pendant qu’on était en jaquette, ils nous donnentun pamphlet, un papier sur quoi faire. Y me dit : veux-tu me lire ça ? j’aidit ben oui, tu peux pas avec les gouttes qu’ils t’ont mis dans les yeux. Enun mot, on est pas préparé, pas du tout.

3) La fatigue ressentie après une longue journée dans les cas d’unehospitalisation d’un jour :

La longueur de la journée, j’ai trouvé ça très fatigant. Nous avons quittél’hôpital, il était presque 7 heures du soir et nous étions arrivés depuis8 heures le matin. On s’était levé tôt. Ça a été long, très long. Puis, il aété fatigué les jours suivants.

En dépit de la faible variabilité observée dans les résultats quantitatifsconcernant les stratégies adaptatives, les données qualitatives ont permisde découvrir certaines stratégies privilégiées par les répondantes. Ainsi,

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pour faire face aux difficultés éprouvées, les stratégies que celles-ci utilisentapparaissent plus individuelles ; le recours au soutien social informel del’entourage et au soutien formel des services sont des stratégies peu utili-sées. Les femmes de ce sous-groupe affirment être en mesure de releverelles-mêmes les défis imposés par la situation. Les passages suivants illustrentces constatations :

Je suis capable de voir à mes affaires.

On peut s’adapter à ça. Quand on peut s’adapter, c’est facile.

C’est moi qui rends service d’habitude. Je suis pas le genre à demander auxenfants, ils sont tellement occupés.

Je connais les services autour, mais j’en voyais pas l’utilité pour moi.

4.4. LES DONNÉES QUALITATIVES PORTANT SUR L’EXPÉRIENCE D’UNE SITUATION « COMPLEXE » DE SOINS

Les soins que les femmes de ce sous-groupe devaient prodiguer consis-taient principalement en changement de pansements, irrigation de plaies,administration et surveillance de médication, en plus d’une assistancerégulière aux activités de la vie quotidienne. Près de 43 % de ces femmesavaient auparavant assumé la prise en charge d’un membre de leurparenté à domicile (voir le tableau à la page 113) et avaient prodigué dessoins à leur conjoint avant l’hospitalisation pendant une période de tempsvariant entre un et douze ans. Dans ce sous-groupe, comparativement aupremier groupe de répondantes, la situation est perçue comme étantbeaucoup plus stressante et nécessitant des compétences professionnellesde « quasi-infirmière ». De façon générale, outre la réduction des trans-ports fatigants vers l’hôpital, seuls des aspects négatifs sont invoqués rela-tivement au virage ambulatoire. Plus spécifiquement, cinq thèmesprincipaux qui viennent éclairer les données quantitatives illustrentl’essence du discours des soignantes âgées :

1) L’absence de choix possibles ou de contrôle face à la situation vécue :

Je savais que c’était trop vite, qu’il sortait trop vite. C’est ça que j’aime pasdu virage ambulatoire. On n’a pas le choix, faut vivre avec. Mais je trouveque c’est stressant pour les personnes qui doivent soigner… C’est moi quifaisais les pansements, il s’était fait amputer. Il fallait faire les pansementspis on n’avait pas le choix.

2) Une difficulté liée à l’état de santé précaire qui s’ajoute au fardeauexistant des aidantes :

C’est difficile parce que j’ai pas la santé. J’ai pas la force. C’est ce qui estdifficile pour moi. Je suis à côté de lui et j’ai de la misère à respirer…

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3) La complexité des soins exigés – un rôle de quasi-infirmière –amenant une situation d’insécurité :

On n’est pas qualifiés nous autres pour donner des soins. Quand on estpas qualifié, y a ben des choses qu’on oublie. Parce que je suis pas garde-malade, moi, c’est pas un métier pour moi. C’est pas ma vocation, je saispas qu’est-ce que j’aurais fait si y avait eu des complications. J’aurais peut-être paniqué.

Vous autres, infirmières, vous êtes préparées, vous savez quoi faire. Maismoi, qu’est-ce que je fais ? Les trucs, y faut que tu les pognes toute seule !

Peut-être que pour lui c’est mieux… mais pour nous autres… Tu te dis :Est-ce que je peux lui faire la même chose qu’à l’hôpital ? On a toujoursune certaine inquiétude parce que je me dis toujours s’il fallait qu’il ait ciou ça, qu’est-ce que je ferais ? J’ai toujours peur de ne pas le faire correct,d’oublier quelque chose, ça me stresse.

4) Un manque de planification du congé et des soins à domicile offertsà la suite du congé :

Je trouve qu’on n’est pas assez préparé à les recevoir si vite à la maison.Moi, pour ma part, je trouve que c’est un peu vite. Ça nous prend parsurprise… J’avais demandé au début combien de temps à peu près on legarderait… On m’a donné un jour d’avis. J’ai dit : Ça a pas de bon sens.Qu’est-ce que je vais faire ? Y est pas capable de changer son sac tout seul,pis, moi, je sais rien.

Le CLSC nous a donné un document qu’on lisait. On essayait de com-prendre, mais c’est pas facile quand on n’a pas d’expérience dans cedomaine-là. Ça nous inquiétait, parce que moi, je me demandais toujours,tout à coup que l’aiguille est sortie de la veine, pis que ça se répand dansson système !

On savait pas quoi faire… si on devait retourner à l’hôpital ou au CLSC.J’aurais préféré qu’il demeure une journée de plus à l’hôpital pour qu’ilspuissent vérifier si tout était bel et bien, si y avait pas d’autre infection,s’il avait encore de la fièvre…

5) Un transfert des coûts financiers du système de santé vers les usagersdes services. On invoque même la notion de privatisation des soinsde santé :

Je sais pas si c’est défrayé, si y en a une partie défrayée, parce que c’estassez dispendieux ça. Ça m’a coûté 76 $ pour dix sacs. Ça prend beaucoupde choses et y nous disent rien, pas d’avis nulle part pour réclamer ça surnos assurances ou…

Faut toujours mettre notre main dans notre poche, j’ai pas toujours lesmoyens.

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118 LE VIRAGE AMBULATOIRE

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Il y a aussi un infirmier qui a fait passer un pamphlet. Il a 15 ansd’expérience, mais il faut payer par exemple pour ça. C’est certain que sijamais on a besoin, c’est une sécurité, il charge à l’heure.

Au regard de ces situations complexes de soins, les données quali-tatives dénotent l’utilisation de stratégies adaptatives cognitives qui per-mettent une certaine distanciation et un recadrage de la situation :

Mais je me trouve chanceuse, j’me compare aux mamans qui ont des bébésqui naissent infirmes, avec des handicaps sérieux. Je sais que ça durera pas40 ans. Il a 85 ans. Il faut que j’essaie de m’encourager de cette façon-là.

Je pense à ce que j’ai eu de bon. Je pense à ce qu’il y a eu de positif dansma vie.

Le recours au soutien des enfants et à celui des services sont desstratégies utilisées, mais uniquement en dernier lieu. Les soignantesemploient davantage des stratégies personnelles de résolution deproblèmes :

Disons qu’il faut que je me fasse un programme. Il faut que je programmemes affaires du moins quelques jours à l’avance. Je sens que je n’ai pas lasanté pour tout faire la même journée.

Je me planifie à l’avance. Je me suis organisée, je me fais un horaire. Jem’organise un autre programme de vie.

La semaine passée, ma fille est venue pour l’épicerie. Je lui en demande pasplus. Les enfants travaillent. Si je suis mal prise, ils vont venir, mais si jepeux m’arranger…

J’en voyais pas l’utilité pour moi. J’avais les références de l’hôpital. Peut-être que c’est ma mentalité. Ç’aurait été de déranger pour rien un servicequi aurait pu servir ailleurs. C’est encore la mentalité…

4.5. LA PERCEPTION DU STRESS ET L’UTILISATION DES STRATÉGIES ADAPTATIVES, LES DONNÉES QUANTITATIVES

Les données issues des questionnaires standardisés portant sur l’apprécia-tion du stress et l’utilisation des stratégies adaptatives par les femmes âgéesnous permettent de compléter le profil établi au moyen des données qua-litatives. Elles nous conduisent ainsi à affirmer que les participantes vivantl’expérience de soins complexes ont une perception générale de stress ainsique des perceptions d’« incontrôlabilité» et de «centralité» de la situation –soit une perception des conséquences de la situation sur leur bien-être –plus élevées que les participantes qui doivent faire face à des situationssimples de soins. En ce qui concerne l’utilisation des stratégies adaptativesdans les situations de soins vécues, certaines différences sont également

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FEMMES ET SOINS : L’EXPÉRIENCE DU VIRAGE AMBULATOIRE À LA VIEILLESSE 119

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observées entre les deux sous-groupes. On note ainsi une utilisation plusfréquente des stratégies de recherche de soutien social et de résolution deproblèmes dans les situations complexes de soins.

4.6. LES ATTENTES À L’ÉGARD DES SERVICES Le troisième objectif de l’étude était d’explorer les attentes des partici-pantes par rapport aux services. Une variabilité dans les perceptions quantaux services offerts a été observée selon les milieux de soins (CLSC oucentre hospitalier) et la région d’origine des répondantes (région urbaine,banlieue ou région rurale), laissant entrevoir une implantation partielleet non uniforme des services depuis l’avènement récent du virage ambu-latoire. L’analyse du discours a permis de constater certaines perceptionspositives, de même que des facteurs de mécontentement à l’égard desservices tels qu’ils sont offerts actuellement :

Ils nous ont envoyé un petit pamphlet pour nous dire qu’ils peuvent nousrépondre 24 heures par jour. Je trouve que c’est beaucoup ça, de pouvoirdemander conseil… au lieu d’encombrer les hôpitaux quand ils peuventnous rendre service !

On a eu de très bons soins, mais des fois ils devraient rester un petit peuplus longtemps, rester quelques jours de plus, quelques jours de plus pourpouvoir s’habituer…

Il faut appeler trois jours d’avance… trois jours d’avance, je trouve quec’est trop.

L’infirmière est venue, mais c’était long avant qu’elle vienne. Ça a pristrop de temps. On aurait eu besoin avant, faudrait qu’elle vienne plus vite.Tout de suite quand tu vas sortir, pas une semaine après, le pire est faite !

Le personnel dit que tu devrais faire ci, tu devrais faire ça. On dirait que tudois te soigner toi-même, mais il faut pas que ça aille jusque-là, j’ai assez peur.

Un thème qui revenait souvent dans les propos recueillis concernaitla perception d’une surcharge de travail chez les intervenants :

Dans le fond, faut pas être trop exigeant, y en ont tellement ! C’estcontinuel ! Ça a pas de bon sens, y ont pas le temps de se revirer d’uneplace, sont dans l’autre !

On va là parce qu’on est obligé (CLSC). On veut pas y aller parce qu’onsait qu’ils sont surchargés.

En ce qui concerne les attentes, un thème important concerne lacontinuité dans les soins et services en tant que caractéristique recherchée.Les extraits suivants illustrent ce résultat :

On était bien servi à l’hôpital avec l’infirmière spécialisée, fait que j’aicontinué avec eux au lieu d’aller au CLSC.

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

On s’habitue avec une personne… pis j’aurais aimé ça qu’a revienne. Çame coûtait de demander. On a peur des refus.

Une autre attente clairement exprimée concerne le besoin decomprendre « comment le système de santé fonctionne » :

Là, j’ai des tuyaux, comme on dit. Je sais où appeler, je sais quoi faire. Ilsm’avaient dit que si j’avais besoin d’aide de les appeler, mais il fallait queje les appelle avec un petit peu d’avance… la minute où j’ai trouvé le truc,qui appeler, où m’informer, plus de problèmes !

Les participantes ont enfin formulé des attentes plus précises quantà leurs besoins de services, attentes qui sont en lien avec les situations destress qu’elles nous ont décrites. C’est ainsi qu’on souhaite un certain« contrôle » et une prévisibilité de la situation (savoir qu’est-ce qui va sepasser) qui pourraient être acquis par des moyens concrets, tels que : 1) unenseignement avant, pendant et après l’hospitalisation sur les soins à pro-diguer, les complications possibles, le retour à domicile (… avoir une pra-tique des soins à donner, maintenant qu’on est obligé de soigner dans nos maisonsc’est important qu’ils nous le montrent comment faire) ; 2) une ligne télépho-nique ou un numéro à composer pour obtenir des informations immédia-tement et la disponibilité d’une personne-ressource, surtout le soir et lanuit au moment des périodes de plus grande anxiété (on peut lire… mais10 jours après, on a tout oublié ! On est plus jeune là ! Je préfère quand la situationse présente, avoir quelqu’un qui peut nous aider) ; 3) la possibilité d’obtenir unsoutien psychologique à domicile afin de partager avec quelqu’un l’expé-rience de donner des soins : Avoir quelqu’un qui vient jaser un peu… Y a pasd’aide psychologique, on a envie de crier, de pleurer, y a personne pour parler, pournous écouter. J’en parle aujourd’hui pour la première fois.

5. FEMMES, SOINS ET VIEILLESSE : QUE RETENIR DE L’EXPÉRIENCE PARTAGÉE?

Notre objectif dans ce projet était d’examiner la façon dont les aidantesnaturelles perçoivent le virage ambulatoire, leurs stratégies pour composeravec les soins à prodiguer dans ce contexte et leurs attentes en matièrede services. Les changements au sein du système de santé ont été, ainsique nous l’avons mentionné, entrepris avant que des données puissentêtre accumulées sur la façon dont les aidants naturels, en majorité desfemmes, perçoivent la situation et y font face. Très peu d’études ont étéréalisées sur l’impact du virage ambulatoire sur les aidants naturels auQuébec (Côté et al., 1998). La présente recherche a, dans cette perspec-tive, permis de dresser un profil descriptif de la situation vécue par ungroupe représentatif de la population francophone d’aidantes âgées au

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Québec. Les informations sociodémographiques recueillies sont compa-rables à celles des femmes âgées quant à leur faible niveau de scolarité,leur bas revenu et leur expérience de travail à domicile (Gouvernementdu Québec, 1993). Ce profil correspond à une cohorte de femmes âgéessocialisées à l’époque où les femmes étaient tenues de jouer un rôle ins-trumental et affectif, non seulement auprès de leurs conjoints et enfants,mais également auprès de leurs parents et même souvent de leurs beaux-parents. Beaucoup de femmes de cette cohorte n’ont jamais travaillé àl’extérieur de la maison. Leur statut et leur source de valorisation tenaientsurtout à leur position d’aidante. Ce rôle est, par conséquent, en harmo-nie avec les valeurs qui leur ont été inculquées dès leur plus jeune âge.Cette génération ne sera donc pas encline à se plaindre, ce qui peutexpliquer en partie le peu de visibilité qu’elles ont dans la société actuelle.Quelques femmes participant à l’étude étaient conscientes des caractéris-tiques spécifiques de leur groupe de référence :

C’est de demander une surcharge aux gens. Pis, habituellement, cette sur-charge-là, elle est faite par les femmes. Et aujourd’hui les femmes plus jeunestravaillent toutes, la majorité, et puis ça va être un surplus d’ouvrage pourelles. Notre génération, on a peur de parler, parce qu’on a peur que lesautres pensent qu’on se plaint… pour les plus jeunes, c’est différent.

Le profil résultant de cette étude est intéressant dans la mesure oùil fournit des indications précises quant aux attentes de ces femmes et àleur expérience en tant qu’actrices importantes du virage ambulatoire. Lematériel quantitatif et qualitatif recueilli a permis de saisir la réalité de cesfemmes. Les données révèlent une perception de stress significative chezles aidantes qui vivent l’expérience de prodiguer des soins complexes àleur conjoint à domicile. Le virage ambulatoire est perçu positivement etcomme un défi uniquement dans les situations où un contrôle sur lasituation semble possible et où les désagréments liés aux déplacementsvers l’hôpital sont plus importants que les tâches de soins à exécuter. Dansces cas, plusieurs éléments intéressants ont été mentionnés par les femmesâgées, éléments qui nous informent sur les avantages qu’elles voient àsoigner dans le cadre du milieu de vie naturel. Les participantes ont plusspécifiquement été en mesure d’apprécier clairement le rapport coût-bénéfice lié au phénomène de prodiguer des soins à domicile à la suited’une hospitalisation écourtée. Elles reconnaissent notamment le poten-tiel de guérison accéléré pour leur conjoint (évoqué également dans lespolitiques) et sont capables d’apprécier, pour elles-mêmes, le fait de nepas être seules à domicile pendant une hospitalisation de leur compagnonde vie. Elles se sentent compétentes pour donner les soins nécessaires etapprécient la possibilité qu’elles ont d’apporter une touche personnelleaux soins. Elles relèvent le défi et composent relativement aisément aveccette situation.

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Par ailleurs, dans les cas où les soins sont pointus et nécessitent deshabiletés complexes et une disponibilité continue, la situation est porteusede stress, d’insécurité et elle est amplifiée par l’état de vulnérabilitépréexistant des femmes âgées soignantes. Ces femmes perçoivent la situa-tion comme étant en dehors de leur contrôle et représentant une menacepotentielle à leur bien-être. Pour reprendre les termes de Folkman etLazarus (1984), la situation excède leurs capacités d’adaptation ; elledevient source de stress. Pour y faire face, les femmes âgées recourent àdiverses stratégies, plus particulièrement à la résolution de problèmes età la distanciation, et font appel, au besoin seulement, à l’aide de leurentourage et – en dernier lieu – à celui des services.

Devant l’ensemble de la situation de prise en charge qu’elles expé-rimentent, les participantes ont eu l’occasion, dans le cadre de cette étudeexploratoire, d’exprimer clairement leurs besoins et leurs attentes auregard des services. Les résultats montrent que les services offerts actuel-lement sont relativement peu utilisés par les aidantes âgées. Lorsqu’ils lesont, c’est dans des cas de nécessité ou de situations complexes de soins.Cette constatation de faible utilisation des services ou de « réticence » àles utiliser tels qu’ils se présentent actuellement corrobore les résultatsd’autres recherches effectuées dans le contexte des soins de longue duréeaux personnes âgées (Paquet, 1996). Selon une récente étude, cette réti-cence ne signifierait pas que les aidantes n’ont pas besoin d’aide. Ellerefléterait plutôt un phénomène culturel au sens où le recours à du sou-tien formel est plus qu’une simple demande d’aide : cette demande heurtela norme collective de la solidarité familiale avec toutes les croyances,valeurs et attitudes qui lui sont propres (Paquet, sous presse). Pour cespersonnes, c’est la famille d’abord ou le réseau social informel qui doitfournir de l’aide. Cette réticence pourrait également signifier que lesservices ne se sont pas encore adaptés aux besoins et à la réalité des aidantesâgées qui ont de la difficulté à comprendre le système, se plaignent rare-ment (elles nous l’ont clairement exprimé) et n’ont jamais – ou presque –développé la stratégie adaptative de recours à l’aide formelle au cours deleur trajectoire de vie (Ducharme, 1993 ; Ducharme et Corin, 1998).

Par ailleurs, il importe de mentionner qu’en dépit du fait que lepartenariat État-communauté-famille soit l’idéologie dominante véhiculéeactuellement dans les politiques sociosanitaires, encore peu d’efforts con-crets ont été faits pour arrimer les différentes interventions offertes par leréseau des services formels et les besoins de ces aidantes. Peu de pro-grammes et de politiques concernent les aidantes « naturelles » en tantque clientèle cible (Lavoie et al., 1998). Les services offerts actuellementdans le cadre du virage ambulatoire s’adressent encore principalementaux personnes qui ont subi une hospitalisation et négligent, en grande

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partie, les besoins propres des membres de leur famille qui sont leurspersonnes-ressources à domicile. En ce sens, les aidantes de la présenteétude nous ont confié l’importance de considérer, entre autres, leurbesoin de discuter de leur expérience de soignante.

Au Canada comme au Québec, malgré le fait que la situation devulnérabilité des aidantes naturelles âgées ait fait l’objet de nombreusesrecherches empiriques (Étude sur la santé et le vieillissement au Canada,1994 ; voir Guberman, 1999), les transformations du système de santé sontrelativement récentes et ont devancé la réflexion sur les facteurs psycho-socio-culturels qui doivent être considérés afin de favoriser l’adéquationentre les services et les besoins de cette clientèle. Les aidantes naturellesoffrent une contribution importante, encore occultée et invisible dansnotre société, et les résultats de cette étude obligent à une réflexion surle paradigme qui domine au sein des services. Ce paradigme est à l’imagedu modèle proposé par Twigg (1989) en Grande-Bretagne, il y a déjà plusd’une décennie, selon lequel les aidantes sont encore considérées commedes cotravailleuses ou des ressources à utiliser au sein du système plutôtque comme des coclientes ayant des besoins de santé. Dans cette perspec-tive, des recherches sont nécessaires en vue d’élaborer, d’implanter etd’évaluer des programmes adaptés à la culture des aidantes âgées et con-sidérant leurs propres besoins et attentes. Une réflexion s’impose égale-ment dans l’immédiat quant aux attentes des futures cohortes. Dans vingtans, les plus vieux baby-boomers seront-ils ceux qui auront à fournir, sanssoutien, ces soins complexes dans un contexte de famille en profondetransformation ?

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LES FAMILLES ET LE SOUTIEN AUX PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES

Une étude exploratoire sur le recours aux services

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Agent de rechercheDirection de la santé publique (DSP)Régie régionale de la santé et des services sociaux de Lanaudière (chercheur associé à l’Institut national de recherche scientifique, (INRS-Urbanisation, Culture et Société) et à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal)

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Agent de recherche(Direction de la santé publique Régie régionale de la santé et des services sociaux de Lanaudière)

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Agente de recherche(Direction de la santé publique Régie régionale de la santé et des services sociaux de Lanaudière)

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LES FAMILLES ET LE SOUTIEN AUX PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES

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Au Québec, à la fin des années 1980, on connaissait à peine la situationsociosanitaire des personnes-soutien qui prodiguent soins et assistance auxpersonnes âgées dépendantes. À cet égard, la littérature scientifique faitétat d’un consensus sur les difficultés de la charge ainsi que sur la com-plexité des soins et du soutien à donner à une personne en situation dedépendance. De plus, les recherches ont confirmé qu’au-delà du « fardeau »de la responsabilité de prendre soin les personnes-soutien sont le pivot dumaintien à domicile et, de surcroît, du bien-être des personnes âgées(Garant et Bolduc, 1990 ; Guberman, Maheu et Maillé, 1991).

En fait, en raison du vécu des personnes-soutien et surtout des limiteshumaines qu’impose parfois au quotidien une situation de dépendance, ilest de plus en plus évident pour le milieu de la recherche et de l’interven-tion que ce travail méconnu doit sortir de l’ombre et être reconnu danssa nature et dans son ampleur.

Quelle valeur prennent, socialement, les soins delongue durée à domicile ou le virage ambulatoire si, au bout du compte, le principalacteur engagé dans les soins s’épuise et si, par conséquent, le maintien à domicilese fait au détriment de sa santé ?

Dans ce contexte, la prévention de l’épuisement physique et psycho-logique des personnes-soutien revêt une importance capitale, surtout sil’on considère, recherches à l’appui, que les besoins de ces dernières sontmultiples, diversifiés et singuliers (Lesemann et Chaume, 1989). Parailleurs, même si personne ne peut être contre le fait de vouloir prévenirl’épuisement des aidants, comment peut-on l’actualiser lorsqu’on sait quecette population n’est pas reconnue pour être une grande utilisatrice deservices ? Des recherches démontrent en effet que les personnes-soutienconstituent une population difficile à rejoindre et réticente à utiliser lesservices (Garant et Bolduc, 1990 ; Paquet, 1999).

Or, même si depuis plusieurs années de nombreux chercheurs anglo-américains, s’intéressent à la recherche sur le soutien auprès des person-nes âgées dépendantes, il y en a par contre très peu qui se préoccupentde la réticence à l’égard de l’utilisation des services de soutien formels

1

.Selon Paquet (1999, p. 67) :

Une personne-soutien réticente c’est une personne qui manifestedans son discours et son comportement une réserve face à l’utili-sation des services formels. Cette réticence peut se retrouver tant

1. Les services de soutien formels correspondent aux services de répit institutionnels,communautaires ou à domicile fournis par le réseau des établissements publics oucommunautaires. Il est à noter que les services de soutien formels couvrent un ensembleplus large de services que ceux de répit, par exemple les soins infirmiers et médicaux.Cependant, dans cette recherche, les services formels se limitent aux services de répitqui s’adressent particulièrement aux personnes-soutien. Nous entendons par répit desservices dont l’objectif est de diminuer le « fardeau » des personnes-soutien. Le répit

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chez les utilisateurs de services que les non-utilisateurs qui con-naissent les services ou en soupçonnent l’existence. Cette réticencepeut prendre la forme d’un refus des services ou d’une acceptationobligée en raison du contexte de l’assistance ou de la conditionde santé de la personne âgée ou de la personne-soutien.

Selon les indications de la littérature, la réticence est un phénomènetrès répandu. Malgré le fardeau souvent lourd qu’entraîne le fait deprendre soin d’une personne âgée dépendante, plusieurs personnes-soutien n’utilisent les services que lorsqu’elles ne peuvent plus faire autre-ment et que la limite de l’acceptable est dépassée. En fait, la situation serésume alors à ceci : elles sont à bout de souffle, épuisées physiquementet psychologiquement et souvent en état de crise. Les personnes-soutienn’ont alors plus les capacités nécessaires pour mener à bien leurs tâches,qui les accaparent et les stressent.

Au moment où le contexte sociodémographique, économique etpolitique fait que l’État privilégie plus que jamais, dans la réorganisationdu système, le maintien à domicile et son corollaire le virage ambulatoire,il importe d’explorer ce phénomène de la réticence afin de mieux lecomprendre. En effet,

[…] la réticence a de quoi inquiéter le système de santé et desservices sociaux dans son objectif de prévention puisque sa logiquede planification, d’organisation et de dispensation des services estmise à rude épreuve. Effectivement, le postulat d’une adéquationlinéaire simple entre les problèmes de santé d’une population, sesbesoins et les services à implanter ne résiste pas à la logique fami-liale de soutien. La réticence des personnes-soutien montre que lalogique familiale de soutien est plus complexe que ne le laissecroire celle du système de santé et des services sociaux. (Paquet,1999, p. 19)

Ce que laissent présager ces derniers propos, c’est qu’il n’y a aucunegarantie que la mise en place de services va mener automatiquement à leurutilisation. Il faut donc se méfier de la fausse évidence voulant que l’accèsaux services incite automatiquement les personnes-soutien à les utiliser.L’accessibilité des services est ici d’autant plus importante à considérerque le virage ambulatoire repose fondamentalement sur la contributiondes familles et, principalement, sur les personnes-soutien qui, pour la très

institutionnel fait référence aux services d’hébergement temporaire offerts, entreautres, par les centres d’accueil. Le répit correspond aussi aux services de gardiennageet de soutien à domicile fournis par les CLSC et les centres d’action bénévole. Quantau soutien à domicile, il s’agit de soutien aux activités de la vie domestique (entretienménager, préparation des repas, courses).

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grande majorité, sont des femmes. Dès lors, le défi du milieu de la pra-tique se résume à ceci : comment rejoindre les personnes-soutien avantqu’il ne soit trop tard, avant qu’une crise ne s’installe ou avant que l’épui-sement ne vienne menacer la santé et le bien-être de la personne-soutienet de la personne aidée ?

Au cours des dernières années, l’effort d’exploration du phénomènede la réticence, à la Direction de santé publique de la Régie régionale de lasanté et des services sociaux de Lanaudière, s’est concentré sur une popula-tion d’informateurs clés. Le matériel recueilli a permis de défricher le terrainsur cette question et d’y apporter un éclairage socio-anthropologique. Cetexte apporte un complément à cet éclairage et poursuit l’objectif d’explorerla réticence, mais cette fois auprès des personnes-soutien. L’essentiel del’information rapportée dans cet article est centré sur six questions :

• Les personnes-soutien sont-elles réticentes à utiliser les servicesformels ?

• Les personnes aidées et les autres membres de la famille sont-ilsréticents à utiliser les services formels ?

• Les personnes-soutien sont-elles réticentes uniquement à l’égard desservices formels ?

• La réticence varie-t-elle selon l’âge et le sexe ?

• La réticence est-elle liée à des lacunes dans l’organisation desservices ?

• La réticence est-elle un phénomène de culture ?

Avant de se diriger au cœur de ce questionnement, nous décrironsles repères méthodologiques de cette étude. En conclusion, nous feronsle tour des principaux constats que permet de dégager cette étude.

1. MÉTHODOLOGIE

1.1. M

ILIEU

,

POPULATION

À

L

ÉTUDE

ET

ÉCHANTILLONNAGE

Cette recherche exploratoire et qualitative a été menée dans la région deLanaudière auprès de vingt personnes-soutien qui prennent soin d’une per-sonne âgée en perte d’autonomie. Le recrutement des participants a étémajoritairement réalisé par l’intermédiaire de trois informateurs clés. Cesderniers ont recruté dix-sept personnes sur les vingt rencontrées. Parmi lesdix-sept personnes, cinq participaient au moment de l’étude à des ren-contres de groupe de soutien. Ces personnes ont d’abord été sollicitées par

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les informateurs clés qui se sont assurés de leur consentement avant de noustransmettre leurs coordonnées. Par la suite, un contact téléphonique étaitétabli pour fixer un rendez-vous avec les personnes. Les trois autres person-nes qui composent l’échantillon ont été recrutées par une stratégie d’échan-tillonnage en boule de neige : lors des rencontres avec les personnes-soutien,nous leur demandions si elles connaissaient d’autres personnes susceptiblesde participer à la recherche. La taille de l’échantillon a été déterminée enfonction des personnes que les informateurs clés ont recrutées.

1.2. P

ROFIL

DES

PARTICIPANTS

Sur les vingt personnes composant l’échantillon de cette étude, dix-neufont rempli un questionnaire permettant de décrire leur profil. En ce quiregarde le lieu de résidence, neuf personnes habitent dans la MRC deMontcalm, huit dans la MRC D’Autray, trois dans la MRC de Matawinieet une dans la MRC de Joliette. Pour ce qui est du sexe et de l’âge desrépondants, la très grande majorité des personnes-soutien sont des femmes(quatorze femmes contre cinq hommes), neuf personnes se retrouventdans la catégorie d’âge des 65 ans et plus, six ont entre 50 et 64 ans, tandisque quatre personnes ont entre 30 et 49 ans.

La plupart des personnes-soutien rencontrées sont mariées (seizecomparativement à trois célibataires). Onze personnes ont atteint unescolarité de niveau secondaire, alors que l’on en retrouve sept pour leniveau primaire. Une personne a une scolarité de niveau universitaire.Aucune de ces personnes ne travaillait au moment de l’enquête. Sauf dansun cas, les personnes-soutien habitent avec la personne aidée et danspresque la moitié des cas, soit neuf personnes sur dix-neuf, elles habitentseules avec la personne aidée. Les personnes-soutien s’occupent majoritai-rement d’un conjoint (douze cas sur dix-neuf). Pour plus de la moitié desgens (onze personnes sur dix-neuf), la durée des soins est de moins decinq ans, tandis que pour quatre personnes cette durée varie entre cinqet neuf ans et que pour les quatre autres elle est de dix ans et plus. Latrès grande majorité des personnes-soutien ont déclaré un revenu demoins de 30 000 $ par année (quatorze personnes sur dix-neuf). En cequi concerne la perception de leur état de santé, douze personnes-soutienl’évaluent comme assez bonne, alors que six personnes la considèrentcomme très bonne. Seulement une personne perçoit sa santé comme assezmauvaise. Dix personnes-soutien considèrent la santé de la personne aidéecomme assez bonne, alors que seulement une la perçoit comme trèsbonne. Cinq personnes l’évaluent comme assez mauvaise et autant commetrès mauvaise.

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Pour ce qui est de l’âge des personnes aidées, on dénombre septpersonnes qui ont entre 50 et 64 ans et quatorze dont l’âge est de 65 anset plus. Il est à noter que la population des personnes aidées est de vingtet un du fait qu’une personne-soutien avait la responsabilité de trois per-sonnes. Le sexe des personnes aidées se répartit presque équitablement(onze hommes et à dix femmes). Dans treize cas, les personnes aidées sontmariées, alors que cinq sont célibataires. Deux ont perdu leur conjoint etune personne est divorcée.

1.3. T

ECHNIQUE

DE

COLLECTE

DES

DONNÉES

L’entrevue individuelle a été utilisée comme technique de collecte desdonnées. Sauf pour deux personnes, les entrevues se sont déroulées audomicile des personnes-soutien entre le mois d’avril et le mois d’août1993. Dans six cas, d’autres personnes étaient présentes au moment del’entrevue. Quatre entrevues se sont faites en présence d’une personne,soit la personne aidée dans trois cas. Une entrevue s’est faite en présencede quatre personnes, soit les trois personnes aidées et un autre membrede la famille élargie (cousine). Une entrevue s’est faite en présence dequatre personnes, soit la personne aidée, deux aidants secondaires (fils etfille) et une auxiliaire familiale.

La présence des autres personnes aux entrevues s’explique par le faitque celles-ci demeuraient avec la personne-soutien et qu’elles étaient pré-sentes au domicile à l’arrivée de l’intervieweur. Dans un seul cas, unepersonne de l’extérieur a participé à la rencontre à l’invitation de l’aidant.Au cours des entrevues qui se sont déroulées à plusieurs, il est arrivé quedes personnes autres que la personne-soutien participent aux échanges enprenant la parole. Lorsque leurs propos étaient pertinents à la recherche,nous les avons intégrés au corpus des données.

Dix-sept personnes-soutien ont été rencontrées à une seule occasionet deux autres ont été rencontrées à deux reprises. Pour une personne,il a fallu trois rencontres en raison de la présence de la personne aidée,de même que de la fatigue et de l’émotion générée par le contenu del’entrevue.

La durée des entrevues variait entre quarante-cinq minutes et un peuplus de trois heures, pour une durée moyenne d’une heure cinquante-cinq minutes. Dix-huit entrevues ont été enregistrées sur bande magné-tique. Deux entrevues n’ont pas été enregistrées en raison d’un refus etd’un problème technique. Dans les deux cas, la prise de notes en coursd’entrevue a servi à la collecte d’informations.

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Dans le cadre de cette recherche, nous n’avons pas utilisé commetel de schéma d’entrevue. Au moment de l’enquête, nous étions dans unephase préexploratoire qui visait d’abord à mieux connaître la dynamiquedu fonctionnement de la logique familiale de soutien auprès d’une per-sonne âgée. Nous avons relevé, dans la poursuite des entrevues, que lephénomène de la réticence émergeait de façon récurrente, comme dansle cas des informateurs clés. À l’origine, nous devions poursuivre la collectedes données auprès d’un échantillon plus grand de personnes-soutien,dans le but cette fois de focaliser plus précisément notre attention sur laréticence. Or, au moment de l’analyse des données des vingt entrevueseffectuées, nous avons considéré que les informations concernant la réti-cence étaient suffisantes pour en tirer, à titre exploratoire, une analysepermettant de donner des repères à sa compréhension.

1.4. T

RAITEMENT

ET

ANALYSE

DES

DONNÉES

Sur les vingt personnes rencontrées, deux ont fait l’objet d’une étude decas (voir Paquet, 1999). Les entrevues enregistrées ont été transcrites inté-gralement. Par la suite, le corpus des informations a été traité par analysequalitative de contenu. La présentation des résultats repose sur les thèmesqui ont directement émergé de l’analyse de contenu des données effectuéesauprès des informateurs clés (Paquet, 1999).

2. RÉSULTATS

2.1. L

A

RÉTICENCE

ET

LES

PERSONNES

-

SOUTIEN

Les personnes-soutien sont-elles réticentes à utiliser les services formels ?

Certaines personnes-soutien

2

font souvent et rapidement appel aux ser-vices de soutien formels, du fait qu’elles sont plus conscientes de leurslimites, de leur inexpérience, de leur fragilité physique et mentale ouencore à la suite des conseils insistants de leurs proches. Certaines per-sonnes ont constaté rapidement que pour prendre soin il leur était impos-sible, par exemple, d’être à la maison jour et nuit. De même, elles nepouvaient pas se lever éventuellement de quatre à cinq fois par nuit touten apportant l’aide nécessaire à la personne dépendante durant le jour.

2. Nous utilisons indifféremment dans ce texte les termes personne-soutien et aidante. Deplus, le terme aidante est préféré à celui d’aidant, puisque les soins auprès d’un prochedépendant sont en majorité assurés par des femmes.

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Elles font donc appel aux services de soutien formels, sachant pertinem-ment qu’elles n’auraient pas pu maintenir la personne aidée encore long-temps à la maison. Pour ces personnes-soutien, le recours aux servicesdispensés, entre autres par les CLSC, repousse certainement à plus tardle placement des aidés en centre d’accueil ou en centre hospitalier desoins de longue durée.

D’autres personnes-soutien bien informées, parce qu’elles ont été encontact avec le réseau des services de soutien formels ou parce qu’ellesconnaissent des personnes qui en bénéficient déjà, n’hésitent pas, ellesnon plus, à recourir aux services de soutien formels. Pour une partied’entre elles, ces services sont là pour être utilisés ; il ne faut donc pas sepriver de le faire, puisque cela va de soi. L’utilité et la qualité des servicesofferts sont reconnues et elles savent très bien à quoi s’attendre en yrecourant. Les commentaires formulés par une personne-soutien utilisa-trice de services du réseau de soutien formel révèlent bien cette attituded’ouverture à l’égard des services :

Je n’ai pas hésité à demander de l’aide. Ily a des services pour ça, pourquoi devrais-je m’en priver ?

Par contre, la majorité des personnes-soutien affichent à un momentou à un autre de la trajectoire des soins une réticence à faire appel auxservices de soutien formels. Plus vive au début de l’implication, la réti-cence perd toutefois de sa vigueur avec le temps ou lorsque la personne-soutien constate qu’elle ne peut plus suffire à la tâche. Dès lors, certainespersonnes-soutien se résignent à demander un soutien formel, offert laplupart du temps par les CLSC. Mais, avant d’en arriver là, les aidantesauront d’abord fait appel au soutien de la famille ou elles se tourneronten cas de besoin vers l’entourage (amis, voisins, etc.). Elles apprennent àse débrouiller avec les moyens du bord avant de faire appel aux servicesde soutien formels et rares sont celles qui acceptent rapidement dedemander une aide extérieure. Pour plusieurs, même si prendre soin esttrès prenant, il s’agit rarement d’un fardeau impossible à supporter. Aucontraire, la majorité des aidantes insistent pour dire que c’est un plaisirde prendre soin de l’aidé et que cela constitue une preuve concrète deleur amour pour celui-ci. Ainsi, quels que soient la qualité et le degré decouverture des services formels disponibles, les personnes-soutien semblenttrès nombreuses à les utiliser en tout dernier recours.

La réticence vient souvent de la méconnaissance qu’ont les personnes-soutien des différents services disponibles et de la peur des conséquencesque leur utilisation pourrait susciter. Certaines personnes-soutien ne fontpas appel aux services de soutien formels non pas parce qu’elles n’en ontpas besoin, mais parce qu’elles ne savent pas où, comment et à qui s’adres-ser. Elles ne savent pas ce qui peut leur être offert et elles savent encoremoins ce dont elles pourraient avoir besoin. Bien souvent, prendre soin

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de son conjoint ou d’un proche est aussi récent qu’inattendu. Dès lors,les aidantes ne possèdent pas toute l’expérience requise pour évaluer leursbesoins et leurs lacunes. Voyons le propos d’une personne-soutien :

Tout s’est arrêté du jour au lendemain. Mon mari est tombé malade àl’ouvrage et notre vie a changé de A à Z. C’est arrivé tellement vite que tune sais pas de quel côté te tourner. On ne sait pas trop où aller demanderde l’aide et on se retrouve avec beaucoup de responsabilités. Si je ne parvienspas à maintenir les choses comme avant, je me sens coupable. Je n’ose plussortir et laisser seul mon conjoint à la maison. Je veux tout faire aussi bienqu’avant, mais je risque de dépasser mes limites avant même de m’enapercevoir. Je ne sais pas quand m’arrêter ou me reposer.

Ce manque de préparation, combiné avec la douleur de voir un êtrecher diminué physiquement ou mentalement, rend la situation d’autantplus difficile. Le désir est grand, alors, de maintenir l’illusion que tout estresté comme avant et de redoubler d’ardeur pour refuser obstinémenttoute forme d’aide. Déjà accaparées par les exigences de l’assistance, lespersonnes-soutien préfèrent s’abstenir dans le doute et l’incertitude.

Certaines hésitent à demander de l’aide de peur d’abuser du sys-tème, d’essuyer un refus, de se sentir de trop ou par crainte de profiterde services qui pourraient être plus utiles à d’autres personnes ayant plusde besoins qu’elles. Combien de fois n’ont-elles pas entendu que les orga-nismes gouvernementaux manquaient d’argent pour offrir toute lagamme des services requis par la population ? En pareil cas, pourquoientameraient-elles une démarche qui, toujours selon elles, a peu de chancesd’aboutir à une aide concrète ?

D’ailleurs, les personnes-soutien qui profitent déjà des services duréseau de soutien formel affichent, elles aussi, une certaine réticence,puisqu’elles hésitent souvent à en demander encore plus. La crainte detout perdre, de déranger, la peur du refus et la volonté de ne pas abuserdu système les incitent fortement à se contenter de ce qu’elles ont. Fré-quemment, elles considèrent qu’elles ont déjà bien de la chance d’avoirce qu’elles ont dans un contexte où elles n’entendent parler que decompressions budgétaires et donc de services ne pouvant tout simplementplus répondre à la demande.

Avoir huit heures de services par semaine, c’estdéjà beaucoup. Il ne faut pas abuser du système

, nous disent certaines personnes-soutien.

En outre, des personnes-soutien sont réticentes à utiliser les servicesde soutien formels, parce qu’elles ne connaissent pas les personnes quipourraient venir à la maison les aider. À cet égard, les plus irréductiblesalimentent leur refus par une volonté ferme de vouloir tout faire seuleset sans aide, jusqu’à l’épuisement. Dans ce contexte, il est fréquent que

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les personnes-soutien tentent par tous les moyens de démontrer justementqu’elles sont en mesure de se débrouiller sans l’aide des services formels.Elles mettent ainsi tout en œuvre pour que la maison soit impeccable etque la personne dépendante puisse profiter de toutes les attentionsqu’exige son état de santé physique et mentale. Dès lors, on assiste niplus ni moins au déploiement du rôle de la femme-orchestre : conjointe,coordonnatrice des soins, infirmière, préposée au malade, personne decompagnie pour parler et, surtout, pour écouter l’aidé, auxiliaire fami-liale, cuisinière, surveillante de jour et de nuit pour prévenir les accidentsdans la maison et intervenir rapidement en cas de besoin, chauffeuseaccompagnatrice aux multiples rendez-vous, femme d’entretien pour lestâches intérieures et extérieures, administratrice comptable, etc. Parfois,le déploiement des efforts de cette femme-orchestre se fera jusqu’aumoment où elle ne sera plus en mesure de remplir aucune de ces tâches.

En ce qui concerne les personnes-soutien qui reçoivent déjà du sou-tien formel, on observe que certaines d’entre elles expriment leur réti-cence en faisant le ménage de la maison avant la venue de l’auxiliairefamiliale. Elles veulent ainsi montrer que l’aide reçue n’est pas essentielle.

Des personnes-soutien tentent de justifier leur réticence en expli-quant qu’elles ne peuvent se résoudre à accepter que des inconnus enva-hissent leur espace domestique. Elles considèrent que le fait de prendresoin implique essentiellement une relation dyadique entre l’aidante etl’aidé où les étrangers sont systématiquement exclus. En d’autres mots,elles considèrent que prendre soin doit demeurer la tâche d’une seule etmême personne : elles-mêmes. Je ne veux pas qu’un étranger soit toujours dansmes propres affaires. Je ne veux pas être inquiète en quittant la maison et en laissantmon mari entre les mains d’une personne étrangère à la famille.

La réticence, c’est aussi une question de fierté. Les personnes-soutien ne veulent surtout pas que tout l’entourage (la famille, les amis,les voisins, le village, etc.) sache qu’elles sont en difficulté et qu’elles ontbesoin d’aide. Parfois, elles expriment même la peur que la confidentialitéde leur dossier ne soit pas respectée.

La réticence, c’est également la crainte que l’utilisation de servicesne change leur routine et que cette aide extérieure ne déséquilibre lapersonne dépendante. On a peur que l’utilisation de services formelsoccasionne une plus grande charge plutôt qu’un réel répit.

Lorsqu’on regarde les raisons de la réticence des personnes-soutien,on se rend compte qu’elles varient en intensité d’une personne à l’autre.En effet, pour certaines, la réticence peut être faible et par le fait mêmeassez facile à contourner avec un peu plus d’informations et de précisions

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sur les services. Par exemple, une meilleure connaissance du mode deprestation des services inciterait probablement plusieurs personnes-soutienà s’en servir, alors qu’elles ne le font pas actuellement par gêne ou parpeur de l’inconnu. En fait, il semble que plusieurs de ces personnes accep-teraient volontiers une aide qui leur serait directement offerte, car ellesn’osent pas en faire la demande de peur d’avoir l’air de quémander, dequêter ou de vouloir la charité. Cette aide serait également beaucoup plusacceptable si elle était introduite de façon progressive, ce qui aurait poureffet de rassurer à la fois la personne dépendante et la personne-soutien.

À ce qui précède il est utile d’ajouter que la relation entre lapersonne-soutien et la personne aidée et la dynamique de soutien quiexiste entre les deux ont un impact sur l’intensité de la réticence à l’égardde l’utilisation des services de soutien formels. Concrètement, les personnes-soutien sont prêtes à offrir aux aidés le soutien qui leur est nécessaire.Toutefois, elles exigent, dans la mesure du possible, que la personne aidéeapporte sa propre contribution à la gestion de ses soins. L’existence decette collaboration entre l’aidante et l’aidé fait en sorte que ces personnesne voient pas toujours la nécessité de faire appel à de l’aide extérieure.Puisque tout semble fonctionner, pourquoi demander de l’aide ? Dans cecontexte de collaboration, l’aidante et l’aidé parviennent à maintenirl’illusion que tout va toujours bien aller. En ce sens, quand tout va bien,les raisons qui incitent les personnes-soutien à recourir à du soutiensemblent en effet plus rares que lorsque la situation dans la dyade estdifficile ou conflictuelle. Mais même dans le cas d’une relation ardueentre l’aidante et l’aidé, il faut nuancer, car on observe que ce ne sontpas toutes les personnes-soutien qui vont faire appel aux services pour sefaciliter la tâche.

Il faut comprendre que les multiples responsabilités du « prendresoin « s’exercent dans un contexte où les personnes-soutien remplissentd’autres rôles sociaux comme celui de conjoint ou de parent où elles fontégalement appel à des compétences, de l’expérience et des capacités phy-siques et psychologiques. Très souvent, les personnes-soutien doivent s’occu-per seules de toute la destinée de la maison. Il est fréquent qu’elles soientdans l’obligation de quitter leur emploi pour remplir les tâches nécessaires.Comme le dit une aidante : Prendre soin, c’est atteindre rapidement ses limites, c’estvivre un deuil de sa propre vie, c’est perdre son indépendance, c’est l’obligation d’avoirune vie bien organisée pour satisfaire les besoins d’une autre personne et c’est plongerdans l’isolement. Selon un autre témoignage :

C’est dur de s’occuper de mon mari, parce qu’il ne parle presque plus. Il ya de moins en moins de personnes [ami et parenté] qui viennent nousvoir, parce qu’il ne dit plus grand-chose. Cette situation fait en sorte queje me sens de plus en plus isolée. Ma maison est devenue ma propre prison

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parce que je ne peux plus sortir, ne pouvant pas laisser mon mari seul àla maison. Pour réussir à bien s’occuper de mon mari, il faut de la patience,beaucoup de patience, car il accepte mal sa situation. J’aime m’occuper demon mari, mais j’accepte difficilement de subir la tension, la pressiongénérée par le fait que je suis seule à m’en occuper.

Dès lors, graduellement, les personnes-soutien en viennent par laforce des choses à prendre toutes les décisions. Loin d’être facile, unetelle situation peut parfois engendrer des frictions entre l’aidante et l’aidé.La question est de savoir jusqu’où les uns peuvent exercer leur autoritéou leur contrôle sur les autres. Jusqu’où peut-on agir à sa guise lorsqu’onest entièrement dépendant d’une autre personne pour assurer son bien-être, sa survie ? Bien entendu, avec le temps, la dépendance de l’un et lafatigue de l’autre font en sorte que la relation entre l’aidante et l’aidén’est pas toujours harmonieuse. Parfois frustrés par leurs limitations, lesaidés deviennent colériques, impatients et exigeants vis-à-vis des personnes-soutien. Nullement en reste, celles-ci peuvent afficher les mêmes compor-tements envers les personnes dépendantes. Les accrochages peuvent doncêtre nombreux et les échanges durs et blessants, même s’il existe uneaffection réciproque entre l’aidé et l’aidante.

Malgré tout, par un souci commun de maintenir la personne aidéeà domicile, la relation entre l’aidante et l’aidé est souvent empreinte decompromis. Ces compromis ne sont pas toujours faciles à trouver et, sur-tout, à maintenir, car prendre soin s’inscrit dans une trajectoire en évolu-tion. En effet, l’état de santé des aidés va rarement en s’améliorant et cettedégradation inéluctable, trop fréquemment conjuguée à l’accumulationde fatigue morale et physique chez l’aidante, contribue à établir un climatde frustration, de fatalisme et de désespoir dans la relation entre les deuxpersonnes. Mais, malgré cela, rares sont les personnes-soutien et les aidésqui vont rapidement accepter du soutien des services formels. On préfèreencore espérer que la situation va se stabiliser et que l’on saura surmonterles embûches avec succès.

Parmi les personnes-soutien, certaines utiliseront les services de sou-tien formels seulement lorsqu’elles ne seront plus capables de faire autre-ment. Bien souvent, elles n’ont jamais été malades et ne sont donc pas prêtesà demander de l’aide, puisqu’elles n’en voient pas la nécessité. Elles vonts’y résoudre lorsqu’elles « se ramasseront sur le carreau ». Même si on leurpropose du soutien pour leur permettre de rester en bonne santé plus long-temps, elles refuseront tant qu’elles auront le choix. Entre-temps, l’orgueil,la fierté et le désir de démontrer qu’elles peuvent encore tout faire seulesfont obstacle au recours aux services qu’elles jugent par contre utiles etmême essentiels pour les personnes qui ne peuvent suffire à la tâche seules.La réticence est un comportement d’autant plus contradictoire que les

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personnes-soutien reconnaissent sans peine que prendre soin est une res-ponsabilité qui, tôt ou tard, viendra à bout de leur résistance physique etpsychologique. En fait, l’espoir consiste à repousser le plus loin possiblel’échéance de la demande de soutien.

Enfin, il faut bien dire que pour d’autres personnes-soutien le degréde la réticence atteint des sommets. Dans ces cas, on a l’impression quel’acceptation de l’aide ne se fera qu’au seuil de leur mort. Pour ces per-sonnes, la famille seule est autorisée à s’occuper de la gestion des soins.Comme une personne-soutien le dit :

Nous autres, on est tranquilles comme ça. On est capable de subvenir ànos besoins sans aide. On ne veut donc pas recevoir d’aide du CLSC. Seulel’aide des membres de notre famille immédiate est acceptable. Avec lesmembres de la famille, on n’a pas de crainte et on n’est pas mal à l’aise.On est capables de s’arranger ensemble comme ça.

Somme toute, pour éviter d’en arriver à demander des services desoutien formels, les personnes-soutien établissent des règles auxquellesdoivent se plier les aidés et, évidemment, tout le reste de la maisonnée.En contrepartie, les aidés jouissent presque toujours d’un endroit de lamaison qui est strictement le leur. Quel que soit l’endroit où ils vivent(dans leur propre maison, chez leurs enfants, chez un neveu, etc.), ons’arrange toujours pour qu’ils se sentent chez eux. Les personnes-soutienconsidèrent rarement les aidés comme des pensionnaires et encore moinscomme des invités : ils font partie intégrante de la famille.

2.2. LA RÉTICENCE ET LES AUTRES ACTEURS FAMILIAUX

Les personnes aidées et les autres membres de la famille sont-ils réticents à utiliser les services formels ?

La réticence ne se limite pas aux personnes-soutien. Les entrevues révèlentque plusieurs personnes aidées et des membres de la famille exprimentune réticence parfois farouche à l’égard de l’utilisation des services desoutien formels. Ce comportement fait d’ailleurs en sorte que les aidantesse voient dans l’obligation de limiter au minimum ou de refuser, parfoiscontre leur gré et malgré un besoin flagrant d’aide, toute forme de sou-tien pour éviter toute friction ou de peur d’attiser les frustrations et lesrécriminations de l’aidé. À cet égard, les personnes-soutien savent quel’aidé ne veut pas recevoir ce genre de services à domicile. C’est à ce pointvrai que des personnes aidées adoptent une attitude insidieuse visant àculpabiliser la personne-soutien. Cela fait en sorte que la tension existantentre l’aidante et l’aidé engendre de la fatigue, du découragement et del’isolement chez le premier et de la rancœur chez le second.

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Dès lors, par crainte d’une vive réaction de la part de la personneaidée, l’aidante s’arrange seule ou, au mieux, fait appel occasionnellementaux membres de la famille. Par exemple, elle craint que l’aidé ait uncomportement douteux ou encore inacceptable envers les personnes quipourraient venir aider à la maison. Que se passera-t-il lorsque l’auxiliairefamiliale ira donner un bain ? Les personnes qui viendront à la maison seferont-elles insulter ou, pis encore, bousculer ? Par ailleurs, les personnes-soutien ne veulent surtout pas donner l’impression à la personne aidéequ’elles s’en remettent à d’autres pour exécuter leur travail.

En fait, tout porte à croire que la réticence à l’égard de l’utilisationdes services est tout aussi fréquente parmi les personnes aidées que chezles personnes-soutien. Les personnes aidées sont réticentes parce qu’ellesacceptent parfois mal leur limitation d’activités. Être dépendantes leur estdéjà difficile à vivre et recevoir de l’aide ne fait que confirmer un état dedépendance qu’elles refusent souvent d’accepter. Chez d’autres, c’est lemanque de confiance envers les étrangers qui prédomine. Les personnesaidées ne veulent pas que des inconnus mettent leur nez dans leursaffaires personnelles, qu’ils fouillent dans leurs tiroirs et, pis encore, qu’ilsvolent leurs maigres ressources. D’autres encore refusent carrément quedes personnes de sexe opposé les aident à faire leur toilette. Leur orgueil,déjà fortement entamé par l’obligation d’être aidées, les incite à refuserl’aide de personnes pour les déshabiller ou les laver dans le bain. Seulel’aide du conjoint paraît acceptable, pour ne pas dire tolérable, en pareillescirconstances.

Même si les personnes-soutien et les personnes aidées sont nombreusesà ne pas vouloir profiter des services de soutien formels pour l’entretienménager, le gardiennage ou encore les soins d’hygiène, il est à noterqu’elles sont toutefois rares à refuser les services médicaux à domiciledonnés par l’infirmière ou le médecin du CLSC. Loin d’être jugées enva-hissantes, ces visites sont appréciées de tous, car elles évitent aux aidanteset aux aidés les déplacements au centre hospitalier ou au CLSC. Les soinset les conseils prodigués par les infirmières et les médecins permettentaussi de rassurer autant la personne-soutien que la personne aidée. Enfait, ce qu’il faut comprendre dans le cas des personnes-soutien, c’est queles services médicaux courants qu’elles acceptent couvrent un champ desoins où elles se sentent pour le moins incompétentes. En plus, ces servicesne viennent pas ternir l’image qu’elles veulent projeter, soit celle de per-sonnes capables de se débrouiller seules pour s’occuper de la maison etde la personne dépendante.

Par ailleurs, il importe de signaler que les autres membres de lafamille peuvent favoriser la réticence chez les personnes-soutien et lespersonnes aidées en adoptant une attitude négative à l’égard des services

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de soutien formels et envers les aidantes qui ne sont pas capables de sedébrouiller seules. Les pressions qu’ils exercent, qu’elles soient directesou plus subtiles, finissent souvent par influencer les décisions des aidéeset des personnes-soutien dans le choix de recourir ou non à une aideextérieure à la famille. Il n’est pas rare que certains membres de la famille,tout comme certaines personnes aidées, culpabilisent la personne-soutienlorsqu’elle utilise les services de soutien formels. Certains feront ainsicirculer des rumeurs voulant que la personne-soutien se paye du bontemps au lieu de s’occuper à temps plein de la personne dépendante. Ence sens, la réticence, lorsqu’elle n’est pas unanime au sein de la famille,est toujours plus dommageable pour les personnes-soutien. En effet, cesont elles qui doivent compenser l’absence d’aide extérieure lorsque celle-ci n’est pas désirée. Ce sont également elles qui doivent supporter lessarcasmes de la famille et les sautes d’humeur de l’aidé lorsqu’elles utilisentles services de soutien formels. En fait, lorsque les personnes-soutien sontseules à désirer cette aide, elles risquent d’être perdantes, et ce, quelleque soit leur décision finale d’utiliser ou non les services.

Du reste, si la réticence n’est nullement circonscrite aux personnes-soutien, il faut admettre et surtout souligner que ce phénomène n’est pasuniversel ni stable dans le temps. Dans la dynamique familiale de la gestiondes soins, il arrive qu’on fasse rapidement appel aux services de soutienformels, comme il est possible que l’utilisation des services se fasse aprèsdes mois, voire des années de soins. À titre d’exemple, on a observé quedes personnes aidées acceptent parfois avec joie une aide extérieure quiest l’occasion de rencontrer d’autres personnes pour se changer les idées.D’autres apprécient les visites quotidiennes ou hebdomadaires parcequ’elles leur reconnaissent une utilité ou, encore, parce que les personnesqui viennent aider sont gentilles et attentionnées. D’ailleurs, il faut aussimentionner que les membres de la famille sont généralement les premiersà inviter les aidantes à recourir aux services formels.

2.3. LA RÉTICENCE ET LE SOUTIEN FAMILIAL ET INFORMEL

Les personnes-soutien sont-elles réticentes uniquement à l’égard des services formels ?

La réticence des personnes-soutien ne se limite pas à l’utilisation des ser-vices de soutien formels, loin de là. Les aidantes hésitent également à faireappel au réseau de soutien informel (amis, voisins, organismes non gou-vernementaux, etc.) et au soutien familial (enfants, frères, sœurs, etc.). Enfait, d’un côté, elles ne veulent pas demander l’aide de personnes qui ne

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font pas partie de la famille et, de l’autre côté, elles n’osent pas faire appelaux membres de la famille de peur de les déranger parce qu’ils travaillentou encore parce qu’ils ont leurs propres soucis quotidiens.

Les personnes-soutien désirent toutes se débrouiller seules, et ce,pour diverses raisons. Toutefois, on observe que le degré de réticence variebeaucoup selon le type de réseau. Ainsi, on accepte plus facilement l’aidedes membres de la famille comparativement à celle des amis ou des voisins.Et lorsque vient le temps de demander de l’aide à des inconnus du réseaude soutien formel, la réticence devient alors nettement plus forte. Lespersonnes-soutien affichent moins de réticence à profiter des services desoutien informel et familial, parce que l’aide fournie dans ce cas est épi-sodique (sur demande et pour des besoins très précis) et qu’elle n’engageà rien. Élément plus important encore, cette aide peut être fournie pardes personnes connues en qui les personnes-soutien ont confiance.

En définitive, l’aide du réseau de soutien familial est acceptable, maisquand tout va bien elle n’est pas nécessaire. Pourquoi, alors, courir aprèsles membres de la famille quand on sait qu’ils ont à faire face à leurspropres obligations professionnelles et familiales ? Ce que disent souventles personnes-soutien, c’est que les autres membres de la famille ont assezde leur travail à faire : ils ne sont quand même pas obligés de venir fairele nôtre. L’aide occasionnelle qu’ils apportent est néanmoins jugée utileet même nécessaire. En contrepartie, jamais ils ne pourraient assurer unsoutien sur une longue période. Dans ces conditions, aussi bien essayerde se débrouiller seules, concluent les personnes-soutien.

2.4. LA RÉTICENCE, L’ÂGE ET LE SEXE

La réticence varie-t-elle selon l’âge et le sexe ?

Selon toute vraisemblance, la réticence à l’égard des services formels estmoins forte parmi les plus jeunes aidantes, alors qu’elle augmente enfréquence et en intensité chez les plus âgées. Les personnes âgées déclarentavoir peur d’être bousculées dans leur routine et dans leurs habitudespour justifier leur réticence. La présence d’un étranger qui vient aider àla maison exige parfois un effort d’adaptation que beaucoup de personnesâgées ne sont pas en mesure de fournir. Elles acceptent mal que leurunivers, autrefois caractérisé par une forte autonomie et une grandeliberté d’action, qu’elles ont mis des années à construire, s’écroule aussirapidement sous leur regard impuissant. À titre d’exemple, voici les pro-pos d’une aidante dans la soixantaine. Je ne veux pas l’aide du CLSC, car je

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me sens encore capable de me débrouiller, je peux régler mes affaires toute seule. Jene suis pas assez mal prise pour demander de l’aide et je suis trop fière pourdemander de l’aide à des inconnus.

Tout comme l’âge, le sexe des personnes-soutien semble entrer enligne de compte, puisque les hommes sont prêts à demander plus souventet plus rapidement des services que les femmes.

Les différences observées en fonction de l’âge et du sexe pourraients’expliquer, entre autres choses, par le fait que les personnes les plusâgées, plus particulièrement les femmes, ont appris à se débrouiller seules,sans l’aide d’autrui. Elles ont toujours privilégié cette pratique dont ellespeuvent difficilement se défaire.

2.5. LA RÉTICENCE ET L’ORGANISATION DES SERVICES

La réticence est-elle liée à des lacunes dans l’organisation des services ?

Les entrevues auprès des personnes-soutien laissent entendre qu’unmanque flagrant d’informations sur les services entrave l’accessibilité auxservices. En effet, des personnes-soutien ne savent pas qui rejoindre auCLSC pour avoir de l’aide et elles ne savent même pas ce qu’elles peuventdemander comme services. Il semble qu’il y ait peu d’informations qui cir-culent à ce sujet. Les CLSC auraient tout à gagner en expliquant mieux auxpersonnes-soutien et aux aidés quels genres de services ils peuvent offrir etquels bénéfices l’aidante et l’aidé peuvent en retirer. On reproche aux inter-venants de ne pas assez insister sur le fait que l’aide des CLSC et des centresde jour empêche ou retarde l’institutionnalisation de la personne dépen-dante. De plus, ils ne soulignent pas assez clairement que demander del’aide du CLSC et des centres de jour, ce n’est pas profiter du système.

Des usagers trouvent que les services offerts par les CLSC souffrentd’une certaine rigidité. Ils déplorent qu’on les oblige à justifier leursbesoins, pour du gardiennage par exemple. De plus, les services de gar-diennage imposent aux usagers qu’ils prévoient leurs besoins de répit, carce genre de services n’est pas offert sur appel. Dès lors, il leur faut penserà planifier pour réserver certaines journées.

Des personnes-soutien considèrent que l’aide des CLSC est nette-ment insuffisante. Ce ne sont pas quelques heures d’aide par semaine qui,selon elles, leur permettront de souffler et de continuer à assurer la priseen charge. Les CLSC refusent parfois d’offrir les services requis parcequ’ils disent ne pas avoir assez de budget pour suffire à la demande. Depareils refus font en sorte que beaucoup de personnes-soutien hésitent àfaire à nouveau des demandes même si leurs besoins sont pressants et

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amplement justifiables. D’ailleurs, plusieurs personnes-soutien utilisenttoutes les heures d’aide offertes par les CLSC, même si elles n’en ont pastoujours besoin. Elles ont simplement peur de les perdre définitivementsi elles ne les utilisent pas toutes.

En ce qui regarde les coûts, il ressort que la gratuité des servicesfournis par les CLSC n’est pas toujours clairement établie. Des personnes-soutien et des personnes aidées déplorent le fait qu’elles aient été obligéesde payer pour certains services, alors qu’on leur avait initialement affirméle contraire. En ce qui concerne l’allocation distribuée par les CLSC pourpayer des services d’auxiliaire familiale et de répit, ces crédits devraientpouvoir servir à l’embauche de membres de la famille.

Il faut mentionner par ailleurs que ceux qui utilisent déjà des ser-vices de soutien formels affichent un niveau élevé de satisfaction à leurégard. Il ressort des entrevues que personne ne regrette d’avoir demandéles services des CLSC et des centres de jour. Bien au contraire, si c’était àrefaire, les personnes-soutien auraient recours beaucoup plus rapidementà ces services. La réticence que plusieurs d’entre elles avaient expriméeavant qu’elles n’utilisent les services n’existe manifestement plus.

Pour plusieurs, l’utilisation de ces services permet d’allonger la duréedu maintien à domicile de la personne aidée en allégeant leurs tâches eten leur accordant un peu de répit lorsque c’est nécessaire. La qualité desservices offerts, la disponibilité du personnel et sa gentillesse sont généra-lement reconnues autant par l’aidante que l’aidé. Cette appréciations’exprime bien dans le témoignage suivant : Si je n’avais pas le CLSC, je nesais pas comment je pourrais m’arranger. Nombreuses sont les personnes-soutien et les personnes aidées qui n’hésiteront plus désormais à faireappel aux services de soutien formels et qui inciteront leurs proches à fairede même : Maintenant que je sais ce qu’est l’aide du CLSC, j’aimerais pouvoirprofiter de cette aide lorsque je serai plus vieille. Les services sont bons et je conseillefortement à mes proches d’en profiter. En ce sens, les services démontrent uneutilité indéniable et il est évident que certaines personnes-soutien désirentles utiliser encore plus.

2.6. LA RÉTICENCE COMME PHÉNOMÈNE DE CULTURE

La réticence est-elle un phénomène de culture ?

2.6.1. La solidarité familiale comme normePour comprendre la réticence des personnes-soutien à l’égard de l’utilisa-tion des services formels, il faut garder en tête que, loin de tirer sonorigine d’une décision spontanée vide de toute signification, le fait de

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prendre soin d’une personne âgée dépendante est la conséquence directede l’intégration de la solidarité familiale comme norme. Selon les personnes-soutien, c’est à la famille immédiate qu’incombe la responsabilité deprendre soin. L’amour filial, conjugal ou familial est la manifestation laplus évidente de la solidarité familiale. Ainsi, pour certaines personnes-soutien, il est inconcevable de ne pas prendre soin de son conjoint, de samère ou de son enfant. Prendre soin, dans ce cas, va tout simplement desoi, puisque c’est d’abord une responsabilité familiale : C’est normal que jeprenne soin de mon mari, c’est ma responsabilité et pas celle d’une autre personne.Une autre personne-soutien mentionne :

Je suis pleine de courage et il n’y a personne qui peut le faire à ma place.Alors, je le fais. Par contre, cela m’oblige à mettre mes intérêts complètementde côté. Je ne sors pas, je ne m’habille pas. Je m’oublie complètement. C’estnaturel pour moi de faire cela. À la longue, ça devient dur pour le moral,ça m’épuise et me stresse. C’est un peu fou et c’est anormal, mais je suisheureuse de le faire. J’aime me rendre utile.

Qui d’autre qu’un membre de la famille immédiate pourrait s’occu-per convenablement de la personne dépendante ? En fait, il ne faut sur-tout pas laisser l’aidé entre les mains de personnes étrangères à la familleet encore moins l’abandonner ; c’est-à-dire institutionnaliser un être aimé.Il est à signaler que certaines personnes-soutien ne demandent pas d’aidepar peur qu’une telle démarche entraîne le placement de la personnedépendante.

Par ailleurs, les entrevues montrent que prendre soin est égalementconsidéré comme allant de soi par la personne âgée et par les autresmembres de la famille. Il est en effet rare que la personne dépendanteestime que l’aide dont elle a besoin puisse lui être fournie autrement quepar l’entremise du conjoint, d’un enfant ou d’un autre membre de lafamille. Rarement va-t-elle suggérer à la personne-soutien d’aller chercherde l’aide extérieure et encore plus rarement va-t-elle remettre en questionles efforts que l’aidante va tenter de faire seule.

Pour ce qui est des autres membres de la famille, ils considèrent,comme la personne-soutien, que ce sont eux les mieux placés pour s’occu-per de la personne aidée. Malgré cette position des autres membres de lafamille, il est à noter que si ces derniers participent à l’actualisation de lasolidarité familiale en accordant certains services aux personnes-soutien,ces services demeurent plus souvent qu’autrement irréguliers et pas tou-jours adaptés aux besoins des aidantes. À vrai dire, les personnes-soutiensont souvent laissées à elles-mêmes pour répondre aux exigences de lagestion quotidienne des soins. Les autres membres de la famille n’inter-viennent fréquemment qu’en cas de difficulté majeure ou lorsque les

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circonstances demandent la présence de plus d’une personne. De plus, lesoutien des autres membres est d’ailleurs parfois tributaire de leur capacitéà faire face à la maladie. Selon des personnes-soutien, des membres de lafamille semblent craindre la vue du malade comme s’ils se voyaient dans un miroir.

2.6.2. Devoir et obligationLe soutien familial nécessaire à la personne âgée dépendante s’actualiseen référence au devoir et à l’obligation de venir en aide à un proche encas de besoin. Comme le dit une personne-soutien : Il s’agit d’une obligation,car on est obligé envers ses enfants et son conjoint. En ce sens, la responsabilitéde prendre soin est une obligation qu’il faut donc d’emblée accepter. Ils’agit d’un devoir qui fait en sorte que, moralement, on se sent dans l’obli-gation de prendre soin de son conjoint, d’un enfant, etc. En aucune façon,elles ne sentent qu’elles peuvent échapper à cette responsabilité que, dureste, elles acceptent d’assumer entièrement. De nombreuses aidantesinsistent sur ce point en disant : Notre famille s’est toujours tenue ensemble. Ils’agit, à leurs yeux, d’un argument irréfutable et surtout incontournable.

D’ailleurs, les personnes-soutien qui considèrent que leur rôle relèved’une obligation morale sont probablement parmi les plus réticentes à uti-liser les services de soutien formels. Elles ne voient pas comment elles pour-raient tenir leur engagement autrement qu’en « n’abandonnant pas »l’aidé. Par contre, pour les personnes-soutien qui considèrent que leur rôled’aidantes s’apparente à un chemin de croix auquel elles aimeraient bienéchapper, on peut aisément croire qu’une aide extérieure est généralementplus souvent la bienvenue.

2.6.3. Réciprocité et sentiment de culpabilitéSi la responsabilité de prendre soin se fait sous le signe du devoir et desobligations, le lien de réciprocité intervient comme valeur d’échange ausein de la famille. Une très forte majorité des personnes-soutien s’entendentpour dire que dans la situation inverse l’aidé aurait certainement offertune aide similaire. Pour les enfants, par exemple, il s’agit d’un juste retourdes choses. N’est-ce pas les parents qui leur ont permis de vivre, d’avoirun toit et de manger trois repas par jour ? En fait, les enfants remettent àleurs parents ce que ces derniers ont toujours fait pour eux. Il est d’ailleursintéressant de noter que les personnes-soutien ne voient pas comment ellespourraient faire autrement sans se culpabiliser et avoir des remords, mêmesi prendre soin exige parfois des sacrifices importants. Car prendre soin d’unepersonne en perte d’autonomie, c’est avoir un surcroît de responsabilités, c’est seculpabiliser lorsqu’on ne peut pas satisfaire tous les besoins de l’aidé…

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CONCLUSIONLes données qualitatives décrites dans cette étude exploratoire sur la réti-cence des personnes-soutien et des autres membres de la famille à l’égardde l’utilisation des services formels sont conformes à celles décrites ailleursà partir du point de vue d’informateurs clés (Paquet, 1999). Certes, toutesles personnes-soutien ne sont pas réticentes à utiliser les services. Des per-sonnes-soutien montrent une attitude d’ouverture à l’égard des services.Souvent, d’ailleurs, elles les connaissent assez bien et en reconnaissent laqualité et l’utilité. Ces personnes ont nettement conscience, entre autreschoses, de leurs propres limites physiques et psychologiques dans le fait deprendre soin. Elles savent très bien que l’utilisation de services est un atoutimportant pour maintenir à domicile la personne âgée dépendante.

Par contre, même si la réticence varie en intensité d’une personne-soutien à l’autre, elle existe bel et bien. À l’extrême limite, des personnes-soutien font référence à la règle du dernier recours comme critère d’utili-sation des services, ce qui n’est pas sans menacer, à plus ou moins longterme, leur santé. Par ailleurs, fait intéressant à noter, la réticence n’est pasunique aux personnes-soutien. En effet, la réticence s’inscrit dans une dyna-mique familiale et peut être présente tant chez les personnes âgées quechez les autres membres de la famille. Comme on a pu le constater, la non-acceptation de la condition de dépendance de la personne âgée et la dyna-mique des liens intrafamiliaux sont des raisons qui peuvent retenir lespersonnes-soutien d’utiliser les services.

Un autre aspect intéressant des données précédentes, c’est qu’onaurait tort de croire que la réticence se limite aux services formels. Laréticence s’observe autant à l’égard du réseau de soutien informel que,de façon plus étonnante, à celui du soutien familial. La logique quidomine chez les personnes-soutien, c’est de faire en sorte de se débrouillerseules. Si un soutien se révèle nécessaire, elles auront plus tendance à setourner, quoique parcimonieusement, vers les membres de leur famille.Cette aide est plus acceptable pour elles que le soutien des voisins ou desorganismes communautaires.

Par ailleurs, on a pu démontrer que la réticence varie selon l’âge et lesexe. Il semble beaucoup plus facile pour les personnes-soutien plus jeunesde faire appel aux services que pour les personnes plus âgées. Les personnes-soutien âgées s’accommodent mal des « étrangers » et d’un dérangement deleur routine quotidienne qui menace leur autonomie et leur libertéd’action. Pour ce qui est du sexe des personnes, il ne semble pas inutile derevenir sur le fait que les femmes sont plus réticentes que les hommes àutiliser les services, même si ce sont elles qui, en grande majorité, assumentla responsabilité de prendre soin d’une personne âgée dépendante.

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Du reste, on est arrivé à dire que la réticence s’explique par deslacunes dans la structure de l’organisation des services : le manque d’infor-mation sur les services, l’accès, le coût, la rigidité, etc., sont au nombredes raisons faisant obstacle à l’utilisation des services. Enfin, il apparaîtque la réticence est un phénomène de culture. À cet égard, on ne doitcertainement pas négliger la nécessité d’améliorer la structuration desservices pour les personnes-soutien. Cependant, il faut garder présent àl’esprit que d’importantes « barrières culturelles » sont sous-jacentes à laquestion du recours aux services. Par exemple, on a observé que la soli-darité familiale agit comme une norme dans les pratiques de soins àdomicile. Dès lors, émergent spontanément le sens des responsabilitésfamiliales ou le devoir, et les obligations à l’égard d’une personne dépen-dante sont remplies au nom d’un code d’honneur qui n’est pas vide desens pour plusieurs membres de la famille. Dans ce contexte, il apparaîtanormal pour bien des personnes-soutien de faire appel aux services, carc’est comme si elles avaient l’impression d’abandonner la personne âgéeou de la laisser entre les mains de personnes inconnues.

Les barrières culturelles sont, plus souvent qu’autrement, occultéesdans la planification et l’organisation des services. Pourtant, le virageambulatoire par exemple consacre le domicile « comme lieu d’interventionsociosanitaire » (Conseil du statut de la femme, 1996). Or, l’interventionà domicile s’effectue dans la sphère privée des personnes et pose des exi-gences différentes de l’intervention dans la sphère publique, en l’occur-rence à l’hôpital. Selon le Conseil du statut de la femme (1996, p. 21 :

[…] il est difficile, à l’heure actuelle, de connaître les exigences etles contraintes de l’intervention à domicile, d’autant que les docu-ments ministériels ne font pas référence aux implications liées àl’intervention à domicile. Cette situation traduit tant une méconnais-sance qu’une non-reconnaissance des différences qui existent entresoins donnés en milieu hospitalier et ceux prodigués au domicile dela personne.

Pour nous, il apparaît qu’une des contraintes de l’intervention àdomicile est que le domicile, avant d’être un lieu d’intervention, estd’abord un lieu privé qui constitue « un espace de résistance » pour touteforme d’intervention en provenance de l’extérieur de la famille. C’est unespace habité par une culture avec des normes, des manières de faire, depenser et d’agir. Dans cet espace, les acteurs familiaux ne sont pas toujoursfaciles à approcher, car ils ont tendance à se méfier et à être prudentsface aux « étrangers ». Pour pénétrer le plus harmonieusement possiblecet espace, il faut préalablement établir de solides liens de confiance avectous les acteurs familiaux, et cela demande parfois beaucoup de patienceet de temps.

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Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

Selon toute vraisemblance, la création de liens s’avère une conditionsine qua non à l’intégration et à l’utilisation de services. Or, le virage ambu-latoire impose la prestation des services médicaux courants à domicile et lafamille n’a pas d’autre choix que de prendre le virage. Dans ce contexted’obligation, comment est-il possible de structurer des liens de confiance etde faire en sorte que les personnes-soutien puissent utiliser préventivementles services qui leur sont nécessaires et accessibles ?

Sur le plan éthique, cette question interroge concrètement le milieude la pratique dans sa capacité à pénétrer dans les familles autrementqu’en étrangers qui viennent envahir leur espace domestique. Le virageambulatoire rend incontournable et urgente l’exploration du domestiquecomme lieu d’intervention. En effet, on connaît mal cet espace. Or, sacompréhension est nécessaire pour guider l’action, car au-delà des soinsmédicaux le milieu de la pratique n’est pas outillé pour intervenir selonles règles propres au fonctionnement des familles dans la gestion quoti-dienne des soins. À cet effet, il est à souhaiter qu’aux avancées de latechnologie biomédicale, qui permettent le virage ambulatoire, s’ajouteune plus grande connaissance anthropologique de l’intervention de soinsà domicile, puisque l’humain doit rester au centre des préoccupations detoute réforme, quel que soit le virage que cette réforme prend.

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CE QUE PENSENT LES PRATICIENS…

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La deuxième moitié des années 1990 a été marquée par des changementsmajeurs dans le système des soins de santé au Québec. La conséquenceen a été des bouleversements sans précédent dans la vie d’un nombreconsidérable de Québécois, mais surtout de Québécoises. Avant que leschercheurs ne se penchent sur ce phénomène pour le décrire et en expli-quer les causes et les conséquences au quotidien, des femmes (et deshommes) de cœur ont manifesté créativité et engagement pour faire faceau choc des transitions imposées. Quelques acteurs clés ayant vécu de prèscette période charnière nous apportent leurs témoignages. Ce sont : ungestionnaire de ressources humaines dans le réseau de la santé (MartinBédard) ; une représentante de regroupements d’aidants naturels (NicoleL’Heureux) ; et une dirigeante d’organisation syndicale (Sylvie Bélanger)responsable des conditions de travail des professionnelles du « prendresoin ». Ces personnes décrivent la manière dont on a réagi aux turbulencesdu système, les stratégies appliquées pour colmater les failles et endiguerles fuites. On trouvera dans les lignes qui suivent une tentative d’analysesuccincte inspirée par leurs propos, selon sept perspectives différentes :1) la perspective anthropologique, 2) la perspective politico-administra-tive, 3) la perspective économique, 4) la perspective féministe, 5) la pers-pective légale, 6) la perspective sociologique et la 7) perspective sanitaire.

1. LA PERSPECTIVE ANTHROPOLOGIQUE

Le virage ambulatoire a définitivement bouleversé la pratique du soin : lessoins professionnels autant que les soins prodigués par les proches. Lestextes des participants à la table ronde

1

sont unanimes à cet effet. De leurspropos il est permis de dégager que les femmes plus que les hommesdoivent supporter les conséquences des changements produits. En effet,le « prendre soin », à la fois un art et une science, est dans sa plus grandepart associé au sexe féminin. Selon l’infirmière anthropologue Marie-Françoise Collière (2001, 1996), un examen de l’histoire du

soin

nousamène à constater que depuis très longtemps il existe une distinctionentre le soin prodigué par les femmes et celui apporté par les hommes.En fait, ce sont les motivations profondes de chacun des types de soinsqui sont différentes, selon elle. Les soins donnés par les hommes ont pourbut de faire reculer la mort, alors que ceux donnés par les femmes prennentleur sens dans la finalité de protéger la vie. Ainsi, dans nos sociétéscontemporaines – c’était du moins le cas jusqu’à tout récemment –, lamédecine exercée en majorité par les hommes a pour mission première

1. Table ronde tenue en 1998, à Ottawa, à l’occasion du 67

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congrès annuel de l’Associa-tion canadienne pour l’avancement des sciences.

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de combattre la maladie. Le prendre soin, qui a pour mission de protégerla vie, d’assurer le bien-être, est illustré par les professions comme cellesd’infirmière et de sage-femme.

Il existerait donc deux formes de soins donnés par les femmes : l’artdu soin, d’abord, qui correspond pour Collière aux soins qui ne demandentpas de savoirs théoriques précis, mais plutôt un désir intrinsèque d’aiderl’autre dans le besoin. Ces soins, dits génériques, sont donnés par desproches, qu’on qualifie actuellement d’aidantes ou d’aidants naturels. Lesoin professionnel, pour sa part, allie art et science et demande une for-mation. Il s’exerce selon des règles de pratique très précises à la suited’une formation poussée, entre autres dans la profession infirmière.

Avec le virage ambulatoire, il semble que le soin fourni par lesfemmes ait pris une place considérable sans que les ressources et les struc-tures suivent. Cela a entraîné une confusion entre les frontières des soinsgénériques et celles des soins professionnels.

2. LA PERSPECTIVE POLITICO-ADMINISTRATIVE

Les personnes occupant un poste de décision dans le réseau de la santéquébécois au moment des changements générés dans le sillon du virageambulatoire ont déployé des efforts pour adapter leurs organisations aunouveau modèle. Il est évident que non seulement la pratique des soins,mais surtout la gestion de ceux-ci dans l’ensemble du réseau a dû êtresoumise à une révision en profondeur.

Comme il est décrit dans le texte de Martin Bédard, gestionnairede ressources humaines, le système québécois des soins de santé est passéd’une pratique institutionnelle et « hospitalocentrique » à une pratiquedans la communauté. M. Bédard soutient avec justesse que les solutionsalternatives à l’hospitalisation, comme les chirurgies d’un jour, les cli-niques ambulatoires, les cliniques de préadmission et le suivi systématiquede la clientèle, sont autant de pratiques nouvelles qui ont eu pour effetune diminution de la durée des séjours et un transfert de soins desétablissements de santé vers le domicile. Les décideurs ont dû trouver desmoyens de préserver la motivation chez les personnels affectés aux soinsdans le réseau. Car, il ne faut pas se le cacher, le virage ambulatoire n’apas été un changement de type émergent, mais plutôt un changementimposé politiquement sans trop de planification stratégique pour amoin-drir les forces restrictives. Dans la gestion du changement, qui impliquesouvent les façons de faire, il convient de tenir compte non seulementdes forces motrices en présence, qui étaient dans le cas de la réforme

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surtout politiques et économiques, mais aussi des forces restrictives, ici larésistance intrinsèque de chacun des acteurs. Prendre soin des personnelsqui ont sans doute été heurtés de plusieurs façons par les changementsest devenu le leitmotiv de certains gestionnaires de ressources humaines.Martin Bédard soutient que l’adoption d’une gestion à responsabilitépartagée (

shared governance

) permet aux organisations de lutter contre ladémobilisation des personnels en leur donnant plus de marge de manœuvre,plus d’espace d’intervention. Stimuler l’innovation est devenu une autrestratégie. L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a appliqué ceprincipe en publiant les innovations cliniques de ses membres (OIIQ,1997). L’Ordre a ainsi démontré que de nombreuses initiatives prises pardes infirmières leaders ont fait en sorte que le virage ambulatoire, àcertains égards, a grandement bénéficié de l’expertise infirmière lors del’implantation de la réforme. La mise sur pied par l’Ordre du prix Inno-vation clinique 3M constitue un autre exemple. En effet, la compagnie3M soutient l’innovation dans plusieurs domaines en commanditant desprix ; l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec s’est associé à cettecompagnie en 1995 afin de reconnaître des initiatives cliniques innova-trices, témoignage du dynamisme dont font preuve les membres de laprofession infirmière pour s’adapter aux exigences d’un système en conti-nuelle mutation.

Un mauvais arrimage entre l’hôpital et le centre local de servicescommunautaires peut être catastrophique. Ainsi, le déploiement de res-sources vers les services de liaison devient une condition

sine qua non

detransitions harmonieuses entre le milieu hospitalier et le milieu naturel.Des approches de suivi systématiques de la clientèle devraient être mieuxconnues et plus exploitées. Ce type de gestion des épisodes de soins éviteles ruptures entre les interventions propres à chaque secteur du réseau(Villeneuve, 1996, 1999).

Nicole L’Heureux ajoute : « L’offre de services doit interpeller lecorps médical, qui doit être disponible pour des situations d’urgence àdomicile. »

3. LA PERSPECTIVE ÉCONOMIQUE

Bien que l’objectif premier du virage ait été louable, soit de fournir auxbénéficiaires le meilleur environnement pour favoriser la guérison, lesimpératifs économiques ont eu un effet non escompté : la réduction deseffectifs qui, à son tour, a entraîné une diminution de l’accessibilité àcertains services, l’allongement des listes d’attente, une démotivation denombreux intervenants et intervenantes et un sentiment d’insécuritéparmi la population.

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Les soignants non professionnels (aidants naturels) ont dû faire faceà des pertes de revenu souvent importantes. Ces personnes ont souventdû diminuer leur participation au marché du travail rémunéré pourprendre soin d’un proche malade. Leurs revendications légitimes du droità des congés payés pour prendre soin d’un proche doivent être entendues.Ces congés devraient s’apparenter aux congés parentaux, mais avoir laflexibilité des congés de maladie. Une sorte d’hybride entre les deux typesde congés. M

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L’Heureux, qui représente un regroupement d’aide auxaidants naturels, parle de coûts cachés du virage ; le virage ambulatoire setraduit par deux réalités : 1) celle des services qui seront donnés au domi-cile du malade et 2) celle du malade qui devra se déplacer pour recevoirles services.

4. LA PERSPECTIVE FÉMINISTE

Sylvie Boulanger, de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec,éclaire cette perspective de façon magistrale. Selon elle, les soins auxproches malades ont été de longue date l’apanage des femmes. Nousappuyant sur ses propos, nous pouvons dire qu’un paradoxe s’est installédans notre société ; on trouve, d’un côté, les préjugés sexistes qui ali-mentent des attentes envers les femmes au regard de la prise en chargedes soins requis par leurs proches malades et de la quasi-gratuité des soinsprofessionnels qu’elles donnent ; et de l’autre côté, les aspirations légi-times que cultivent sur le plan individuel et collectif les femmes contem-poraines du point de vue de la carrière et de la réussite professionnelle.Les femmes assument aujourd’hui une vaste constellation de rôles ; cepen-dant, prendre soin de leurs proches malades n’y occupe plus nécessaire-ment une place privilégiée. M

me

L’Heureux souligne judicieusement : « Lerôle d’aidant naturel est souvent quelque chose d’inattendu qui noustombe dessus du jour au lendemain. »

À cet égard, elle évoque avec justesse la notion de « consentementlibre et éclairé » à exercer le rôle de soignant non professionnel.

5. LA PERSPECTIVE LÉGALE

Nicole L’Heureux nous sensibilise à l’aspect légal des gestes professionnelsposés à domicile par des proches. Cette situation représente une pratiquede plus en plus courante, ainsi qu’en fait foi l’étude récente de Gagnon

et al.

(2001). Des actes soumis à des protocoles rigoureux lorsqu’ils sontaccomplis par des infirmières auxiliaires en milieu institutionnel sont

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effectués après une brève formation et sans protocole par des proches auchevet d’un malade, c’est-à-dire sans la protection légale que confère ladélégation d’acte. M

me

L’Heureux met en garde : « On doit être vigilantpour ne pas dé-professionnaliser le travail des intervenants. »

Elle nous renseigne également sur la notion trop souvent passée soussilence des droits et obligations des aidantes naturelles ; elle précise entreautres le droit à l’information sur les ressources disponibles.

6. LA PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE

Les observateurs de la société contemporaine sont unanimes pour attesterles changements profonds dans la famille contemporaine. Les mères dejeunes enfants continuent de travailler dans le monde de l’emploi rému-néré après la naissance de ceux-ci. L’augmentation du nombre de famillesdirigées par un seul parent, le plus souvent une femme, et la croissancedes familles reconstituées font en sorte que l’on peut dire que s’installeprogressivement une fragilisation de la famille nucléaire typique. Ainsi,prendre soin d’un proche malade nécessite le déploiement d’énergies sup-plémentaires, une adaptation que de plus en plus de familles ont de ladifficulté à assumer. Il semblerait qu’en déployant les soins dans la com-munauté par l’implantation du virage ambulatoire on n’ait pas pris encompte les nouveaux défis que la famille doit relever en ce début de siècle.

7. LA PERSPECTIVE SANITAIRE

Outre les professionnels, d’autres acteurs du système, les fournisseurs desoins génériques, doivent se sentir impliqués et disposer d’un réseau desoutien social adéquat (Ducharme, 1997).

Nicole L’Heureux nous parleainsi de la santé des aidants et des aidantes, qui sont partenaires certes duréseau, mais aussi clients et clientes de ce même réseau. À cet égard,signalons qu’une auteure appartenant à la discipline infirmière, Orem(1995), a présenté dans son modèle conceptuel une façon de voir l’aidantou l’aidante naturelle comme étant à la fois un partenaire et un client.Orem conceptualise cette personne de l’environnement du malade quirequiert des soins infirmiers comme étant son

agent d’auto-soin

. L’agentd’auto-soin est la personne significative qui aide la personne malade dansses auto-soins. Dans cette perspective conceptuelle de la pratique infir-mière, cet agent d’auto-soin peut devenir également pour l’infirmière unecible du soin. Une Québécoise, Moyra Allen, a bâti le modèle connu sousle nom de « modèle McGill » (Gottlieb et Rowat, 1987 ; Krawitz et Frey,

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1989). Ce modèle sert de fondement conceptuel du soin à un grandnombre d’infirmières des centres locaux de services communautaires dela région montréalaise. Il attribue une grande place à la famille

dansl’élaboration du plan d’intervention infirmière. Selon cette approche, ontient compte des forces et des faiblesses du réseau naturel, de telle sortequ’on ne présume pas automatiquement que la famille peut et doit assumerles soins requis.

La santé non seulement des aidants et aidantes naturelles doit êtreprise en compte, mais aussi celle des professionnels de la santé. Le virageambulatoire a par ailleurs engendré une restructuration et une nouvelleoffre de services. Entre autres, on a pu observer une fragilisation du statutd’emploi des infirmières en particulier. Alors qu’en 1993 une proportionde 8,5 % des infirmières étaient sur les listes de rappel, en 1999, ce nombredépassait les 14 % (OIIQ, 1993, 1999). Une relation claire a été établieentre la fragilisation du statut d’emploi engendrée par le virage ambula-toire et la santé mentale des infirmières dans l’étude de Pérodeau

et al.

(2000), effectuée auprès de 1435 infirmières inscrites sur une liste de rap-pel. Le soutien apporté par les pairs est un facteur essentiel au maintiende la santé mentale des intervenantes et des intervenants (Bourbonnais

etal.

, 1999). Ainsi, selon le témoignage de Martin Bédard, certains gestion-naires de ressources humaines ont déployé des stratégies pour stimuler lesoutien que peuvent s’apporter entre eux les travailleurs et les travailleusesde la santé.

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La réforme du système de santé québécois a provoqué une transformationmajeure dans l’organisation des soins et services fournis à la population.Passant d’une pratique d’institutionnalisation et d’hospitalocentrisme à unepratique communautaire, cette réforme s’est traduite par le virage ambula-toire. Les bouleversements causés par la rapidité et l’ampleur des change-ments ont eu des effets multiples dans les différents systèmes sociaux. Lessolutions alternatives à l’hospitalisation, la durée de séjour diminuée et lessoins transférés des établissements de santé vers le domicile ont non seule-ment requis une révision des pratiques professionnelles et de gestion desdifférents acteurs du réseau de la santé, mais également imposé de nouvellesresponsabilités et disponibilités aux aidantes dites naturelles.

En tant qu’infirmier de formation et maintenant conseiller en ges-tion des ressources humaines qui a vécu « la transformation » et la réorga-nisation des soins et services, j’aimerais d’abord partager avec vous desobservations, des constats de cette transformation majeure aux effets mul-tiples. J’aimerais ensuite signaler quelques pistes de solution pour aiderles personnes touchées, c’est-à-dire les travailleurs, les familles, les proches,les bénévoles et toutes les autres personnes qui ont à cœur le bien-être desmalades.

Mes observations reflètent, dans une large mesure, les données quiont été rapportées par plusieurs études parues jusqu’à aujourd’hui. Ces étu-des témoignent bien d’une certaine réalité sociale. Malgré les efforts impor-tants déployés pour la prévention de la maladie et la promotion de la santé,on est à même de constater que le discours et les actions sont plus axés surla maladie. Cela se traduit par le passage du «

care

» au «

cure

», le «

care

» oule « prendre soin » étant laissé aux aidantes naturelles sans que celles-cidisposent nécessairement des moyens et des conditions pour l’exercer. Onconstate ainsi à quel point il devient compliqué pour ces nouveaux soi-gnants de concilier travail, famille et loisirs lorsqu’ils sont obligés – et je disbien obligés – de prendre soin d’un proche qui vit une situation difficile.

Du côté des travailleurs du réseau de la santé, l’adaptation répétéeà de nouvelles réalités cliniques se traduit par des états de stress et d’épui-sement. L’insatisfaction fait partie du quotidien. Les employés disent deleurs supérieurs immédiats qu’ils gèrent mal et ces mêmes supérieurs sontd’avis que leurs patrons gèrent tout aussi mal. On se renvoie la balle etc’est à qui trouvera le coupable, parce que ces personnes ont l’impressionque c’est l’anarchie. Elles ont le sentiment de n’avoir aucun contrôle surla situation, aucun pouvoir sur rien, parce que tout va trop vite. Les pointsde repère antérieurs disparaissent, la souffrance s’installe. On voit de plusen plus apparaître le concept de souffrance chez les travailleurs de lasanté. Des études américaines et européennes en témoignent également.Les illusions disparaissent, la confiance aussi. Selon des recherches récentes

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en gestion, le premier facteur de mobilisation des employés est la relationde confiance établie entre les personnes. Le facteur principal de démobi-lisation est le style de gestion face au changement, notamment un stylede gestion qui, dans le changement, ne donne pas de pouvoir aux gens.

Les travailleurs de la santé sont confrontés à de nouvelles situationsde soins qui leur demandent d’acquérir de nouveaux savoirs, de nouvelleshabiletés et de nouvelles attitudes. Les soins spécialisés à l’hôpital exigentque les soignants soient toujours de plus en plus performants, tandis queles soins moins spécialisés doivent être enseignés aux proches sans qu’ondispose du temps nécessaire. De ce fait, un roulement important de per-sonnel se produit. L’instabilité d’emploi a frappé particulièrement leréseau de la santé. Les listes de rappel s’allongent, les horaires de travailsont bouleversés. La rotation, jour-soir-nuit, en plus de l’insécurité liée aumanque de travail pendant certaines périodes de l’année, a provoquél’exode de plusieurs professionnels de la santé. Une perte d’expertise estalors constatée et la relève professionnelle se trouve compromise.

On observe un manque de communication dans nos organisations ;c’est chacun pour soi, l’individualisme est devenu roi. Les travailleurs quise croisent dans les corridors ne se disent même plus bonjour. La premièrequestion qu’ils se posent est : « C’est quoi ton ancienneté ? » Cette situationa fortement affecté le climat de travail dans certains milieux. À cet égard,la réforme est considérée comme un facteur important du développementdes services de santé privés où certains essaient de retrouver des condi-tions de travail plus acceptables.

À la suite de ces observations, un grand défi s’impose, soit celui derevoir nos façons de faire et d’envisager des solutions axées sur lespersonnes.

Une règle à la base même de la prestation de soins de qualité estque, pour prendre soin des autres, il faut prendre soin de soi ou quel’organisation dans laquelle on travaille doit prendre soin de nous. C’està partir de cette règle que je vais aborder la gestion des ressources humainesen vue de trouver des solutions humaines à un problème humain. Cettegestion doit être considérée sous trois angles : l’angle organisationnel,c’est-à-dire comment dans nos organisations il faut revoir nos philosophieset structures de gestion ; l’angle collectif ou sociologique, c’est-à-direcomment, comme groupe de travailleurs, nous devons revoir nos modesde fonctionnement et les relations entre nous ; enfin, l’angle individuel,c’est-à-dire le pouvoir que chaque individu peut se donner par rapport àsa situation de travail.

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Sur le plan organisationnel, plusieurs études (Quinn, Anderson etFinkelstein, 1996 ; Murphy

et al

., 1994) ont rapporté qu’un style de gestionqui laisse une faible marge de manœuvre aux gens sur le terrain et neleur accorde guère d’espace d’intervention est le facteur de démobilisa-tion le plus important. Une façon de lutter contre cette démobilisationest de revoir la philosophie de gestion dans nos organisations afin defavoriser l’

empowerment

des employés, c’est-à-dire une philosophie de ges-tion où les gens sentent qu’ils ont du pouvoir sur leur environnement.C’est aussi de créer un environnement où la personne aura la profondeconviction d’évoluer et verra un sens à sa contribution, cette contributionétant un apport de la personne à une œuvre commune. Pour avoir cesens, il faut utiliser le cerveau de ses employés. Une étude menée parl’École des Hautes Études commerciales (HEC) à Montréal a démontréque les travailleurs veulent être reconnus pour leur jugement au travail.Ce qui soutient que les employés doivent avoir le sentiment qu’ils sontl’auteur, qu’ils peuvent directement influencer leur travail. On pourraitrésumer ces propos comme suit : Qu’est-ce qui pousse les gens à sortir deleur lit chaque matin ? Si la réponse à cette question est le sentiment quece qu’ils font est utile, nous sommes sur la bonne voie.

Afin de rendre concrets mes propos, j’ajouterai que le renouvelle-ment d’une philosophie ou d’un style de gestion peut passer par l’appli-cation d’une nouvelle approche de gestion appelée le

shared governance

.Dans ce modèle de gestion partagée, les employés de la base participentactivement aux décisions de l’organisation ou d’une unité administrative,et ce, en tant que partenaires. Le partenariat se définit alors comme unerépartition égalitaire du pouvoir entre deux personnes.

Dans ce modèle de gestion en émergence dans les établissementsnord-américains, les principes directeurs sont les suivants : partenariatentre le personnel et la gestion, responsabilités, transparence et résultat.Les décisions se prennent à la base, dans la pratique, pour pouvoir influen-cer le système. Dans un système en profonde mutation, la gestion partagéedevient un préalable à la mobilisation des ressources humaines. Ce modèlede gestion implanté à l’Hôpital général de Montréal a permis de créerdans chaque unité administrative cinq comités composés de soignants éluspar ce même groupe. Ceux-ci ont la responsabilité de prendre les déci-sions les plus adéquates concernant l’amélioration continue de la qualitédes soins, la gestion des ressources financières, matérielles et humaines,la formation du personnel et la recherche clinique. Le gestionnaire agitdans ce modèle comme un «

coach

» en soutenant les comités dans leursdécisions. Il définit la vision, les paramètres organisationnels pour per-mettre aux divers comités de prendre des décisions éclairées. Il n’agit plus

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en contrôleur. C’est incontournable : les gestionnaires doivent réapprendreà gérer, accepter avec humilité de retourner à l’école et être ouverts àl’apprentissage.

Cette nouvelle façon de gérer nos organisations, même en périodede compressions budgétaires, a permis notamment de revoir l’organisationdes soins offerts en créant, par exemple, des cliniques ambulatoires oùl’usager-famille-aidant peut faire appel à des soignants spécialisés et dispo-nibles jour et nuit. Bien au fait de la situation de l’usager, ces soignantsfournissent de la formation ainsi que des soins intégrés et rapides sur-le-champ, à la clinique ou à domicile. Cela rejoint les préoccupations desaidantes naturelles âgées identifiées dans l’étude de Ducharme

et al.

(2000).

Cette nouvelle forme de gestion devrait permettre de créer desboucles de communication entre les décideurs et les travailleurs relative-ment à la qualité de vie professionnelle, au développement des employéset à la satisfaction au travail. Dans un contexte où les établissements nepeuvent plus assurer la sécurité d’emploi, ils peuvent tout au moins aiderles employés à équilibrer travail et vie personnelle. À cet effet, ils peuventlimiter la disponibilité des soignants à certains quarts de travail, favoriserle partage d’un emploi (deux employés à temps partiel), des services degarderie, de la massothérapie en milieu de travail, etc. Bref, des solutionsqui voient le jour actuellement dans nos organisations.

De plus, les établissements devraient offrir à leurs employés l’occasiond’améliorer leurs habiletés et leurs compétences. À partir d’un modèle degestion intégrée par compétences, les employés ont la possibilité de tracerleur profil de compétences, de faire leur propre évaluation et de définirainsi leur besoin de formation. On devra tenir compte de ces besoins enproposant des activités de soutien aux employés occasionnels (TPO) touten leur octroyant un budget de formation en cours d’emploi. Reconnaîtrel’expertise des soignants, c’est aussi la récupérer en créant des équipes volan-tes spécialisées dans certains secteurs, tout en favorisant la contribution dechacun dans le partage et le transfert d’un savoir auprès des plus jeunesemployés pour assurer ainsi une relève adéquate.

En ce qui a trait à la satisfaction au travail, il est souhaité que lesorganisations revoient les modèles d’organisation et de distribution desoins en fonction de la clientèle et de ses besoins, à partir des conditionsde pratiques professionnelles et d’indicateurs de résultats chez la clientèle.Ces facteurs sont des éléments importants pour la rétention du personnel,le nouveau défi que les établissements auront à relever sous peu.

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Passons maintenant à l’angle collectif de la gestion des ressourceshumaines. Une étude sur la détresse psychologique des infirmières quidoivent faire face à la transformation du réseau de la santé a révélé qu’unfacteur de protection pouvait éviter l’épuisement professionnel ; ce facteurest le soutien social ou d’équipe (Bourbonnais

et al.

, 1998). Même si lacharge de travail augmente et que la marge de manœuvre décisionnellediminue, un soutien d’équipe adéquat permet d’affronter cette dure réalité.Il n’est pas rare d’entendre certains employés dire : «

Ce qui me tient au tra-vail, c’est l’équipe.

» Le grand défi de nos organisations est d’offrir aux équipesde soignants des activités de consolidation, de soutien et d’écoute. Permettreaux équipes et aux personnes qui les constituent des activités de ressource-ment, de «

time-out

», c’est-à-dire des ateliers sur divers thèmes (la qualité devie personnelle et au travail, les relations sociales, etc.), ainsi que des acti-vités diverses en milieu de travail (pièce de théâtre, cours de gestion dustress, etc.). Comme le disait le célèbre éthicien David Roy : « Le plus grandstress est de prendre soin de la vie sans les ressources nécessaires. »

Pour les travailleurs de la santé, il est important de stimuler l’inno-vation, la reconnaissance pour les réussites en organisant des prix dereconnaissance, d’avoir des échanges constructifs entre collègues, de favo-riser la création de groupes de soutien formels et informels.

Pour terminer avec l’angle individuel, quel est le pouvoir que chaqueindividu peut se donner sur sa situation de travail ? La réponse réside enchacun de nous. Développer une bonne hygiène de vie, utiliser l’humourau travail, se féliciter, se faire plaisir au moins une fois par jour, établirdes priorités, par exemple : prendre sa pause, s’entourer de gens opti-mistes, consulter le programme d’aide aux employés, organiser des fêtes,des 5 à 7 avec les collègues, autant d’heureuses initiatives à encouragerdans la gestion des ressources humaines. Will Rodgers disait : « Même sivous êtes sur la bonne voie, vous serez renversés par un train si vous restezassis là. » De plus, on ne peut apprendre qu’à condition d’aller versl’inconnu. Vivre sa journée sans la comprendre, c’est accepter de vivredans un monde qui n’est pas parfait et où l’on trouvera toujours desparadoxes.

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LES BESOINS DES AIDANTES NATURELLES ET LES SOLUTIONS POUR UN MEILLEUR ÉQUILIBRE ENTRE LES RESSOURCES PROFESSIONNELLES ET INFORMELLES

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L’H

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Regroupement des aidantes et des aidants naturel(le)s de Montréal

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LES BESOINS DES AIDANTES NATURELLES

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À l’automne 1998, les personnes aidantes naturelles se sont réunies àl’occasion d’une journée de réflexion où elles ont exprimé leurs besoinset énoncé des pistes de solution. Mes propos seront donc inspirés par lesrésultats de cette journée. Le rôle d’aidant naturel est souvent quelquechose d’inattendu qui nous tombe dessus du jour au lendemain. Contraire-ment à la retraite, nous n’y sommes pas préparés. Nous pensons aux consé-quences de la vieillesse et de la maladie le jour où nous devons y faire face.

L’aidante naturelle se perçoit d’abord comme « une personne ayantun proche malade dont elle doit s’occuper ». Le problème semble releverde la sphère familiale exclusivement, car les ramifications sociales, tellel’aide informelle, ne sont pas considérées de prime abord.

Le virage ambulatoire engendre souvent un retour précoce à la mai-son, parfois même avant que le malade n’ait retrouvé un état stable. Lecongé est signé sans que la future aidante ait accepté cette responsabilité.Cette contrainte vient ainsi brimer la liberté de choix d’une personne quise veut d’abord femme, citoyenne et aidante.

Son besoin le plus importantest d’avoir le choix au

consentement libre et éclairé, le choix d’accepter ce rôle.

Pour ne pas s’épuiser, l’aidante doit

déterminer ses limites

, c’est-à-dire apprendre à s’entourer, à demander du soutien, sans se sentir coupable.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux reconnaît les aidantescomme des

ressources

nécessaires au maintien à domicile : ressources à risqued’épuisement qu’il faut soutenir lorsqu’elles sont sur le point de lâcher.

1. LES BESOINS

Les aidantes ont

besoin d’être

reconnues

comme des personnes ayantleurs propres besoins, donc

comme clientes

et

partenaires

du

réseau

dela

santé

.

Ces termes sous-tendent les principes suivants : être cliente sup-pose que la situation de l’aidante soit l’objet d’une évaluation consignéedans un dossier ; être partenaire suppose la présence de mécanismes deconsultation sur les objectifs et les activités de chacun des partenaires,dans une prise en charge communautaire.

Les aidantes ont

besoin de connaître leurs droits et obligations etd’être informées sur les

ressources disponibles

. Elles ont donc besoin nonseulement d’une liste de ressources, mais aussi d’un accompagnementpour naviguer à l’intérieur du réseau de la santé. Comment traverser celabyrinthe, c’est-à-dire à qui s’adresser et comment demander de l’aidepour contacter les personnes appropriées et obtenir les services adéquats ?

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Tout le monde est pour l’amélioration des technologies, mais plu-sieurs réagissent mal devant la « robotisation » des relations interper-sonnelles. Pourquoi donc les CLSC ont-ils des systèmes de répondeursautomatiques ? Ces machines ne font qu’augmenter le stress et l’anxiétéchez les personnes qui ont besoin d’aide et qui crient « au secours ».

Il est essentiel de rendre disponibles

des services plus flexibles,mieux adaptés aux

besoins

. Ainsi, quand, au bord de l’épuisement, uneaidante réclame du répit, qu’on cesse de lui offrir un bain pour sonproche. Cette situation démontre clairement que les services ne sont pasofferts en fonction des besoins des clients, mais plutôt en fonction decritères d’ordre financier qui privilégient certains choix dans le panier deservices disponibles.

Les aidantes ont essentiellement besoin de soutien et de répit

, sou-tien psychosocial individuel ou de groupe et répit, car le soutien psycho-logique n’est efficace que dans la mesure où il est accompagné de mesuresde répit.

Les groupes d’entraide ne répondent que dans une faible mesureaux besoins des aidantes. De nouvelles approches globales, tenant comptede l’individu, de sa culture et de son environnement, favoriseraient uneintervention en milieu plus adéquate, particulièrement chez les classesplus démunies de la société.

Mentionnons aussi

les coûts cachés du virage

. Le virage ambulatoirese traduit par deux réalités : celle des services qui seront donnés au domi-cile du malade et celle du malade qui devra se déplacer pour recevoir lesservices.

À la signature du congé, en principe, une infirmière de liaison trans-férera le dossier. Sinon, l’aidante devra faire elle-même la demande deservices à son CLSC qui prendra un certain temps à faire l’évaluation desbesoins.

Faut-il souligner que les CLSC ont l’obligation de faire l’évaluation,mais qu’ils ne sont pas tenus de donner les services… Un mauvais arri-mage entre l’hôpital et le CLSC a parfois pour effet de laisser le maladesans services.

Le soutien à domicile entraîne aussi pour l’aidante la gestion desrendez-vous, de l’accompagnement et du transport. L’aidante et son prochedoivent se déplacer vers les cliniques externes, les centres de prélèvementset autres, quand ils ne sont pas carrément obligés de revenir à l’urgence.

L’accès à un médecin dans les situations urgentes.

Les malades àdomicile ont parfois besoin de soins ou de médicaments le soir, la nuit oula fin de semaine. Faute de médecin pouvant se déplacer, l’infirmière de

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LES BESOINS DES AIDANTES NATURELLES

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garde peut venir à la maison, mais elle ne peut poser un diagnostic niaugmenter la dose de médicaments pour soulager la douleur. L’urgencede l’hôpital représente alors la seule solution.

Nul n’ignore le syndrome de la porte tournante.

2. LES AMÉLIORATIONS RÉCLAMÉES

Avec le virage ambulatoire, des responsabilités accrues se sont ajoutées auxdéfis que les CLSC avaient déjà à relever. Nous savons que la richesse desCLSC repose sur leur capacité à adapter et à développer des services par-ticuliers répondant à des priorités locales. Cependant,

l’harmonisation desservices de base

est nécessaire pour répondre de façon efficace et efficienteaux besoins de la population. Un profil commun de services y répondraitde façon plus équitable. En attendant l’évolution de ces changements, lesaidantes demandent de pouvoir s’adresser à un autre CLSC, si celui deleur territoire de résidence ne peut offrir un service jugé nécessaire.

L’amélioration des communications entre établissements

et l’harmo-nisation des services entre ces derniers afin d’offrir des soins continus sontessentielles. Il faut organiser des services intégrés et favoriser des liens deconfiance avec un intervenant significatif.

Un souci d’éthique doit empêcher de transformer les aidantes ensoignantes.

Certains actes médicaux étant réservés aux professionnels dela santé, il est inconcevable de les faire exécuter par une aidante nonformée à donner des soins complexes. Ce même souci d’éthique nousconduit à nous interroger sur la responsabilité en cas d’erreur.

Les aidantes doivent être formées, dit-on… mais à quoi ? Peut-onenseigner en quinze minutes, à une aidante anxieuse, comment donnerdes soins pour lesquels une infirmière a reçu une formation de trois ansà l’intérieur d’un corpus de connaissances ? On doit être vigilant pour nepas déprofessionnaliser le travail des intervenants. De plus, il ne faut sur-tout pas oublier que l’aidante s’occupe d’un proche (père, mère ou con-joint), jamais d’un client ou d’un patient. Cette différence comporte uncaractère émotif majeur.

La nécessité de ressources alternatives de convalescence.

Certainesressources privées qui se développent répondent à cette demande, mais lescoûts imposés les rendent inaccessibles à une grande partie de la population.

Des services de répit plus flexibles, plus diversifiés et plus nombreux

sont nécessaires pour prévenir l’épuisement de ces dernières (hébergementtemporaire, halte-répit et répit-gardiennage).

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Les normes du travail pourraient être amendées en tenant comptedes mesures suivantes :

• la réduction des horaires de travail ;

• l’augmentation du nombre de congés à vingt jours par année ;

• des congés avec traitement différé ou sans solde assortis de l’assu-rance de retrouver le même poste au retour ;

• l’instauration d’horaires flexibles permettant de comprimer lasemaine de travail ;

• l’octroi d’un mois de vacances annuelles dès la première année detravail ;

• la mise en place d’une banque de congés de maladie ;

• la possibilité de remplacer le congé parental par un congé familial.

En conclusion, le virage ambulatoire repose sur des familles nucléairesfragiles. Les soins dans la communauté risquent de déraper vers des soinspar la communauté. Le virage ambulatoire, l’État ne peut s’en désengager.

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VIRAGE AMBULATOIRE ET DÉSINSTITUTIONNALISATION

Exploitation du travail féminin

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Fédération des infirmières et infirmiers du Québec

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VIRAGE AMBULATOIRE ET DÉSINSTITUTIONNALISATION

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1. DES OBJECTIFS LOUABLES, MAIS…

En 1995, la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec est inter-venue, à l’instar de bien d’autres intervenantes, sur le débat entourant levirage ambulatoire et le projet de mise en place de la reconfiguration duréseau de la santé et des services sociaux, envisagé par le gouvernementdu Québec. Quelques années auparavant (en 1991), le gouvernementlibéral de l’époque lançait sa réforme axée sur le citoyen. Celle-ci visait àassurer à la population du Québec de meilleurs services de santé et àdonner aux citoyens davantage de pouvoir dans la prise de décisions rela-tives aux soins et aux services de santé et services sociaux fournis par leréseau. C’était le défi qualité-performance.

En 1995, la reconfiguration était accompagnée de différents change-ments, dont le virage ambulatoire. Caractérisé par une diminution de ladurée de séjour du ou de la bénéficiaire en centre hospitalier et par sonretour hâtif à domicile, le virage ambulatoire devait fournir un milieufavorisant la convalescence et la guérison. En effet, il y a tout lieu de croirequ’une personne en convalescence se sent mieux et se remet plus rapide-ment dans un milieu qui lui assure sécurité et tranquillité, de même quela présence rassurante de personnes de son entourage qui l’aiment et lachérissent. En ce sens, les infirmières étaient favorables au virage ambula-toire, mais elles exigeaient que les services permettant de le soutenirsoient disponibles et prêts à fonctionner avant sa mise en place. Les infir-mières avaient toutefois des inquiétudes, particulièrement quant à lamanière et à la rapidité avec lesquelles cette reconfiguration et ce virageseraient implantés et quant aux objectifs inavoués qui pouvaient s’y ratta-cher. Cinq ans plus tard, on constatait malheureusement que leurs craintesétaient fondées.

Alors que le virage ambulatoire s’opérait dans le cadre d’une largetransformation du réseau de la santé et des services sociaux, des impératifséconomiques semblaient de plus en plus se hisser au rang des objectifsprioritaires visés par les changements.

Or, l’implantation du virage ambulatoire nécessitait l’introductiond’une nouvelle façon de donner les soins et les services de santé auxpersonnes retournées à la maison de façon hâtive ou maintenues à domi-cile, afin de retarder le plus possible le moment de leur hospitalisation oude leur entrée en centre d’hébergement. Cette opération suscitait, à courtterme, des investissements supplémentaires puisque, pendant un certaintemps, il fallait prévoir être en mesure de continuer à fournir les soins etles services à la population tels qu’ils existaient avant le virage ambulatoire.Simultanément, il fallait mettre en place les nouveaux services et les res-sources supplémentaires en mesure de répondre aux besoins des personnes

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malades, en convalescence, en attente d’hébergement ou à domicile.Ainsi, au moment où le virage aurait été effectif, la disponibilité de tousles soins et services requis par les personnes à domicile, en convalescenceou en attente d’une place en centre d’hébergement, aurait été assurée.C’était là notre exigence.

2. D’ABORD DES COUPURES

Plutôt que d’assister à la mise en place de telles mesures, en prévision del’implantation du virage ambulatoire, le réseau a été le théâtre d’unereconfiguration qui a pris l’allure d’une succession de coupures. La réor-ganisation du réseau n’a été ni plus ni moins que la gestion des impactsde ces coupures (suppressions de lits, fermetures d’établissements, cou-pures de services, diminution du nombre de ressources dans les établisse-ments, etc.). On pourrait affirmer que, plutôt que de donner le sérieuxcoup de barre que nécessitait la mise en place de la transformation visantl’amélioration des services à la population, le réseau a subi de grandscoups de machette, dans ses infrastructures et dans ses effectifs, avec pourrésultat : une diminution de l’accessibilité à certains services, l’allonge-ment des listes d’attente pour certains soins, traitements ou chirurgies,une démotivation palpable de l’ensemble des travailleuses du réseau et unsentiment général d’insécurité parmi la population.

L’impact de ces coupures, au moment où s’implantait le virage ambu-latoire, a été important. Dans les différents établissements du réseau de lasanté et des services sociaux, le personnel soignant a vu sa tâche s’alourdirconsidérablement. Dans les centres hospitaliers, la diminution de la duréede séjour des bénéficiaires a intensifié la demande de soins et a souventcréé des fardeaux de tâche chez les infirmières et chez l’ensemble du per-sonnel soignant. Dans les CLSC, les infirmières ont vu leur clientèle aug-menter et se diversifier. Les soins à prodiguer à cette nouvelle clientèleétaient plus aigus et nécessitaient davantage de temps ; malheureusement,les ressources responsables de la prestation de ces soins n’ont pas été ajus-tées en conséquence. Ainsi, pour les personnes retournées hâtivement oumaintenues à domicile, ces coupures se sont traduites souvent par des lacunesdans les services offerts et des temps d’attente parfois longs avant qu’ellesne puissent bénéficier des services que requérait leur état, en plus de modi-fier en profondeur la mission des CLSC.

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3. DES EFFETS SUR L’ENTOURAGE

La reconfiguration du réseau de la santé et le virage ambulatoire n’ontpas eu que des effets sur les personnes soignées à domicile ou en attented’hébergement et sur le personnel soignant, tant les infirmières que lesautres catégories de personnel. Sans l’ombre d’un doute, la reconfigura-tion et tout particulièrement l’instauration du virage ambulatoire ontaffecté l’entourage de la personne en convalescence ou en attented’hébergement ayant besoin de soins à domicile. Plusieurs intervenantesdu réseau de la santé et aidantes naturelles peuvent maintenant entémoigner : l’entourage des personnes soignées ou maintenues à domicilea été et est toujours fortement sollicité, non seulement pour assurer uneprésence auprès de la personne soignée, mais aussi pour donner certainssoins pour lesquels, et elles en conviennent, elles n’ont ni la formation niles compétences.

Lorsque le ou la bénéficiaire est une personne en perte d’autono-mie, l’entourage doit pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, leou la soutenir et lui assurer certains soins de base. Soulignons que pouravoir accès à une place en centre d’hébergement la personne en perted’autonomie, maintenue à domicile, doit demander au moins trois heureset demie de soins par jour. Cette donnée indique l’ampleur de la tâchequi attend les aidantes naturelles. Il faut bien l’admettre, l’incapacité duréseau de la santé à fournir adéquatement les soins requis par les person-nes en convalescence, en maintien à domicile ou en attente d’héberge-ment fait peser sur le dos des aidantes naturelles la responsabilité detrouver réponse aux besoins des personnes à qui elles viennent en aide.

4. LES FEMMES : DE PLUS EN PLUS SOLLICITÉES

Ces aidantes, comme la féminisation du terme l’indique, sont des femmes.Sauf exception, ce sont effectivement des mères, des sœurs, des tantes, desamies qui sont présentes auprès des personnes en attente de soins à domi-cile ou en maintien à domicile. Il ne faut pas s’en surprendre, les soinssont depuis longtemps une « affaire de femmes ». Alors que les infirmièrescomposent encore plus de 90 % des effectifs de la profession infirmière,et que le nombre de femmes augmente sans cesse au sein de la professionmédicale, ce sont aussi des femmes qui « prennent soin » des personnesqui quittent hâtivement l’hôpital ou qui sont en attente d’une place encentre d’hébergement. Et dans les centres d’hébergement, ce sont encoreen majorité des femmes qui assurent les soins à la clientèle. On ne peutdonc dissocier virage ambulatoire et femmes. On peut même affirmer que

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les impacts de la reconfiguration du réseau de la santé ont été largementsupportés par des femmes, les infirmières, les autres catégories de personnel,il va sans dire majoritairement féminin, et les aidantes naturelles.

Soigner a souvent été perçu comme le prolongement du rôle mater-nel. Un rôle souvent banalisé, réduit à de « simples gestes » que toutefemme sait faire, parce qu’elle est une femme. Il n’est donc pas étonnantque les femmes qui exercent la profession infirmière éprouvent de ladifficulté à faire reconnaître la valeur de leur travail. De plus, il sembleexister une norme implicite qui rend normal, voire naturel, le fait qu’unemère, une épouse, une tante se transforme en aidante naturelle dès qu’unenfant, un conjoint, un parent ou un ami a besoin de soins à la maison.Plus encore, cette norme implicite fait naître un sentiment de culpabilitéchez celles qui ne peuvent ou ne veulent agir comme

aidantes naturelles

auprès d’un membre de leur entourage. Les femmes doivent même parfoisjustifier leur refus.

Faut-il comprendre que l’expression « aidante naturelle » reflète nonseulement la filiation qui peut exister entre l’aidante et la personne à quielle vient en aide, mais aussi le « caractère naturel, attendu, inné » querevêt le fait qu’une femme « prenne soin » de quelqu’un qui en a besoin.En d’autres termes, la réalisation de la reconfiguration nécessitait la priseen charge, par les femmes, des impacts du virage ambulatoire. En défini-tive, on comptait sur la présence des femmes à la maison pour accueillirla personne au sortir de l’hôpital, pour assurer une présence auprès de lapersonne malade ou en attente d’hébergement. Et même pour apportercertains soins dans le contexte où le CLSC ne pouvait et ne peut toujourspas répondre à l’ensemble des besoins de la clientèle en soins à domicileou en maintien à domicile.

Il semble qu’il allait de soi, pour les promoteurs de la reconfigu-ration, que les femmes assumeraient ces responsabilités. On faisait appelà des qualités typiquement féminines et à des stéréotypes sociaux quiréservent aux femmes la responsabilité des soins aux malades.

Ainsi, avec la reconfiguration, les femmes, tant les infirmières et lesautres catégories de personnel que les aidantes naturelles

,

ont vu leurstâches s’alourdir. On demande aux travailleuses du réseau de la santé etdes services sociaux de faire plus avec moins, d’assurer les soins auprèsdes malades hospitalisés qui sont tous, simultanément ou presque, àl’étape d’un épisode aigu de soins. À l’instar des travailleuses, salariées duréseau de la santé, les aidantes naturelles sont littéralement mandatées parle réseau pour assurer auprès de la personne malade ou en attente d’uneplace dans un centre d’hébergement une présence rassurante et certains

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soins de base. Parfois, on va même jusqu’à demander à l’aidante, « aprèsune courte démonstration », de poser des actes qui, en milieu hospitalier,sont réservés à des professionnelles de la santé.

Il n’est donc pas étonnant de constater que c’est au prix de leursanté que les femmes, les infirmières, le personnel soignant et les aidantesont continué à soigner leurs malades. Il existe un taux élevé de détressepsychologique chez les infirmières et le personnel soignant du réseau dela santé et des services sociaux. De plus, on ne peut ignorer l’essouffle-ment des aidantes naturelles, dont les demandes de soutien et de répittrouvent rarement écho dans le réseau de la santé.

5. VERS UNE DÉRESPONSABILISATION…

Le réseau de la santé serait-il en train de profiter de l’opérationalisationdu virage ambulatoire pour lentement se déresponsabiliser relativementaux soins à donner aux personnes à domicile, en convalescence ou enattente d’une place en centre d’hébergement ? On pourrait le croire. Ilfaut se rappeler qu’au début des années 1980 le réseau s’était engagé dansune opération de désinstitutionnalisation des personnes hébergées en cen-tres hospitaliers psychiatriques. Le mieux-être de ces personnes militait enfaveur de leur réinsertion sociale. Les infirmières étaient alors favorablesà la désinstitutionnalisation de cette clientèle psychiatrique, mais ellesexigeaient que soient prévus dans la communauté des mécanismesd’accueil et de soutien ainsi que des services et des soins de santé adaptésà cette clientèle.

Comme on le sait aujourd’hui, cette opération de «désinstitutionna-lisation» s’est déroulée sans que ces mécanismes et services aient été misen place dans la communauté pour accueillir cette clientèle. Dépourvusdu soutien et des soins nécessaires à leur réinsertion sociale, plusieursex-psychiatrisés sont venus grossir les rangs des sans-abri et modifier lesproblématiques auxquelles doivent faire face les intervenants qui lesaccueillent dans les grandes villes du Québec. D’autres ont « simplement »été pris en charge par leur famille. Comme dans le cas des soins à apporterà la personne en convalescence ou en attente de placement à domicile,c’est presque toujours une femme (une mère, une tante, une cousine, uneamie, etc.) qui prendra en charge la personne ex-psychiatrisée.

En moins de vingt ans, deux transformations importantes dans leréseau de la santé et des services sociaux se sont soldées par le retour oule maintien à domicile de personnes en demande de soins, de soutien oud’attention. À ces deux occasions, ce sont des femmes qui ont apporté les

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soins et le soutien aux personnes en convalescence, en attente de place-ment ou encore ex-psychiatrisées qui en avaient besoin. À l’aube de l’opé-rationalisation d’un nouveau virage en santé mentale qui vise ladésinstitutionnalisation, des établissements psychiatriques du réseau de lasanté, d’une autre partie de la clientèle présentant, cette fois, des troublessévères et persistants, les femmes ont toutes les raisons de s’inquiéter. Leréseau va-t-il, une fois de plus, opérer des changements en se déresponsa-bilisant, imposant donc davantage aux femmes la responsabilité d’assurerla sécurité et les soins à donner aux personnes malades ?

Les femmes, les infirmières, les autres catégories de personnel duréseau et les aidantes doivent faire preuve d’une grande vigilance. Ellesdoivent solidairement s’opposer à des changements dans le réseau de lasanté et des services sociaux, qui tient pour acquis qu’elles prendront encharge et compenseront le délestage opéré par l’État. Il en va de la santédu réseau de la santé et des services sociaux et de la santé des infirmières,des autres travailleuses du réseau et des aidantes que l’on dit « naturelles ».

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QUE PEUT-ON CONCLURE?

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ENYSE

C

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Département de travail socialUniversité du Québec en Outaouais

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Département de psychoéducation et de psychologieUniversité du Québec en Outaouais

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CONCLUSION

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Ce recueil de textes a permis d’examiner les enjeux liés à l’implantationdu virage ambulatoire. Bien que, comme le souligne Frédéric Lesemann,ce virage soit porteur « de nouveaux espaces de liberté, de réponses à desquêtes croissantes d’autonomie », en particulier pour les personnes auxprises avec des déficits de santé passagers ou même chroniques, l’atteintede cet objectif ne se fera pas sans heurt.

Clairement, le virage ambulatoire s’appuie sur des principes qui fontconsensus dans la société québécoise, soit l’humanisation des soins et lemaintien du client « citoyen-payeur » (ministère de la Santé et des Servicessociaux, 1990) dans son milieu de vie. En pratique, les obstacles à surmon-ter sont multiples. La mise en place du virage ambulatoire s’est heurtée àdes réalités institutionnelles, économiques et sociales qui ont dénaturécette démarche de changement. Elle semble ainsi avoir provoqué une miseen veilleuse de la philosophie d’humanisation des soins et une transfor-mation d’une approche « douce » en une approche « durement » ressentiepar les proches des personnes déshospitalisées et les professionnelles dela santé. Les premières ont été recrutées, souvent contre leur gré, à titrede soignantes bénévoles. Les secondes ont subi des contrecoups impor-tants, comme des conditions de travail plus difficiles, la précarisationaccrue des emplois et un vaste redéploiement de la main-d’œuvre, car lesbudgets additionnels nécessaires à une mise en place harmonieuse duvirage ambulatoire n’ont pas été alloués. Les logiques comptables propresà un appareil gouvernemental soumis à l’objectif du « déficit zéro » aurontsans doute prévalu, allant probablement à l’encontre de la volonté mêmedes concepteurs du virage. Les services sont donc maintenant souventtronqués, et le système sociosanitaire compte maintenant en grande partiesur la disponibilité des proches des personnes malades pour prendre encharge des soins de nature médicale et infirmière (Gagnon, Guberman etCôté

et al.

, 2001). Les familles doivent ainsi assurer des soins autrefois prisen charge par le milieu hospitalier (Ducharme, Pérodeau et Trudeau,2000). De plus, au sein de ces familles, ce sont généralement les femmes(conjointe, fille, belle-fille) qui prennent encore aujourd’hui le relais,comblant ainsi les vides laissés par des services publics inadéquats.

Ce transfert des responsabilités et des tâches de soin à l’hôpital versla maison s’est effectué sans débat public et, surtout, sans tenir compte deschangements sociaux et des rapports entre les sexes. Les femmes ont étélongtemps responsables du soin des enfants et de leurs parents vieillissants(Therrien, 1987) ; cela constituait une partie importante de leur rôle social.Aujourd’hui, l’éventail des rôles s’est élargi pour la majorité des femmesqui se sont largement investies sur le marché du travail, bien qu’à dessalaires souvent moindres que ceux des travailleurs masculins. Toutefois,le revenu qu’elles apportent au ménage est devenu essentiel, à tel point

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que la conciliation entre les obligations liées au monde du travail et cellesliées à la sphère familiale s’est transformée en problème de société. Biensûr, certains hommes (ils représentent entre 10 % et 25 % des prochesaidants, selon les auteurs) assument les tâches de soins auprès d’un prochemalade, le plus souvent, d’ailleurs, auprès de leur conjointe. Ils demeurentnéanmoins la minorité. Les devoirs et responsabilités du soin aux personnesdépendantes incombent encore essentiellement aux femmes.

Si l’on tient compte des changements socioculturels des dernièresdécennies, plusieurs questions se posent. Comment peut-on, dans unesociété valorisant la participation « à la vie active », présumer que lesfemmes seront désireuses de quitter le marché du travail pour prendresoin d’un proche, de remettre à plus tard leurs projets personnels etprofessionnels pour assumer gratuitement de tels soins ? Quelles provi-sions sont prévues pour leur propre retraite sur le plan financier ? Parmicelles qui prennent en charge de tels soins sans quitter leur emploi ou enréduisant leurs heures de travail, combien pourront s’acquitter de cessoins sans mettre en danger leur qualité de vie et celle de leur proche, etmême, lorsque le besoin de soins se prolonge, leur santé ? Comment cesfemmes arriveront-elles à assumer ces soins de plus en plus complexesdans une société aux solidarités fragiles ?

Actuellement, le virage ambulatoire s’appuie sur une conceptionmythique de la famille misant sur la pleine disponibilité des proches, c’est-à-dire comptant généralement sur l’aide d’une femme ou d’un réseau defemmes. Pourtant la taille des familles québécoise a rétréci comme peaude chagrin depuis maintenant presque trente ans ; les familles sont frag-mentées et le nombre de personnes vivant seules a augmenté. Les enfantssont moins nombreux et vivent souvent loin du domicile de leurs parents.Les hommes décèdent souvent avant leur conjointe, la laissant ainsi seuledes années durant.

Le nombre de personnes dépendantes augmentera certainement aucours des prochaines années. Nous devons déjà faire face à une pénurienon seulement de professionnels de la santé, mais également bientôt desoignantes bénévoles. Les personnes soignantes, tant professionnelles quebénévoles, ont été les grandes oubliées du virage ambulatoire, et, paradoxa-lement, c’est à elles que l’on doit la qualité des soins. À ce titre, touteréforme devrait les placer au cœur du système de santé, sans quoi nousrisquons une détérioration des soins dans un contexte de restrictions bud-gétaires. Par ailleurs, si nous voulons restructurer le rapport entre l’Étatet la société civile, si nous voulons contrer la dépendance de la populationà l’égard du système public de soins, cela ne peut se faire sans considérerles nouvelles réalités familiales ainsi que les progrès réels en matière decondition féminine réalisés au cours du dernier quart de siècle. Les réformes

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du système sociosanitaire doivent tenir compte des aspirations non seule-ment des personnes dépendantes, mais également de leur réseau d’aidetant formel qu’informel. Nous espérons que ce livre aura fourni quelquespistes de réflexion qui contribueront à l’atteinte de cet objectif.

R

ÉFÉRENCES

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NOTI

CES

BIOG

RAPH

IQUE

S

Martin Bédard

, M.Sc., œuvre dans le réseau de la santé etdes services sociaux depuis 17 ans. Pendant plusieurs années,il a exercé des fonctions d’infirmier clinicien et de chargéde projets. Depuis sept ans, il occupe des fonctions deconseiller en gestion et développement des ressourceshumaines. Ses principales responsabilités sont reliées à laplanification de la main-d’œuvre, la mise en œuvre dePDRH (plan de développement des ressources humaines),l’élaboration de programmes de gestion des ressourceshumaines (intégration au travail, adaptation de la main-d’œuvre, PAE), la gestion de la formation ainsi que ledéveloppement organisationnel. De plus, M. Bédard a étéconsultant et formateur ainsi que conférencier auprès deplusieurs organisations.

Diane Bernier

, M.A. (service social), est professeure titu-laire à l’École de service social de l’Université de Montréal.Ses intérêts de recherche portent sur les programmes degestion du stress et l’épuisement professionnel, ainsi quesur le soutien organisationnel en milieu de travail, volet quiinclut la recherche sur la conciliation travail-famille. Lesecond volet est centré sur l’intervention psychosociale : lesmodèles d’intervention et l’amélioration des pratiques. Cestravaux prennent la forme de recherche-action et de diffu-sion du savoir-faire professionnel.

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Sylvie Boulanger

, infirmière de formation et bachelière en administration,occupe le poste de vice-présidente de la Fédération des infirmières etinfirmiers du Québec (FIIQ) depuis janvier 1990. En tant que responsablepolitique des secteurs Santé et Condition féminine, elle suit de près tousles dossiers qui touchent l’évolution et l’avancement des droits des femmeset ceux du droit à la santé. Activement engagée dans le mouvement desfemmes entre autres à la Coalition québécoise pour le droit à l’avortementlibre et gratuit et comme membre du conseil d’administration de la Fédé-ration des femmes du Québec, elle a aussi participé activement à la Marchedu pain et des roses, à la vigile contre la pauvreté des femmes et finale-ment à la Marche mondiale des femmes en 2000.

Nathalie Brassard

, B.A. et étudiante à la maîtrise en psychologie à l’Uni-versité du Québec à Chicoutimi, est membre étudiante du Centre derecherche interuniversitaire sur l’éducation et la vie au travail de l’Univer-sité de Sherbrooke. Son mémoire de maîtrise porte sur la conciliationtravail-famille des aidants de la génération « sandwich », ces aidants d’unparent âgé qui, au même moment, ont des enfants à charge.

Lorraine Brissette

est travailleuse sociale ayant complété une maîtrise etune scolarité de doctorat en service social à l’Université Laval. Elle a travailléde nombreuses années en tant qu’intervenante et gestionnaire dans ledomaine des services aux personnes âgées. Elle est l’auteure de plusieursouvrages sur la prévention de l’épuisement tant pour les aidants naturelsque les intervenants professionnels. Elle est actuellement coordonnatrice duregroupement psychosocial à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Yves Carrière

, Ph.D. (démographie), est professeur associé au Départementde démographie de l’Université de Montréal. Depuis maintenant dix ans,ses travaux de recherche visent à mieux comprendre les effets du vieillis-sement démographique sur la société de demain. Au cours des dernièresannées, il s’est plus particulièrement intéressé à l’utilisation des réseauxformel et informel chez les personnes âgées en perte d’autonomie. Éga-lement chercheur en sciences sociales à Statistique Canada, ses recherchesportent essentiellement sur les changements dans la composition et l’étenduedu réseau familial des baby boomers et leurs conséquences éventuelles surl’utilisation des réseaux formel et informel au cours des prochaines décennies.

Denyse Côté

est sociologue, politologue et professeure au Départementde travail social et des sciences sociales de l’Université du Québec enOutatouais. Ses intérêts de recherche s’articulent autour de l’évolutiondes rapports hommes-femmes à la fois dans les sphères privée et publique,en particulier dans le cadre familial et dans celui des communautés locales.Elle s’intéresse plus particulièrement aux interfaces de ces évolutions ainsiqu’à la transformation correspondante des rôles parentaux, familiaux et

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NOTICES BIOGRAPHIQUES

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du rôle des femmes dans leurs communautés. Spécialisée en méthodo-logie qualitative, elle a mené à terme, avec une équipe interdisciplinaireet interuniversitaire, deux recherches sur le virage ambulatoire ; la der-nière de ces recherches a examiné plus particulièrement le transfert dessoins médicaux et infirmiers à domicile et leur prise en charge par lesproches des personnes malades. Elle a également mené récemment unerecherche sur la transformation des rôles parentaux en contexte de gardephysique partagée et termine actuellement une collecte de données surla reconnaissance, par les instances locales et régionales, de la contribu-tion des groupes de femmes à l’économie sociale au Québec.

Francine Ducharme

, Ph.D. (sciences infirmières), a complété des étudespost-doctorales au Centre de recherche de l’hôpital Douglas, centre col-laborant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en santé mentale.Elle est professeure titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l’Uni-versité de Montréal et chercheur boursier sénior du Fonds de la rechercheen santé au Québec. Elle est présentement titulaire de la Chaire Desjardinsen soins infirmiers à la personne âgée et à la famille et responsable del’axe de recherche portant sur les soins et services aux personnes âgées età leur famille au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatriede Montréal. Ses intérêts de recherche portent sur l’élaboration et l’éva-lutation d’interventions auprès des aidants familiaux de personnes âgéesvivant à domicile ou en établissements de santé, avec notamment des projetssur les services à offrir aux familles dans le contexte du «virage ambulatoire».

André Duquette

, Ph. D. (sciences de l’éducation), est professeur titulaire àla Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal. Ses enseigne-ments et ses recherches portent sur la santé du personnel soignant.

André Guillemette

est démographe et occupe un poste d’agent de rechercheà la direction de la santé publique de la Régie régionale de la santé et desservices sociaux de Lanaudière. Ses intérêts de recherche touchent prin-cipalement l’analyse de l’état de santé et de bien-être de la population enlien avec son environnement économique, social et physique.

Janice Keefe

est professeure au Department of Family Studies and Geron-tology de la Mount Saint Vincent University. En juillet 2002, elle est deve-nue titulaire de la première Chaire de recherche du Canada sur lespolitiques relatives au vieillissement et à la prestation des soins de cetteuniversité. Elle a récemment obtenu le soutien financier de la Fondationcanadienne pour l’innovation/Canadian Foundation of Innovation pourdévelopper le Maritime Data Centre for Aging Research and Policy Ana-lysis. Elle s’intéresse à la recherche de solutions pour les personnes âgéesvivant en milieu rural, aux politiques de soins de longue durée, aux ser-vices de soins proprement dits et aux ressources humaines en santé.

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

© 2002 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

Lise Lachance

, Ph.D., psychologue et conseillère en relations industrielles,est professeure au Département des sciences de l’éducation et de psycho-logie à l’Université du Québec à Chicoutimi et chercheure au Centre derecherche interuniversitaire sur l’éducation et la vie au travail de l’Univer-sité de Sherbrooke. Ses principales activités de recherche s’insèrent dansle domaine de la psychologie sociale et concernent particulièrement laconciliation entre le travail et la vie personnelle et le fonctionnement dansles rôles sociaux. Ses recherches en cours traitent du processus d’adaptationau stress lors de l’accomplissement de rôles multiples, d’importantes tran-sitions ou événements de vie. Ses intérêts et sa participation à plusieursprojets de recherche portant sur les facteurs de protection et de fragilisa-tion de la santé l’ont conduite à intégrer, dans ses travaux, des mesuresphysiologiques de stress.

Nicole L’Heureux

, après des études secondaires, a été successivementsecrétaire du laboratoire de biochimie de l’Hôpital Notre-Dame et desRelations extérieures de l’Université de Montréal. Mère de quatre enfants,elle a consacré quelques années à leur éducation, puis, après une forma-tion en gérontologie, elle a œuvré auprès des personnes âgées et de leursproches, dans le milieu communautaire durant 20 ans. C’est à titre decoordonnatrice du Regroupement des aidantes et aidants naturels deMontréal qu’elle a participé à la table ronde sur le virage ambulatoire. Lasanté de la population en général et surtout la qualité de vie des personnesâgées et de leurs proches sont pour elle une préoccupation constante.

Georgia Livadiotakis

, M.A. (gérontologie), est analyste à la Division del’évaluation des programmes, Direction de la recherche appliquée et del’analyse de la Direction générale de l’information, de l’analyse et de laconnectivité à Santé Canada. Ses champs de recherche couvrent les soinsà domicile, les personnes âgées, la prestation des soins, les politiques desanté et l’évaluation de programmes. En collaboration avec les chercheursdes Centres d’excellence pour la santé des femmes, elle a récemmentcomplété un projet intercentres sur les coûts sociaux, psychologiques etéconomiques de la répartition des rôles entre les sexes chez les aidantsqui prodiguent des soins palliatifs à domicile dans les derniers mois devie. Cette recherche a été conduite dans trois provinces, à savoir la ColombieBritannique, le Québec et la Nouvelle-Écosse, présentant ainsi une vue dessoins palliatifs et des clientèles dans tout le Canada.

Mario Paquet

est sociologue de formation et détenteur d’un doctorat ensciences humaines appliquées de l’Université de Montréal. Il est aussichercheur invité à l’Institut national de recherche scientifique (INRS –Urbanisation, Culture et Société) et chercheur associé au Centre derecherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Depuis 1987,il occupe un poste d’agent de recherche à la Direction de santé publique

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NOTICES BIOGRAPHIQUES

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© 2002 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Lanaudière àJoliette. Il s’intéresse depuis plusieurs années à la problématique du sou-tien familial aux personnes âgées dépendantes. Ses travaux de recherche,dont les résultats devraient servir à remettre en question les politiquessociales, les pratiques d’intervention et les programmes à l’égard desfamilles vivant une situation de dépendance, s’inscrivent dans une pers-pective socioanthropologique. M. Paquet collabore actuellement à unerecherche sur le virage ambulatoire. Il mène aussi une étude exploratoiresur le vécu d’une expérience familiale de soin auprès d’un proche. Deplus, un ouvrage de vulgarisation sur le thème du «prendre soin à domicile»est en préparation.

Sylvie Paquette

est diplômée de l’Université d’Ottawa en sociologie(M.A.). Elle a publié des articles portant sur l’articulation travail-familleet les soins à domicile. Invitée au colloque international organisé parl’Université des femmes sur le thème du vieillissement à Bruxelles en mai2000, elle s’intéresse à la prise en charge des personnes âgées à domicile.Elle travaille maintenant à Statistique Canada sur des enquêtes sociales.

Guilhème Pérodeau

détient un doctorat en psychologie sociale de l’Uni-versité York. Elle est professeure titulaire au Département de psychoédu-cation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais ainsi quechercheure au Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé etde la prévention (GRASP) de l’Université de Montréal. Ses intérêts derecherche portent sur la problématique du vieillissement en particulier lestress et les stratégies d’adaptation et la consommation de psychotropeschez les aînés. Elle s’intéresse également à la conciliation travail-famillechez les professionnels et les aidants de personnes en perte d’autonomie.Son dernier projet de recherche portait sur la consommation de psycho-tropes chez les personnes âgées en maintien à domicile.

Caroline Richard

est psychologue et occupe un poste d’agente de rechercheà la direction de la santé publique de la Régie régionale de la santé et desservices sociaux de Lanaudière. Ses intérêts de recherche touchent prin-cipalement l’évaluation des programmes et services de santé mis en placepour améliorer l’état de santé et de bien-être de la population.

Louis Richer

, Ph.D., neuropsychologue, et professeur titulaire au Dépar-tement des sciences de l’éducation et de psychologie de l’Université duQuébec à Chicoutimi. Ses intérêts de recherche portent sur la neuropsy-chologie expérimentale et clinique, avec notamment des projets sur : l’éva-luation de l’adaptation au stress à l’aide de mesures psychosociales etbiologiques ; les influences environnementales sur le développement ducerveau des adolescents ; le développement de lignes directrices en santéclinique et génétique pour améliorer la qualité de vie des individus atteints

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LE VIRAGE AMBULATOIRE

© 2002 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Le virage ambulatoire, Guilhème Pérodeau et Denyse Côté (dir.), ISBN 2-7605-1195-2

de dystrophie myotonique et leur famille ; et la conciliation travail-famille,d’une part, chez des parents de jeunes ayant une déficience intellectuelleet, d’autre part, chez les couples d’aidants de la génération sandwich quiprennent en charge un parent atteint de démence. Il est membre dugroupe Écogènes-21 en génétique communautaire, concernant le conceptdu transfert technologique des connaissances en génétique vers la population.

Chantal Saint-Pierre

est détentrice d’un baccalauréat en sciences de lasanté (sciences infirmières) de l’Université Laval et d’une maîtrise ensciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski. Elle est àcompléter un doctorat en sciences infirmières à l’Université de Montréal.Professeure à l’Université du Québec en Outaouais depuis 1990, elle agitactuellement comme directrice du Module des sciences de la santé etcomme responsable des programmes de deuxième cycle en sciences infir-mières. Ses intérêts de recherche portent sur la formation des infirmièreset la santé des femmes. Elle s’est impliqué auprès de divers organismes,entre autres le Réseau national action-éducation des femmes, l’Associationcanadienne des écoles de sciences infirmières, Association canadienne-française pour l’avancement des sciences et la Fondation de recherche ensciences infirmières du Québec.

Denise Trudeau

est détentrice d’une maîtrise en sciences infirmières del’Université de Montréal et a complété une formation en andragogie. Ellepossède plus de vingt ans d’expérience auprès de clientèles vieillissantesen centre hospitalier et en centre d’hébergement et de soins de longuedurée. Elle possède une expertise en animation de groupe et a participéà diverses activités de formation auprès d’intervenants œuvrant en géronto-gératrie. Elle est présentement agente de recherche au sein de l’équipede la Chaire Desjardins en soins infirmiers à la personne âgée et à lafamille du Centre de recherche de l’institut universitaire de gériatrie deMontréal. Elle s’intéresse depuis quelques années à la gestion du stresschez les aidants familiaux de personnes âgées.

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