"Le téléphone portable, nouvel outil de médiation culturelle dans les institutions muséales...
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Université de Paris III Sorbonne Nouvelle UFR Arts et Médias
Le téléphone portable, nouvel outil de médiation dans les institutions
muséales françaises
Stedelijk Museum ©
Clélia Dehon
Mémoire de master 1 Conception et direction de projets culturels
Sous la direction de Mme Cécile Camart
Juin 2011
2
« En janvier 2001, à Syracuse, je me promenais avec Jacques Derrida. Nous parlions de téléphones mobiles. La discussion était, non pas technique, mais philosophique. Pour ma part, campant sur une position dogmatique, je soutenais que le mobile est un appareil stupide, et l’ordinateur, une machine intelligente. Peut-être parce que je pensais qu’avec l’ordinateur, on peut écrire des essais intelligents et avec le mobile, des messages stupides. De toute évidence, je faisais fausse route. Et pas seulement parce qu’on peut écrire des essais d’une idiotie monumentale avec l’ordinateur, mais aussi et surtout, parce que, observait Jacques Derrida, avec le temps le mobile finirait par concentrer toutes les fonctions de l’ordinateur, outre celle de ne jamais nous quitter, que l’ordinateur ne possède pas encore. »
Mauricio Ferraris « T’es où ? Ontologie du téléphone mobile » Bibliothèque Albin Michel Idées, 2006, p.14
3
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier ma directrice de recherche, Mme Cécile Camart, pour son intérêt
envers mon sujet, son soutien et ses conseils, qui ont pu m’éclairer tout au long de
l’élaboration de ce mémoire.
Mon analyse n’aurait pu être matérialisée sans les nombreuses rencontres
professionnelles, qui m’ont permis d’élargir mes connaissances dans le domaine des
nouvelles technologies mobiles et de la façon de les concevoir dans une institution muséale.
Je remercie donc vivement Mme Marieke Rollandi, Médiatrice culturelle au musée
municipale de Cambrai, Mr Mauricio Estrada Munoz, Chef de projet au Studio 13/16 du
Centre Georges Pompidou, Mr Frédéric Durand, Directeur associé de la société smartApps,
Mr Yann Hamet, Responsable de la politique tarifaire et des audioguides à la RMN-Grand
Palais, Mr Benoît Villain, Responsable des projets éducatifs et culturels au LaM de Lille, Mr
Benjamin Bardinet, Responsable de la médiation et de l’action culturelle au Palais de Tokyo
et Mme Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée des Arts décoratifs.
Le temps qu’ils ont bien voulu me consacrer m’a été plus que bénéfique.
Parallèlement à ces entretiens, de nombreuses personnes se sont montrées ouvertes et
disponibles pour échanger avec moi autour de ce sujet très vaste. Je tiens particulièrement à
remercier à ce titre Melle Noémie Couillard, Doctorante à l’École du Louvre, Mr Gonzague
Gauthier, Webmaster et Community Manager au Centre Georges Pompidou, Mme Caroline
Bugat, Coordinatrice pédagogique à la Cité de la Musique, Mme Coline Aunis, Chargée de
projets multimédia au musée des Arts et Métiers et Mme Claire Séguret, Responsable
adjointe du service de communication au musée de Cluny.
D’autres personnes ont également contribué à ancrer mes recherches sur un terrain
professionnel. Je remercie pour cela Mr Pierre-Yves Lochon, Directeur de Synapses
Conseils et Coordinateur du Club Innovation et Culture. Je souhaite également exprimer ma
gratitude auprès de la société smartApps et de la RMN-Grand Palais, en particulier Mme
Valérie Bex et Mme Béatrice Laigneau, qui m’ont accordées la permission de transformer
les Galeries Nationales du Grand Palais en un terrain d’observations et de recherches.
L’étude que j’y ai réalisée n’aurait été rendue possible sans la contribution et le
dynamisme de huit étudiantes de l’Université de Paris III, Sorbonne Nouvelle. Je tiens à
4
remercier pour leur collaboration et leur dynamisme : Patricia Bass, Marie-Eve Brisson,
Catherine Boullier, Anne-Solène Chevallier, Maeva Mazan, Lisa Moneret, Sarah Papon et
Caroline Stradella.
Enfin, le dernier remerciement, mais non le moindre, va en direction de Simon
Wasselin, pour sa compréhension, ses relectures, son regard extérieur, ses conseils
techniques, ses encouragement, sa patience et parfois même, ses sacrifices.
Si la rédaction de ces pages fût une aventure longue et solitaire, toutes ces personnes
l’ont rendu plus riche et plus humaine.
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AVANT-PROPOS
Au printemps 2009, je visitais l’exposition « Alexander Calder » au Centre Gorges
Pompidou, lorsque je reçu un appel sur mon téléphone portable. Je ne décrochais pas mais
décidais d’écouter le message laissé sur mon répondeur. Aussitôt, un agent d’accueil
s’approcha en me faisant un signe d’interdiction et me dit qu’il n’était pas possible de
téléphoner dans l’exposition. Dans un mouvement de surprise, j’éloignais le téléphone de
mon oreille avant de le ranger dans mon sac, sans même avoir écouté le message. Après
coup, je me trouvais idiote de ne pas lui avoir dit qu’il s’agissait simplement d’une écoute et
non d’une conversation. Le geste était de toute évidence ambiguë.
Quelques semaines plus tard je fis une découverte qui me semblait paradoxale en
comparaison à cette anecdote. Je visitais pour la première fois musée du Moyen Âge et
appris par la même occasion l’existence des bornes Bluetooth dans la salle de la tapisserie de
la Dame à la Licorne. Cette fois, il m’était possible de sortir mon téléphone, pour obtenir un
contenu, ce que je fis. Malheureusement, j’ai été contrainte de terminer rapidement ma
visite, sans écouter le commentaire reçu face à l’œuvre. Par curiosité, je décidais tout de
même de l’écouter… mais dans la rue.
Il y avait là pour moi une double contradiction : dans un musée on me demandait de
ranger mon portable, dans un autre on me demandait de le sortir ; dans le premier cas je
n’avais pas pu écouter un message personnel dans le musée et dans le second je pouvais
écouter un message muséal dans l’espace urbain.
Les applications pour smartphone, qui se sont avérées de plus en plus nombreuses,
ont ensuite suscité mon intérêt. Je choisis ainsi de centrer mes recherches – à l’origine
orientée vers les dispositifs de médiation numérique au sens large - entièrement sur le
téléphone portable.
Dans l’objectif de mieux cerner mon sujet et d’affiner mon regard sur les
technologies des terminaux mobiles, j’ai sollicité et mené des entretiens avec divers
professionnels, proches des questions des publics et de leurs usages au musée. Cela m’a bien
entendu permis d’envisager certaines pistes d’analyses, d’en écarter d’autres et surtout de
mieux saisir l’organisation de ces systèmes de médiation, leurs enjeux et leurs limites, aussi
bien pour les publics, les institutions muséales et les entreprises qui les développent.
Si certains s’attendent peut-être à lire un audit, un rapport, un dossier complet sur des
retours d’expériences, je tiens à préciser ici qu’il n’en est rien. L’objectif principal de ma
recherche étant de « poser » un contexte et de proposer une première analyse des influences
6
de ces dispositifs sur les façons dont les publics peuvent envisager leur utilisation et sur les
manières dont les outils de médiation sur téléphone pourraient modifier leurs liens à
l’institution et aux autres visiteurs.
En outre, les regards experts en technologies mobiles pourraient peut-être trouver
matière à critiquer mon approche technique, observer des imprécisions ou des maladresses
dans les définitions. C’est pourquoi je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un mémoire en sciences
et techniques de l’information et des télécommunications mais d’une recherche présentée
dans le cadre d’un master en conception de projets culturels. Toute mon analyse est donc
tournée avant tout sous l’angle de la médiation, de la transmission et de l’appropriation. Je
vous en souhaite une bonne lecture.
7
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS……………………………………………………………. AVANT-PROPOS………………………………………………………………. INTRODUCTION………………………………………………………………. CHAPITRE I : LE TÉLÉPHONE PORTABLE, NOUVEL OUTIL DE MÉDIATION DANS LES MUSÉES
1. De la réticence à la tolérance, analyse de la réception du mobile au musée……………………………………………………………………………
a. Introduction du mobile dans les lieux culturels : des inégalités ?......... b. Le musée, un lieu prédisposé à l’utilisation du mobile ?......................
c. De l’ « hostilité » à l’ « utilité » : vers une évolution du statut du mobile au musée…………………………………………………………
2. Téléphone et présence muséale institutionnelle………………………….
a. Les prémices du téléphone au musée, entre diffusion et médiation : la question de la transmission……………………………………….…
b. « Capture d’écran » des technologies mobiles au musée ………….. c. Les outils pervasifs, connexion directe entre publics et artefacts d. Le musée augmenté
3. Musées, téléphones portables et usages amateurs……………………… a. La recherche internet comme « auto-médiation »……………………. b. L’enregistrement……………………………………………………… c. Le partage social……………………………………………………… CHAPITRE II : LE TÉLÉPHONE PORTABLE, UNE OFFRE DE MULTI-MÉDIATION. EFFETS ET ENJEUX SUR LES USGAGES DES PUBLICS
1. Le mobile, canalisateur d’outils de médiation………………………… a. La mobilité………………………………………………………….. b. Entre livre et écran ? ………………………………………………... c. Interactivité et sociabilité…………………………………………….
2. Effets de la multi-médiation……………………………………………..
a. Un triple niveau de médiation………………………………………… b. « L’embrassement » du regard et la (re)découverte à distance………..
3. Quand le musée « appelle » son public…………………………………
a. Public ciblé…………………………………………………………… b. Publics approchés…………………………………………………….. c. Public à conquérir ……………………………………………………
p.3 p.5 p.9 p.12 p.12 p.14 p.18 p.22 p.22 p.28 p.32 p.35 p.36 p.37 p.38 p.39 p.43 p.44 p.46 p.49 p.51 p.52 p.55 p.57 p.58 p.61 p.63
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d. La multi-médiation et l’éclosion de « tribus médiatiques »…………...
CHAPITRE III : LE TÉLÉPHONE PORTABLE, UN OUTIL DE PROXIMITÉ. FORMES D’INTERACTION ET DE COMMUNICATIONS ENTRE INSTITUTIONS MUSÉALES ET PUBLICS
1. Promixité et formes de connivence…………………………………….. a. L’institution dans nos poches………………………………………. b. La personnification : un nouveau rapport à l’institution et aux
œuvres ? ……………………………………………………………. c. Le lieu de la personnalisation………………………………………
2. Téléphone, publics et musées : vers un nouveau schéma
communicationnel ? ……………………………………………………. a. Du livre d’or à la « communauté virtuelle »…………………………. b. Formes d’intercations sociales « inter-visiteurs » et « inter-
amateurs »……………………………………………………………. c. Le téléphone portable, un « appareil critique » pour amateurs de
musées ? ……………………………………………………………...
3. Le publics face aux outils de médiation sur téléphone mobile : formes d’exclusion et freins à l’utilisation…………………………… a. Des dispositifs très ciblés…………………………………………… b. La non maîtrise de l’outil et « l’accompagnement à
l’accompagnement »………………………………………………… c. La visibilité………………………………………………………….. d. Finalités des usages…………………………………………………..
CONCLUSION……………………………………….…………………………. BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………….
p.66 p.69 p.69 p.71 p.75 p.78 p.78 p.85 p.89 p.91 p.91 p.93 p.95 p.97 p.99 p.101
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INTRODUCTION
Ces vingt dernières années, les institutions muséales ont vu peu à peu s’introduire
dans leur enceinte par le biais des visiteurs, un objet de notre quotidien : le téléphone
portable. Son apparition au musée a d’emblée susciter des interrogations, notamment à
propos des comportements induits sur les visiteurs dans les salles d’exposition, mais aussi
sur le décentrement contemplatif et cognitif qu’il pourrait opérer. Car le téléphone mobile
pose, dans une certaine mesure, une limite à la définition du musée en vigueur, établit par
l’ICOM1 en 2007:
« Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la
société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie,
expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son
environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »
En effet, dès lors que les publics, dotés de leurs outils personnels en contexte de
visite sont aussi en posture communicante et en relation avec l’« extérieur » du musée, les
fonctions d’études, d’éducation et de délectation vouées à l’institution ne pourraient-elles
pas, à tout instant, être perturbées par le téléphone mobile ?
D’abord banni des enceintes des musées car contraire aux règlements intérieurs
exigeant calme, discrétion et respect des autres visiteurs, force est de constater que le mobile
fait de nos jours partie intégrante de certains dispositifs de médiation culturelle et que les
usages développés par les visiteurs à travers ses fonctionnalités se sont multipliés. Les
développements technologiques et la mutation des outils de télécommunication « en objets
qui ne servent plus seulement à téléphoner 2» semblent avoir semé le trouble dans les
institutions muséales. Face à ces évolutions, plusieurs d’entres elles tentent aujourd’hui de
s’adapter, tirant profit des fonctions et des technologies propres à ce média, adoptant parfois
une position ambigüe, voire divergente vis à vis du règlement intérieur établi.
Applications pour Smartphone, réalité augmentée, RFID, QR codes... Nous verrons
que les nouvelles technologies mobiles sont devenues autant de possibilité permettant aux
1 Statuts de l’ICOM (International Council of Museums) adoptés lors de la 21e Conférence générale à Vienne (Autriche) en 2007 Chronologie de l’Icom http://icom.museum/chronology_fr.html 2 Coll. – Les Usages avancés du téléphone mobile, In : Réseaux, volume 27, La Découverte, juill. – sept. 2009
10
institutions d’utiliser le téléphone du visiteur comme un support pédagogique et de rendre
légitime son utilisation dans le contexte muséal.
Il convient toutefois de se demander si les dispositifs de médiation via le téléphone
mobile ne participent pas uniquement à un phénomène de « mutation des contenus » par
lequel ceux-ci seraient, par exemple, simplement transposés de l’audioguide au téléphone
mobile ? En outre, l’utilisation du téléphone mobile en contexte muséal peut-elle générer des
impacts singuliers sur la médiation culturelle et sur les façons dont les visiteurs vont accéder
aux informations transmises par le musée ? En s’immisçant dans un outil strictement
personnel, l’institution modifie-elle ses relations aux publics ? Si la réponse est positive,
alors quels en sont les aspects et les effets ?
C’est à ces questions que nous tenterons, entres autres, de répondre au sein de la
présente recherche. Elles convoquent la problématique générale de notre analyse, qui est la
suivante : le téléphone mobile dans les institutions muséales françaises peut-il être considéré
comme un nouvel outil de médiation et engendre t-il de nouveaux rapports aux publics ?
Dans un premier temps, nous exposerons le contexte d’apparition du téléphone dans
les musées et proposerons une description analytique des projets et expérimentations
institutionnels recourant aux technologies mobiles. Nous aborderons également les usages
« amateurs » avec le mobile en situation de visite au musée. Ce chapitre permettra aux
lecteurs de se familiariser avec le contexte, le langage, les usages et les fonctionnalités du
téléphone, appliqués aux musées.
Nous questionnerons ensuite le lien entre le mobile et la médiation. Il semblerait que
les multiples fonctionnalités du mobile augmentent et diversifient les possibilités d’accès
aux œuvres et à l’institution. En outre, il apparaitrait que le téléphone puisse également
revêtir les fonctions des supports de médiation qui composent traditionnellement les lieux
d’expositions. Les similitudes et les divergences entre plusieurs de ces supports se
dessineront alors, démontrant la complémentarité du mobile. Considérant le téléphone
comme un outil de médiation protéïforme, le terme de « multi-médiation » sera
régulièrement employé pour définir son offre. Cette dimension « multifonction » nous
amènera aussi à développer une réflexion sur ses éventuelles possibilités à capter un large
public. Ces interrogations formeront une transition avec le troisième et dernier chapitre,
abordant la question des relations aux publics.
Le mobile étant avant toute chose un outil de communication personnelle, nous
verrons comment il peut introduire une proximité et offrir différents axes de communication
entre institutions et publics. Si les enjeux de ces outils sont nombreux, il sera cependant
11
essentiel, avant de conclure, d’expliciter en quoi le téléphone portable peut être autant
fédérateur de lien social que d’exclusion symbolique. Nous en détaillerons les formes et les
freins à l’utilisation.
Cela nous conduira à conclure sur les perspectives d’évolutions possibles de l’usage
de ces outils dans les musées et à ouvrir notre sujet sur les enjeux stratégiques liés à leur
mise en place pour les institutions et les entreprises qui développent ces technologies
mobiles.
12
CHAPITRE I :
Le téléphone portable, nouvel outil de médiation culturelle dans les musées
1. De la réticence à la tolérance ? Analyse de la réception du téléphone
mobile au musée a. Introduction du mobile dans les lieux culturels : des inégalités ?
D’abord destiné au monde des affaires, le téléphone portable a connu une croissance
considérable et inattendue dès la fin des années 90 : « Contre toute attente – et notamment
celle des concepteurs et opérateurs télécom –, le cellulaire est devenu, en un temps record,
un objet amplement diffusé »3. Adopté par un large public et de façon massive, le taux de
pénétration du téléphone mobile - toutes marques et opérateurs confondus - est passé de 10%
en 1997 à 97% en 20104.
Plusieurs études s’accordent sur un constat : le téléphone mobile a profondément
modifié les pratiques sociales, allant jusqu’à « la redéfinition pratique de nos espaces
sociaux ordinaires »5. En effet, sphère publique et privée s’entrelacent désormais et
« L’espace public laisse le champ libre à des échanges téléphoniques qui jusqu’à peu
étaient réservés au territoire de l’intime ou du résidentiel6 ». Les utilisateurs sont alors en
posture « d’ubiquité médiatique »7 : ils peuvent se trouver physiquement à un endroit, mais
être médiatiquement ailleurs. Ces modes de communication en situation de mobilité ont
donc non seulement bouleversé les usages, mais aussi le rapport aux espaces.
Les établissements culturels n’ont pas échappé à ces nouveaux usages. Avec
l’apparition des téléphones mobiles, ils ont dû faire face à des pratiques allant parfois à
l’encontre de la posture attendue de visiteurs ou de spectateurs. Ainsi, il n’est pas rare, par
exemple, que le téléphone d’un visiteur se mette à sonner ou vibrer pendant une séance de
cinéma, une représentation théâtrale ou la visite d’une exposition, susceptible de perturber
3 DENOUËL Julie ; André H. CARON et Letizia CARONIA, « Culture mobile : les nouvelles pratiques de communication, in Communication », Vol. 26/1, 2007, p.198 Mis en ligne le 24 septembre 2009. URL : http://communication.revues.org/index774.html 4 De décembre 1997 à décembre 2010, selon l’observatoire du site de l’ARCEP, (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) http://www.arcep.fr/index.php?id=35 5 DENOUËL Julie ; André H. CARON et Letizia CARONIA ibid. p.198-199 6 Ibid. 7 « L’ubiquité médiatique » est un concept définit par François JAUREGUIBERRY, Les branchés du portable : sociologie des usages, coll. Sociologie d’aujourd’hui, PUF, 2003, p.17
13
l’expérience sensorielle du spectateur recevant l’appel et potentiellement celle d’autres
spectateurs. L’usage du mobile peut alors être perçu comme un signe d’inconvenance, par
l’institution ou les autres visiteurs, dans un lieu où a posteriori, on se rend pour utiliser ses
sens à des fins de contemplation, de connaissances ou de plaisir et non pour être en posture
d’« ubiquité médiatique ». Ainsi, dans un des exemples du livre Mobile Attitude : ce que les
portables ont changé dans nos vie un protagoniste s’excuse auprès de son interlocuteur de
ne pas avoir eu avec lui d’échange téléphonique plus tôt et dit : « J’étais au musée, je ne
pouvais pas te parler8 ». Il est aussi généralement admis lors d’une visite au musée que
notre concentration doit se porter uniquement sur l’objet de cette pratique et tacitement que
celle-ci implique de ne pas se laisser distraire par des éléments « extérieurs ». Or, pour
Annie Gentes et Isabelle Garron9, « le mobile, c’est la rue dans le musée, il introduit une
esthétique du décentrement.10 ». Notre contemplation et notre concentration ont la possibilité
de se déplacer vers un ailleurs, apporté directement par le mobile.
Très rapidement, des mesures ont donc été adoptées par les institutions culturelles
pour éviter tous les comportements induits par le téléphone mobile, dans la volonté d’assurer
un confort à tous les publics et sans doute implicitement pour tenter de « recentrer » les
regards et l’attention. Pour ces raisons, il est fréquemment rappelé aux visiteurs - que ce soit
sous la forme d’annonces vocales ou de logos signifiants l’interdiction11 – que le téléphone
portable doit être éteint ou mis en mode « silencieux »12. Cependant, nous sommes forcés de
constater que cette réglementation est parfois difficile à faire respecter, plus particulièrement
dans les institutions muséales13.
Les propos de Jean-Marc Proust, critique et journaliste pour Opéra Magazine, sont
assez significatifs à cet égard : « Comme au concert, où l’on est prié d’éteindre son
portable, est-il possible d’attendre qu’au musée on ferme le clapet pour ouvrir les
8 GONORD Alban et MENRATH Joëlle, « Mobile Attitude : ce que les portables ont changé dans nos vies », éd. Hachette Littérature, 2005, p.67 9 Annie Gentès et Isabelle Garron sont maîtres de conférence en sciences de l'information et de la communication à Telecom ParisTech. 10 DACHY Tiphaine et LEGROS Sonia, Propos de Annie Gentes et Isabelle Garron dans le compte rendu de la conférence « Les dispositifs de mobilité » dans le cycle « Muséologie, Muséographie et nouvelles formes d’adresse au public », organisé par l’institut de Recherche et d’Innovation (IRI) du Centre Georges Pompidou, 6 juin 2007 11 Cf. ANNEXE IV n°1 – Panneaux d’interdictions dans les musées p.50 12 Le mode « silencieux » signifie la désactivation des sons qui pourraient être émis par le téléphone (sonnerie signalant un appel ou message textuel) 13 D’autant plus à l’heure où le mobile devient un objet hybride, intégrant plusieurs fonctions, outre celle de permettre des échanges vocaux. Il est alors difficile de distinguer une personne qui passe un appel ou prend une photo, d’une personne qui écoute son répondeur ou envoie un sms. Nous y reviendrons plus en détails au cours du chapitre suivant. Cf. FERRARIS Mauricio, ibid. p. 121
14
yeux ? »14. Cette remarque met en avant deux éléments intéressants que nous allons
développer dans cette première partie afin de mieux comprendre dans quel contexte apparaît
le téléphone au musée. Dans un premier temps, ces propos supposent une inégalité évidente
entre le musée et d’autres institutions culturelles, dans lesquelles la non-utilisation du mobile
serait davantage imposée et respectée. Nous partirons de cette hypothèse pour nous
demander si l’espace du musée serait plus « exposé » à l’usage du mobile – en tant qu’outil
de communication - que celui d’autres structures culturelles et pour quelle(s) raison(s) ?
Dans un second temps, cette citation démontre que l’usage du mobile en contexte muséal
fait l’objet de vives réticences. Nous tenterons de déterminer quels en sont motifs et nous
nous interrogerons quant aux possibles évolutions de ces critiques. Précisons enfin que nous
parlerons dans cette partie de l’utilisation du téléphone pour ses fonctions de
communication15, n’ayant ni pour objet l’enregistrement (photos, vidéo), ni pour but
d’obtenir des renseignements ou d’effectuer un partage social en rapport avec l’institution
fréquentée.
b. Le musée, un lieu prédisposé à l’utilisation du mobile ?
De prime abord, il convient d’examiner les espaces et les contextes dans lesquels se
placent les publics lorsqu’ils se rendent, d’une part dans une salle de représentation
(spectacle vivant ou cinéma) et d’autre part dans une salle d’exposition (les collections d’un
musée, une exposition temporaire). Nous n’entendons pas suggérer ici que les publics des
musées utilisent d’avantage leur téléphone portable in situ que les publics des salles de
spectacles, car cela nécessiterait l’objet d’une enquête de public spécifique qui dépasserait
l’ambition et le sujet de la présente étude. Nous souhaitons simplement mettre en avant les
raisons pour lesquelles les lieux d’expositions paraissent plus « exposés » ou plus incitatifs à
l’utilisation du téléphone.
En effet, si l’on considère le climat des deux types d’institutions évoquées, on
remarque que les salles de cinéma, de théâtre ou de concert semblent se prêter davantage à la
« mise à distance » du téléphone mobile et appellent de façon naturelle un « arrêt de
l’ubiquité » que les salles des institutions muséales. L’obscurité et le silence y sont en
général deux conditions sine qua non pour voir et écouter de façon confortable. Ainsi, le son
et la lumière émis par le téléphone pendant une représentation sont facilement remarquables 14 PROUST, Jean-Marc « Musée : plaidoyer pour le « no-photo » » http://www.slate.fr/story/34107/musees-plaidoyer-pour-le-no-photo 15 Les fonctions de communication sont constituées par la réception et l’envoi de messages, soit écrits comme les textos, les MMS et les mails, soit vocaux comme les appels.
15
et sont considérés comme perturbants. C’est sans aucun doute pourquoi son usage est
davantage proscrit16. Assis dans un lieu clos face à une scène ou un écran, les spectateurs
sont mis en condition pour porter toute leur attention uniquement vers la représentation,
allant parfois jusqu’à éprouver au moment de leur sortie le sentiment d’avoir été « coupés du
monde ».
Dans un musée, la posture est tout à fait différente puisqu’elle nécessite de la part du
visiteur un déplacement, une déambulation, et donc un engagement du corps. Le visiteur
n’est pas mis en condition physique, c’est à dire le corps tourné vers une scène ou un écran,
pour regarder, mais au contraire libre de tout mouvement. C’est grâce à ces derniers qu’il
découvre les objets exposés. Dans ce contexte, le public du musée peut de façon plus
pratique, plus discrète et moins gênante que dans une salle de spectacle, consulter son
téléphone portable ou même répondre à un appel, quitte à se mettre en porte à faux par
rapport au règlement intérieur de l’institution. Dans cette situation, la mobilité efface
davantage chez les visiteurs de musée l’impression et la conscience de faire partie d’un
groupe social constitué que chez les spectateurs de théâtre qui sont ensemble soumis à un
lien spatio-temporel fort.
Nous pouvons également remarquer que la mobilité propre à la visite de musée
associée au mode d’accompagnement dans une institution muséale favorise le contact
médiatique entre les visiteurs d’un même groupe et convoque le célèbre « t’es où ? »17. Lors
de l’évaluation de l’application iPhone réalisée aux Galeries Nationales du Grand Palais,
plusieurs personnes interrogées nous ont ainsi confié qu’elles utilisent fréquemment leur
téléphone lors de visites d’expositions, notamment afin de retrouver la ou les personnes qui
les accompagne et qu’elles ont égarées au sein même d’une exposition18. Ici, l’usage du
téléphone rassure et réinstaure un lien perdu : il « donne l’impression d’une présence »19.
Autrement dit, la situation de mobilité, d’autonomie des visiteurs et éventuellement de leur 16 Au théâtre, il est fréquemment rappelé par une annonce sonore avant le début de la représentation, que les spectateurs sont priés d’éteindre leur téléphone. Au cinéma, avant le début du film, on peut généralement remarquer des gens qui éteignent leur téléphone ou qui en parlent : « Zut, j’ai oublié d’éteindre mon téléphone », « As-tu éteint ton portable ? ». Cette logique semble avoir été adoptée par beaucoup de spectateurs, qui souhaitent eux-même ne pas être dérangés. 17 Expression récurrente dans l’ouvrage de Maurizio FERRARIS, T’es où ? Ontologie du téléphone mobile. Préface d’Umberto Eco, Bibliothèque Albin Michel Idées, 2006, p.15 « La question fondamentale que l’on se pose quand on parle avec quelqu’un sur un mobile est « t’es où ? », question absurde et impensable au temps du téléphone fixe, je suggérai à Kristof que ce « t’es où ? » constituait aussi une Grundfrage philosophique ou, plus prosaïquement, un problème intéressant : le mobile annonce une ontologie mobile, et pas simplement une fête mobile, comme semblent le suggérer, avec une vague réminiscence hemingwayenne, les publicités. » 18 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone « Monet, la visite » aux Galeries Nationales du Grand Palais. 19 JAURÉGUIBERRY Francis, « Les branchés du portable, sociologie des usages », collection Sociologie d’aujourd’hui, éd. Presse Universitaire Françaises (PUF), 2003, p.32-35
16
accompagnement seraient des facteurs qui les inciteraient à user de leur téléphone mobile
dans un musée.
Du point de vue de la muséologie et des politiques culturelles, sans trop nous attarder
sur leur historique, nous pouvons interroger les corrélations existantes entre la place dédiée
au public dans les institutions muséales et l’usage du téléphone dans leur enceinte. Nous
essayons de déterminer ici si des caractéristiques liées à la muséologie et aux politiques
culturelles pourraient être prises en compte pour justifier l’utilisation du mobile au musée.
La question posée par Duncan Cameron dans les années soixante-dix semble
déterminante dans le cadre de notre sujet : « le musée, un temple ou un forum ? »20. Pierre-
Alain Mariaux explique ainsi le concept de musée temple : « Il y a peu, le musée était un
temple, qui conservait les objets du passé à la fois proche et lointain. En un mot, il était un
« emporium », un entrepôt des choses mémorables.21 » Autrement dit, le musée était une
institution « sacralisante », où l’on pouvait observer des rites similaires aux lieux de culte :
silence, recueillement etc. Mais, pour Duncan Cameron, ce « musée temple », ne saurait être
dissocié du « forum », au sens antique du terme, c’est à dire, la place publique où se créer
échanges et débats : « sans forum, le musée-temple devient un obstacle au changement (…)
Avec un forum, le musée sert de temple, acceptant et incorporant les manifestations du
changement.22». L’ouvrage de Cameron est l’un des fondateurs de la Nouvelle muséologie,
qui place les publics au centre de ses préoccupations et met fin à l’unique primat des
collections. Le musée est ainsi considéré comme un lieu de vie et d’interactions sociales.
Le téléphone portable pourrait s’inscrire dans la filiation et la logique du « musée
forum » car c’est un outil vecteur d’échanges et d’interactivité, qui connecte en temps réel,
par le biais des utilisateurs, le musée et le monde extérieur. Toutefois, les fonctions
d’enregistrement23 via le téléphone mobile pourraient aussi s’apparenter à la logique du
musée dit « temple » : « les pratiques scopiques qui motivent l'expérience du déplacement
s'accompagnent depuis les pèlerinages médiévaux d'un commerce de petits objets
symboliques du plus grand intérêt24 ». Le mobile peut être perçu ici comme cet « objet
symbolique » accompagnant les visiteurs et permettant de : « fournir une trace reliquaire de
notre présence en un lieu consacré, et amoindrir notre souffrance de ne pouvoir faire durer
20 CAMERON Duncan, « Le musée : temple ou forum ? » in Vagues : une anthologie de la nouvelle muséologie, sous la direction d’André Desvallés, vol. 1, PUL, Lyon, 1992. 21 MARIAUX, Pierre-Alain « Mausolée, ouverture critique », in « L’objet de la muséologie » , sous la direction de P. A. Mariaux, IHAM, Neuchâtel, 2005. 22 CAMERON, ibid. 23 Les fonctions d’enregistrement peuvent être la prise de photographies, les films, la prise de notes… 24 GUNTHER André, « Photo au musée, ou l’appropriation » http://blogs.mediapart.fr/edition/le-bruit-des-images/article/210211/la-photo-au-musee-ou-l-appropriation
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une expérience par nature passagère 25 ». Les photographies, les notes prises ou les outils
d’aide à la visite développée par les musées pour les téléphones portables pourraient être
considérées comme des reliquaires, véritables traces et témoins de la visite. C’est pourquoi
le mobile en tant qu’outil de communication nous semble correspondre à la logique profane
du « musée forum » et en tant qu’outil d’enregistrement26 à la logique sacralisante du
« musée temple ».
Au début des années soixante, l’idée de démocratisation culturelle présente dans
l’intention politique française avec la création du Ministère de la Culture, conforteront les
conceptions de la Nouvelle muséologie en soutenant l’importance de favoriser l’accès des
institutions culturelles au plus grand nombre27. A cela s’ajoute depuis une vingtaine
d’années la multiplication des expositions temporaires qui se centre avant tout sur la
réception des visiteurs28. Les concepteurs d’exposition sont fortement influencés par la place
occupée par les publics, qu’ils doivent tenter d’attirer. On pourrait dès lors se demander si
toutes les formes d’inclusion des publics mises en œuvre par les mutations muséologiques et
les politiques culturelles des musées, n’auraient pas contribué à une forme de « des-
intimidation » de l’institution qui conduirait le visiteur à se sentir consciemment en position
« privilégiée » au sein de l’institution ? Plus à l’aise, certains publics y prolongeraient alors
de façon instinctive leurs pratiques quotidiennes, et notamment l’utilisation du téléphone.
Encore une fois, nous tenons à souligner le caractère hypothétique de cette remarque. Il
nécessiterait de prouver que les logiques d’usages du téléphone portable par les visiteurs de
musées pourraient être influencées ou varier en fonction de la place qui leur est attribuée au
sein des structures. Il nous semblait cependant intéressant de soulever cette réflexion.
Toutes ces remarques peuvent nous éclairer sur les raisons pour lesquelles les publics
paraissent naturellement plus portés à utiliser leur téléphone dans un lieu d’exposition que
dans un lieu de représentation. Cependant, comme nous l’avons fait remarquer en citant le
critique Jean-Marc Proust, ce n’est pas pour autant que l’usage du téléphone est apprécié et
toléré, que ce soit par les professionnels ou les amateurs de musées. Néanmoins, le mobile
est devenu depuis quelques années un outil de communication muséale et de médiation
culturelle. Ces nouvelles fonctionnalités font-elles évoluer le regard des professionnels
français sur le sujet et brisent-elles les réticences envers le téléphone mobile dans l’enceinte
25 Ibid. 26 FERRARIS, Maurizio, ibid. p.119 27 http://www.culture.gouv.fr/culture/historique/ministres/malraux.htm http://www.culture.gouv.fr/culture/historique/rubriques/creationministere.htm 28 DAVALLON Jean, L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris : ed. L’Harmattan, 2000
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du musée ? Peut-on dire que le mobile est devenu utile plus qu’hostile aux institutions
muséales ?
c. De « l’hostilité » à « l’utilité » : vers l’évolution du statut du mobile au musée
En 2002, dans son rapport sur les audioguides29, Sophie Deshayes interroge des
opérateurs du marché français des audioguides au musée. Elle constate que ceux-ci ne se
sont pas encore lancés dans le secteur des technologies mobiles. Un prestataire donne trois
raisons pour lesquelles des projets d’applications pour téléphones ont du être reportés. Parmi
ces raisons, il évoque : « la résistance des conservateurs de musée, qui seraient largement
hostiles à l’utilisation des téléphones mobiles au musée (pas de garantie d’écoute centrée
sur les contenus du musée)30. » Ainsi, comme nous le disions dans la partie précédente, le
téléphone est perçu comme un objet de « décentrement », qui empêcherait le visiteur de
porter son regard sur les objets exposés ou de se concentrer sur les contenus mis à sa
disposition par le musée. On remarque que les critiques et les interdictions émanent
directement des fonctionnalités intégrées au téléphone qui, pour certaines, altèrent la
contemplation et la cognition des visiteurs en créant un « filtre » entre eux et les œuvres.
Parmi les fonctionnalités du mobile souvent en cause, il y a bien entendu les
communications verbales, proscrites dans la plupart des institutions, mais aussi la prise de
vue photographique, évoquée précédemment. Citons à ce sujet le cas du musée d’Orsay qui
a posé depuis juin 2010 l’interdiction relative à la prise de photographies – qu’elles soient
avec ou sans flash - des œuvres de sa collection. Sur le site du musée, il est étonnant de lire
que « Cette mesure est notamment liée à la multiplication des prises de vue "à bout de bras"
via des téléphones mobiles. »31. Le Ministère de la Culture et de la Communication soutient
cette interdiction en reprenant le même motif :
« La diffusion croissante des appareils photographiques numériques,
notamment ceux intégrés aux téléphones portables, a amené des changements dans
29 DESHAYES, Sophie, « Les audioguides, outils de médiation dans les musées », Rapport d’étude commandité par le département des publics de la Direction des musées de France, décembre 2002, p.80 30 DESHAYES, Sophie, ibid. 31 La mesure dans son intégralité sur : http://www.musee-orsay.fr/fr/visite/visiteurs-individuels/copier-filmer-photographier.html
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les pratiques des visiteurs des musées et monuments, qui sont aujourd'hui beaucoup
plus nombreux à prendre des photographies32 ».
Les téléphones, multipliant la pratique de la photographie au musée seraient donc
une des causes majeures de cette interdiction Dans un article sur le sujet, Vincent Glad
rapporte les propos d’une responsable du musée d’Orsay : « Si c'était pour faire des belles
photos, je veux bien. Mais là vous êtes ridicules à shooter les statues avec vos portables »33.
Cette critique vise à la fois la posture du visiteur-amateur et le téléphone portable en lui-
même, perçu comme un objet de second rang car ne sachant pas « faire de belles photos ».
Or « le cellulaire devient un vidéo-mobile portable. On ne prend plus seulement des photos,
on fait aussi des films à trois millions de pixels 34 ». Ces paroles de Jacques Derrida nous
montrent à quel point la fonction « photographie » s’est à la fois banalisée et perfectionnée
au sein des mobiles. La question n’est cependant pas ici portée sur la qualité de ces
photographies, mais plutôt sur leur condamnation. Celle-ci ne reviendrait-elle pas à
déconsidérer les publics amateurs au profit des publics « initiés » ? Dans son rapport sur les
audioguides, Sophie Deshayes affirme dans ce sens que : « si la formation du regard a
acquis ses lettres de noblesse au musée comme principe légitime, elle reste encore difficile à
mettre en pratique dans certains lieux où les conservateurs privilégient implicitement
(consciemment ou inconsciemment) le public des « initiés »35. »
On remarquera en effet que les critiques allant à l’encontre des utilisateurs de
téléphone portable au musée sont parfois similaires à celles qui vont à l’encontre des
audioguides et de ses usagers. Ces derniers font généralement l’objet de jugements sévères.
Citons pour exemple les propos vindicatifs d’un critique d’art anglais, décrivant ces
utilisateurs comme des personnes qui « déambulent comme des zombies, pendant qu’une
voix académique et désincarné leur dit ce qu’ils doivent penser. »36 .
32 Réponse de Frédéric Mittérand, Ministre de la Culture et de la Communication à Patrick Baudouin, député UMP du Val-de-Marne sur la question de la photographie au musée, publiée le 8 mars 2011 sur le site de l’Assemblée Nationale: http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-81937QE.htm 33 GLAD, Vincent « Musée d’Orsay : la carte postale contre le téléphone portable ? » http://www.slate.fr/story/33777/photos-‐interdites-‐musee-‐orsay 34 FERRARIS Maurizio, op.cit. p.121, citation d’un article de Jacques Derrida : « Au delà de la voix, la révolution du cellulaire » foire d’informatique de Hanovre 35 DESHAYES, Sophie, ibid. p.7 36 TALLON Loïc, Digital technologies and the museum expérience : handheld guides and other media, AltaMira Press, 2008, p.21 Propos du critique d’art Alfred Hickling, traduits de l’anglais par moi-même: « the audioguide is a ruse to squeeze an extra few quid from gullible patrons happy to amble around like zombies while a disembodied academic voice tells them what to think. » Article « Block Beuys », Guardian, 29 novembre 2004.
20
Pour résumer, il est généralement répandu que l’utilisation d’un outil multimédia
mobile au musée conduirait le visiteur à être facilement distrait, l’empêcherait de regarder
les œuvres et de s’en faire une opinion par lui-même.
Pourtant, depuis quelques années, on ne peut que constater une éclosion des
dispositifs de médiation, développés par les musées pour les téléphones portables des
visiteurs. Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous appellerons cela la « présence
muséale institutionnelle ». Comme on le verra, le musée offre à notre téléphone la capacité
de recevoir des contenus scientifiques, ludiques, informatifs… et de transformer ainsi notre
mobile en outil d’aide à la visite.
Dès lors, l’image du téléphone paraît être revalorisée auprès des professionnels du
monde de l’art et de la culture, à tel point que certains défendent fortement les projets
d’outils de médiation mobile. Citons l’exemple de Martin Bethenod, directeur du Palazzo
Grassi de Venise et directeur artistique de Nuit Blanche 2010. Il a souhaité qu’une
application iPhone37 dédiée à l’événement parisien soit développée, affirmant que « si nous
l’avions fait l’an passé, nous aurions été les premiers. Cette année, si nous ne le faisons pas,
nous serons ringards ».38 Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée
des Arts décoratifs, nous confiera également que le développement d’une application iPhone
émane pour l’institution d’une volonté « d’être en phase avec les demandes et la réalité de
ce qui est proposé (…) l’idée est ici d’être « dans le courant » et présent sur les éléments qui
sont disponibles. »39. Ces nouveaux outils sont vus comme un moyen de transmettre des
contenus au public et d’être en adéquation avec leurs usages et leurs attentes. Mais on voit
qu’ils participent aussi à l’image de l’événement ou de la structure culturelle, lui conférant
un aspect « moderne » et « dynamique ».
Parmi les « défenseurs » du téléphone portable au musée, Simone Blazy,
conservatrice au musée d’histoire de Gadagne, va plus loin en affirmant qu’il n’y a pas lieu
de « proscrire l’usage du téléphone mobile au musée. Le souci est, au contraire, d’autoriser
une continuité des pratiques et des habitudes sociales40. » Pour elle, la banalisation de l’outil
en contexte muséal engendrerait un climat plus familial dans l’institution et « un sentiment
37 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « Iphone » p.6 38 Propos de Martin Bethenod rapportés par Jean-Dominique Secondi le 2 septembre 2010 lors d’une réunion professionnelle de travail chez APC+AIA dans le cadre de Nuit Blanche où j’occupais la fonction d’assistante chargée de la médiation culturelle. Le « nous » fait ici référence à l’équipe. 39 Cf. ANNEXE II – D - Entretien avec Catherine Collin, p.30 40 DESHAYES Sophie, ibid. p.81
21
de réassurance dans un lieu qui peut encore paraître sacralisé pour une partie du
public41. »
Si l’utilisation du téléphone au musée en tant qu’objet de communication ou
d’enregistrement est critiquée, l’usage du téléphone comme outil de contenu scientifique
semble être valorisé et favorisé. Entre interdiction et utilisation, le discours du musée sur le
téléphone n’est-il pas alors contradictoire pour le public ?
Lors d’un atelier organisé par le Club culture et innovation(s)42, Yannick Le Pape, en
charge du public jeune au musée d’Orsay, attire l’attention sur le « message peu clair » que
peut véhiculer l’institution à ce sujet : « On ne peut pas à la fois interdire le visiteur
d’utiliser son téléphone et en même temps l’y inviter pour obtenir du contenu.43 ». Certains
musées semblent avoir bien compris le caractère problématique du discours antinomique.
Yann Hamet, responsable de la politique tarifaire des audioguides au sein de la RMN-Grand
Palais explique en parlant des applications iPhone de la RMN que :
« Des musées n’ont pas beaucoup aimé le dispositif au départ, puisque
beaucoup d’entre eux interdisaient aux visiteurs dans leur règlement intérieur
d’avoir un téléphone mobile dans les salles. C’était donc quelque chose de
contradictoire et ils ont du modifier leur règlement. Ne plus interdire le téléphone
mais l’acte de téléphoner.44 »
En janvier 2011, le musée des Arts décoratifs de Paris a également modifié l’article
17 de son règlement intérieur qui stipulait : « Il est interdit d’effectuer toute action portant
atteinte à la sécurité des œuvres et aux bonnes conditions de visite » et notamment, à
l’alinéa 10 « d’utiliser son téléphone portable ». Face à la présence du musée sur trois
applications iPhone45 - dédiées au musée ou dans laquelle il est intégré - cette mesure a été
jugée trop radicale. Le paragraphe de l’article 17 a donc été reformulé de la façon suivante :
« de gêner ou d’importuner les autres visiteurs par toute manifestation bruyante ou autre
41 DESHAYES Sophie, ibid. 42 Atelier n°13 : « QR codes, webapps », mercredi 2 mars 2011, musée des Arts et métiers 43 Propos de Yannick Le Pape, chargé du jeune public au musée d’Orsay lors de son intervention sur l’intégration de QR-codes au Pétrie Museum de Londres, mercredi 2 mars 2011, atelier n°13 du Club culture et innovations 44 Cf. ANNEXE II – C - Entretien avec Yann Hamet, p.24 45 Le musée des Arts décoratifs est présent sur deux applications : « Arts Décoratifs », une application spécifiquement dédiée aux collections du musée, « MobExplore », une application proposant des parcours de jeux interactifs. Une troisième application est actuellement en cours de développement : « Décorative ».
22
procédé (notamment utilisation de téléphone portable) »46. La précision est ici importante :
comme pour les musées de la RMN-Grand Palais, l’institution n’interdit plus l’usage du
téléphone portable de manière générale, mais proscrit spécifiquement les perturbations
sonores émises par le mobile (sonnerie, musique, voix etc.) et susceptibles de gêner d’autres
visiteurs. Le message transmis est ainsi moins ambigu pour les publics.
Ces dispositions ne sont pas anecdotiques. Elles témoignent du bouleversement qui
s’opère depuis que le téléphone peut introduire une présence muséale institutionnelle.
L’utilisation du mobile dans ce contexte fait toujours l’objet de discussions et de débats
entre les professionnels des musées, mais paraît avoir conquis certains grâce à ses
caractéristiques considérées comme plus « utiles » car désormais plus « scientifiques »,
parfois même didactiques ou encore promotionnelles. De nombreux projets ou
expérimentations ont pu voir le jour depuis une dizaine d’années, permettant à chaque
institution de veiller, de s’évaluer et de se positionner parmi une offre de médiation mobile
de plus en plus variée.
Le contexte de réception du téléphone mobile au musée ainsi posé, notre intention est
désormais d’établir une présentation ou une « capture d’écran » des usages du mobile
lorsqu’il permet une présence du muséal. Pour éviter toute confusion entre les différents
usages, nous distinguerons dans une première partie la présence muséale « institutionnelle »,
spécifiquement développée à l’initiative des institutions muséales. Nous décrirons les
différentes technologies mobiles et les projets de médiation conçus par les musées comme
outil d’accompagnement à la visite. La seconde partie sera destinée à décrypter les usages
« amateurs » qui résultent des actions des visiteurs en eux même. Nous observerons alors les
différentes pratiques qui peuvent se constituer dans le cadre d’une visite au musée par le
biais du téléphone mobile.
2. Téléphone portable et présence muséale institutionnelle
a. Les prémices du téléphone au musée, entre diffusion et médiation : la question de la transmission
Comme nous l’avons dit, la présence muséale institutionnelle dans le téléphone
regroupe tous les projets et toutes les technologies mobiles mis en œuvre par l’institution
pour apporter aux visiteurs différentes possibilités de se tenir informé sur l’établissement,
46 Précisions transmises par Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée des Arts décoratifs de Paris.
23
ses œuvres, ses expositions… Cette présence est donc initiée et contrôlée par différentes
instances du musée.
Rappelons qu’avant même de développer des outils de communication et de
médiation, les institutions culturelles ont utilisé le téléphone comme un outil de diffusion de
contenus culturels. On le sait peu, mais le téléphone fût même la première technologie de
communication électrique à diffuser des programmes culturels47. Clément Ader, en 1881,
perfectionna le téléphone48 et permit la création du « théâtrophone49 ». Cette technique
consistait à écouter, de chez soi ou via un appareil public, des pièces de théâtre ou d’opéra
captées en direct50. L’exploitation du théâtrophone perdurera jusqu’à l’invention de la radio
en 1920.
Bien qu’il eu été inventé en 1876, le téléphone fixe ne connut de véritable essor qu’à
partir des années 1970 et 1980, grâce à des investissements massifs51. D’un point de vue
muséographique, il est possible de retrouver cet appareil en tant que système d’écoute et
outil d’aide à la visite dans les scénographies d’expositions. Un article écrit en 1998 par
Andréa Weltzl-Fairchild et Louis M. Dubé sur les outils multimédias de médiation de
musées décrit un de ces dispositifs52. Les auteurs prennent pour exemple la galerie d’art
d’Ontario à Toronto et y décrivent l’intégration de différents médias. On peut y remarquer la
présence du téléphone :
« Ailleurs, on trouvait un long banc sur lequel étaient fixés plusieurs
téléphones (…) Le visiteur pouvait entendre un court exposé du commissaire mettant
en lumière les principales qualités esthétiques de ces tableaux et la manière dont
chaque artiste avait développé son style tout en partageant les objectifs du
groupe.53 »
47 BADILLO Patrick-Yves et ROUX Dominique, Les 100 mots de télécommunication, coll. Que sais je ? n°3869, 2009, PUF. p.18 48 Le téléphone ayant été crée en 1876 par Graham Bell, ibid. p.16 49 Notons que le terme « théâtrophone » ne sera employé qu’à partir de 1889 50 LASTER Danièle. Splendeurs et misères du théâtrophone. In: Romantisme, 1983, n°41. pp. 74-78.http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1983_num_13_41_4655 La description du théâtrophone faite par Victor Hugo illustre bien le procédé: « Nous sommes allés [...] à l'hôtel du Ministre des Postes [...]. Nous sommes entrés. C'est très curieux. On se met aux oreilles deux couvre-oreilles qui correspondent avec le mur, et l'on entend la représentation de l'Opéra, on change de couvre-oreilles et l'on entend le Théâtre-Français, Coquelin, etc. On change encore et l'on entend Г Opéra-Comique. Les enfants étaient charmés et moi aussi. » Cf. ANNEXE IV n°2 – illustration du théâtrophone, p. 51 51 BADILLO Patrick-Yves et ROUX Dominique, ibid. 52 WELTZ-FAIRCHILD André ; DUBÉ Louis « Le multimédia peut-il aider à réduire la dissonance cognitive ? ». Public, nouvelles technologies, musées in : Publics et musées, n° 13, janvier 1998, Lyon PUL 53 WELTZL-FAIRCHILD André ; DUBÉ Louis ibid. p.21
24
Ici, le téléphone est fixe et permet l’écoute in situ d’un contenu enregistré pour
enrichir la perception des œuvres par le regard du commissaire.
À partir des années 2000, le téléphone fixe connaît un certain déclin face à l’arrivée
du téléphone portable. Ainsi, depuis 2002, « le nombre d’abonnés au téléphone mobile est
supérieur à celui des abonnés au téléphone fixe54 ». Dans le champ muséal, et plus
précisément celui de la médiation, l’arrivée du téléphone portable est considérée avec
attention, non seulement pour les raisons que nous avons citées dans la partie précédente,
mais aussi pour sa comparaison possible avec un autre outil mobile utilisé dans certains
musées : l’audioguide. Sophie Deshayes affirme ainsi que le « marché de l’audioguide ne
saurait être déconnecté du développement fulgurant du marché de la téléphonie mobile55 ».
En effet, les deux outils semblent très proches sur le plan de la transmission. La
problématique entre audioguide et téléphone mobile est évoquée dès les premières pages du
rapport de Sophie Deshayes. Adoptant alors un ton prospectif, elle prescrit un avenir
prometteur au téléphone en contexte muséal :
« La diversification possible des technologies convoquées s’accélère, poussée
par les innovations permanentes dans le domaine des technologies dites embarquées
de type mobile : téléphone portable ou mini ordinateur de bord multimédia. On peut
donc prévoir l’essor de ces outils qui furent un temps déconsidérés.56 »
L’auteur consacre le dernier chapitre de son rapport aux « audioguides de demain »
que nous pourrions, presque dix ans après sa rédaction, renommer ironiquement
« audioguides d’hier », tant les projets qui y sont décrits semblent n’être que les
balbutiements d’un marché actuellement en effervescence. Si Sophie Deshayes les perçoit à
l’époque comme des projets innovants, nous ne pouvons les envisager aujourd’hui que
comme les prémices des technologies mobiles présentes dans les musées.
Nous souhaitons exposer brièvement ici quelques uns de ces projets ou
expérimentations.
La boîte vocale culturelle
Dans la lignée du théâtrophone ou des audioguides, le téléphone mobile a lui aussi
été adapté sur un modèle de diffusion de contenus sonores, afin de devenir à son tour un
54 BADILLO Patrick-Yves et ROUX Dominique, ibid. p.6 55 DESHAYES, Sophie, ibid. p.66 56 DESHAYES, Sophie, ibid. p.9
25
transmetteur de savoirs culturels. Pour cela, le moyen privilégié a été le stockage de
contenus sur boîte vocale. Il est intéressant de constater que ce procédé est apparu en
premier lieu dans les secteurs proches des musées que ce sont ceux du tourisme et du
patrimoine. Les contraintes liées aux prêts d’outils d’aide à la visite dans ces domaines57 ont
sans doute contribuées à une rapide convergence de ces secteurs vers les nouvelles
technologies mobiles.
En janvier 2001, le système AlloVisit58, permettait d’obtenir un circuit audioguidé
sur un téléphone mobile pour découvrir la basilique Notre Dame de la Garde de Marseille et,
à Paris, pour effectuer un circuit historique de Montmartre. Munis d’une carte, les
utilisateurs avaient accès à un numéro de téléphone centralisant tous les commentaires
audio. Il s’agit donc d’une boîte vocale culturelle accessible via son propre téléphone
mobile. Les contenus pouvaient également être écoutés à distance ; au domicile de
l’utilisateur par exemple. Ce dispositif, innovant à l’époque, pose cependant une limite. Le
prix de ce service était basé sur le coût d’une communication téléphonique qui était fixé à
0.22 euros la minute. Cela revenait à un prix total d’environ treize euros pour une durée
d’écoute d’une heure. Dans ce contexte, il était relativement onéreux d’accéder à ces
informations.
Fin 2001, d’autres expérimentations de ce type ont été testées dans la ville de Lyon.
Elles s’appliquaient cette fois non seulement aux secteurs du tourisme et du patrimoine,
mais aussi à celui des musées. Trois projets ont été initiés dans un même laps de temps. Ils
ont pour nom Lyon City Phone, TourOphone et Mobiguide.
Le premier, Lyon City Phone, est mis en place par l’office de Tourisme de Lyon en
septembre 2002. Ce projet est basé sur le même mode de fonctionnement que le système
Allovisit précédemment cité, en offrant « un circuit découverte des sites historiques de la
ville basé sur l’usage du téléphone mobile59 ». Dix sites historiques lyonnais étaient ainsi
commentés sur le principe du serveur vocal. On retiendra encore une fois que ce type de
projet est loin d’être bon marché : il revient à un euro environ60 par site pour l’écoute d’une
séquence de trois minutes, frais de forfait téléphonique non inclus.
Parallèlement à ce projet, l’office de Tourisme a initié une expérimentation autour du
système TourOphone, destiné à accompagner les visiteurs dans leur découverte à la fois de 57 Les touristes étant en situation de mobilité dans la ville, les garanties de retour sont plus faibles que dans les institutions fermées. De ce fait, les offices de tourisme peuvent parfois demander lors du prêt d’un audioguide de lourdes contreparties comme le dépôt d’une ou deux pièces d’identité et d’un chèque de caution au montant élevé. Ces contreparties peuvent dissuader certains visiteurs d’emprunter un audioguide. Ibid. p.10 58 DESHAYES, Sophie ibid. p.80 59 DESHAYES, Sophie ibid. p.83 60 0,34 euros la minute, soit environ un euro par site et dix euros pour l’ensemble des sites commentés.
26
la ville de Lyon et du musée d’histoire de Gadagne. Il a été suspendu pour des raisons
budgétaires, mais les premières expérimentations qui ont été menées n’en demeurent pas
moins intéressantes. Elles semblent notamment favoriser la médiation plutôt que la simple
transmission de contenus. Car si ce projet est certes lui aussi « basé sur un serveur vocal
accédant à une base de données au travers d’un portail de syndication de contenus61 »,
s’ajoute à cela l’idée et la volonté de proposer aux utilisateurs une visite personnalisée grâce
à la gestion de leur profil. En d’autres termes, il s’agit d’offrir aux visiteurs un parcours « à
la carte », en fonction de leur langue et niveau de connaissances ou encore en fonction d’une
durée, d’un mode de visite62 ou d’un thème sélectionné. Cette personnalisation de la visite
encourage la prise en compte du visiteur et donc la médiation, au profit d’un système de
diffusion à sens unique.
Enfin, à la fin de l’année 2002, l’office du tourisme de Lyon s’est également associé
au musée des beaux-arts de Lyon et au département Recherche et Prospective de France
Télécom63 pour expérimenter un « Mobiguide » : un micro ordinateur de poche – ou PDA64 -
équipé d’une connexion internet GPRS65. Le Mobiguide est un logiciel disposant
« d’informations que l'on trouve habituellement dans les guides touristiques comme les
adresses de musées, de restaurants, de cinéma ou de monuments à visiter66 ». Concrètement,
l’appareil est prêté gratuitement aux visiteurs en échange de leur participation à une enquête
d’évaluation et de satisfaction. À la différence des deux premiers projets, le Mobiguide
donne non seulement la possibilité de téléphoner et d’envoyer des messages écrits à la
manière d’un téléphone « classique », mais il donne aussi accès à une connexion internet,
permettant d’envoyer des photographies (par SMS ou via une messagerie personnelle) et
d’avoir accès à des services tels que la météo, les horaires de spectacle etc. Enfin, il offre
une fonction d’audioguidage dans les musées, en l’occurrence ici pour le musée des Beaux-
arts de Lyon.
Le Mobiguide se distingue nettement des projets basés sur le système de la boîte
vocale, car il marque une étape dans le développement des technologies mobiles. L’outil
dispose d’une plus grande capacité de stockage et l’intégration d’internet apporte de 61 DESHAYES, Sophie ibid. p.81 62 Le mode de visite peut être le choix soit d’une visite « libre » dans le cas où l’utilisateur décide au fur et à mesure des objets qu’il souhaite écouter, soit d’une visite « guidée » où il reçoit des indications pour se diriger vers le prochain objet à aller voir. Ibid. p.82 63 Désormais appelé « Orange Lab » 64 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « PDA » p.7 65 BADILLO Patrick et ROUX Dominique, ibid. p.109 définition de GPRS : « GPRS (General Packet Radio Service), appelé aussi 2,5G, consiste en une amélioration de la norme GSM (…) le GRPS permet notamment la transmission de données avec un débit de l’ordre de 9 à 20 kbits ». 66http://www.rtflash.fr/france-telecom-experimente-mobiguide-premier-guide-electronique-interactif/article
27
nouvelles fonctionnalités. Notons cependant que, tout comme pour tourOphone, la
pérennisation67 n’a pu être effective, laissant le projet au stade expérimental68. Il nous
semble également intéressant de souligner que dans les trois projets de la ville de Lyon, les
musées ne sont que partenaires des opérations, dont l’initiative est portée par l’Office de
tourisme. Les institutions muséales sont ici incluses dans un circuit touristique et patrimonial
global, permettant avant tout la découverte de la ville.
Des outils mobiles autres que le téléphone portable font leur apparition dans les
musées dès le début des années 2000, tels que les ordinateurs personnels (PDA) – comme
dans le cas du « mobiguide » - ou encore les lecteurs MP369. Ils sont très rapidement perçus
par les musées comme un moyen non seulement de diffuser du contenu, mais aussi
d’enrichir la visite et de la personnaliser, à la manière de ce que l’on a pu voir avec
l’exemple du Mobiguide à Lyon. Ajoutons aussi que ces outils permettent de simplifier le
dispositif de location d’audioguide mis en place par certaines institutions70.
À l’heure actuelle, nombreux sont les PDA ou les lecteurs MP3 reconditionnés en
« audioguides multimédia »71 dans les musées. Il apparaît que ces outils sont convergents
aux téléphones mobiles : ils n’ont pas été créés dans le but de servir aux institutions
muséales et sont développés à la base pour un tout autre usage. Il est donc intéressant de
constater que les musées s’adaptent désormais aux usages et aux outils présents sur le
marché. On passe ainsi des objets conçus pour la pratique muséale (audioguides
« traditionnels »), aux objets du quotidien appropriés par le musée.
La question de la transmission se dessine à travers l’énumération de ces premiers
projets : l’utilisation du téléphone est-elle vouée à l’unique diffusion de contenus ou à une
médiation ? Autrement dit, le mobile ne fait-il que transmettre des informations « brutes », à
l’instar de l’audioguide « traditionnel » ; ou se pose t-il plutôt comme un « médiateur » entre
67 Réponse à une internaute par la Documentation Lyon-Rhône Alpes sur le site de la Bibliothèque municipale de Lyon : http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=34362 68 Deux mois d’expérimentations suivis d’une enquête quantitative de public menée par France Télécom et la société Ipsos. DESHAYES Sophie, Ibid. p.80 69 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « baladeur MP3 », p.6 70 Les propos de Yves-Armel Martin, directeur du centre d’expérimentation multimédia Érasme, illustrent bien cette idée : « Vu le succès de l’Ipod et autres lecteurs de mp3 qui se popularisent, on peut imaginer que prochainement une grande partie de la population disposera de tels équipements. Dès lors pourquoi se fatiguer à gérer des matériels spécifiques d’audioguides qui tombent en pannes, doivent être loués etc. Il serait plus simple de proposer les fichiers en téléchargement sur le net et sur des bornes à l’accueil.70 » Site Erasme, 2006 : http://reseau.erasme.org/Projet-Artmobs-detournement-de 71 43% des audioguides seraient multimédias parmi 55% de musées équipés en audioguide (sur 150 musées observés). 27% des musées déclarent mettre leur audioguide en ligne, pour qu’il soit utilisé sur un lecteur MP3 ou téléphone mobile. Le pourcentage est basé sur 55% de musées disposant d’un audioguide parmi un échantillon de 150 musées observés (60% de musées d’art, 32% de musées d’histoire ou de patrimoine et 12% de musées de sciences). Étude réalisée par le CLIC – Club Innovation et culture en janvier 2011, avec la collaboration des étudiants de l’EAC
28
les œuvres et les publics, capable de prendre en compte la diversité de ces derniers pour
favoriser une transmission adaptée ? La présence muséale institutionnelle dans le mobile
opère t-elle une véritable médiation au sens étymologique du terme ? Les projets décrits font
apparaître une certaine hétérogénéité. Si les premiers semblent avoir privilégié la diffusion,
certaines expérimentations, notamment portées par le développement des outils mobiles,
paraissent se diriger davantage vers la médiation. À travers l’étude et la description de
projets plus récents, nous tenterons notamment de voir en quoi nous pouvons considérer le
téléphone comme un outil de médiation au sens étymologique du terme.
b. « Capture d’écran » des technologies mobiles au musée Comme indiqué dans le titre de cette sous-partie, nous effectuerons ici une « capture
d’écran » des technologies mobiles utilisées ces dernières années dans les institutions
muséales françaises. Dans un souci de synthèse, et afin de ne pas alourdir de détails notre
réflexion, nous renverrons régulièrement le lecteur en annexe. Il y trouvera pour l’éclairer
dans sa compréhension des technologies et des dispositifs, les définitions des termes
techniques et une présentation illustrée des différents projets évoqués.
Bluetooth
Les premières bornes Bluetooth72 apparaissent à partir de l’année 2008 dans les
institutions muséales. Celles-ci permettent d’obtenir, grâce à un téléphone équipé, un ou des
contenus culturels. La différence avec ce que l’on a appelé précédemment « la boîte
vocale culturelle » réside dans la diffusion d’un message non plus uniquement sonore, mais
pouvant être aussi textuel ou multimédia. D’un point de vue matériel, le visiteur active la
fonction Bluetooth de son mobile et accepte ou rejette la demande de connexion à la borne
du musée. S’il accepte, le contenu peut dès lors se télécharger dans son téléphone.
De février à juin 2008, le musée d’art contemporain de Lyon est le premier musée
français à expérimenter un tel dispositif lors de la rétrospective consacrée à l’artiste Keith
Haring73. En termes de contenu, les publics avaient accès à des séquences sonores avec la
biographie de l’artiste, des explications sur sa technique picturale etc.
D’autres bornes Bluetooth ont ensuite été mises en place, répondant à différents
contextes d’expôts et à différentes fonctions. Il peut s’agir d’une exposition temporaire ou
72 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « Bluetooth » p.6 73 Exposition ayant eu lieu du 22 février au 13 juillet 2008. Site du musée d’art contemporain de Lyon : http://www.mac-lyon.com/mac/sections/fr/expositions/2008/keith_haring Cf. ANNEXE IV n°3-A « Bluetooth, musée d’art contemporain de Lyon » p.52
29
d’un événement artistique comme au Palais de Tokyo74, au musée des Beaux arts de Pont-
Aven, aux Galeries Nationales du Grand Palais75 ou encore au musée Rodin76. Mais les
bornes Bluetooth peuvent aussi être présentes dans une collection permanente, comme c’est
le cas au musée de Cluny77.
Le trait commun de toutes ces bornes est la diffusion de contenus multimédia sur les
œuvres ou l’artiste exposé. Les contenus sont souvent reçus de manière « fragmentée». En
effet, un utilisateur pourra avoir accès à un contenu à l’entrée du musée et être sollicité
pendant son parcours pour télécharger un autre contenu. Ainsi, les contenus ne sont pas
compilés dans une seule et même application mais relèvent d’un accès au savoir
fragmentaire.
Notons que cette technologie a aussi été utilisée de façon ludique ou
communicationnelle. L’aspect ludique a été mis en place dans le cadre d’un parcours de jeu
conçu par la Cité des sciences et de l’industrie pour l’exposition « Ma terre première, pour
construire demain ».78 L’aspect informatif et communicationnel a été privilégié pour la nef
du Grand Palais79 afin de renseigner les visiteurs sur l’historique du lieu et les activités
artistiques qui s’y déroulent. La technologie sert ici à dévoiler au public les coulisses d’un
lieu souvent fermé.
Un autre constat sur la technologie Bluetooth au musée ouvre sur la question de
l’offre de médiation et sur la multiplicité des appareils d’aide à la visite : nous remarquons
en effet que cette technologie est souvent apparue en simultanée avec un panel d’autres
outils de médiation mobiles. Parmi les exemples d’institutions citées plus haut, on observe la
possibilité pour un certain nombre d’entre elles d’obtenir les contenus proposés non
seulement en Bluetooth, mais aussi en format MP3 (podcasts)80 via une borne ou le site
internet du musée, ou encore par une application pour Smartphone81.
74 Cf. ANNEXE IV n°3 – B, Dispositif « My Art Cell » Palais de Tokyo, centre de création contemporaine, Paris, p.53-54 75 Cf. ANNEXE IV n°3 – C2, Borne de téléchargement payante aux Galeries Nationales du Grand Palais (Exposition « Turner »), ayant eu lieu du du 24 février au 24 mai 2010, p.56 76 Cf. ANNEXE IV n°3 – D2 Notice du musée Rodin, Paris (Bluetooth installée dans le jardin lors de la Nuit des musées 2009), p.62 77 Cf. ANNEXE IV n°3 – C1, Borne bluetooth au musée de Cluny (la salle de la Dame à la Licorne), p.55 78 Exposition présentée du 6 octobre 2009 à juin 2010 à la Cité des sciences et de l’industrie Cf.ANNEXE n°3 – C4, Borne Bluetooth à la Cité des Sciences et de l’Industrie, p.59-60 79 Borne Bluetooth installée dans le péristyle de la nef du Grand Palais depuis l’été 2009. Cf. ANNEXE IV n°3 – C3, Borne Bluetooth dans la nef du Grand Palais p. 57-58 http://museomobile.wordpress.com/2009/07/20/bluetooth-et-iphone-au-grand-palais/ 80 Au musée d’art contemporain de Lyon, au musée Rodin et aux Galeries Nationales du Grand Palais, les séquences audio diffusées en Bluetooth étaient aussi disponibles sur les sites internet (de la société prestataire ou du musée) en version podcast. Au musée de Cluny et pour la nef du Grand Palais, une application pour iPhone est apparue peu de temps après la borne bluetooth. 81 Cf. ANNEXE I - Glossaire « Smartphone », p.8
30
Au moment de nos observations, il nous est apparu que les bornes Bluetooth
semblent d’ailleurs être « détrônées » par les applications Smartphone. Les musées
privilégient celles-ci et ont tendance à considérer le Bluetooth comme une technologie
« dépassée ». En témoigne les entretiens menés dans le cadre de la présente recherche. Les
différents professionnels interrogés sur cette technologie ne croient pas au développement et
à l’avenir de celle-ci dans les musées. Yann Hamet voit dans ce procédé un inconvénient lié
à la technique : plus les gens sont nombreux à télécharger en même temps le contenu d’une
borne et plus la vitesse de téléchargement ralentie82. Face à cette difficulté, il lui semble
donc complexe de proposer au public des contenus multimédias plus enrichis donc plus
lourds. Frédéric Durand, directeur associé de la société smArtapps nous explique quant à lui
les raisons pour lesquelles il ne s’est pas lancé vers ce marché : « Nous avons constaté que
les solutions Bluetooth n’étaient pas pertinentes. Il faut s’approcher de la borne, faire
discuter les appareils ensemble … Ce n’est pas du tout adapté.83 ». Enfin, Benoît Villain et
Benjamin Bardinet rapporteront un problème de compatibilité entre la technologie Bluetooth
et l’iPhone84. Benjamin Bardinet nous a notamment confié que ce souci était un des facteurs
de l’interruption du système Bluetooth au Palais de Tokyo85. Les institutions se trouvent
alors face à un dilemme : faut-il privilégier une technologie accessible à la plupart des
visiteurs, comme le serait aujourd’hui le Bluetooth, afin de toucher le plus grand nombre ou
préférer le développement des contenus sur un terminal comme l’iPhone, plus efficace en
termes de capacité de stockage et de résolution ?
Applications muséales pour Smartphone
C’est par le biais d’applications, généralement développées par des entreprises
extérieures au musée, que les institutions muséales sont le plus souvent présentes sur les
Smartphones. Cette intention est aussi influencée par l’essor de ces outils et les nouveaux
usages qui y sont associés86.
82 Cf. ANNEXE II - B, entretien avec Yann Hamet, p.20 83 Cf ANNEXE II – A, entretien avec Frédéric Durand, p.10 84 Cf. ANNEXE I – Glossaire « iPhone » p.6 85 Cf ANNEXE II – E, entretien avec Benjamin Bardinet, p.38 86 L’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes) estime que une personne sur trois en France « utilise des services disponibles sur les réseaux mobiles de troisième génération (3G) contre un sur quatre un an auparavant ». Selon cette étude : « Les réseaux téléphoniques sont de plus en plus utilisés pour échanger des données plutôt que de la voix. Ces nouveaux usages sont en plein essor, stimulés par la diffusion rapide sur le marché de terminaux mobiles et d’offres adaptées (téléphones mobiles tactiles et ordinateurs connectables aux réseaux mobiles, offres d’accès « illimitée » à internet »). Observatoire trimestriel des marchés de communications électroniques en France, 3ème trimestre 2010, résultats définitifs, Les actes de l’ARCEP, janvier 2011, p.3
31
Les applications mobiles sont des logiciels que l’on télécharge sur des plateformes
uniques à chaque système d’exploitation87. Elles consistent en un logiciel qui n’est pas
présent sur le téléphone au moment de l’achat, que l’on choisit de télécharger ultérieurement
via une connexion internet ou téléphonique. Les applications permettent d’accéder à un ou
plusieurs services. Il peut s’agir par exemple d’une application de transports en commun,
grâce à laquelle on pourra calculer un itinéraire, consulter un plan de métro, acheter un titre
de transport, etc. Les applications muséales intègrent une variété de contenus : commentaires
audio accompagnés de visuels, vidéos, textes, plans de visites et parfois même des jeux… À
la différence du Bluetooth, il s’agit ici d’embarquer un outil complet d’aide à la visite et non
plus des contenus fragmentés.
Les caractéristiques essentielles des applications88 à retenir ici seraient que, à la
manière de ce que nous avons établi pour la technologie Bluetooth, nous pouvons distinguer
deux types d’applications de musées. D’une part les applications « représentatives89 », qui
sont réalisées dans le but de présenter une institution et ses collections permanentes, et
d’autre part, les applications « événementielles » qui sont dédiées à l’accompagnement
d’expositions temporaires et ont donc une date limite d’utilisation in situ. Mais il existe
également des applications « portails90 », qui indexent lieux patrimoniaux, musées… et ont
une vocation principalement informative et promotionnelle. Notons aussi l’apparition
d’applications ludiques et de « goodies »91.
À travers ces exemples, on prend conscience de la diversité des fonctionnalités
offertes par la création d’applications pour les musées et leur public. Préparation de la visite,
documentations sur le lieu et les œuvres, interactivité et parfois activités ludiques. La
présence muséale est protéiforme au sein des applications Smartphone. Actuellement, il
s’agit de l’offre de médiation sur téléphone la plus développée. C’est pourquoi nous ferons
le plus souvent référence à ces dispositifs lors de notre analyse.
87 Par exemple Applications Store (communément appelé App Store) pour le système d’exploitation de la société Apple ou Androïd Market pour le système d’exploitation Androïd (Google)… 88 En janvier 2011, nous avons rédigé un article pour le site du Club Innovation et culture portant sur les spécificités et les contenus des applications muséales françaises et anglo-saxonnes. Nous conseillons au lecteur de le consulter en annexe pour plus de précisions sur ces dispositifs. ANNEXE III – Article « État des lieux des applications mobiles culturelles françaises et étrangères » p. 42 89 Cf. ANNEXE IV n°4-A, liste des applications Smartphones de musées français au 7 mai 2011, p. 64 90 Cf. ANNEXE IV n°4-D, liste des applications « portails » p.69 à 73 91 Cf. ANNEXE IV n°4 – F, liste des applications ludiques, p.74-75
32
c. Les outils pervasifs, connexion directe entre publics et artefacts
Depuis peu, les musées se servent également de technologies dites « pervasives ».
Les dispositifs pervasifs font partie d’un environnement qui permet à des objets
communicants de se reconnaître et de se localiser entre eux. Contrairement aux applications
muséales téléchargeables grâce à une connexion internet, les applications dites
« pervasives » sont directement imbriquées dans un dispositif in situ, reliant les publics à des
artefacts (œuvres exposées). Ainsi, comme l’explique Annie Gentès dans un article paru
dans le Monde : « le visiteur se déplace et son téléphone ou sa tablette Internet lui
permettent d'interagir avec les objets du musée. L'information est déclenchée par la
présence du visiteur et de l'objet.92 ». Plusieurs de ces technologies s’appuient sur un réseau
Wifi, des codes QR93 ou la RFID. Nous allons tenter d’expliciter ces technologies, toujours
en donnant quelques exemples d’usages dans les musées et lieux d’expositions. Précisons
que nous aborderons des technologies qui ne sont pas spécifiquement récentes mais dont
l’emploi dans les musées est très actuel, voire expérimental.
Codes QR
De plus en plus d’expositions ou d’événements culturels utilisent des codes QR sur
leur support de communication, notamment diffusés dans les réseaux de transports en
commun. Ce fût le cas d’affiches pour la promotion de sites historiques, comme le Château
de Versailles94 ou le Centre des Monuments nationaux95, soit d’expositions temporaires
telles que les expositions « Edvard Munch »96 de la Pinacothèque de Paris ou « Sciences et
fictions, aventures croisées » à la Cité des Sciences97. Dans chacun des cas cités, un code
QR renvoie à un site web spécifique de l’institution, adapté au format mobile, donnant accès
aux informations pratiques nécessaires à la préparation de la visite98. Le code QR permet de
« prolonger » le support de communication papier, en indiquant les renseignements qui ne
pourraient pas être mis sur une affiche. Il donne une réponse presque instantanée aux
questions que se poserait un passant en voyant la publicité et instaure ainsi un lien plus
92 A. Gentes, « Musée, le lieu d’expérimentation des nouveaux médias », in Le Monde, 1er octobre 2010 93 Cf. ANNEXE I – Glossaire « Codes QR », p.7 94 Cf. ANNEXE IV n°5-B1, Affiche du Château de Versailles avec code QR, p.78 95 Cf. ANNEXE IV n°5 B4, Affiche du centre des monuments nationaux p.81 96 Exposition présentée du 21 octobre au 3 juillet 2011 à la Pinacothèque de Paris, cf. ANNEXE IV n°5-B2, p.79 97 Exposition présentée du 9 octobre au 10 juin 2010 à la Cité des sciences et de l’industrie, cf. ANNEXE IV n°5 – B4, p.81 98 Horaires, accès, événements autour de l’exposition, liens vers les réseaux sociaux…
33
spontané entre l’institution et les visiteurs potentiels. Davantage marketing, le site du
Château de Versailles permet même l’achat de billets via ce site mobile. Plus récemment, le
musée du Quai Branly a intégré un code QR aux affiches de l’exposition « L’Orient des
femmes », renvoyant quant à lui à un lien de téléchargement de l’application iPhone. Des
connexions peuvent ainsi être opérées entre différents supports mobiles du musée.
De façon plus singulière, lors de la Nuit des musées 2010, un code QR sur l’affiche
permettait aux publics et aux musées d’être informés de l’opération « Twittez la nuit »,
consistant à publier des messages sur le réseau social Twitter en direct de son parcours lors
de l’événement99.
Le soir de la manifestation plusieurs de ces codes ont eu une autre utilisation,
notamment au musée des arts décoratifs. Catherine Collin nous explique qu’une douzaine de
codes servaient à définir le contexte de certaines citations exposées. « Il s’agissait par
exemple d’avoir sur son mobile l’intégralité de la poésie de Lamartine, avoir une partie plus
importante du manifeste de l’UAM100 et ainsi connaître à chaque fois les sources des
différentes citations.101 »
Ainsi, plus qu’un simple outil promotionnel, le code QR peut permettre à ses
utilisateurs d’obtenir des renseignements sur les œuvres. Le Palais de la découverte a été la
première institution française à les utiliser dans ce contexte sur son site internet lors de
l’exposition « Volcans, séisme, tsunamis, vivre avec le risque »102. Les codes QR
renvoyaient à des contenus audios. Très récemment, deux musées ont expérimenté ce
dispositif. Le musée de la Poste lors d’une exposition103 et le musée d’archéologie de Saint
Raphaël au sein de ses collections104. Dans ce dernier, les visiteurs peuvent recevoir des
commentaires audio, des photographies ou vidéos sur leur propre mobile, ou sur ceux prêtés
par le musée aux personnes non équipées. Enfin, le LaM de Lille105 a initié, depuis sa
réouverture, un partenariat avec la société IBM qui a permis l’implantation de codes QR
99 Cf. ANNEXE V – Exemples de livetwitte pour l’exposition « Mondrian, De Stijl » au Centre Georges Pompidou, p.146 100 L’UAM est le sigle de l’ « Union des Artistes Modernes », mouvement d’artistes décorateurs et architectes fondé en 1929. http://www.lesartsdecoratifs.fr/francais/arts-decoratifs/collections-26/parcours-27/chronologique/art-nouveau-art-deco/les-salles-300/l-union-des-artistes-modernes-et/ 101 Cf. ANNEXE II - D, entretien avec Catherine Collin, p. 36 102 Exposition présentée du 12 octobre 2007 au 24 août 2008 au Palais de la découverte, cf. ANNEXE IV, n°5 – C1 p.83 103 Exposition « Architecture postale, une histoire en mouvement » présentée à l’Adresse, musée de la Poste du 5 juillet au 28 septembre 2010. Cf. ANNEXE IV n°5 – C2 p.84 104 Depuis le 9 février 2011 http://www.musee-saintraphael.com/visite-numerique-2/ Cf. ANNEXE IV n°5 – C4, p.87-88 105 Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut
34
comme outil de médiation pour les sculptures disposées dans le parc du musée. Ici le code
donne accès à un site web mobile106 dans lequel le public peut choisir d’effectuer une visite
ou un jeu lui permettant de découvrir les œuvres du jardin.
Enfin, tout comme la technologie Bluetooth ou les applications pour Smartphones,
on observe que les codes QR peuvent être utilisés comme éléments ludiques par les lieux
d’expositions. L’exemple le plus intéressant d’utilisation du code QR dans ce contexte en
France est, selon nous, celui du jeu urbain multimédia organisé par le Cube d’Issy les
Moulineaux107. Les codes QR y avaient une double fonction : mettre en place une
communication mystérieuse autour du jeu en amont et pendant le jeu pour donner des
indices aux participants.
RFID et NFC
Le second dispositif « pervasif » présent dans les musées est la RFID108. Cette
technologie n’est pas encore intégrée aux téléphones portables présents sur le marché
français. Les premiers projets muséaux usant de ce dispositif sont donc expérimentaux et
bénéficient en général d’un partenariat de compétences ou de financements spécifiques.
Quoi qu’il en soit, le terminal est ici obligatoirement prêté aux visiteurs. Si ces dispositifs
peuvent être employés sous la forme de badge dans les musées109, nous nous concentrerons
ici sur ses utilisations uniquement via des terminaux mobiles.
Nous ne connaissons à l’heure actuelle que trois institutions muséales ayant eu
recours à un dispositif RFID avec le téléphone portable : le musée des Arts et métiers110, le
Studio 13/16 du Centre Georges Pompidou111 et le musée municipal de Cambrai112.
Toutefois les formes, fonctions et publics visés sont différents dans chacun des cas. Le
musée des Arts et Métiers a expérimenté cette technologie sous la forme d’un jeu de piste à
l’aide de bornes RFID disposées dans les collections du musée. Le Studio 13/16 a mis a
106 Accessible à l’adresse suivante à partir d’un téléphone mobile : http://www.musee-lam.fr/application-parc/index.html 107 Jeu urbain multimédia organisé par le Cube d’Issy les Moulineaux, centre culturel de création numérique, dans le cadre du « Cube Festival », du 22 septembre au 3 octobre 2010. http://www.cubefestival.com/jeu-urbain/ Cf. ANNEXE IV n°5 – C5, Utilisation des codes QR au Cube, centre de création numérique, p.89-90 108 Cf. ANNEXE I – Glossaire, « RFID » p.7-8 109 Voir l’exemple du musée des sciences de Bergen, en Norvège http://www.erasme.org/RFID-au-musee-cas-de-Vilvite-Musee ou du musée Cap Sciences de Bordeaux http://www.erasme.org/RFID-au-musee-cas-de-Vilvite-Musee. Le musée des Confluences a récemment expérimenté un jeu à l’aide de badge RFID http://www.erasme.org/Le-Musee-des-Confluences-devoile 110 Projet PLUG (Play Ubiquitous game and… play more) réalisé en deux versions : novembre 2008 et juin 2010. Cf. ANNEXE IV n°6 – A, p.91-93 111 Projet SMARTMUSE, de septembre 2010 à mars 2011 Cf. ANNEXE IV n°6-B1 –p.94-96 112 Depuis novembre 2010, cf. ANNEXE IV N°6-C illustrations, p.97
35
disposition des adolescents des cartels intégrant une puce RFID à des fins de médiation,
d’information sur la programmation et d’interaction ludique avec les œuvres. Enfin, le
dispositif pérenne du musée de Cambrai vise à remplacer le parc d’audioguides, là aussi
grâce à un système de « cartels RFID ».
Il y a fort à parier que ces dispositifs, grâce à l’intégration discrète de puces RFID
dans les cartels, se développeront dans les musées dès lors que les téléphones des visiteurs
seront dotés de la technologie.
d- Le musée augmenté
Enfin, une dernière technologie est actuellement utilisée par quelques institutions : la
réalité augmentée. Ce procédé consiste à faire se superposer une image virtuelle en deux ou
trois dimensions à une image réelle capturée par une caméra. La perception d’un
environnement peut ainsi s’enrichir d’éléments fictifs. Au Château de Versailles, par le biais
d’une application iPhone, la réalité augmentée est le support de médiation pour les
jardins113. La fonction « appareil photo » du mobile s’active automatiquement et il nous
suffit de balayer l’horizon avec le téléphone pour voir apparaître une bulle d’information
s’associant à l’image. Ce texte indique les principaux points d’intérêts du jardin et la
distance qu’il reste à parcourir pour les atteindre114. En sélectionnant ces bulles
d’informations, on accède également à des contenus : une photographie et un texte sur le lieu
en question.
Le principe est relativement similaire dans l’application portail « Culture Clic » où la
réalité augmentée sert à découvrir des lieux du patrimoine parisien115. Au musée des Beaux-
arts de Rennes, cette technique est expérimentée depuis 2008 grâce à l’utilisation de Pocket-
PC récemment remplacés par des Smartphones116. Enfin, nous pouvons citer un exemple
étranger : celui du Sukiennice Muzeum de Cracovie, qui a décidé de mettre en scène ses
chefs d’œuvres par le biais de la réalité augmentée. Ainsi, des comédiens rejouent dans le
Smartphone prêté par le musée les scènes de certaines peintures emblématiques des
collections. Ces scènes se superposent à l’image du tableau visible dans la fonction
113 Cf. ANNEXE IV n°7 – A – illustrations réalité augmentée au Château de Versailles, p.98 114http://www.orange-innovation.tv/webtv/le-chateau-de-versailles-entre-dans-l-ere-de-la-realite-augmentee/video-1046-fr 115 Cf. ANNEXE IV n°7 – B, p.99 116 Projet intitulé GAMME (Guide Augmentée Mobile pour Musées et Expositions) Cf. ANNEXE IV n°7-C, p.100
36
« appareil photo » du mobile. Ce procédé nous permet de découvrir de façon ludique
l’histoire de chaque œuvre augmentée117.
Toutefois, la réalité augmentée est un dispositif nécessitant des moyens financiers et
humains importants, c’est pourquoi elle est pour le moment très peu développée. On peut
imaginer, comme la RFID, que cette technologie pourrait être promise à un bel avenir en
contexte muséal.
La connaissance de ces différents projets et de ces technologies, nous prouve que la
présence muséale institutionnelle est plurielle. Nous constatons par ces exemples, que nous
sommes passés d’une offre de transmission à une offre de médiation revêtant différentes
missions : communiquer, transmettre des contenus, divertir… qui peuvent être appliquées à
des contextes d’utilisation différents : événements artistiques, expositions temporaires ou
collections de musées. De plus, on remarque que les technologies mobiles s’intègrent à une
large typologie de musées. Elles sont autant employées dans les musées et centres d’art que
dans les musées de sciences et techniques, dans les musées d’histoires et de civilisations,
d’archéologie ou encore dans les châteaux, parcs et jardins.
Il s’agissait ici de parcourir les dispositifs mis en place par les musées eux-mêmes
pour accompagner les publics dans leur découverte des œuvres. Nous avons aussi précisé
qu’il existe d’autres usages liés à l’utilisation du téléphone dans les musées, créés par
l’action autonome du visiteur qui use lui-même de son terminal comme d’une machine à
compléter, conserver ou partager sa visite. Rappelons que nous nommerons « usages
amateurs » l’ensemble des utilisations faites par les visiteurs à partir des fonctionnalités de
leur téléphone portable dans un contexte de visite. Il convient désormais de les examiner.
3. Musées, téléphones portables et usages amateurs
Comme le rappelle Christian Licoppe dans la revue Réseaux : « Les terminaux
portables n’ont cessé d’évoluer sous l’effet des progrès technologiques pour se transformer
progressivement en un objet qui ne sert plus seulement à téléphoner, mais aussi à naviguer
sur internet, regarder des contenus audiovisuels, écouter de la musique…118 »
117 Visible en anglais à l’adresse suivante : http://scaryideas.com/content/21331/ Cf. ANNEXE IV n°7-D –illustrations réalité augmentée au Sukiennice Muzeum, p.101 118 LICOPPE Christian, ZOUINAR Moustafa « Les usages avancés du téléphone portable », In Réseaux, communication, technologie, société – ed. La Découverte, juillet/septembre 2009, p.9
37
Le téléphone mobile est aujourd’hui un objet multifonctions. Sa polyvalence peut
se distinguer en deux catégories. D’une part on retrouve les « usages téléphonés », d’autre
part les « usages non téléphonés »119. Ce sont les « usages non téléphonés » qui prennent
tout leur sens dans le contexte muséal, puisque les « usages téléphonés » y sont proscrits. De
plus, ce sont les usages « non téléphonés » qui singularisent un utilisateur, confèrent à
l’objet un statut personnel et une certaine originalité. Parmi ces usages, nous en avons relevé
trois comme étant particulièrement significatifs dans le cadre d’une visite au musée. Il s’agit
de la recherche internet, de l’enregistrement et du partage social.
a. La recherche sur internet comme « auto-médiation »
De plus en plus de téléphone mobile sont dotés d’une connexion internet et près
d’un français sur quatre serait un « mobinaute » selon un sondage Médiamétrie120. Le terme
« mobinaute » renvoie à « mobile » et à « internaute », autrement dit ce sont des personnes
qui consultent internet depuis un téléphone portable. Il semblerait que les pratiques de visite
soient influencées par ces nouvelles fonctionnalités. Ainsi, il n’est pas rare que des visiteurs
effectuent une recherche depuis leur mobile pour compléter les informations qui lui sont
transmises par le musée ou déchiffrer certains éléments non expliqués par l’institution.
Ainsi, lors de la réalisation de notre enquête quantitative aux Galeries Nationales du Grand
Palais, une jeune femme explicitera sa réponse à la question sur l’utilisation générale du
téléphone dans un musée ou une exposition121. Pour elle, le téléphone joue un rôle important
dans une exposition car il lui permet « de ne pas rester bête face à un mot ou un nom
inconnu122. » Elle nous raconte son expérience :
« La dernière fois je lisais un cartel et l’artiste avait mis le nom d’une
molécule chimique dans le titre de son œuvre. Comme je ne savais pas du tout ce que
c’était et que je me suis dit que ça pouvait être intéressant pour comprendre son
œuvre, j’ai fais une recherche sur mon téléphone. Je n’aime pas passer à côté de
119 GONORD Alban, MENRATH Joëlle, op.cit., p.34 120 Communiqué de presse de Médiamétrie publié le 27 janvier 2011 pour les résultats du 4ème semestre 2010 en France http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/l-‐audience-‐de-‐l-‐internet-‐mobile-‐en-‐ france-resultats-‐du-‐4eme-‐trimestre-‐2010.php?id=394 121 Cf. ANNEXE VI - questionnaire de l’évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.49-50 122 Notes personnelles, données qualitatives recueillies lors d’un échange avec le public après la récupération de questionnaires aux Galeries Nationales du Grand Palais, le 14 janvier 2011
38
choses comme ça, avec internet j’obtiens directement la réponse, c’est très
pratique !».
Le mobile permet ici l’enrichissement d’une culture personnelle dans le cadre
d’une visite au musée. Il joue le rôle de dictionnaire ou de complément de visite et peut se
positionner comme le « décodeur » d’informations transmises et non expliquées par les
supports du musée. Les visiteurs décident donc spontanément de saisir leur téléphone
portable pour effectuer ce que l’on pourrait presque appeler une « auto-médiation123 » ; une
médiation pour soi-même. Ce sera d’autant plus le cas s’il s’agit d’un sujet concernant une
spécialité, comme la chimie dans notre exemple. L’objectif n’est pas forcément d’apporter
une connaissance scientifique de l’élément recherché, mais surtout d’en donner une
définition claire ou de remettre en mémoire. Une personne retraitée nous dira que ses
recherches sur internet lors d’une exposition ont essentiellement porté à lui rappeler des
connaissances acquises mais oubliées. « Il m’est arrivé très souvent de taper le nom d’un
dieu grec ou d’un roi, parce que j’ai oublié leur fonction et qu’ils font partis d’une œuvre.
Alors là c’est très bien avec la connexion internet dans mon téléphone je tape leur nom et
hop je trouve tout de suite124. »
De façon quantitative, près de 25% des personnes ayant répondu à l’enquête
effectuée aux Galeries Nationales du Grand Palais ont déclaré avoir déjà utilisé leur
téléphone portable pour faire une recherche en lien avec leur visite dans un musée ou une
exposition125.
b. L’enregistrement
Une autre pratique très fréquente dans le cas d’une visite au musée est
l’enregistrement. Pour Mauricio Ferraris, c’est de manière générale la fonction prédominante
du mobile126. L’enregistrement se caractérise par le fait de conserver une trace d’un élément,
en l’occurrence dans le téléphone. Ce peut être par le biais d’une photographie par exemple.
Chacun peut constater l’ampleur de cette pratique en déambulant dans les collections d’un
123 Terme utilisé par Noémie Couillard pour décrire une situation de médiation « dirigée vers soi » ou « de soi pour soi ». Article « Pour vous j’ai testé le livetwitte d’exposition » sur le blog « Quelque part en thèse » : http://www.quelquepartenthese.eu/spip.php?article26 124 Notes personnelles, données qualitatives recueillies lors d’un échange avec le public après la récupération de questionnaires aux Galeries Nationales du Grand Palais, le 16 janvier 2011 125 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.26 126 FERRARIS Maurizio, op.cit. p.37
39
musée le week-end. On y voit, lorsque cela n’est pas interdit, un nombre important de
visiteurs prendre des photographies ou des vidéos, de plus en plus avec leur mobile. Nous
l’avons dit dès la première partie : le musée d’Orsay a décidé de faire interdire les
photographies dans l’enceinte du bâtiment, entre autre en raison de la multiplication des
prises de vues causées par l’intégration de plus en plus systématique d’une caméra dans les
mobiles. C’est donc que l’institution a remarqué un changement des pratiques de visite, lié à
l’introduction de cet outil dans l’espace muséal. Comme nous l’avons indiqué plus haut, ces
enregistrements visuels donnent aux visiteurs la possibilité de conserver la trace de leur
visite au musée et dans une certaine mesure de s’approprier les contenus du musée127. Mais
on remarque que l’enregistrement ne se fait pas seulement au niveau visuel. La prise de
notes128 liées à la visite est également un moyen pour les publics de garder un souvenir de
leur passage et de mémoriser par exemple des informations qu’elles ont jugées intéressantes
et qu’elles voudraient retrouver ou approfondir à l’issue de la visite. Le téléphone joue alors
le rôle d’un véritable carnet de note.
On assiste également au développement d’une pratique mixte consistant à enregistrer
un texte grâce à une prise de vue. Si Benjamin Bardinet est assez sceptique quant à
l’utilisation du mobile comme outil de médiation, il avoue cependant qu’au Palais de Tokyo
: « on voit tout de même beaucoup de gens photographier les cartels avec leur mobile129 ».
Serge Chaumier et Véronique Parisot font également état de cette pratique dans leur texte
sur la photographie au musée : « Ainsi nous est-il arrivé plusieurs fois de nous voir interdire
la prise de vue de textes dans une exposition d’art sous prétexte d’une interdiction générale
qui concernait la photographie des œuvres ! »
Au musée, le mobile fait figure à la fois de carnet de notes et d’appareil photo. Ses
fonctions d’enregistrement le transforment alors en un « réceptacle privilégié du
souvenir130 »
c. Le partage social
Enfin, les visiteurs pratiquent également avec leur mobile pendant la visite le
partage social. Nous entendons par ce terme le fait d’entrer en communication avec une
personne ou un groupe de personnes, se trouvant dans le musée ou en dehors, notamment 127 CHAUMIER Serge, PARISOT Véronique, op.cit. 128 Celle-ci est rendu possible soit grâce à des applications dédiées et présentes dans le mobile, soit, plus prosaïquement, par l’enregistrement d’une note en tant que brouillon sous forme de SMS ou de mail. 129 Cf. ANNEXE II – E, Entretien avec Benjamin Bardinet p.40 130 Expression employée dans l’ouvrage d’Alban GONORD et Joëlle MENRATH, op.cit. p.130
40
par l’envoie de SMS, de mail ou encore par la publication de messages sur un réseau
social131, comme Facebook ou Twitter. Parmi les personnes ayant utilisé l’application
iPhone « Monet », 12% d’entre elles avaient déjà eu recours à l’utilisation de leur téléphone
auparavant dans une exposition pour signaler leur visite à un tiers. Ces chiffres sont assez
faibles mais nécessitent une certaine forme de diligence car, comme nous l’avons dit dans le
premier chapitre, il est généralement mal perçu de se laisser « décentrer » par le mobile lors
d’une pratique culturelle. On pourrait ici supposer que certaines personnes n’ont pas
répondu avec franchise à la question. D’autre part, l’utilisation du téléphone portable s’est
banalisée à tel point que son usage est parfois automatique et instinctif. Il se peut donc que
certains visiteurs aient oublié qu’il leur est déjà arrivé d’utiliser leur mobile dans une
institution muséale.
Par ailleurs, signalons que la présence muséale institutionnalisée dans le téléphone
favorise régulièrement ce type d’échanges. Il est souvent proposé aux utilisateurs d’une
application Smartphone de commenter leur visite par mail ou sur les réseaux sociaux132.
Nous aurons l’occasion de revenir de façon plus détaillée sur ce point dans le troisième
chapitre de notre recherche.
Un des intérêts du partage social en contexte muséal est qu’il permet la présence
virtuelle de « l’autre ». Une utilisatrice du réseau social Twitter nous confiera par exemple
qu’elle poste spontanément ses impressions sur ce réseau lorsqu’elle visite une exposition :
« Lorsque je visite seule une exposition, il peut m’arriver de publier sur
Twitter car j’ai ainsi le sentiment d’être accompagnée. Les gens peuvent réagir, dire
s‘ils l’ont vu, si ça leur a plu… Je m’exprime sur Twitter comme ci je parlais à
quelqu’un pendant ma visite.133 ».
Ce partage est basé sur l’interaction et la communication au sein d’une
communauté. Il donne l’impression d’une présence sociale, notamment lorsque le mode de
visite est solitaire. Mais il peut aussi arriver que ce partage permette un glissement du virtuel
131 Cf. ANNEXE, Glossaire « réseau social », p.7 132 Cf. ANNEXE IV n°8 – B, utilisation du partage social et des réseaux sociaux dans les applications muséales, p.111-114 133 Propos recueillis par mes soins à l’issue d’un « Livetwitte » organisé par le Centre Georges Pompidou autour de l’exposition Morellet, jeudi 24 mars 2011. Nous explicitons le concept de « Livetwitte » dans la deuxième partie du dernier chapitre.
41
au réel. Lors d’une visite au Studio 13/16, nous avons interrogé quelques médiatrices à
propos du projet SMARTMUSE134. L’une d’entre elles nous fera part de ses observations :
« Le dispositif fonctionne bien, mais on voit quand même plus de jeunes
utiliser leur propre téléphone. Parfois, on voit un adolescent pianoter sur son mobile
et quelques minutes plus tard, il y a cinq copains à lui qui débarquent. On a très vite
compris que c’était un jeune du quartier et qu’il avait invité ses amis à venir le
rejoindre en leur envoyant un SMS135. »
Il ne s’agit bien entendu que de propos relatés, mais ils en disent long sur les
capacités du mobile à ouvrir spontanément l’espace du musée vers le monde extérieur et,
réciproquement, à introduire le musée dans l’espace de notre quotidien.
Les diverses utilisations du mobile au musée nous offrent une vision multiple et
variée des possibilités exploitées par le musée ou par ses visiteurs afin d’enrichir, de
conserver ou de partager l’expérience muséale. Ajoutons que les usages amateurs
contribuent à poursuivre le processus de médiation au delà des propositions institutionnelles.
D’une simple transmission des contenus, le téléphone permet désormais une médiation des
contenus.
Nous poussons cette affirmation à son terme, en avançant que, plus qu’un outil de
médiation, le mobile est un outil de « multi-médiation ». En 2007, Mériam Ben Sassi
définissait le concept de « multi-médiation » en parlant des sites internet de musées comme
d’une médiation « dématérialisée136 », « sans spatialité », où les médiums privilégiés
seraient l’internet et le multimédia. Ce concept prend un sens plus étymologique dans notre
analyse, et est ici envisagé à la fois sous l’angle du multiple, du multimédia et de la
médiation. Pour éviter la confusion, nous lui avons préféré une orthographe quelque peu
différente, avec un trait d’union entre « multi » et « médiation ». Le mobile est un outil de
multi-médiation au sens où il rassemble en son sein un grand nombre de médias et d’usages
capables de créer des médiations. Si le mobile est en soi un objet multitâche, sa relation avec
le musée est fondée sur la multiplicité : une double présence du muséal dans le mobile -
institutionnelle ou amateur– par le biais de multiples fonctionnalités et technologies, au sein
134 Cf. ANNEXE IV – n°6-B, p.94 135 Propos recueillis par mes soins, le 20 novembre 2010, lors d’une visite et d’observations au sein du Studio 13/16 136 BEN SASSI Mériam, « Le Musée à l’ère d’internet », mémoire de Master 1 UFR 03 Archéologie et Histoire de l’art. Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne, sous la direction de Mme Corinne Welger-Barboza, septembre 2007, p.78
42
de plusieurs types d’institutions, dans de multiples contextes et voués à de multiples
missions envers les publics. Cette caractéristique en fait d’ailleurs un support complexe à
étudier, et plus particulièrement dans le cadre de la muséologie.
Bien entendu, nous pouvons aussi considérer ce médium comme un outil de
multimédiation au sens proposé par Mériam Ben Sassi. Car le mobile embarque la présence
muséale de façon ubiquitaire. Grâce à lui, le musée peut être consulté non plus uniquement à
partir d’un ordinateur fixe ou portable nécessitant une connexion internet, mais peut
littéralement être « embarqué » lorsque les contenus sont téléchargés et présents dans le
téléphone. Nous y reviendrons.
D’autre part, il apparait que le téléphone portable puisse s’assimiler par ses
caractéristiques à d’autres supports de médiation, qu’ils soient « traditionnels » ou
« multimédias », en combinant plusieurs de leurs traits distinctifs. Dans cette hypothèse,
l’aspect « médiation » du concept de « multi-médiation » prendrait alors toute sa
signification. Le chapitre suivant consistera en une analyse comparative du mobile et de
différents outils d’aide à la visite. Nous observerons également les impacts de cette multi-
médiation sur la médiation en elle-même et sur les publics.
43
CHAPITRE II :
LE TÉLÉPHONE PORTABLE, UNE OFFRE DE MULTI-MÉDIATION.
EFFETS ET ENJEUX SUR LES USAGES ET LES PUBLICS
1. Le mobile : canalisateur d’outils de médiation
Le chapitre précédent nous l’a démontré : le mobile n’offre pas une mais des
médiations. Il revient alors à l’utilisateur, en fonction de ses envies et des fonctionnalités de
son mobile, d’accepter ou non d’offrir une place au musée dans son téléphone portable.
Nous avons pu le constater lors de notre enquête de terrain, certaines personnes
peuvent se montrer réfractaires à l’idée de faire entrer le musée - ou d’autres pratiques
culturelles - dans leur mobile et préfèrent par exemple, louer un audioguide ou s’en remettre
à d’autres outils mis à disposition par le musée. D’une manière générale, la fiabilité des
informations transmises et la part symbolique des supports de médiation muséaux ont leur
importance dans cette préférence. Cela reviendrait à dire que puisqu’il est mien, le mobile ne
peut me donner accès aux mêmes renseignements que les outils du musée, même si, comme
nous l’avons établi, la présence muséale institutionnelle émane de plus en plus des musées
eux-même.
Bien qu’on ne puisse parler de « concurrence » entre les différents supports de
médiation, force est de constater que les visiteurs établissent des choix dans leur mode
d’accompagnement parmi la panoplie d’outils d’aide à la visite, dont le mobile ne fait que
très récemment parti.
Toutefois, nous l’avons dit, le téléphone est un objet multitâche, capable d’offrir aux
visiteurs des contenus texte, vidéo, audio… pourquoi ne pourrait-il pas remplacer, entre
autres, les écrans, les audioguides et les textes pédagogiques présents dans les salles de
musées ? Se pose ici la question de « savoir à quel point la tendance à l’appropriation par
le mobile des autres objets de la panoplie ne finira pas par supprimer définitivement l’utilité
de ces mêmes objets137». Cette interrogation, émise sous l’angle du rapprochement entre
mobile et objets quotidiens dans l’ouvrage « Mobile attitude », s’adapte parfaitement au
contexte de notre recherche. Si le téléphone mobile peut « vampiriser138 » ou remplacer
certains objets de notre vie courante (montre, réveil, portefeuille etc.), la logique semble se
répéter en contexte muséal. Nombreuses sont en effet les similitudes entre certains supports
137 GONORD Alban, MENRATH Joëlle, op.cit., p.43 138 Ibid. p.42
44
de médiation et les terminaux mobiles. Ces derniers sont d’ailleurs très fréquemment appelés
« audioguides nouvelle génération » ou « audioguides de demain139 ». La question de savoir
si cet outil supplantera un jour l’audioguide « traditionnel » provoque actuellement moult
débats dans la sphère muséale. C’est donc la problématique de la redondance qui se pose ici
ou « celle de plusieurs objets qui serviraient à la même chose et dont on pourrait très bien
se passer sans se priver pour autant des fonctions assumées par un seul d’entre eux140. »
Pourquoi le mobile, qui est polyvalent, ne pourrait-il pas justement assumer toutes ces
fonctions des cartels, des textes pédagogiques ou encore des écrans multimédias de musée ?
Nous tenterons dans la première partie de ce chapitre de déterminer, par ses traits
communs et ses divergences, comment le téléphone portable s’avère être un « canalisateur
d’outils de médiation ». Le concept de multi-médiation est ici au centre de nos
préoccupations puisqu’il semblerait que du caractère « multiple » du mobile résulte la fusion
de différents outils en son sein. L’objectif de cette thèse n’est pas d’affirmer que le mobile
doit remplacer les autres dispositifs proposés par les musées, mais de démontrer qu’il est
capable de centraliser une pluralité d’outils de médiation culturelle afin de l’envisager
comme un objet hybride à la présence muséale protéiforme.
a. La mobilité Par définition, le téléphone portable est synonyme de mobilité et d’ubiquité. À tel
point qu’une étude des consommations mobiles suppose deux significations : « qui
s’effectue à partir d’un téléphone mobile » et « qui s’effectue en situation de mobilité ». Or,
au musée, la mobilité est un concept clé puisque, comme nous l’avons évoqué au premier
chapitre, toute pratique muséale suggère une déambulation et un engagement du corps.
Plusieurs appareils fonctionnent dans les cercles de la mobilité au musée et la notion
« d’accompagnement à la visite » peut signifier un cheminement intellectuel, avec le
visiteur, mais aussi un accompagnement physique tout au long de son parcours. Les outils de
médiation sont soit disséminés sur notre chemin, au fur et à mesure de notre déambulation
(cartels, textes sur les cimaises…), soit nous poursuivent et deviennent en quelque sorte un
« prolongement de soi 141». Parmi les outils mobiles de médiation au musée, on retrouve
notamment les supports auditifs (audioguides, podcast…) et les supports textuels (livrets
pédagogiques, plan de la visite…)
139 DESHAYES, Sophie op. cit. p. 140 GONORD Alban, MENRATH Joëlle, op.cit., p.42 141 JAURÉGUIBERRY Francis, op.cit., p.21
45
Le téléphone portable, nous l’avons étudié, a d’abord été utilisé comme diffuseur de
contenus culturels et est souvent perçu par les musées comme un substantif aux audioguides.
Cependant, nous avons aussi fait remarquer que le téléphone avait été le premier diffuseur
de contenus culturels, avant même l’apparition de la radio et des supports de médiation
auditifs. Dans l’ouvrage « La Muséologie » André Gob et Noémie Drouguet donnent la
définition suivante de l’audioguide : « L’audioguide est un dispositif portable, qui ressemble
vaguement à un téléphone, que le visiteur emporte durant sa visite et qui lui donne, à la
demande, un commentaire dans sa langue.142 » La comparaison avec le téléphone est ici
intéressante et suppose que c’est l’audioguide qui s’apparente aux téléphones plutôt que
l’inverse. On aurait tendance à oublier cela aujourd’hui tant la présence de l’audioguide dans
les musées est considérée comme universelle contrairement à l’offre de médiation sur
terminaux mobiles. Si la confusion est présente, c’est aussi parce que le téléphone permet,
tout comme son confrère, l’écoute de contenus via un appareil que l’on pose à même
l’oreille. Très souvent, et surtout dans les applications muséales pour Smartphones, les
contenus diffusés sont d’ailleurs identiques à ceux de l’audioguide. En janvier 2011, 75%
de ces applications contenaient des commentaires audio sur les œuvres143. La technologie
Bluetooth, la RFID ou les codes QR, comme on l’a vu, permettent également la réception de
ces contenus. Quelques avantages, comparé à l’audioguide, ont toutefois pu être identifiés
lors de notre enquête sur l’application iPhone « Monet »144 : les visiteurs trouvent que leur
téléphone, en l’occurrence l’iPhone, produit un meilleur son que l’audioguide et trouvent
plus hygiénique d’utiliser leur propre appareil, avec leurs écouteurs personnels. Quant aux
outils « convergents », comme les PDA ou les lecteurs MP3, les Smartphones ont d’ores et
déjà intégré leur fonction. Si le musée met à disposition du public des podcasts en guise de
commentaires audio, ces derniers peuvent être écoutés sur un lecteur MP3, mais aussi… sur
un téléphone portable.
Outre l’intégration de contenus audio, le téléphone canalise également d’autres types
de supports consultables en mobilité au musée : les livrets pédagogiques et les plans de
visite. Ces documents sont généralement distribués à l’entrée d’une exposition.
Les applications mobiles muséales peuvent proposer aux visiteurs de se repérer dans
l’exposition ou les collections à l’aide d’un plan interactif de visite. Ce dernier peut
142 GOB André ; DROUGUET Noémie, La Muséologie histoire, développements, enjeux actuels. Préface de Serge Chaumier, éd. Armand Collin, 2ème édition, 2006, p.148 143 Cf. ANNEXE III, p. 42 144 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, « remarques générales », p.42
46
remplacer le support papier ou lui être complémentaire. En janvier 2011, 14% des
applications françaises pour iPhone disposaient de ce type d’aide à la visite145. L’avantage
étant non seulement de pouvoir repérer sa propre position mais aussi de percevoir différents
points d’intérêts de la visite qui sont commentés dans l’application. Certains plans
permettent également une géolocalisation, comme au Château de Versailles146.
Enfin, nous appelons « livrets pédagogiques » les feuillets explicatifs, distribués par
le musée, dans lesquels le contexte de présentation et le discours du musée sur une
exposition sont énoncés. Les dispositifs sur terminaux mobiles ne remplacent pas ces
supports papiers, mais peuvent contenir un certain nombre d’informations textuelles147
similaires. Par exemple, 43% des applications muséales françaises intègrent du texte et 63%
pour les applications muséales anglo-saxonnes148. Ces livrets peuvent être lus en amont de la
visite, pendant ou après. Il en est de même pour les contenus récupérés sur le mobile. À la
différence des livrets de visite, le contenu textuel recueilli grâce à des dispositifs mobiles
sera sans doute davantage « fragmenté » : le visiteur récupère une somme de textes
explicatifs par « morceau », soit au fur et à mesure de sa visite s’il s’agit de dispositifs
pervasifs, soit lors de sa navigation s’il a téléchargé une application pour smartphone.
On le voit bien à travers ces quelques exemples : le téléphone, outil de la mobilité
par excellence, a la capacité de combiner plusieurs dispositifs embarqués d’aide à la visite.
Bien entendu, il ne « remplace » pas stricto sensu ces supports. Il a cependant le pouvoir de
les canaliser et de présenter quelques avantages supplémentaires du fait de son lien
personnel avec le public. Peut-il faire de même avec les outils de médiation déjà intégrés à la
muséographie ?
b. Entre livre et écran? Parmi les éléments de médiation culturelle présents dans les musées, on retrouve les
cartels, les textes pédagogiques sur les cimaises ou encore les écrans vidéo. Tous semblent
pouvoir s’intégrer aux nouvelles technologies mobiles.
On remarque en effet que les cartels accompagnent de façon quasiment systématique
les visuels des œuvres intégrées au mobile. La notice est ici dépendante de l’œuvre. En ce
qui concerne les textes explicatifs, souvent présents sur les murs des expositions, les
contenus textuels que peuvent fournir les musées aux téléphones portables des visiteurs ne 145 Cf. ANNEXE III, p. 42 146 Cf. ANNEXE IV n°9-C, p.129 147 Cf. ANNEXE IV n°9-B – textes p.128 148 Cf. ANNEXE III p.42
47
les remplacent pas, mais sur le même modèle que pour les livrets explicatifs, peuvent en
quelque sorte jouer leur rôle. Toutefois, on remarque que les usages amateurs du téléphone
permettaient déjà la conservation des cartels et textes pédagogiques du musée avant
l’existence des applications muséales. Ceci grâce à la fonction « photographie », comme
nous l’avons suggéré en évoquant dans la première partie la prise de vue des notices du
musée pour en conserver la trace. Là encore la récolte des informations fragmente les
différents textes en plusieurs ensembles.
Enfin, les écrans vidéo – de télévision ou d’ordinateur – diffusant des compléments
d’informations aux visiteurs durant leur visite, comme l’interview d’un commissaire ou un
reportage sur un artiste, peuvent également être présents dans certains dispositifs pour
mobile. Ce dernier permet en effet de visionner de la vidéo, des films ou encore la
télévision149.
Si l’on regarde de plus près ces différents exemples, on prend conscience du
caractère hybride du mobile en contexte muséal. Par ses fonctionnalités, l’objet ne tendrait-il
pas à se positionner entre le livre et l’écran ?
Le livre est en effet un objet de la culture écrite, généralement facile à transporter,
souvent personnel, ou du moins avec lequel on entretient une relation d’appartenance forte.
Tout comme le livre, on peut emporter le mobile et le consulter de n’importe où, ou presque.
Les deux ont une dimension tactile importante150, l’un avec le papier, l’autre avec les
touches. Le livre nous « transporte » dans une histoire, un imaginaire, ou nous transmet des
connaissances davantage scientifiques. La présence muséale dans le mobile peut être les
deux à la fois. Elle a la vocation de « téléporter » dans le même temps les utilisateurs vers
une culture, un savoir-faire, un imaginaire… tout en apportant des connaissances précises
sur les objets exposés. Ce livre serait multimédia car ses contenus sont tantôt textuels, tantôt
augmentés par la présence du son et de l’image. Le livre se transforme alors en écran.
L’écran du téléphone permet la « représentation du musée », il en relais les images et
devient l’interface principale entre le visiteur, la contemplation et les savoirs. Agnès Vigué-
Camus voit dans l’accompagnement du texte par l’écran un facteur de motivation pour les
utilisateurs et la possibilité d’enrichir le texte par l’image : « Ainsi, par la médiation de
l’écran, les modalités de rencontre avec des informations textuelles pourraient être
149 LEJEALLE Catherine, « La Télévision mobile : une modalité de gestion du lien complémentaire de celle des fonctions de communication » in Réseaux « Les usages avancées de la téléphonie mobile » op.cit. p.115 150 « Il y a le contact tactile avec le livre : on le touche, on hume son odeur, on note éventuellement une idée, une référence » VIGUÉ-CAMUS Agnès, « Une approche des usages et représentations des écrans multimédias », in Publics et Musées n°13, op.cit, p.54
48
transformées pour le lecteur (visiteur), du fait qu’elles s’accompagneraient d’images
animées et du son151. » La force de la présence muséale institutionnelle est de concilier par
le biais de l’écran contemplation et cognition. Car là où l’audioguide permet de contempler
et d’écouter à la fois, la visite avec le mobile incarne souvent une double contemplation :
celle des objets présents tout au long de notre parcours et celle des visuels de ces mêmes
objets présents dans le mobile. Le visiteur est alors porté vers une nouvelle dimension, plus
uniquement textuelle ou sonore, mais aussi fortement visuelle.
Cependant, il semblerait que l’écran, à la différence du livre, « ne donnerait accès
qu’à un savoir de surface152 ». Sa superficialité peut être liée au fait qu’il « résume » plus
qu’il ne développe une pensée. De plus, dans la conscience collective, le texte du livre est
très fréquemment affilié à un écrivain, ou à une personne physique, alors que le texte
consulté sur un écran est souvent détaché de la personne de l’auteur153. On constate
également que les contenus muséaux, pour être transmis via RFID ou codes QR par
exemple, ne doivent pas dépasser un certain nombre de caractères. De même, pour qu’une
application smartphone ne soit pas trop « lourde », elle doit, à l’heure actuelle, être limitée à
un certain poids154. Enfin, pour être posté sur le réseau Twitter, un contenu texte doit se
limiter à cent quarante caractères.
En comparaison au livre, l’écran du mobile présenterait donc pour le moment
quelques freins en termes de contenus. Ainsi, le téléphone portable semble présenter toutes
les qualités du livre et de l’écran (mobilité, objet personnel, multimédia…), mais aussi les
inconvénients (connaissance superficielle).
Quoi qu’il en soit, le téléphone a les capacités de recevoir en son sein les outils
traditionnels de médiation culturelle et de les condenser. Il devient alors cet objet hybride
que nous avons décris, portatif et multimédia, entre livre et écran.
Nous avons comparé les supports de médiation auditifs, visuels, textuels ou
numériques et souhaiterions aborder maintenant la question de la transmission humaine, et
donc oral, afin de voir en quoi le téléphone peut également se rapprocher d’une logique de
médiation dite « humaine ».
151 Ibid. p.44 152 Ibid. p.54 153 Ibid. p.55 154 Au delà de 20 Mo, une application doit être téléchargée via un réseau wi-fi ou via l’ordinateur de l’utilisateur et non directement grâce au réseau téléphonique. Il implique l’accès à ce genre de réseau.
49
c. Interactivité et sociabilité La médiation humaine pourrait se définir par la transmission de savoirs se faisant
grâce à un échange oral entre personnes physiques. Il peut donc s’agir de visites « guidées »,
lors de laquelle un conférencier, souvent employé par l’institution, représente le musée et
donne des informations, en un temps donné à un groupe de personnes constitué, sur une
sélection d’objets présentés dans l’exposition. Mais il peut aussi s’agir d’une autre forme de
médiation humaine, la médiation « présence »155, fondée sur l’échange et l’interactivité entre
le public et des médiateurs culturels présents dans les salles de l’institution. Ils sont à la
disposition des visiteurs, pour répondre à leurs questions ou rebondir sur leurs
interprétations des œuvres156.
L’expérience de visite requérant la présence physique d’un guide ou d’un médiateur
ne peut être équivalente, en termes de transmissions, à celle effectuée avec un support
technique tel que le téléphone mobile. Nous tenons cependant à démontrer ici en quoi les
logiques des deux types de médiations humaines tendent à se rapprocher des dispositifs
destinés aux outils mobiles du musée.
En effet, un parallèle peut être établi sur le fond entre, d’une part entre la visite
guidée et la visite audioguidée157 et d’autre part entre la présence de médiateurs culturels et
les dispositifs pour téléphones mobiles. Dans le premier cas la médiation est plutôt
« descendante», c’est à dire qu’elle va du guide, et donc de l’institution, vers les publics. Il
en est de même pour les contenus du guide audio qui sont écoutés par les publics, excepté
que les utilisateurs ne peuvent pas poser de question pour avoir des informations
supplémentaires, comme il est fréquent lors d’une visite-conférence. Dans le cas de la
médiation « présence », celle-ci est plutôt « ascendante » : les visiteurs qui souhaitent
recevoir des informations contrôlent le processus de médiation. En l’occurrence, ils ont la
possibilité de poser des questions et de parler aux médiateurs, mais ne le font que s’ils en
ressentent le besoin ou encore si un échange s’engage simplement. C’est sur la base des
connaissances et des envies du public que le médiateur va alors tisser un échange avec eux
155 DEHON Clélia, « Chargé(e) de médiation culturelle : une profession protéiforme », dossier réalisé dans le cadre du cours « Rencontres avec des professionnels de la culture », licence 3 Conception et mise en œuvre de projets culturels à l’Université de Paris III, Sorbonne Nouvelle, p.4 156 Cette conception de la médiation humaine est assez récente et est surtout présente dans les lieux d’art contemporain. Nous pouvons citer quelques exemples d’institutions ayant mis en œuvre ce dispositif : le Palais de Tokyo, le Plateau – FRAC Île-de-France, le musée du Quai Branly ou encore des manifestations culturelles telles que Monumenta ou Nuit Blanche. 157 Les utilisateurs d’audioguide attendent en effet le discours d’un guide au sein de l’outil DESHAYES, Sophie, « Audioguides et musées », la lettre de l’OCIM n°79, 2002, p.28
50
autour de l’exposition, en adaptant son discours en fonction de ses interlocuteurs158. Les
dispositifs mobiles fonctionnent plus ou moins sur le même principe et suppose une
démarche et un engagement personnel de la part du visiteur : c’est parce que ce dernier aura
envie de flasher un code QR, qu’il se connectera à une borne Bluetooth ou téléchargera une
application Smartphone qu’il accèdera à des contenus. Il sélectionnera ensuite ces contenus
en fonction de ses propres intérêts : regarder une vidéo sur un artiste, lire du contenu texte,
écouter un commentaire sur une œuvre, répondre à un quizz, faire un commentaire de sa
visite sur Twitter… C’est l’action du visiteur qui engage le processus de connaissance en
fonction de ses attentes. Cela suppose qu’il ne se laisse pas « guider » par une personne ou
une voix. Ce phénomène s’observe également dans les usages amateurs du mobile : les
visiteurs prennent une photographie ou font une recherche sur internet s’ils en ont l’envie ou
en ressentent l’utilité. Ainsi, pour Annie Gentes, les modes de réception des connaissances
sont différents avec un audioguide ou un mobile :
« Avec un audioguide, la situation de communication est balisée : le visiteur
vient pour apprendre, le musée lui fournit des informations. Or les téléphones
mobiles et les ordinateurs de poche (PDA, pocket PC, tablettes Internet) ne sont pas
des terminaux, mais des appareils à enregistrer, à écrire et à communiquer. On peut
prendre des photos, envoyer des SMS, récupérer et échanger de l'information159. »
Nous pouvons constater le même phénomène entre la visite-conférence et la
médiation « présence » : dans la première la situation de communication est quasiment à
sens unique160, alors que dans la seconde, le médiateur part au contraire de ses interlocuteurs
pour engager l’échange. Celui-ci est ouvert à la communication puisque que la discussion
s’engage autour d’un petit groupe personnes (famille, couple, amis…). Les gens sont alors à
l’aise pour partager leur opinion, référence, interprétation…
Comme le dit Annie Gentes, c’est justement parce que le téléphone mobile est avant
tout un outil de communication, que l’interactivité peut avoir lieu, contrairement à l’écoute
de contenus transmis par un audioguide ou lors d’une visite guidée.
158 DEHON Clélia, « Chargé(e) de médiation culturelle : une profession protéiforme », op.cit. p.4 159 GENTES Annie, in Le Monde, op.cit. 160 Lors de visite avec un guide conférencier il est en général complexe pour les visiteurs d’échanger entre eux, le discours du guide « limitant les échanges inter-individuels entre proches, à moins de contrevenir aux règles de la bienséance de la visite en groupe ». Il est donc convenu qu’il faut « écouter le guide ». La présence des autres visiteurs peut être intimidante pour certains visiteurs qui n’oseront pas s’exprimer ou poser librement une question. DESHAYES, Sophie, « Audioguides et musées », Ibid. p.26
51
Nous pouvons dire que le téléphone mobile est bien un outil de multi-médiation.
Outre le fait de transmettre des contenus, via différentes technologies et de permettre leur
partage, il canalise aussi un certain nombre d’outils de médiation « traditionnels », grâce à
ses multiples fonctionnalités. Pour résumé, nous pouvons reprendre les propos de Roxane
Bernier et Bernadette Goldstein, qui, dès l’introduction de l’ouvrage « Public et Musées »
sur les nouvelles technologies annoncent que « les technologies interactives multimédias
recouvrent une grande diversité de supports, de pratiques d’utilisateurs et de contextes
d’usage161 ». Plus de dix ans après la publication de ce recueil, nous constatons que cette
remarque s’adapte tout a fait aux nouveaux outils multimédias des musées tels que le
téléphone mobile, qui recouvre à lui seul une offre plurielle de technologies, de pratiques, de
contextes, de fonctions et donc de possibilité de médiations.
S’il nous a paru important de traiter du téléphone portable sous l’angle du multiple,
c’est que les impacts de cette multi-médiation sont considérables sur la façon d’envisager les
logiques d’usage de ces outils. La deuxième partie de ce chapitre fera place à une réflexion
concernant les effets de la multi-médiation, et notamment sur les apports ou les
modifications qu’elle pourrait entrainer sur les modes de réceptions et le processus
d’appropriation des contenus par les publics.
2. Effets de la multi-médiation
Le téléphone mobile offre un large choix de pratiques aux publics des musées, dont il
convient désormais d’analyser les effets. En multipliant les accès à la présence du muséal, le
mobile augmente dans le même temps les circonstances et les approches des contenus
proposés par l’institution ou collectés et enregistrés par les visiteurs eux-mêmes.
Nous verrons que les dispositifs sur terminaux mobiles impliquent souvent un triple
niveau de médiation, répondant à trois moments distincts autour d’une visite au musée : la
sensibilisation, l’enrichissement et le prolongement. Nous aborderons ensuite la question du
« musée virtuel », celui qui permet aux visiteurs, à distance, un « embrassement du
regard162 ». Enfin, nous nous demanderons dans la dernière partie de ce chapitre si le recours
à de multiples technologies mobiles et à leurs fonctionnalités n’émane pas pour les
institutions muséales du profond désir d’attirer de nouveaux publics à visiter l’institution.
161 BERNIER Roxane ; GOLDSTEIN Bernadette, Introduction, in Publics et Musées n°19 op.cit., p.11 162 Expression empruntée à Agnès Vigué-Camus, op.cit., p.49
52
a. Un triple niveau de médiation La multi-médiation offerte par le téléphone portable a fait naître différents niveaux
d’accessibilité des contenus, en particulier lorsque c’est l’institution muséale qui est à
l’origine de leur conception.
Toute pratique culturelle repose sur la division de trois moments temporels : un
« avant », un « pendant » et un « après ». L’ « avant » suppose une préparation, physique
(achat d’un billet etc.) et/ou mentale (lecture d’une affiche ou d’un flyer, la visite du site
internet etc.). Ce moment préfigure la découverte et la sensibilisation de la pratique. Le
« pendant » est le moment de la pratique culturelle et l’ « après » correspond en général au
prolongement de la visite (la lecture d’un catalogue, la recherche d’informations
complémentaires, la discussion de cette pratique avec un proche etc.). L’ « après » est le lieu
d’une expérience entamée, qui murît et s’agrège au bagage socioculturel de chaque individu.
Les outils de médiation mobile institutionnels sont les premiers outils de médiation à
permettre un accompagnement du visiteur en continue, c’est-à-dire pendant ces trois phases
d’acquisition et d’appropriation des œuvres. C’est particulièrement le cas avec les
applications Smartphone de musées. Celles-ci prolongent en ce sens les fonctions des sites
internet de musées163, qui permettent aux visiteurs de se renseigner et de découvrir
l’établissement en amont et en aval, mais ne le suivent pas stricto sensu lors de leur parcours
de visite. Rappelons toutefois que la consultation d’un site internet de musée pendant la
visite de celui-ci est cependant rendue possible grâce… à un téléphone mobile équipé d’une
connexion internet. On pourrait également établir une comparaison entre les applications
Smartphone et les podcasts qui sont téléchargeables sur les sites internet. Il y aurait
cependant fort à parier que la plupart des publics écoutent peu les commentaires audio des
podcasts avant d’avoir visité une exposition, contrairement à ceux des applications
Smartphone, qui s’inscrivent dans un contexte multimédia plus développé (présence de
visuels…). Le caractère multimédia et novateur des applications muséales concourent sans
doute à rendre plus attractifs ce support et encourage les utilisateurs à la parcourir en avant
et après leur visite.
C’est pourquoi nous pouvons parler ici d’une « triple niveau de médiation ». Les
technologies mobiles permettant aux publics de disposer, en un seul et même outil,
d’informations nécessaires à l’appréhension des objets du musée.
163 BOWEN Jonathan ; BENETT Jim ; JOHNSON James, « Visiteurs virtuels et musées virtuels », « Public et Musées », n°19, op.cit. p.109
53
Préparer et sensibiliser
Les applications Smartphone ou encore les codes QR disposés sur les affiches
d’expositions peuvent contribuer à la découverte, la sensibilisation et la préparation d’une
visite au musée. Elles donnent en effet des informations pratiques (horaires d’ouvertures,
adresse, accessibilité aux personnes à mobilité réduite…), permettent de se faire une idée de
l’exposition grâce aux visuels et contenus explicatifs, d’obtenir un audioguide, parfois de
sélectionner un parcours de visite personnalisé164, d’acheter les billets etc. Si les codes QR
dans le contexte publicitaire se cantonnent généralement à la diffusion d’informations et à la
promotion, les applications mobiles sont avant tout réalisées dans l’optique d’un usage in
situ. Cependant, nombreux sont les utilisateurs et futurs visiteurs à télécharger les
applications muséales en amont de leur visite, afin de se familiariser avec l’exposition.
Ainsi, 58% des utilisateurs de l’application iPhone « Monet » l’avaient téléchargée à leur
domicile, avant leur venue aux Galeries Nationales du Grand Palais165.
Enrichir
Une fois téléchargée, en dehors du contexte muséal ou dans l’enceinte de l’institution
si cela est possible166, l’application muséale permet de concrétiser la sensibilisation des
œuvres et de pousser à son terme l’exploration de l’outil. En contexte, la navigation de
l’application s’approfondie et laisse place à l’enrichissement, l’apprentissage de
connaissances, voire parfois au divertissement. L’application se « consomme » et s’amortie
par la présence physique de l’utilisateur dans le musée. C’est également dans ce cadre
qu’entre en jeu les autres dispositifs mobiles, notamment pervasifs, ou les pratiques
amateurs avec le mobile, que nous avons détaillés dans le chapitre précédent.
Prolonger et conserver
Après leur visite, les visiteurs peuvent consulter de nouveaux tous les outils
téléchargés sur leur mobile, dans un autre contexte. À l’issue de leur visite, 62% des
personnes interrogées lors de notre enquête affirment être certaines de réutiliser
ultérieurement l’application et 31% disent qu’ils le feront peut être167. Nous avons pu
constater que le prolongement de la visite était très souvent associé à un sentiment de
164 Cf. ANNEXE IV n°11-B, Application Smartphone de la Cité Nationale de l’histoire l’Immigration, p.144 165 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, graphique 12 répartition des lieux de téléchargement de l’application, p.20 166 Le téléchargement d’une application muséale in situ nécessite dans certains cas la mise en place d’un réseau wifi accessible aux visiteurs, notamment lorsque l’application contient beaucoup de contenus. 167 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.36
54
possession et de conservation. Les utilisateurs apprécient le sentiment d’appartenance que
leur procure le téléchargement d’une application : « on peut la réécouter à l’infini », « sa
durée n’est pas périssable168 ». De même, des photographies ou des notes prises avec le
téléphone au cours de la visite pourront être conservées, voire diffusées auprès du cercle
familial ou sur internet169. La conservation dans le mobile permet ici le prolongement de
l’expérience muséale. C’est parce que les contenus intégrés dans le mobile ou enregistrés par
celui-ci font partie de l’expérience propre à chaque visiteur et lui appartiennent que leur
sauvegarde est importante.
Ces différentes étapes de médiation sont également indépendantes les unes des
autres. L’intérêt des outils mobiles est d’assurer une permanence, car certaines technologies
sont en règle générale déjà dans la poche des publics entrant dans l’institution. Ainsi, un
visiteur n’ayant pas prévu initialement de se rendre au musée, ni de louer un audioguide,
aura la possibilité de pouvoir accéder à des contenus sur son propre outil, sans avoir préparé
sa venue. Avec les applications Smartphone, les logiques d’usages sont encore plus
indépendantes : un visiteur peut télécharger l’application pour sa valeur en soi, par exemple
sans avoir envie de l’utiliser pendant son parcours dans le musée. Autre cas de figure : des
personnes peuvent avoir visité une exposition et ressentir ensuite l’envie de télécharger
l’application pour « revivre l’exposition autrement170 ». Au Grand Palais, un grand nombre
de possesseurs d’iPhone n’avait pas conscience de l’existence d’une application ; nous les en
informions par le sondage. Certains d’entre eux nous ont confié leur déception d’être passés
à côté de l’information et ont émis spontanément l’intention de le faire chez eux, « par
curiosité » ou simplement « car c’est toujours intéressant d’avoir les commentaires, même
après »171.
Ce triple niveau de médiation entre le public et les œuvres est donc rendu possible.
La multiplicité des technologies, des fonctions et des formes des contenus muséaux ont pour
effet de multiplier les moments et les accès à la médiation. Un visiteur pourra utiliser une
application à travers le cheminement de cette triple médiation, ou décidera de n’utiliser
qu’une ou deux des utilisations possibles, preuve que l’application a une valeur en soi,
indépendamment de la visite au musée. Cette utilisation en soi nous amène à évoquer
168 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone aux Galeries Nationales du Grand Palais, 14 janvier 2011 169 Par exemple, sur un blog personnel ou sur un site spécialisé comme Flickr 170 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone « Monet », le 12 janvier 2011 171 Ibid.
55
l’existence d’une logique d’usage totalement affranchie de la visite au musée : la visite « à
distance » ou la visite « virtuelle », essentiellement favorable aux personnes physiquement
éloignées du musée.
b. « L’embrassement » du regard et la (re)découverte à distance
À la fin des années quatre vingt dix, le développement d’internet et des logiciels font
pénétrer le musée dans de nouvelles sphères, comme celle de la vie privée et du quotidien. Il
est désormais possible pour les institutions muséales d’atteindre différemment leur public
« en leur offrant une nouvelle expérience à partir de lieux extérieurs comme le bureau,
l’école et la bibliothèque municipale.172 ». Il s’agissait à l’époque d’un des effets opérés
grâce aux premiers sites web de musées et aux CD-ROM. Cette tendance consistant à
approcher virtuellement le musée par le biais d’internet est toujours ancrée dans l’actualité,
notamment par le biais de projets initiés par la société Google. Nous pouvons citer à titre
d’exemple la visite de musées et la découverte de chef d’œuvres de la peinture rendu
possible par la technologie de Google Earth173 ou plus récemment encore par le projet
intitulé « Google art174 ». Grâce à ces procédés, il est permis aux utilisateurs de zoomer sur
des œuvres en haute définition, voire de déambuler dans les salles des musées présentés.
L’ordinateur et la connexion internet sont donc des fenêtres ouvertes sur le monde des
institutions muséales. Les utilisateurs deviennent des « visiteurs virtuels », capables de se
téléporter dans un lieu.
La récente apparition des Smartphones et de leurs applications ont permis cet
« embrassement du regard » : autrement dit cette contemplation et cette accolade virtuelle
avec les œuvres. Tout comme un site internet de musée, ces applications sont accessibles à
n’importe quel utilisateur équipé dans le monde. Dans le cadre de notre recherche, nous
avons téléchargé et analysé des applications iPhone muséales de différents musées
internationaux.
Mais les applications mobiles vont encore plus loin que les sites internet de musées
car une fois téléchargées elles sont accessibles non plus seulement au domicile, à l’école, au
172 BOWEN Jonathan ; BENETT Jim ; JOHNSON James, op.cit. p.110 173 Google Earth est un logiciel de la société Google permettant une visualisation de la terre avec un assemblage de photographies aériennes ou satellitaires. Ce logiciel permet pour tout utilisateur de survoler la Terre et de zoomer sur un lieu de son choix. Selon les régions géographiques, les informations disponibles sont plus ou moins précises. Ainsi un New-Yorkais pourra localiser son restaurant préféré ainsi qu'obtenir une vue en 3D des immeubles de la métropole alors que la résolution des photos d'une bonne partie de la Terre est très faible. Le logiciel dispose d'une version gratuite et de versions payantes pour les professionnels. (Source : http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=369) 174 http://www.googleartproject.com/
56
bureau ou à la bibliothèque municipale, mais où que l’on se trouve. Je peux ainsi combiner
la présence muséale de mon mobile à son caractère transitionnel175 en consultant
l’application d’un musée aussi bien dans les transports en commun, dans la salle d’attente
chez le médecin ou à la terrasse d’un café. Pour Agnès Alfandari, Directrice du service
multimédia du musée du Louvre, l’idée d’une application iPhone dédiée « n'est pas d'en
faire un guide multimédia pour le visiteur du musée, mais plutôt d'avoir « le Louvre dans sa
poche, où que l'on soit176 ». La présence du musée devient dès lors permanente. Et la faculté
dont dispose le téléphone mobile à « ne jamais nous quitter177 » donne lieu au transport de
l’institution muséale dans des lieux parfois improbables.
Car la possibilité de se téléporter dans l’institution par le biais du mobile concorde
avec l’aspect ubiquitaire du téléphone, qui est lui-même l’objet par excellence de la
téléportation. Lorsque je passe un appel je me transporte mentalement dans la sphère de mon
interlocuteur, en imaginant sa posture, en écoutant les sons de son environnement immédiat
etc. L’ubiquité propre au mobile et l’ubiquité possible par l’utilisation d’une application
muséale à distance se rejoignent et se complètent, comme si le musée s’appropriait les
fonctions et les caractéristiques de l’outil en sa faveur.
Comme on l’a dit, la consultation des applications mobiles à distance permet à des
personnes qui sont éloignées physiquement de l’institution ou éprouvent des difficultés à se
déplacer de pourvoir « l’embrasser du regard » et découvrir les objets exposés ou les
redécouvrir178. Lors de notre étude aux Galeries Nationales du Grand Palais, une dame
d’origine nord-africaine interrogée à la sortie de l’exposition nous demande si l’application
peut se télécharger partout dans le monde avec un iPhone. Suite à notre réponse positive,
elle nous explique son intention : « Très bien, je vais dire à ma fille, qui habite en Tunisie,
de la télécharger alors, comme ça elle pourra voir ce que j’ai vu et on pourra en parler
ensemble, parce que c’était magnifique, elle aurait beaucoup aimé !179 » La découverte à
distance est ici l’occasion de partager avec ses proches une émotion suscitée lors de la visite.
Mais il peut aussi s’agir de « rattraper » virtuellement une exposition manquée, par faute de
temps par exemple.
175 JAURÉGUIBERRY Francis, op.cit., p.36 176 Interview de Agnès Alfandari réalisée par Yvon Le Mignan dans le dossier « Les Musées à l’ère numérique, les nouveaux territoires du Louvre » sur le site Culture Mobile. http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 177 FERRARIS Mauricio, op.cit., p.14 178 VIGUÉ-CAMUS Agnès, op.cit., p.59 179 Notes personnelles, données qualitatives recueillies lors du sondage sur l’application iPhone Monet, Galeries Nationales du Grand Palais, le 15 janvier 2011.
57
Par ailleurs, il est intéressant de constater que certaines institutions voient cet outil
comme un moyen pour attirer, sur le long terme, de nouveaux publics. Agnès Alfandari
affirme en ce sens : « L'idée n'est pas de fournir un outil supplémentaire à la visite mais
d'aller parler à des gens qui ne sont jamais venus visiter le Louvre.180 ». Les propos d’Agnès
Alfandari s’inscrivent dans une interrogation plus large, évoquée plus en avant dans
l’interview : « Aujourd'hui, le Louvre n'a pas de problèmes de fréquentation, c'est plutôt un
problème de sur-fréquentation qui se pose, et cela va encore se vérifier pour les cinq à dix
ans qui viennent. Mais, ensuite ?... 181» Autrement dit, il s’agirait avec les supports mobiles
d’aller « chercher » le visiteur à distance et de « susciter sa curiosité » afin de lui donner
envie de se rendre dans l’institution en question. Dans ce cas, l’inscription du musée sur ce
type de plateforme serait avant tout une opération de communication et de séduction de
l’institution, motivée par la volonté d’attirer davantage de visiteurs.
Les auteurs de l’article « Visiteurs virtuels et musées virtuels » rappellent à juste
titre que « Les ressources en ligne viennent suppléer aux services déjà disponibles dans le
musée réel ; les « musées virtuels » ne doivent en aucun cas remplacer les vrais musées
mais bien être un outil pour encourager la visite réelle182 ». Est-ce dans cette logique
qu’agissent les musées présents à travers leur positionnement au sein d’applications iPhone
ou cela relève t-il davantage d’une motivation commerciale (développer l’offre pour générer
de nouvelles ressources pour les applications payantes) ou communicationnelle
(positionnement de la structure sur un outil « novateur ») ?
Quoi qu’il en soit, cette réflexion nous conduit à aborder un enjeu institutionnel de la
multi-médiation et des nouvelles technologies mobiles : l’attraction de nouvelles cibles de
publics. La partie suivante fait état des différents publics ciblés, touchés ou à conquérir par
ces outils.
3 – Quand le musée « appelle » son public
À la question : « Pensez-vous que ce type de dispositif peut amener d’autres publics
au musée, peut-être des primo-visiteurs ? » Catherine Collin nous répond : « Nous y
croyons. C’est aussi pour cela que nous y travaillons183 ». Les applications mobiles
pourraient inciter des publics fréquentant peu les institutions muséales à s’y rendre. Soit
180 http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 181 ibid. 182 BOWEN Jonathan ; BENETT Jim ; JOHNSON James, op.cit. p.121 183 Cf. ANNEXE II D - Entretien avec Catherine Collin, p.35
58
parce que ces publics sont séduits par les nouvelles technologies, soit parce que le type de
visite proposée par le téléphone « peut faire moins peur, peut rassurer et donner envie184 ».
Nous proposerons ici une analyse détaillée des publics qui semblent ciblés, touchés ou qui
restent selon nous à conquérir par les musées à travers les dispositifs mobiles, et notamment
les applications Smartphone. Toutefois, plus qu’un moyen d’accroître la visibilité de
l’institution et de toucher de nouveaux visiteurs, nous nous demanderons si ces outils, par
leur forme multiple, ne répondraient pas avant tout à un objectif, voire une mission, propre
aux institutions muséales en s’adaptant aux besoins de médiation propre à chacun ?
a. Public ciblé
Les publics jeunes
Depuis le lancement de la première application iPhone pour le musée du Moyen-
Âge, on peut lire sur le site de la société Audiovisit185 un communiqué de presse annonçant
clairement l’intention du musée :
« Afin d’améliorer son attractivité en direction des 15-25 ans, le musée
national du Moyen Âge - Hôtel et Termes de Cluny, propose depuis le 4 avril 2009
de nouveaux outils d’aides à la visite. Le musée national du Moyen Âge est ainsi le
premier musée en Europe à être présent sur toutes les nouvelles technologies
mobiles, touchant ainsi la quasi-totalité des 15-25 ans186 ».
Les outils apparaissent clairement comme une stratégie pour attirer les adolescents et
jeunes adultes au musée de Cluny. Agnès Alfandari, dans l’interview que nous avons citée
dans la partie précédente, évoque de front la question du jeune public : « Nous ressentons
une nécessité impérative de réfléchir à de nouvelles approches de médiation pour séduire le
jeune public. C'est en ce sens que les expérimentations en mobilité, y compris sur les
consoles de jeux, sont de notre point de vue décisives187 ». Interrogé sur ce potentiel attractif
des applications Smartphone sur les publics, Benoît Villain, affirme que « L’idéal serait
effectivement de pouvoir toucher de nouveaux publics, comme le public étudiant188. »
184 Ibid. 185 Société prestataire de la RMN-Grand Palais ayant développé les différents outils mobiles pour le musée de Cluny ainsi que pour l’ensemble des musées sous la tutelle de la RMN-Grand Palais (musée Chagall, musée Fernand Léger…) 186 Site de la société Audiovisit : http://www.audiovisit.fr/communiques.php?rg=0 187 http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 188 Cf. ANNEXE II C - Entretien avec Benoît Villain, p.29
59
Rappelons que, en 2009, 73% des 12-‐17 ans possédaient un téléphone portable, dont
29% un mobile connecté à internet189. Les adolescents sont donc très équipés et on peut dire
que le téléphone est un objet qu’ils connaissent, reconnaissent et, pour plus de la moitié
d’entre eux, utilisent. Il représente un objet intime et personnel leur permettant d’accéder à
une certaine forme d’autonomie190. Le mobile est donc généralement apprécié par les
adolescents. On comprend mieux pourquoi les musées, qui peinent à faire venir ces
publics191, misent sur ce type d’outil pour proposer une médiation aux allures
« décomplexées », par lequel le geste d’apprentissage est « désacralisé ». Nous entendons
par « décomplexé » le fait que l’adolescent sera sans doute plus à l’aise avec un outil qu’il
reconnaît symboliquement et maîtrise techniquement, et qui fait écho avec son
environnement quotidien, qu’avec un audioguide ou un texte pédagogique, distribués par le
musée, qui pourraient lui apparaître d’emblée comme des éléments « scolaires ». Par le biais
du téléphone, l’aspect « studieux » ou « sérieux » de la médiation semble alors s’effacer.
Dans ce contexte, les applications muséales pour mobile apparaissent comme le
moyen rêvé pour entrer directement en contact avec ces publics, puisque qu’elles peuvent
s’immiscer dans leur sphère privée pour leur donner l’envie et l’idée de se rendre au musée.
Nous avons demandé à Yann Hamet, un an et demi après le lancement de
l’application iPhone du musée de Cluny, si les objectifs du musée avaient été atteints en
termes d’attractivité du public adolescent :
« Nous nous sommes vite rendu compte que c’était un peu un leurre de croire
que nous allions attirer les 15-25 ans avec ce genre de nouvelles technologies. Nous
avons eu cette illusion au tout début, mais c’est vite passé, car que ce soit les iPhone,
iPod, ou autres systèmes, ce ne sont pas les 15-25 ans qui sont le plus accros à tout
cela, ce sont les 30-45 ans. Ces publics ont un appétit d’enrichir leur connaissance
avec de nouveaux moyens.192 »
189 TNS Sofres. « Les adolescents, leur téléphone portable et l’Internet mobile », 2009 http://www.tns-sofres.com/_assets/files/2009.10.06-ados-mobiles.pdf 190 MARTIN, Corinne, « Téléphone portable chez les jeunes adolescents et leurs parents : quelle légitimation des usages ? » Deuxième Workshop de Marsouin 4 et 5 décembre, ENST Bretagne, Brest, 2003, p.8 191 Voir à ce sujet les études suivantes : TIMBART Noëlle et GIRAULT Yves, « Représentations sociales et pratiques déclarées des adolescents franciliens sur les musées ». Colloque « Adolescence : entre défiance et confiance », Roubaix, avril 2006. PROTOYERIDES Michèle, “Jeunes et musée d'Art : mariage de déraison ?”, Migrants-Formation, n°111, pp. 153-160 décembre 1997 ALLARD Michel, « Les adolescents et les musées », Revue des Sciences de l’éducation, Vol. XIX, n°4, pp.765-774, 1993 192 Cf. ANNEXE II B - Entretien avec Yann Hamet, p. 23
60
Notre enquête aux Galeries Nationales du Grand Palais confirme cette remarque:
seulement 2% des jeunes ayant moins de vingt ans utilisaient l’application dans l’exposition
durant notre période de terrain193. À l’inverse les personnes ayant entre 35 et 70 ans étaient
les plus nombreuse à utiliser cet outil et représentent près de 70% des utilisateurs194.
Lorsque l’on observe les contenus des applications mobiles, on se rend compte qu’ils
souvent identiques à ceux des audioguides « traditionnels ». Une fois la découverte de
l’application passée, les jeunes auront-ils toujours envie de se rendre dans l’institution pour
l’utiliser ?
Selon une étude réalisée par Nöelle Timbard et Yves Girault sur les adolescents et le
musée, l’institution doit proposer, pour répondre au mieux à leurs attentes, des activités
privilégiant : « manipulations, expérimentations, recours aux nouvelles technologies sous un
mode ludique195. » Or, l’aspect « ludique » est souvent absent des applications Smartphone
conçues par les musées, qui ont pour le moment tendance à privilégier un contenu
scientifique.
Le museum of Modern Art (MoMA) de New York a pris le contre-pied de ces
applications en mettant à disposition dans son application Smartphone des contenus audio
spécifiquement conçus pour les adolescents196. Ces contenus ont été réalisés et enregistrés
par des étudiants d’une université New-yorkaise. Le type de langage employé est adapté aux
jeunes. L’intervention de plusieurs personnages qui discutent, dont des artistes, et la
présence de fond sonore – musique rap et électronique – dynamise les pistes audio qui ont
pour intention de « capter » l’attention des adolescents. En voyant que des contenus lui sont
spécialement destinés, un adolescent aura peut-être davantage envie de visiter le musée. En
s’adressant directement à eux, le MoMA a sans doute plus de chance de susciter l’intérêt et
l’apprentissage des adolescents via une application mobile. En France, seule l’application du
LaM de Lille propose un contenu audio destiné aux adolescents197. Il ne s’agit cependant
que d’un extrait de 1min50 pour promouvoir la location du visioguide proposé sur place
(iPod Touch). Sous cet angle, le téléphone sert d’outil de communication et de promotion
plus que de médiation.
Nous envisageons davantage les nouvelles technologies mobiles comme un moyen
d’accompagner les adolescents in situ dans leur découverte des œuvres plutôt que comme
193 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.11 194 Ibid. 195 TIMBART Noëlle et GIRAULT Yves, op.cit. p.5 196 Cf. ANNEXE IV n°10-A, public adolescent et applications iPhone, p.140 197 Ibid.
61
moyen de les attirer vers l’institution. La solution se trouve peut-être du côté des outils
pervasifs, qui permettent aux jeunes une manipulation et une interactivité forte, comme ce
fût le cas avec le projet SMARTMUSE au Studio 13/16 du Centre Pompidou ou lors du
projet PLUG au musée des Arts et Métiers. Dans ce cadre, les jeunes appréhendent les
nouvelles technologies de façon ludique et didactique. Si l’expérience de visite leur a plu, ils
seront plus à même de la réitérer. De cette façon, il nous paraît plus approprié de considérer
et de mettre en lien accompagnement et développement des publics.
b. Publics approchés
Les touristes étrangers
Nous l’avons évoqué dans la partie précédente : les publics d’origines étrangères,
éloignés de l’institution, peuvent télécharger une application pour sa valeur en soi. Bien
qu’elle ne soit pas toujours dans leur langue maternelle, l’aspect visuel de l’application ou le
prestige de l’institution peuvent largement contribuer à son téléchargement par des
personnes provenant d’autres pays.
Dans la rubrique « touristes étrangers » de son site internet, le musée du Quai Branly
propose d’ailleurs le téléchargement de son application iPhone à ces visiteurs. Au musée des
Arts décoratifs, Catherine Collin réfléchit actuellement avec ses équipes à un dispositif,
accessible in situ avec un téléphone mobile, qui serait destiné aux visiteurs étrangers198.
La mise à disposition d’une application muséale française en langue anglaise
favorise naturellement une extension des utilisateurs. Mais il a été plus surprenant de
constater lors de notre enquête de terrain que plusieurs touristes étrangers – russes,
allemands, suisses, espagnols – avaient utilisé l’application en anglais, alors que pour la
plupart d’entre elles, l’audioguide était disponible dans leur propre langue. Nous ne pouvons
pas affirmé si cette préférence d’utilisation est le fait d’un manque d’informations
concernant l’offre d’audioguide, si elle est liée à une question de prix – l’audioguide étant
plus cher que l’application – ou si elle résulte d’une réelle volonté d’utiliser l’application
iPhone. Toutefois, nous avons eu des échanges avec certains touristes étrangers et - encore
une fois- la valeur de l’outil en soi, le caractère visuel et la conservation après la visite
semblent avoir été déterminant dans l’utilisation de ce support. Une dame nous dira en
allemand : « J’ai regardé l’application dans le train de Zürich à Paris. Les images m’ont
projeté dans la visite. Oui, c’était en anglais seulement mais je me suis dit que je pouvais
198 Cf. ANNEXE II-C, Entretien avec Catherine Collin, p. 33
62
faire un effort.199 » Son mari, allemand également, a quant à lui utilisé l’application en
français. Ils n’ont pas envisagé de prendre un audioguide dans leur langue pour la raison
suivante : « Nous n’aimons pas vraiment les audioguides. Nous avions téléchargé
l’application avant de venir alors on s’est dit « Pourquoi ne pas l’utiliser dans
l’exposition200 ? » ». Ces propos sont intéressants : ils rappellent l’aspect ubiquitaire des
applications iPhone de musées, accessibles n’importe où et n’importe quand – ici dans un
train – et témoignent de l’attraction que peuvent avoir ces outils sur certains touristes
étrangers, même quand ils ne sont pas dans leur langue. Un dernier point nous semble
important à soulever et nous amène à la typologie de visiteurs suivants : des personnes non
utilisatrices d’audioguides pourraient être conquises par ce dispositif.
Publics non captifs des audioguides
Contre toute attente, l’usage du téléphone mobile semble participer à l’attraction de
visiteurs peu enclins à utiliser des audioguides dans les musées.
Il convient d’abord de signaler que, contrairement à ce qui est généralement répandu,
il semblerait qu’une corrélation puisse s’établir entre les visiteurs des musées201 et les
utilisateurs de nouvelles technologies, notamment les détenteurs de Smartphones, dans
certaines institutions. Au Grand Palais, 36% des personnes interrogées possédaient un
Smartphone, toute marque confondue202. Nous avons déjà évoqué le fait que certains de ces
visiteurs préfèrent se passer de l’application pour visiter ou optent pour la location d’un
audioguide. Mais à l’inverse, d’autres personnes nous confient qu’elles n’auraient pas pris
l’audioguide s‘il n’y avait pas d’application, car cette dernière, entre autres : « est plus
pratique », ou « n’oblige pas à faire la queue au comptoir des audioguides ». Ainsi, les
personnes équipées en technologies mobiles ne sont pas forcément celles qui apprécient les
dispositifs d’audioguide, qui peuvent même être mal perçus par les utilisateurs
d’applications. Un jeune homme ayant répondu au questionnaire nous dira en ce sens :
« J’ai utilisé l’application, mais je n’aurais pas pris d’audioguide, d’abord
parce qu’il est plus cher, mais aussi parce que je n’avais pas envie de ressembler à
199 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone Monet, Galeries Nationale du Grand Palais, 15 janvier 2011 – propos traduits de l’allemand par moi même. 200 Ibid. 201 Précisons que notre étude s’est portée plus principalement sur un musée d’art et qu’il conviendrait d’étendre ces recherches pour confirmer une véritable corrélation entre visiteurs de musées et personnes équipées en nouvelles technologies mobiles 202 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.6
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tous les gens qui se collent sur les tableaux avec leur appareil. Quand j’utilise mon
téléphone, je ne sais pas, peut être que les gens pensent que je fais autre chose
dessus, mais c’est très bien ainsi. »
Interrogée sur la question, une dame s’exprimera de la sorte : « Oh non je n’aurais
pas loué d’audioguide, je me sens ridicule quand j’en prends, mais avec le téléphone c’est
différent, c’est le mien, c’est ça que j’aime ».
L’usage du téléphone crée une ambiguïté et permet de se démarquer des visiteurs
ayant loué un audioguide. Ces conceptions, bien qu’un peu élitistes, témoignent toutefois de
l’attraction des publics non habitués aux audioguides pour ces technologies. Rappelons
pourtant que, comme dans le cas de l’application « Monet », ces dernières proposent à peu
de choses près le même service et les mêmes contenus. On voit se dessiner des divergences
symboliques entre les personnes équipées en Smartphone. D’une part, celles non-utilisatrices
d’audioguides qui voient un ou des avantage à télécharger une application alors qu’elles
n’auraient pas spécifiquement loué un audioguide et d’autre part celles qui préfèrent en louer
un plutôt que de l’avoir dans leur propre téléphone.
Prenons un autre exemple significatif. Benjamin Bardinet sait par expérience que « le
public du Palais de Tokyo n’est pas adepte d’un dispositif d’audioguides203 ». Les différents
projets menés par l’institution sur téléphone mobile avaient donc pour objectif de ne pas
ressembler à un audioguide traditionnel, dans le but de toucher ces publics. Ils contenaient
davantage des vidéos, de la musique et des informations sur la programmation culturelle
autour des expositions. Dans le cas présent, il s’agit d’une volonté émanant de l’institution,
qui connaît son public et souhaite développer des outils adaptés. Le téléphone portable est
préféré à l’audioguide pour son aspect plus « moderne ». Ce sont à la fois les publics non
utilisateurs d’audioguides, mais technophiles qui sont ici visés
c. Publics à conquérir
Public en situation de handicap : des possibilités de médiation encore inexploitées
Si des projets de visioguides à destination du public en situation de handicap auditif
sont présents dans certaines institutions204, « mettre les visio-guides en application iPhone
203 Cf. ANNEXE II - E - Entretien avec Benjamin Bardinet, p.38 204 Notamment les musées suivants : musée des Beaux-Arts de Reims, musée d’art moderne de Lille (LaM) Musée national Magnin de Dijon, Musée national Marc Chagall de Nice, Musée national Fernand Léger de Biot, Musée national du Château de Malmaison.
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serait également très intéressant205. » L’aspect multimédia et la possibilité de lire des vidéos
interprétées en langue des signes françaises (LSF) permettraient en effet aux personnes
sourdes d’accéder de chez elles aux informations et/ou de visiter avec son propre outil. Le
LaM de Lille propose une vidéo de présentation en langue des signes dans son application
iPhone206, mais celle-ci ne constitue une nouvelle fois qu’un extrait du visioguide proposé
sur place.
La dimension auditive pourrait également être davantage développée au profit des
personnes malvoyantes207. Le MoMA de New York est ainsi le seul musée à proposer dans
son application iPhone plusieurs commentaires d’œuvres audio-décrites208.
Lors de notre enquête, une dame malvoyante utilisant l’application iPhone a répondu
à nos questions. Elle nous a notamment expliqué pourquoi il était plus pratique pour elle
d’utiliser ce type d’aide à la visite plutôt qu’un audioguide :
« C’est pratique pour moi parce que je peux voir avant de venir comment ça
fonctionne. Je télécharge, j’ouvre l’application et je la teste. Ça me permet de ne pas
trop stresser ou de ne pas perdre trop de temps sur place, de me concentrer sur autre
chose… Et puis aussi, je reconnais les peintures qui sont commentées (grâce aux
visuels présents dans l’application ndlr) et je n’ai pas à chercher un numéro près des
œuvres.209 »
Nous pouvons imaginer et souhaiter qu’avec le développement de ces technologies
mobiles, des applications Smartphone intègreront par la suite, à l’instar du MoMA, des
contenus audio ou vidéo spécifiques pour les personnes en situation de handicap visuel ou
auditif.
Le public familial
Bien que les téléphones soient des objets personnels, on peut imaginer des dispositifs
conçus spécifiquement à destination d’un groupe d’individus : le public familial. Pour Yann
Hamet c’est un public à conquérir, notamment par l’utilisation des nouvelles technologies :
205 Entretien avec Philipe Guyon, directeur de PG Concept, personne sourde. http://www.dailymotion.com/video/xg2a8w_l-accessibilite-des-musees-aux-visiteurs-sourds_creation 206 Cf. ANNEXE IV n°10-C – Public en situation de handicap et application iPhone, p.142 207 De plus, les Smartphones, notamment l’iPhone, ont développé leur accessibilité, notamment pour les malvoyants, grâce à une fonctionnalité « voice over » qui énonce tous les éléments qui sont présents à l’écran. 208 Cf. ANNEXE IV n°10-C – Public en situation de handicap et application iPhone, p.142 209 Données qualitatives recueillies lors de l’évaluation de l’application iPhone Monet, Galeries Nationale du Grand Palais, 13 janvier 2011
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« Nous réfléchissons au département des publics210 à la façon dont les
publics vivent leur visite et on revient à une réflexion sur les familles, comme cela
s’est fait dans les années quatre vingt et quatre vingt dix. Les enfants de quatre ans
utilisent aussi bien que nous l’écran tactile de l’iPhone. On voit que quand on
propose des choses pour les plus jeunes enfants, que ce soit sur des bornes ou des
livrets, c’est toute la famille qui s’intéresse au jeu. Il faut quelque chose qui réunisse
la famille211. »
En ce sens, les outils sur téléphone ont également un grand potentiel. Bien qu’avant
tout destiné à un usage individuel, ils peuvent se transformer en supports propices à
l’échange et l’interaction entre les membres d’un même groupe. Un des projets démontrant
au mieux ce principe est le jeu urbain organisé dans le cadre du Cube Festival212, où les
familles étaient réunies autour de différents outils numériques et utilisaient ensemble des
téléphones comme moyen de progresser dans le jeu en accédant à des indices pour se rendre
dans le lieu suivant, à la manière d’un jeu de piste. Le projet PLUG des Arts et métiers
illustre également le principe d’interactivité dans un groupe social à l’aide de téléphone
portable213.
Enfin, les applications Smartphone muséales et ludiques214 pourraient aussi être
propices au développement de cet effet : les familles, autour d’un seul outil, effectuent un
parcours ludiques, répondent à des quizz… La logique d’usage est ici intéressante car le
public familial se regroupe autour de l’outil et l’intègre totalement à leur visite : « On a pris
conscience que dès qu’il y avait de notre part la proposition d’un peu d’interactivité pour
les familles, supposons pour une famille de quatre personnes, trois d’entre eux gardaient
leur outil à la main et les quatre se rassemblaient autour d’un même outil tenu par un
seul215. »
Bien que quelques expérimentations proposant des supports sur téléphone portable
aux familles aient eu lieux en France, on pourrait cependant regretter qu’elles ne soient
développées que sur le mode événementiel et ludique. Dans ce domaine, l’application pour
Smartphone du MoMA se révèle encore novatrice. Quelques conseils sont en effet prodigués
210 Département des publics de la RMN-Grand Palais 211 Cf. ANNEXE II, B - Entretien avec Yann Hamet, p. 23 212 Cf. ANNEXE IV n° 5 –C5 – Le cube festival, p.89 213 Cf. ANNEXE IV n° 6 - A – Projet PLUG, p.91-93 214 Cf. ANNEXE IV n°4 - F - applications ludiques, p.74 215 Cf. ANNEXE II B - Entretien avec Yann Hamet, p. 23
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aux parents dans l’onglet « Visiting with your family216 » de l’application pour qu’ils
puissent disposer d’éléments afin de mieux sensibiliser et accompagner leurs enfants à la
visite du musée. Des contenus audio adaptés aux enfants sont également disponibles. Les
musées ont pu mettre à disposition des familles des téléphones portables en tant que jeu ou
comme support de jeu, mais ces outils gagneraient à être aussi utilisés en tant
qu’accompagnement à la visite pour les plus jeunes et leur famille. C’est pourquoi nous
pensons que ce public reste à conquérir par les institutions muséales à travers des projets
pérennes et des contenus adaptés.
À l’issue de cette analyse, un constat ressort : les institutions muséales françaises qui
souhaitent attirer les publics peu familiers des musées grâce aux applications iPhone ne
s’adressent pas systématiquement à ces public et ne font que transposer dans leur application
des contenus déjà présents dans le musée. Cependant, notre enquête nous a prouvé que les
applications touchent d’autres publics : les publics étrangers, grâce à l’aspect ubiquitaire de
l’outil, et parfois même les publics non utilisateurs d’audioguides, attirés par la technologie
ou l’aspect personnel du produit. Toutefois, les potentialités de ces outils pourraient être
davantage exploitées pour répondre à des médiations plus ciblées, comme celles des
personnes en situation de handicap ou des familles.
d. La multi-médiation et l’éclosion de « tribus médiatiques »
En examinant les effets de la présence muséale institutionnelle sur les publics, nous
remarquons que la multi-médiation permet ou permettrait de s’adapter à différentes
typologies de visiteurs, à condition qu’ils soient équipés.
Loic Tallon affirme que comme chaque individu réagit de façon différente face aux
œuvres, il faut établir différents processus de médiation ; créer une variété de portails à
travers lesquels les visiteurs peuvent s’engager dans l’exposition217. Le téléphone mobile
semble en ce sens à lui seul être un outil prometteur, comme on l’a vu, par ses nombreuses
fonctionnalités et ses différents accès possibles à la médiation. S’il est généralement
répandu, à tort, que ces outils n’attirent qu’un public jeune et averti, nous pensons au
contraire qu’ils peuvent toucher un public large parmi les personnes fréquentant les lieux
d’expositions. Ce sera d’autant plus le cas avec la banalisation des Smartphones dans les
216 Cf. ANNEXE IV n°10-B – Conseils aux parents pour visiter avec leur(s) enfant(s), application du MoMa p.141 (traduction des conseils par S.Wasselin) 217 TALLON Loïc ; WALKER Kévin, op.cit. p.22
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années à venir. Cependant, la question du « faire venir », notamment les primo-visiteurs, par
le biais des applications Smartphone reste tout de même à se poser. Une étude plus
approfondie mériterait d’être menée, pour déterminer le niveau de motivation à la visite
induit par le téléchargement d’une application.
Grâce au téléphone mobile, on assiste au développement et à la multiplication d’une
offre de médiation parmi une offre déjà présente dans les expositions et elle-même de plus
en plus diversifiée (cartels, textes pédagogiques, audioguides, bornes multitouch, podcasts,
tablettes numériques, visites-conférences, médiation « présence » etc.). Dès lors, nous
pourrions nous interroger quant à l’effet de « surenchère » ; le visiteur ne risque t-il pas de se
sentir « submerger » face à cette multiplication de l’offre ?
Le musée des Arts décoratifs est présent sur trois applications pour Smartphone :
« Arts Décoratifs », « MobExplore218 » et « Décorative219 ». Cette triple présence de
l’établissement sur un tel outil suscite la question de la multiplication des supports et de leur
pertinence. Lors d’une conférence organisée par l’établissement sur les applications
muséales, Catherine Collin émet une réponse intéressante. Pour le musée, la multiplication
permet de toucher une pluralité et une diversité de publics et « plus on a de chance de
toucher, plus on répond à la mission de service public220 ». Autrement dit, l’enjeu de ces
supports de médiation n’est pas tant d’attirer de nouveaux publics que de toucher un large
public, de répondre à leurs besoins en étant en phase avec une des missions majeures des
institutions muséales publiques : celle d’être accessible au plus grand nombre. Pour les
institutions privées, telles que le musée Jacquemart-André ou la Pinacothèque de Paris, on
pourrait se demander si cette nouvelle offre ne serait pas liée à une volonté de mettre à
disponibilité un support de médiation moins onéreux pour l’institution qu’un dispositif
d’audioguidage, tout en la rentabilisant ou en générant des ressources propres, les
applications achetées par l’utilisateur dans le cas d’un musée privé.
Pour Yann Hamet, la multiplication des outils est une solution, et non une difficulté
dans la pratique des visiteurs. Il est convaincu que différentes « tribus » de public se
formeront symboliquement autour de chaque outil de médiation :
218 Cf. ANNEXE IV n°4 – G1, Application « MobExplore », p.74 219 Sera prochainement disponible. Application fonctionnant sur le principe de reconnaissance des œuvres, renvoyant à des œuvres indexées, qui se trouvent généralement dans les réserves du musée. 220 Propos de Catherine Collin recueillies par moi même lors de la conférence « applications muséales », au musée des Arts Décoratifs, le 20 janvier 2011.
68
« Plutôt que de se rassembler sur une utilisation unique de nos services, il y
aura une diversification de la manière de vivre la visite au musée. Il y aura
différentes « tribus » : ceux qui seront « tout téléphone », ceux qui viendront avec
leur tablette, ceux qui viendront sans rien et auront envie de chercher des outils mis
à disposition ou encore d’autres qui voudront profiter du lieu sans outils… »
Cette constitution symbolique de différentes « tribus médiatiques » n’est possible
que parce que l’on assiste à une multiplication de l’offre de médiation.
Le concept de « multi-médiation » se dessine plus clairement à l’issue de ce chapitre.
Si le téléphone portable permet désormais aux musées de développer une présence
protéiforme, celui-ci canalise également par ses fonctionnalités un certain nombre d’outils
de médiation déjà présents dans les institutions. Les effets de cette multi-médiation sur les
logiques d’accès aux œuvres et aux savoirs sont de ce fait plurielles: visite virtuelle, visite in
situ, sensibilisation en amont, redécouverte et partage en aval… le téléphone permet une
diversité de rencontres avec les œuvres et les institutions, et constitue une véritable vitrine
des ces dernières. S’il est difficile de déterminer si les technologies mobiles attirent de
nouveaux publics, nous observons qu’elles ont cependant trouvées leur utilité auprès de
certains publics et qu’elles pourraient en attirer d’autres.
Les mobiles, en tant qu’outils hybrides, offrent de multiples possibilités médiatiques,
dont de nombreuses institutions muséales françaises ont su se saisir, ou pourraient se saisir,
afin d’accompagner leur public de façon traditionnelle ou singulière. Néanmoins, comme
nous l’avons déjà fait remarquer, le téléphone est à l’origine un objet de communication, qui
a la particularité d’être propre à chacun. Les institutions muséales usent-elles également des
dimensions sociales et personnelles inhérentes au téléphone portable ? Si la réponse est
positive, ces dimensions créent-elles une nouvelle forme de communication entre les publics
et les institutions ? Ces interrogations marquent les fondements de notre dernier chapitre.
69
CHAPITRE III
LE TÉLÉPHONE PORTABLE, OUTIL DE PROXIMITÉ FORMES D’INTERACTIONS ET DE COMMUNICATIONS
ENTRE INSTITUTIONS MUSÉALES ET PUBLICS
« Les NTIC sont perçues comme un moyen rêvé de communiquer à tous les
publics le langage de la culture : l’art, l’histoire, les sciences etc. Elles soulèvent de
nombreuses interrogations, en particulier sur la manière dont les visiteurs vont
accéder à la connaissance, indépendamment de leur statut d’usagers221. »
Cette remarque est intéressante dans le cadre de notre étude, puisque les visiteurs et
utilisateurs du téléphone mobile en contexte muséal sont avant toute chose des usagers des
télécommunications. C’est précisément parce qu’ils disposent de ce statut qu’ils peuvent
accéder aux éléments transmis par les institutions muséales. Les échanges
communicationnels et l’ubiquité sont continus, même lorsque le visiteur utilise son
téléphone pour obtenir des renseignements sur les œuvres.
La recherche nous conduit, après l’étude de la présence muséale dans le mobile et ses
effets sur la médiation et les publics, à observer comment les postures d’utilisateurs et de
visiteurs peuvent s’imbriquer et tisser des liens avec les institutions ou même, comme on le
verra, entre les visiteurs. Parallèlement, nous nous demanderons si les nouveaux outils de
médiation mobile ne peuvent pas contribuer à une meilleure appropriation des contenus du
musée et si oui, de quelle(s) façon(s) ? Nous tenterons enfin, à l’issue de ce chapitre, de
cerner les principaux freins et les difficultés liées à l’utilisation des différents dispositifs
évoqués jusqu’alors.
1. Proximités et formes de connivence
a. L’institution dans nos poches
Nous avons déjà formulé dans le chapitre précédent que la faculté du téléphone
mobile consistant à ne jamais nous quitter222 - ou presque - permettait de transporter
symboliquement le musée dans des lieux insolites. L’institution muséale devient, dès lors 221 BERNIER Roxane ; GOLDSTEIN Bernadette, op.cit., p.11 222 En 1999, 85% des utilisateurs de portables le portaient en permanence sur eux et 21% ne l’éteignaient jamais. Avec la croissance du taux de pénétration du mobile, il y a fort à parier que ces chiffres ont également progressé à l’heure actuelle. GLAZIOU Stéphane, « Les services suivent les utilisateurs dans leur parcours » in Actes des IIème rencontres de la téléphonie mobile, Paris, 1999.
70
qu’on télécharge une application ou un contenu de musée, un « conservateur en poche223 ».
Ainsi, les œuvres et les lieux d’expositions s’invitent dans une poche de pantalon, de veste
ou dans un sac à main, autrement dit dans les affaires personnelles. Agnès Alfandari y voit
un véritable avantage pour le musée : « Avec ces outils de mobilité, nous sortons des murs
du palais, nous allons sur des objets de tous les jours, et nous entrons en quelque sorte dans
le quotidien des gens224. »
Présente dans le téléphone, l’institution est rangée avec des données personnelles et
se positionne inconsciemment au cœur de notre intimité. Pour Mauricio Ferraris, manipuler
le téléphone portable d’un tiers revient à fouiller dans un sac : on entre dans la sphère
personnelle de la personne concernée225. Le mobile suppose aussi une certaine disposition
émotionnelle : « Le mobile, par rapport au fixe, possède un caractère émotif bien plus
prononcé, puisque comme je l’ai dit, il ne concerne que nous, il est intime226 ». En proposant
des services sur les plateformes mobiles, le musée frappe en quelque sorte à une porte, sans
savoir qui ouvrira et qui acceptera ou non de le laisser entrer227. En s’immisçant dans le
quotidien, dans l’intime, les contenus muséaux passent d’une existence purement
institutionnelle à une existence personnelle, dont l’utilisation est propre à chacun. Les gens
peuvent s’approprier le contenu, le consulter selon leurs envies, le classer où ils le souhaitent
etc.
Frédéric Kaplan, Ingénieur et spécialiste des nouvelles interfaces, a rappelé lors des
Entretiens du Nouveau Monde Industriel228 que : « l’intérêt principal des objets
communicants est d’instaurer un régime de valeurs particulier avec son possesseur. Des
valeurs qui ne seraient in fine ni pécuniaires, ni technologiques, mais basées sur les données
que ces objets contiennent et les expériences supportées.229 » De là, il parle de
métamorphose des objets où certains changent de registre de valeur, passant « d’objets qui
valent quelque chose » en « objets qui comptent pour quelqu’un ».
223 Expression empruntée à Eric Biétry-Rivierre, « Audioguides des musées. Le banc d’essai » in Figaroscope, 17 février 2010, p.6 224 Interview d’Agnès Alfandari, op.cit. http://www.culturemobile.net/dossiers/musee-numerique/dossier-musees-louvre-territoires-04.html 225 FERRARIS Maurizio, op.cit. , p.43 226 Ibid. p.54 227 JAURÉGUIBERRY Francis, op. cit. ,p.21 228 Entretiens du Nouveau Monde industriel « Objets communicants et nouveau système des objets », 3ème édition, jeudi 26 et vendredi 27 novembre 2009, CNAM http://www.internetactu.net/2009/12/02/entretiens-du-nouveau-monde-industriel-concevoir-les-objets-de-demain/ 229 Frédéric Kaplan cité sur le blog de Clément Gault, chercheur http://www.designetrecherche.org/?p=523
71
On voit apparaître ici de nouveaux enjeux importants et propres au mobile : son
caractère personnel et « toujours mien230 » qui en font un véritable « prolongement de
moi231 ». Les institutions muséales, consciemment ou inconsciemment, jouent de ces
dispositions pour s’adresser au public ou pour lui proposer des informations plus
personnifiées. Nous tenterons de démontrer dans la partie suivante comment la présence de
contenus muséaux dans le téléphone peut modifier le rapport des utilisateurs à l’institution
ou aux objets.
b. La personnification : un nouveau rapport à l’institution et aux œuvres ?
Nous constatons que les contenus multimédias sur téléphone mobile, et plus
particulièrement les applications Smartphone, peuvent offrir au public deux formes de
proximité différentes à l’institution, soit par l’intermédiaire d’une personne représentant
l’institution, soit directement grâce aux œuvres.
En effet, le visiteur peut se rapprocher du musée par la présence d’un « porte parole »
figurant dans certains contenus : il s’agit généralement d’une personne hautement située
dans la hiérarchie du musée, comme le commissaire de l’exposition présentée, le
conservateur, le président ou le directeur de la structure232.
Ces personnes présentent, le plus souvent en introduction ou bonus dans une vidéo
ou un commentaire audio, l’exposition ou l’institution. Cette présentation peut revêtir deux
formes. Soit elle est réalisée à la manière d’une interview sur la base d’un témoignage ou
d’une note d’intention, comme c’est le cas le plus souvent dans les applications dédiées aux
expositions. Soit elle peut être davantage perçue comme une « annonce d’accueil » servant à
présenter le lieu, son architecture, son histoire, les collections et les services du musée.
La vidéo – ou la photographie accompagnant un commentaire audio – permettent aux
utilisateurs de se représenter physiquement leur interlocuteur. Par ce biais, l’institution
donne aux visiteurs potentiels l’image d’un établissement ouvert, accueillant et décomplexé,
dans lequel les dirigeants ou organisateurs peuvent s’adresser directement à eux.
Parmi les contenus de présentation destinée à « accueillir » virtuellement le visiteur,
on peut noter dans certains discours, une forme de connivence. C’est le cas de l’application
iPhone du Centre Georges Pompidou Metz dans laquelle Laurent Le Bon, Directeur du
Centre Georges Pompidou Metz invite à la visite : « Venez, pénétrons dans ces espaces de
230 FERRARIS Mauricio, op.cit. , p.54 231 JAURÉGUIBERRY Francis, ibid. 232 Cf. ANNEXE IV n°9-H – Interviews de personnalités et personnels des musées, p.137-139
72
magie et d’émerveillement pour découvrir toutes les formes d’art, les diverses propositions
du Centre Pompidou-Metz233. » L’emploi de la première personne du pluriel crée une
certaine forme de proximité entre les utilisateurs et le président, qui les incite à poursuivre
leur parcours virtuel en sa compagnie, à travers les autres vidéos de l’application iPhone.
Les formules employées par Alain Seban, Président du Centre Georges Pompidou Paris
participe également à cette image de l’institution proche des visiteurs : « Je suis heureux de
vous accueillir dans cette maison234. » ou encore « avec tous les agents du Centre, nous vous
souhaitons une excellente visite235 ». Le terme « maison » et l’inclusion des « agents du
centre » dans les propos du Président confère un caractère chaleureux et communautaire à
l’institution. Le visiteur prend une place très importante dans ces vidéos, puisqu’il s’agit de
le séduire et de le mettre à l’aise. Le Centre Pompidou Metz, récemment ouvert au public,
joue de cette possibilité en plaçant les publics sur un piédestal : « Finalement c’est une
exposition pour vous visiteurs, plus que pour nous commissaires, producteurs, qui avons
œuvrés depuis trois ans avec plus d’une centaine de personne, pour vous proposer ce projet
culturel.236 » Le discours met nettement en avant tous les efforts fournis par l’institution et le
personnel pour satisfaire le public.
Cependant, les propos peuvent être également incitatifs et s’apparenter à une
technique de marketing :
« J’espère que vous viendrez nous voir pour découvrir les activités du studio
et de l’auditorium, dédié aux conférences, aux concerts, aux spectacles vivants… et
finir par prendre un verre au bar et au restaurant. N’oubliez pas de passer par la
librairie, qui est une des belles librairies de France dédiée à l’art moderne et
contemporain237 ».
On peut ici s’interroger sur la forme promotionnelle de ce discours et l’incitation à la
consommation qui y est faite. Il en est de même dans la vidéo de présentation de Stéphane
Martin, Président du musée du Quai Branly, qui s’oriente davantage vers la fidélisation des
publics :
233 Propos de Laurent Le Bon, Directeur du Centre Georges Pompidou Metz, Application iPhone du Centre Georges Pompidou Metz, vidéo d’introduction 3’14 à 3’20 min 234 Propos d’Alain Seban, Président du Centre Georges Pompidou Paris, vidéo « Bienvenue », Application iPhone du Centre Georges Pompidou 235 Ibid. 236 Propos de Laurent Le Bon, Directeur du Centre Georges Pompidou Metz, ibid., vidéo « Chefs d’œuvres ? » de 1’19 à 1’31 min 237 Ibid. vidéo d’introduction, 2’35 à 2’51 min
73
« Une visite au Quai Branly cela ne suffit pas, il faut venir régulièrement.
C’est une institution qui est là pour vous accueillir tout au long de votre vie si j’ose
dire et j’espère qu’en vous adhérant ou en venant vous y promener à chaque fois que
l’envie vous en prend, vous y trouverez des éclaircissements sur la grande question
de notre époque, c’est à dire, comment essayer d’habiter plus intelligemment et plus
poétiquement le monde238. »
Encore une fois, le Président s’adresse directement aux visiteurs, en particulier à
ceux qui se sont déjà rendus au Quai Branly, et tente de les convaincre de la nécessité de
visiter plusieurs fois l’institution. Il parle explicitement et à deux reprises d’adhésion :
« Avant de commencer sa visite on peut devenir membre du musée, parce que c’est bien de
venir une fois mais c’est encore mieux de revenir.239 ». Laurent Le Bon dit sur le même ton à
propos de l’exposition « Chefs d’œuvres ? » : « Ne cherchez donc pas à tout voir, c’est une
exposition « océan », dans laquelle il faut s’immerger et surtout venir et revenir240. »
Les présentations par un membre du musée peuvent donc être le lieu d’une
connivence que le musée essaye d’instaurer avec les utilisateurs-visiteurs. Elles permettent
au public d’associer clairement un nom et un visage à une réalisation, et donc, en quelque
sorte, de « personnifier » l’exposition ou l’institution. Le visiteur peut y être considéré
comme une personne « privilégié », pouvant assister aux coulisses de l’institution. Les
vidéos, encore plus que les commentaires audio, simulent une rencontre réelle entre
dirigeants et publics. Mais l’institution use aussi de ce rapport pour faire passer des
messages incitatifs. Puisque les personnes montrées font figures d’autorité, les visiteurs
pourraient plus facilement suivre leurs recommandations.
Les artistes peuvent également, à travers des interviews, figurer parmi les contenus
mobiles. Ils y donnent des clés de compréhension de leur œuvre. L’exemple le plus
significatif est sans doute le dispositif RFID du Studio 13/16241, qui inclut dans les contenus
des téléphones portables, de courtes vidéos de présentation réalisées avec les artistes. Ce
procédé de médiation est particulièrement intéressant puisqu’il cible les publics adolescents.
Or ces derniers souhaitent vivement lorsqu’ils se rendent au musée : « participer à des
238 Propos de Stéphane Martin, Président du musée du Quai Branly, in Application iPhone du musée du Quai Branly, à partir de 4’32 minutes. 239 Ibid. de 1 à 1’04 minutes. 240 Propos de Laurent Le Bon, ibid., vidéos « Chefs d’œuvres ? », 47’ à 1’04 min. 241 Cf. ANNEXE IV n°6-B, p.94-96
74
échanges avec des spécialistes et des artistes.242 ». Pour Mauricio Estrada-Munoz, Chef de
projet au Studio 1316, la présence des artistes est très importante pour cette catégorie de
visiteur : « Quand on leur dit : « on va au Centre Pompidou pour voir des œuvres qui sont
faites par des artistes » ils se demandent « Mais qui est un artiste ? ». Souvent il n’y a pas
de photos à côté des cartels, on ne sait pas à quoi ils ressemblent et donc finalement, cela
reste très abstrait.243 »
Dans ce contexte, la présence des artistes lors des workshops programmés est
prolongée virtuellement grâce aux téléphones mobiles. D’autres projets, dont certains déjà
cités, utilisent également la figure de l’artiste pour présenter l’œuvre au public244.
À travers la parole d’une personnalité issue du domaine muséal ou artistique,
l’utilisateur-visiteur, matérialise l’institution ou les œuvres. On peut supposer que ces
présentations dans le téléphone mobile, n’auraient pas le même impact sur les utilisateurs si
elles étaient diffusées sur un site internet ou sur un réseau social. En effet, le téléphone
donne davantage l’impression que le message m’est personnellement adressé, puisque je le
regarde à travers « mon » mobile. En revanche, les internautes ont bien conscience s’ils
regardent la vidéo sur la page d’un réseau social de musée qu’ils font parties d’une
communauté constituée, de même s’ils voient ce type de vidéo sur un site spécialisé245,
puisque le nombre de personnes l’ayant précédemment visionné y est très souvent indiqué.
À l’inverse, l’application iPhone peut donner le sentiment d’être seulement mienne, puisque
je l’ai téléchargé au préalable et parfois même achetée. Il y a donc un geste symbolique qui
contribue à l’appropriation des contenus. L’application figure donc avant toute chose sur un
médium qui m’est propre plutôt qu’à travers un média qui peut être consulté par tous. Cette
caractéristique liée à l’outil permet de renfoncer la proximité avec l’usager.
L’utilisateur d’une application muséale peut également entrer en contact plus étroit
avec les œuvres présentées. En effet, tout comme pour les projets de musées virtuels que
nous avons évoqués dans la partie précédente, il est possible dans certaines applications, de
« zoomer » sur les œuvres246. Le zoom n’est certes pas aussi puissant qu’il pourrait l’être
242 TIMBART Noëlle, op.cit. p.5 243 DEHON Clélia, MONERET Lisa, Entretien avec Mauricio Estrada Munoz, chef de projet au Studio 1316, Centre Georges Pompidou, réalisé le 20 novembre 2010 244 Les dispositifs Bluetooth du Palais de Tokyo proposaient des interviews vidéos avec les artistes, de même Wim Delvoye explique sa démarche artistique dans l’application iPhone du musée Rodin (exposition de Wim Delvoye) 245 Youtube, Dailymotion, Viméo par exemple 246 Cf. ANNEXE IV – n°9-D – Zoom dans les applications iPhone, p.130
75
avec les œuvres numérisées sur internet247, mais offre cependant aux utilisateurs la
possibilité de les « toucher » du bout des doigts. Ils peuvent avoir la sensation de « rentrer
dans le tableau » ; une plus grande proximité à l’œuvre est rendue possible, puisqu’on ne
peut approcher certaines œuvres de la sorte en contexte de visite. Bien que le zoom soit
parfois limité, un effet « Waou » peut se produire : il résulte d’un engouement esthétique des
utilisateurs pour ces technologies, dont certains visiteurs sont peu familiers. L’enquête
effectuée au Grand Palais a révélé qu’une des principales améliorations à apporter à
l’application « Monet » serait, selon les publics interrogés, de proposer des images ayant une
plus grande résolution et de pouvoir zoomer davantage sur les œuvres248. L’aspect visuel
d’une application est donc très important pour les utilisateurs, qui ressentent l’envie de voir
et d’avoir les œuvres au plus près d’eux.
Le téléphone se situe ici entre l’ordinateur portable - qui est un outil personnel, mais
nécessite la manipulation d’un clavier –et la borne multimédia interactive tactile, qui peut
proposer les même fonctionnalités, mais qui n’est ni portable ni personnelle. En outre, dans
une moindre mesure, le téléphone permet les mêmes effets que les tablettes numériques249.
Un grand nombre d’applications pour iPhone sont d’ailleurs adaptées au format HD (Haute
Définition) afin d’être téléchargées sur iPad250.
Enfin, si ces fonctionnalités peuvent donner l’impression au public d’être
virtuellement proche des œuvres, nous nous devons aussi de faire remarquer qu’une
personnalisation de celles-ci est en général rendue possible grâce aux technologies mobiles.
Les œuvres deviennent alors des artefacts que le public peut manipuler et faire siennes à
travers son outil personnel.
c. Le lieu de la personnalisation
Nous avons déjà vu que le téléphone mobile est une adresse au public personnalisée,
puisque le musée s’infiltre parmi les contenus quotidiens et privés d’un usager. Outre la
présence muséale amateur, qui est forcément personnalisée, quelques fonctionnalités d’outils
institutionnels semblent aussi favoriser la personnalisation des contenus.
247 Cf. ANNEXE IV n°9-D2 – Visuels du site internet Google Art Project, p.131-132 248 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.43 249 « Par tablette numérique, il faut entendre un ordinateur portable extra-plat, tactile, dont l’écran est supérieur à 5,6 pouces mais inférieur à 11 pouces, et qui est connecté à Internet en wi-fi et/ou 3G. » (Source : http://www.iabfrance.com/?go=edito&eid=511) 250 C’est notamment le cas des applications de la Pinacothèque de Paris et du Musée Jacquemart André.
76
Le « bookmark251 », ou « marque page », permet aux utilisateurs de sauvegarder
leurs œuvres favorites. Souvent symbolisé par une petite étoile, le bookmark participe aussi
bien à la conservation des contenus qu’à leur labellisation (« j’aime », « je n’aime pas »), qui
a émergée sur internet et les réseaux sociaux. Autrement dit, à travers cette fonctionnalité,
l’utilisateur exprime ses goûts et constitue sa propre banque de données, son propre
catalogue d’œuvres. Ainsi, « Les institutions ne sont plus les seules à avoir ce privilège. La
labellisation s’est totalement démocratisée252. » Par le biais de leur application mobile, les
visiteurs peuvent exprimer et affirmer leur préférence et s’apparenter, dans une moindre
mesure, à un « commissaire d’exposition virtuel ». Lors de l’exposition Monet, 19% des
personnes interrogées avaient utilisé le bookmark. Le chiffre est assez faible, mais les
applications Smartphone de musées intégrant cette fonctionnalité sont encore peut-être trop
récentes pour être totalement identifiées et intégrées aux usages.
Plus rarement, il peut arriver que les technologies mobiles prennent en compte le
profil et les envies des visiteurs, comme l’application iPhone de la Cité Nationale de
l’Immigration253, qui s’adapte au rythme de visite de l’utilisateur et lui propose plusieurs
parcours thématiques.
La personnalisation correspond à une appropriation des artefacts et de l’institution
par les visiteurs. Elle est le moment où les œuvres cessent d’appartenir entièrement aux
musées pour être mises entre les mains du public. Les fonctionnalités citées précédemment
correspondent à cette appropriation des œuvres.
Une limite à cette appartenance peut tout de même être évoquée. À l’issue de
l’enquête de terrain aux Galeries Nationales du Grand Palais, nous avons pu constater que
les visiteurs étaient très satisfaits de l’application iPhone, mais auraient souhaité, entre
autres, pouvoir récupérer les visuels des œuvres présents dans l’application pour les
transformer en fond d’écran de leur téléphone et pour pouvoir les transférer sur leur
ordinateur254. Comme nous le disions précédemment, il y a une forte demande de la part du
public en matière visuelle, mais aussi ludique. Les utilisateurs-visiteurs émettent ici le
souhait d’un prolongement de la présence institutionnelle vers la présence amateur ; signe
qu’ils ne peuvent s’approprier les œuvres dans leur globalité puisque celles-ci ne sont
251 Cf. ANNEXE IV n°9-E – exemples de bookmark, p.133 252 Interview d’Agnès Alfandari, « Louvre.fr : renforcer le lien entre le musée et les publics » http://cblog.culture.fr/2011/03/09/louvre-fr-renforcer-le-lien-entre-le-musee-et-ses-publics 253 Cf. ANNEXES IV n°11- B – Application de la Cité Nationale de l’Histoire et de l’Immigration, p.144 254 Cf. ANNEXES VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.43
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présentes uniquement à travers une application et non en tant qu’électron libre dans le
téléphone. La personnalisation des œuvres et l’appropriation par les visiteurs sont donc
effectives, mais leur appartenance totale est davantage limitée.
En février 2008, le musée Victoria and Albert de Londres proposait en
téléchargement payant sur le site « museum on the go255 » des fonds d’écran et des vidéos
pour découvrir l’histoire de la mode256. Cette démarche tend à rapprocher le musée des
visiteurs, en les touchant dans leur quotidien et en usant d’un élément propre à l’univers de
la téléphonie portable : la personnalisation de l’objet. « Écrans, claviers, coques, pochettes,
fonds d’écrans, stickers, sonneries…chacun peut faire de son mobile un monde à son
image257. » Par ce biais, l’utilisateur affiche sa différence et affirme une appartenance à un
groupe, en l’occurrence, celui des amateurs d’art.
Mais cette logique n’est-elle pas quelque peu superficielle ? De plus, dans le cas du
Victoria and Albert museum, n’est-elle pas uniquement basée sur une logique de
marchandisation258 et non sur un principe de médiation ? Telle est la difficulté et l’enjeu de
la personnalisation : allier découverte des œuvres et appropriation ludique. Dès lors,
comment proposer des contenus personnalisables, sans tomber dans un phénomène de
gadgétisation ? La question est intéressante, mais nous emmène vers le domaine du
marketing, nous éloignant du cadre de notre recherche.
Pour résumer, nous pouvons dire que certaines formes de personnalisation des
contenus, comme le bookmark ou le profil de visite, peuvent favoriser une plus grande
proximité entre les œuvres et les publics et aider ces derniers à se les approprier. Cependant,
d’autres formes de personnalisation peuvent dépasser ce phénomène et pencher du côté de la
marchandisation et de la promotion de l’institution.
Nous voyons une autre forme de personnalisation, d’appropriation des œuvres et de
proximité avec l’institution : le partage social. Nous en avons défini les usages dès le
premier chapitre, en l’intégrant à la « présence muséale amateur » tout en évoquant le fait
qu’un grand nombre de technologies institutionnelles proposaient à l’heure actuelle ce type
de communication. Nous nous intéresserons dans la partie suivante aux différentes formes
communicationnelles que permettent les mobiles à travers les dispositifs muséaux, générant
ainsi du lien entre publics et institutions ou entre les publics eux-mêmes. 255 http://www.museumonthego.com/ 256 http://www.buzzeum.com/2008/02/le-victoria-albert-museum-offre-ses-collections-aux-telephones-portables/ 257 GONORD Alban ; MENRATH Joëlle, op.cit., p.114 258 L’ensemble d’un visuel et d’une vidéo coûtent 1,99 euros.
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2. Téléphone mobile, publics et musées : vers un nouveau schéma communicationnel ?
Comme le rappelle Maurizio Ferraris : « Le mobile est un objet social éminent 259 ».
La communication ne semble pas balisée : le mobile ne permet pas uniquement un système
de communication allant du musée à ses publics, mais favorise naturellement la libre
expression de ces derniers. Ainsi, indépendamment de l’institution, un visiteur doté d’un
téléphone portable pourra partager, en direct ou non, un avis, une remarque ou une
photographie en rapport avec une exposition ou un musée.
Il convient donc de s’interroger sur ces différents outils et sur les façons dont ils vont
permettre aux utilisateurs de partager une opinion, des connaissances, des suggestions ou
encore de poser des questions. Nous nous demanderons en quoi les dispositifs mobiles
d’aide à la visite peuvent constituer un « lieu de partage et de transmission » et quels sont les
différents types de relations qui se créent ? Nous tenterons d’observer si ces supports
favorisent ou non un dialogue à double sens avec les publics et s’ils permettent la
constitution d’un « espace d’appropriation » et d’un « espace critique 260 » ?
a. Du livre d’or virtuel à la « communauté virtuelle »
Le contact virtuel entre publics et institutions via les dispositifs institutionnels mobiles
peut revêtir deux formes distinctes, sur lesquelles nous nous baserons pour développer notre
analyse. Il peut être « traditionnel » lorsque le visiteur émet un retour d’expérience à propos
d’une exposition ou sur l’outil de médiation en lui même. Il peut être également plus
« original » lorsque publics et institutions entrent en interaction commune, notamment
lorsque l’utilisation du mobile convoque le jeu ou les réseaux sociaux.
Le commentaire et le « livre d’or virtuel »
Dans le premier cas, les institutions - à travers les outils mobiles - peuvent inviter les
utilisateurs à réagir sur l’exposition visitée ou l’application mobile utilisée. C’est le cas du
« mur261 » proposé au sein de l’application iPhone du musée Rodin lors de l’exposition
consacrée à l’artiste contemporain Wim Delvoye262. Le musée encourage les publics à
envoyer des « commentaires, photos ou vidéos » à une adresse mail du musée dans le but de
259 FERRARIS Mauricio, ibid. p.58 260 Expression empruntée à Bernard Stiegler 261 Cf. ANNEXE IV n°8 – B5, mur de l’application iPhone « Wim Delvoye » au musée Rodin, p.115 262 Exposition Wim Delvoye au musée Rodin du 16 avril au 22 août 2010
79
les publier sur le mur de l’application263. À la manière d’un livre d’or, les visiteurs peuvent
non seulement exprimer leur ressenti auprès de l’institution mais aussi être lu par d’autres
utilisateurs. Cependant, le procédé n’est pas direct et l’envoi du commentaire à une adresse
email peut susciter le doute quant à la publication sur le « mur » de la totalité des avis
envoyés. Dans le cas du musée Rodin, les quelques retours d’expérience publiés sont tous
positifs, l’institution ayant sans doute sélectionné au préalable les commentaires les plus
valorisants.
Quelques applications muséales étrangères permettent aussi aux utilisateurs de
commenter chaque œuvre. C’est notamment le cas de l’application iPhone du Graphic
Design Museum de Bréda264, aux Pays-Bas et de l’American Museum of Natural History de
New York265. Ici, ce n’est plus de commentaires généraux dont il s’agit mais de partager
davantage sa vision ou son sentiment spontané face à la reproduction de l’œuvre. Les
commentaires sont relativement courts et emploient différents tons : humour,
émerveillement, indignation, perplexité, enthousiasme… La logique du commentaire
d’image au sein des applications mobiles semble directement inspirée par le web participatif
et les réseaux sociaux comme Facebook.
Sur la plateforme AppStore266, il également possible de noter et de commenter
directement une application mobile267. Cette fonctionnalité se rapproche de celle mise en
place par le musée Rodin, à la différence que seule la société Apple peut valider, retirer ou
modifier les avis postés. Dès lors, on remarque que les commentaires rédigés par les
utilisateurs sont hétérogènes. Certains n’hésitent pas à rapporter des soucis techniques ou
encore à faire remarquer un manque de contenu dans une application. Beaucoup expriment
aussi leur engouement vis à vis de ce type d’aide à la visite. Quoi qu’il en soit, le public-
utilisateur peut librement formuler l’opinion relative à son expérience, sans craindre de voir
son message être modéré. La notification d’un avis à l’issue d’une visite ou d’une utilisation
rappelle fortement les enjeux du livre d’or présent à la fin d’une exposition.
263 Le « mur » est en fait un site internet au format mobile, sur lequel ne figurent que les commentaires envoyés par des visiteurs. Il est consultable à l’adresse suivante : http://www.audiovisit.com/mobile/rodin/wd/webmur.html 264 Cf. ANNEXE IV n°8 – B7, commentaires d’œuvres du Graphic Design Museum, p.117 265 Cf. ANNEXE IV n°8-B6, commentaires d’œuvres, musée d’Histoire Naturelle de New-York, p.116 266 App Store est la plateforme créée par Apple Computer, qui permet à tout utilisateur d'IPhone, iPod Touch ou d’iPad d'acheter et de télécharger en ligne, via Internet, toutes les applications fonctionnant sur les trois produits précédemment cités 267 Cf. ANNEXE IV n°9-G, Avis des utilisateurs sur Apple Store, p.135-136
80
Les commentaires publiés sur AppStore peuvent être importants pour les musées qui
s’en servent comme moyen d’évaluer l’appréciation de leur outil par le public268. Dans le but
de prendre en compte l’opinion des utilisateurs, certaines applications comme celle de la
Cité nationale de l’histoire de l’Immigration, ou à l’étranger comme celle du musée
d’histoire naturelle de New York, proposent au public de répondre à un court questionnaire
intégré à l’application269.
Ces possibilités de communication étaient bien entendu rendue possibles avant les
outils mobiles : le visiteur pouvait contacter le musée par courrier, par mail ou par
téléphone… Mais cette démarche relevait d’un engagement souvent motivé par une
réclamation ou une suggestion plutôt que pour signaler une satisfaction. Ici des réactions
« spontanées » sont possibles et viennent se superposer les unes aux autres, les rédacteurs se
répondant parfois entre eux. C’est pourquoi nous avons pu comparer les « murs » d’opinions
à des « livres d’or virtuels ». Ceux-ci correspondent à la même logique : recueillir un
ensemble de réactions variées et indépendantes, mais se répondant de temps à autre.
Nous constatons que ces fonctionnalités de communications publics/institutions via
le mobile revêtent ici des formes relativement « traditionnelles », transposées de l’espace du
musée au mobile : le livre d’or et l’enquête de satisfaction. Si une prise en compte du public
peut être réalisée, ce n’est pas pour autant qu’un dialogue s’engage véritablement entre
publics et institution. En d’autres termes, la communication reste descendante : les publics
transmettent des informations à l’institution, qui les prennent en compte, mais ne leur répond
pas, ou alors pas directement.
À l’inverse, d’autres projets mis en place ont utilisé téléphone mobile pour entamer
des formes de conversations et de connivences originales avec leur public. Nous allons
étudier trois projets qui nous semblent correspondre à cette logique : le choix du logo de
l’application iPhone du musée des Arts décoratifs par les membres de la page Facebook du
musée ; le jeu concours « Pas d’art sans provocation » dans le cadre de la rétrospective
« Ben, strip-tease intégral270 » au musée d’art contemporain de Lyon et l’interaction du
268 Lors des 2nde Rencontres nationales Culture et innovation, Philippe Rivière, Responsable des outils de diffusion numérique de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, évoque les commentaires recueillis sur AppStore et les mails envoyés par les utilisateurs comme seul moyen d’évaluer l’appréciation de leur application. Notes personnelles, 28 janvier 2011. Catherine Collin, Responsable du service des publics au musée des Arts Décoratifs nous dira également lors de notre entretien qu’elle porte une attention particulière aux commentaires publiés sur AppStore en rapport avec l’application « Arts décoratifs ». 269 Cf. ANNEXE IV n°9-F, Enquêtes de publics intégrés à l’application, p.134 270 Exposition « Ben, strip-tease intégral » au musée d’Art contemporain de Lyon, présentée du 3 mars au 11 juillet 2010.
81
Centre Pompidou Paris avec les publics disposant de Smartphones à travers les réseaux
sociaux Twitter et Foursquare271.
La constitution d’une communauté virtuelle
En décembre 2010, le musée des Arts décoratifs annonce aux « fans » de sa page
Facebook le lancement d’une application iPhone dédiée aux collections du musée. C’est
également l’occasion pour l’institution de demander aux membres de la page de choisir la
couleur du logo de la future application parmi six propositions272. Chaque membre peut
« voter » en cliquant sur « j’aime » sous le logo qu’il préfère. Le nombre de « j’aime » a
ensuite déterminé le logo aujourd’hui adopté par les Arts décoratifs. Ici, la labellisation
permet la prise en considération de la préférence des « amateurs» pour être directement
appliquée à un choix relativement important pour le musée. Cette volonté d’intégrer le
public à l’aspect graphique de l’application résulte d’une certaine marque de
« confiance273 » entre le public et l’institution. Catherine Collin nous confie : « Le choix est
assez bien tombé puisqu’il s’agit du logo dont nous avions envie. Cela montre aussi que l’on
est assez en phase avec notre public274 ». Un dialogue est alors engagé entre l’institution et
ses visiteurs. L’institution leur pose une question (« Quel logo préférez-vous ? »), ces
derniers répondent en fonction de leur connaissance de l’institution275, à la manière, toute
proportion gardée, d’une jeune femme qui demanderait à sa meilleure amie comment
s’habiller pour un événement particulier. La métaphore est ici démesurée, mais permet
d’insister sur la relation privilégiée et la connivence qui peut s’instaurer entre une institution
et un public, ici non par le biais du mobile mais à propos de celui-ci. Enfin, suite à la
réponse des visiteurs, le musée des Arts décoratifs répond en choisissant le logo de
l’application destinée aux publics. On voit donc bien une forme de dialogue s’opérer et
effectuer des allés-retours à la manière du schéma du musée participatif proposé par Nina
Simon276.
Le jeu-concours lancé par le musée d’art contemporain de Lyon dans le cadre de la
rétrospective de l’artiste Ben, dépasse la logique de marketing et de fidélisation et peut être 271 Cf. ANNEXE IV n°8 – A9 – Visuel commenté de Foursquare, p.110 272 Cf. ANNEXE IV n°8 – C1 – Exemple du musée des Arts Décoratifs, choix du logo de l’application iPhone par les membres de la page Facebook, p.118-119 273 Cf. ANNEXE II D - entretien avec Catherine Collin, p.34 274 Ibid. 275 « Il s’agit de gens qui nous connaissent et la réflexion de la plupart d’entre eux étaient « votre logo est rouge et blanc, ne mettait pas du vert et jaune » ibid. 276 Cf. ANNEXE IV n°12, schéma du musée participatif par Nina Simon, p.145
82
perçue comme une forme de médiation entre visiteur et institution. En effet, cette dernière
lançait un défi aux publics en leur demandant de se filmer avec leur téléphone mobile, à la
manière de Ben, sur le thème « Pas d’art sans provocation »277. Les participants étaient
invités à réaliser leur vidéo soit dans l’enceinte du musée « sur le podium dédié au troisième
étage278 », soit en dehors de l’institution. L’ensemble des vidéos était ensuite mis en ligne et
le vote des internautes permettait de désigner un gagnant qui remporterait une œuvre de Ben.
À travers cet exemple, on constate qu’un lien particulier se noue entre le musée d’art
contemporain de Lyon et son public puisque celui-ci passe du statut de « visiteur » pour
devenir « acteur » : il prend la parole sous une forme créative. Plus qu’une labellisation et un
commentaire virtuel, l’acte et la présence physique sont encouragés. Notons à ce propos que
le musée incite ici une pratique « amateur » : l’enregistrement d’un film avec le mobile. Or
nous avons vu dans le premier chapitre que ces pratiques pouvaient faire l’objet
d’interdiction au sein des institutions. En favorisant la pratique de ce médium,
l’établissement semble en quelque sorte, tout comme son public, jouer le jeu de la
« provocation ».
Encore une fois, un dialogue symbolique et singulier s’engage entre l’institution et
les visiteurs car les vidéos réalisées sont des propositions en guise de « réponse » au
concours lancé par le musée. Le musée poursuit l’échange en les regardant, en les publiant
sur internet et en sollicitant les internautes à émettre leur avis sur les vidéos et à voter. Le
cadeau offert au(x) vainqueur(s) – une œuvre réalisée et remise par l’artiste Ben – fait écho à
l’expérience vécue par le(s) participant(s) et la matérialise. En provocant de manière ludique
la participation des visiteurs, le musée d’art contemporain instaure une nouvelle forme de
dialogue par le biais du téléphone. Signalons par ailleurs que le jeu a été annoncé sur le site
du musée, mais aussi dans l’application iPhone « Ben », le musée supposant sans doute que
les personnes ayant téléchargées l’application seraient dotées de l’équipement nécessaire
pour participer279.
Enfin, les interactions entre public et institution qui retiennent également notre
attention sont celles développées par le Centre Georges Pompidou Paris via les réseaux
sociaux Foursquare et Twitter en situation de mobilité. Le community manager280 utilise ces
277 Citation de l’artiste Ben 278 Extrait du règlement du jeu concours, musée d’art contemporain de Lyon 279 Cf. ANNEXE IV n°8 –C4 – Visuels de l’application « Ben » musée d’art contemporain de Lyon, p.124 280 Le community manager est un membre du personnel du musée ayant à charge la gestion, l’animation et la mise à jour de l’ensemble des réseaux sociaux sur lesquels l’institution est présente.
83
plateformes pour « récompenser » la fidélité des abonnés à l’institution sur ces réseaux et les
inviter à passer d’une présence virtuelle à une présence réelle.
Foursquare est un réseau fonctionnant sur le principe de géolocalisation de ses
membres. « L’utilisateur inscrit peut s’identifier n’importe où, dans les transports publics,
un musée, une salle de cinéma, un aéroport… foursquare détectant automatiquement les
lieux déjà enregistrés grâce au GPS du Smartphone281 ». Ainsi, lorsqu’un utilisateur de ce
réseau est au Centre Pompidou, il peut l’indiquer en se connectant à Foursquare avec son
Smartphone. Il peut aussi décrire ce qu’il y fait ou donner un conseil ou un avis sur le lieu,
gagner des « badges » virtuels qui « se débloquent en fonction du moment ou de la fréquence
des identifications282. » Enfin, l’utilisateur peut devenir le « mayor » du lieu, c’est à dire
littéralement le « maire » ou « l’ambassadeur », lorsqu’il s’est géolocalisé plus de fois que
d’autres membres à cet endroit. À l’instar d’enseignes ou de marques associées à Foursquare
pour faire bénéficier leurs clients d’offres promotionnelles, le Centre Georges Pompidou a
récompensé à plusieurs reprises le « mayor » du lieu en lui offrant une place pour l’un des
spectacles de sa programmation. Dans ce cadre, c’est l’institution qui répond à une
indication émise par le public, en lui adressant une forme de remerciement personnalisé pour
sa fidélité. Le lien entre un visiteur fidèle et l’établissement est davantage renforcé, grâce à
l’intermédiaire du téléphone mobile.
Enfin, il convient de mentionner et d’analyser une dernière pratique, exercé dans
certaines institutions muséales étrangères283 et récemment en France par le Centre
Pompidou : le « livetwitte » d’exposition284. En abordant la question de la présence muséale
liée aux usages des amateurs dans le téléphone portable, nous avons évoqué la possibilité de
publier sur le réseau Twitter des messages concernant la visite d’une exposition. Le
community manager du Centre Georges Pompidou a fait de cet usage un moyen d’interagir
avec les « followers285 » du Centre sur Twitter. A plusieurs reprises, une invitation286 à venir
« livetwitter » a été lancée sur le réseau par le Centre Pompidou. Il s’agit d’inviter quelques
281 THOREL Anne-Sophie, « Foursquare : un nouvel outil marketing pour les musées ? » http://www.club-innovation-culture.fr/foursquare-un-nouvel-outil-marketing-pour-les-musees/ 282 THOREL Anne-Sophie, ibid. 283 Lire à ce propos l’article sur l’utilisation de Twitter par le Brooklyn museum et l’American museum of Natural History de New York : http://www.club-innovation-culture.fr/tweet-collectifs-and-tag-participatifs-dans-les-musees-americains/ 284 Littéralement « livetweet » signifie « tweeter en live » et donc « envoyer des messages sur le réseau Twitter en direct». 285 Les « followers » ou littéralement « suiveurs » sont les personnes qui s’abonnent aux « tweets » (messages) d’une autre personne afin de les rendre visible sur leur « timeline » ou « fil de messages ». Les personnes qui suivent le Centre Pompidou sur Twitter ont alors accès aux messages postés par l’institution. Le Centre Pompidou compte 16 360 personnes abonnées au 17 avril 2011. 286 Cf. ANNEXE IV, n°8 –C3 – invitation du Centre Pompidou au livetwitte, p.121-122
84
followers à se rendre dans une exposition de la programmation pour parler de celle-ci en
direct sur Twitter, grâce à l’utilisation d’un Smartphone.
Encore une fois, on remarque qu’une certaine forme de connivence est créée entre
l’institution et les membres de la communauté, puisque le Centre Pompidou leur accorde en
toute confiance le droit de commenter publiquement les œuvres et les expositions. Les
personnes invitées à livetwitter deviennent en quelque sorte les « relais » du community
manager. Leur tweets sont visibles sur la communauté grâce à un « hashtag287 ». Cette
pratique repose également sur la présence réelle dans l’institution de personnes ayant à
l’origine une identité virtuelle dans la communauté Twitter : d’un côté les « followers » et de
l’autre, le community manager, qui les accueille et les accompagne. Le livetwitte opère un
glissement du virtuel au réel et est alors l’occasion de rencontres in situ à la fois humaines et
artistiques. En cela, il repousse d’une certaine façon les limites d’un « fast-food culturel288 »,
où « l’on a décidé de déplacer les œuvres plutôt que les visiteurs289 ».
L’apprentissage et l’appropriation des contenus muséaux sont également en jeux.
Comment, en effet, twitter de façon cohérente et transmettre son impression si l’on n’a pas
un minimum observer, expérimenter, lu les cartels, etc. ? Le livetwitte demande pour cela
une réflexion et une implication personnelle dans l’exposition.
Les pratiques développées par le Centre Georges Pompidou, par l’intermédiaire du
mobile et de ses fonctionnalités web, représentent selon nous des moyens originaux pour
instaurer de nouvelles relations entre publics et institutions, basées sur la connivence et la
présence in situ des membres d’un réseau virtuel.
Les projets que nous avons décrits et analysés semblent faire basculer les modes de
communication que nous avons qualifiés de « traditionnels » vers un système de
communication plus singulier, établi sur l’échange et le dialogue symbolique. Plus que la
présence du « livre d’or virtuel », les musées envisagent aussi la création d’une
« communauté virtuelle » où chacun peut non seulement donner son avis, mais aussi être
associé à l’institution et converser avec elle. La communication, dans un cas descendante,
prend peu à peu les traits d’une communication à double sens. Ce bouleversement est rendu
possible sur internet, entre autre via les réseaux sociaux, mais aussi de plus en plus grâce aux 287 Définition : Un mot devient un tag lorsqu’il est précédé par un #. Il permet de donner un mot clé, permettant au tweet d’apparaitre lors de recherches sur un sujet précis sur le moteur de recherche Twitter. Ex : pour écrire un message en rapport avec l’exposition Mondrian au Centre Pompidou, on peut utiliser le hastag #Mondrian 288 Expression empruntée à Bernard Deloche (DELOCHE Bernard, « Le Musée virtuel », préface de Régis Debray, édition PUF, 2001, p.220) 289 Ibid.
85
téléphones portables. Signalons par ailleurs que la présence institutionnelle dans le mobile se
place davantage du côté du « livre d’or virtuel » et que l’utilisation de pratiques « amateurs »
via le mobile, comme le partage social, permettent quant à elles d’entretenir un véritable
dialogue avec la communauté d’amateurs. Pour Annie Gentès, les technologies mobiles
forment ainsi une nouvelle « cour » entre institution et visiteurs dont l’enjeu est de : « créer
de nouvelles modalités culturelles, sociales et techniques de confiance entre une
communauté d’amateurs et « les théâtres du monde290 » »291.
En filigrane, nous pouvons constater que les échanges entre musées et visiteurs sont
généralement « publics » et génèrent des interactions entre visiteurs et – ou - amateurs. Il
convient à présent d’étudier plus en détails la question de la communication inter-visiteurs
ou inter-amateurs grâce aux outils de la téléphonie et du web. Nous nous intéresserons tant à
la présence institutionnelle qu’à la présence amateur et considérerons les formes de
sociabilité virtuelle et réelle.
b. Formes d’interactions sociales inter-amateurs et inter-visiteurs
Le téléphone portable et les fonctionnalités qu’il intègre peuvent permettre aux
visiteurs d’échanger entre eux. Dans tous les exemples cités, la présence de l’autre est
effective. Si les « murs » de commentaires, les avis sur AppStore ou même le livetwitte
d’exposition peuvent fournir aux musées des éléments d’évaluation de la satisfaction des
publics, ces messages sont avant tout lus par d’autres utilisateurs, ces derniers pouvant y
répondre. Nombreuses sont d’ailleurs les personnes qui rédigent un avis en prenant en
compte la présence des autres utilisateurs et en s’adressant à eux sur le ton du conseil.
Toutefois, c’est de nouveau par les réseaux sociaux en contexte de mobilité que des
échanges inter-visiteurs et inter-amateurs peuvent se tisser. Le livetwitte d’exposition en est
un bon exemple car il peut être considéré comme un outil de « tissu social virtuel » autour
d’une institution. En effet, il suscite des réactions de la communauté, non présentes dans
l’institution mais présentes sur le réseau au moment du livetwitte. Les visiteurs /
livetweeters, munis d’un Smartphone, et les membres du réseau peuvent alors interagir, sous
le regard de l’institution. Comme on peut le voir dans les documents regroupant l’ensemble
290 FALGUIERES Patricia, « Les Chambres Des Merveilles », Coll. “Le Rayon Des Curiosités”, Paris, Bayard, 2003. 291 GENTÈS Annie, « Musées et technologies mobiles : une nouvelle cour du visiteur », in « Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante », sous la direction de Bernard Stiegler, éditions Mille et une nuits, 2008, p.287
86
des livetwittes292, certaines personnes posent des questions ou diffusent les messages des
participants. L’événement fédère du lien social entre plusieurs membres, qui souvent ne se
connaissent pas, ou uniquement de façon virtuelle.
Le partage social proposé par la présence muséale institutionnelle permet également
de dire à mon réseau (Facebook et Twitter) que je suis en train de visiter une exposition et si
je l’apprécie ou non. Ce partage signale dans le même temps que j’utilise une application
muséale. Certaines applications, comme le musée du Quai Branly ou My Museum le
Louvre, proposent l’envoi d’une carte postale par mail ou sur un réseau social293. On
pourrait se demander si ces formes de socialisation virtuelle ne seraient pas un
prolongement, toute proportion gardée, des cafés et salons littéraires du XVIIIème siècle.
Les technologies mobiles sans contact favorisent également l’interaction entre
visiteurs. On peut le constater à travers l’exemple du projet PLUG au musée des Arts et
Métiers :
« Le projet prend aussi en considération l’apport des visiteurs entre eux, et
c’est sans doute ici l’innovation la plus intéressante. Il s’agit en effet, au travers
d’un jeu, de collaborer à la construction d’un savoir en s’échangeant des indices, en
déposant des informations, qui peuvent aider les différents visiteurs à construire un
parcours transversal et cohérent à travers les différentes thématiques du musée294. »
Si une socialisation entre les visiteurs ou entre les amateurs est possible à travers les
outils d’aide à la visite mobile, notre étude de l’application iPhone « Monet » a révélé que
d’autres formes de partage pouvaient avoir lieu, directement en contexte de visite et non plus
par le biais des outils mais autour des outils.
Le téléphone portable étant avant tout un objet propre à un visiteur-utilisateur, les
contenus offerts par le musée semblent favoriser le partage de l’outil avec les personnes
accompagnatrices. Ainsi, nous avons pu constater que près de la moitié des personnes ayant
utilisé l’application « Monet » aux Galeries Nationales du Grand Palais, l’avait partagé avec
292 . ANNEXE V –Livetwitte de l’exposition « Mondrian/De Stijl » au Centre Pompidou, p.146 293 Cf. ANNEXE IV n°8 – B3, Carte postale et réseaux sociaux, p.113 (My Museum Le Louve), p.114 (musée du Quai Branly) 294 GENTÈS Annie, ibid.
87
un proche pendant l’exposition295. Nous avons remarqué que l’utilisation d’écouteurs intra-
auriculaires296 contribuait à la division de l’écoute ; deux personnes pouvant ainsi disposer
chacune d’une des oreillettes pour entendre les commentaires. Ce système est peu probable
avec les audioguides car soit ces derniers sont « pris en main », s’écoutant à l’oreille à la
manière d’un combiné téléphonique, soit ils sont dotés de casques.
Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’utilisation du téléphone portable comme
outils d’aide à la visite pousse à son terme l’interaction entre visiteurs décrits par Sophie
Deshayes. En analysant les usages des audioguides, elle fait remarquer qu’ils ne sont pas un
frein à la visite à plusieurs. En effet, contrairement à ce que certains visiteurs peuvent
penser, l’audioguide :
« permet à chacun de gérer à son gré son rythme de visite tout en maintenant
la permanence du groupe amical ou familial. Ainsi, on observe généralement que les
personnes visitant à plusieurs quittent ensemble un espace avant d’en aborder un
autre et que l’usage de l’audioguide favorise des moments de sociabilité où peut
aussi bien s’instaurer le commentaire du commentaire297. »
Elle préconise un dispositif d’audioguides « pris en main » et non le prêt de casques,
qui opèrent « une coupure plus radicale » entre les utilisateurs. Grâce à l’utilisation du
téléphone portable et à son aspect personnel, l’usage d’un troisième système d’écoute – les
oreillettes intra-auriculaires – est rendu possible298. Ce système rapproche les utilisateurs en
leur permettant une écoute simultanée confortable299. Précisons toutefois que l’écoute peut
également être fragmentée et ponctuelle. Une dame venue avec un groupe d’amis visiter
l’exposition Claude Monet, refusera ainsi de répondre aux questionnaires pour la raison
suivante : « je n’ai écouté que deux ou trois commentaires maximum. Quand j’avais envie
d’avoir plus d’informations sur des œuvres que je trouvais énigmatique, alors je prenais
l’écouteur de mon amie300. »
295 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.16 296 Oreillettes qui se glissent dans chaque canal auditif. 297 DESHAYES Sophie, « Audioguides et musées » in La lettre de l’OCIM, n°79, 2002, p.27 298 Les oreillettes intra-auriculaires ne sont pas utilisées dans les institutions muséales par souci hygiénique. 299 Nous avons également observé aux Galeries Nationales du Grand Palais que des personnes tentaient d’écouter un audioguide « pris en main » de façon simultanée. Ce système donne lieu à des pauses inconfortables car il suppose que les deux utilisateurs soient très proches physiquement. 300 Notes personnelles recueillies le 16 janvier 2011 lors de l’évaluation de l’application iPhone « Monet »
88
Par ailleurs, la dimension personnelle du téléphone mobile parait également avoir
favorisé les échanges des outils ou des pratiques liées à l’application. En effet, nous avons
pu observer qu’un certain nombre de visiteurs utilisaient l’application sur un outil qui leur
avait été prêté. Ainsi sollicités pour répondre à notre enquête, plusieurs utilisateurs nous ont
fait part de leur embarras : « je veux bien répondre à votre enquête, mais ce n’est pas mon
iPhone : mon frère me l’a prêté pour que je puisse l’utiliser comme audioguide301. » ou
encore : « c’est le téléphone de ma mère, je vais aller lui rendre avant de répondre à vos
questions302 »
Les terminaux mobiles deviennent ici un lieu d’échange au sens propre. Puisqu’ils
sont personnels, leur détenteur peut décider de le prêter à un proche. Cependant tous les
visiteurs ne semblent pas à égalité face à l’utilisation de cette technologie : la pratique et
l’obtention de l’application peuvent dès lors se transformer en moment d’interactions entre
des proches ou des visiteurs qui ne se connaissent pas, certains transmettant à d’autres leur
maîtrise technique du terminal.
Quelques personnes invitées à répondre à nos questions nous avouent : « Je pense
que je ne peux pas vous répondre car je ne sais pas utiliser mon iPhone ! C’est mon fils qui
a téléchargé l’application pour moi, et je trouve ça pratique, mais je ne saurais pas le
faire303. » Ou encore : « Un collègue m’a montré hier comment faire pour télécharger des
applications et m’a conseillé celle de Monet, je trouve ça génial !304 ».
Lors de nos observations, nous avons aussi constaté que des rassemblements de
petits groupes de personnes pouvaient se former près du panneau promotionnel de
l’application, situé après les caisses à l’intérieur des Galeries Nationales du Grand Palais. À
cet endroit, une borne wifi et une pancarte explicative étaient installées afin de permettre aux
visiteurs de télécharger l’application. On constate que les personnes ne réussissant pas à
faire fonctionner le téléchargement n’hésitent pas à entrer en contact avec d’autres visiteurs
qui essayent à ce moment là d’obtenir les contenus : « Vous y êtes parvenu Monsieur
? Comment procédez-vous ? Avez-vous le même modèle d’iPhone que moi 305? ». Des
discussions s’engagent ainsi sur le ton explicatif. Cette entraide met cependant en avant un
frein à ces dispositifs, que nous expliciterons dans la dernière partie de ce chapitre :
l’inégalité d’accès à la technologie.
301 Ibid. 302 Ibid. 303 Ibid. 304 Ibid. notes personnelles recueillies le 13 janvier 2011 305 Ibid. notes personnelles recueillies le 12 janvier 2011
89
Contre toute attente, les terminaux mobiles sont donc propices à la sociabilité en
contexte muséal. Tantôt les visiteurs écoutent simultanément un même contenu, tantôt ils
prêtent leur téléphone ou se transmettent des conseils d’utilisation. En outre, précisons que
les personnes ne possédant pas d’iPhone se sont également intéressées à ce dispositif, pour
leur curiosité personnelle ou pour renseigner un proche sur l’existence des applications
muséales.
Plus largement, nous pouvons conclure sur le fait que la présence muséale
institutionnalisée permet d’inscrire l’utilisateur dans un contexte social élargi et lui offre la
possibilité de communiquer avec les autres visiteurs ou amateurs, qu’ils fassent ou non
partie de leur cercle social intime. La communication entre publics et institutions est
également favorisée, que ce soit de façon traditionnelle et descendante ou de façon originale
et interactive.
c. Le téléphone portable : un « appareil critique » pour amateurs de musées ?
La question qui reste désormais à se poser est la suivante : les différents systèmes de
communication énumérés développent-ils véritablement un « espace critique » à travers
lequel les visiteurs pourraient réagir et s’opposer à une attitude qui serait uniquement
« spectatorielle » face au musée et à ses contenus ?
Nous avons déjà vu, en évoquant la pratique du livetwitte d’exposition, que
l’appropriation des contenus muséaux était en jeu pour les visiteurs puisqu’il s’agit de se
positionner en tant qu’observateur de l’exposition et d’en retranscrire ses propres
impressions à partir de sa vision et de sa compréhension des œuvres. Il en est de même à
travers les autres dispositifs mentionnés qui paraissent avant tout comme des « appareils
critiques306 », car ils permettent au public d’exprimer « ce qui l’affecte »307. De plus, cette
expression est souvent « transparente », visible par tous les usagers, ce qui leur permet
d’intervenir pour rebondir sur une idée. La dimension publique des avis postés est ici
intéressante, renouant avec l’idée de « musée-forum ». En effet, tous les dispositifs que nous
avons passés en revue ne seraient-ils pas en quelque sorte le prolongement virtuel du
« musée-forum » ?
Il ne s’agit pas, à travers ces outils, d’écrire une critique sur une exposition ou d’en
débattre longuement, mais plutôt de permettre aux utilisateurs de « solliciter et soutenir leur
306 Terme emprunté à Bernard Stiegler dans la vidéo « Le projet ligne de temps » http://web.iri.centrepompidou.fr/demo_entretiens_lignesdetemps.html 307 Ibid.
90
discernement308. » Ce discernement peut se faire à propos des œuvres et de l’institution,
mais aussi concernant l’outil mobile utilisé. Les dispositifs d’aide à la visite par le biais du
téléphone portable – et notamment les applications – étant relativement récents, les retours
d’usages sont très importants pour les musées. Bien que ces retours ne soient pas toujours
expressément argumentés, mais de l’ordre d’un message spontané, cela permet toutefois à
l’institution d’évaluer un niveau de satisfaction générale.
Nous avons également remarqué que la constitution d’un espace critique et que
l’appropriation des œuvres est surtout le fait des usages amateurs du mobile, principalement
par les réseaux sociaux. Bien qu’il y ait un développement des usages amateurs dans la
présence institutionnelle mobile par la possibilité de poster un message sur Facebook ou
Twitter, l’échange semble pour l’instant se limiter à une simple notification que l’on publie
sur le mode : « je visite le musée X à l’endroit Y», mais ne constitue pas une interaction
réelle ou un moment d’échange privilégié avec l’institution ou avec d’autres amateurs. À
l’inverse, les projets du musée d’art contemporain de Lyon, du musée des Arts décoratifs ou
du Centre Georges Pompidou, qui ont investi des usages « amateurs » indépendamment de
toute application mobile, ont souvent permis de susciter la réflexion et la créativité des
participants et de les inscrire dans un contexte social augmenté.
Enfin, nous pouvons dire que lorsqu’ils sont collaboratifs, les systèmes d’appareils
critiques, développés par les musées ou résultant d’usage quotidien (réseaux sociaux)
corroborent la création de « cercles d’amateurs ».
Pour résumer, l’appareil critique a une importance majeure au sein des dispositifs
mobiles car il permet la réflexion, l’expression et la relation aux autres. Il devrait, selon
nous, être davantage développé au sein des dispositifs institutionnels destinés aux téléphones
portables.
Si nous venons de voir tout au long de cette partie que des systèmes de
communication transversaux et que des cercles d’amateurs pouvaient être constitués via les
dispositifs pour téléphone mobile, et plus particulièrement pour les Smartphones, il convient
de souligner que plusieurs amateurs, entre autres ceux n’étant pas équipés, sont exclus de ces
systèmes. Afin de conclure notre recherche, il nous paraît désormais essentiel d’analyser les
formes d’exclusion et les freins à l’utilisation de ces dispositifs de médiation. Autrement dit,
308 Ibid
91
nous nous interrogerons quant aux limites générées par l’offre institutionnelle destinée au
téléphone mobile en contexte muséal.
3. Les publics face aux outils de médiation sur téléphone mobile : formes d’exclusion et freins à l’utilisation
a- Des dispositifs très ciblés
Dans le deuxième chapitre, nous avons déterminé que les outils mobiles avaient le
pouvoir de toucher un public relativement hétéroclite. Cependant, nous avons aussi
mentionné que pour accéder aux contenus mis à disposition, ces personnes doivent être
équipées du terminal ou de la technologie qui convient. Par exemple, pour décoder un code
QR, il sera nécessaire de posséder un téléphone avec un scanner intégré ou un Smartphone.
De même, une application muséale pourra être téléchargée uniquement par les visiteurs
disposant d’un Smartphone. Plus spécifiquement encore, il s’agira la plupart du temps de
posséder un certain type de Smartphone : l’iPhone.
Dès lors, les dispositifs semblent s’adresser uniquement à des personnes « éligibles »
sur le plan technologique, excluant dans une certaine mesure les autres visiteurs, n’ayant pas
de téléphone ou dont le téléphone ne permet pas ces fonctionnalités. Les musées paraissent
ainsi « privilégier » certains usagers au profit d’autres. Il est d’ailleurs intéressant de relever
les attitudes propres aux publics sondés lors de notre enquête au Grand Palais. À la question
« avez-vous téléchargé l’application iPhone « Monet » ? » nombre de visiteurs répondent
par des phrases types : « non, je n’ai pas d’iPhone, je suis resté à l’âge de pierre. » ; «
désolé, j’ai un téléphone tout à fait classique » ; « mon téléphone me permet uniquement de
… téléphoner ! ». D’autres encore nous montre leur téléphone, comme pour nous prouver
qu’il est, selon les termes employés, « vieux », « ringard », « démodé »… Les visiteurs se
justifient de n’avoir accès à la technologie déployée par l’institution.
Ces observations nous amènent à revenir sur la notion de « tribus » utilisée dans le
second chapitre de la recherche. Se dessineraient en contexte muséale quatre « tribus » de
visiteurs distincts autour du téléphone mobile : la « tribu » des personnes technologiquement
éligibles au dispositif proposé par le musée ; la « tribu » équipée en nouvelle technologie
mobile mais ne correspondant pas au dispositif proposé ; la « tribu » des téléphones
« classiques » et la « tribu » des personnes sans téléphone portable.
Bien que notre étude fasse apparaître une corrélation entre les personnes équipées en
Smartphone - et plus particulièrement en iPhone - avec les personnes fréquentant les
Galeries Nationales du Grand Palais, il reste complexe pour les institutions muséales de
92
définir précisément la part de leur visiteur équipée en Smartphone. Il est également difficile
de déterminer précisément quelle typologie de public dispose de quel type de terminal. Partir
sur des présupposés peut donner lieu à des erreurs de cibles. Nous l’avons vu dans le
chapitre précédent, le musée de Cluny a mis en place une application iPhone dans le but de
cibler les adolescents alors qu’ils ne sont pas les publics les plus équipés.
La portée « limitative » de ces outils génère différents débats entre les professionnels
des institutions muséales et des nouvelles technologies. La notion de service public propre
aux institutions publiques est ainsi régulièrement évoquée309. Ces institutions ayant pour
objectif, entre autre, de rendre le musée accessible au plus grand nombre et donc de proposer
des outils de médiation pour le plus large public, il convient de rester vigilant à ce que les
outils destinés aux Smartphones ne forment pas une « niche ». Pour certains, la réponse au
service public n’est pas dans la substitution d’un système d’aide à la visite par un autre310,
mais dans le complément des outils. Une solution de médiation « alternative » aux
dispositifs qui seraient trop « élitistes », par exemple en prêtant les terminaux mobiles, est à
envisager311. Il s’agit de s’adapter aux préférences, aux usages et aux outils des visiteurs afin
de répondre au mieux à leurs attentes. La complémentarité et la diversité des supports
donnent naissance à une profusion d’outils de médiation et donc diversifient les usages
autour desquels se forment différentes « tribus » de visiteurs.
Nous pensons également que le prêt de téléphone ou que la mise à disposition
d’outils mobiles intégrant les mêmes contenus peuvent être des solutions intéressantes pour
empêcher l’exclusion symbolique de visiteurs ne possédant pas de terminaux mobiles
adaptés. Toutefois, les valeurs ajoutées liées à l’aspect personnel du mobile, telle que la
conservation ou le partage social, ne peuvent être effectives avec des outils appartenant à
l’institution. Dans ce cadre, les outils fournis s’apparentent aux dispositifs qui composent au
préalable une exposition et ne deviennent pas « miens ». La différence symbolique est
importante et joue sur les logiques d’appropriation et d’accès au savoir des publics. Ces
derniers pourront en effet visiter plus « librement » avec leur propre téléphone portable, car
ils ont conscience qu’ils pourront revoir ou réécouter un élément qu’ils n’ont pas compris ou
309 Christophe Courtin, Responsable du secteur Nouvelles technologies du musée d’histoire de Nantes, intervient à plusieurs reprises sur la question du service publique des musées lors de l’atelier « QR codes et WebApp » mis en place par le club Innovation et Culture, le 2 mars 2011 au musée des Arts et Métiers. 310 Par exemple, substituer les audioguides par les applications pour Smartphones. Aux Galeries Nationales du Grand Palais, les audioguides diffusaient les mêmes commentaires audio que l’application iPhone ou que les podcast téléchargeables sur internet. 311 Benoit Villain, Responsable des projets éducatifs et culturels du LaM de Lille dit ainsi que « la solution de « rechange » répond au service public ». Le musée LaM de Lille dispose ainsi de visioguide en plus de son application iPhone et des codes QR dispersés dans le jardin du musée. Notes personnelles de l’atelier « QR codes et WebApp » ibid.
93
qu’ils n’ont pas eu envie d’explorer. Ils savent aussi qu’ils peuvent conserver une trace d’un
contenu qui leur semble intéressant d’un point de vue personnel. Le téléphone permet de
consulter les contenus dans une temporalité amplifiée.
Bien qu’une diffusion alternative des contenus du musée soit possible et réduise
l’exclusion symbolique de certains publics, elle permet aux visiteurs non équipés d’avoir
accès aux mêmes informations que ceux qui sont équipés, mais pas de se les approprier de la
même façon. Des dispositifs d’accompagnement à la visite fourni par le musée tel que
« Visite+ » à la Cité des Sciences312 permettraient de concilier visite et post-visite grâce à un
double équipement : celui de l’institution, en l’occurrence un PDA, et celui du visiteur : un
ordinateur connecté à internet.
b- La non maîtrise de l’outil et « accompagnement à l’accompagnement »
Quand bien même une personne est en possession d’un terminal adapté à l’offre
muséale, elle peut rencontrer des difficultés à accéder aux contenus proposés. C’est ce que
nous indiquions dans la partie précédente, en évoquant les échanges sociaux stimulés par les
« inégalités d’accès » à la technologie.
Nous remarquons en effet que les dispositifs dédiés aux téléphones portables
s’accompagnent très souvent dans les institutions de notices explicatives313, indiquant aux
visiteurs les démarches à suivre à travers leur téléphone pour accéder aux contenus. Au sein
même des applications mobiles figurent parfois des « aides à la navigation », aidant les
utilisateurs à se familiariser avec le fonctionnement de l’outil.
Avant d’être accompagnés dans leur découverte du musée et de ses œuvres, les
publics sont accompagnés dans le passage à la technologie. En d’autres termes,
l’accompagnement technique (l’accès à la technologie) donne accès à l’outil de médiation
qui permet l’accompagnement cognitif (l’accès aux contenus du musée). C’est pourquoi
nous pouvons parler d’un : « accompagnement à l’accompagnement ».
Celui-ci est surtout nécessaire pour les personnes ne connaissant pas la technique ou
ne la maîtrisant pas suffisamment (téléchargement d’une application, activation du mode
Bluetooth dans le téléphone, etc.). Ces technologies sont parfois tellement innovantes pour
le public, que la visite au musée est l’occasion de la découvrir ou d’apprendre à l’utiliser314.
Ainsi, en aidant des visiteurs à télécharger l’application iPhone « Monet », nous avons pu 312 Cf. ANNEXE IV n°11 – A, Dispositif VISITE + à la Cité des Sciences, p.143 313 Cf. ANNEXE IV n°3 - D – Exemples de notices explicatives des bornes bluetooth, p.61-63 314 Les résultats de notre enquête quantitative démontrent que 70% des personnes interrogées n’avaient jamais téléchargé d’application muséale avant celle de « Monet » et que 56% des visiteurs n’avaient jamais auparavant utilisé leur téléphone pour obtenir des renseignements sur des œuvres.
94
observer qu’un certain nombre d’entre eux n’avaient auparavant jamais téléchargé
d’applications iPhone sur leur téléphone. La sortie culturelle a été pour eux l’occasion d’une
découverte technologique.
S’il est intéressant d’observer un phénomène de sensibilisation aux technologies
dans le cadre d’une visite au musée, il faut cependant rappeler que la non maîtrise de l’outil
peut bien évidemment être un frein à son utilisation. Parmi les personnes sondées lors de
notre enquête, 26% des visiteurs possédant un iPhone n’ont pas téléchargé l’application
« Monet » en raison d’un problème matériel ou technique. 33% d’entre eux affirment ne pas
avoir réussi à la télécharger à l’issue d’un ou de plusieurs essais315. Comme nous
l’expliquons dans l’analyse du sondage, ce chiffre peut se justifier par des problèmes de
connexion au wi-fi survenus lors de l’enquête. Il faut cependant nuancer avec les difficultés
rencontrées par les usagers face à la technologie. En effet, lorsque les personnes n’ayant pas
réussi à télécharger disposaient d’un peu temps, nous avons essayé de diagnostiquer avec
elles le problème rencontré. Il s’est avéré dans certains cas, qu’elles n’avaient pas activé la
fonction « wi-fi » de leur téléphone, qu’elles ne connaissaient pas leur mot de passe
iTunes316, qu’elles se trouvaient trop loin des bornes wifi lors des essais de téléchargement
ou encore qu’elles n’attendaient pas le temps indiqué sur la notice pour que l’application se
charge dans sa totalité. Il convient donc de prendre en compte que certaines personnes
possédant un terminal ne maîtrisent pas toujours entièrement toutes ses fonctionnalités. Par
ailleurs, 19% des visiteurs n’ayant pas téléchargé l’application « Monet » pour des raisons
d’ordre matériel et technique estiment d’eux-mêmes ne pas avoir une maîtrise suffisante de
leur iPhone pour effectuer ce type de démarche317.
Outre le fait de posséder le bon terminal et la technologie nécessaire, les visiteurs
doivent donc connaître leur téléphone afin de disposer des informations proposées par le
musée. Bien que des notices explicatives puissent accompagner le visiteur néophyte dans sa
volonté d’utiliser l’application, on peut se demander si le principe de « l’accompagnement à
l’accompagnement » ne viendrait pas « altérer » ou « ralentir » la mise en relation entre outil
de médiation et public ? Si certains visiteurs pourront se réjouir à l’idée de suivre des
indications techniques pour obtenir des informations – un peu à la manière d’un jeu - on
315 Les autres raisons étant d’ordre matériel (oublie de l’iPhone, manque de batterie, pas d’écouteurs…) voir les détails ANNEXES VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.8 316 Un mot de passe est demandé à l’utilisateur lorsqu’il télécharge une application. Ce mot de passe est lié à un compte utilisateur regroupant des informations de paiements notamment. 317 Nous précisons toutefois dans notre analyse du sondage qu’une vigilance est nécessaire à propos de ce chiffre : les personnes réfractaires aux sondages ou pressées par le temps auraient pu en effet affirmer ne pas savoir utiliser leur Smartphone afin de couper court à notre sollicitation.
95
peut supposer que ces notices décourageront probablement d’autres visiteurs. L’obtention
des contenus par ce biais et in situ est alors perçue comme une démarche fastidieuse ou
chronophage. Or l’intuitivité est selon nous primordiale et « un système qui se veut interactif
doit être très rapide pour être bien accueilli318 ».
La non maîtrise de la technologie adoptée par l’institution muséale est pour le
visiteur équipé et néophyte, une opportunité pour apprendre et découvrir de manière plus
approfondie son outil, ou au contraire, un véritable frein à l’utilisation et à l’accès aux
contenus.
c- La visibilité En 1998, Andréa Weltzl-Fairchild et Louis Dubé font la remarque suivante à propos
des outils multimédias dans les lieux d’expositions :
« nous avons relevé qu’un bon tiers d’entre eux (les visiteurs ndlr) n’a pas
utilisé, pendant leur visite, les aides à l’interprétation ; mais ils ne faut pas oublier
que ces aides sont des instruments relativement nouveaux dans la galerie. Peut-être
les visiteurs seront-ils, un jour, plus enclin à s’en servir, à mesure que ces outils
deviendront plus perfectionné et plus simple d’utilisation. De plus, les visiteurs
doivent se rendre compte de l’existence de ces aides pour résoudre leurs dissonances
quelles qu’elles soient. Sans cette conscience, il ne pourra pas y avoir accès avec les
médias d’interprétation319 ».
Cette observation fait ressortir deux éléments intéressants et toujours d’actualité,
bien que prenant d’autres formes à l’heure actuelle. Elle souligne d’une part le caractère
novateur de ces outils, qui expliquerait un taux encore relativement faible d’utilisation, et
d’autre part le manque de prise de conscience de leur existence par les usagers.
Il convient, comme le rappelle les deux auteurs, d’étudier la question de la prise de
conscience des visiteurs par rapport à l’existence de ces outils. Selon nous, cette prise de
conscience peut être liée à la visibilité de ce système, autrement dit à la façon dont les
publics vont accéder à la connaissance de ce dispositif. Car si l’information d’un nouveau
dispositif via le téléphone mobile circule dans les réseaux de recherche et de veilles en
318 BREAKWELL Glynis, « Usages des interactifs au musée : le cas de la galerie de verre au musée Victoria and Albert », in « Publics, Nouvelles technologies et musées », Public & Musées, n°13 op.cit. p.37 319 WELTZL-FAIRCHILD André ; DUBÉ Louis, ibid. p.26
96
nouvelles technologies dans les musées, on peut s’interroger sur la façon dont les publics
amateurs vont quant à eux recevoir l’information ?
Lors de notre enquête, près de la moitié des personnes interrogées possédant un
iPhone n’avaient pas vu l’information relative à l’existence d’une application320. Bien que
des affiches publicitaires avaient été installées, on peut se demander si elles étaient
suffisamment visibles ou encore assez évocatrices. Ces deux critères semblent importants,
notamment pour signaler l’existence d’une application pour Smartphone, qui contrairement
aux bornes Bluetooth ou aux codes QR, ne sont pas des dispositifs matériellement visibles
dans un espace d’exposition. L’exemple le plus intéressant et le plus original en matière de
diffusion est pour nous celui de la Pinacothèque de Paris et du musée Jacquemart-André.
Les deux institutions ayant intégré à leurs affiches promotionnelles d’exposition
l’information d’une offre d’application pour mobile321.
Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un dispositif est visible qu’il est systématiquement
identifié et donc « pris en compte » par les usagers potentiels. Un code QR pourra ainsi
laisser indifférent certains visiteurs, qui pourtant sont peut-être, et parfois sans le savoir,
équipés pour les lire. En témoigne la campagne d’affiches pour le festival des jardins,
indiquant près du code QR de l’affiche un message humoristique précisant qu’il ne s’agit
pas « d’un arbre généalogique », ni « d’un plan pour un passage secret dans le jardin »
etc.322. Cette communication tourne en dérision la méconnaissance et les interrogations
suscitées à la vue d’un code QR.
Pour résumer, les dispositifs mobiles dans un contexte muséal suggèrent que le
visiteur sache identifier la technologie, soit conscient de son existence, maîtrise son usage, et
soit doté de l’équipement nécessaire pour s’approprier les contenus proposés par
l’institution. Si les quatre conditions ne sont pas réunies, cela implique différentes mises en
œuvre de la part des institutions. Tout d’abord, le prêt de terminaux (téléphones ou
audioguides) ; la « formation » du visiteur, par la mise à disposition de notices explicatives,
et enfin, une certaine visibilité pour que les visiteurs prennent véritablement « conscience »
de l’existence de ces outils. Ces dispositions permettent à l’institution de ne pas « exclure »
certains visiteurs ou encore de ne pas poser de freins à son utilisation.
320 Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.7 321 Cf. ANNEXE IV n°4-H, exemples de diffusion et de communication d’application iPhone (musée Jacquemart-André et Pinacothèque de Paris), p.76 322 Cf. ANNEXE IV n°5-B5 – affiches festival international des jardins 2011 p.82
97
d- Finalités des usages Si l’on a vu tout au long de notre analyse les riches potentialités du mobile comme
outil de médiation et de communication, quelques nuances quant à la finalité des usages
peuvent tout de même être exposées ici.
Nous pourrions partager les interrogations d’Agnès Vigué-Camus, lors de sa
réflexion sur les usages des écrans multimédias et des CR-roms de musées :
« Si l’on s’interroge en terme de finalité des usages, comme le font Jean
Davallon, Hana Gottesdiener et Jöelle Le Marec, on constate que ces utilisateurs ne
sont pas engagés dans un projet culturel ou documentaire stricto sensu pour lequel
ils auraient recours à un outil maîtrisé, mais qu’ils tâtonnent autour du multimédia.
On peut donc parler avec ces auteurs de pratique en cours d’élaboration, en
construction.323 »
Pourrait-on également qualifier les dispositifs d’aide à la visite sur téléphone mobile
de « pratique en cours d’élaboration » ? Dans le sens où l’obtention d’un contenu muséal
sur le mobile du visiteur est une offre relativement récente, la réponse tend à être positive.
En effet, comme nous l’avons dit, la visite au musée peut confronter le visiteur à des
découvertes en matière de nouvelles technologies. Dans ce contexte, ne serait-il pas en
situation d’expérimentation, de tests et donc de « tâtonnement » de l’outil à travers les
contenus ? L’expérimentation auprès des publics est d’ailleurs généralement l’enjeu de ces
dispositifs souvent éphémères324 et on peut supposer que certains visiteurs « survoleront » le
dispositif « pour tester », sans véritablement avoir recours à son utilisation globale. L’usage
« par curiosité » semble assez fréquent325.
La réponse dépend également du dispositif envisagé. Une application Smartphone
intégrant des commentaires audio rappellera sans doute aux utilisateurs le principe de
l’audioguide et suscitera sûrement moins de « tâtonnement » qu’un dispositif basé sur le la
réalité augmentée. Une réflexion plus approfondie des usages mériterait d’être effectuée afin
de mettre en exergue les différences d’appropriation de ces technologies par les visiteurs de
musée.
323 VIGUÉ-CAMUS Agnès, ibid. p.47 324 Par exemple le projet PLUG aux musées des Arts et Métiers, le dispositif SMARTMUSE au Centre Georges Pompidou sont des expérimentations menées dans le cadre de partenariats avec des entreprises. 325 10% des personnes interrogées pour notre enquête au Grand Palais ont indiqué avoir avant tout téléchargé l’application « Monet » « par curiosité » Cf. ANNEXE VI, évaluation de l’application iPhone « Monet », Galeries Nationales du Grand Palais (RMN), février 2011, p.18
98
Quoi qu’il en soit, on peut se demander si le caractère « innovant » des outils ne
participerait pas à leur attraction pour la technologie en soi et non pour les contenus. Ainsi,
lors de nos observations au Studio 13/16, plusieurs adultes testaient le dispositif RFID. Ils
posaient le téléphone sur le cartel spécifique, observaient l’effet produit, puis passaient
rapidement à un autre cartel, souvent sans prendre le temps de regarder entièrement la vidéo
déclenchée par leur action.
Nous pourrions dès lors mettre en provocation notre sujet afin de nous interroger sur
l’effet « gadget » que ces dispositifs produiraient dans certains cas. Si ces derniers sont
attrayants par leur aspect innovant, ils affichent dans le même temps « la modernité de
l’institution326 », parfois sans aller au delà et sans exploiter le caractère personnel et
communicationnel propre au téléphone mobile. Dans cette perspective, le développement
d’une application muséale est-il toujours pertinent et surtout est-il uniquement destiné à
favoriser l’accompagnement des publics ? On pourrait se poser la question et se demander
dans quelle mesure certaines institutions n’entreraient-elles pas dans une « course à
l’innovation », qui consisterait à être une des premières à mettre en place tel ou tel type de
technologie ? Il semblerait que l’image de l’institution soit en jeu à travers ces dispositifs.
Ces derniers pourraient « dépoussiérer » l’image du musée en lui conférant un caractère
attrayant, moderne, décomplexé et en phase avec les usages et la société.
Nous avons axé notre analyse sur le processus de médiation et sur les publics.
Précisons avant de conclure que les dispositifs de médiation par le biais du téléphone ne sont
pas sans enjeux et sans limites pour les institutions muséales et sur les entreprises qui
développent ces outils. De ces deux entités peuvent naître des relations parfois singulières -
de partenariats ou de délégations. Les rapports qui se nouent entre institutions publiques et
privées dans le cadre de la conception de projets de médiation numérique, ainsi que leurs
enjeux et freins – communicationnels, financiers, administratifs - pourraient faire l’objet de
notre prochaine recherche.
326 BERTRAND Mariève, « Les technologies au musée : volonté d’afficher une modernité… déjà dépassée ? » Université Catholique de Louvain, 2010
99
CONCLUSION
Avec les évolutions technologiques du secteur de la téléphonie mobile,
l’incompatibilité supposée entre la visite au musée et l’utilisation du téléphone est en phase
d’être révolue. Les institutions muséales se saisissent peu à peu de ces produits pour donner
naissance, comme on l’a vu, à des projets et expérimentations des plus variés.
Au terme de notre recherche, il apparaît que le téléphone est un outil complexe à
étudier, car de plus en plus hybride, ce qui semble lui conférer une certaine forme
d’imperceptibilité et commence à poser des difficultés aux personnels d’accueil et de
surveillance des musées. Comment, en effet, distinguer une personne qui photographie avec
son téléphone alors que la pratique est interdite, d’un visiteur qui envoie un SMS, effectue
une recherche ou utilise l’application Smartphone du musée ?
Mais les aspects protéiformes et insaisissables du téléphone constituent aussi sa
force : il offre une ouverture sur de multiples possibles et répond, dans le contexte de notre
étude, à la fois à la logique du musée « temple » et du musée « forum ». Plus qu’un outil de
médiation, le mobile est donc très souvent un outil de « multi-médiation », permettant un
enrichissement personnel et/ou un accompagnement à la visite, que ce soit par le biais d’une
technologie et d’un usage proposé par l’institution ou par une pratique autonome, affranchie
des instances du musée, que nous avons nommé « usage amateur ». Outil de communication
par excellence, le téléphone devient générateur ou support d’interactions entre les
visiteurs/utilisateurs et l’institution, qui favorise une plus grande proximité avec ses publics.
En terme prospectif, des études révèlent qu’une augmentation du taux de pénétration
des Smartphones est à prévoir en France dans les deux à trois prochaines années327. Les
dispositifs de médiation via le mobile seront donc sans doute amenés à évoluer parmi l’offre
muséale. Le déploiement de ces produits vers un plus large panel de Smartphones pourrait
être une évolution envisageable en termes d’accessibilité. Nous pouvons dès lors nous
interroger quant à la forme « expérimentale » et « éphémère » que revêtent généralement les
projets sur terminaux mobiles. L’accroissement du nombre de Smartphones conduira peut-
être à proposer des produits davantage pérennes ? La question reste ouverte car le
développement des technologies et des usages est si rapide que les institutions muséales sont 327 Un français sur quatre serait un « mobinaute » en 2014 selon l’étude de la société Price Waterhouse Coopers http://www.pwc.fr/plus-daun-francais-sur-quatre-sur-lainternet-mobile-en-2014-11e-enquete-mondiale-sur-laindustrie-des-loisirs-et-des-medias.html, juin 2010
100
et seront forcées, si elles souhaitent être en phase avec les usages de leurs visiteurs, à être
extrêmement réactives. Cependant, est-il pertinent pour un musée de se lancer dans une
« course à l’innovation », si les produits proposés par l’institution ne sont pas intuitifs ou
réellement en phase avec les finalités d’usage des publics ? Quels sont les motivations et les
enjeux d’un déploiement de tels dispositifs pour les musées et pour les entreprises qui les
développent ?
Si nous pensons que l’utilisation du téléphone mobile en contexte muséal dispose
d’un avenir certain et concourent à l’attractivité de nouveaux publics, il convient cependant
de garder à l’esprit que ces projets résultent d’un cahier des charges préalable, soumis à un
contexte financier et à la collaboration de l’institution muséale avec une entreprise privée.
Dès lors comment concilier cohérence de la politique culturelle et utilisation de ces
nouveaux outils, tout en respectant une ligne budgétaire définie et des partenariats
préexistants ? Après avoir étudié le lien des institutions aux publics et à la médiation par le
biais de ce média, nous explorerons lors de notre prochaine recherche, les relations
naissantes entre institutions et entreprises privées dans le cadre de la conception de projets
numériques.
101
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