Le Talisman de Nergal, tome 4 : La Clé de · PDF fileADIEUX À ÉRIDOU...

- Lafon - talisman de Nergal tome 4 - 140 x 200 - 18/11/2011 - 10 : 25 - page 3

HERVÉ GAGNON

TOME 4

LA CLÉ DE SATAN


Déjà parus :

Le Talisman de Nergal, tome 1L’Élu de Babylone

Le Talisman de Nergal, tome 2Le Trésor de Salomon

Le Talisman de Nergal, tome 3Le Secret de la Vierge

À paraître :

Le Talisman de Nergal, tome 5La Cité d’Ishtar

© Éditions Hurtubise HMH Ltée, 2009

© Michel Lafon Publishing, 2011,pour tous les pays francophones à l’exception du Canada,

7-13, boulevard Paul-Émile-Victor – Île de la Jatte92521 Neuilly-sur-Seine Cedex

www.michel-lafon.com


HERVÉ GAGNON

Hervé Gagnon a deux passions, l’Histoire etl’écriture. Ses activités professionnelles d’historienet de muséologue l’ont amené à explorer despériodes et des thèmes variés. En parallèle, il se plaîtdepuis longtemps à arpenter les recoins ignorés dupassé, à la recherche des aspects ésotériques auxquelsl’Histoire « officielle » s’intéresse peu. Avec LeTalisman de Nergal, il s’est permis de créer un lienocculte entre les époques et de donner aux événe-ments connus un tout autre sens.

Pour en savoir plus, visitez le sitewww.talismandenergal.com


Londres en 1824


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ADIEUX À ÉRIDOU

Éridou, en l’an 3612 avant notre ère

L a porte du temple du Temps venait de se refer-mer sur Éridou, et les six personnes qui avaient

pénétré dans ce lieu mystérieux ne reverraientjamais la ville où elles étaient nées. Naska-ât, levieux prêtre d’Ishtar, était malade et sentait sa mortproche.

Dans quelque temps, il descendrait pour l’éter-nité dans le royaume d’En-Bas. Mais il était serein,car au bout du compte, sa vie avait eu un sens.

Lorsqu’il avait été jeune homme, on lui avaitconfié une mission sacrée, et grâce à l’infinie bontéd’Ishtar, il était parvenu in extremis à la mener àbien. Ashurat, le plus jeune de ses fidèles, avaitinfiltré les adeptes du culte de Nergal au péril desa vie, et était parvenu à voler le talisman mauditdont ceux-là cherchaient à faire usage. Ainsi, grâce

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à son courage, il avait fait obstacle à l’instaurationdu Nouvel Ordre. Maintenant, comme on le luiavait enseigné, Naska-ât devait briser cet objet.

Entouré de ses disciples, le vieillard soupira dou-loureusement. En dépit de sa faiblesse, il admiraencore un court instant l’endroit où il avait réuniles mages d’Ishtar. Ce temple leur avait été léguépar les Anciens, pour les aider à disposer du talis-man s’il refaisait surface.

Au centre de la pièce parfaitement circulaire étaitérigé un modeste autel en bois, encadré de deuxmagnifiques colonnes de pierre portant chacuneune représentation sculptée d’Ishtar. Les murs debrique cuite étaient recouverts d’un glacis blanc surlequel dansaient les flammes des torches éternelles.Le sol dallé de marbre noir et blanc symbolisait lesténèbres et la lumière, le bien et le mal qui régissenttoute existence humaine. Six portes massives en boisjalonnaient le tour de la pièce. Une coupole bleuesemblable au firmament nocturne, ornée d’unegrande étoile entourée de cinq plus petites, coiffaitle temple.

Au cœur de cet endroit sacré, fruit des connais-sances des Anciens depuis longtemps tombées dansl’oubli, le mage et ses disciples se tenaient hors dutemps.

Si son maître lui en avait révélé l’existence,Naska-ât lui-même n’y était encore jamais entré, et

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ses disciples encore moins. La mort approchant àgrands pas, il n’avait pas cru qu’il y viendrait unjour. Mais voilà longtemps qu’on lui avait apprisce qu’il devrait peut-être y faire, et il y était conve-nablement préparé. Il s’apprêtait à accomplirl’ultime devoir pour lequel il avait solennellementprêté serment alors qu’il n’était encore qu’un simpleapprenti. Il posa le talisman de Nergal sur l’autel,releva la tête et observa avec affection chacun deses cinq compagnons. Ashurat, Mour-ît, Nosh-kem,Abidda et Hiram. Il était reconnaissant à Ishtar del’avoir si bien inspiré dans le choix de ses disciples.Malgré leur jeunesse, ils étaient tous justes et droits.Bien entendu, ils avaient chacun leurs faiblesses,mais qui n’en avait pas ? Il avait repoussé jusqu’àl’extrême limite le moment de choisir celui quiserait après lui mage d’Ishtar. Ils méritaient tous cethonneur et cette décision lui avait coûté bien dusommeil. Et voilà que le cours des événements l’endispensait : c’était ensemble qu’ils porteraient le far-deau de la mission sacrée, si importante que le sortdu monde en dépendait. S’ils échouaient, les kanseraient effacés et l’avenir cesserait d’être. Le NouvelOrdre qui le remplacerait signifierait l’esclavage del’humanité tout entière et le pillage de la Terrejusqu’à l’épuisement de ses ressources, et ce, sousla gouverne de Nergal lui-même.

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Cela ne devait pas arriver, et chacun des disciplesétait disposé à sacrifier sa vie pour l’empêcher.Naska-ât ferma les yeux et adressa une supplique àIshtar. Puis il inspira, se racla la gorge et entretintses disciples pour la dernière fois.

– Le temps est venu de consentir l’ultime sacri-fice qu’exige notre tâche, déclara-t-il d’une voix che-vrotante et solennelle. La grande Ishtar a voulu quece soit entre nos mains indignes que se retrouve letalisman de Nergal. J’aurais souhaité être le seul àpayer le prix terrible qui sera exigé de vous. Mal-heureusement, je suis vieux et la mort m’appelle.

Naska-ât s’arrêta un instant pour reprendre sonsouffle. De ses mains rendues hésitantes et malha-biles par l’âge et la maladie, il démonta l’objet mau-dit.

– Le talisman de Nergal ne doit plus jamais êtreassemblé, dit-il, haletant, tout en s’affairant. Lesecret de sa construction, qui m’a été légué par monmaître, disparaîtra avec moi. Ainsi, aucun de vousni aucun de vos successeurs ne pourra jamais lereconstituer si le mal venait à le séduire un jour.Seuls les adorateurs de Nergal sauront encore lefaire, mais pour cela, ils devront d’abord en rassem-bler les fragments, et leur tâche sera ardue. Avantqu’ils n’y parviennent, si Ishtar le veut, la prophétiedes Anciens se réalisera et un jour un élu viendra.

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Lui seul sera capable de le détruire une fois pourtoutes.

Lorsque l’opération fut terminée, les cinq dis-ciples se groupèrent autour de leur maître, l’airgrave, la main gauche tendue vers lui, et attendirent.

– Par la volonté des Anciens, je confie à chacunde vous une partie du mal, déclara Naska-ât d’unevoix tremblante. Il posa un fragment dans la paumede main ouverte de chacun de ses disciples, qu’ilreferma solennellement sur l’objet. Aussitôt, chacund’eux ressentit une étrange faiblesse.

– Montrez-vous dignes de cette tâche et rendezgrâce à Ishtar de n’être que de faibles humains,reprit-il. Alors que vous ne voyez qu’un morceaude métal, celui qui vous succédera y trouvera le malet en ressentira douloureusement le pouvoir.

Après avoir soigneusement rangé le fragment dansune petite bourse de cuir attachée à leur taille, lescinq disciples tendirent la main droite. Le mage sor-tit de sa tunique cinq bagues identiques en or, danslesquelles étaient serties des pierres noires qui nereflétaient pas la lumière des torches. Il les leur dis-tribua. Chacun passa la sienne à son majeur.

Appuyé contre l’autel, les jambes flageolantes,leprêtre d’Ishtar poursuivit :

– Dans leur infinie sagesse, les Anciens nous ontlégué ce temple. Grâce à la bague des mages d’Ishtarque vous portez maintenant, chacune de ces portes

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vous transportera dans un autre kan déterminé àl’avance. Là, vous veillerez sur le fragment qui vientde vous être confié et le défendrez au prix de votrevie. Vous ne devrez jamais vous revoir, à moins quel’Élu annoncé par les Anciens ne se manifeste,auquel cas celui qui l’aura trouvé devra en avertirles autres mages dans ce temple, hors des kan et àl’abri de tous, et nulle part ailleurs. Sous aucunprétexte vous ne devrez révéler aux autres le kandans lequel vous vous trouverez. Demeurez vigi-lants. Veillez à ce qu’un disciple, initié selon lesrites immémoriaux, soit prêt à vous succéder et àpoursuivre la mission sacrée des mages d’Ishtar,jusqu’à ce que l’Élu se révèle et détruise à jamais letalisman. Et si Ishtar vous accorde la grâce deconnaître l’Élu, venez-lui en aide au moyen detoutes les ressources dont vous disposerez. S’il lefaut, sacrifiez votre vie pour lui. Naska-ât fit unepause et les fixa un à un. L’atmosphère était lourdeet chargée d’émotion. Aucun des disciples n’osaitfaire le moindre bruit.

– Maintenant, jurez par Ishtar que vous respec-terez ces directives, ordonna-t-il.

Les disciples s’agenouillèrent tour à tour devantlui, placèrent leurs mains dans les siennes, le regar-dèrent dans les yeux et prononcèrent un sermentsolennel au contenu si terrible qu’il leur glaça lesang. Ashurat fut le dernier à s’exécuter.

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– Moi, Ashurat, déclama-t-il, par la volontéd’Ishtar et sur cette bague léguée par les Anciens,je promets et je jure que toujours je protégerail’objet qui m’est confié et que je garderai l’ultimesecret du talisman de Nergal. Je m’engage à y consa-crer mes talents, mon intelligence et ma vie, et nereculerai pas même devant la mort pour accomplirma tâche. Je m’engage de plus à former un disciplequi me succédera si le besoin s’en fait sentir, et àlui enseigner à en faire autant, et cela jusqu’à la findes temps s’il le faut. Je m’engage aussi à venir enaide à l’Élu d’Ishtar s’il se présente à moi. Si jevenais à manquer à ces devoirs, que l’on m’ouvrela gorge d’une oreille à l’autre, que l’on m’éviscèreet que l’on jette mes entrailles sur le sol pour ennourrir les bêtes sauvages. Silim-Ma Ishtar1.

Naska-ât hocha la tête, le cœur gonflé à la foisd’une infinie tristesse et d’une fierté émue. Unelarme s’échappa de son œil et coula lentement sursa joue, empruntant les sillons que les années yavaient tracés pour aller se perdre dans sa barbeblanche.

– Allez ! dit-il d’une voix tremblante d’émotion.Qu’Ishtar veille sur vous et sur vos successeurs.Adieu, mes enfants !

1. En sumérien, « Gloire à Ishtar ! ».

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À l’unisson, les cinq mages d’Ishtar se relevèrentet inclinèrent respectueusement la tête. Ils allaientbientôt quitter à jamais le kan dans lequel ils avaientvu le jour. Ils étaient presque paralysés par la peur,mais ils devaient obéir à leur maître. Ils contour-nèrent l’autel et s’étreignirent les uns les autres pourla dernière fois. La gorge nouée, personne ne trouvade mots pour saluer ses compagnons. Lentement,chacun prit position devant une porte et tendit sabague. Les pierres s’illuminèrent et un symbole seforma, aveuglant de brillance, sur chaque panneau :un pentagramme devant Ashurat, deux trianglesentrelacés devant Hiram, deux triangles super-posés devant Abidda, une équerre et un compas

devant Mour-ît et deux pointes de flèches l’unepar-dessus l’autre devant Nosh-kem. À l’unisson,les mages franchirent les portes du Temps, chacunvers un kan différent, et les refermèrent définitive-ment derrière eux.

Seul dans le temple vide, Naska-ât s’abandonnaà la faiblesse qu’il ressentait. Le visage recouvert desueur, il toussa, cracha une glaire remplie de fila-ments de sang et attendit un peu que le souffle luirevienne. Il tendit alors sa propre bague. Un pen-tagramme inversé se matérialisa sur la sixièmeporte. Le symbole du mal. L’entrée menait au kand’Éridou, d’où ils étaient tous venus pour maîtriserle mal. Mais pour le mage des mages, cette porte

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s’ouvrait aussi sur d’autres kan. C’est dans l’und’eux qu’il mourrait, après avoir mené à bien lamission qu’il devait exécuter seul, loin de chez lui,comme ceux qu’il venait de voir partir. Ensuite, ilamorcerait sa descente vers le royaume d’En-Bas.


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LE GUERRIER

Londres, en l’an de Dieu 1809

L a ruelle était comme toutes les autres, sombre,nauséabonde et sale. La brique des édifices qui

la bordaient était noircie par la suie de la fumée desusines et des nombreux poêles au charbon quiréchauffaient les Londoniens.

Le long d’un mur, à moitié couché dans uneflaque d’eau de pluie, un clochard cuvait le gin qu’ilavait consommé en quantité pendant une bonnepartie de la nuit. L’odeur d’alcool qui montait deses vêtements crasseux empestait l’air et n’avaitd’égal que celle, rance, de son corps qui n’avait pasété lavé depuis des semaines, et que celle, acide, desvomissures qu’il avait expulsées sur le sol sans mêmese réveiller.

Un chien maigrelet s’approcha en silence de l’ivro-gne et renifla les déchets d’humains avec intérêt. Il

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se préparait à les lécher, lorsqu’il leva brusquementla tête et dressa les oreilles, aux aguets. L’animal émitun gémissement piteux et, abandonnant du coupson banquet imprévu, s’enfuit à toute vitesse.

Une étrange lueur illumina la brume froide del’aube, lui donnant une apparence opaque presquesolide qui éclairait la venelle comme en plein jour.Dérangé dans son sommeil, pourtant de plomb,l’ivrogne remua en marmonnant, gratta sa barbe deplusieurs jours, trouva à tâtons la bouteille de ginvide qui traînait près de lui et tenta sans succès d’entirer une dernière goulée. Frustré dans son effort, illa lança sans même ouvrir les yeux contre le murde brique, maugréant à l’adresse d’un interlocuteurimaginaire qu’il fallait éteindre tout de suite cettefichue lampe, sinon… Puis il se retourna contre lemur, se recroquevilla et sombra dans un sommeilproche du coma, sans égard pour les éclats de verrequi parsemaient le sol. Bientôt, ses ronflementstonitruants se firent profonds et réguliers.

La rue redevint sombre. Au loin, on pouvaitentendre les voix lasses d’ouvriers qui se rendaient àpied vers une nouvelle journée de travail longue etépuisante. Un craquement brisa le silence, seccomme un coup de fouet et puissant comme uncanon. Le clochard émergea à nouveau et se redressa,se demandant qui était l’ abruti qui s’amusait à tirer

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au pistolet si près de lui. Il n’avait pas encoreretrouvé ses sens qu’un violent tourbillon de ventl’enveloppa, faisant virevolter les déchets qui s’amon-celaient dans la ruelle. Aveuglé par la poussière, ilse couvrit le visage de sa manche. Puis le ventretomba et les déchets se reposèrent un à un sur lesol de terre battue. Un calme presque surnaturelenvahit la ruelle.

Toussant comme s’il souffrait de consomption,le clochard hébété recouvrit un peu ses espritset tenta sans succès de comprendre ce qui venaitde se passer. C’est à ce moment qu’il vit la porte.Craignant une autre hallucination causée parl’alcool, de celles qui l’affectaient de plus en plusfréquemment, l’ivrogne se frotta les yeux, puisregarda encore.

Aucun doute, elle était bien là. Une porte en boismassif, en apparence parfaitement anodine, sinonqu’elle flottait dans le vide à quelques pouces dusol, à égale distance entre les édifices qui bordaientla ruelle.

Pendant de longues minutes, l’impossible appa-rition resta fermée. Le clochard, pétrifié, ne s’aper-çut même pas que sa vessie s’était vidée et qu’uneurine chaude à l’odeur puissante imbibait son pan-talon. Le visage pâle, les lèvres tremblantes, il sepressa le dos contre le mur. Un grincement sinistrerompit finalement le silence.

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La porte s’entrouvrit et une faible lueur s’échappapar l’embrasure. L’ivrogne écarquilla les yeux, uncouinement de terreur s’échappant de ses lèvres.Une tête se dessina dans la porte entrouverte.L’apparition regarda d’abord à droite, puis devantet enfin derrière la porte, qui s’ouvrit complète-ment. La silhouette d’un homme se détacha et ensortit. Le nouveau venu resta planté là, le regardperdu, le corps vacillant. Il sembla pris d’un étour-dissement et tomba à genoux, s’appuyant sur unemain et se frottant le visage de l’autre. Sa respirationprofonde et sonore trahissait la force qui l’habitait.Désormais certain que cette porte s’ouvrait toutdroit sur l’enfer, l’ivrogne tapi dans l’ombre mit sonpoing fermé entre ses dents et mordit aussi fort qu’ille pouvait pour étouffer un cri qui l’aurait fait repé-rer. L’étranger se releva lentement, semblant testerla capacité de ses jambes à le porter.

Dans la pénombre il se tenait au milieu de laruelle. Ses cheveux longs et bouclés tombaient avecgrâce sur ses épaules. La barbe touffue qui couvraitle bas de son visage lui donnait un air féroce querenforçait le regard intense de ses yeux sombres. Lesépaules larges et musclées, les jambes massives, leventre plat, les bras puissants, il paraissait avoir étésculpté dans un bloc de granit. Il portait pour toutvêtement un pagne et des sandales lacées autour deses mollets saillants. Au côté gauche de sa ceinture

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était suspendu un fourreau d’où dépassait la poi-gnée d’une courte épée.

De l’autre côté était passée une petite pochettede cuir fermée par une cordelette. Sur le molletdroit, dans un étui attaché par deux lacets, se trou-vait un poignard. Ses poignets, étaient cerclésd’épais bracelets d’un métal jaune serti de pierresrouges et vertes, scintillait joliment dans la faiblelumière du jour naissant. La tête inclinée versl’avant, le corps tendu tel un prédateur, l’hommeétait visiblement aux aguets. Il tendait l’oreille enscrutant la pénombre, attentif à la plus petitemenace. Sa main droite ouverte était prête à saisirson arme à la moindre alerte.

Il inspira profondément et grimaça de dégoût àl’odeur qui régnait dans la ruelle. Apparemmentrassuré, il referma la porte sans se retourner, d’uncoup de talon. Aussitôt, elle se volatilisa.

Le clochard avait presque toujours été pauvre.Voilà longtemps, il avait gagné honnêtement sa vieen travaillant dans les manufactures. Mais enbuvant pour plus d’argent qu’il n’en recevait, il avaitfini par être réduit à la mendicité. Quelques bien-pensants lui donnaient de quoi s’acheter son gin dela journée. C’était peu, mais il s’en contentait. Àpart l’alcool, il n’avait besoin de rien. De la nour-riture, il en traînait toujours quelque part. Il étaitpeut-être sans le sou, mais il savait reconnaître de

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l’or et des pierres précieuses. Et les bracelets de cethomme étrange n’étaient qu’or et joyaux, il en étaitcertain. Avec une seule de ces parures, l’ivrognepourrait passer le reste de sa vie à boire tout sonsoûl sans jamais manquer d’argent. La cupiditél’emporta sur la prudence.

Discrètement, le clochard ramassa un gros mor-ceau de verre qui s’était retrouvé près de lui aprèsqu’il eut fracassé sa bouteille et en testa le tranchantde son pouce. Cela suffirait amplement pour ouvrirla gorge de l’homme, songea-t-il. Ensuite, il verraitbien comment lui retirer ses bracelets. S’il le fallait,il lui couperait les mains.

Sans attendre, il empoigna fermement son tessonde verre, se leva d’un bond et fonça vers l’étrangerqui venait d’apparaître près de lui. Toute son atten-tion s’étant portée sur la distance qu’il avait à fran-chir, il ne vit pas sa victime désignée se raidirimperceptiblement.

Tout se passa très vite. L’homme se déplaça avecl’agilité d’un fauve, et au lieu de lui couper la gorge,le tesson de verre ne lui ouvrit que la peau del’épaule. Il grogna, autant par contrariété qu’à causede la douleur, saisit le poignet de son assaillant, luitordit douloureusement le bras jusqu’à ce qu’il laissetomber son arme improvisée, puis le repoussa.Presque du même geste, il dégaina son épée etfrappa. En un infinitésimal instant, l’ivrogne

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entendit la lame siffler dans l’air et la vit décrire unarc de cercle devant lui. Des éclaboussures écarlatesexplosèrent dans toutes les directions.

Le clochard s’effondra sur le sol et vit son corpsqui tombait un peu plus loin. Il n’avait pas mal. Ileut tout juste le temps de constater, perplexe, qu’ilne respirait plus, avant que ses yeux ne se refermentau milieu de sa tête tranchée.

*

Noshkem, mage d’Ishtar, avait examiné sa bles-sure et l’avait jugée superficielle. Déjà elle ne sai-gnait presque plus. Il la soignerait plus tard. Pourle moment, il ne devait pas rester là. Il traîna lecorps maintenant nu de son agresseur vers un coinsombre, puis y ramena la tête. Il recouvrit le toutde détritus ramassés çà et là. Malgré son jeune âge,il avait beaucoup tué, la mort ne l’impressionnaitpas. Il avait une mission, et si elle exigeait qu’il tuepour l’accomplir, il le ferait sans hésiter.

Il n’avait pas pu endosser la chemise maculée desang, mais les autres vêtements lui allaient. Le pan-talon encore humide empestait l’urine, mais cachaitbien l’étui sur son mollet droit, dans lequel se trou-vait toujours son poignard. Quant à son épée, elle

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était trop visible et il avait choisi de l’abandonnerparmi les ordures.

Les chaussures de cuir étroites étaient terrible-ment inconfortables et limitaient ses mouvements,mais si tout le monde en portait, il devait le fairelui aussi, pour passer inaperçu. Quant à l’odeur desvêtements, il s’en accommoderait jusqu’à ce qu’ilpuisse en trouver d’autres. Avant de sortir de lavenelle pour s’engager dans la rue, il s’assura que lemanteau du clochard recouvrait bien ses bracelets.

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