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Université de Paris III Sorbonne Nouvelle UFR Arts et Médias Le téléphone portable, nouvel outil de médiation dans les institutions muséales françaises Stedelijk Museum © Clélia Dehon Mémoire de master 1 Conception et direction de projets culturels Sous la direction de Mme Cécile Camart Juin 2011

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Memoire Master 1 - Conception et direction de projets culturels, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris 3. Juin 2011

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Université de Paris III Sorbonne Nouvelle UFR Arts et Médias

         

Le téléphone portable, nouvel outil de médiation dans les institutions

muséales françaises

Stedelijk Museum ©

Clélia Dehon

Mémoire de master 1 Conception et direction de projets culturels

Sous la direction de Mme Cécile Camart

Juin 2011

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« En janvier 2001, à Syracuse, je me promenais avec Jacques Derrida. Nous parlions de téléphones mobiles. La discussion était, non pas technique, mais philosophique. Pour ma part, campant sur une position dogmatique, je soutenais que le mobile est un appareil stupide, et l’ordinateur, une machine intelligente. Peut-être parce que je pensais qu’avec l’ordinateur, on peut écrire des essais intelligents et avec le mobile, des messages stupides. De toute évidence, je faisais fausse route. Et pas seulement parce qu’on peut écrire des essais d’une idiotie monumentale avec l’ordinateur, mais aussi et surtout, parce que, observait Jacques Derrida, avec le temps le mobile finirait par concentrer toutes les fonctions de l’ordinateur, outre celle de ne jamais nous quitter, que l’ordinateur ne possède pas encore. »

Mauricio Ferraris « T’es où ? Ontologie du téléphone mobile » Bibliothèque Albin Michel Idées, 2006, p.14

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REMERCIEMENTS

 Je tiens à remercier ma directrice de recherche, Mme Cécile Camart, pour son intérêt

envers mon sujet, son soutien et ses conseils, qui ont pu m’éclairer tout au long de

l’élaboration de ce mémoire.

Mon analyse n’aurait pu être matérialisée sans les nombreuses rencontres

professionnelles, qui m’ont permis d’élargir mes connaissances dans le domaine des

nouvelles technologies mobiles et de la façon de les concevoir dans une institution muséale.

Je remercie donc vivement Mme Marieke Rollandi, Médiatrice culturelle au musée

municipale de Cambrai, Mr Mauricio Estrada Munoz, Chef de projet au Studio 13/16 du

Centre Georges Pompidou, Mr Frédéric Durand, Directeur associé de la société smartApps,

Mr Yann Hamet, Responsable de la politique tarifaire et des audioguides à la RMN-Grand

Palais, Mr Benoît Villain, Responsable des projets éducatifs et culturels au LaM de Lille, Mr

Benjamin Bardinet, Responsable de la médiation et de l’action culturelle au Palais de Tokyo

et Mme Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée des Arts décoratifs.

Le temps qu’ils ont bien voulu me consacrer m’a été plus que bénéfique.

Parallèlement à ces entretiens, de nombreuses personnes se sont montrées ouvertes et

disponibles pour échanger avec moi autour de ce sujet très vaste. Je tiens particulièrement à

remercier à ce titre Melle Noémie Couillard, Doctorante à l’École du Louvre, Mr Gonzague

Gauthier, Webmaster et Community Manager au Centre Georges Pompidou, Mme Caroline

Bugat, Coordinatrice pédagogique à la Cité de la Musique, Mme Coline Aunis, Chargée de

projets multimédia au musée des Arts et Métiers et Mme Claire Séguret, Responsable

adjointe du service de communication au musée de Cluny.

D’autres personnes ont également contribué à ancrer mes recherches sur un terrain

professionnel. Je remercie pour cela Mr Pierre-Yves Lochon, Directeur de Synapses

Conseils et Coordinateur du Club Innovation et Culture. Je souhaite également exprimer ma

gratitude auprès de la société smartApps et de la RMN-Grand Palais, en particulier Mme

Valérie Bex et Mme Béatrice Laigneau, qui m’ont accordées la permission de transformer

les Galeries Nationales du Grand Palais en un terrain d’observations et de recherches.

L’étude que j’y ai réalisée n’aurait été rendue possible sans la contribution et le

dynamisme de huit étudiantes de l’Université de Paris III, Sorbonne Nouvelle. Je tiens à

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remercier pour leur collaboration et leur dynamisme : Patricia Bass, Marie-Eve Brisson,

Catherine Boullier, Anne-Solène Chevallier, Maeva Mazan, Lisa Moneret, Sarah Papon et

Caroline Stradella.

Enfin, le dernier remerciement, mais non le moindre, va en direction de Simon

Wasselin, pour sa compréhension, ses relectures, son regard extérieur, ses conseils

techniques, ses encouragement, sa patience et parfois même, ses sacrifices.

Si la rédaction de ces pages fût une aventure longue et solitaire, toutes ces personnes

l’ont rendu plus riche et plus humaine.

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AVANT-PROPOS

    Au printemps 2009, je visitais l’exposition « Alexander Calder » au Centre Gorges

Pompidou, lorsque je reçu un appel sur mon téléphone portable. Je ne décrochais pas mais

décidais d’écouter le message laissé sur mon répondeur. Aussitôt, un agent d’accueil

s’approcha en me faisant un signe d’interdiction et me dit qu’il n’était pas possible de

téléphoner dans l’exposition. Dans un mouvement de surprise, j’éloignais le téléphone de

mon oreille avant de le ranger dans mon sac, sans même avoir écouté le message. Après

coup, je me trouvais idiote de ne pas lui avoir dit qu’il s’agissait simplement d’une écoute et

non d’une conversation. Le geste était de toute évidence ambiguë.

Quelques semaines plus tard je fis une découverte qui me semblait paradoxale en

comparaison à cette anecdote. Je visitais pour la première fois musée du Moyen Âge et

appris par la même occasion l’existence des bornes Bluetooth dans la salle de la tapisserie de

la Dame à la Licorne. Cette fois, il m’était possible de sortir mon téléphone, pour obtenir un

contenu, ce que je fis. Malheureusement, j’ai été contrainte de terminer rapidement ma

visite, sans écouter le commentaire reçu face à l’œuvre. Par curiosité, je décidais tout de

même de l’écouter… mais dans la rue.

Il y avait là pour moi une double contradiction : dans un musée on me demandait de

ranger mon portable, dans un autre on me demandait de le sortir ; dans le premier cas je

n’avais pas pu écouter un message personnel dans le musée et dans le second je pouvais

écouter un message muséal dans l’espace urbain.

Les applications pour smartphone, qui se sont avérées de plus en plus nombreuses,

ont ensuite suscité mon intérêt. Je choisis ainsi de centrer mes recherches – à l’origine

orientée vers les dispositifs de médiation numérique au sens large - entièrement sur le

téléphone portable.

Dans l’objectif de mieux cerner mon sujet et d’affiner mon regard sur les

technologies des terminaux mobiles, j’ai sollicité et mené des entretiens avec divers

professionnels, proches des questions des publics et de leurs usages au musée. Cela m’a bien

entendu permis d’envisager certaines pistes d’analyses, d’en écarter d’autres et surtout de

mieux saisir l’organisation de ces systèmes de médiation, leurs enjeux et leurs limites, aussi

bien pour les publics, les institutions muséales et les entreprises qui les développent.

Si certains s’attendent peut-être à lire un audit, un rapport, un dossier complet sur des

retours d’expériences, je tiens à préciser ici qu’il n’en est rien. L’objectif principal de ma

recherche étant de « poser » un contexte et de proposer une première analyse des influences

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de ces dispositifs sur les façons dont les publics peuvent envisager leur utilisation et sur les

manières dont les outils de médiation sur téléphone pourraient modifier leurs liens à

l’institution et aux autres visiteurs.

En outre, les regards experts en technologies mobiles pourraient peut-être trouver

matière à critiquer mon approche technique, observer des imprécisions ou des maladresses

dans les définitions. C’est pourquoi je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un mémoire en sciences

et techniques de l’information et des télécommunications mais d’une recherche présentée

dans le cadre d’un master en conception de projets culturels. Toute mon analyse est donc

tournée avant tout sous l’angle de la médiation, de la transmission et de l’appropriation. Je

vous en souhaite une bonne lecture.

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS……………………………………………………………. AVANT-PROPOS………………………………………………………………. INTRODUCTION………………………………………………………………. CHAPITRE I : LE TÉLÉPHONE PORTABLE, NOUVEL OUTIL DE MÉDIATION DANS LES MUSÉES

1. De la réticence à la tolérance, analyse de la réception du mobile au musée……………………………………………………………………………

a. Introduction du mobile dans les lieux culturels : des inégalités ?......... b. Le musée, un lieu prédisposé à l’utilisation du mobile ?......................

c. De l’ « hostilité » à l’ « utilité » : vers une évolution du statut du mobile au musée…………………………………………………………

2. Téléphone et présence muséale institutionnelle………………………….

a. Les prémices du téléphone au musée, entre diffusion et médiation : la question de la transmission……………………………………….…

b. « Capture d’écran » des technologies mobiles au musée ………….. c. Les outils pervasifs, connexion directe entre publics et artefacts d. Le musée augmenté

3. Musées, téléphones portables et usages amateurs……………………… a. La recherche internet comme « auto-médiation »……………………. b. L’enregistrement……………………………………………………… c. Le partage social……………………………………………………… CHAPITRE II : LE TÉLÉPHONE PORTABLE, UNE OFFRE DE MULTI-MÉDIATION. EFFETS ET ENJEUX SUR LES USGAGES DES PUBLICS

1. Le mobile, canalisateur d’outils de médiation………………………… a. La mobilité………………………………………………………….. b. Entre livre et écran ? ………………………………………………... c. Interactivité et sociabilité…………………………………………….

2. Effets de la multi-médiation……………………………………………..

a. Un triple niveau de médiation………………………………………… b. « L’embrassement » du regard et la (re)découverte à distance………..

3. Quand le musée « appelle » son public…………………………………

a. Public ciblé…………………………………………………………… b. Publics approchés…………………………………………………….. c. Public à conquérir ……………………………………………………

p.3 p.5 p.9 p.12 p.12 p.14 p.18 p.22 p.22 p.28 p.32 p.35 p.36 p.37 p.38 p.39 p.43 p.44 p.46 p.49 p.51 p.52 p.55 p.57 p.58 p.61 p.63

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d. La multi-médiation et l’éclosion de « tribus médiatiques »…………...

CHAPITRE III : LE TÉLÉPHONE PORTABLE, UN OUTIL DE PROXIMITÉ. FORMES D’INTERACTION ET DE COMMUNICATIONS ENTRE INSTITUTIONS MUSÉALES ET PUBLICS

1. Promixité et formes de connivence…………………………………….. a. L’institution dans nos poches………………………………………. b. La personnification : un nouveau rapport à l’institution et aux

œuvres ? ……………………………………………………………. c. Le lieu de la personnalisation………………………………………

2. Téléphone, publics et musées : vers un nouveau schéma

communicationnel ? ……………………………………………………. a. Du livre d’or à la « communauté virtuelle »…………………………. b. Formes d’intercations sociales « inter-visiteurs » et « inter-

amateurs »……………………………………………………………. c. Le téléphone portable, un « appareil critique » pour amateurs de

musées ? ……………………………………………………………...

3. Le publics face aux outils de médiation sur téléphone mobile : formes d’exclusion et freins à l’utilisation…………………………… a. Des dispositifs très ciblés…………………………………………… b. La non maîtrise de l’outil et « l’accompagnement à

l’accompagnement »………………………………………………… c. La visibilité………………………………………………………….. d. Finalités des usages…………………………………………………..

CONCLUSION……………………………………….…………………………. BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………….

p.66 p.69 p.69 p.71 p.75 p.78 p.78 p.85 p.89 p.91 p.91 p.93 p.95 p.97 p.99 p.101

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INTRODUCTION  

Ces vingt dernières années, les institutions muséales ont vu peu à peu s’introduire

dans leur enceinte par le biais des visiteurs, un objet de notre quotidien : le téléphone

portable. Son apparition au musée a d’emblée susciter des interrogations, notamment à

propos des comportements induits sur les visiteurs dans les salles d’exposition, mais aussi

sur le décentrement contemplatif et cognitif qu’il pourrait opérer. Car le téléphone mobile

pose, dans une certaine mesure, une limite à la définition du musée en vigueur, établit par

l’ICOM1 en 2007:

« Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la

société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie,

expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son

environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »

En effet, dès lors que les publics, dotés de leurs outils personnels en contexte de

visite sont aussi en posture communicante et en relation avec l’« extérieur » du musée, les

fonctions d’études, d’éducation et de délectation vouées à l’institution ne pourraient-elles

pas, à tout instant, être perturbées par le téléphone mobile ?

D’abord banni des enceintes des musées car contraire aux règlements intérieurs

exigeant calme, discrétion et respect des autres visiteurs, force est de constater que le mobile

fait de nos jours partie intégrante de certains dispositifs de médiation culturelle et que les

usages développés par les visiteurs à travers ses fonctionnalités se sont multipliés. Les

développements technologiques et la mutation des outils de télécommunication « en objets

qui ne servent plus seulement à téléphoner 2» semblent avoir semé le trouble dans les

institutions muséales. Face à ces évolutions, plusieurs d’entres elles tentent aujourd’hui de

s’adapter, tirant profit des fonctions et des technologies propres à ce média, adoptant parfois

une position ambigüe, voire divergente vis à vis du règlement intérieur établi.

Applications pour Smartphone, réalité augmentée, RFID, QR codes... Nous verrons

que les nouvelles technologies mobiles sont devenues autant de possibilité permettant aux

                                                                                                               1  Statuts de l’ICOM (International Council of Museums) adoptés lors de la 21e Conférence générale à Vienne (Autriche) en 2007 Chronologie de l’Icom http://icom.museum/chronology_fr.html  2  Coll. – Les Usages avancés du téléphone mobile, In : Réseaux, volume 27, La Découverte, juill. – sept. 2009    

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institutions d’utiliser le téléphone du visiteur comme un support pédagogique et de rendre

légitime son utilisation dans le contexte muséal.

Il convient toutefois de se demander si les dispositifs de médiation via le téléphone

mobile ne participent pas uniquement à un phénomène de « mutation des contenus » par

lequel ceux-ci seraient, par exemple, simplement transposés de l’audioguide au téléphone

mobile ? En outre, l’utilisation du téléphone mobile en contexte muséal peut-elle générer des

impacts singuliers sur la médiation culturelle et sur les façons dont les visiteurs vont accéder

aux informations transmises par le musée ? En s’immisçant dans un outil strictement

personnel, l’institution modifie-elle ses relations aux publics ? Si la réponse est positive,

alors quels en sont les aspects et les effets ?

C’est à ces questions que nous tenterons, entres autres, de répondre au sein de la

présente recherche. Elles convoquent la problématique générale de notre analyse, qui est la

suivante : le téléphone mobile dans les institutions muséales françaises peut-il être considéré

comme un nouvel outil de médiation et engendre t-il de nouveaux rapports aux publics ?

Dans un premier temps, nous exposerons le contexte d’apparition du téléphone dans

les musées et proposerons une description analytique des projets et expérimentations

institutionnels recourant aux technologies mobiles. Nous aborderons également les usages

« amateurs » avec le mobile en situation de visite au musée. Ce chapitre permettra aux

lecteurs de se familiariser avec le contexte, le langage, les usages et les fonctionnalités du

téléphone, appliqués aux musées.

Nous questionnerons ensuite le lien entre le mobile et la médiation. Il semblerait que

les multiples fonctionnalités du mobile augmentent et diversifient les possibilités d’accès

aux œuvres et à l’institution. En outre, il apparaitrait que le téléphone puisse également

revêtir les fonctions des supports de médiation qui composent traditionnellement les lieux

d’expositions. Les similitudes et les divergences entre plusieurs de ces supports se

dessineront alors, démontrant la complémentarité du mobile. Considérant le téléphone

comme un outil de médiation protéïforme, le terme de « multi-médiation » sera

régulièrement employé pour définir son offre. Cette dimension « multifonction » nous

amènera aussi à développer une réflexion sur ses éventuelles possibilités à capter un large

public. Ces interrogations formeront une transition avec le troisième et dernier chapitre,

abordant la question des relations aux publics.

Le mobile étant avant toute chose un outil de communication personnelle, nous

verrons comment il peut introduire une proximité et offrir différents axes de communication

entre institutions et publics. Si les enjeux de ces outils sont nombreux, il sera cependant

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essentiel, avant de conclure, d’expliciter en quoi le téléphone portable peut être autant

fédérateur de lien social que d’exclusion symbolique. Nous en détaillerons les formes et les

freins à l’utilisation.

Cela nous conduira à conclure sur les perspectives d’évolutions possibles de l’usage

de ces outils dans les musées et à ouvrir notre sujet sur les enjeux stratégiques liés à leur

mise en place pour les institutions et les entreprises qui développent ces technologies

mobiles.

 

 

 

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CHAPITRE I :

Le téléphone portable, nouvel outil de médiation culturelle dans les musées

 1. De la réticence à la tolérance ? Analyse de la réception du téléphone

mobile au musée a. Introduction du mobile dans les lieux culturels : des inégalités ?

D’abord destiné au monde des affaires, le téléphone portable a connu une croissance

considérable et inattendue dès la fin des années 90 : « Contre toute attente – et notamment

celle des concepteurs et opérateurs télécom –, le cellulaire est devenu, en un temps record,

un objet amplement diffusé »3. Adopté par un large public et de façon massive, le taux de

pénétration du téléphone mobile - toutes marques et opérateurs confondus - est passé de 10%

en 1997 à 97% en 20104.

Plusieurs études s’accordent sur un constat : le téléphone mobile a profondément

modifié les pratiques sociales, allant jusqu’à « la redéfinition pratique de nos espaces

sociaux ordinaires »5. En effet, sphère publique et privée s’entrelacent désormais et

« L’espace public laisse le champ libre à des échanges téléphoniques qui jusqu’à peu

étaient réservés au territoire de l’intime ou du résidentiel6 ». Les utilisateurs sont alors en

posture « d’ubiquité médiatique »7 : ils peuvent se trouver physiquement à un endroit, mais

être médiatiquement ailleurs. Ces modes de communication en situation de mobilité ont

donc non seulement bouleversé les usages, mais aussi le rapport aux espaces.

Les établissements culturels n’ont pas échappé à ces nouveaux usages. Avec

l’apparition des téléphones mobiles, ils ont dû faire face à des pratiques allant parfois à

l’encontre de la posture attendue de visiteurs ou de spectateurs. Ainsi, il n’est pas rare, par

exemple, que le téléphone d’un visiteur se mette à sonner ou vibrer pendant une séance de

cinéma, une représentation théâtrale ou la visite d’une exposition, susceptible de perturber

                                                                                                               3 DENOUËL Julie ; André H. CARON et Letizia CARONIA, « Culture mobile : les nouvelles pratiques de communication, in Communication », Vol. 26/1, 2007, p.198 Mis en ligne le 24 septembre 2009. URL : http://communication.revues.org/index774.html 4 De décembre 1997 à décembre 2010, selon l’observatoire du site de l’ARCEP, (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) http://www.arcep.fr/index.php?id=35 5 DENOUËL Julie ; André H. CARON et Letizia CARONIA ibid. p.198-199 6 Ibid. 7 « L’ubiquité médiatique » est un concept définit par François JAUREGUIBERRY, Les branchés du portable : sociologie des usages, coll. Sociologie d’aujourd’hui, PUF, 2003, p.17

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l’expérience sensorielle du spectateur recevant l’appel et potentiellement celle d’autres

spectateurs. L’usage du mobile peut alors être perçu comme un signe d’inconvenance, par

l’institution ou les autres visiteurs, dans un lieu où a posteriori, on se rend pour utiliser ses

sens à des fins de contemplation, de connaissances ou de plaisir et non pour être en posture

d’« ubiquité médiatique ». Ainsi, dans un des exemples du livre Mobile Attitude : ce que les

portables ont changé dans nos vie un protagoniste s’excuse auprès de son interlocuteur de

ne pas avoir eu avec lui d’échange téléphonique plus tôt et dit : « J’étais au musée, je ne

pouvais pas te parler8 ». Il est aussi généralement admis lors d’une visite au musée que

notre concentration doit se porter uniquement sur l’objet de cette pratique et tacitement que

celle-ci implique de ne pas se laisser distraire par des éléments « extérieurs ». Or, pour

Annie Gentes et Isabelle Garron9, « le mobile, c’est la rue dans le musée, il introduit une

esthétique du décentrement.10 ». Notre contemplation et notre concentration ont la possibilité

de se déplacer vers un ailleurs, apporté directement par le mobile.

Très rapidement, des mesures ont donc été adoptées par les institutions culturelles

pour éviter tous les comportements induits par le téléphone mobile, dans la volonté d’assurer

un confort à tous les publics et sans doute implicitement pour tenter de « recentrer » les

regards et l’attention. Pour ces raisons, il est fréquemment rappelé aux visiteurs - que ce soit

sous la forme d’annonces vocales ou de logos signifiants l’interdiction11 – que le téléphone

portable doit être éteint ou mis en mode « silencieux »12. Cependant, nous sommes forcés de

constater que cette réglementation est parfois difficile à faire respecter, plus particulièrement

dans les institutions muséales13.

Les propos de Jean-Marc Proust, critique et journaliste pour Opéra Magazine, sont

assez significatifs à cet égard : « Comme au concert, où l’on est prié d’éteindre son

portable, est-il possible d’attendre qu’au musée on ferme le clapet pour ouvrir les

                                                                                                               8 GONORD Alban et MENRATH Joëlle, « Mobile Attitude : ce que les portables ont changé dans nos vies », éd. Hachette Littérature, 2005, p.67 9 Annie Gentès et Isabelle Garron sont maîtres de conférence en sciences de l'information et de la communication à Telecom ParisTech. 10 DACHY Tiphaine et LEGROS Sonia, Propos de Annie Gentes et Isabelle Garron dans le compte rendu de la conférence « Les dispositifs de mobilité » dans le cycle « Muséologie, Muséographie et nouvelles formes d’adresse au public », organisé par l’institut de Recherche et d’Innovation (IRI) du Centre Georges Pompidou, 6 juin 2007 11  Cf. ANNEXE IV n°1 – Panneaux d’interdictions dans les musées p.50  12 Le mode « silencieux » signifie la désactivation des sons qui pourraient être émis par le téléphone (sonnerie signalant un appel ou message textuel) 13 D’autant plus à l’heure où le mobile devient un objet hybride, intégrant plusieurs fonctions, outre celle de permettre des échanges vocaux. Il est alors difficile de distinguer une personne qui passe un appel ou prend une photo, d’une personne qui écoute son répondeur ou envoie un sms. Nous y reviendrons plus en détails au cours du chapitre suivant. Cf. FERRARIS Mauricio, ibid. p. 121

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yeux ? »14. Cette remarque met en avant deux éléments intéressants que nous allons

développer dans cette première partie afin de mieux comprendre dans quel contexte apparaît

le téléphone au musée. Dans un premier temps, ces propos supposent une inégalité évidente

entre le musée et d’autres institutions culturelles, dans lesquelles la non-utilisation du mobile

serait davantage imposée et respectée. Nous partirons de cette hypothèse pour nous

demander si l’espace du musée serait plus « exposé » à l’usage du mobile – en tant qu’outil

de communication - que celui d’autres structures culturelles et pour quelle(s) raison(s) ?

Dans un second temps, cette citation démontre que l’usage du mobile en contexte muséal

fait l’objet de vives réticences. Nous tenterons de déterminer quels en sont motifs et nous

nous interrogerons quant aux possibles évolutions de ces critiques. Précisons enfin que nous

parlerons dans cette partie de l’utilisation du téléphone pour ses fonctions de

communication15, n’ayant ni pour objet l’enregistrement (photos, vidéo), ni pour but

d’obtenir des renseignements ou d’effectuer un partage social en rapport avec l’institution

fréquentée.

b. Le musée, un lieu prédisposé à l’utilisation du mobile ?

De prime abord, il convient d’examiner les espaces et les contextes dans lesquels se

placent les publics lorsqu’ils se rendent, d’une part dans une salle de représentation

(spectacle vivant ou cinéma) et d’autre part dans une salle d’exposition (les collections d’un

musée, une exposition temporaire). Nous n’entendons pas suggérer ici que les publics des

musées utilisent d’avantage leur téléphone portable in situ que les publics des salles de

spectacles, car cela nécessiterait l’objet d’une enquête de public spécifique qui dépasserait

l’ambition et le sujet de la présente étude. Nous souhaitons simplement mettre en avant les

raisons pour lesquelles les lieux d’expositions paraissent plus « exposés » ou plus incitatifs à

l’utilisation du téléphone.

En effet, si l’on considère le climat des deux types d’institutions évoquées, on

remarque que les salles de cinéma, de théâtre ou de concert semblent se prêter davantage à la

« mise à distance » du téléphone mobile et appellent de façon naturelle un « arrêt de

l’ubiquité » que les salles des institutions muséales. L’obscurité et le silence y sont en

général deux conditions sine qua non pour voir et écouter de façon confortable. Ainsi, le son

et la lumière émis par le téléphone pendant une représentation sont facilement remarquables                                                                                                                14 PROUST, Jean-Marc « Musée : plaidoyer pour le « no-photo » » http://www.slate.fr/story/34107/musees-plaidoyer-pour-le-no-photo  15 Les fonctions de communication sont constituées par la réception et l’envoi de messages, soit écrits comme les textos, les MMS et les mails, soit vocaux comme les appels.

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et sont considérés comme perturbants. C’est sans aucun doute pourquoi son usage est

davantage proscrit16. Assis dans un lieu clos face à une scène ou un écran, les spectateurs

sont mis en condition pour porter toute leur attention uniquement vers la représentation,

allant parfois jusqu’à éprouver au moment de leur sortie le sentiment d’avoir été « coupés du

monde ».

Dans un musée, la posture est tout à fait différente puisqu’elle nécessite de la part du

visiteur un déplacement, une déambulation, et donc un engagement du corps. Le visiteur

n’est pas mis en condition physique, c’est à dire le corps tourné vers une scène ou un écran,

pour regarder, mais au contraire libre de tout mouvement. C’est grâce à ces derniers qu’il

découvre les objets exposés. Dans ce contexte, le public du musée peut de façon plus

pratique, plus discrète et moins gênante que dans une salle de spectacle, consulter son

téléphone portable ou même répondre à un appel, quitte à se mettre en porte à faux par

rapport au règlement intérieur de l’institution. Dans cette situation, la mobilité efface

davantage chez les visiteurs de musée l’impression et la conscience de faire partie d’un

groupe social constitué que chez les spectateurs de théâtre qui sont ensemble soumis à un

lien spatio-temporel fort.

Nous pouvons également remarquer que la mobilité propre à la visite de musée

associée au mode d’accompagnement dans une institution muséale favorise le contact

médiatique entre les visiteurs d’un même groupe et convoque le célèbre « t’es où ? »17. Lors

de l’évaluation de l’application iPhone réalisée aux Galeries Nationales du Grand Palais,

plusieurs personnes interrogées nous ont ainsi confié qu’elles utilisent fréquemment leur

téléphone lors de visites d’expositions, notamment afin de retrouver la ou les personnes qui

les accompagne et qu’elles ont égarées au sein même d’une exposition18. Ici, l’usage du

téléphone rassure et réinstaure un lien perdu : il « donne l’impression d’une présence »19.

Autrement dit, la situation de mobilité, d’autonomie des visiteurs et éventuellement de leur                                                                                                                16 Au théâtre, il est fréquemment rappelé par une annonce sonore avant le début de la représentation, que les spectateurs sont priés d’éteindre leur téléphone. Au cinéma, avant le début du film, on peut généralement remarquer des gens qui éteignent leur téléphone ou qui en parlent : « Zut, j’ai oublié d’éteindre mon téléphone », « As-tu éteint ton portable ? ». Cette logique semble avoir été adoptée par beaucoup de spectateurs, qui souhaitent eux-même ne pas être dérangés. 17 Expression récurrente dans l’ouvrage de Maurizio FERRARIS, T’es où ? Ontologie du téléphone mobile. Préface d’Umberto Eco, Bibliothèque Albin Michel Idées, 2006, p.15 « La question fondamentale que l’on se pose quand on parle avec quelqu’un sur un mobile est « t’es où ? », question absurde et impensable au temps du téléphone fixe, je suggérai à Kristof que ce « t’es où ? » constituait aussi une Grundfrage philosophique ou, plus prosaïquement, un problème intéressant : le mobile annonce une ontologie mobile, et pas simplement une fête mobile, comme semblent le suggérer, avec une vague réminiscence hemingwayenne, les publicités. » 18 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone « Monet, la visite » aux Galeries Nationales du Grand Palais. 19 JAURÉGUIBERRY Francis, « Les branchés du portable, sociologie des usages », collection Sociologie d’aujourd’hui, éd. Presse Universitaire Françaises (PUF), 2003, p.32-35  

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accompagnement seraient des facteurs qui les inciteraient à user de leur téléphone mobile

dans un musée.

Du point de vue de la muséologie et des politiques culturelles, sans trop nous attarder

sur leur historique, nous pouvons interroger les corrélations existantes entre la place dédiée

au public dans les institutions muséales et l’usage du téléphone dans leur enceinte. Nous

essayons de déterminer ici si des caractéristiques liées à la muséologie et aux politiques

culturelles pourraient être prises en compte pour justifier l’utilisation du mobile au musée.

La question posée par Duncan Cameron dans les années soixante-dix semble

déterminante dans le cadre de notre sujet : « le musée, un temple ou un forum ? »20. Pierre-

Alain Mariaux explique ainsi le concept de musée temple : « Il y a peu, le musée était un

temple, qui conservait les objets du passé à la fois proche et lointain. En un mot, il était un

« emporium », un entrepôt des choses mémorables.21 » Autrement dit, le musée était une

institution « sacralisante », où l’on pouvait observer des rites similaires aux lieux de culte :

silence, recueillement etc. Mais, pour Duncan Cameron, ce « musée temple », ne saurait être

dissocié du « forum », au sens antique du terme, c’est à dire, la place publique où se créer

échanges et débats : « sans forum, le musée-temple devient un obstacle au changement (…)

Avec un forum, le musée sert de temple, acceptant et incorporant les manifestations du

changement.22». L’ouvrage de Cameron est l’un des fondateurs de la Nouvelle muséologie,

qui place les publics au centre de ses préoccupations et met fin à l’unique primat des

collections. Le musée est ainsi considéré comme un lieu de vie et d’interactions sociales.

Le téléphone portable pourrait s’inscrire dans la filiation et la logique du « musée

forum » car c’est un outil vecteur d’échanges et d’interactivité, qui connecte en temps réel,

par le biais des utilisateurs, le musée et le monde extérieur. Toutefois, les fonctions

d’enregistrement23 via le téléphone mobile pourraient aussi s’apparenter à la logique du

musée dit « temple » : « les pratiques scopiques qui motivent l'expérience du déplacement

s'accompagnent depuis les pèlerinages médiévaux d'un commerce de petits objets

symboliques du plus grand intérêt24 ». Le mobile peut être perçu ici comme cet « objet

symbolique » accompagnant les visiteurs et permettant de : « fournir une trace reliquaire de

notre présence en un lieu consacré, et amoindrir notre souffrance de ne pouvoir faire durer

                                                                                                               20 CAMERON Duncan, « Le musée : temple ou forum ? » in Vagues : une anthologie de la nouvelle muséologie, sous la direction d’André Desvallés, vol. 1, PUL, Lyon, 1992. 21 MARIAUX, Pierre-Alain « Mausolée, ouverture critique », in « L’objet de la muséologie » , sous la direction de P. A. Mariaux, IHAM, Neuchâtel, 2005. 22 CAMERON, ibid. 23 Les fonctions d’enregistrement peuvent être la prise de photographies, les films, la prise de notes… 24 GUNTHER André, « Photo au musée, ou l’appropriation » http://blogs.mediapart.fr/edition/le-bruit-des-images/article/210211/la-photo-au-musee-ou-l-appropriation

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une expérience par nature passagère 25 ». Les photographies, les notes prises ou les outils

d’aide à la visite développée par les musées pour les téléphones portables pourraient être

considérées comme des reliquaires, véritables traces et témoins de la visite. C’est pourquoi

le mobile en tant qu’outil de communication nous semble correspondre à la logique profane

du « musée forum » et en tant qu’outil d’enregistrement26 à la logique sacralisante du

« musée temple ».

Au début des années soixante, l’idée de démocratisation culturelle présente dans

l’intention politique française avec la création du Ministère de la Culture, conforteront les

conceptions de la Nouvelle muséologie en soutenant l’importance de favoriser l’accès des

institutions culturelles au plus grand nombre27. A cela s’ajoute depuis une vingtaine

d’années la multiplication des expositions temporaires qui se centre avant tout sur la

réception des visiteurs28. Les concepteurs d’exposition sont fortement influencés par la place

occupée par les publics, qu’ils doivent tenter d’attirer. On pourrait dès lors se demander si

toutes les formes d’inclusion des publics mises en œuvre par les mutations muséologiques et

les politiques culturelles des musées, n’auraient pas contribué à une forme de « des-

intimidation » de l’institution qui conduirait le visiteur à se sentir consciemment en position

« privilégiée » au sein de l’institution ? Plus à l’aise, certains publics y prolongeraient alors

de façon instinctive leurs pratiques quotidiennes, et notamment l’utilisation du téléphone.

Encore une fois, nous tenons à souligner le caractère hypothétique de cette remarque. Il

nécessiterait de prouver que les logiques d’usages du téléphone portable par les visiteurs de

musées pourraient être influencées ou varier en fonction de la place qui leur est attribuée au

sein des structures. Il nous semblait cependant intéressant de soulever cette réflexion.

Toutes ces remarques peuvent nous éclairer sur les raisons pour lesquelles les publics

paraissent naturellement plus portés à utiliser leur téléphone dans un lieu d’exposition que

dans un lieu de représentation. Cependant, comme nous l’avons fait remarquer en citant le

critique Jean-Marc Proust, ce n’est pas pour autant que l’usage du téléphone est apprécié et

toléré, que ce soit par les professionnels ou les amateurs de musées. Néanmoins, le mobile

est devenu depuis quelques années un outil de communication muséale et de médiation

culturelle. Ces nouvelles fonctionnalités font-elles évoluer le regard des professionnels

français sur le sujet et brisent-elles les réticences envers le téléphone mobile dans l’enceinte

                                                                                                               25 Ibid.  26 FERRARIS, Maurizio, ibid. p.119 27 http://www.culture.gouv.fr/culture/historique/ministres/malraux.htm http://www.culture.gouv.fr/culture/historique/rubriques/creationministere.htm 28 DAVALLON Jean, L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris : ed. L’Harmattan, 2000  

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du musée ? Peut-on dire que le mobile est devenu utile plus qu’hostile aux institutions

muséales ?

c. De « l’hostilité » à « l’utilité » : vers l’évolution du statut du mobile au musée

En 2002, dans son rapport sur les audioguides29, Sophie Deshayes interroge des

opérateurs du marché français des audioguides au musée. Elle constate que ceux-ci ne se

sont pas encore lancés dans le secteur des technologies mobiles. Un prestataire donne trois

raisons pour lesquelles des projets d’applications pour téléphones ont du être reportés. Parmi

ces raisons, il évoque : « la résistance des conservateurs de musée, qui seraient largement

hostiles à l’utilisation des téléphones mobiles au musée (pas de garantie d’écoute centrée

sur les contenus du musée)30. » Ainsi, comme nous le disions dans la partie précédente, le

téléphone est perçu comme un objet de « décentrement », qui empêcherait le visiteur de

porter son regard sur les objets exposés ou de se concentrer sur les contenus mis à sa

disposition par le musée. On remarque que les critiques et les interdictions émanent

directement des fonctionnalités intégrées au téléphone qui, pour certaines, altèrent la

contemplation et la cognition des visiteurs en créant un « filtre » entre eux et les œuvres.

Parmi les fonctionnalités du mobile souvent en cause, il y a bien entendu les

communications verbales, proscrites dans la plupart des institutions, mais aussi la prise de

vue photographique, évoquée précédemment. Citons à ce sujet le cas du musée d’Orsay qui

a posé depuis juin 2010 l’interdiction relative à la prise de photographies – qu’elles soient

avec ou sans flash - des œuvres de sa collection. Sur le site du musée, il est étonnant de lire

que « Cette mesure est notamment liée à la multiplication des prises de vue "à bout de bras"

via des téléphones mobiles. »31. Le Ministère de la Culture et de la Communication soutient

cette interdiction en reprenant le même motif :

« La diffusion croissante des appareils photographiques numériques,

notamment ceux intégrés aux téléphones portables, a amené des changements dans

                                                                                                               29 DESHAYES, Sophie, « Les audioguides, outils de médiation dans les musées », Rapport d’étude commandité par le département des publics de la Direction des musées de France, décembre 2002, p.80 30 DESHAYES, Sophie, ibid. 31 La mesure dans son intégralité sur : http://www.musee-orsay.fr/fr/visite/visiteurs-individuels/copier-filmer-photographier.html

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les pratiques des visiteurs des musées et monuments, qui sont aujourd'hui beaucoup

plus nombreux à prendre des photographies32 ».

Les téléphones, multipliant la pratique de la photographie au musée seraient donc

une des causes majeures de cette interdiction Dans un article sur le sujet, Vincent Glad

rapporte les propos d’une responsable du musée d’Orsay : « Si c'était pour faire des belles

photos, je veux bien. Mais là vous êtes ridicules à shooter les statues avec vos portables »33.

Cette critique vise à la fois la posture du visiteur-amateur et le téléphone portable en lui-

même, perçu comme un objet de second rang car ne sachant pas « faire de belles photos ».

Or « le cellulaire devient un vidéo-mobile portable. On ne prend plus seulement des photos,

on fait aussi des films à trois millions de pixels 34 ». Ces paroles de Jacques Derrida nous

montrent à quel point la fonction « photographie » s’est à la fois banalisée et perfectionnée

au sein des mobiles. La question n’est cependant pas ici portée sur la qualité de ces

photographies, mais plutôt sur leur condamnation. Celle-ci ne reviendrait-elle pas à

déconsidérer les publics amateurs au profit des publics « initiés » ? Dans son rapport sur les

audioguides, Sophie Deshayes affirme dans ce sens que : « si la formation du regard a

acquis ses lettres de noblesse au musée comme principe légitime, elle reste encore difficile à

mettre en pratique dans certains lieux où les conservateurs privilégient implicitement

(consciemment ou inconsciemment) le public des « initiés »35. »  

On remarquera en effet que les critiques allant à l’encontre des utilisateurs de

téléphone portable au musée sont parfois similaires à celles qui vont à l’encontre des

audioguides et de ses usagers. Ces derniers font généralement l’objet de jugements sévères.

Citons pour exemple les propos vindicatifs d’un critique d’art anglais, décrivant ces

utilisateurs comme des personnes qui « déambulent comme des zombies, pendant qu’une

voix académique et désincarné leur dit ce qu’ils doivent penser. »36 .  

                                                                                                               32 Réponse de Frédéric Mittérand, Ministre de la Culture et de la Communication à Patrick Baudouin, député UMP du Val-de-Marne sur la question de la photographie au musée, publiée le 8 mars 2011 sur le site de l’Assemblée Nationale: http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-81937QE.htm  33  GLAD,  Vincent  «  Musée  d’Orsay  :  la  carte  postale  contre  le  téléphone  portable  ?  »  http://www.slate.fr/story/33777/photos-­‐interdites-­‐musee-­‐orsay  34 FERRARIS Maurizio, op.cit. p.121, citation d’un article de Jacques Derrida : « Au delà de la voix, la révolution du cellulaire » foire d’informatique de Hanovre 35 DESHAYES, Sophie, ibid. p.7 36 TALLON Loïc, Digital technologies and the museum expérience : handheld guides and other media, AltaMira Press, 2008, p.21 Propos du critique d’art Alfred Hickling, traduits de l’anglais par moi-même: « the audioguide is a ruse to squeeze an extra few quid from gullible patrons happy to amble around like zombies while a disembodied academic voice tells them what to think. » Article « Block Beuys », Guardian, 29 novembre 2004.

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Pour résumer, il est généralement répandu que l’utilisation d’un outil multimédia

mobile au musée conduirait le visiteur à être facilement distrait, l’empêcherait de regarder

les œuvres et de s’en faire une opinion par lui-même.  

 

Pourtant, depuis quelques années, on ne peut que constater une éclosion des

dispositifs de médiation, développés par les musées pour les téléphones portables des

visiteurs. Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous appellerons cela la « présence

muséale institutionnelle ». Comme on le verra, le musée offre à notre téléphone la capacité

de recevoir des contenus scientifiques, ludiques, informatifs… et de transformer ainsi notre

mobile en outil d’aide à la visite.  

Dès lors, l’image du téléphone paraît être revalorisée auprès des professionnels du

monde de l’art et de la culture, à tel point que certains défendent fortement les projets

d’outils de médiation mobile. Citons l’exemple de Martin Bethenod, directeur du Palazzo

Grassi de Venise et directeur artistique de Nuit Blanche 2010. Il a souhaité qu’une

application iPhone37 dédiée à l’événement parisien soit développée, affirmant que « si nous

l’avions fait l’an passé, nous aurions été les premiers. Cette année, si nous ne le faisons pas,

nous serons ringards ».38 Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée

des Arts décoratifs, nous confiera également que le développement d’une application iPhone

émane pour l’institution d’une volonté « d’être en phase avec les demandes et la réalité de

ce qui est proposé (…) l’idée est ici d’être « dans le courant » et présent sur les éléments qui

sont disponibles. »39. Ces nouveaux outils sont vus comme un moyen de transmettre des

contenus au public et d’être en adéquation avec leurs usages et leurs attentes. Mais on voit

qu’ils participent aussi à l’image de l’événement ou de la structure culturelle, lui conférant

un aspect « moderne » et « dynamique ».  

Parmi les « défenseurs » du téléphone portable au musée, Simone Blazy,

conservatrice au musée d’histoire de Gadagne, va plus loin en affirmant qu’il n’y a pas lieu

de « proscrire l’usage du téléphone mobile au musée. Le souci est, au contraire, d’autoriser

une continuité des pratiques et des habitudes sociales40. » Pour elle, la banalisation de l’outil

en contexte muséal engendrerait un climat plus familial dans l’institution et « un sentiment

                                                                                                               37  Cf. ANNEXE I – Glossaire, « Iphone » p.6  38 Propos de Martin Bethenod rapportés par Jean-Dominique Secondi le 2 septembre 2010 lors d’une réunion professionnelle de travail chez APC+AIA dans le cadre de Nuit Blanche où j’occupais la fonction d’assistante chargée de la médiation culturelle. Le « nous » fait ici référence à l’équipe. 39 Cf. ANNEXE II – D - Entretien avec Catherine Collin, p.30 40 DESHAYES Sophie, ibid. p.81

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de réassurance dans un lieu qui peut encore paraître sacralisé pour une partie du

public41. »  

Si l’utilisation du téléphone au musée en tant qu’objet de communication ou

d’enregistrement est critiquée, l’usage du téléphone comme outil de contenu scientifique

semble être valorisé et favorisé. Entre interdiction et utilisation, le discours du musée sur le

téléphone n’est-il pas alors contradictoire pour le public ?

Lors d’un atelier organisé par le Club culture et innovation(s)42, Yannick Le Pape, en

charge du public jeune au musée d’Orsay, attire l’attention sur le « message peu clair » que

peut véhiculer l’institution à ce sujet : « On ne peut pas à la fois interdire le visiteur

d’utiliser son téléphone et en même temps l’y inviter pour obtenir du contenu.43 ». Certains

musées semblent avoir bien compris le caractère problématique du discours antinomique.

Yann Hamet, responsable de la politique tarifaire des audioguides au sein de la RMN-Grand

Palais explique en parlant des applications iPhone de la RMN que :

« Des musées n’ont pas beaucoup aimé le dispositif au départ, puisque

beaucoup d’entre eux interdisaient aux visiteurs dans leur règlement intérieur

d’avoir un téléphone mobile dans les salles. C’était donc quelque chose de

contradictoire et ils ont du modifier leur règlement. Ne plus interdire le téléphone

mais l’acte de téléphoner.44 »

En janvier 2011, le musée des Arts décoratifs de Paris a également modifié l’article

17 de son règlement intérieur qui stipulait : « Il est interdit d’effectuer toute action portant

atteinte à la sécurité des œuvres et aux bonnes conditions de visite » et notamment, à

l’alinéa 10 « d’utiliser son téléphone portable ». Face à la présence du musée sur trois

applications iPhone45 - dédiées au musée ou dans laquelle il est intégré - cette mesure a été

jugée trop radicale. Le paragraphe de l’article 17 a donc été reformulé de la façon suivante :

« de gêner ou d’importuner les autres visiteurs par toute manifestation bruyante ou autre

                                                                                                               41 DESHAYES Sophie, ibid. 42 Atelier n°13 : « QR codes, webapps », mercredi 2 mars 2011, musée des Arts et métiers 43 Propos de Yannick Le Pape, chargé du jeune public au musée d’Orsay lors de son intervention sur l’intégration de QR-codes au Pétrie Museum de Londres, mercredi 2 mars 2011, atelier n°13 du Club culture et innovations  44 Cf. ANNEXE II – C - Entretien avec Yann Hamet, p.24 45 Le musée des Arts décoratifs est présent sur deux applications : « Arts Décoratifs », une application spécifiquement dédiée aux collections du musée, « MobExplore », une application proposant des parcours de jeux interactifs. Une troisième application est actuellement en cours de développement : « Décorative ».

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procédé (notamment utilisation de téléphone portable) »46. La précision est ici importante :

comme pour les musées de la RMN-Grand Palais, l’institution n’interdit plus l’usage du

téléphone portable de manière générale, mais proscrit spécifiquement les perturbations

sonores émises par le mobile (sonnerie, musique, voix etc.) et susceptibles de gêner d’autres

visiteurs. Le message transmis est ainsi moins ambigu pour les publics.

Ces dispositions ne sont pas anecdotiques. Elles témoignent du bouleversement qui

s’opère depuis que le téléphone peut introduire une présence muséale institutionnelle.

L’utilisation du mobile dans ce contexte fait toujours l’objet de discussions et de débats

entre les professionnels des musées, mais paraît avoir conquis certains grâce à ses

caractéristiques considérées comme plus « utiles » car désormais plus « scientifiques »,

parfois même didactiques ou encore promotionnelles. De nombreux projets ou

expérimentations ont pu voir le jour depuis une dizaine d’années, permettant à chaque

institution de veiller, de s’évaluer et de se positionner parmi une offre de médiation mobile

de plus en plus variée.

Le contexte de réception du téléphone mobile au musée ainsi posé, notre intention est

désormais d’établir une présentation ou une « capture d’écran » des usages du mobile

lorsqu’il permet une présence du muséal. Pour éviter toute confusion entre les différents

usages, nous distinguerons dans une première partie la présence muséale « institutionnelle »,

spécifiquement développée à l’initiative des institutions muséales. Nous décrirons les

différentes technologies mobiles et les projets de médiation conçus par les musées comme

outil d’accompagnement à la visite. La seconde partie sera destinée à décrypter les usages

« amateurs » qui résultent des actions des visiteurs en eux même. Nous observerons alors les

différentes pratiques qui peuvent se constituer dans le cadre d’une visite au musée par le

biais du téléphone mobile.

2. Téléphone portable et présence muséale institutionnelle

a. Les prémices du téléphone au musée, entre diffusion et médiation : la question de la transmission

Comme nous l’avons dit, la présence muséale institutionnelle dans le téléphone

regroupe tous les projets et toutes les technologies mobiles mis en œuvre par l’institution

pour apporter aux visiteurs différentes possibilités de se tenir informé sur l’établissement,

                                                                                                               46 Précisions transmises par Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée des Arts décoratifs de Paris.  

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ses œuvres, ses expositions… Cette présence est donc initiée et contrôlée par différentes

instances du musée.

Rappelons qu’avant même de développer des outils de communication et de

médiation, les institutions culturelles ont utilisé le téléphone comme un outil de diffusion de

contenus culturels. On le sait peu, mais le téléphone fût même la première technologie de

communication électrique à diffuser des programmes culturels47. Clément Ader, en 1881,

perfectionna le téléphone48 et permit la création du « théâtrophone49 ». Cette technique

consistait à écouter, de chez soi ou via un appareil public, des pièces de théâtre ou d’opéra

captées en direct50. L’exploitation du théâtrophone perdurera jusqu’à l’invention de la radio

en 1920.

Bien qu’il eu été inventé en 1876, le téléphone fixe ne connut de véritable essor qu’à

partir des années 1970 et 1980, grâce à des investissements massifs51. D’un point de vue

muséographique, il est possible de retrouver cet appareil en tant que système d’écoute et

outil d’aide à la visite dans les scénographies d’expositions. Un article écrit en 1998 par

Andréa Weltzl-Fairchild et Louis M. Dubé sur les outils multimédias de médiation de

musées décrit un de ces dispositifs52. Les auteurs prennent pour exemple la galerie d’art

d’Ontario à Toronto et y décrivent l’intégration de différents médias. On peut y remarquer la

présence du téléphone :

« Ailleurs, on trouvait un long banc sur lequel étaient fixés plusieurs

téléphones (…) Le visiteur pouvait entendre un court exposé du commissaire mettant

en lumière les principales qualités esthétiques de ces tableaux et la manière dont

chaque artiste avait développé son style tout en partageant les objectifs du

groupe.53 »

                                                                                                               47  BADILLO Patrick-Yves et ROUX Dominique, Les 100 mots de télécommunication, coll. Que sais je ? n°3869, 2009, PUF. p.18  48 Le téléphone ayant été crée en 1876 par Graham Bell, ibid. p.16 49 Notons que le terme « théâtrophone » ne sera employé qu’à partir de 1889 50 LASTER Danièle. Splendeurs et misères du théâtrophone. In: Romantisme, 1983, n°41. pp. 74-78.http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1983_num_13_41_4655 La description du théâtrophone faite par Victor Hugo illustre bien le procédé: « Nous sommes allés [...] à l'hôtel du Ministre des Postes [...]. Nous sommes entrés. C'est très curieux. On se met aux oreilles deux couvre-oreilles qui correspondent avec le mur, et l'on entend la représentation de l'Opéra, on change de couvre-oreilles et l'on entend le Théâtre-Français, Coquelin, etc. On change encore et l'on entend Г Opéra-Comique. Les enfants étaient charmés et moi aussi. » Cf. ANNEXE IV n°2 – illustration du théâtrophone, p. 51 51 BADILLO Patrick-Yves et ROUX Dominique, ibid. 52 WELTZ-FAIRCHILD André ; DUBÉ Louis « Le multimédia peut-il aider à réduire la dissonance cognitive ? ». Public, nouvelles technologies, musées in : Publics et musées, n° 13, janvier 1998, Lyon PUL  53 WELTZL-FAIRCHILD André ; DUBÉ Louis ibid. p.21

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  24  

Ici, le téléphone est fixe et permet l’écoute in situ d’un contenu enregistré pour

enrichir la perception des œuvres par le regard du commissaire.

À partir des années 2000, le téléphone fixe connaît un certain déclin face à l’arrivée

du téléphone portable. Ainsi, depuis 2002, « le nombre d’abonnés au téléphone mobile est

supérieur à celui des abonnés au téléphone fixe54 ». Dans le champ muséal, et plus

précisément celui de la médiation, l’arrivée du téléphone portable est considérée avec

attention, non seulement pour les raisons que nous avons citées dans la partie précédente,

mais aussi pour sa comparaison possible avec un autre outil mobile utilisé dans certains

musées : l’audioguide. Sophie Deshayes affirme ainsi que le « marché de l’audioguide ne

saurait être déconnecté du développement fulgurant du marché de la téléphonie mobile55 ».

En effet, les deux outils semblent très proches sur le plan de la transmission. La

problématique entre audioguide et téléphone mobile est évoquée dès les premières pages du

rapport de Sophie Deshayes. Adoptant alors un ton prospectif, elle prescrit un avenir

prometteur au téléphone en contexte muséal :

« La diversification possible des technologies convoquées s’accélère, poussée

par les innovations permanentes dans le domaine des technologies dites embarquées

de type mobile : téléphone portable ou mini ordinateur de bord multimédia. On peut

donc prévoir l’essor de ces outils qui furent un temps déconsidérés.56 »

L’auteur consacre le dernier chapitre de son rapport aux « audioguides de demain »

que nous pourrions, presque dix ans après sa rédaction, renommer ironiquement

« audioguides d’hier », tant les projets qui y sont décrits semblent n’être que les

balbutiements d’un marché actuellement en effervescence. Si Sophie Deshayes les perçoit à

l’époque comme des projets innovants, nous ne pouvons les envisager aujourd’hui que

comme les prémices des technologies mobiles présentes dans les musées.

Nous souhaitons exposer brièvement ici quelques uns de ces projets ou

expérimentations.

La boîte vocale culturelle

Dans la lignée du théâtrophone ou des audioguides, le téléphone mobile a lui aussi

été adapté sur un modèle de diffusion de contenus sonores, afin de devenir à son tour un

                                                                                                               54 BADILLO Patrick-Yves et ROUX Dominique, ibid. p.6 55 DESHAYES, Sophie, ibid. p.66 56 DESHAYES, Sophie, ibid. p.9  

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transmetteur de savoirs culturels. Pour cela, le moyen privilégié a été le stockage de

contenus sur boîte vocale. Il est intéressant de constater que ce procédé est apparu en

premier lieu dans les secteurs proches des musées que ce sont ceux du tourisme et du

patrimoine. Les contraintes liées aux prêts d’outils d’aide à la visite dans ces domaines57 ont

sans doute contribuées à une rapide convergence de ces secteurs vers les nouvelles

technologies mobiles.

En janvier 2001, le système AlloVisit58, permettait d’obtenir un circuit audioguidé

sur un téléphone mobile pour découvrir la basilique Notre Dame de la Garde de Marseille et,

à Paris, pour effectuer un circuit historique de Montmartre. Munis d’une carte, les

utilisateurs avaient accès à un numéro de téléphone centralisant tous les commentaires

audio. Il s’agit donc d’une boîte vocale culturelle accessible via son propre téléphone

mobile. Les contenus pouvaient également être écoutés à distance ; au domicile de

l’utilisateur par exemple. Ce dispositif, innovant à l’époque, pose cependant une limite. Le

prix de ce service était basé sur le coût d’une communication téléphonique qui était fixé à

0.22 euros la minute. Cela revenait à un prix total d’environ treize euros pour une durée

d’écoute d’une heure. Dans ce contexte, il était relativement onéreux d’accéder à ces

informations.

Fin 2001, d’autres expérimentations de ce type ont été testées dans la ville de Lyon.

Elles s’appliquaient cette fois non seulement aux secteurs du tourisme et du patrimoine,

mais aussi à celui des musées. Trois projets ont été initiés dans un même laps de temps. Ils

ont pour nom Lyon City Phone, TourOphone et Mobiguide.

Le premier, Lyon City Phone, est mis en place par l’office de Tourisme de Lyon en

septembre 2002. Ce projet est basé sur le même mode de fonctionnement que le système

Allovisit précédemment cité, en offrant « un circuit découverte des sites historiques de la

ville basé sur l’usage du téléphone mobile59 ». Dix sites historiques lyonnais étaient ainsi

commentés sur le principe du serveur vocal. On retiendra encore une fois que ce type de

projet est loin d’être bon marché : il revient à un euro environ60 par site pour l’écoute d’une

séquence de trois minutes, frais de forfait téléphonique non inclus.

Parallèlement à ce projet, l’office de Tourisme a initié une expérimentation autour du

système TourOphone, destiné à accompagner les visiteurs dans leur découverte à la fois de                                                                                                                57 Les touristes étant en situation de mobilité dans la ville, les garanties de retour sont plus faibles que dans les institutions fermées. De ce fait, les offices de tourisme peuvent parfois demander lors du prêt d’un audioguide de lourdes contreparties comme le dépôt d’une ou deux pièces d’identité et d’un chèque de caution au montant élevé. Ces contreparties peuvent dissuader certains visiteurs d’emprunter un audioguide. Ibid. p.10 58 DESHAYES, Sophie ibid. p.80  59 DESHAYES, Sophie ibid. p.83 60 0,34 euros la minute, soit environ un euro par site et dix euros pour l’ensemble des sites commentés.

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la ville de Lyon et du musée d’histoire de Gadagne. Il a été suspendu pour des raisons

budgétaires, mais les premières expérimentations qui ont été menées n’en demeurent pas

moins intéressantes. Elles semblent notamment favoriser la médiation plutôt que la simple

transmission de contenus. Car si ce projet est certes lui aussi « basé sur un serveur vocal

accédant à une base de données au travers d’un portail de syndication de contenus61 »,

s’ajoute à cela l’idée et la volonté de proposer aux utilisateurs une visite personnalisée grâce

à la gestion de leur profil. En d’autres termes, il s’agit d’offrir aux visiteurs un parcours « à

la carte », en fonction de leur langue et niveau de connaissances ou encore en fonction d’une

durée, d’un mode de visite62 ou d’un thème sélectionné. Cette personnalisation de la visite

encourage la prise en compte du visiteur et donc la médiation, au profit d’un système de

diffusion à sens unique.

Enfin, à la fin de l’année 2002, l’office du tourisme de Lyon s’est également associé

au musée des beaux-arts de Lyon et au département Recherche et Prospective de France

Télécom63 pour expérimenter un « Mobiguide » : un micro ordinateur de poche – ou PDA64 -

équipé d’une connexion internet GPRS65. Le Mobiguide est un logiciel disposant

« d’informations que l'on trouve habituellement dans les guides touristiques comme les

adresses de musées, de restaurants, de cinéma ou de monuments à visiter66 ». Concrètement,

l’appareil est prêté gratuitement aux visiteurs en échange de leur participation à une enquête

d’évaluation et de satisfaction. À la différence des deux premiers projets, le Mobiguide

donne non seulement la possibilité de téléphoner et d’envoyer des messages écrits à la

manière d’un téléphone « classique », mais il donne aussi accès à une connexion internet,

permettant d’envoyer des photographies (par SMS ou via une messagerie personnelle) et

d’avoir accès à des services tels que la météo, les horaires de spectacle etc. Enfin, il offre

une fonction d’audioguidage dans les musées, en l’occurrence ici pour le musée des Beaux-

arts de Lyon.

Le Mobiguide se distingue nettement des projets basés sur le système de la boîte

vocale, car il marque une étape dans le développement des technologies mobiles. L’outil

dispose d’une plus grande capacité de stockage et l’intégration d’internet apporte de                                                                                                                61  DESHAYES, Sophie  ibid.  p.81  62 Le mode de visite peut être le choix soit d’une visite « libre » dans le cas où l’utilisateur décide au fur et à mesure des objets qu’il souhaite écouter, soit d’une visite « guidée » où il reçoit des indications pour se diriger vers le prochain objet à aller voir. Ibid. p.82 63 Désormais appelé « Orange Lab » 64  Cf. ANNEXE I – Glossaire, « PDA » p.7  65 BADILLO Patrick et ROUX Dominique, ibid. p.109 définition de GPRS : « GPRS (General Packet Radio Service), appelé aussi 2,5G, consiste en une amélioration de la norme GSM (…) le GRPS permet notamment la transmission de données avec un débit de l’ordre de 9 à 20 kbits ». 66http://www.rtflash.fr/france-telecom-experimente-mobiguide-premier-guide-electronique-interactif/article  

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  27  

nouvelles fonctionnalités. Notons cependant que, tout comme pour tourOphone, la

pérennisation67 n’a pu être effective, laissant le projet au stade expérimental68. Il nous

semble également intéressant de souligner que dans les trois projets de la ville de Lyon, les

musées ne sont que partenaires des opérations, dont l’initiative est portée par l’Office de

tourisme. Les institutions muséales sont ici incluses dans un circuit touristique et patrimonial

global, permettant avant tout la découverte de la ville.

Des outils mobiles autres que le téléphone portable font leur apparition dans les

musées dès le début des années 2000, tels que les ordinateurs personnels (PDA) – comme

dans le cas du « mobiguide » - ou encore les lecteurs MP369. Ils sont très rapidement perçus

par les musées comme un moyen non seulement de diffuser du contenu, mais aussi

d’enrichir la visite et de la personnaliser, à la manière de ce que l’on a pu voir avec

l’exemple du Mobiguide à Lyon. Ajoutons aussi que ces outils permettent de simplifier le

dispositif de location d’audioguide mis en place par certaines institutions70.

À l’heure actuelle, nombreux sont les PDA ou les lecteurs MP3 reconditionnés en

« audioguides multimédia »71 dans les musées. Il apparaît que ces outils sont convergents

aux téléphones mobiles : ils n’ont pas été créés dans le but de servir aux institutions

muséales et sont développés à la base pour un tout autre usage. Il est donc intéressant de

constater que les musées s’adaptent désormais aux usages et aux outils présents sur le

marché. On passe ainsi des objets conçus pour la pratique muséale (audioguides

« traditionnels »), aux objets du quotidien appropriés par le musée.

La question de la transmission se dessine à travers l’énumération de ces premiers

projets : l’utilisation du téléphone est-elle vouée à l’unique diffusion de contenus ou à une

médiation ? Autrement dit, le mobile ne fait-il que transmettre des informations « brutes », à

l’instar de l’audioguide « traditionnel » ; ou se pose t-il plutôt comme un « médiateur » entre

                                                                                                               67 Réponse à une internaute par la Documentation Lyon-Rhône Alpes sur le site de la Bibliothèque municipale de Lyon : http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=34362 68 Deux mois d’expérimentations suivis d’une enquête quantitative de public menée par France Télécom et la société Ipsos. DESHAYES Sophie, Ibid. p.80 69 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « baladeur MP3 », p.6 70 Les propos de Yves-Armel Martin, directeur du centre d’expérimentation multimédia Érasme, illustrent bien cette idée : « Vu le succès de l’Ipod et autres lecteurs de mp3 qui se popularisent, on peut imaginer que prochainement une grande partie de la population disposera de tels équipements. Dès lors pourquoi se fatiguer à gérer des matériels spécifiques d’audioguides qui tombent en pannes, doivent être loués etc. Il serait plus simple de proposer les fichiers en téléchargement sur le net et sur des bornes à l’accueil.70 » Site Erasme, 2006 : http://reseau.erasme.org/Projet-Artmobs-detournement-de 71 43% des audioguides seraient multimédias parmi 55% de musées équipés en audioguide (sur 150 musées observés). 27% des musées déclarent mettre leur audioguide en ligne, pour qu’il soit utilisé sur un lecteur MP3 ou téléphone mobile. Le pourcentage est basé sur 55% de musées disposant d’un audioguide parmi un échantillon de 150 musées observés (60% de musées d’art, 32% de musées d’histoire ou de patrimoine et 12% de musées de sciences). Étude réalisée par le CLIC – Club Innovation et culture en janvier 2011, avec la collaboration des étudiants de l’EAC

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  28  

les œuvres et les publics, capable de prendre en compte la diversité de ces derniers pour

favoriser une transmission adaptée ? La présence muséale institutionnelle dans le mobile

opère t-elle une véritable médiation au sens étymologique du terme ? Les projets décrits font

apparaître une certaine hétérogénéité. Si les premiers semblent avoir privilégié la diffusion,

certaines expérimentations, notamment portées par le développement des outils mobiles,

paraissent se diriger davantage vers la médiation. À travers l’étude et la description de

projets plus récents, nous tenterons notamment de voir en quoi nous pouvons considérer le

téléphone comme un outil de médiation au sens étymologique du terme.

b. « Capture d’écran » des technologies mobiles au musée Comme indiqué dans le titre de cette sous-partie, nous effectuerons ici une « capture

d’écran » des technologies mobiles utilisées ces dernières années dans les institutions

muséales françaises. Dans un souci de synthèse, et afin de ne pas alourdir de détails notre

réflexion, nous renverrons régulièrement le lecteur en annexe. Il y trouvera pour l’éclairer

dans sa compréhension des technologies et des dispositifs, les définitions des termes

techniques et une présentation illustrée des différents projets évoqués.

Bluetooth

Les premières bornes Bluetooth72 apparaissent à partir de l’année 2008 dans les

institutions muséales. Celles-ci permettent d’obtenir, grâce à un téléphone équipé, un ou des

contenus culturels. La différence avec ce que l’on a appelé précédemment « la boîte

vocale culturelle » réside dans la diffusion d’un message non plus uniquement sonore, mais

pouvant être aussi textuel ou multimédia. D’un point de vue matériel, le visiteur active la

fonction Bluetooth de son mobile et accepte ou rejette la demande de connexion à la borne

du musée. S’il accepte, le contenu peut dès lors se télécharger dans son téléphone.

De février à juin 2008, le musée d’art contemporain de Lyon est le premier musée

français à expérimenter un tel dispositif lors de la rétrospective consacrée à l’artiste Keith

Haring73. En termes de contenu, les publics avaient accès à des séquences sonores avec la

biographie de l’artiste, des explications sur sa technique picturale etc.

D’autres bornes Bluetooth ont ensuite été mises en place, répondant à différents

contextes d’expôts et à différentes fonctions. Il peut s’agir d’une exposition temporaire ou

                                                                                                               72 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « Bluetooth » p.6 73 Exposition ayant eu lieu du 22 février au 13 juillet 2008. Site du musée d’art contemporain de Lyon : http://www.mac-lyon.com/mac/sections/fr/expositions/2008/keith_haring Cf. ANNEXE IV n°3-A « Bluetooth, musée d’art contemporain de Lyon » p.52

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  29  

d’un événement artistique comme au Palais de Tokyo74, au musée des Beaux arts de Pont-

Aven, aux Galeries Nationales du Grand Palais75 ou encore au musée Rodin76. Mais les

bornes Bluetooth peuvent aussi être présentes dans une collection permanente, comme c’est

le cas au musée de Cluny77.

Le trait commun de toutes ces bornes est la diffusion de contenus multimédia sur les

œuvres ou l’artiste exposé. Les contenus sont souvent reçus de manière « fragmentée». En

effet, un utilisateur pourra avoir accès à un contenu à l’entrée du musée et être sollicité

pendant son parcours pour télécharger un autre contenu. Ainsi, les contenus ne sont pas

compilés dans une seule et même application mais relèvent d’un accès au savoir

fragmentaire.

Notons que cette technologie a aussi été utilisée de façon ludique ou

communicationnelle. L’aspect ludique a été mis en place dans le cadre d’un parcours de jeu

conçu par la Cité des sciences et de l’industrie pour l’exposition « Ma terre première, pour

construire demain ».78 L’aspect informatif et communicationnel a été privilégié pour la nef

du Grand Palais79 afin de renseigner les visiteurs sur l’historique du lieu et les activités

artistiques qui s’y déroulent. La technologie sert ici à dévoiler au public les coulisses d’un

lieu souvent fermé.

Un autre constat sur la technologie Bluetooth au musée ouvre sur la question de

l’offre de médiation et sur la multiplicité des appareils d’aide à la visite : nous remarquons

en effet que cette technologie est souvent apparue en simultanée avec un panel d’autres

outils de médiation mobiles. Parmi les exemples d’institutions citées plus haut, on observe la

possibilité pour un certain nombre d’entre elles d’obtenir les contenus proposés non

seulement en Bluetooth, mais aussi en format MP3 (podcasts)80 via une borne ou le site

internet du musée, ou encore par une application pour Smartphone81.

                                                                                                               74 Cf. ANNEXE IV n°3 – B, Dispositif « My Art Cell » Palais de Tokyo, centre de création contemporaine, Paris, p.53-54 75 Cf. ANNEXE IV n°3 – C2, Borne de téléchargement payante aux Galeries Nationales du Grand Palais (Exposition « Turner »), ayant eu lieu du du 24 février au 24 mai 2010, p.56 76 Cf. ANNEXE IV n°3 – D2 Notice du musée Rodin, Paris (Bluetooth installée dans le jardin lors de la Nuit des musées 2009), p.62 77 Cf. ANNEXE IV n°3 – C1, Borne bluetooth au musée de Cluny (la salle de la Dame à la Licorne), p.55  78 Exposition présentée du 6 octobre 2009 à juin 2010 à la Cité des sciences et de l’industrie Cf.ANNEXE n°3 – C4, Borne Bluetooth à la Cité des Sciences et de l’Industrie, p.59-60 79 Borne Bluetooth installée dans le péristyle de la nef du Grand Palais depuis l’été 2009. Cf. ANNEXE IV n°3 – C3, Borne Bluetooth dans la nef du Grand Palais p. 57-58 http://museomobile.wordpress.com/2009/07/20/bluetooth-et-iphone-au-grand-palais/ 80 Au musée d’art contemporain de Lyon, au musée Rodin et aux Galeries Nationales du Grand Palais, les séquences audio diffusées en Bluetooth étaient aussi disponibles sur les sites internet (de la société prestataire ou du musée) en version podcast. Au musée de Cluny et pour la nef du Grand Palais, une application pour iPhone est apparue peu de temps après la borne bluetooth. 81  Cf. ANNEXE I - Glossaire « Smartphone », p.8

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  30  

Au moment de nos observations, il nous est apparu que les bornes Bluetooth

semblent d’ailleurs être « détrônées » par les applications Smartphone. Les musées

privilégient celles-ci et ont tendance à considérer le Bluetooth comme une technologie

« dépassée ». En témoigne les entretiens menés dans le cadre de la présente recherche. Les

différents professionnels interrogés sur cette technologie ne croient pas au développement et

à l’avenir de celle-ci dans les musées. Yann Hamet voit dans ce procédé un inconvénient lié

à la technique : plus les gens sont nombreux à télécharger en même temps le contenu d’une

borne et plus la vitesse de téléchargement ralentie82. Face à cette difficulté, il lui semble

donc complexe de proposer au public des contenus multimédias plus enrichis donc plus

lourds. Frédéric Durand, directeur associé de la société smArtapps nous explique quant à lui

les raisons pour lesquelles il ne s’est pas lancé vers ce marché : « Nous avons constaté que

les solutions Bluetooth n’étaient pas pertinentes. Il faut s’approcher de la borne, faire

discuter les appareils ensemble … Ce n’est pas du tout adapté.83 ». Enfin, Benoît Villain et

Benjamin Bardinet rapporteront un problème de compatibilité entre la technologie Bluetooth

et l’iPhone84. Benjamin Bardinet nous a notamment confié que ce souci était un des facteurs

de l’interruption du système Bluetooth au Palais de Tokyo85. Les institutions se trouvent

alors face à un dilemme : faut-il privilégier une technologie accessible à la plupart des

visiteurs, comme le serait aujourd’hui le Bluetooth, afin de toucher le plus grand nombre ou

préférer le développement des contenus sur un terminal comme l’iPhone, plus efficace en

termes de capacité de stockage et de résolution ?

Applications muséales pour Smartphone

C’est par le biais d’applications, généralement développées par des entreprises

extérieures au musée, que les institutions muséales sont le plus souvent présentes sur les

Smartphones. Cette intention est aussi influencée par l’essor de ces outils et les nouveaux

usages qui y sont associés86.

                                                                                                               82 Cf. ANNEXE II - B, entretien avec Yann Hamet, p.20 83 Cf ANNEXE II – A, entretien avec Frédéric Durand, p.10 84  Cf. ANNEXE I – Glossaire « iPhone » p.6  85 Cf ANNEXE II – E, entretien avec Benjamin Bardinet, p.38 86 L’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes) estime que une personne sur trois en France « utilise des services disponibles sur les réseaux mobiles de troisième génération (3G) contre un sur quatre un an auparavant ». Selon cette étude : « Les réseaux téléphoniques sont de plus en plus utilisés pour échanger des données plutôt que de la voix. Ces nouveaux usages sont en plein essor, stimulés par la diffusion rapide sur le marché de terminaux mobiles et d’offres adaptées (téléphones mobiles tactiles et ordinateurs connectables aux réseaux mobiles, offres d’accès « illimitée » à internet »). Observatoire trimestriel des marchés de communications électroniques en France, 3ème trimestre 2010, résultats définitifs, Les actes de l’ARCEP, janvier 2011, p.3

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  31  

Les applications mobiles sont des logiciels que l’on télécharge sur des plateformes

uniques à chaque système d’exploitation87. Elles consistent en un logiciel qui n’est pas

présent sur le téléphone au moment de l’achat, que l’on choisit de télécharger ultérieurement

via une connexion internet ou téléphonique. Les applications permettent d’accéder à un ou

plusieurs services. Il peut s’agir par exemple d’une application de transports en commun,

grâce à laquelle on pourra calculer un itinéraire, consulter un plan de métro, acheter un titre

de transport, etc. Les applications muséales intègrent une variété de contenus : commentaires

audio accompagnés de visuels, vidéos, textes, plans de visites et parfois même des jeux… À

la différence du Bluetooth, il s’agit ici d’embarquer un outil complet d’aide à la visite et non

plus des contenus fragmentés.

Les caractéristiques essentielles des applications88 à retenir ici seraient que, à la

manière de ce que nous avons établi pour la technologie Bluetooth, nous pouvons distinguer

deux types d’applications de musées. D’une part les applications « représentatives89 », qui

sont réalisées dans le but de présenter une institution et ses collections permanentes, et

d’autre part, les applications « événementielles » qui sont dédiées à l’accompagnement

d’expositions temporaires et ont donc une date limite d’utilisation in situ. Mais il existe

également des applications « portails90 », qui indexent lieux patrimoniaux, musées… et ont

une vocation principalement informative et promotionnelle. Notons aussi l’apparition

d’applications ludiques et de « goodies »91.

À travers ces exemples, on prend conscience de la diversité des fonctionnalités

offertes par la création d’applications pour les musées et leur public. Préparation de la visite,

documentations sur le lieu et les œuvres, interactivité et parfois activités ludiques. La

présence muséale est protéiforme au sein des applications Smartphone. Actuellement, il

s’agit de l’offre de médiation sur téléphone la plus développée. C’est pourquoi nous ferons

le plus souvent référence à ces dispositifs lors de notre analyse.

                                                                                                               87 Par exemple Applications Store (communément appelé App Store) pour le système d’exploitation de la société Apple ou Androïd Market pour le système d’exploitation Androïd (Google)…  88  En janvier 2011, nous avons rédigé un article pour le site du Club Innovation et culture portant sur les spécificités et les contenus des applications muséales françaises et anglo-saxonnes. Nous conseillons au lecteur de le consulter en annexe pour plus de précisions sur ces dispositifs. ANNEXE III – Article « État des lieux des applications mobiles culturelles françaises et étrangères » p. 42  89 Cf. ANNEXE IV n°4-A, liste des applications Smartphones de musées français au 7 mai 2011, p. 64 90  Cf. ANNEXE IV n°4-D, liste des applications « portails » p.69 à 73  91  Cf. ANNEXE IV n°4 – F, liste des applications ludiques, p.74-75  

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  32  

c. Les outils pervasifs, connexion directe entre publics et artefacts

Depuis peu, les musées se servent également de technologies dites « pervasives ».

Les dispositifs pervasifs font partie d’un environnement qui permet à des objets

communicants de se reconnaître et de se localiser entre eux. Contrairement aux applications

muséales téléchargeables grâce à une connexion internet, les applications dites

« pervasives » sont directement imbriquées dans un dispositif in situ, reliant les publics à des

artefacts (œuvres exposées). Ainsi, comme l’explique Annie Gentès dans un article paru

dans le Monde : « le visiteur se déplace et son téléphone ou sa tablette Internet lui

permettent d'interagir avec les objets du musée. L'information est déclenchée par la

présence du visiteur et de l'objet.92 ». Plusieurs de ces technologies s’appuient sur un réseau

Wifi, des codes QR93 ou la RFID. Nous allons tenter d’expliciter ces technologies, toujours

en donnant quelques exemples d’usages dans les musées et lieux d’expositions. Précisons

que nous aborderons des technologies qui ne sont pas spécifiquement récentes mais dont

l’emploi dans les musées est très actuel, voire expérimental.

Codes QR

De plus en plus d’expositions ou d’événements culturels utilisent des codes QR sur

leur support de communication, notamment diffusés dans les réseaux de transports en

commun. Ce fût le cas d’affiches pour la promotion de sites historiques, comme le Château

de Versailles94 ou le Centre des Monuments nationaux95, soit d’expositions temporaires

telles que les expositions « Edvard Munch »96 de la Pinacothèque de Paris ou « Sciences et

fictions, aventures croisées » à la Cité des Sciences97. Dans chacun des cas cités, un code

QR renvoie à un site web spécifique de l’institution, adapté au format mobile, donnant accès

aux informations pratiques nécessaires à la préparation de la visite98. Le code QR permet de

« prolonger » le support de communication papier, en indiquant les renseignements qui ne

pourraient pas être mis sur une affiche. Il donne une réponse presque instantanée aux

questions que se poserait un passant en voyant la publicité et instaure ainsi un lien plus

                                                                                                               92 A. Gentes, « Musée, le lieu d’expérimentation des nouveaux médias », in Le Monde, 1er octobre 2010 93  Cf. ANNEXE I – Glossaire « Codes QR », p.7  94  Cf. ANNEXE IV n°5-B1, Affiche du Château de Versailles avec code QR, p.78  95  Cf. ANNEXE IV n°5 B4, Affiche du centre des monuments nationaux p.81  96 Exposition présentée du 21 octobre au 3 juillet 2011 à la Pinacothèque de Paris, cf. ANNEXE IV n°5-B2, p.79 97 Exposition présentée du 9 octobre au 10 juin 2010 à la Cité des sciences et de l’industrie, cf. ANNEXE IV n°5 – B4, p.81 98 Horaires, accès, événements autour de l’exposition, liens vers les réseaux sociaux…

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spontané entre l’institution et les visiteurs potentiels. Davantage marketing, le site du

Château de Versailles permet même l’achat de billets via ce site mobile. Plus récemment, le

musée du Quai Branly a intégré un code QR aux affiches de l’exposition « L’Orient des

femmes », renvoyant quant à lui à un lien de téléchargement de l’application iPhone. Des

connexions peuvent ainsi être opérées entre différents supports mobiles du musée.

De façon plus singulière, lors de la Nuit des musées 2010, un code QR sur l’affiche

permettait aux publics et aux musées d’être informés de l’opération « Twittez la nuit »,

consistant à publier des messages sur le réseau social Twitter en direct de son parcours lors

de l’événement99.

Le soir de la manifestation plusieurs de ces codes ont eu une autre utilisation,

notamment au musée des arts décoratifs. Catherine Collin nous explique qu’une douzaine de

codes servaient à définir le contexte de certaines citations exposées. « Il s’agissait par

exemple d’avoir sur son mobile l’intégralité de la poésie de Lamartine, avoir une partie plus

importante du manifeste de l’UAM100 et ainsi connaître à chaque fois les sources des

différentes citations.101 »

Ainsi, plus qu’un simple outil promotionnel, le code QR peut permettre à ses

utilisateurs d’obtenir des renseignements sur les œuvres. Le Palais de la découverte a été la

première institution française à les utiliser dans ce contexte sur son site internet lors de

l’exposition « Volcans, séisme, tsunamis, vivre avec le risque »102. Les codes QR

renvoyaient à des contenus audios. Très récemment, deux musées ont expérimenté ce

dispositif. Le musée de la Poste lors d’une exposition103 et le musée d’archéologie de Saint

Raphaël au sein de ses collections104. Dans ce dernier, les visiteurs peuvent recevoir des

commentaires audio, des photographies ou vidéos sur leur propre mobile, ou sur ceux prêtés

par le musée aux personnes non équipées. Enfin, le LaM de Lille105 a initié, depuis sa

réouverture, un partenariat avec la société IBM qui a permis l’implantation de codes QR

                                                                                                               99  Cf. ANNEXE V – Exemples de livetwitte pour l’exposition « Mondrian, De Stijl » au Centre Georges Pompidou, p.146  100  L’UAM est le sigle de l’ « Union des Artistes Modernes », mouvement d’artistes décorateurs et architectes fondé en 1929. http://www.lesartsdecoratifs.fr/francais/arts-decoratifs/collections-26/parcours-27/chronologique/art-nouveau-art-deco/les-salles-300/l-union-des-artistes-modernes-et/ 101 Cf. ANNEXE II - D, entretien avec Catherine Collin, p. 36 102 Exposition présentée du 12 octobre 2007 au 24 août 2008 au Palais de la découverte, cf. ANNEXE IV, n°5 – C1 p.83 103 Exposition « Architecture postale, une histoire en mouvement » présentée à l’Adresse, musée de la Poste du 5 juillet au 28 septembre 2010. Cf. ANNEXE IV n°5 – C2 p.84  104 Depuis le 9 février 2011 http://www.musee-saintraphael.com/visite-numerique-2/ Cf. ANNEXE IV n°5 – C4, p.87-88 105 Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut

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comme outil de médiation pour les sculptures disposées dans le parc du musée. Ici le code

donne accès à un site web mobile106 dans lequel le public peut choisir d’effectuer une visite

ou un jeu lui permettant de découvrir les œuvres du jardin.

Enfin, tout comme la technologie Bluetooth ou les applications pour Smartphones,

on observe que les codes QR peuvent être utilisés comme éléments ludiques par les lieux

d’expositions. L’exemple le plus intéressant d’utilisation du code QR dans ce contexte en

France est, selon nous, celui du jeu urbain multimédia organisé par le Cube d’Issy les

Moulineaux107. Les codes QR y avaient une double fonction : mettre en place une

communication mystérieuse autour du jeu en amont et pendant le jeu pour donner des

indices aux participants.

 

RFID et NFC

Le second dispositif « pervasif » présent dans les musées est la RFID108. Cette

technologie n’est pas encore intégrée aux téléphones portables présents sur le marché

français. Les premiers projets muséaux usant de ce dispositif sont donc expérimentaux et

bénéficient en général d’un partenariat de compétences ou de financements spécifiques.

Quoi qu’il en soit, le terminal est ici obligatoirement prêté aux visiteurs. Si ces dispositifs

peuvent être employés sous la forme de badge dans les musées109, nous nous concentrerons

ici sur ses utilisations uniquement via des terminaux mobiles.

Nous ne connaissons à l’heure actuelle que trois institutions muséales ayant eu

recours à un dispositif RFID avec le téléphone portable : le musée des Arts et métiers110, le

Studio 13/16 du Centre Georges Pompidou111 et le musée municipal de Cambrai112.

Toutefois les formes, fonctions et publics visés sont différents dans chacun des cas. Le

musée des Arts et Métiers a expérimenté cette technologie sous la forme d’un jeu de piste à

l’aide de bornes RFID disposées dans les collections du musée. Le Studio 13/16 a mis a

                                                                                                               106 Accessible à l’adresse suivante à partir d’un téléphone mobile : http://www.musee-lam.fr/application-parc/index.html 107 Jeu urbain multimédia organisé par le Cube d’Issy les Moulineaux, centre culturel de création numérique, dans le cadre du « Cube Festival », du 22 septembre au 3 octobre 2010. http://www.cubefestival.com/jeu-urbain/  Cf. ANNEXE IV n°5 – C5, Utilisation des codes QR au Cube, centre de création numérique, p.89-90  108 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « RFID » p.7-8 109 Voir l’exemple du musée des sciences de Bergen, en Norvège http://www.erasme.org/RFID-au-musee-cas-de-Vilvite-Musee ou du musée Cap Sciences de Bordeaux http://www.erasme.org/RFID-au-musee-cas-de-Vilvite-Musee. Le musée des Confluences a récemment expérimenté un jeu à l’aide de badge RFID http://www.erasme.org/Le-Musee-des-Confluences-devoile  110 Projet PLUG (Play Ubiquitous game and… play more) réalisé en deux versions : novembre 2008 et juin 2010. Cf. ANNEXE IV n°6 – A, p.91-93 111 Projet SMARTMUSE, de septembre 2010 à mars 2011 Cf. ANNEXE IV n°6-B1 –p.94-96 112 Depuis novembre 2010, cf. ANNEXE IV N°6-C illustrations, p.97

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disposition des adolescents des cartels intégrant une puce RFID à des fins de médiation,

d’information sur la programmation et d’interaction ludique avec les œuvres. Enfin, le

dispositif pérenne du musée de Cambrai vise à remplacer le parc d’audioguides, là aussi

grâce à un système de « cartels RFID ».

Il y a fort à parier que ces dispositifs, grâce à l’intégration discrète de puces RFID

dans les cartels, se développeront dans les musées dès lors que les téléphones des visiteurs

seront dotés de la technologie.

d- Le musée augmenté

Enfin, une dernière technologie est actuellement utilisée par quelques institutions : la

réalité augmentée. Ce procédé consiste à faire se superposer une image virtuelle en deux ou

trois dimensions à une image réelle capturée par une caméra. La perception d’un

environnement peut ainsi s’enrichir d’éléments fictifs. Au Château de Versailles, par le biais

d’une application iPhone, la réalité augmentée est le support de médiation pour les

jardins113. La fonction « appareil photo » du mobile s’active automatiquement et il nous

suffit de balayer l’horizon avec le téléphone pour voir apparaître une bulle d’information

s’associant à l’image. Ce texte indique les principaux points d’intérêts du jardin et la

distance qu’il reste à parcourir pour les atteindre114. En sélectionnant ces bulles

d’informations, on accède également à des contenus : une photographie et un texte sur le lieu

en question.

Le principe est relativement similaire dans l’application portail « Culture Clic » où la

réalité augmentée sert à découvrir des lieux du patrimoine parisien115. Au musée des Beaux-

arts de Rennes, cette technique est expérimentée depuis 2008 grâce à l’utilisation de Pocket-

PC récemment remplacés par des Smartphones116. Enfin, nous pouvons citer un exemple

étranger : celui du Sukiennice Muzeum de Cracovie, qui a décidé de mettre en scène ses

chefs d’œuvres par le biais de la réalité augmentée. Ainsi, des comédiens rejouent dans le

Smartphone prêté par le musée les scènes de certaines peintures emblématiques des

collections. Ces scènes se superposent à l’image du tableau visible dans la fonction

                                                                                                               113 Cf. ANNEXE IV n°7 – A – illustrations réalité augmentée au Château de Versailles, p.98 114http://www.orange-innovation.tv/webtv/le-chateau-de-versailles-entre-dans-l-ere-de-la-realite-augmentee/video-1046-fr 115 Cf. ANNEXE IV n°7 – B, p.99  116 Projet intitulé GAMME (Guide Augmentée Mobile pour Musées et Expositions) Cf. ANNEXE IV n°7-C, p.100

Page 36: "Le téléphone portable, nouvel outil de médiation culturelle dans les institutions muséales françaises"

  36  

« appareil photo » du mobile. Ce procédé nous permet de découvrir de façon ludique

l’histoire de chaque œuvre augmentée117.

Toutefois, la réalité augmentée est un dispositif nécessitant des moyens financiers et

humains importants, c’est pourquoi elle est pour le moment très peu développée. On peut

imaginer, comme la RFID, que cette technologie pourrait être promise à un bel avenir en

contexte muséal.

La connaissance de ces différents projets et de ces technologies, nous prouve que la

présence muséale institutionnelle est plurielle. Nous constatons par ces exemples, que nous

sommes passés d’une offre de transmission à une offre de médiation revêtant différentes

missions : communiquer, transmettre des contenus, divertir… qui peuvent être appliquées à

des contextes d’utilisation différents : événements artistiques, expositions temporaires ou

collections de musées. De plus, on remarque que les technologies mobiles s’intègrent à une

large typologie de musées. Elles sont autant employées dans les musées et centres d’art que

dans les musées de sciences et techniques, dans les musées d’histoires et de civilisations,

d’archéologie ou encore dans les châteaux, parcs et jardins.

Il s’agissait ici de parcourir les dispositifs mis en place par les musées eux-mêmes

pour accompagner les publics dans leur découverte des œuvres. Nous avons aussi précisé

qu’il existe d’autres usages liés à l’utilisation du téléphone dans les musées, créés par

l’action autonome du visiteur qui use lui-même de son terminal comme d’une machine à

compléter, conserver ou partager sa visite. Rappelons que nous nommerons « usages

amateurs » l’ensemble des utilisations faites par les visiteurs à partir des fonctionnalités de

leur téléphone portable dans un contexte de visite. Il convient désormais de les examiner.

3. Musées, téléphones portables et usages amateurs

Comme le rappelle Christian Licoppe dans la revue Réseaux : « Les terminaux

portables n’ont cessé d’évoluer sous l’effet des progrès technologiques pour se transformer

progressivement en un objet qui ne sert plus seulement à téléphoner, mais aussi à naviguer

sur internet, regarder des contenus audiovisuels, écouter de la musique…118 »

                                                                                                               117 Visible en anglais à l’adresse suivante : http://scaryideas.com/content/21331/ Cf. ANNEXE IV n°7-D –illustrations réalité augmentée au Sukiennice Muzeum, p.101  118 LICOPPE Christian, ZOUINAR Moustafa « Les usages avancés du téléphone portable », In Réseaux, communication, technologie, société – ed. La Découverte, juillet/septembre 2009, p.9

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  37  

Le téléphone mobile est aujourd’hui un objet multifonctions. Sa polyvalence peut

se distinguer en deux catégories. D’une part on retrouve les « usages téléphonés », d’autre

part les « usages non téléphonés »119. Ce sont les « usages non téléphonés » qui prennent

tout leur sens dans le contexte muséal, puisque les « usages téléphonés » y sont proscrits. De

plus, ce sont les usages « non téléphonés » qui singularisent un utilisateur, confèrent à

l’objet un statut personnel et une certaine originalité. Parmi ces usages, nous en avons relevé

trois comme étant particulièrement significatifs dans le cadre d’une visite au musée. Il s’agit

de la recherche internet, de l’enregistrement et du partage social.

a. La recherche sur internet comme « auto-médiation »

De plus en plus de téléphone mobile sont dotés d’une connexion internet et près

d’un français sur quatre serait un « mobinaute » selon un sondage Médiamétrie120. Le terme

« mobinaute » renvoie à « mobile » et à « internaute », autrement dit ce sont des personnes

qui consultent internet depuis un téléphone portable. Il semblerait que les pratiques de visite

soient influencées par ces nouvelles fonctionnalités. Ainsi, il n’est pas rare que des visiteurs

effectuent une recherche depuis leur mobile pour compléter les informations qui lui sont

transmises par le musée ou déchiffrer certains éléments non expliqués par l’institution.

Ainsi, lors de la réalisation de notre enquête quantitative aux Galeries Nationales du Grand

Palais, une jeune femme explicitera sa réponse à la question sur l’utilisation générale du

téléphone dans un musée ou une exposition121. Pour elle, le téléphone joue un rôle important

dans une exposition car il lui permet « de ne pas rester bête face à un mot ou un nom

inconnu122. » Elle nous raconte son expérience :

« La dernière fois je lisais un cartel et l’artiste avait mis le nom d’une

molécule chimique dans le titre de son œuvre. Comme je ne savais pas du tout ce que

c’était et que je me suis dit que ça pouvait être intéressant pour comprendre son

œuvre, j’ai fais une recherche sur mon téléphone. Je n’aime pas passer à côté de

                                                                                                               119 GONORD Alban, MENRATH Joëlle, op.cit., p.34 120 Communiqué de presse de Médiamétrie publié le 27 janvier 2011 pour les résultats du 4ème semestre 2010 en France http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/l-­‐audience-­‐de-­‐l-­‐internet-­‐mobile-­‐en-­‐ france-resultats-­‐du-­‐4eme-­‐trimestre-­‐2010.php?id=394 121 Cf. ANNEXE VI - questionnaire de l’évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.49-50  122 Notes personnelles, données qualitatives recueillies lors d’un échange avec le public après la récupération de questionnaires aux Galeries Nationales du Grand Palais, le 14 janvier 2011

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  38  

choses comme ça, avec internet j’obtiens directement la réponse, c’est très

pratique !».

Le mobile permet ici l’enrichissement d’une culture personnelle dans le cadre

d’une visite au musée. Il joue le rôle de dictionnaire ou de complément de visite et peut se

positionner comme le « décodeur » d’informations transmises et non expliquées par les

supports du musée. Les visiteurs décident donc spontanément de saisir leur téléphone

portable pour effectuer ce que l’on pourrait presque appeler une « auto-médiation123 » ; une

médiation pour soi-même. Ce sera d’autant plus le cas s’il s’agit d’un sujet concernant une

spécialité, comme la chimie dans notre exemple. L’objectif n’est pas forcément d’apporter

une connaissance scientifique de l’élément recherché, mais surtout d’en donner une

définition claire ou de remettre en mémoire. Une personne retraitée nous dira que ses

recherches sur internet lors d’une exposition ont essentiellement porté à lui rappeler des

connaissances acquises mais oubliées. « Il m’est arrivé très souvent de taper le nom d’un

dieu grec ou d’un roi, parce que j’ai oublié leur fonction et qu’ils font partis d’une œuvre.

Alors là c’est très bien avec la connexion internet dans mon téléphone je tape leur nom et

hop je trouve tout de suite124. »

De façon quantitative, près de 25% des personnes ayant répondu à l’enquête

effectuée aux Galeries Nationales du Grand Palais ont déclaré avoir déjà utilisé leur

téléphone portable pour faire une recherche en lien avec leur visite dans un musée ou une

exposition125.

b. L’enregistrement

Une autre pratique très fréquente dans le cas d’une visite au musée est

l’enregistrement. Pour Mauricio Ferraris, c’est de manière générale la fonction prédominante

du mobile126. L’enregistrement se caractérise par le fait de conserver une trace d’un élément,

en l’occurrence dans le téléphone. Ce peut être par le biais d’une photographie par exemple.

Chacun peut constater l’ampleur de cette pratique en déambulant dans les collections d’un

                                                                                                               123  Terme utilisé par Noémie Couillard pour décrire une situation de médiation « dirigée vers soi » ou « de soi pour soi ». Article « Pour vous j’ai testé le livetwitte d’exposition » sur le blog « Quelque part en thèse » : http://www.quelquepartenthese.eu/spip.php?article26  124 Notes personnelles, données qualitatives recueillies lors d’un échange avec le public après la récupération de questionnaires aux Galeries Nationales du Grand Palais, le 16 janvier 2011 125 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.26  126 FERRARIS Maurizio, op.cit. p.37

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  39  

musée le week-end. On y voit, lorsque cela n’est pas interdit, un nombre important de

visiteurs prendre des photographies ou des vidéos, de plus en plus avec leur mobile. Nous

l’avons dit dès la première partie : le musée d’Orsay a décidé de faire interdire les

photographies dans l’enceinte du bâtiment, entre autre en raison de la multiplication des

prises de vues causées par l’intégration de plus en plus systématique d’une caméra dans les

mobiles. C’est donc que l’institution a remarqué un changement des pratiques de visite, lié à

l’introduction de cet outil dans l’espace muséal. Comme nous l’avons indiqué plus haut, ces

enregistrements visuels donnent aux visiteurs la possibilité de conserver la trace de leur

visite au musée et dans une certaine mesure de s’approprier les contenus du musée127. Mais

on remarque que l’enregistrement ne se fait pas seulement au niveau visuel. La prise de

notes128 liées à la visite est également un moyen pour les publics de garder un souvenir de

leur passage et de mémoriser par exemple des informations qu’elles ont jugées intéressantes

et qu’elles voudraient retrouver ou approfondir à l’issue de la visite. Le téléphone joue alors

le rôle d’un véritable carnet de note.

On assiste également au développement d’une pratique mixte consistant à enregistrer

un texte grâce à une prise de vue. Si Benjamin Bardinet est assez sceptique quant à

l’utilisation du mobile comme outil de médiation, il avoue cependant qu’au Palais de Tokyo

: « on voit tout de même beaucoup de gens photographier les cartels avec leur mobile129 ».

Serge Chaumier et Véronique Parisot font également état de cette pratique dans leur texte

sur la photographie au musée : « Ainsi nous est-il arrivé plusieurs fois de nous voir interdire

la prise de vue de textes dans une exposition d’art sous prétexte d’une interdiction générale

qui concernait la photographie des œuvres ! »

Au musée, le mobile fait figure à la fois de carnet de notes et d’appareil photo. Ses

fonctions d’enregistrement le transforment alors en un « réceptacle privilégié du

souvenir130 »

c. Le partage social

Enfin, les visiteurs pratiquent également avec leur mobile pendant la visite le

partage social. Nous entendons par ce terme le fait d’entrer en communication avec une

personne ou un groupe de personnes, se trouvant dans le musée ou en dehors, notamment                                                                                                                127 CHAUMIER Serge, PARISOT Véronique, op.cit. 128 Celle-ci est rendu possible soit grâce à des applications dédiées et présentes dans le mobile, soit, plus prosaïquement, par l’enregistrement d’une note en tant que brouillon sous forme de SMS ou de mail. 129 Cf. ANNEXE II – E, Entretien avec Benjamin Bardinet p.40 130 Expression employée dans l’ouvrage d’Alban GONORD et Joëlle MENRATH, op.cit. p.130  

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  40  

par l’envoie de SMS, de mail ou encore par la publication de messages sur un réseau

social131, comme Facebook ou Twitter. Parmi les personnes ayant utilisé l’application

iPhone « Monet », 12% d’entre elles avaient déjà eu recours à l’utilisation de leur téléphone

auparavant dans une exposition pour signaler leur visite à un tiers. Ces chiffres sont assez

faibles mais nécessitent une certaine forme de diligence car, comme nous l’avons dit dans le

premier chapitre, il est généralement mal perçu de se laisser « décentrer » par le mobile lors

d’une pratique culturelle. On pourrait ici supposer que certaines personnes n’ont pas

répondu avec franchise à la question. D’autre part, l’utilisation du téléphone portable s’est

banalisée à tel point que son usage est parfois automatique et instinctif. Il se peut donc que

certains visiteurs aient oublié qu’il leur est déjà arrivé d’utiliser leur mobile dans une

institution muséale.

Par ailleurs, signalons que la présence muséale institutionnalisée dans le téléphone

favorise régulièrement ce type d’échanges. Il est souvent proposé aux utilisateurs d’une

application Smartphone de commenter leur visite par mail ou sur les réseaux sociaux132.

Nous aurons l’occasion de revenir de façon plus détaillée sur ce point dans le troisième

chapitre de notre recherche.

Un des intérêts du partage social en contexte muséal est qu’il permet la présence

virtuelle de « l’autre ». Une utilisatrice du réseau social Twitter nous confiera par exemple

qu’elle poste spontanément ses impressions sur ce réseau lorsqu’elle visite une exposition :

« Lorsque je visite seule une exposition, il peut m’arriver de publier sur

Twitter car j’ai ainsi le sentiment d’être accompagnée. Les gens peuvent réagir, dire

s‘ils l’ont vu, si ça leur a plu… Je m’exprime sur Twitter comme ci je parlais à

quelqu’un pendant ma visite.133 ».

Ce partage est basé sur l’interaction et la communication au sein d’une

communauté. Il donne l’impression d’une présence sociale, notamment lorsque le mode de

visite est solitaire. Mais il peut aussi arriver que ce partage permette un glissement du virtuel

                                                                                                               131  Cf. ANNEXE, Glossaire « réseau social », p.7  132 Cf. ANNEXE IV n°8 – B, utilisation du partage social et des réseaux sociaux dans les applications muséales, p.111-114 133 Propos recueillis par mes soins à l’issue d’un « Livetwitte » organisé par le Centre Georges Pompidou autour de l’exposition Morellet, jeudi 24 mars 2011. Nous explicitons le concept de « Livetwitte » dans la deuxième partie du dernier chapitre.  

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  41  

au réel. Lors d’une visite au Studio 13/16, nous avons interrogé quelques médiatrices à

propos du projet SMARTMUSE134. L’une d’entre elles nous fera part de ses observations :

« Le dispositif fonctionne bien, mais on voit quand même plus de jeunes

utiliser leur propre téléphone. Parfois, on voit un adolescent pianoter sur son mobile

et quelques minutes plus tard, il y a cinq copains à lui qui débarquent. On a très vite

compris que c’était un jeune du quartier et qu’il avait invité ses amis à venir le

rejoindre en leur envoyant un SMS135. »

Il ne s’agit bien entendu que de propos relatés, mais ils en disent long sur les

capacités du mobile à ouvrir spontanément l’espace du musée vers le monde extérieur et,

réciproquement, à introduire le musée dans l’espace de notre quotidien.

Les diverses utilisations du mobile au musée nous offrent une vision multiple et

variée des possibilités exploitées par le musée ou par ses visiteurs afin d’enrichir, de

conserver ou de partager l’expérience muséale. Ajoutons que les usages amateurs

contribuent à poursuivre le processus de médiation au delà des propositions institutionnelles.

D’une simple transmission des contenus, le téléphone permet désormais une médiation des

contenus.

Nous poussons cette affirmation à son terme, en avançant que, plus qu’un outil de

médiation, le mobile est un outil de « multi-médiation ». En 2007, Mériam Ben Sassi

définissait le concept de « multi-médiation » en parlant des sites internet de musées comme

d’une médiation « dématérialisée136 », « sans spatialité », où les médiums privilégiés

seraient l’internet et le multimédia. Ce concept prend un sens plus étymologique dans notre

analyse, et est ici envisagé à la fois sous l’angle du multiple, du multimédia et de la

médiation. Pour éviter la confusion, nous lui avons préféré une orthographe quelque peu

différente, avec un trait d’union entre « multi » et « médiation ». Le mobile est un outil de

multi-médiation au sens où il rassemble en son sein un grand nombre de médias et d’usages

capables de créer des médiations. Si le mobile est en soi un objet multitâche, sa relation avec

le musée est fondée sur la multiplicité : une double présence du muséal dans le mobile -

institutionnelle ou amateur– par le biais de multiples fonctionnalités et technologies, au sein

                                                                                                               134 Cf. ANNEXE IV – n°6-B, p.94 135 Propos recueillis par mes soins, le 20 novembre 2010, lors d’une visite et d’observations au sein du Studio 13/16 136 BEN SASSI Mériam, « Le Musée à l’ère d’internet », mémoire de Master 1 UFR 03 Archéologie et Histoire de l’art. Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne, sous la direction de Mme Corinne Welger-Barboza, septembre 2007, p.78  

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  42  

de plusieurs types d’institutions, dans de multiples contextes et voués à de multiples

missions envers les publics. Cette caractéristique en fait d’ailleurs un support complexe à

étudier, et plus particulièrement dans le cadre de la muséologie.

Bien entendu, nous pouvons aussi considérer ce médium comme un outil de

multimédiation au sens proposé par Mériam Ben Sassi. Car le mobile embarque la présence

muséale de façon ubiquitaire. Grâce à lui, le musée peut être consulté non plus uniquement à

partir d’un ordinateur fixe ou portable nécessitant une connexion internet, mais peut

littéralement être « embarqué » lorsque les contenus sont téléchargés et présents dans le

téléphone. Nous y reviendrons.

D’autre part, il apparait que le téléphone portable puisse s’assimiler par ses

caractéristiques à d’autres supports de médiation, qu’ils soient « traditionnels » ou

« multimédias », en combinant plusieurs de leurs traits distinctifs. Dans cette hypothèse,

l’aspect « médiation » du concept de « multi-médiation » prendrait alors toute sa

signification. Le chapitre suivant consistera en une analyse comparative du mobile et de

différents outils d’aide à la visite. Nous observerons également les impacts de cette multi-

médiation sur la médiation en elle-même et sur les publics.

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CHAPITRE  II  :      

LE  TÉLÉPHONE  PORTABLE,    UNE  OFFRE  DE  MULTI-­MÉDIATION.    

EFFETS  ET  ENJEUX  SUR  LES  USAGES  ET  LES  PUBLICS  

1. Le mobile : canalisateur d’outils de médiation

Le chapitre précédent nous l’a démontré : le mobile n’offre pas une mais des

médiations. Il revient alors à l’utilisateur, en fonction de ses envies et des fonctionnalités de

son mobile, d’accepter ou non d’offrir une place au musée dans son téléphone portable.

Nous avons pu le constater lors de notre enquête de terrain, certaines personnes

peuvent se montrer réfractaires à l’idée de faire entrer le musée - ou d’autres pratiques

culturelles - dans leur mobile et préfèrent par exemple, louer un audioguide ou s’en remettre

à d’autres outils mis à disposition par le musée. D’une manière générale, la fiabilité des

informations transmises et la part symbolique des supports de médiation muséaux ont leur

importance dans cette préférence. Cela reviendrait à dire que puisqu’il est mien, le mobile ne

peut me donner accès aux mêmes renseignements que les outils du musée, même si, comme

nous l’avons établi, la présence muséale institutionnelle émane de plus en plus des musées

eux-même.

Bien qu’on ne puisse parler de « concurrence » entre les différents supports de

médiation, force est de constater que les visiteurs établissent des choix dans leur mode

d’accompagnement parmi la panoplie d’outils d’aide à la visite, dont le mobile ne fait que

très récemment parti.

Toutefois, nous l’avons dit, le téléphone est un objet multitâche, capable d’offrir aux

visiteurs des contenus texte, vidéo, audio… pourquoi ne pourrait-il pas remplacer, entre

autres, les écrans, les audioguides et les textes pédagogiques présents dans les salles de

musées ? Se pose ici la question de « savoir à quel point la tendance à l’appropriation par

le mobile des autres objets de la panoplie ne finira pas par supprimer définitivement l’utilité

de ces mêmes objets137». Cette interrogation, émise sous l’angle du rapprochement entre

mobile et objets quotidiens dans l’ouvrage « Mobile attitude », s’adapte parfaitement au

contexte de notre recherche. Si le téléphone mobile peut « vampiriser138 » ou remplacer

certains objets de notre vie courante (montre, réveil, portefeuille etc.), la logique semble se

répéter en contexte muséal. Nombreuses sont en effet les similitudes entre certains supports

                                                                                                               137 GONORD Alban, MENRATH Joëlle, op.cit., p.43 138 Ibid. p.42

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  44  

de médiation et les terminaux mobiles. Ces derniers sont d’ailleurs très fréquemment appelés

« audioguides nouvelle génération » ou « audioguides de demain139 ». La question de savoir

si cet outil supplantera un jour l’audioguide « traditionnel » provoque actuellement moult

débats dans la sphère muséale. C’est donc la problématique de la redondance qui se pose ici

ou « celle de plusieurs objets qui serviraient à la même chose et dont on pourrait très bien

se passer sans se priver pour autant des fonctions assumées par un seul d’entre eux140. »

Pourquoi le mobile, qui est polyvalent, ne pourrait-il pas justement assumer toutes ces

fonctions des cartels, des textes pédagogiques ou encore des écrans multimédias de musée ?

Nous tenterons dans la première partie de ce chapitre de déterminer, par ses traits

communs et ses divergences, comment le téléphone portable s’avère être un « canalisateur

d’outils de médiation ». Le concept de multi-médiation est ici au centre de nos

préoccupations puisqu’il semblerait que du caractère « multiple » du mobile résulte la fusion

de différents outils en son sein. L’objectif de cette thèse n’est pas d’affirmer que le mobile

doit remplacer les autres dispositifs proposés par les musées, mais de démontrer qu’il est

capable de centraliser une pluralité d’outils de médiation culturelle afin de l’envisager

comme un objet hybride à la présence muséale protéiforme.

a. La mobilité Par définition, le téléphone portable est synonyme de mobilité et d’ubiquité. À tel

point qu’une étude des consommations mobiles suppose deux significations : « qui

s’effectue à partir d’un téléphone mobile » et « qui s’effectue en situation de mobilité ». Or,

au musée, la mobilité est un concept clé puisque, comme nous l’avons évoqué au premier

chapitre, toute pratique muséale suggère une déambulation et un engagement du corps.

Plusieurs appareils fonctionnent dans les cercles de la mobilité au musée et la notion

« d’accompagnement à la visite » peut signifier un cheminement intellectuel, avec le

visiteur, mais aussi un accompagnement physique tout au long de son parcours. Les outils de

médiation sont soit disséminés sur notre chemin, au fur et à mesure de notre déambulation

(cartels, textes sur les cimaises…), soit nous poursuivent et deviennent en quelque sorte un

« prolongement de soi 141». Parmi les outils mobiles de médiation au musée, on retrouve

notamment les supports auditifs (audioguides, podcast…) et les supports textuels (livrets

pédagogiques, plan de la visite…)

                                                                                                               139 DESHAYES, Sophie op. cit. p.  140 GONORD Alban, MENRATH Joëlle, op.cit., p.42 141 JAURÉGUIBERRY Francis, op.cit., p.21  

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  45  

Le téléphone portable, nous l’avons étudié, a d’abord été utilisé comme diffuseur de

contenus culturels et est souvent perçu par les musées comme un substantif aux audioguides.

Cependant, nous avons aussi fait remarquer que le téléphone avait été le premier diffuseur

de contenus culturels, avant même l’apparition de la radio et des supports de médiation

auditifs. Dans l’ouvrage « La Muséologie » André Gob et Noémie Drouguet donnent la

définition suivante de l’audioguide : « L’audioguide est un dispositif portable, qui ressemble

vaguement à un téléphone, que le visiteur emporte durant sa visite et qui lui donne, à la

demande, un commentaire dans sa langue.142 » La comparaison avec le téléphone est ici

intéressante et suppose que c’est l’audioguide qui s’apparente aux téléphones plutôt que

l’inverse. On aurait tendance à oublier cela aujourd’hui tant la présence de l’audioguide dans

les musées est considérée comme universelle contrairement à l’offre de médiation sur

terminaux mobiles. Si la confusion est présente, c’est aussi parce que le téléphone permet,

tout comme son confrère, l’écoute de contenus via un appareil que l’on pose à même

l’oreille. Très souvent, et surtout dans les applications muséales pour Smartphones, les

contenus diffusés sont d’ailleurs identiques à ceux de l’audioguide. En janvier 2011, 75%

de ces applications contenaient des commentaires audio sur les œuvres143. La technologie

Bluetooth, la RFID ou les codes QR, comme on l’a vu, permettent également la réception de

ces contenus. Quelques avantages, comparé à l’audioguide, ont toutefois pu être identifiés

lors de notre enquête sur l’application iPhone « Monet »144 : les visiteurs trouvent que leur

téléphone, en l’occurrence l’iPhone, produit un meilleur son que l’audioguide et trouvent

plus hygiénique d’utiliser leur propre appareil, avec leurs écouteurs personnels. Quant aux

outils « convergents », comme les PDA ou les lecteurs MP3, les Smartphones ont d’ores et

déjà intégré leur fonction. Si le musée met à disposition du public des podcasts en guise de

commentaires audio, ces derniers peuvent être écoutés sur un lecteur MP3, mais aussi… sur

un téléphone portable.

Outre l’intégration de contenus audio, le téléphone canalise également d’autres types

de supports consultables en mobilité au musée : les livrets pédagogiques et les plans de

visite. Ces documents sont généralement distribués à l’entrée d’une exposition.

Les applications mobiles muséales peuvent proposer aux visiteurs de se repérer dans

l’exposition ou les collections à l’aide d’un plan interactif de visite. Ce dernier peut

                                                                                                               142 GOB André ; DROUGUET Noémie, La Muséologie histoire, développements, enjeux actuels. Préface de Serge Chaumier, éd. Armand Collin, 2ème édition, 2006, p.148 143 Cf. ANNEXE III, p. 42 144 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, « remarques générales », p.42

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  46  

remplacer le support papier ou lui être complémentaire. En janvier 2011, 14% des

applications françaises pour iPhone disposaient de ce type d’aide à la visite145. L’avantage

étant non seulement de pouvoir repérer sa propre position mais aussi de percevoir différents

points d’intérêts de la visite qui sont commentés dans l’application. Certains plans

permettent également une géolocalisation, comme au Château de Versailles146.

Enfin, nous appelons « livrets pédagogiques » les feuillets explicatifs, distribués par

le musée, dans lesquels le contexte de présentation et le discours du musée sur une

exposition sont énoncés. Les dispositifs sur terminaux mobiles ne remplacent pas ces

supports papiers, mais peuvent contenir un certain nombre d’informations textuelles147

similaires. Par exemple, 43% des applications muséales françaises intègrent du texte et 63%

pour les applications muséales anglo-saxonnes148. Ces livrets peuvent être lus en amont de la

visite, pendant ou après. Il en est de même pour les contenus récupérés sur le mobile. À la

différence des livrets de visite, le contenu textuel recueilli grâce à des dispositifs mobiles

sera sans doute davantage « fragmenté » : le visiteur récupère une somme de textes

explicatifs par « morceau », soit au fur et à mesure de sa visite s’il s’agit de dispositifs

pervasifs, soit lors de sa navigation s’il a téléchargé une application pour smartphone.

On le voit bien à travers ces quelques exemples : le téléphone, outil de la mobilité

par excellence, a la capacité de combiner plusieurs dispositifs embarqués d’aide à la visite.

Bien entendu, il ne « remplace » pas stricto sensu ces supports. Il a cependant le pouvoir de

les canaliser et de présenter quelques avantages supplémentaires du fait de son lien

personnel avec le public. Peut-il faire de même avec les outils de médiation déjà intégrés à la

muséographie ?

b. Entre livre et écran? Parmi les éléments de médiation culturelle présents dans les musées, on retrouve les

cartels, les textes pédagogiques sur les cimaises ou encore les écrans vidéo. Tous semblent

pouvoir s’intégrer aux nouvelles technologies mobiles.

On remarque en effet que les cartels accompagnent de façon quasiment systématique

les visuels des œuvres intégrées au mobile. La notice est ici dépendante de l’œuvre. En ce

qui concerne les textes explicatifs, souvent présents sur les murs des expositions, les

contenus textuels que peuvent fournir les musées aux téléphones portables des visiteurs ne                                                                                                                145 Cf. ANNEXE III, p. 42  146 Cf. ANNEXE IV n°9-C, p.129 147 Cf. ANNEXE IV n°9-B – textes p.128 148 Cf. ANNEXE III p.42

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  47  

les remplacent pas, mais sur le même modèle que pour les livrets explicatifs, peuvent en

quelque sorte jouer leur rôle. Toutefois, on remarque que les usages amateurs du téléphone

permettaient déjà la conservation des cartels et textes pédagogiques du musée avant

l’existence des applications muséales. Ceci grâce à la fonction « photographie », comme

nous l’avons suggéré en évoquant dans la première partie la prise de vue des notices du

musée pour en conserver la trace. Là encore la récolte des informations fragmente les

différents textes en plusieurs ensembles.

Enfin, les écrans vidéo – de télévision ou d’ordinateur – diffusant des compléments

d’informations aux visiteurs durant leur visite, comme l’interview d’un commissaire ou un

reportage sur un artiste, peuvent également être présents dans certains dispositifs pour

mobile. Ce dernier permet en effet de visionner de la vidéo, des films ou encore la

télévision149.

Si l’on regarde de plus près ces différents exemples, on prend conscience du

caractère hybride du mobile en contexte muséal. Par ses fonctionnalités, l’objet ne tendrait-il

pas à se positionner entre le livre et l’écran ?

Le livre est en effet un objet de la culture écrite, généralement facile à transporter,

souvent personnel, ou du moins avec lequel on entretient une relation d’appartenance forte.

Tout comme le livre, on peut emporter le mobile et le consulter de n’importe où, ou presque.

Les deux ont une dimension tactile importante150, l’un avec le papier, l’autre avec les

touches. Le livre nous « transporte » dans une histoire, un imaginaire, ou nous transmet des

connaissances davantage scientifiques. La présence muséale dans le mobile peut être les

deux à la fois. Elle a la vocation de « téléporter » dans le même temps les utilisateurs vers

une culture, un savoir-faire, un imaginaire… tout en apportant des connaissances précises

sur les objets exposés. Ce livre serait multimédia car ses contenus sont tantôt textuels, tantôt

augmentés par la présence du son et de l’image. Le livre se transforme alors en écran.

L’écran du téléphone permet la « représentation du musée », il en relais les images et

devient l’interface principale entre le visiteur, la contemplation et les savoirs. Agnès Vigué-

Camus voit dans l’accompagnement du texte par l’écran un facteur de motivation pour les

utilisateurs et la possibilité d’enrichir le texte par l’image : « Ainsi, par la médiation de

l’écran, les modalités de rencontre avec des informations textuelles pourraient être

                                                                                                               149 LEJEALLE Catherine, « La Télévision mobile : une modalité de gestion du lien complémentaire de celle des fonctions de communication » in Réseaux « Les usages avancées de la téléphonie mobile » op.cit. p.115 150 « Il y a le contact tactile avec le livre : on le touche, on hume son odeur, on note éventuellement une idée, une référence » VIGUÉ-CAMUS Agnès, « Une approche des usages et représentations des écrans multimédias », in Publics et Musées n°13, op.cit, p.54  

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  48  

transformées pour le lecteur (visiteur), du fait qu’elles s’accompagneraient d’images

animées et du son151. » La force de la présence muséale institutionnelle est de concilier par

le biais de l’écran contemplation et cognition. Car là où l’audioguide permet de contempler

et d’écouter à la fois, la visite avec le mobile incarne souvent une double contemplation :

celle des objets présents tout au long de notre parcours et celle des visuels de ces mêmes

objets présents dans le mobile. Le visiteur est alors porté vers une nouvelle dimension, plus

uniquement textuelle ou sonore, mais aussi fortement visuelle.

Cependant, il semblerait que l’écran, à la différence du livre, « ne donnerait accès

qu’à un savoir de surface152 ». Sa superficialité peut être liée au fait qu’il « résume » plus

qu’il ne développe une pensée. De plus, dans la conscience collective, le texte du livre est

très fréquemment affilié à un écrivain, ou à une personne physique, alors que le texte

consulté sur un écran est souvent détaché de la personne de l’auteur153. On constate

également que les contenus muséaux, pour être transmis via RFID ou codes QR par

exemple, ne doivent pas dépasser un certain nombre de caractères. De même, pour qu’une

application smartphone ne soit pas trop « lourde », elle doit, à l’heure actuelle, être limitée à

un certain poids154. Enfin, pour être posté sur le réseau Twitter, un contenu texte doit se

limiter à cent quarante caractères.

En comparaison au livre, l’écran du mobile présenterait donc pour le moment

quelques freins en termes de contenus. Ainsi, le téléphone portable semble présenter toutes

les qualités du livre et de l’écran (mobilité, objet personnel, multimédia…), mais aussi les

inconvénients (connaissance superficielle).

Quoi qu’il en soit, le téléphone a les capacités de recevoir en son sein les outils

traditionnels de médiation culturelle et de les condenser. Il devient alors cet objet hybride

que nous avons décris, portatif et multimédia, entre livre et écran.

Nous avons comparé les supports de médiation auditifs, visuels, textuels ou

numériques et souhaiterions aborder maintenant la question de la transmission humaine, et

donc oral, afin de voir en quoi le téléphone peut également se rapprocher d’une logique de

médiation dite « humaine ».

                                                                                                               151 Ibid. p.44 152 Ibid. p.54 153 Ibid. p.55 154 Au delà de 20 Mo, une application doit être téléchargée via un réseau wi-fi ou via l’ordinateur de l’utilisateur et non directement grâce au réseau téléphonique. Il implique l’accès à ce genre de réseau.  

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  49  

c. Interactivité et sociabilité La médiation humaine pourrait se définir par la transmission de savoirs se faisant

grâce à un échange oral entre personnes physiques. Il peut donc s’agir de visites « guidées »,

lors de laquelle un conférencier, souvent employé par l’institution, représente le musée et

donne des informations, en un temps donné à un groupe de personnes constitué, sur une

sélection d’objets présentés dans l’exposition. Mais il peut aussi s’agir d’une autre forme de

médiation humaine, la médiation « présence »155, fondée sur l’échange et l’interactivité entre

le public et des médiateurs culturels présents dans les salles de l’institution. Ils sont à la

disposition des visiteurs, pour répondre à leurs questions ou rebondir sur leurs

interprétations des œuvres156.

L’expérience de visite requérant la présence physique d’un guide ou d’un médiateur

ne peut être équivalente, en termes de transmissions, à celle effectuée avec un support

technique tel que le téléphone mobile. Nous tenons cependant à démontrer ici en quoi les

logiques des deux types de médiations humaines tendent à se rapprocher des dispositifs

destinés aux outils mobiles du musée.

En effet, un parallèle peut être établi sur le fond entre, d’une part entre la visite

guidée et la visite audioguidée157 et d’autre part entre la présence de médiateurs culturels et

les dispositifs pour téléphones mobiles. Dans le premier cas la médiation est plutôt

« descendante», c’est à dire qu’elle va du guide, et donc de l’institution, vers les publics. Il

en est de même pour les contenus du guide audio qui sont écoutés par les publics, excepté

que les utilisateurs ne peuvent pas poser de question pour avoir des informations

supplémentaires, comme il est fréquent lors d’une visite-conférence. Dans le cas de la

médiation « présence », celle-ci est plutôt « ascendante » : les visiteurs qui souhaitent

recevoir des informations contrôlent le processus de médiation. En l’occurrence, ils ont la

possibilité de poser des questions et de parler aux médiateurs, mais ne le font que s’ils en

ressentent le besoin ou encore si un échange s’engage simplement. C’est sur la base des

connaissances et des envies du public que le médiateur va alors tisser un échange avec eux

                                                                                                               155 DEHON Clélia, « Chargé(e) de médiation culturelle : une profession protéiforme », dossier réalisé dans le cadre du cours « Rencontres avec des professionnels de la culture », licence 3 Conception et mise en œuvre de projets culturels à l’Université de Paris III, Sorbonne Nouvelle, p.4 156 Cette conception de la médiation humaine est assez récente et est surtout présente dans les lieux d’art contemporain. Nous pouvons citer quelques exemples d’institutions ayant mis en œuvre ce dispositif : le Palais de Tokyo, le Plateau – FRAC Île-de-France, le musée du Quai Branly ou encore des manifestations culturelles telles que Monumenta ou Nuit Blanche. 157 Les utilisateurs d’audioguide attendent en effet le discours d’un guide au sein de l’outil DESHAYES, Sophie, « Audioguides et musées », la lettre de l’OCIM n°79, 2002, p.28  

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  50  

autour de l’exposition, en adaptant son discours en fonction de ses interlocuteurs158. Les

dispositifs mobiles fonctionnent plus ou moins sur le même principe et suppose une

démarche et un engagement personnel de la part du visiteur : c’est parce que ce dernier aura

envie de flasher un code QR, qu’il se connectera à une borne Bluetooth ou téléchargera une

application Smartphone qu’il accèdera à des contenus. Il sélectionnera ensuite ces contenus

en fonction de ses propres intérêts : regarder une vidéo sur un artiste, lire du contenu texte,

écouter un commentaire sur une œuvre, répondre à un quizz, faire un commentaire de sa

visite sur Twitter… C’est l’action du visiteur qui engage le processus de connaissance en

fonction de ses attentes. Cela suppose qu’il ne se laisse pas « guider » par une personne ou

une voix. Ce phénomène s’observe également dans les usages amateurs du mobile : les

visiteurs prennent une photographie ou font une recherche sur internet s’ils en ont l’envie ou

en ressentent l’utilité. Ainsi, pour Annie Gentes, les modes de réception des connaissances

sont différents avec un audioguide ou un mobile :

« Avec un audioguide, la situation de communication est balisée : le visiteur

vient pour apprendre, le musée lui fournit des informations. Or les téléphones

mobiles et les ordinateurs de poche (PDA, pocket PC, tablettes Internet) ne sont pas

des terminaux, mais des appareils à enregistrer, à écrire et à communiquer. On peut

prendre des photos, envoyer des SMS, récupérer et échanger de l'information159. »

Nous pouvons constater le même phénomène entre la visite-conférence et la

médiation « présence » : dans la première la situation de communication est quasiment à

sens unique160, alors que dans la seconde, le médiateur part au contraire de ses interlocuteurs

pour engager l’échange. Celui-ci est ouvert à la communication puisque que la discussion

s’engage autour d’un petit groupe personnes (famille, couple, amis…). Les gens sont alors à

l’aise pour partager leur opinion, référence, interprétation…

Comme le dit Annie Gentes, c’est justement parce que le téléphone mobile est avant

tout un outil de communication, que l’interactivité peut avoir lieu, contrairement à l’écoute

de contenus transmis par un audioguide ou lors d’une visite guidée.

                                                                                                               158 DEHON Clélia, « Chargé(e) de médiation culturelle : une profession protéiforme », op.cit. p.4 159 GENTES Annie, in Le Monde, op.cit. 160 Lors de visite avec un guide conférencier il est en général complexe pour les visiteurs d’échanger entre eux, le discours du guide « limitant les échanges inter-individuels entre proches, à moins de contrevenir aux règles de la bienséance de la visite en groupe ». Il est donc convenu qu’il faut « écouter le guide ». La présence des autres visiteurs peut être intimidante pour certains visiteurs qui n’oseront pas s’exprimer ou poser librement une question. DESHAYES, Sophie, « Audioguides et musées », Ibid. p.26

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  51  

Nous pouvons dire que le téléphone mobile est bien un outil de multi-médiation.

Outre le fait de transmettre des contenus, via différentes technologies et de permettre leur

partage, il canalise aussi un certain nombre d’outils de médiation « traditionnels », grâce à

ses multiples fonctionnalités. Pour résumé, nous pouvons reprendre les propos de Roxane

Bernier et Bernadette Goldstein, qui, dès l’introduction de l’ouvrage « Public et Musées »

sur les nouvelles technologies annoncent que « les technologies interactives multimédias

recouvrent une grande diversité de supports, de pratiques d’utilisateurs et de contextes

d’usage161 ». Plus de dix ans après la publication de ce recueil, nous constatons que cette

remarque s’adapte tout a fait aux nouveaux outils multimédias des musées tels que le

téléphone mobile, qui recouvre à lui seul une offre plurielle de technologies, de pratiques, de

contextes, de fonctions et donc de possibilité de médiations.

S’il nous a paru important de traiter du téléphone portable sous l’angle du multiple,

c’est que les impacts de cette multi-médiation sont considérables sur la façon d’envisager les

logiques d’usage de ces outils. La deuxième partie de ce chapitre fera place à une réflexion

concernant les effets de la multi-médiation, et notamment sur les apports ou les

modifications qu’elle pourrait entrainer sur les modes de réceptions et le processus

d’appropriation des contenus par les publics.

2. Effets de la multi-médiation

Le téléphone mobile offre un large choix de pratiques aux publics des musées, dont il

convient désormais d’analyser les effets. En multipliant les accès à la présence du muséal, le

mobile augmente dans le même temps les circonstances et les approches des contenus

proposés par l’institution ou collectés et enregistrés par les visiteurs eux-mêmes.

Nous verrons que les dispositifs sur terminaux mobiles impliquent souvent un triple

niveau de médiation, répondant à trois moments distincts autour d’une visite au musée : la

sensibilisation, l’enrichissement et le prolongement. Nous aborderons ensuite la question du

« musée virtuel », celui qui permet aux visiteurs, à distance, un « embrassement du

regard162 ». Enfin, nous nous demanderons dans la dernière partie de ce chapitre si le recours

à de multiples technologies mobiles et à leurs fonctionnalités n’émane pas pour les

institutions muséales du profond désir d’attirer de nouveaux publics à visiter l’institution.

                                                                                                               161 BERNIER Roxane ; GOLDSTEIN Bernadette, Introduction, in Publics et Musées n°19 op.cit., p.11 162 Expression empruntée à Agnès Vigué-Camus, op.cit., p.49

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  52  

a. Un triple niveau de médiation La multi-médiation offerte par le téléphone portable a fait naître différents niveaux

d’accessibilité des contenus, en particulier lorsque c’est l’institution muséale qui est à

l’origine de leur conception.

Toute pratique culturelle repose sur la division de trois moments temporels : un

« avant », un « pendant » et un « après ». L’ « avant » suppose une préparation, physique

(achat d’un billet etc.) et/ou mentale (lecture d’une affiche ou d’un flyer, la visite du site

internet etc.). Ce moment préfigure la découverte et la sensibilisation de la pratique. Le

« pendant » est le moment de la pratique culturelle et l’ « après » correspond en général au

prolongement de la visite (la lecture d’un catalogue, la recherche d’informations

complémentaires, la discussion de cette pratique avec un proche etc.). L’ « après » est le lieu

d’une expérience entamée, qui murît et s’agrège au bagage socioculturel de chaque individu.

Les outils de médiation mobile institutionnels sont les premiers outils de médiation à

permettre un accompagnement du visiteur en continue, c’est-à-dire pendant ces trois phases

d’acquisition et d’appropriation des œuvres. C’est particulièrement le cas avec les

applications Smartphone de musées. Celles-ci prolongent en ce sens les fonctions des sites

internet de musées163, qui permettent aux visiteurs de se renseigner et de découvrir

l’établissement en amont et en aval, mais ne le suivent pas stricto sensu lors de leur parcours

de visite. Rappelons toutefois que la consultation d’un site internet de musée pendant la

visite de celui-ci est cependant rendue possible grâce… à un téléphone mobile équipé d’une

connexion internet. On pourrait également établir une comparaison entre les applications

Smartphone et les podcasts qui sont téléchargeables sur les sites internet. Il y aurait

cependant fort à parier que la plupart des publics écoutent peu les commentaires audio des

podcasts avant d’avoir visité une exposition, contrairement à ceux des applications

Smartphone, qui s’inscrivent dans un contexte multimédia plus développé (présence de

visuels…). Le caractère multimédia et novateur des applications muséales concourent sans

doute à rendre plus attractifs ce support et encourage les utilisateurs à la parcourir en avant

et après leur visite.

C’est pourquoi nous pouvons parler ici d’une « triple niveau de médiation ». Les

technologies mobiles permettant aux publics de disposer, en un seul et même outil,

d’informations nécessaires à l’appréhension des objets du musée.

                                                                                                               163 BOWEN Jonathan ; BENETT Jim ; JOHNSON James, « Visiteurs virtuels et musées virtuels », « Public et Musées », n°19, op.cit. p.109

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  53  

Préparer et sensibiliser

Les applications Smartphone ou encore les codes QR disposés sur les affiches

d’expositions peuvent contribuer à la découverte, la sensibilisation et la préparation d’une

visite au musée. Elles donnent en effet des informations pratiques (horaires d’ouvertures,

adresse, accessibilité aux personnes à mobilité réduite…), permettent de se faire une idée de

l’exposition grâce aux visuels et contenus explicatifs, d’obtenir un audioguide, parfois de

sélectionner un parcours de visite personnalisé164, d’acheter les billets etc. Si les codes QR

dans le contexte publicitaire se cantonnent généralement à la diffusion d’informations et à la

promotion, les applications mobiles sont avant tout réalisées dans l’optique d’un usage in

situ. Cependant, nombreux sont les utilisateurs et futurs visiteurs à télécharger les

applications muséales en amont de leur visite, afin de se familiariser avec l’exposition.

Ainsi, 58% des utilisateurs de l’application iPhone « Monet » l’avaient téléchargée à leur

domicile, avant leur venue aux Galeries Nationales du Grand Palais165.

Enrichir

Une fois téléchargée, en dehors du contexte muséal ou dans l’enceinte de l’institution

si cela est possible166, l’application muséale permet de concrétiser la sensibilisation des

œuvres et de pousser à son terme l’exploration de l’outil. En contexte, la navigation de

l’application s’approfondie et laisse place à l’enrichissement, l’apprentissage de

connaissances, voire parfois au divertissement. L’application se « consomme » et s’amortie

par la présence physique de l’utilisateur dans le musée. C’est également dans ce cadre

qu’entre en jeu les autres dispositifs mobiles, notamment pervasifs, ou les pratiques

amateurs avec le mobile, que nous avons détaillés dans le chapitre précédent.

Prolonger et conserver

Après leur visite, les visiteurs peuvent consulter de nouveaux tous les outils

téléchargés sur leur mobile, dans un autre contexte. À l’issue de leur visite, 62% des

personnes interrogées lors de notre enquête affirment être certaines de réutiliser

ultérieurement l’application et 31% disent qu’ils le feront peut être167. Nous avons pu

constater que le prolongement de la visite était très souvent associé à un sentiment de

                                                                                                               164 Cf. ANNEXE IV n°11-B, Application Smartphone de la Cité Nationale de l’histoire l’Immigration, p.144 165 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, graphique 12 répartition des lieux de téléchargement de l’application, p.20  166 Le téléchargement d’une application muséale in situ nécessite dans certains cas la mise en place d’un réseau wifi accessible aux visiteurs, notamment lorsque l’application contient beaucoup de contenus. 167 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.36

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possession et de conservation. Les utilisateurs apprécient le sentiment d’appartenance que

leur procure le téléchargement d’une application : « on peut la réécouter à l’infini », « sa

durée n’est pas périssable168 ». De même, des photographies ou des notes prises avec le

téléphone au cours de la visite pourront être conservées, voire diffusées auprès du cercle

familial ou sur internet169. La conservation dans le mobile permet ici le prolongement de

l’expérience muséale. C’est parce que les contenus intégrés dans le mobile ou enregistrés par

celui-ci font partie de l’expérience propre à chaque visiteur et lui appartiennent que leur

sauvegarde est importante.

Ces différentes étapes de médiation sont également indépendantes les unes des

autres. L’intérêt des outils mobiles est d’assurer une permanence, car certaines technologies

sont en règle générale déjà dans la poche des publics entrant dans l’institution. Ainsi, un

visiteur n’ayant pas prévu initialement de se rendre au musée, ni de louer un audioguide,

aura la possibilité de pouvoir accéder à des contenus sur son propre outil, sans avoir préparé

sa venue. Avec les applications Smartphone, les logiques d’usages sont encore plus

indépendantes : un visiteur peut télécharger l’application pour sa valeur en soi, par exemple

sans avoir envie de l’utiliser pendant son parcours dans le musée. Autre cas de figure : des

personnes peuvent avoir visité une exposition et ressentir ensuite l’envie de télécharger

l’application pour « revivre l’exposition autrement170 ». Au Grand Palais, un grand nombre

de possesseurs d’iPhone n’avait pas conscience de l’existence d’une application ; nous les en

informions par le sondage. Certains d’entre eux nous ont confié leur déception d’être passés

à côté de l’information et ont émis spontanément l’intention de le faire chez eux, « par

curiosité » ou simplement « car c’est toujours intéressant d’avoir les commentaires, même

après »171.

Ce triple niveau de médiation entre le public et les œuvres est donc rendu possible.

La multiplicité des technologies, des fonctions et des formes des contenus muséaux ont pour

effet de multiplier les moments et les accès à la médiation. Un visiteur pourra utiliser une

application à travers le cheminement de cette triple médiation, ou décidera de n’utiliser

qu’une ou deux des utilisations possibles, preuve que l’application a une valeur en soi,

indépendamment de la visite au musée. Cette utilisation en soi nous amène à évoquer

                                                                                                               168 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone aux Galeries Nationales du Grand Palais, 14 janvier 2011 169  Par exemple, sur un blog personnel ou sur un site spécialisé comme Flickr  170  Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone « Monet », le 12 janvier 2011  171 Ibid.

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l’existence d’une logique d’usage totalement affranchie de la visite au musée : la visite « à

distance » ou la visite « virtuelle », essentiellement favorable aux personnes physiquement

éloignées du musée.

b. « L’embrassement » du regard et la (re)découverte à distance

À la fin des années quatre vingt dix, le développement d’internet et des logiciels font

pénétrer le musée dans de nouvelles sphères, comme celle de la vie privée et du quotidien. Il

est désormais possible pour les institutions muséales d’atteindre différemment leur public

« en leur offrant une nouvelle expérience à partir de lieux extérieurs comme le bureau,

l’école et la bibliothèque municipale.172 ». Il s’agissait à l’époque d’un des effets opérés

grâce aux premiers sites web de musées et aux CD-ROM. Cette tendance consistant à

approcher virtuellement le musée par le biais d’internet est toujours ancrée dans l’actualité,

notamment par le biais de projets initiés par la société Google. Nous pouvons citer à titre

d’exemple la visite de musées et la découverte de chef d’œuvres de la peinture rendu

possible par la technologie de Google Earth173 ou plus récemment encore par le projet

intitulé « Google art174 ». Grâce à ces procédés, il est permis aux utilisateurs de zoomer sur

des œuvres en haute définition, voire de déambuler dans les salles des musées présentés.

L’ordinateur et la connexion internet sont donc des fenêtres ouvertes sur le monde des

institutions muséales. Les utilisateurs deviennent des « visiteurs virtuels », capables de se

téléporter dans un lieu.

La récente apparition des Smartphones et de leurs applications ont permis cet

« embrassement du regard » : autrement dit cette contemplation et cette accolade virtuelle

avec les œuvres. Tout comme un site internet de musée, ces applications sont accessibles à

n’importe quel utilisateur équipé dans le monde. Dans le cadre de notre recherche, nous

avons téléchargé et analysé des applications iPhone muséales de différents musées

internationaux.

Mais les applications mobiles vont encore plus loin que les sites internet de musées

car une fois téléchargées elles sont accessibles non plus seulement au domicile, à l’école, au

                                                                                                               172 BOWEN Jonathan ; BENETT Jim ; JOHNSON James, op.cit. p.110 173 Google Earth est un logiciel de la société Google permettant une visualisation de la terre avec un assemblage de photographies aériennes ou satellitaires. Ce logiciel permet pour tout utilisateur de survoler la Terre et de zoomer sur un lieu de son choix. Selon les régions géographiques, les informations disponibles sont plus ou moins précises. Ainsi un New-Yorkais pourra localiser son restaurant préféré ainsi qu'obtenir une vue en 3D des immeubles de la métropole alors que la résolution des photos d'une bonne partie de la Terre est très faible. Le logiciel dispose d'une version gratuite et de versions payantes pour les professionnels. (Source : http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=369) 174 http://www.googleartproject.com/

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bureau ou à la bibliothèque municipale, mais où que l’on se trouve. Je peux ainsi combiner

la présence muséale de mon mobile à son caractère transitionnel175 en consultant

l’application d’un musée aussi bien dans les transports en commun, dans la salle d’attente

chez le médecin ou à la terrasse d’un café. Pour Agnès Alfandari, Directrice du service

multimédia du musée du Louvre, l’idée d’une application iPhone dédiée « n'est pas d'en

faire un guide multimédia pour le visiteur du musée, mais plutôt d'avoir « le Louvre dans sa

poche, où que l'on soit176 ». La présence du musée devient dès lors permanente. Et la faculté

dont dispose le téléphone mobile à « ne jamais nous quitter177 » donne lieu au transport de

l’institution muséale dans des lieux parfois improbables.

Car la possibilité de se téléporter dans l’institution par le biais du mobile concorde

avec l’aspect ubiquitaire du téléphone, qui est lui-même l’objet par excellence de la

téléportation. Lorsque je passe un appel je me transporte mentalement dans la sphère de mon

interlocuteur, en imaginant sa posture, en écoutant les sons de son environnement immédiat

etc. L’ubiquité propre au mobile et l’ubiquité possible par l’utilisation d’une application

muséale à distance se rejoignent et se complètent, comme si le musée s’appropriait les

fonctions et les caractéristiques de l’outil en sa faveur.

Comme on l’a dit, la consultation des applications mobiles à distance permet à des

personnes qui sont éloignées physiquement de l’institution ou éprouvent des difficultés à se

déplacer de pourvoir « l’embrasser du regard » et découvrir les objets exposés ou les

redécouvrir178. Lors de notre étude aux Galeries Nationales du Grand Palais, une dame

d’origine nord-africaine interrogée à la sortie de l’exposition nous demande si l’application

peut se télécharger partout dans le monde avec un iPhone. Suite à notre réponse positive,

elle nous explique son intention : « Très bien, je vais dire à ma fille, qui habite en Tunisie,

de la télécharger alors, comme ça elle pourra voir ce que j’ai vu et on pourra en parler

ensemble, parce que c’était magnifique, elle aurait beaucoup aimé !179 » La découverte à

distance est ici l’occasion de partager avec ses proches une émotion suscitée lors de la visite.

Mais il peut aussi s’agir de « rattraper » virtuellement une exposition manquée, par faute de

temps par exemple.

                                                                                                               175 JAURÉGUIBERRY Francis, op.cit., p.36 176 Interview de Agnès Alfandari réalisée par Yvon Le Mignan dans le dossier « Les Musées à l’ère numérique, les nouveaux territoires du Louvre » sur le site Culture Mobile. http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 177 FERRARIS Mauricio, op.cit., p.14  178 VIGUÉ-CAMUS Agnès, op.cit., p.59 179 Notes personnelles, données qualitatives recueillies lors du sondage sur l’application iPhone Monet, Galeries Nationales du Grand Palais, le 15 janvier 2011.

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  57  

Par ailleurs, il est intéressant de constater que certaines institutions voient cet outil

comme un moyen pour attirer, sur le long terme, de nouveaux publics. Agnès Alfandari

affirme en ce sens : « L'idée n'est pas de fournir un outil supplémentaire à la visite mais

d'aller parler à des gens qui ne sont jamais venus visiter le Louvre.180 ». Les propos d’Agnès

Alfandari s’inscrivent dans une interrogation plus large, évoquée plus en avant dans

l’interview : « Aujourd'hui, le Louvre n'a pas de problèmes de fréquentation, c'est plutôt un

problème de sur-fréquentation qui se pose, et cela va encore se vérifier pour les cinq à dix

ans qui viennent. Mais, ensuite ?... 181» Autrement dit, il s’agirait avec les supports mobiles

d’aller « chercher » le visiteur à distance et de « susciter sa curiosité » afin de lui donner

envie de se rendre dans l’institution en question. Dans ce cas, l’inscription du musée sur ce

type de plateforme serait avant tout une opération de communication et de séduction de

l’institution, motivée par la volonté d’attirer davantage de visiteurs.

Les auteurs de l’article « Visiteurs virtuels et musées virtuels » rappellent à juste

titre que « Les ressources en ligne viennent suppléer aux services déjà disponibles dans le

musée réel ; les « musées virtuels » ne doivent en aucun cas remplacer les vrais musées

mais bien être un outil pour encourager la visite réelle182 ». Est-ce dans cette logique

qu’agissent les musées présents à travers leur positionnement au sein d’applications iPhone

ou cela relève t-il davantage d’une motivation commerciale (développer l’offre pour générer

de nouvelles ressources pour les applications payantes) ou communicationnelle

(positionnement de la structure sur un outil « novateur ») ?

Quoi qu’il en soit, cette réflexion nous conduit à aborder un enjeu institutionnel de la

multi-médiation et des nouvelles technologies mobiles : l’attraction de nouvelles cibles de

publics. La partie suivante fait état des différents publics ciblés, touchés ou à conquérir par

ces outils.

3 – Quand le musée « appelle » son public  

À la question : « Pensez-vous que ce type de dispositif peut amener d’autres publics

au musée, peut-être des primo-visiteurs ? » Catherine Collin nous répond : « Nous y

croyons. C’est aussi pour cela que nous y travaillons183 ». Les applications mobiles

pourraient inciter des publics fréquentant peu les institutions muséales à s’y rendre. Soit

                                                                                                               180 http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 181 ibid. 182 BOWEN Jonathan ; BENETT Jim ; JOHNSON James, op.cit. p.121  183 Cf. ANNEXE II D - Entretien avec Catherine Collin, p.35

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  58  

parce que ces publics sont séduits par les nouvelles technologies, soit parce que le type de

visite proposée par le téléphone « peut faire moins peur, peut rassurer et donner envie184 ».

Nous proposerons ici une analyse détaillée des publics qui semblent ciblés, touchés ou qui

restent selon nous à conquérir par les musées à travers les dispositifs mobiles, et notamment

les applications Smartphone. Toutefois, plus qu’un moyen d’accroître la visibilité de

l’institution et de toucher de nouveaux visiteurs, nous nous demanderons si ces outils, par

leur forme multiple, ne répondraient pas avant tout à un objectif, voire une mission, propre

aux institutions muséales en s’adaptant aux besoins de médiation propre à chacun ?

 

a. Public ciblé

Les publics jeunes

Depuis le lancement de la première application iPhone pour le musée du Moyen-

Âge, on peut lire sur le site de la société Audiovisit185 un communiqué de presse annonçant

clairement l’intention du musée :

« Afin d’améliorer son attractivité en direction des 15-25 ans, le musée

national du Moyen Âge - Hôtel et Termes de Cluny, propose depuis le 4 avril 2009

de nouveaux outils d’aides à la visite. Le musée national du Moyen Âge est ainsi le

premier musée en Europe à être présent sur toutes les nouvelles technologies

mobiles, touchant ainsi la quasi-totalité des 15-25 ans186 ».

Les outils apparaissent clairement comme une stratégie pour attirer les adolescents et

jeunes adultes au musée de Cluny. Agnès Alfandari, dans l’interview que nous avons citée

dans la partie précédente, évoque de front la question du jeune public : « Nous ressentons

une nécessité impérative de réfléchir à de nouvelles approches de médiation pour séduire le

jeune public. C'est en ce sens que les expérimentations en mobilité, y compris sur les

consoles de jeux, sont de notre point de vue décisives187 ». Interrogé sur ce potentiel attractif

des applications Smartphone sur les publics, Benoît Villain, affirme que « L’idéal serait

effectivement de pouvoir toucher de nouveaux publics, comme le public étudiant188. »

                                                                                                               184 Ibid. 185 Société prestataire de la RMN-Grand Palais ayant développé les différents outils mobiles pour le musée de Cluny ainsi que pour l’ensemble des musées sous la tutelle de la RMN-Grand Palais (musée Chagall, musée Fernand Léger…) 186 Site de la société Audiovisit : http://www.audiovisit.fr/communiques.php?rg=0  187 http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 188 Cf. ANNEXE II C - Entretien avec Benoît Villain, p.29

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  59  

Rappelons que, en 2009, 73% des 12-­‐17 ans possédaient un téléphone portable, dont

29% un mobile connecté à internet189. Les adolescents sont donc très équipés et on peut dire

que le téléphone est un objet qu’ils connaissent, reconnaissent et, pour plus de la moitié

d’entre eux, utilisent. Il représente un objet intime et personnel leur permettant d’accéder à

une certaine forme d’autonomie190. Le mobile est donc généralement apprécié par les

adolescents. On comprend mieux pourquoi les musées, qui peinent à faire venir ces

publics191, misent sur ce type d’outil pour proposer une médiation aux allures

« décomplexées », par lequel le geste d’apprentissage est « désacralisé ». Nous entendons

par « décomplexé » le fait que l’adolescent sera sans doute plus à l’aise avec un outil qu’il

reconnaît symboliquement et maîtrise techniquement, et qui fait écho avec son

environnement quotidien, qu’avec un audioguide ou un texte pédagogique, distribués par le

musée, qui pourraient lui apparaître d’emblée comme des éléments « scolaires ». Par le biais

du téléphone, l’aspect « studieux » ou « sérieux » de la médiation semble alors s’effacer.

Dans ce contexte, les applications muséales pour mobile apparaissent comme le

moyen rêvé pour entrer directement en contact avec ces publics, puisque qu’elles peuvent

s’immiscer dans leur sphère privée pour leur donner l’envie et l’idée de se rendre au musée.

Nous avons demandé à Yann Hamet, un an et demi après le lancement de

l’application iPhone du musée de Cluny, si les objectifs du musée avaient été atteints en

termes d’attractivité du public adolescent :

« Nous nous sommes vite rendu compte que c’était un peu un leurre de croire

que nous allions attirer les 15-25 ans avec ce genre de nouvelles technologies. Nous

avons eu cette illusion au tout début, mais c’est vite passé, car que ce soit les iPhone,

iPod, ou autres systèmes, ce ne sont pas les 15-25 ans qui sont le plus accros à tout

cela, ce sont les 30-45 ans. Ces publics ont un appétit d’enrichir leur connaissance

avec de nouveaux moyens.192 »

                                                                                                               189 TNS Sofres. « Les adolescents, leur téléphone portable et l’Internet mobile », 2009 http://www.tns-sofres.com/_assets/files/2009.10.06-ados-mobiles.pdf 190 MARTIN, Corinne, « Téléphone portable chez les jeunes adolescents et leurs parents : quelle légitimation des usages ? » Deuxième Workshop de Marsouin 4 et 5 décembre, ENST Bretagne, Brest, 2003, p.8 191 Voir à ce sujet les études suivantes : TIMBART Noëlle et GIRAULT Yves, « Représentations sociales et pratiques déclarées des adolescents franciliens sur les musées ». Colloque « Adolescence : entre défiance et confiance », Roubaix, avril 2006. PROTOYERIDES Michèle, “Jeunes et musée d'Art : mariage de déraison ?”, Migrants-Formation, n°111, pp. 153-160 décembre 1997 ALLARD Michel, « Les adolescents et les musées », Revue des Sciences de l’éducation, Vol. XIX, n°4, pp.765-774, 1993 192 Cf. ANNEXE II B - Entretien avec Yann Hamet, p. 23

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  60  

Notre enquête aux Galeries Nationales du Grand Palais confirme cette remarque:

seulement 2% des jeunes ayant moins de vingt ans utilisaient l’application dans l’exposition

durant notre période de terrain193. À l’inverse les personnes ayant entre 35 et 70 ans étaient

les plus nombreuse à utiliser cet outil et représentent près de 70% des utilisateurs194.

Lorsque l’on observe les contenus des applications mobiles, on se rend compte qu’ils

souvent identiques à ceux des audioguides « traditionnels ». Une fois la découverte de

l’application passée, les jeunes auront-ils toujours envie de se rendre dans l’institution pour

l’utiliser ?

Selon une étude réalisée par Nöelle Timbard et Yves Girault sur les adolescents et le

musée, l’institution doit proposer, pour répondre au mieux à leurs attentes, des activités

privilégiant : « manipulations, expérimentations, recours aux nouvelles technologies sous un

mode ludique195. » Or, l’aspect « ludique » est souvent absent des applications Smartphone

conçues par les musées, qui ont pour le moment tendance à privilégier un contenu

scientifique.

Le museum of Modern Art (MoMA) de New York a pris le contre-pied de ces

applications en mettant à disposition dans son application Smartphone des contenus audio

spécifiquement conçus pour les adolescents196. Ces contenus ont été réalisés et enregistrés

par des étudiants d’une université New-yorkaise. Le type de langage employé est adapté aux

jeunes. L’intervention de plusieurs personnages qui discutent, dont des artistes, et la

présence de fond sonore – musique rap et électronique – dynamise les pistes audio qui ont

pour intention de « capter » l’attention des adolescents. En voyant que des contenus lui sont

spécialement destinés, un adolescent aura peut-être davantage envie de visiter le musée. En

s’adressant directement à eux, le MoMA a sans doute plus de chance de susciter l’intérêt et

l’apprentissage des adolescents via une application mobile. En France, seule l’application du

LaM de Lille propose un contenu audio destiné aux adolescents197. Il ne s’agit cependant

que d’un extrait de 1min50 pour promouvoir la location du visioguide proposé sur place

(iPod Touch). Sous cet angle, le téléphone sert d’outil de communication et de promotion

plus que de médiation.

Nous envisageons davantage les nouvelles technologies mobiles comme un moyen

d’accompagner les adolescents in situ dans leur découverte des œuvres plutôt que comme

                                                                                                               193 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.11 194 Ibid. 195 TIMBART Noëlle et GIRAULT Yves, op.cit. p.5 196 Cf. ANNEXE IV n°10-A, public adolescent et applications iPhone, p.140 197 Ibid.  

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  61  

moyen de les attirer vers l’institution. La solution se trouve peut-être du côté des outils

pervasifs, qui permettent aux jeunes une manipulation et une interactivité forte, comme ce

fût le cas avec le projet SMARTMUSE au Studio 13/16 du Centre Pompidou ou lors du

projet PLUG au musée des Arts et Métiers. Dans ce cadre, les jeunes appréhendent les

nouvelles technologies de façon ludique et didactique. Si l’expérience de visite leur a plu, ils

seront plus à même de la réitérer. De cette façon, il nous paraît plus approprié de considérer

et de mettre en lien accompagnement et développement des publics.

b. Publics approchés

Les touristes étrangers

Nous l’avons évoqué dans la partie précédente : les publics d’origines étrangères,

éloignés de l’institution, peuvent télécharger une application pour sa valeur en soi. Bien

qu’elle ne soit pas toujours dans leur langue maternelle, l’aspect visuel de l’application ou le

prestige de l’institution peuvent largement contribuer à son téléchargement par des

personnes provenant d’autres pays.

Dans la rubrique « touristes étrangers » de son site internet, le musée du Quai Branly

propose d’ailleurs le téléchargement de son application iPhone à ces visiteurs. Au musée des

Arts décoratifs, Catherine Collin réfléchit actuellement avec ses équipes à un dispositif,

accessible in situ avec un téléphone mobile, qui serait destiné aux visiteurs étrangers198.

La mise à disposition d’une application muséale française en langue anglaise

favorise naturellement une extension des utilisateurs. Mais il a été plus surprenant de

constater lors de notre enquête de terrain que plusieurs touristes étrangers – russes,

allemands, suisses, espagnols – avaient utilisé l’application en anglais, alors que pour la

plupart d’entre elles, l’audioguide était disponible dans leur propre langue. Nous ne pouvons

pas affirmé si cette préférence d’utilisation est le fait d’un manque d’informations

concernant l’offre d’audioguide, si elle est liée à une question de prix – l’audioguide étant

plus cher que l’application – ou si elle résulte d’une réelle volonté d’utiliser l’application

iPhone. Toutefois, nous avons eu des échanges avec certains touristes étrangers et - encore

une fois- la valeur de l’outil en soi, le caractère visuel et la conservation après la visite

semblent avoir été déterminant dans l’utilisation de ce support. Une dame nous dira en

allemand : « J’ai regardé l’application dans le train de Zürich à Paris. Les images m’ont

projeté dans la visite. Oui, c’était en anglais seulement mais je me suis dit que je pouvais

                                                                                                               198 Cf. ANNEXE II-C, Entretien avec Catherine Collin, p. 33  

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faire un effort.199 » Son mari, allemand également, a quant à lui utilisé l’application en

français. Ils n’ont pas envisagé de prendre un audioguide dans leur langue pour la raison

suivante : « Nous n’aimons pas vraiment les audioguides. Nous avions téléchargé

l’application avant de venir alors on s’est dit « Pourquoi ne pas l’utiliser dans

l’exposition200 ? » ». Ces propos sont intéressants : ils rappellent l’aspect ubiquitaire des

applications iPhone de musées, accessibles n’importe où et n’importe quand – ici dans un

train – et témoignent de l’attraction que peuvent avoir ces outils sur certains touristes

étrangers, même quand ils ne sont pas dans leur langue. Un dernier point nous semble

important à soulever et nous amène à la typologie de visiteurs suivants : des personnes non

utilisatrices d’audioguides pourraient être conquises par ce dispositif.

Publics non captifs des audioguides

Contre toute attente, l’usage du téléphone mobile semble participer à l’attraction de

visiteurs peu enclins à utiliser des audioguides dans les musées.

Il convient d’abord de signaler que, contrairement à ce qui est généralement répandu,

il semblerait qu’une corrélation puisse s’établir entre les visiteurs des musées201 et les

utilisateurs de nouvelles technologies, notamment les détenteurs de Smartphones, dans

certaines institutions. Au Grand Palais, 36% des personnes interrogées possédaient un

Smartphone, toute marque confondue202. Nous avons déjà évoqué le fait que certains de ces

visiteurs préfèrent se passer de l’application pour visiter ou optent pour la location d’un

audioguide. Mais à l’inverse, d’autres personnes nous confient qu’elles n’auraient pas pris

l’audioguide s‘il n’y avait pas d’application, car cette dernière, entre autres : « est plus

pratique », ou « n’oblige pas à faire la queue au comptoir des audioguides ». Ainsi, les

personnes équipées en technologies mobiles ne sont pas forcément celles qui apprécient les

dispositifs d’audioguide, qui peuvent même être mal perçus par les utilisateurs

d’applications. Un jeune homme ayant répondu au questionnaire nous dira en ce sens :

« J’ai utilisé l’application, mais je n’aurais pas pris d’audioguide, d’abord

parce qu’il est plus cher, mais aussi parce que je n’avais pas envie de ressembler à

                                                                                                               199 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone Monet, Galeries Nationale du Grand Palais, 15 janvier 2011 – propos traduits de l’allemand par moi même. 200 Ibid. 201 Précisons que notre étude s’est portée plus principalement sur un musée d’art et qu’il conviendrait d’étendre ces recherches pour confirmer une véritable corrélation entre visiteurs de musées et personnes équipées en nouvelles technologies mobiles 202 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.6  

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tous les gens qui se collent sur les tableaux avec leur appareil. Quand j’utilise mon

téléphone, je ne sais pas, peut être que les gens pensent que je fais autre chose

dessus, mais c’est très bien ainsi. »

Interrogée sur la question, une dame s’exprimera de la sorte : « Oh non je n’aurais

pas loué d’audioguide, je me sens ridicule quand j’en prends, mais avec le téléphone c’est

différent, c’est le mien, c’est ça que j’aime ».

L’usage du téléphone crée une ambiguïté et permet de se démarquer des visiteurs

ayant loué un audioguide. Ces conceptions, bien qu’un peu élitistes, témoignent toutefois de

l’attraction des publics non habitués aux audioguides pour ces technologies. Rappelons

pourtant que, comme dans le cas de l’application « Monet », ces dernières proposent à peu

de choses près le même service et les mêmes contenus. On voit se dessiner des divergences

symboliques entre les personnes équipées en Smartphone. D’une part, celles non-utilisatrices

d’audioguides qui voient un ou des avantage à télécharger une application alors qu’elles

n’auraient pas spécifiquement loué un audioguide et d’autre part celles qui préfèrent en louer

un plutôt que de l’avoir dans leur propre téléphone.

Prenons un autre exemple significatif. Benjamin Bardinet sait par expérience que « le

public du Palais de Tokyo n’est pas adepte d’un dispositif d’audioguides203 ». Les différents

projets menés par l’institution sur téléphone mobile avaient donc pour objectif de ne pas

ressembler à un audioguide traditionnel, dans le but de toucher ces publics. Ils contenaient

davantage des vidéos, de la musique et des informations sur la programmation culturelle

autour des expositions. Dans le cas présent, il s’agit d’une volonté émanant de l’institution,

qui connaît son public et souhaite développer des outils adaptés. Le téléphone portable est

préféré à l’audioguide pour son aspect plus « moderne ». Ce sont à la fois les publics non

utilisateurs d’audioguides, mais technophiles qui sont ici visés

c. Publics à conquérir

Public en situation de handicap : des possibilités de médiation encore inexploitées

Si des projets de visioguides à destination du public en situation de handicap auditif

sont présents dans certaines institutions204, « mettre les visio-guides en application iPhone

                                                                                                               203 Cf. ANNEXE II - E - Entretien avec Benjamin Bardinet, p.38 204 Notamment les musées suivants : musée des Beaux-Arts de Reims, musée d’art moderne de Lille (LaM) Musée national Magnin de Dijon, Musée national Marc Chagall de Nice, Musée national Fernand Léger de Biot, Musée national du Château de Malmaison.

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serait également très intéressant205. » L’aspect multimédia et la possibilité de lire des vidéos

interprétées en langue des signes françaises (LSF) permettraient en effet aux personnes

sourdes d’accéder de chez elles aux informations et/ou de visiter avec son propre outil. Le

LaM de Lille propose une vidéo de présentation en langue des signes dans son application

iPhone206, mais celle-ci ne constitue une nouvelle fois qu’un extrait du visioguide proposé

sur place.

La dimension auditive pourrait également être davantage développée au profit des

personnes malvoyantes207. Le MoMA de New York est ainsi le seul musée à proposer dans

son application iPhone plusieurs commentaires d’œuvres audio-décrites208.

Lors de notre enquête, une dame malvoyante utilisant l’application iPhone a répondu

à nos questions. Elle nous a notamment expliqué pourquoi il était plus pratique pour elle

d’utiliser ce type d’aide à la visite plutôt qu’un audioguide :

« C’est pratique pour moi parce que je peux voir avant de venir comment ça

fonctionne. Je télécharge, j’ouvre l’application et je la teste. Ça me permet de ne pas

trop stresser ou de ne pas perdre trop de temps sur place, de me concentrer sur autre

chose… Et puis aussi, je reconnais les peintures qui sont commentées (grâce aux

visuels présents dans l’application ndlr) et je n’ai pas à chercher un numéro près des

œuvres.209 »

Nous pouvons imaginer et souhaiter qu’avec le développement de ces technologies

mobiles, des applications Smartphone intègreront par la suite, à l’instar du MoMA, des

contenus audio ou vidéo spécifiques pour les personnes en situation de handicap visuel ou

auditif.

Le public familial

Bien que les téléphones soient des objets personnels, on peut imaginer des dispositifs

conçus spécifiquement à destination d’un groupe d’individus : le public familial. Pour Yann

Hamet c’est un public à conquérir, notamment par l’utilisation des nouvelles technologies :

                                                                                                               205 Entretien avec Philipe Guyon, directeur de PG Concept, personne sourde. http://www.dailymotion.com/video/xg2a8w_l-accessibilite-des-musees-aux-visiteurs-sourds_creation 206 Cf. ANNEXE IV n°10-C – Public en situation de handicap et application iPhone, p.142 207  De plus, les Smartphones, notamment l’iPhone, ont développé leur accessibilité, notamment pour les malvoyants, grâce à une fonctionnalité « voice over » qui énonce tous les éléments qui sont présents à l’écran.  208 Cf. ANNEXE IV n°10-C – Public en situation de handicap et application iPhone, p.142 209 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone Monet, Galeries Nationale du Grand Palais, 13 janvier 2011  

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« Nous réfléchissons au département des publics210 à la façon dont les

publics vivent leur visite et on revient à une réflexion sur les familles, comme cela

s’est fait dans les années quatre vingt et quatre vingt dix. Les enfants de quatre ans

utilisent aussi bien que nous l’écran tactile de l’iPhone. On voit que quand on

propose des choses pour les plus jeunes enfants, que ce soit sur des bornes ou des

livrets, c’est toute la famille qui s’intéresse au jeu. Il faut quelque chose qui réunisse

la famille211. »

En ce sens, les outils sur téléphone ont également un grand potentiel. Bien qu’avant

tout destiné à un usage individuel, ils peuvent se transformer en supports propices à

l’échange et l’interaction entre les membres d’un même groupe. Un des projets démontrant

au mieux ce principe est le jeu urbain organisé dans le cadre du Cube Festival212, où les

familles étaient réunies autour de différents outils numériques et utilisaient ensemble des

téléphones comme moyen de progresser dans le jeu en accédant à des indices pour se rendre

dans le lieu suivant, à la manière d’un jeu de piste. Le projet PLUG des Arts et métiers

illustre également le principe d’interactivité dans un groupe social à l’aide de téléphone

portable213.

Enfin, les applications Smartphone muséales et ludiques214 pourraient aussi être

propices au développement de cet effet : les familles, autour d’un seul outil, effectuent un

parcours ludiques, répondent à des quizz… La logique d’usage est ici intéressante car le

public familial se regroupe autour de l’outil et l’intègre totalement à leur visite : « On a pris

conscience que dès qu’il y avait de notre part la proposition d’un peu d’interactivité pour

les familles, supposons pour une famille de quatre personnes, trois d’entre eux gardaient

leur outil à la main et les quatre se rassemblaient autour d’un même outil tenu par un

seul215. »

Bien que quelques expérimentations proposant des supports sur téléphone portable

aux familles aient eu lieux en France, on pourrait cependant regretter qu’elles ne soient

développées que sur le mode événementiel et ludique. Dans ce domaine, l’application pour

Smartphone du MoMA se révèle encore novatrice. Quelques conseils sont en effet prodigués

                                                                                                               210 Département des publics de la RMN-Grand Palais 211 Cf. ANNEXE II, B - Entretien avec Yann Hamet, p. 23 212 Cf. ANNEXE IV n° 5 –C5 – Le cube festival, p.89 213  Cf. ANNEXE IV n° 6 - A – Projet PLUG, p.91-93  214 Cf. ANNEXE IV n°4 - F - applications ludiques, p.74 215 Cf. ANNEXE II B - Entretien avec Yann Hamet, p. 23  

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aux parents dans l’onglet « Visiting with your family216 » de l’application pour qu’ils

puissent disposer d’éléments afin de mieux sensibiliser et accompagner leurs enfants à la

visite du musée. Des contenus audio adaptés aux enfants sont également disponibles. Les

musées ont pu mettre à disposition des familles des téléphones portables en tant que jeu ou

comme support de jeu, mais ces outils gagneraient à être aussi utilisés en tant

qu’accompagnement à la visite pour les plus jeunes et leur famille. C’est pourquoi nous

pensons que ce public reste à conquérir par les institutions muséales à travers des projets

pérennes et des contenus adaptés.

À l’issue de cette analyse, un constat ressort : les institutions muséales françaises qui

souhaitent attirer les publics peu familiers des musées grâce aux applications iPhone ne

s’adressent pas systématiquement à ces public et ne font que transposer dans leur application

des contenus déjà présents dans le musée. Cependant, notre enquête nous a prouvé que les

applications touchent d’autres publics : les publics étrangers, grâce à l’aspect ubiquitaire de

l’outil, et parfois même les publics non utilisateurs d’audioguides, attirés par la technologie

ou l’aspect personnel du produit. Toutefois, les potentialités de ces outils pourraient être

davantage exploitées pour répondre à des médiations plus ciblées, comme celles des

personnes en situation de handicap ou des familles.

d. La multi-médiation et l’éclosion de « tribus médiatiques »

En examinant les effets de la présence muséale institutionnelle sur les publics, nous

remarquons que la multi-médiation permet ou permettrait de s’adapter à différentes

typologies de visiteurs, à condition qu’ils soient équipés.

Loic Tallon affirme que comme chaque individu réagit de façon différente face aux

œuvres, il faut établir différents processus de médiation ; créer une variété de portails à

travers lesquels les visiteurs peuvent s’engager dans l’exposition217. Le téléphone mobile

semble en ce sens à lui seul être un outil prometteur, comme on l’a vu, par ses nombreuses

fonctionnalités et ses différents accès possibles à la médiation. S’il est généralement

répandu, à tort, que ces outils n’attirent qu’un public jeune et averti, nous pensons au

contraire qu’ils peuvent toucher un public large parmi les personnes fréquentant les lieux

d’expositions. Ce sera d’autant plus le cas avec la banalisation des Smartphones dans les

                                                                                                               216 Cf. ANNEXE IV n°10-B – Conseils aux parents pour visiter avec leur(s) enfant(s), application du MoMa p.141 (traduction des conseils par S.Wasselin) 217 TALLON Loïc ; WALKER Kévin, op.cit. p.22  

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années à venir. Cependant, la question du « faire venir », notamment les primo-visiteurs, par

le biais des applications Smartphone reste tout de même à se poser. Une étude plus

approfondie mériterait d’être menée, pour déterminer le niveau de motivation à la visite

induit par le téléchargement d’une application.

Grâce au téléphone mobile, on assiste au développement et à la multiplication d’une

offre de médiation parmi une offre déjà présente dans les expositions et elle-même de plus

en plus diversifiée (cartels, textes pédagogiques, audioguides, bornes multitouch, podcasts,

tablettes numériques, visites-conférences, médiation « présence » etc.). Dès lors, nous

pourrions nous interroger quant à l’effet de « surenchère » ; le visiteur ne risque t-il pas de se

sentir « submerger » face à cette multiplication de l’offre ?

Le musée des Arts décoratifs est présent sur trois applications pour Smartphone :

« Arts Décoratifs », « MobExplore218 » et « Décorative219 ». Cette triple présence de

l’établissement sur un tel outil suscite la question de la multiplication des supports et de leur

pertinence. Lors d’une conférence organisée par l’établissement sur les applications

muséales, Catherine Collin émet une réponse intéressante. Pour le musée, la multiplication

permet de toucher une pluralité et une diversité de publics et « plus on a de chance de

toucher, plus on répond à la mission de service public220 ». Autrement dit, l’enjeu de ces

supports de médiation n’est pas tant d’attirer de nouveaux publics que de toucher un large

public, de répondre à leurs besoins en étant en phase avec une des missions majeures des

institutions muséales publiques : celle d’être accessible au plus grand nombre. Pour les

institutions privées, telles que le musée Jacquemart-André ou la Pinacothèque de Paris, on

pourrait se demander si cette nouvelle offre ne serait pas liée à une volonté de mettre à

disponibilité un support de médiation moins onéreux pour l’institution qu’un dispositif

d’audioguidage, tout en la rentabilisant ou en générant des ressources propres, les

applications achetées par l’utilisateur dans le cas d’un musée privé.

Pour Yann Hamet, la multiplication des outils est une solution, et non une difficulté

dans la pratique des visiteurs. Il est convaincu que différentes « tribus » de public se

formeront symboliquement autour de chaque outil de médiation :

                                                                                                               218 Cf. ANNEXE IV n°4 – G1, Application « MobExplore », p.74 219 Sera prochainement disponible. Application fonctionnant sur le principe de reconnaissance des œuvres, renvoyant à des œuvres indexées, qui se trouvent généralement dans les réserves du musée. 220 Propos de Catherine Collin recueillies par moi même lors de la conférence « applications muséales », au musée des Arts Décoratifs, le 20 janvier 2011.  

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« Plutôt que de se rassembler sur une utilisation unique de nos services, il y

aura une diversification de la manière de vivre la visite au musée. Il y aura

différentes « tribus » : ceux qui seront « tout téléphone », ceux qui viendront avec

leur tablette, ceux qui viendront sans rien et auront envie de chercher des outils mis

à disposition ou encore d’autres qui voudront profiter du lieu sans outils… »

Cette constitution symbolique de différentes « tribus médiatiques » n’est possible

que parce que l’on assiste à une multiplication de l’offre de médiation.

Le concept de « multi-médiation » se dessine plus clairement à l’issue de ce chapitre.

Si le téléphone portable permet désormais aux musées de développer une présence

protéiforme, celui-ci canalise également par ses fonctionnalités un certain nombre d’outils

de médiation déjà présents dans les institutions. Les effets de cette multi-médiation sur les

logiques d’accès aux œuvres et aux savoirs sont de ce fait plurielles: visite virtuelle, visite in

situ, sensibilisation en amont, redécouverte et partage en aval… le téléphone permet une

diversité de rencontres avec les œuvres et les institutions, et constitue une véritable vitrine

des ces dernières. S’il est difficile de déterminer si les technologies mobiles attirent de

nouveaux publics, nous observons qu’elles ont cependant trouvées leur utilité auprès de

certains publics et qu’elles pourraient en attirer d’autres.

Les mobiles, en tant qu’outils hybrides, offrent de multiples possibilités médiatiques,

dont de nombreuses institutions muséales françaises ont su se saisir, ou pourraient se saisir,

afin d’accompagner leur public de façon traditionnelle ou singulière. Néanmoins, comme

nous l’avons déjà fait remarquer, le téléphone est à l’origine un objet de communication, qui

a la particularité d’être propre à chacun. Les institutions muséales usent-elles également des

dimensions sociales et personnelles inhérentes au téléphone portable ? Si la réponse est

positive, ces dimensions créent-elles une nouvelle forme de communication entre les publics

et les institutions ? Ces interrogations marquent les fondements de notre dernier chapitre.

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CHAPITRE  III    

LE  TÉLÉPHONE  PORTABLE,  OUTIL  DE  PROXIMITÉ    FORMES  D’INTERACTIONS  ET  DE  COMMUNICATIONS  

ENTRE  INSTITUTIONS  MUSÉALES  ET  PUBLICS    

« Les NTIC sont perçues comme un moyen rêvé de communiquer à tous les

publics le langage de la culture : l’art, l’histoire, les sciences etc. Elles soulèvent de

nombreuses interrogations, en particulier sur la manière dont les visiteurs vont

accéder à la connaissance, indépendamment de leur statut d’usagers221. »

Cette remarque est intéressante dans le cadre de notre étude, puisque les visiteurs et

utilisateurs du téléphone mobile en contexte muséal sont avant toute chose des usagers des

télécommunications. C’est précisément parce qu’ils disposent de ce statut qu’ils peuvent

accéder aux éléments transmis par les institutions muséales. Les échanges

communicationnels et l’ubiquité sont continus, même lorsque le visiteur utilise son

téléphone pour obtenir des renseignements sur les œuvres.

La recherche nous conduit, après l’étude de la présence muséale dans le mobile et ses

effets sur la médiation et les publics, à observer comment les postures d’utilisateurs et de

visiteurs peuvent s’imbriquer et tisser des liens avec les institutions ou même, comme on le

verra, entre les visiteurs. Parallèlement, nous nous demanderons si les nouveaux outils de

médiation mobile ne peuvent pas contribuer à une meilleure appropriation des contenus du

musée et si oui, de quelle(s) façon(s) ? Nous tenterons enfin, à l’issue de ce chapitre, de

cerner les principaux freins et les difficultés liées à l’utilisation des différents dispositifs

évoqués jusqu’alors.

1. Proximités et formes de connivence

a. L’institution dans nos poches

Nous avons déjà formulé dans le chapitre précédent que la faculté du téléphone

mobile consistant à ne jamais nous quitter222 - ou presque - permettait de transporter

symboliquement le musée dans des lieux insolites. L’institution muséale devient, dès lors                                                                                                                221 BERNIER Roxane ; GOLDSTEIN Bernadette, op.cit., p.11 222 En 1999, 85% des utilisateurs de portables le portaient en permanence sur eux et 21% ne l’éteignaient jamais. Avec la croissance du taux de pénétration du mobile, il y a fort à parier que ces chiffres ont également progressé à l’heure actuelle. GLAZIOU Stéphane, « Les services suivent les utilisateurs dans leur parcours » in Actes des IIème rencontres de la téléphonie mobile, Paris, 1999.

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qu’on télécharge une application ou un contenu de musée, un « conservateur en poche223 ».

Ainsi, les œuvres et les lieux d’expositions s’invitent dans une poche de pantalon, de veste

ou dans un sac à main, autrement dit dans les affaires personnelles. Agnès Alfandari y voit

un véritable avantage pour le musée : « Avec ces outils de mobilité, nous sortons des murs

du palais, nous allons sur des objets de tous les jours, et nous entrons en quelque sorte dans

le quotidien des gens224. »

Présente dans le téléphone, l’institution est rangée avec des données personnelles et

se positionne inconsciemment au cœur de notre intimité. Pour Mauricio Ferraris, manipuler

le téléphone portable d’un tiers revient à fouiller dans un sac : on entre dans la sphère

personnelle de la personne concernée225. Le mobile suppose aussi une certaine disposition

émotionnelle : « Le mobile, par rapport au fixe, possède un caractère émotif bien plus

prononcé, puisque comme je l’ai dit, il ne concerne que nous, il est intime226 ». En proposant

des services sur les plateformes mobiles, le musée frappe en quelque sorte à une porte, sans

savoir qui ouvrira et qui acceptera ou non de le laisser entrer227. En s’immisçant dans le

quotidien, dans l’intime, les contenus muséaux passent d’une existence purement

institutionnelle à une existence personnelle, dont l’utilisation est propre à chacun. Les gens

peuvent s’approprier le contenu, le consulter selon leurs envies, le classer où ils le souhaitent

etc.

Frédéric Kaplan, Ingénieur et spécialiste des nouvelles interfaces, a rappelé lors des

Entretiens du Nouveau Monde Industriel228 que : « l’intérêt principal des objets

communicants est d’instaurer un régime de valeurs particulier avec son possesseur. Des

valeurs qui ne seraient in fine ni pécuniaires, ni technologiques, mais basées sur les données

que ces objets contiennent et les expériences supportées.229 » De là, il parle de

métamorphose des objets où certains changent de registre de valeur, passant « d’objets qui

valent quelque chose » en « objets qui comptent pour quelqu’un ».

                                                                                                               223 Expression empruntée à Eric Biétry-Rivierre, « Audioguides des musées. Le banc d’essai » in Figaroscope, 17 février 2010, p.6  224 Interview d’Agnès Alfandari, op.cit. http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 225 FERRARIS Maurizio, op.cit. , p.43 226 Ibid. p.54 227 JAURÉGUIBERRY Francis, op. cit. ,p.21 228 Entretiens du Nouveau Monde industriel « Objets communicants et nouveau système des objets », 3ème édition, jeudi 26 et vendredi 27 novembre 2009, CNAM http://www.internetactu.net/2009/12/02/entretiens-du-nouveau-monde-industriel-concevoir-les-objets-de-demain/ 229  Frédéric Kaplan cité sur le blog de Clément Gault, chercheur http://www.designetrecherche.org/?p=523  

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On voit apparaître ici de nouveaux enjeux importants et propres au mobile : son

caractère personnel et « toujours mien230 » qui en font un véritable « prolongement de

moi231 ». Les institutions muséales, consciemment ou inconsciemment, jouent de ces

dispositions pour s’adresser au public ou pour lui proposer des informations plus

personnifiées. Nous tenterons de démontrer dans la partie suivante comment la présence de

contenus muséaux dans le téléphone peut modifier le rapport des utilisateurs à l’institution

ou aux objets.

 

b. La personnification : un nouveau rapport à l’institution et aux œuvres ?

Nous constatons que les contenus multimédias sur téléphone mobile, et plus

particulièrement les applications Smartphone, peuvent offrir au public deux formes de

proximité différentes à l’institution, soit par l’intermédiaire d’une personne représentant

l’institution, soit directement grâce aux œuvres.

En effet, le visiteur peut se rapprocher du musée par la présence d’un « porte parole »

figurant dans certains contenus : il s’agit généralement d’une personne hautement située

dans la hiérarchie du musée, comme le commissaire de l’exposition présentée, le

conservateur, le président ou le directeur de la structure232.

Ces personnes présentent, le plus souvent en introduction ou bonus dans une vidéo

ou un commentaire audio, l’exposition ou l’institution. Cette présentation peut revêtir deux

formes. Soit elle est réalisée à la manière d’une interview sur la base d’un témoignage ou

d’une note d’intention, comme c’est le cas le plus souvent dans les applications dédiées aux

expositions. Soit elle peut être davantage perçue comme une « annonce d’accueil » servant à

présenter le lieu, son architecture, son histoire, les collections et les services du musée.

La vidéo – ou la photographie accompagnant un commentaire audio – permettent aux

utilisateurs de se représenter physiquement leur interlocuteur. Par ce biais, l’institution

donne aux visiteurs potentiels l’image d’un établissement ouvert, accueillant et décomplexé,

dans lequel les dirigeants ou organisateurs peuvent s’adresser directement à eux.

Parmi les contenus de présentation destinée à « accueillir » virtuellement le visiteur,

on peut noter dans certains discours, une forme de connivence. C’est le cas de l’application

iPhone du Centre Georges Pompidou Metz dans laquelle Laurent Le Bon, Directeur du

Centre Georges Pompidou Metz invite à la visite : « Venez, pénétrons dans ces espaces de

                                                                                                               230 FERRARIS Mauricio, op.cit. , p.54 231 JAURÉGUIBERRY Francis, ibid.  232 Cf. ANNEXE IV n°9-H – Interviews de personnalités et personnels des musées, p.137-139

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magie et d’émerveillement pour découvrir toutes les formes d’art, les diverses propositions

du Centre Pompidou-Metz233. » L’emploi de la première personne du pluriel crée une

certaine forme de proximité entre les utilisateurs et le président, qui les incite à poursuivre

leur parcours virtuel en sa compagnie, à travers les autres vidéos de l’application iPhone.

Les formules employées par Alain Seban, Président du Centre Georges Pompidou Paris

participe également à cette image de l’institution proche des visiteurs : « Je suis heureux de

vous accueillir dans cette maison234. » ou encore « avec tous les agents du Centre, nous vous

souhaitons une excellente visite235 ». Le terme « maison » et l’inclusion des « agents du

centre » dans les propos du Président confère un caractère chaleureux et communautaire à

l’institution. Le visiteur prend une place très importante dans ces vidéos, puisqu’il s’agit de

le séduire et de le mettre à l’aise. Le Centre Pompidou Metz, récemment ouvert au public,

joue de cette possibilité en plaçant les publics sur un piédestal : « Finalement c’est une

exposition pour vous visiteurs, plus que pour nous commissaires, producteurs, qui avons

œuvrés depuis trois ans avec plus d’une centaine de personne, pour vous proposer ce projet

culturel.236 » Le discours met nettement en avant tous les efforts fournis par l’institution et le

personnel pour satisfaire le public.

Cependant, les propos peuvent être également incitatifs et s’apparenter à une

technique de marketing :

« J’espère que vous viendrez nous voir pour découvrir les activités du studio

et de l’auditorium, dédié aux conférences, aux concerts, aux spectacles vivants… et

finir par prendre un verre au bar et au restaurant. N’oubliez pas de passer par la

librairie, qui est une des belles librairies de France dédiée à l’art moderne et

contemporain237 ».

On peut ici s’interroger sur la forme promotionnelle de ce discours et l’incitation à la

consommation qui y est faite. Il en est de même dans la vidéo de présentation de Stéphane

Martin, Président du musée du Quai Branly, qui s’oriente davantage vers la fidélisation des

publics :

                                                                                                               233 Propos de Laurent Le Bon, Directeur du Centre Georges Pompidou Metz, Application iPhone du Centre Georges Pompidou Metz, vidéo d’introduction 3’14 à 3’20 min 234 Propos d’Alain Seban, Président du Centre Georges Pompidou Paris, vidéo « Bienvenue », Application iPhone du Centre Georges Pompidou 235 Ibid. 236 Propos de Laurent Le Bon, Directeur du Centre Georges Pompidou Metz, ibid., vidéo « Chefs d’œuvres ? » de 1’19 à 1’31 min 237 Ibid. vidéo d’introduction, 2’35 à 2’51 min  

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« Une visite au Quai Branly cela ne suffit pas, il faut venir régulièrement.

C’est une institution qui est là pour vous accueillir tout au long de votre vie si j’ose

dire et j’espère qu’en vous adhérant ou en venant vous y promener à chaque fois que

l’envie vous en prend, vous y trouverez des éclaircissements sur la grande question

de notre époque, c’est à dire, comment essayer d’habiter plus intelligemment et plus

poétiquement le monde238. »

Encore une fois, le Président s’adresse directement aux visiteurs, en particulier à

ceux qui se sont déjà rendus au Quai Branly, et tente de les convaincre de la nécessité de

visiter plusieurs fois l’institution. Il parle explicitement et à deux reprises d’adhésion :

« Avant de commencer sa visite on peut devenir membre du musée, parce que c’est bien de

venir une fois mais c’est encore mieux de revenir.239 ». Laurent Le Bon dit sur le même ton à

propos de l’exposition « Chefs d’œuvres ? » : « Ne cherchez donc pas à tout voir, c’est une

exposition « océan », dans laquelle il faut s’immerger et surtout venir et revenir240. »

Les présentations par un membre du musée peuvent donc être le lieu d’une

connivence que le musée essaye d’instaurer avec les utilisateurs-visiteurs. Elles permettent

au public d’associer clairement un nom et un visage à une réalisation, et donc, en quelque

sorte, de « personnifier » l’exposition ou l’institution. Le visiteur peut y être considéré

comme une personne « privilégié », pouvant assister aux coulisses de l’institution. Les

vidéos, encore plus que les commentaires audio, simulent une rencontre réelle entre

dirigeants et publics. Mais l’institution use aussi de ce rapport pour faire passer des

messages incitatifs. Puisque les personnes montrées font figures d’autorité, les visiteurs

pourraient plus facilement suivre leurs recommandations.

Les artistes peuvent également, à travers des interviews, figurer parmi les contenus

mobiles. Ils y donnent des clés de compréhension de leur œuvre. L’exemple le plus

significatif est sans doute le dispositif RFID du Studio 13/16241, qui inclut dans les contenus

des téléphones portables, de courtes vidéos de présentation réalisées avec les artistes. Ce

procédé de médiation est particulièrement intéressant puisqu’il cible les publics adolescents.

Or ces derniers souhaitent vivement lorsqu’ils se rendent au musée : « participer à des

                                                                                                               238 Propos de Stéphane Martin, Président du musée du Quai Branly, in Application iPhone du musée du Quai Branly, à partir de 4’32 minutes. 239 Ibid. de 1 à 1’04 minutes. 240 Propos de Laurent Le Bon, ibid., vidéos « Chefs d’œuvres ? », 47’ à 1’04 min. 241 Cf. ANNEXE IV n°6-B, p.94-96

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échanges avec des spécialistes et des artistes.242 ». Pour Mauricio Estrada-Munoz, Chef de

projet au Studio 1316, la présence des artistes est très importante pour cette catégorie de

visiteur : « Quand on leur dit : « on va au Centre Pompidou pour voir des œuvres qui sont

faites par des artistes » ils se demandent « Mais qui est un artiste ? ». Souvent il n’y a pas

de photos à côté des cartels, on ne sait pas à quoi ils ressemblent et donc finalement, cela

reste très abstrait.243 »

Dans ce contexte, la présence des artistes lors des workshops programmés est

prolongée virtuellement grâce aux téléphones mobiles. D’autres projets, dont certains déjà

cités, utilisent également la figure de l’artiste pour présenter l’œuvre au public244.

À travers la parole d’une personnalité issue du domaine muséal ou artistique,

l’utilisateur-visiteur, matérialise l’institution ou les œuvres. On peut supposer que ces

présentations dans le téléphone mobile, n’auraient pas le même impact sur les utilisateurs si

elles étaient diffusées sur un site internet ou sur un réseau social. En effet, le téléphone

donne davantage l’impression que le message m’est personnellement adressé, puisque je le

regarde à travers « mon » mobile. En revanche, les internautes ont bien conscience s’ils

regardent la vidéo sur la page d’un réseau social de musée qu’ils font parties d’une

communauté constituée, de même s’ils voient ce type de vidéo sur un site spécialisé245,

puisque le nombre de personnes l’ayant précédemment visionné y est très souvent indiqué.

À l’inverse, l’application iPhone peut donner le sentiment d’être seulement mienne, puisque

je l’ai téléchargé au préalable et parfois même achetée. Il y a donc un geste symbolique qui

contribue à l’appropriation des contenus. L’application figure donc avant toute chose sur un

médium qui m’est propre plutôt qu’à travers un média qui peut être consulté par tous. Cette

caractéristique liée à l’outil permet de renfoncer la proximité avec l’usager.

L’utilisateur d’une application muséale peut également entrer en contact plus étroit

avec les œuvres présentées. En effet, tout comme pour les projets de musées virtuels que

nous avons évoqués dans la partie précédente, il est possible dans certaines applications, de

« zoomer » sur les œuvres246. Le zoom n’est certes pas aussi puissant qu’il pourrait l’être

                                                                                                               242 TIMBART Noëlle, op.cit. p.5  243 DEHON Clélia, MONERET Lisa, Entretien avec Mauricio Estrada Munoz, chef de projet au Studio 1316, Centre Georges Pompidou, réalisé le 20 novembre 2010 244  Les dispositifs Bluetooth du Palais de Tokyo proposaient des interviews vidéos avec les artistes, de même Wim Delvoye explique sa démarche artistique dans l’application iPhone du musée Rodin (exposition de Wim Delvoye)  245 Youtube, Dailymotion, Viméo par exemple 246 Cf. ANNEXE IV – n°9-D – Zoom dans les applications iPhone, p.130

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avec les œuvres numérisées sur internet247, mais offre cependant aux utilisateurs la

possibilité de les « toucher » du bout des doigts. Ils peuvent avoir la sensation de « rentrer

dans le tableau » ; une plus grande proximité à l’œuvre est rendue possible, puisqu’on ne

peut approcher certaines œuvres de la sorte en contexte de visite. Bien que le zoom soit

parfois limité, un effet « Waou » peut se produire : il résulte d’un engouement esthétique des

utilisateurs pour ces technologies, dont certains visiteurs sont peu familiers. L’enquête

effectuée au Grand Palais a révélé qu’une des principales améliorations à apporter à

l’application « Monet » serait, selon les publics interrogés, de proposer des images ayant une

plus grande résolution et de pouvoir zoomer davantage sur les œuvres248. L’aspect visuel

d’une application est donc très important pour les utilisateurs, qui ressentent l’envie de voir

et d’avoir les œuvres au plus près d’eux.

Le téléphone se situe ici entre l’ordinateur portable - qui est un outil personnel, mais

nécessite la manipulation d’un clavier –et la borne multimédia interactive tactile, qui peut

proposer les même fonctionnalités, mais qui n’est ni portable ni personnelle. En outre, dans

une moindre mesure, le téléphone permet les mêmes effets que les tablettes numériques249.

Un grand nombre d’applications pour iPhone sont d’ailleurs adaptées au format HD (Haute

Définition) afin d’être téléchargées sur iPad250.

Enfin, si ces fonctionnalités peuvent donner l’impression au public d’être

virtuellement proche des œuvres, nous nous devons aussi de faire remarquer qu’une

personnalisation de celles-ci est en général rendue possible grâce aux technologies mobiles.

Les œuvres deviennent alors des artefacts que le public peut manipuler et faire siennes à

travers son outil personnel.

c. Le lieu de la personnalisation

Nous avons déjà vu que le téléphone mobile est une adresse au public personnalisée,

puisque le musée s’infiltre parmi les contenus quotidiens et privés d’un usager. Outre la

présence muséale amateur, qui est forcément personnalisée, quelques fonctionnalités d’outils

institutionnels semblent aussi favoriser la personnalisation des contenus.

                                                                                                               247 Cf. ANNEXE IV n°9-D2 – Visuels du site internet Google Art Project, p.131-132  248 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.43 249 « Par tablette numérique, il faut entendre un ordinateur portable extra-plat, tactile, dont l’écran est supérieur à 5,6 pouces mais inférieur à 11 pouces, et qui est connecté à Internet en wi-fi et/ou 3G. » (Source : http://www.iabfrance.com/?go=edito&eid=511) 250 C’est notamment le cas des applications de la Pinacothèque de Paris et du Musée Jacquemart André.  

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Le « bookmark251 », ou « marque page », permet aux utilisateurs de sauvegarder

leurs œuvres favorites. Souvent symbolisé par une petite étoile, le bookmark participe aussi

bien à la conservation des contenus qu’à leur labellisation (« j’aime », « je n’aime pas »), qui

a émergée sur internet et les réseaux sociaux. Autrement dit, à travers cette fonctionnalité,

l’utilisateur exprime ses goûts et constitue sa propre banque de données, son propre

catalogue d’œuvres. Ainsi, « Les institutions ne sont plus les seules à avoir ce privilège. La

labellisation s’est totalement démocratisée252. » Par le biais de leur application mobile, les

visiteurs peuvent exprimer et affirmer leur préférence et s’apparenter, dans une moindre

mesure, à un « commissaire d’exposition virtuel ». Lors de l’exposition Monet, 19% des

personnes interrogées avaient utilisé le bookmark. Le chiffre est assez faible, mais les

applications Smartphone de musées intégrant cette fonctionnalité sont encore peut-être trop

récentes pour être totalement identifiées et intégrées aux usages.

Plus rarement, il peut arriver que les technologies mobiles prennent en compte le

profil et les envies des visiteurs, comme l’application iPhone de la Cité Nationale de

l’Immigration253, qui s’adapte au rythme de visite de l’utilisateur et lui propose plusieurs

parcours thématiques.

La personnalisation correspond à une appropriation des artefacts et de l’institution

par les visiteurs. Elle est le moment où les œuvres cessent d’appartenir entièrement aux

musées pour être mises entre les mains du public. Les fonctionnalités citées précédemment

correspondent à cette appropriation des œuvres.

Une limite à cette appartenance peut tout de même être évoquée. À l’issue de

l’enquête de terrain aux Galeries Nationales du Grand Palais, nous avons pu constater que

les visiteurs étaient très satisfaits de l’application iPhone, mais auraient souhaité, entre

autres, pouvoir récupérer les visuels des œuvres présents dans l’application pour les

transformer en fond d’écran de leur téléphone et pour pouvoir les transférer sur leur

ordinateur254. Comme nous le disions précédemment, il y a une forte demande de la part du

public en matière visuelle, mais aussi ludique. Les utilisateurs-visiteurs émettent ici le

souhait d’un prolongement de la présence institutionnelle vers la présence amateur ; signe

qu’ils ne peuvent s’approprier les œuvres dans leur globalité puisque celles-ci ne sont

                                                                                                               251  Cf. ANNEXE IV n°9-E – exemples de bookmark, p.133  252   Interview d’Agnès Alfandari, « Louvre.fr : renforcer le lien entre le musée et les publics » http://cblog.culture.fr/2011/03/09/louvre-fr-renforcer-le-lien-entre-le-musee-et-ses-publics  253  Cf. ANNEXES IV n°11- B – Application de la Cité Nationale de l’Histoire et de l’Immigration, p.144  254  Cf. ANNEXES VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.43  

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présentes uniquement à travers une application et non en tant qu’électron libre dans le

téléphone. La personnalisation des œuvres et l’appropriation par les visiteurs sont donc

effectives, mais leur appartenance totale est davantage limitée.

En février 2008, le musée Victoria and Albert de Londres proposait en

téléchargement payant sur le site « museum on the go255 » des fonds d’écran et des vidéos

pour découvrir l’histoire de la mode256. Cette démarche tend à rapprocher le musée des

visiteurs, en les touchant dans leur quotidien et en usant d’un élément propre à l’univers de

la téléphonie portable : la personnalisation de l’objet. « Écrans, claviers, coques, pochettes,

fonds d’écrans, stickers, sonneries…chacun peut faire de son mobile un monde à son

image257. » Par ce biais, l’utilisateur affiche sa différence et affirme une appartenance à un

groupe, en l’occurrence, celui des amateurs d’art.

Mais cette logique n’est-elle pas quelque peu superficielle ? De plus, dans le cas du

Victoria and Albert museum, n’est-elle pas uniquement basée sur une logique de

marchandisation258 et non sur un principe de médiation ? Telle est la difficulté et l’enjeu de

la personnalisation : allier découverte des œuvres et appropriation ludique. Dès lors,

comment proposer des contenus personnalisables, sans tomber dans un phénomène de

gadgétisation ? La question est intéressante, mais nous emmène vers le domaine du

marketing, nous éloignant du cadre de notre recherche.

Pour résumer, nous pouvons dire que certaines formes de personnalisation des

contenus, comme le bookmark ou le profil de visite, peuvent favoriser une plus grande

proximité entre les œuvres et les publics et aider ces derniers à se les approprier. Cependant,

d’autres formes de personnalisation peuvent dépasser ce phénomène et pencher du côté de la

marchandisation et de la promotion de l’institution.

Nous voyons une autre forme de personnalisation, d’appropriation des œuvres et de

proximité avec l’institution : le partage social. Nous en avons défini les usages dès le

premier chapitre, en l’intégrant à la « présence muséale amateur » tout en évoquant le fait

qu’un grand nombre de technologies institutionnelles proposaient à l’heure actuelle ce type

de communication. Nous nous intéresserons dans la partie suivante aux différentes formes

communicationnelles que permettent les mobiles à travers les dispositifs muséaux, générant

ainsi du lien entre publics et institutions ou entre les publics eux-mêmes.                                                                                                                255  http://www.museumonthego.com/  256  http://www.buzzeum.com/2008/02/le-victoria-albert-museum-offre-ses-collections-aux-telephones-portables/  257  GONORD Alban ; MENRATH Joëlle, op.cit., p.114  258  L’ensemble d’un visuel et d’une vidéo coûtent 1,99 euros.  

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  78  

2. Téléphone mobile, publics et musées : vers un nouveau schéma communicationnel ?

Comme le rappelle Maurizio Ferraris : « Le mobile est un objet social éminent 259 ».

La communication ne semble pas balisée : le mobile ne permet pas uniquement un système

de communication allant du musée à ses publics, mais favorise naturellement la libre

expression de ces derniers. Ainsi, indépendamment de l’institution, un visiteur doté d’un

téléphone portable pourra partager, en direct ou non, un avis, une remarque ou une

photographie en rapport avec une exposition ou un musée.

Il convient donc de s’interroger sur ces différents outils et sur les façons dont ils vont

permettre aux utilisateurs de partager une opinion, des connaissances, des suggestions ou

encore de poser des questions. Nous nous demanderons en quoi les dispositifs mobiles

d’aide à la visite peuvent constituer un « lieu de partage et de transmission » et quels sont les

différents types de relations qui se créent ? Nous tenterons d’observer si ces supports

favorisent ou non un dialogue à double sens avec les publics et s’ils permettent la

constitution d’un « espace d’appropriation » et d’un « espace critique 260 » ?

 

a. Du livre d’or virtuel à la « communauté virtuelle »  

Le contact virtuel entre publics et institutions via les dispositifs institutionnels mobiles

peut revêtir deux formes distinctes, sur lesquelles nous nous baserons pour développer notre

analyse. Il peut être « traditionnel » lorsque le visiteur émet un retour d’expérience à propos

d’une exposition ou sur l’outil de médiation en lui même. Il peut être également plus

« original » lorsque publics et institutions entrent en interaction commune, notamment

lorsque l’utilisation du mobile convoque le jeu ou les réseaux sociaux.

Le commentaire et le « livre d’or virtuel »

Dans le premier cas, les institutions - à travers les outils mobiles - peuvent inviter les

utilisateurs à réagir sur l’exposition visitée ou l’application mobile utilisée. C’est le cas du

« mur261 » proposé au sein de l’application iPhone du musée Rodin lors de l’exposition

consacrée à l’artiste contemporain Wim Delvoye262. Le musée encourage les publics à

envoyer des « commentaires, photos ou vidéos » à une adresse mail du musée dans le but de

                                                                                                               259  FERRARIS Mauricio, ibid. p.58  260  Expression empruntée à Bernard Stiegler  261  Cf. ANNEXE IV n°8 – B5, mur de l’application iPhone « Wim Delvoye » au musée Rodin, p.115  262  Exposition Wim Delvoye au musée Rodin du 16 avril au 22 août 2010  

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  79  

les publier sur le mur de l’application263. À la manière d’un livre d’or, les visiteurs peuvent

non seulement exprimer leur ressenti auprès de l’institution mais aussi être lu par d’autres

utilisateurs. Cependant, le procédé n’est pas direct et l’envoi du commentaire à une adresse

email peut susciter le doute quant à la publication sur le « mur » de la totalité des avis

envoyés. Dans le cas du musée Rodin, les quelques retours d’expérience publiés sont tous

positifs, l’institution ayant sans doute sélectionné au préalable les commentaires les plus

valorisants.

Quelques applications muséales étrangères permettent aussi aux utilisateurs de

commenter chaque œuvre. C’est notamment le cas de l’application iPhone du Graphic

Design Museum de Bréda264, aux Pays-Bas et de l’American Museum of Natural History de

New York265. Ici, ce n’est plus de commentaires généraux dont il s’agit mais de partager

davantage sa vision ou son sentiment spontané face à la reproduction de l’œuvre. Les

commentaires sont relativement courts et emploient différents tons : humour,

émerveillement, indignation, perplexité, enthousiasme… La logique du commentaire

d’image au sein des applications mobiles semble directement inspirée par le web participatif

et les réseaux sociaux comme Facebook.

Sur la plateforme AppStore266, il également possible de noter et de commenter

directement une application mobile267. Cette fonctionnalité se rapproche de celle mise en

place par le musée Rodin, à la différence que seule la société Apple peut valider, retirer ou

modifier les avis postés. Dès lors, on remarque que les commentaires rédigés par les

utilisateurs sont hétérogènes. Certains n’hésitent pas à rapporter des soucis techniques ou

encore à faire remarquer un manque de contenu dans une application. Beaucoup expriment

aussi leur engouement vis à vis de ce type d’aide à la visite. Quoi qu’il en soit, le public-

utilisateur peut librement formuler l’opinion relative à son expérience, sans craindre de voir

son message être modéré. La notification d’un avis à l’issue d’une visite ou d’une utilisation

rappelle fortement les enjeux du livre d’or présent à la fin d’une exposition.

                                                                                                               263  Le « mur » est en fait un site internet au format mobile, sur lequel ne figurent que les commentaires envoyés par des visiteurs. Il est consultable à l’adresse suivante : http://www.audiovisit.com/mobile/rodin/wd/webmur.html 264  Cf. ANNEXE IV n°8 – B7, commentaires d’œuvres du Graphic Design Museum, p.117  265  Cf. ANNEXE IV n°8-B6, commentaires d’œuvres, musée d’Histoire Naturelle de New-York, p.116  266  App Store est la plateforme créée par Apple Computer, qui permet à tout utilisateur d'IPhone, iPod Touch ou d’iPad d'acheter et de télécharger en ligne, via Internet, toutes les applications fonctionnant sur les trois produits précédemment cités  267  Cf. ANNEXE IV n°9-G, Avis des utilisateurs sur Apple Store, p.135-136  

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  80  

Les commentaires publiés sur AppStore peuvent être importants pour les musées qui

s’en servent comme moyen d’évaluer l’appréciation de leur outil par le public268. Dans le but

de prendre en compte l’opinion des utilisateurs, certaines applications comme celle de la

Cité nationale de l’histoire de l’Immigration, ou à l’étranger comme celle du musée

d’histoire naturelle de New York, proposent au public de répondre à un court questionnaire

intégré à l’application269.

Ces possibilités de communication étaient bien entendu rendue possibles avant les

outils mobiles : le visiteur pouvait contacter le musée par courrier, par mail ou par

téléphone… Mais cette démarche relevait d’un engagement souvent motivé par une

réclamation ou une suggestion plutôt que pour signaler une satisfaction. Ici des réactions

« spontanées » sont possibles et viennent se superposer les unes aux autres, les rédacteurs se

répondant parfois entre eux. C’est pourquoi nous avons pu comparer les « murs » d’opinions

à des « livres d’or virtuels ». Ceux-ci correspondent à la même logique : recueillir un

ensemble de réactions variées et indépendantes, mais se répondant de temps à autre.

Nous constatons que ces fonctionnalités de communications publics/institutions via

le mobile revêtent ici des formes relativement « traditionnelles », transposées de l’espace du

musée au mobile : le livre d’or et l’enquête de satisfaction. Si une prise en compte du public

peut être réalisée, ce n’est pas pour autant qu’un dialogue s’engage véritablement entre

publics et institution. En d’autres termes, la communication reste descendante : les publics

transmettent des informations à l’institution, qui les prennent en compte, mais ne leur répond

pas, ou alors pas directement.

À l’inverse, d’autres projets mis en place ont utilisé téléphone mobile pour entamer

des formes de conversations et de connivences originales avec leur public. Nous allons

étudier trois projets qui nous semblent correspondre à cette logique : le choix du logo de

l’application iPhone du musée des Arts décoratifs par les membres de la page Facebook du

musée ; le jeu concours « Pas d’art sans provocation » dans le cadre de la rétrospective

« Ben, strip-tease intégral270 » au musée d’art contemporain de Lyon et l’interaction du

                                                                                                               268  Lors des 2nde Rencontres nationales Culture et innovation, Philippe Rivière, Responsable des outils de diffusion numérique de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, évoque les commentaires recueillis sur AppStore et les mails envoyés par les utilisateurs comme seul moyen d’évaluer l’appréciation de leur application. Notes personnelles, 28 janvier 2011. Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée des Arts Décoratifs nous dira également lors de notre entretien qu’elle porte une attention particulière aux commentaires publiés sur AppStore en rapport avec l’application « Arts décoratifs ».  269  Cf. ANNEXE IV n°9-F, Enquêtes de publics intégrés à l’application, p.134  270  Exposition « Ben, strip-tease intégral » au musée d’Art contemporain de Lyon, présentée du 3 mars au 11 juillet 2010.  

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Centre Pompidou Paris avec les publics disposant de Smartphones à travers les réseaux

sociaux Twitter et Foursquare271.

La constitution d’une communauté virtuelle

En décembre 2010, le musée des Arts décoratifs annonce aux « fans » de sa page

Facebook le lancement d’une application iPhone dédiée aux collections du musée. C’est

également l’occasion pour l’institution de demander aux membres de la page de choisir la

couleur du logo de la future application parmi six propositions272. Chaque membre peut

« voter » en cliquant sur « j’aime » sous le logo qu’il préfère. Le nombre de « j’aime » a

ensuite déterminé le logo aujourd’hui adopté par les Arts décoratifs. Ici, la labellisation

permet la prise en considération de la préférence des « amateurs» pour être directement

appliquée à un choix relativement important pour le musée. Cette volonté d’intégrer le

public à l’aspect graphique de l’application résulte d’une certaine marque de

« confiance273 » entre le public et l’institution. Catherine Collin nous confie : « Le choix est

assez bien tombé puisqu’il s’agit du logo dont nous avions envie. Cela montre aussi que l’on

est assez en phase avec notre public274 ». Un dialogue est alors engagé entre l’institution et

ses visiteurs. L’institution leur pose une question (« Quel logo préférez-vous ? »), ces

derniers répondent en fonction de leur connaissance de l’institution275, à la manière, toute

proportion gardée, d’une jeune femme qui demanderait à sa meilleure amie comment

s’habiller pour un événement particulier. La métaphore est ici démesurée, mais permet

d’insister sur la relation privilégiée et la connivence qui peut s’instaurer entre une institution

et un public, ici non par le biais du mobile mais à propos de celui-ci. Enfin, suite à la

réponse des visiteurs, le musée des Arts décoratifs répond en choisissant le logo de

l’application destinée aux publics. On voit donc bien une forme de dialogue s’opérer et

effectuer des allés-retours à la manière du schéma du musée participatif proposé par Nina

Simon276.

Le jeu-concours lancé par le musée d’art contemporain de Lyon dans le cadre de la

rétrospective de l’artiste Ben, dépasse la logique de marketing et de fidélisation et peut être                                                                                                                271  Cf. ANNEXE IV n°8 – A9 – Visuel commenté de Foursquare, p.110  272  Cf. ANNEXE IV n°8 – C1 – Exemple du musée des Arts Décoratifs, choix du logo de l’application iPhone par les membres de la page Facebook, p.118-119  273  Cf. ANNEXE II D - entretien avec Catherine Collin, p.34  274  Ibid.  275   « Il s’agit de gens qui nous connaissent et la réflexion de la plupart d’entre eux étaient « votre logo est rouge et blanc, ne mettait pas du vert et jaune » ibid.  276  Cf. ANNEXE IV n°12, schéma du musée participatif par Nina Simon, p.145  

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perçue comme une forme de médiation entre visiteur et institution. En effet, cette dernière

lançait un défi aux publics en leur demandant de se filmer avec leur téléphone mobile, à la

manière de Ben, sur le thème « Pas d’art sans provocation »277. Les participants étaient

invités à réaliser leur vidéo soit dans l’enceinte du musée « sur le podium dédié au troisième

étage278 », soit en dehors de l’institution. L’ensemble des vidéos était ensuite mis en ligne et

le vote des internautes permettait de désigner un gagnant qui remporterait une œuvre de Ben.

À travers cet exemple, on constate qu’un lien particulier se noue entre le musée d’art

contemporain de Lyon et son public puisque celui-ci passe du statut de « visiteur » pour

devenir « acteur » : il prend la parole sous une forme créative. Plus qu’une labellisation et un

commentaire virtuel, l’acte et la présence physique sont encouragés. Notons à ce propos que

le musée incite ici une pratique « amateur » : l’enregistrement d’un film avec le mobile. Or

nous avons vu dans le premier chapitre que ces pratiques pouvaient faire l’objet

d’interdiction au sein des institutions. En favorisant la pratique de ce médium,

l’établissement semble en quelque sorte, tout comme son public, jouer le jeu de la

« provocation ».

Encore une fois, un dialogue symbolique et singulier s’engage entre l’institution et

les visiteurs car les vidéos réalisées sont des propositions en guise de « réponse » au

concours lancé par le musée. Le musée poursuit l’échange en les regardant, en les publiant

sur internet et en sollicitant les internautes à émettre leur avis sur les vidéos et à voter. Le

cadeau offert au(x) vainqueur(s) – une œuvre réalisée et remise par l’artiste Ben – fait écho à

l’expérience vécue par le(s) participant(s) et la matérialise. En provocant de manière ludique

la participation des visiteurs, le musée d’art contemporain instaure une nouvelle forme de

dialogue par le biais du téléphone. Signalons par ailleurs que le jeu a été annoncé sur le site

du musée, mais aussi dans l’application iPhone « Ben », le musée supposant sans doute que

les personnes ayant téléchargées l’application seraient dotées de l’équipement nécessaire

pour participer279.

Enfin, les interactions entre public et institution qui retiennent également notre

attention sont celles développées par le Centre Georges Pompidou Paris via les réseaux

sociaux Foursquare et Twitter en situation de mobilité. Le community manager280 utilise ces

                                                                                                               277  Citation de l’artiste Ben  278  Extrait du règlement du jeu concours, musée d’art contemporain de Lyon  279  Cf. ANNEXE IV n°8 –C4 – Visuels de l’application « Ben » musée d’art contemporain de Lyon, p.124  280  Le community manager est un membre du personnel du musée ayant à charge la gestion, l’animation et la mise à jour de l’ensemble des réseaux sociaux sur lesquels l’institution est présente.  

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plateformes pour « récompenser » la fidélité des abonnés à l’institution sur ces réseaux et les

inviter à passer d’une présence virtuelle à une présence réelle.

Foursquare est un réseau fonctionnant sur le principe de géolocalisation de ses

membres. « L’utilisateur inscrit peut s’identifier n’importe où, dans les transports publics,

un musée, une salle de cinéma, un aéroport… foursquare détectant automatiquement les

lieux déjà enregistrés grâce au GPS du Smartphone281 ». Ainsi, lorsqu’un utilisateur de ce

réseau est au Centre Pompidou, il peut l’indiquer en se connectant à Foursquare avec son

Smartphone. Il peut aussi décrire ce qu’il y fait ou donner un conseil ou un avis sur le lieu,

gagner des « badges » virtuels qui « se débloquent en fonction du moment ou de la fréquence

des identifications282. » Enfin, l’utilisateur peut devenir le « mayor » du lieu, c’est à dire

littéralement le « maire » ou « l’ambassadeur », lorsqu’il s’est géolocalisé plus de fois que

d’autres membres à cet endroit. À l’instar d’enseignes ou de marques associées à Foursquare

pour faire bénéficier leurs clients d’offres promotionnelles, le Centre Georges Pompidou a

récompensé à plusieurs reprises le « mayor » du lieu en lui offrant une place pour l’un des

spectacles de sa programmation. Dans ce cadre, c’est l’institution qui répond à une

indication émise par le public, en lui adressant une forme de remerciement personnalisé pour

sa fidélité. Le lien entre un visiteur fidèle et l’établissement est davantage renforcé, grâce à

l’intermédiaire du téléphone mobile.

Enfin, il convient de mentionner et d’analyser une dernière pratique, exercé dans

certaines institutions muséales étrangères283 et récemment en France par le Centre

Pompidou : le « livetwitte » d’exposition284. En abordant la question de la présence muséale

liée aux usages des amateurs dans le téléphone portable, nous avons évoqué la possibilité de

publier sur le réseau Twitter des messages concernant la visite d’une exposition. Le

community manager du Centre Georges Pompidou a fait de cet usage un moyen d’interagir

avec les « followers285 » du Centre sur Twitter. A plusieurs reprises, une invitation286 à venir

« livetwitter » a été lancée sur le réseau par le Centre Pompidou. Il s’agit d’inviter quelques

                                                                                                               281  THOREL Anne-Sophie, « Foursquare : un nouvel outil marketing pour les musées ? » http://www.club-innovation-culture.fr/foursquare-un-nouvel-outil-marketing-pour-les-musees/ 282  THOREL Anne-Sophie, ibid.  283  Lire à ce propos l’article sur l’utilisation de Twitter par le Brooklyn museum et l’American museum of Natural History de New York : http://www.club-innovation-culture.fr/tweet-collectifs-and-tag-participatifs-dans-les-musees-americains/  284   Littéralement « livetweet » signifie « tweeter en live » et donc « envoyer des messages sur le réseau Twitter en direct».  285  Les « followers » ou littéralement « suiveurs » sont les personnes qui s’abonnent aux « tweets » (messages) d’une autre personne afin de les rendre visible sur leur « timeline » ou « fil de messages ». Les personnes qui suivent le Centre Pompidou sur Twitter ont alors accès aux messages postés par l’institution. Le Centre Pompidou compte 16 360 personnes abonnées au 17 avril 2011.  286  Cf. ANNEXE IV, n°8 –C3 – invitation du Centre Pompidou au livetwitte, p.121-122  

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followers à se rendre dans une exposition de la programmation pour parler de celle-ci en

direct sur Twitter, grâce à l’utilisation d’un Smartphone.

Encore une fois, on remarque qu’une certaine forme de connivence est créée entre

l’institution et les membres de la communauté, puisque le Centre Pompidou leur accorde en

toute confiance le droit de commenter publiquement les œuvres et les expositions. Les

personnes invitées à livetwitter deviennent en quelque sorte les « relais » du community

manager. Leur tweets sont visibles sur la communauté grâce à un « hashtag287 ». Cette

pratique repose également sur la présence réelle dans l’institution de personnes ayant à

l’origine une identité virtuelle dans la communauté Twitter : d’un côté les « followers » et de

l’autre, le community manager, qui les accueille et les accompagne. Le livetwitte opère un

glissement du virtuel au réel et est alors l’occasion de rencontres in situ à la fois humaines et

artistiques. En cela, il repousse d’une certaine façon les limites d’un « fast-food culturel288 »,

où « l’on a décidé de déplacer les œuvres plutôt que les visiteurs289 ».

L’apprentissage et l’appropriation des contenus muséaux sont également en jeux.

Comment, en effet, twitter de façon cohérente et transmettre son impression si l’on n’a pas

un minimum observer, expérimenter, lu les cartels, etc. ? Le livetwitte demande pour cela

une réflexion et une implication personnelle dans l’exposition.

Les pratiques développées par le Centre Georges Pompidou, par l’intermédiaire du

mobile et de ses fonctionnalités web, représentent selon nous des moyens originaux pour

instaurer de nouvelles relations entre publics et institutions, basées sur la connivence et la

présence in situ des membres d’un réseau virtuel.

Les projets que nous avons décrits et analysés semblent faire basculer les modes de

communication que nous avons qualifiés de « traditionnels » vers un système de

communication plus singulier, établi sur l’échange et le dialogue symbolique. Plus que la

présence du « livre d’or virtuel », les musées envisagent aussi la création d’une

« communauté virtuelle » où chacun peut non seulement donner son avis, mais aussi être

associé à l’institution et converser avec elle. La communication, dans un cas descendante,

prend peu à peu les traits d’une communication à double sens. Ce bouleversement est rendu

possible sur internet, entre autre via les réseaux sociaux, mais aussi de plus en plus grâce aux                                                                                                                287   Définition : Un mot devient un tag lorsqu’il est précédé par un #. Il permet de donner un mot clé, permettant au tweet d’apparaitre lors de recherches sur un sujet précis sur le moteur de recherche Twitter. Ex : pour écrire un message en rapport avec l’exposition Mondrian au Centre Pompidou, on peut utiliser le hastag #Mondrian  288  Expression empruntée à Bernard Deloche (DELOCHE Bernard, « Le Musée virtuel », préface de Régis Debray, édition PUF, 2001, p.220) 289  Ibid.  

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téléphones portables. Signalons par ailleurs que la présence institutionnelle dans le mobile se

place davantage du côté du « livre d’or virtuel » et que l’utilisation de pratiques « amateurs »

via le mobile, comme le partage social, permettent quant à elles d’entretenir un véritable

dialogue avec la communauté d’amateurs. Pour Annie Gentès, les technologies mobiles

forment ainsi une nouvelle « cour » entre institution et visiteurs dont l’enjeu est de : « créer

de nouvelles modalités culturelles, sociales et techniques de confiance entre une

communauté d’amateurs et « les théâtres du monde290 » »291.

En filigrane, nous pouvons constater que les échanges entre musées et visiteurs sont

généralement « publics » et génèrent des interactions entre visiteurs et – ou - amateurs. Il

convient à présent d’étudier plus en détails la question de la communication inter-visiteurs

ou inter-amateurs grâce aux outils de la téléphonie et du web. Nous nous intéresserons tant à

la présence institutionnelle qu’à la présence amateur et considérerons les formes de

sociabilité virtuelle et réelle.

b. Formes d’interactions sociales inter-amateurs et inter-visiteurs

Le téléphone portable et les fonctionnalités qu’il intègre peuvent permettre aux

visiteurs d’échanger entre eux. Dans tous les exemples cités, la présence de l’autre est

effective. Si les « murs » de commentaires, les avis sur AppStore ou même le livetwitte

d’exposition peuvent fournir aux musées des éléments d’évaluation de la satisfaction des

publics, ces messages sont avant tout lus par d’autres utilisateurs, ces derniers pouvant y

répondre. Nombreuses sont d’ailleurs les personnes qui rédigent un avis en prenant en

compte la présence des autres utilisateurs et en s’adressant à eux sur le ton du conseil.

Toutefois, c’est de nouveau par les réseaux sociaux en contexte de mobilité que des

échanges inter-visiteurs et inter-amateurs peuvent se tisser. Le livetwitte d’exposition en est

un bon exemple car il peut être considéré comme un outil de « tissu social virtuel » autour

d’une institution. En effet, il suscite des réactions de la communauté, non présentes dans

l’institution mais présentes sur le réseau au moment du livetwitte. Les visiteurs /

livetweeters, munis d’un Smartphone, et les membres du réseau peuvent alors interagir, sous

le regard de l’institution. Comme on peut le voir dans les documents regroupant l’ensemble

                                                                                                               290   FALGUIERES Patricia, « Les Chambres Des Merveilles », Coll. “Le Rayon Des Curiosités”, Paris, Bayard, 2003. 291  GENTÈS Annie, « Musées et technologies mobiles : une nouvelle cour du visiteur », in « Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante », sous la direction de Bernard Stiegler, éditions Mille et une nuits, 2008, p.287  

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des livetwittes292, certaines personnes posent des questions ou diffusent les messages des

participants. L’événement fédère du lien social entre plusieurs membres, qui souvent ne se

connaissent pas, ou uniquement de façon virtuelle.

Le partage social proposé par la présence muséale institutionnelle permet également

de dire à mon réseau (Facebook et Twitter) que je suis en train de visiter une exposition et si

je l’apprécie ou non. Ce partage signale dans le même temps que j’utilise une application

muséale. Certaines applications, comme le musée du Quai Branly ou My Museum le

Louvre, proposent l’envoi d’une carte postale par mail ou sur un réseau social293. On

pourrait se demander si ces formes de socialisation virtuelle ne seraient pas un

prolongement, toute proportion gardée, des cafés et salons littéraires du XVIIIème siècle.

Les technologies mobiles sans contact favorisent également l’interaction entre

visiteurs. On peut le constater à travers l’exemple du projet PLUG au musée des Arts et

Métiers :

« Le projet prend aussi en considération l’apport des visiteurs entre eux, et

c’est sans doute ici l’innovation la plus intéressante. Il s’agit en effet, au travers

d’un jeu, de collaborer à la construction d’un savoir en s’échangeant des indices, en

déposant des informations, qui peuvent aider les différents visiteurs à construire un

parcours transversal et cohérent à travers les différentes thématiques du musée294. »

    Si une socialisation entre les visiteurs ou entre les amateurs est possible à travers les

outils d’aide à la visite mobile, notre étude de l’application iPhone « Monet » a révélé que

d’autres formes de partage pouvaient avoir lieu, directement en contexte de visite et non plus

par le biais des outils mais autour des outils.

Le téléphone portable étant avant tout un objet propre à un visiteur-utilisateur, les

contenus offerts par le musée semblent favoriser le partage de l’outil avec les personnes

accompagnatrices. Ainsi, nous avons pu constater que près de la moitié des personnes ayant

utilisé l’application « Monet » aux Galeries Nationales du Grand Palais, l’avait partagé avec

                                                                                                               292  . ANNEXE V –Livetwitte de l’exposition « Mondrian/De Stijl » au Centre Pompidou, p.146  293   Cf.   ANNEXE   IV   n°8   –   B3,   Carte   postale   et   réseaux   sociaux,   p.113   (My   Museum   Le   Louve),   p.114  (musée  du  Quai  Branly)  294  GENTÈS Annie, ibid.  

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un proche pendant l’exposition295. Nous avons remarqué que l’utilisation d’écouteurs intra-

auriculaires296 contribuait à la division de l’écoute ; deux personnes pouvant ainsi disposer

chacune d’une des oreillettes pour entendre les commentaires. Ce système est peu probable

avec les audioguides car soit ces derniers sont « pris en main », s’écoutant à l’oreille à la

manière d’un combiné téléphonique, soit ils sont dotés de casques.

Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’utilisation du téléphone portable comme

outils d’aide à la visite pousse à son terme l’interaction entre visiteurs décrits par Sophie

Deshayes. En analysant les usages des audioguides, elle fait remarquer qu’ils ne sont pas un

frein à la visite à plusieurs. En effet, contrairement à ce que certains visiteurs peuvent

penser, l’audioguide :

« permet à chacun de gérer à son gré son rythme de visite tout en maintenant

la permanence du groupe amical ou familial. Ainsi, on observe généralement que les

personnes visitant à plusieurs quittent ensemble un espace avant d’en aborder un

autre et que l’usage de l’audioguide favorise des moments de sociabilité où peut

aussi bien s’instaurer le commentaire du commentaire297. »

Elle préconise un dispositif d’audioguides « pris en main » et non le prêt de casques,

qui opèrent « une coupure plus radicale » entre les utilisateurs. Grâce à l’utilisation du

téléphone portable et à son aspect personnel, l’usage d’un troisième système d’écoute – les

oreillettes intra-auriculaires – est rendu possible298. Ce système rapproche les utilisateurs en

leur permettant une écoute simultanée confortable299. Précisons toutefois que l’écoute peut

également être fragmentée et ponctuelle. Une dame venue avec un groupe d’amis visiter

l’exposition Claude Monet, refusera ainsi de répondre aux questionnaires pour la raison

suivante : « je n’ai écouté que deux ou trois commentaires maximum. Quand j’avais envie

d’avoir plus d’informations sur des œuvres que je trouvais énigmatique, alors je prenais

l’écouteur de mon amie300. »

                                                                                                               295   Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.16  296  Oreillettes qui se glissent dans chaque canal auditif.  297  DESHAYES Sophie, « Audioguides et musées » in La lettre de l’OCIM, n°79, 2002, p.27 298  Les oreillettes intra-auriculaires ne sont pas utilisées dans les institutions muséales par souci hygiénique.  299   Nous avons également observé aux Galeries Nationales du Grand Palais que des personnes tentaient d’écouter un audioguide « pris en main » de façon simultanée. Ce système donne lieu à des pauses inconfortables car il suppose que les deux utilisateurs soient très proches physiquement.  300  Notes personnelles recueillies le 16 janvier 2011 lors de l’évaluation de l’application iPhone « Monet »  

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  88  

Par ailleurs, la dimension personnelle du téléphone mobile parait également avoir

favorisé les échanges des outils ou des pratiques liées à l’application. En effet, nous avons

pu observer qu’un certain nombre de visiteurs utilisaient l’application sur un outil qui leur

avait été prêté. Ainsi sollicités pour répondre à notre enquête, plusieurs utilisateurs nous ont

fait part de leur embarras : « je veux bien répondre à votre enquête, mais ce n’est pas mon

iPhone : mon frère me l’a prêté pour que je puisse l’utiliser comme audioguide301. » ou

encore : « c’est le téléphone de ma mère, je vais aller lui rendre avant de répondre à vos

questions302 »

Les terminaux mobiles deviennent ici un lieu d’échange au sens propre. Puisqu’ils

sont personnels, leur détenteur peut décider de le prêter à un proche. Cependant tous les

visiteurs ne semblent pas à égalité face à l’utilisation de cette technologie : la pratique et

l’obtention de l’application peuvent dès lors se transformer en moment d’interactions entre

des proches ou des visiteurs qui ne se connaissent pas, certains transmettant à d’autres leur

maîtrise technique du terminal.

Quelques personnes invitées à répondre à nos questions nous avouent : « Je pense

que je ne peux pas vous répondre car je ne sais pas utiliser mon iPhone ! C’est mon fils qui

a téléchargé l’application pour moi, et je trouve ça pratique, mais je ne saurais pas le

faire303. » Ou encore : « Un collègue m’a montré hier comment faire pour télécharger des

applications et m’a conseillé celle de Monet, je trouve ça génial !304 ».

Lors de nos observations, nous avons aussi constaté que des rassemblements de

petits groupes de personnes pouvaient se former près du panneau promotionnel de

l’application, situé après les caisses à l’intérieur des Galeries Nationales du Grand Palais. À

cet endroit, une borne wifi et une pancarte explicative étaient installées afin de permettre aux

visiteurs de télécharger l’application. On constate que les personnes ne réussissant pas à

faire fonctionner le téléchargement n’hésitent pas à entrer en contact avec d’autres visiteurs

qui essayent à ce moment là d’obtenir les contenus : « Vous y êtes parvenu Monsieur

? Comment procédez-vous ? Avez-vous le même modèle d’iPhone que moi 305? ». Des

discussions s’engagent ainsi sur le ton explicatif. Cette entraide met cependant en avant un

frein à ces dispositifs, que nous expliciterons dans la dernière partie de ce chapitre :

l’inégalité d’accès à la technologie.

                                                                                                               301  Ibid.  302  Ibid.  303  Ibid.  304  Ibid.  notes personnelles recueillies le 13 janvier 2011  305  Ibid.  notes personnelles recueillies le 12 janvier 2011  

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  89  

Contre toute attente, les terminaux mobiles sont donc propices à la sociabilité en

contexte muséal. Tantôt les visiteurs écoutent simultanément un même contenu, tantôt ils

prêtent leur téléphone ou se transmettent des conseils d’utilisation. En outre, précisons que

les personnes ne possédant pas d’iPhone se sont également intéressées à ce dispositif, pour

leur curiosité personnelle ou pour renseigner un proche sur l’existence des applications

muséales.

Plus largement, nous pouvons conclure sur le fait que la présence muséale

institutionnalisée permet d’inscrire l’utilisateur dans un contexte social élargi et lui offre la

possibilité de communiquer avec les autres visiteurs ou amateurs, qu’ils fassent ou non

partie de leur cercle social intime. La communication entre publics et institutions est

également favorisée, que ce soit de façon traditionnelle et descendante ou de façon originale

et interactive.

c. Le téléphone portable : un « appareil critique » pour amateurs de musées ?

La question qui reste désormais à se poser est la suivante : les différents systèmes de

communication énumérés développent-ils véritablement un « espace critique » à travers

lequel les visiteurs pourraient réagir et s’opposer à une attitude qui serait uniquement

« spectatorielle » face au musée et à ses contenus ?

Nous avons déjà vu, en évoquant la pratique du livetwitte d’exposition, que

l’appropriation des contenus muséaux était en jeu pour les visiteurs puisqu’il s’agit de se

positionner en tant qu’observateur de l’exposition et d’en retranscrire ses propres

impressions à partir de sa vision et de sa compréhension des œuvres. Il en est de même à

travers les autres dispositifs mentionnés qui paraissent avant tout comme des « appareils

critiques306 », car ils permettent au public d’exprimer « ce qui l’affecte »307. De plus, cette

expression est souvent « transparente », visible par tous les usagers, ce qui leur permet

d’intervenir pour rebondir sur une idée. La dimension publique des avis postés est ici

intéressante, renouant avec l’idée de « musée-forum ». En effet, tous les dispositifs que nous

avons passés en revue ne seraient-ils pas en quelque sorte le prolongement virtuel du

« musée-forum » ?

Il ne s’agit pas, à travers ces outils, d’écrire une critique sur une exposition ou d’en

débattre longuement, mais plutôt de permettre aux utilisateurs de « solliciter et soutenir leur

                                                                                                               306  Terme emprunté à Bernard Stiegler dans la vidéo « Le projet ligne de temps » http://web.iri.centrepompidou.fr/demo_entretiens_lignesdetemps.html  307  Ibid.  

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  90  

discernement308. » Ce discernement peut se faire à propos des œuvres et de l’institution,

mais aussi concernant l’outil mobile utilisé. Les dispositifs d’aide à la visite par le biais du

téléphone portable – et notamment les applications – étant relativement récents, les retours

d’usages sont très importants pour les musées. Bien que ces retours ne soient pas toujours

expressément argumentés, mais de l’ordre d’un message spontané, cela permet toutefois à

l’institution d’évaluer un niveau de satisfaction générale.

Nous avons également remarqué que la constitution d’un espace critique et que

l’appropriation des œuvres est surtout le fait des usages amateurs du mobile, principalement

par les réseaux sociaux. Bien qu’il y ait un développement des usages amateurs dans la

présence institutionnelle mobile par la possibilité de poster un message sur Facebook ou

Twitter, l’échange semble pour l’instant se limiter à une simple notification que l’on publie

sur le mode : « je visite le musée X à l’endroit Y», mais ne constitue pas une interaction

réelle ou un moment d’échange privilégié avec l’institution ou avec d’autres amateurs. À

l’inverse, les projets du musée d’art contemporain de Lyon, du musée des Arts décoratifs ou

du Centre Georges Pompidou, qui ont investi des usages « amateurs » indépendamment de

toute application mobile, ont souvent permis de susciter la réflexion et la créativité des

participants et de les inscrire dans un contexte social augmenté.

Enfin, nous pouvons dire que lorsqu’ils sont collaboratifs, les systèmes d’appareils

critiques, développés par les musées ou résultant d’usage quotidien (réseaux sociaux)

corroborent la création de « cercles d’amateurs ».

Pour résumer, l’appareil critique a une importance majeure au sein des dispositifs

mobiles car il permet la réflexion, l’expression et la relation aux autres. Il devrait, selon

nous, être davantage développé au sein des dispositifs institutionnels destinés aux téléphones

portables.

Si nous venons de voir tout au long de cette partie que des systèmes de

communication transversaux et que des cercles d’amateurs pouvaient être constitués via les

dispositifs pour téléphone mobile, et plus particulièrement pour les Smartphones, il convient

de souligner que plusieurs amateurs, entre autres ceux n’étant pas équipés, sont exclus de ces

systèmes. Afin de conclure notre recherche, il nous paraît désormais essentiel d’analyser les

formes d’exclusion et les freins à l’utilisation de ces dispositifs de médiation. Autrement dit,

                                                                                                               308  Ibid  

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  91  

nous nous interrogerons quant aux limites générées par l’offre institutionnelle destinée au

téléphone mobile en contexte muséal.

3. Les publics face aux outils de médiation sur téléphone mobile : formes d’exclusion et freins à l’utilisation

a- Des dispositifs très ciblés

Dans le deuxième chapitre, nous avons déterminé que les outils mobiles avaient le

pouvoir de toucher un public relativement hétéroclite. Cependant, nous avons aussi

mentionné que pour accéder aux contenus mis à disposition, ces personnes doivent être

équipées du terminal ou de la technologie qui convient. Par exemple, pour décoder un code

QR, il sera nécessaire de posséder un téléphone avec un scanner intégré ou un Smartphone.

De même, une application muséale pourra être téléchargée uniquement par les visiteurs

disposant d’un Smartphone. Plus spécifiquement encore, il s’agira la plupart du temps de

posséder un certain type de Smartphone : l’iPhone.

Dès lors, les dispositifs semblent s’adresser uniquement à des personnes « éligibles »

sur le plan technologique, excluant dans une certaine mesure les autres visiteurs, n’ayant pas

de téléphone ou dont le téléphone ne permet pas ces fonctionnalités. Les musées paraissent

ainsi « privilégier » certains usagers au profit d’autres. Il est d’ailleurs intéressant de relever

les attitudes propres aux publics sondés lors de notre enquête au Grand Palais. À la question

« avez-vous téléchargé l’application iPhone « Monet » ? » nombre de visiteurs répondent

par des phrases types : « non, je n’ai pas d’iPhone, je suis resté à l’âge de pierre. » ; «

désolé, j’ai un téléphone tout à fait classique » ; « mon téléphone me permet uniquement de

… téléphoner ! ». D’autres encore nous montre leur téléphone, comme pour nous prouver

qu’il est, selon les termes employés, « vieux », « ringard », « démodé »… Les visiteurs se

justifient de n’avoir accès à la technologie déployée par l’institution.

Ces observations nous amènent à revenir sur la notion de « tribus » utilisée dans le

second chapitre de la recherche. Se dessineraient en contexte muséale quatre « tribus » de

visiteurs distincts autour du téléphone mobile : la « tribu » des personnes technologiquement

éligibles au dispositif proposé par le musée ; la « tribu » équipée en nouvelle technologie

mobile mais ne correspondant pas au dispositif proposé ; la « tribu » des téléphones

« classiques » et la « tribu » des personnes sans téléphone portable.

Bien que notre étude fasse apparaître une corrélation entre les personnes équipées en

Smartphone - et plus particulièrement en iPhone - avec les personnes fréquentant les

Galeries Nationales du Grand Palais, il reste complexe pour les institutions muséales de

Page 92: "Le téléphone portable, nouvel outil de médiation culturelle dans les institutions muséales françaises"

  92  

définir précisément la part de leur visiteur équipée en Smartphone. Il est également difficile

de déterminer précisément quelle typologie de public dispose de quel type de terminal. Partir

sur des présupposés peut donner lieu à des erreurs de cibles. Nous l’avons vu dans le

chapitre précédent, le musée de Cluny a mis en place une application iPhone dans le but de

cibler les adolescents alors qu’ils ne sont pas les publics les plus équipés.

La portée « limitative » de ces outils génère différents débats entre les professionnels

des institutions muséales et des nouvelles technologies. La notion de service public propre

aux institutions publiques est ainsi régulièrement évoquée309. Ces institutions ayant pour

objectif, entre autre, de rendre le musée accessible au plus grand nombre et donc de proposer

des outils de médiation pour le plus large public, il convient de rester vigilant à ce que les

outils destinés aux Smartphones ne forment pas une « niche ». Pour certains, la réponse au

service public n’est pas dans la substitution d’un système d’aide à la visite par un autre310,

mais dans le complément des outils. Une solution de médiation « alternative » aux

dispositifs qui seraient trop « élitistes », par exemple en prêtant les terminaux mobiles, est à

envisager311. Il s’agit de s’adapter aux préférences, aux usages et aux outils des visiteurs afin

de répondre au mieux à leurs attentes. La complémentarité et la diversité des supports

donnent naissance à une profusion d’outils de médiation et donc diversifient les usages

autour desquels se forment différentes « tribus » de visiteurs.

Nous pensons également que le prêt de téléphone ou que la mise à disposition

d’outils mobiles intégrant les mêmes contenus peuvent être des solutions intéressantes pour

empêcher l’exclusion symbolique de visiteurs ne possédant pas de terminaux mobiles

adaptés. Toutefois, les valeurs ajoutées liées à l’aspect personnel du mobile, telle que la

conservation ou le partage social, ne peuvent être effectives avec des outils appartenant à

l’institution. Dans ce cadre, les outils fournis s’apparentent aux dispositifs qui composent au

préalable une exposition et ne deviennent pas « miens ». La différence symbolique est

importante et joue sur les logiques d’appropriation et d’accès au savoir des publics. Ces

derniers pourront en effet visiter plus « librement » avec leur propre téléphone portable, car

ils ont conscience qu’ils pourront revoir ou réécouter un élément qu’ils n’ont pas compris ou

                                                                                                               309   Christophe Courtin, Responsable du secteur Nouvelles technologies du musée d’histoire de Nantes, intervient à plusieurs reprises sur la question du service publique des musées lors de l’atelier « QR codes et WebApp » mis en place par le club Innovation et Culture, le 2 mars 2011 au musée des Arts et Métiers.  310  Par exemple, substituer les audioguides par les applications pour Smartphones. Aux Galeries Nationales du Grand Palais, les audioguides diffusaient les mêmes commentaires audio que l’application iPhone ou que les podcast téléchargeables sur internet.  311  Benoit Villain, Responsable des projets éducatifs et culturels du LaM de Lille dit ainsi que « la solution de « rechange » répond au service public ». Le musée LaM de Lille dispose ainsi de visioguide en plus de son application iPhone et des codes QR dispersés dans le jardin du musée. Notes personnelles de l’atelier « QR codes et WebApp » ibid.  

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  93  

qu’ils n’ont pas eu envie d’explorer. Ils savent aussi qu’ils peuvent conserver une trace d’un

contenu qui leur semble intéressant d’un point de vue personnel. Le téléphone permet de

consulter les contenus dans une temporalité amplifiée.

Bien qu’une diffusion alternative des contenus du musée soit possible et réduise

l’exclusion symbolique de certains publics, elle permet aux visiteurs non équipés d’avoir

accès aux mêmes informations que ceux qui sont équipés, mais pas de se les approprier de la

même façon. Des dispositifs d’accompagnement à la visite fourni par le musée tel que

« Visite+ » à la Cité des Sciences312 permettraient de concilier visite et post-visite grâce à un

double équipement : celui de l’institution, en l’occurrence un PDA, et celui du visiteur : un

ordinateur connecté à internet.

b- La non maîtrise de l’outil et « accompagnement à l’accompagnement »

Quand bien même une personne est en possession d’un terminal adapté à l’offre

muséale, elle peut rencontrer des difficultés à accéder aux contenus proposés. C’est ce que

nous indiquions dans la partie précédente, en évoquant les échanges sociaux stimulés par les

« inégalités d’accès » à la technologie.

Nous remarquons en effet que les dispositifs dédiés aux téléphones portables

s’accompagnent très souvent dans les institutions de notices explicatives313, indiquant aux

visiteurs les démarches à suivre à travers leur téléphone pour accéder aux contenus. Au sein

même des applications mobiles figurent parfois des « aides à la navigation », aidant les

utilisateurs à se familiariser avec le fonctionnement de l’outil.

Avant d’être accompagnés dans leur découverte du musée et de ses œuvres, les

publics sont accompagnés dans le passage à la technologie. En d’autres termes,

l’accompagnement technique (l’accès à la technologie) donne accès à l’outil de médiation

qui permet l’accompagnement cognitif (l’accès aux contenus du musée). C’est pourquoi

nous pouvons parler d’un : « accompagnement à l’accompagnement ».

Celui-ci est surtout nécessaire pour les personnes ne connaissant pas la technique ou

ne la maîtrisant pas suffisamment (téléchargement d’une application, activation du mode

Bluetooth dans le téléphone, etc.). Ces technologies sont parfois tellement innovantes pour

le public, que la visite au musée est l’occasion de la découvrir ou d’apprendre à l’utiliser314.

Ainsi, en aidant des visiteurs à télécharger l’application iPhone « Monet », nous avons pu                                                                                                                312  Cf. ANNEXE IV n°11 – A, Dispositif VISITE + à la Cité des Sciences, p.143  313  Cf. ANNEXE IV n°3 - D – Exemples de notices explicatives des bornes bluetooth, p.61-63  314  Les résultats de notre enquête quantitative démontrent que 70% des personnes interrogées n’avaient jamais téléchargé d’application muséale avant celle de « Monet » et que 56% des visiteurs n’avaient jamais auparavant utilisé leur téléphone pour obtenir des renseignements sur des œuvres.  

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observer qu’un certain nombre d’entre eux n’avaient auparavant jamais téléchargé

d’applications iPhone sur leur téléphone. La sortie culturelle a été pour eux l’occasion d’une

découverte technologique.

S’il est intéressant d’observer un phénomène de sensibilisation aux technologies

dans le cadre d’une visite au musée, il faut cependant rappeler que la non maîtrise de l’outil

peut bien évidemment être un frein à son utilisation. Parmi les personnes sondées lors de

notre enquête, 26% des visiteurs possédant un iPhone n’ont pas téléchargé l’application

« Monet » en raison d’un problème matériel ou technique. 33% d’entre eux affirment ne pas

avoir réussi à la télécharger à l’issue d’un ou de plusieurs essais315. Comme nous

l’expliquons dans l’analyse du sondage, ce chiffre peut se justifier par des problèmes de

connexion au wi-fi survenus lors de l’enquête. Il faut cependant nuancer avec les difficultés

rencontrées par les usagers face à la technologie. En effet, lorsque les personnes n’ayant pas

réussi à télécharger disposaient d’un peu temps, nous avons essayé de diagnostiquer avec

elles le problème rencontré. Il s’est avéré dans certains cas, qu’elles n’avaient pas activé la

fonction « wi-fi » de leur téléphone, qu’elles ne connaissaient pas leur mot de passe

iTunes316, qu’elles se trouvaient trop loin des bornes wifi lors des essais de téléchargement

ou encore qu’elles n’attendaient pas le temps indiqué sur la notice pour que l’application se

charge dans sa totalité. Il convient donc de prendre en compte que certaines personnes

possédant un terminal ne maîtrisent pas toujours entièrement toutes ses fonctionnalités. Par

ailleurs, 19% des visiteurs n’ayant pas téléchargé l’application « Monet » pour des raisons

d’ordre matériel et technique estiment d’eux-mêmes ne pas avoir une maîtrise suffisante de

leur iPhone pour effectuer ce type de démarche317.

Outre le fait de posséder le bon terminal et la technologie nécessaire, les visiteurs

doivent donc connaître leur téléphone afin de disposer des informations proposées par le

musée. Bien que des notices explicatives puissent accompagner le visiteur néophyte dans sa

volonté d’utiliser l’application, on peut se demander si le principe de « l’accompagnement à

l’accompagnement » ne viendrait pas « altérer » ou « ralentir » la mise en relation entre outil

de médiation et public ? Si certains visiteurs pourront se réjouir à l’idée de suivre des

indications techniques pour obtenir des informations – un peu à la manière d’un jeu - on

                                                                                                               315  Les autres raisons étant d’ordre matériel (oublie de l’iPhone, manque de batterie, pas d’écouteurs…) voir les détails ANNEXES VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.8  316  Un mot de passe est demandé à l’utilisateur lorsqu’il télécharge une application. Ce mot de passe est lié à un compte utilisateur regroupant des informations de paiements notamment.  317  Nous précisons toutefois dans notre analyse du sondage qu’une vigilance est nécessaire à propos de ce chiffre : les personnes réfractaires aux sondages ou pressées par le temps auraient pu en effet affirmer ne pas savoir utiliser leur Smartphone afin de couper court à notre sollicitation.  

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peut supposer que ces notices décourageront probablement d’autres visiteurs. L’obtention

des contenus par ce biais et in situ est alors perçue comme une démarche fastidieuse ou

chronophage. Or l’intuitivité est selon nous primordiale et « un système qui se veut interactif

doit être très rapide pour être bien accueilli318 ».

La non maîtrise de la technologie adoptée par l’institution muséale est pour le

visiteur équipé et néophyte, une opportunité pour apprendre et découvrir de manière plus

approfondie son outil, ou au contraire, un véritable frein à l’utilisation et à l’accès aux

contenus.  

c- La visibilité En 1998, Andréa Weltzl-Fairchild et Louis Dubé font la remarque suivante à propos

des outils multimédias dans les lieux d’expositions :

« nous avons relevé qu’un bon tiers d’entre eux (les visiteurs ndlr) n’a pas

utilisé, pendant leur visite, les aides à l’interprétation ; mais ils ne faut pas oublier

que ces aides sont des instruments relativement nouveaux dans la galerie. Peut-être

les visiteurs seront-ils, un jour, plus enclin à s’en servir, à mesure que ces outils

deviendront plus perfectionné et plus simple d’utilisation. De plus, les visiteurs

doivent se rendre compte de l’existence de ces aides pour résoudre leurs dissonances

quelles qu’elles soient. Sans cette conscience, il ne pourra pas y avoir accès avec les

médias d’interprétation319 ».

Cette observation fait ressortir deux éléments intéressants et toujours d’actualité,

bien que prenant d’autres formes à l’heure actuelle. Elle souligne d’une part le caractère

novateur de ces outils, qui expliquerait un taux encore relativement faible d’utilisation, et

d’autre part le manque de prise de conscience de leur existence par les usagers.

Il convient, comme le rappelle les deux auteurs, d’étudier la question de la prise de

conscience des visiteurs par rapport à l’existence de ces outils. Selon nous, cette prise de

conscience peut être liée à la visibilité de ce système, autrement dit à la façon dont les

publics vont accéder à la connaissance de ce dispositif. Car si l’information d’un nouveau

dispositif via le téléphone mobile circule dans les réseaux de recherche et de veilles en

                                                                                                               318  BREAKWELL Glynis, « Usages des interactifs au musée : le cas de la galerie de verre au musée Victoria and Albert », in « Publics, Nouvelles technologies et musées », Public & Musées, n°13 op.cit. p.37 319  WELTZL-FAIRCHILD André ; DUBÉ Louis, ibid. p.26  

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nouvelles technologies dans les musées, on peut s’interroger sur la façon dont les publics

amateurs vont quant à eux recevoir l’information ?

Lors de notre enquête, près de la moitié des personnes interrogées possédant un

iPhone n’avaient pas vu l’information relative à l’existence d’une application320. Bien que

des affiches publicitaires avaient été installées, on peut se demander si elles étaient

suffisamment visibles ou encore assez évocatrices. Ces deux critères semblent importants,

notamment pour signaler l’existence d’une application pour Smartphone, qui contrairement

aux bornes Bluetooth ou aux codes QR, ne sont pas des dispositifs matériellement visibles

dans un espace d’exposition. L’exemple le plus intéressant et le plus original en matière de

diffusion est pour nous celui de la Pinacothèque de Paris et du musée Jacquemart-André.

Les deux institutions ayant intégré à leurs affiches promotionnelles d’exposition

l’information d’une offre d’application pour mobile321.

Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un dispositif est visible qu’il est systématiquement

identifié et donc « pris en compte » par les usagers potentiels. Un code QR pourra ainsi

laisser indifférent certains visiteurs, qui pourtant sont peut-être, et parfois sans le savoir,

équipés pour les lire. En témoigne la campagne d’affiches pour le festival des jardins,

indiquant près du code QR de l’affiche un message humoristique précisant qu’il ne s’agit

pas « d’un arbre généalogique », ni « d’un plan pour un passage secret dans le jardin »

etc.322. Cette communication tourne en dérision la méconnaissance et les interrogations

suscitées à la vue d’un code QR.

Pour résumer, les dispositifs mobiles dans un contexte muséal suggèrent que le

visiteur sache identifier la technologie, soit conscient de son existence, maîtrise son usage, et

soit doté de l’équipement nécessaire pour s’approprier les contenus proposés par

l’institution. Si les quatre conditions ne sont pas réunies, cela implique différentes mises en

œuvre de la part des institutions. Tout d’abord, le prêt de terminaux (téléphones ou

audioguides) ; la « formation » du visiteur, par la mise à disposition de notices explicatives,

et enfin, une certaine visibilité pour que les visiteurs prennent véritablement « conscience »

de l’existence de ces outils. Ces dispositions permettent à l’institution de ne pas « exclure »

certains visiteurs ou encore de ne pas poser de freins à son utilisation.

                                                                                                               320   Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.7  321   Cf. ANNEXE IV n°4-H, exemples de diffusion et de communication d’application iPhone (musée Jacquemart-André et Pinacothèque de Paris), p.76  322  Cf. ANNEXE IV n°5-B5 – affiches festival international des jardins 2011 p.82  

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d- Finalités des usages Si l’on a vu tout au long de notre analyse les riches potentialités du mobile comme

outil de médiation et de communication, quelques nuances quant à la finalité des usages

peuvent tout de même être exposées ici.

Nous pourrions partager les interrogations d’Agnès Vigué-Camus, lors de sa

réflexion sur les usages des écrans multimédias et des CR-roms de musées :

« Si l’on s’interroge en terme de finalité des usages, comme le font Jean

Davallon, Hana Gottesdiener et Jöelle Le Marec, on constate que ces utilisateurs ne

sont pas engagés dans un projet culturel ou documentaire stricto sensu pour lequel

ils auraient recours à un outil maîtrisé, mais qu’ils tâtonnent autour du multimédia.

On peut donc parler avec ces auteurs de pratique en cours d’élaboration, en

construction.323 »

Pourrait-on également qualifier les dispositifs d’aide à la visite sur téléphone mobile

de « pratique en cours d’élaboration » ? Dans le sens où l’obtention d’un contenu muséal

sur le mobile du visiteur est une offre relativement récente, la réponse tend à être positive.

En effet, comme nous l’avons dit, la visite au musée peut confronter le visiteur à des

découvertes en matière de nouvelles technologies. Dans ce contexte, ne serait-il pas en

situation d’expérimentation, de tests et donc de « tâtonnement » de l’outil à travers les

contenus ? L’expérimentation auprès des publics est d’ailleurs généralement l’enjeu de ces

dispositifs souvent éphémères324 et on peut supposer que certains visiteurs « survoleront » le

dispositif « pour tester », sans véritablement avoir recours à son utilisation globale. L’usage

« par curiosité » semble assez fréquent325.

La réponse dépend également du dispositif envisagé. Une application Smartphone

intégrant des commentaires audio rappellera sans doute aux utilisateurs le principe de

l’audioguide et suscitera sûrement moins de « tâtonnement » qu’un dispositif basé sur le la

réalité augmentée. Une réflexion plus approfondie des usages mériterait d’être effectuée afin

de mettre en exergue les différences d’appropriation de ces technologies par les visiteurs de

musée.

                                                                                                               323  VIGUÉ-CAMUS Agnès, ibid. p.47  324   Par exemple le projet PLUG aux musées des Arts et Métiers, le dispositif SMARTMUSE au Centre Georges Pompidou sont des expérimentations menées dans le cadre de partenariats avec des entreprises.  325  10% des personnes interrogées pour notre enquête au Grand Palais ont indiqué avoir avant tout téléchargé l’application « Monet » « par curiosité » Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.18  

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Quoi qu’il en soit, on peut se demander si le caractère « innovant » des outils ne

participerait pas à leur attraction pour la technologie en soi et non pour les contenus. Ainsi,

lors de nos observations au Studio 13/16, plusieurs adultes testaient le dispositif RFID. Ils

posaient le téléphone sur le cartel spécifique, observaient l’effet produit, puis passaient

rapidement à un autre cartel, souvent sans prendre le temps de regarder entièrement la vidéo

déclenchée par leur action.

Nous pourrions dès lors mettre en provocation notre sujet afin de nous interroger sur

l’effet « gadget » que ces dispositifs produiraient dans certains cas. Si ces derniers sont

attrayants par leur aspect innovant, ils affichent dans le même temps « la modernité de

l’institution326 », parfois sans aller au delà et sans exploiter le caractère personnel et

communicationnel propre au téléphone mobile. Dans cette perspective, le développement

d’une application muséale est-il toujours pertinent et surtout est-il uniquement destiné à

favoriser l’accompagnement des publics ? On pourrait se poser la question et se demander

dans quelle mesure certaines institutions n’entreraient-elles pas dans une « course à

l’innovation », qui consisterait à être une des premières à mettre en place tel ou tel type de

technologie ? Il semblerait que l’image de l’institution soit en jeu à travers ces dispositifs.

Ces derniers pourraient « dépoussiérer » l’image du musée en lui conférant un caractère

attrayant, moderne, décomplexé et en phase avec les usages et la société.

Nous avons axé notre analyse sur le processus de médiation et sur les publics.

Précisons avant de conclure que les dispositifs de médiation par le biais du téléphone ne sont

pas sans enjeux et sans limites pour les institutions muséales et sur les entreprises qui

développent ces outils. De ces deux entités peuvent naître des relations parfois singulières -

de partenariats ou de délégations. Les rapports qui se nouent entre institutions publiques et

privées dans le cadre de la conception de projets de médiation numérique, ainsi que leurs

enjeux et freins – communicationnels, financiers, administratifs - pourraient faire l’objet de

notre prochaine recherche.

                                                                                                               326   BERTRAND Mariève, « Les technologies au musée : volonté d’afficher une modernité… déjà dépassée ? » Université Catholique de Louvain, 2010  

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  99  

CONCLUSION

Avec les évolutions technologiques du secteur de la téléphonie mobile,

l’incompatibilité supposée entre la visite au musée et l’utilisation du téléphone est en phase

d’être révolue. Les institutions muséales se saisissent peu à peu de ces produits pour donner

naissance, comme on l’a vu, à des projets et expérimentations des plus variés.

Au terme de notre recherche, il apparaît que le téléphone est un outil complexe à

étudier, car de plus en plus hybride, ce qui semble lui conférer une certaine forme

d’imperceptibilité et commence à poser des difficultés aux personnels d’accueil et de

surveillance des musées. Comment, en effet, distinguer une personne qui photographie avec

son téléphone alors que la pratique est interdite, d’un visiteur qui envoie un SMS, effectue

une recherche ou utilise l’application Smartphone du musée ?

Mais les aspects protéiformes et insaisissables du téléphone constituent aussi sa

force : il offre une ouverture sur de multiples possibles et répond, dans le contexte de notre

étude, à la fois à la logique du musée « temple » et du musée « forum ». Plus qu’un outil de

médiation, le mobile est donc très souvent un outil de « multi-médiation », permettant un

enrichissement personnel et/ou un accompagnement à la visite, que ce soit par le biais d’une

technologie et d’un usage proposé par l’institution ou par une pratique autonome, affranchie

des instances du musée, que nous avons nommé « usage amateur ». Outil de communication

par excellence, le téléphone devient générateur ou support d’interactions entre les

visiteurs/utilisateurs et l’institution, qui favorise une plus grande proximité avec ses publics.

En terme prospectif, des études révèlent qu’une augmentation du taux de pénétration

des Smartphones est à prévoir en France dans les deux à trois prochaines années327. Les

dispositifs de médiation via le mobile seront donc sans doute amenés à évoluer parmi l’offre

muséale. Le déploiement de ces produits vers un plus large panel de Smartphones pourrait

être une évolution envisageable en termes d’accessibilité. Nous pouvons dès lors nous

interroger quant à la forme « expérimentale » et « éphémère » que revêtent généralement les

projets sur terminaux mobiles. L’accroissement du nombre de Smartphones conduira peut-

être à proposer des produits davantage pérennes ? La question reste ouverte car le

développement des technologies et des usages est si rapide que les institutions muséales sont                                                                                                                327  Un français sur quatre serait un « mobinaute » en 2014 selon l’étude de la société Price Waterhouse Coopers http://www.pwc.fr/plus-daun-francais-sur-quatre-sur-lainternet-mobile-en-2014-11e-enquete-mondiale-sur-laindustrie-des-loisirs-et-des-medias.html, juin 2010

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  100  

et seront forcées, si elles souhaitent être en phase avec les usages de leurs visiteurs, à être

extrêmement réactives. Cependant, est-il pertinent pour un musée de se lancer dans une

« course à l’innovation », si les produits proposés par l’institution ne sont pas intuitifs ou

réellement en phase avec les finalités d’usage des publics ? Quels sont les motivations et les

enjeux d’un déploiement de tels dispositifs pour les musées et pour les entreprises qui les

développent ?

Si nous pensons que l’utilisation du téléphone mobile en contexte muséal dispose

d’un avenir certain et concourent à l’attractivité de nouveaux publics, il convient cependant

de garder à l’esprit que ces projets résultent d’un cahier des charges préalable, soumis à un

contexte financier et à la collaboration de l’institution muséale avec une entreprise privée.

Dès lors comment concilier cohérence de la politique culturelle et utilisation de ces

nouveaux outils, tout en respectant une ligne budgétaire définie et des partenariats

préexistants ? Après avoir étudié le lien des institutions aux publics et à la médiation par le

biais de ce média, nous explorerons lors de notre prochaine recherche, les relations

naissantes entre institutions et entreprises privées dans le cadre de la conception de projets

numériques.

Page 101: "Le téléphone portable, nouvel outil de médiation culturelle dans les institutions muséales françaises"

  101  

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