Le saut en bourse des puces à protéines

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Cardion Tel est le nom de la nouvelle societe biophar- maceutique nCe a Erkrath (Allemagne) de la fusion de Cardiogene, une spin-off de I’universite de Dgssedorf cr66e en 1996, et de Intracardia, une start-up americaine fondle en 1999. MorphoSys La societe de decouverte de medicaments (Mar- tinsried, Allemagne) a annonce une augmenta- tion de 230 % de ses revenus sur les 9 pre- miers mois de I’annbe 2000, compares a la meme pdriode de 1999. Elle chercherait a acque- rir une compagnie americaine susceptible d’accroitre son reservoir de produits. Signe des temps, ce serait encore une societe allemande qui consoliderait sa position, aux dopens dune entreprise d’outre- Atlantique. PROFIL Le saut en bourse des puces i prothines A pres un debut d’annee record, une chute brutale au printemps et un sursaut estival, l’indice du Nasdaq - le marche phare des nouvelles tech- nologies - a atteint le niveau le plus bas de l’annee a la mi-octobre. C’est dam ce contexte de tres forte ccvo- latilite )) que la societi Ciphergen Bio- systems (Fremont, Californie), pion- niere de la commercialisation des puces a proteines, en 1998, a choisi d’effectuer son entree en bourse, le 28 septembre dernier. Une IPO (ini- tial public offering) neanmoins par- faitement negociee : la tote, propo- see a 16 dollars, a atteint 35 dollars dans la journee, pour se stabiliser au double de sa valeur initiale. Ciphergen s’est fixe pour objectif de devenir le meneur de I’instrumenta- tion en proteomique, l’analyse de I’ensemble des proteines synthetisees a partir du genome, ou proteome. Centree sur I’analyse globale du pro- teome d’un type cellulaire don& la proteomique s’etend actuellement a I’etude des fonctions et interactions des proteines (interaction proteine- proteine, proteine-acide nucleique) afin, en particulier, d’identifier de nouvelles cibles therapeutiques potentielles. Uelectrophorese bidi- mensionnelle reste I’outil central de cette discipline (voir Biofutur [1999] 192, le Technoscoee), mais elle necessite une longue Ctape de purifi- cation des Cchantillons avant analyse et ne s’est guere prOtee jusqu’ici i I’automatisation indispensable a la protiomique - la socitte Large Scale Biology Corporation (LSBC, Rock- ville, Maryland) developpe aujour- d’hui un systeme automatist. C’est done une alternative a I’electrophore- se 2D que propose Ciphergen. La societe s’appuie sur un systeme de detection reposant sur la spectrome- trie de masse, le SELDIrM (Surface Enhanced Laser Desorption/ Les puces de Ciphergen peuvent 6tre utik&es, par exemple, pour Btablir des profils de variation du peptide P-amylo’ide dans la maladie d’Alzheimer. Ionisation), _ une invention realisee a la fin des annees 1980 par T. William Hutchens et Tai- Tung Yip, alors au Baylor College of Medicine (Houston, Texas), et dont le brevet a ete depose en 1995. En 1997- 1998, Ciphergen (ou T.T. Yip tra- vaille desormais) en a obtenu les droits exclusifs de com- mercialisation. Sa puce a prottines se presente comme (ProteinChip@) une barrette en aluminium, dont la surface est traitte de facon a pouvoir 16 BIOFIJTUR 206 l Dkembre2000 capturer les prottines presentes dans l’echantillon. Les supports dispo- nibles actuellement reposent sur des reactions chimiques utilisant les mimes principes que la chromato- graphie (echangeurs d’ions, residus hydrophobes ou hydrophiles...). L’utilisateur, selon ses besoins, peut Cgalement fixer h la surface de la puce des ligands biologiques (anti- corps, recepteurs). L’tchantillon bio- logique est depose sans traitement prealable ; puis, apres un lavage app- roprie, la barrette est introduite dans le lecteur SELDI. Le balayage de la puce avec un faisceau laser permet de decrocher et d’ioniser les protiines capturees, fournissant un inventaire des masses molaires des proteines cellulaires et la determination de leur abondance relative. l Un systhme polyvalent Compare a I’tlectrophorese bidimen- sionnelle, ce systeme offre une rapidi- ti d’analyse (quelques minutes, contre plusieurs heures) et une sensi- bilite accrue, de I’ordre de la femto- mole (lo-“). Polyvalent, il s’applique H differents types d’analyse de pro- teines : recherche de marqueurs de maladies, purification, caracterisation structurale, determination des pro- prietes fonctionnelles et des interac- tions. L’atout des puces a proteines reside done dans leur capacitt a repondre aux differentes attentes actuelles de la proteomique. Cepen- dant, selon Mary Lopez, vice-presi- dente de la R&D chez Genomics Solutions (Ann Arbor, Michigan), citee dans un article de Signalsmag.com, le changement de conformation possible des proteines induit par leur fixation sur un sup- port sohde pourrait limiter la portee de cette technique pour l’analyse fonctionnelle. CrCCe en decembre 1993, fondee, presidte et dirigee par William E. Rich, docteur en chimie, Cipher- gen s’est d’abord appuye sur des capital-risqueurs, tels que S.R. One ou Atlas Venture, reunissant 34,9 millions de dollars en cinq tours de table. Puis, comme toutes les societes de haute technologie, elle a du faire face i de lourds investissements en R&D, avant de pouvoir commercia- liser ses produits, en 1998. En six ans, les pertes cumulees atteignent plus de 30 millions de dollars, pour un chiffre d’affaires (CA) de 10 mil- lions. Uentree de Ciphergen sur le Nasdaq et la mise sur le marcht de plus de 6 millions d’actions, lui apportent done un Cnorme bol d’air : la societe peut desormais compter sur un bas de laine de plus de 100 millions de dollars. Quels sont les clients de Ciphergen ? I1 s’agit de plusieurs centres de recherches americains et britanniques (une trentaine de laboratoires des National Institutes for Health, l’Insti- tute of Cancer Research de I’universi- tC de Londres) et des grands groupes pharmaceutiques (Pfizer, Glaxo Well- come, SmithKline Beecham). Au total, la sociite de Fremont a vendu 120 sys- temes complets comprenant les puces, le lecteur SELDI et le logiciel d’analy- se, chacun au prix de 160 000 dollars. Le CA a ainsi atteint 6 millions de dol- lars pour les 9 premiers mois de l’an- nee, contre 3 millions pour la meme periode de 1999. Parallelement, I’ef- fectif a double en 6 mois, pour atteindre 125 personnes en octobre 2000. La croissance de la societe est forte. Elle s’implante au Japan et en Europe : Royaume-Uni, Allemagne, la France depuis millet dernier, et bientot la Suisse et PItalie. Apres l’ouverture du Biomarker Discovery Center ?rFre- mont, ou sont Ian&es des recherches sur les marqueurs prottiques utili- sables en clinique, Ciphergen a Pgale- ment pour projet deux nouveaux centres de recherche devolus aux memes objectifs, sur la tote Est des Etats-Unis et en Europe. l Ouels concurrents ? Tout irait pour le mieux, done, si des systemes concurrents ne se profi- laient. Par exemple, Biacore, une sociite sutdoise (Uppsala) position- n&e depuis plusieurs annees sur le cre- neau de l’analyse des interactions moleculaires, propose le systeme BIA-MS (Biomolecular interaction analysis I Mass spectrometty) et l’ap- plique en particuher a I’analyse des cascades de regulation, telles que les voies de signalisation. Autre tech- nique concurrente potentielle, les bio- capteurs SPR (Surface plasmon reso- nance array chip technology) de Mil- lennium Pharmaceuticals (Cambrid- ge, Massachusetts), qui s’est d’ailleurs associee cette an&e avec Bioacore. Et du cbte des puces a proteines propre- ment dites, des start-ups pointent le nez avec leurs propres pro&d& : Zyomyx (Hayward, Californie), CombiMatrix (Seattle, Washington), et Packard BioChip Technologies, division de Packard Bioscience (Meriden, Connecticut) creee en aout dernier. Le succes et la rentabilite de Ciphergen dtpendront done de sa capacite a exploiter sa position de pionnier sur un marche qui devrait continuer de s’ouvrir et de s’ttoffer. lsabelle Caillard > Ciphergen Biosystems Inc, 6611, Dumbarton Circle, Fremont, California 94555, l?tats-Unis. Site Web : www.ciphergen.com

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Cardion Tel est le nom de la nouvelle societe biophar- maceutique nCe a Erkrath (Allemagne) de la fusion de Cardiogene, une spin-off de I’universite de Dgssedorf cr66e en 1996, et de Intracardia, une start-up americaine fondle en 1999.

MorphoSys La societe de decouverte de medicaments (Mar- tinsried, Allemagne) a annonce une augmenta- tion de 230 % de ses revenus sur les 9 pre- miers mois de I’annbe 2000, compares a la meme pdriode de 1999. Elle chercherait a acque- rir une compagnie americaine susceptible d’accroitre son reservoir de produits. Signe des temps, ce serait encore une societe allemande qui consoliderait sa position, aux dopens dune entreprise d’outre- Atlantique.

PROFIL

Le saut en bourse des puces i prothines

A pres un debut d’annee record, une chute brutale au printemps et un

sursaut estival, l’indice du Nasdaq - le marche phare des nouvelles tech- nologies - a atteint le niveau le plus bas de l’annee a la mi-octobre. C’est dam ce contexte de tres forte cc vo- latilite )) que la societi Ciphergen Bio- systems (Fremont, Californie), pion- niere de la commercialisation des puces a proteines, en 1998, a choisi d’effectuer son entree en bourse, le 28 septembre dernier. Une IPO (ini- tial public offering) neanmoins par- faitement negociee : la tote, propo- see a 16 dollars, a atteint 35 dollars dans la journee, pour se stabiliser au double de sa valeur initiale. Ciphergen s’est fixe pour objectif de devenir le meneur de I’instrumenta- tion en proteomique, l’analyse de I’ensemble des proteines synthetisees a partir du genome, ou proteome. Centree sur I’analyse globale du pro- teome d’un type cellulaire don& la proteomique s’etend actuellement a I’etude des fonctions et interactions des proteines (interaction proteine- proteine, proteine-acide nucleique) afin, en particulier, d’identifier de nouvelles cibles therapeutiques potentielles. Uelectrophorese bidi- mensionnelle reste I’outil central de cette discipline (voir Biofutur [1999] 192, le Technoscoee), mais elle necessite une longue Ctape de purifi- cation des Cchantillons avant analyse et ne s’est guere prOtee jusqu’ici i I’automatisation indispensable a la protiomique - la socitte Large Scale Biology Corporation (LSBC, Rock- ville, Maryland) developpe aujour- d’hui un systeme automatist. C’est done une alternative a I’electrophore- se 2D que propose Ciphergen. La societe s’appuie sur un systeme de detection reposant sur la spectrome- trie de masse, le SELDIrM (Surface Enhanced Laser Desorption/

Les puces de Ciphergen peuvent 6tre utik&es, par exemple, pour Btablir des profils de variation du peptide P-amylo’ide dans la maladie d’Alzheimer.

Ionisation), _ une invention realisee a la fin des annees 1980 par T. William Hutchens et Tai- Tung Yip, alors au Baylor College of Medicine (Houston, Texas), et dont le brevet a ete depose en 1995. En 1997- 1998, Ciphergen (ou T.T. Yip tra- vaille desormais) en a obtenu les droits exclusifs de com- mercialisation. Sa puce a prottines se presente comme (ProteinChip@)

une barrette en aluminium, dont la surface est traitte de facon a pouvoir

16 BIOFIJTUR 206 l Dkembre 2000

capturer les prottines presentes dans l’echantillon. Les supports dispo- nibles actuellement reposent sur des reactions chimiques utilisant les mimes principes que la chromato- graphie (echangeurs d’ions, residus hydrophobes ou hydrophiles...). L’utilisateur, selon ses besoins, peut Cgalement fixer h la surface de la puce des ligands biologiques (anti- corps, recepteurs). L’tchantillon bio- logique est depose sans traitement prealable ; puis, apres un lavage app- roprie, la barrette est introduite dans le lecteur SELDI. Le balayage de la puce avec un faisceau laser permet de decrocher et d’ioniser les protiines capturees, fournissant un inventaire des masses molaires des proteines cellulaires et la determination de leur abondance relative.

l Un systhme polyvalent Compare a I’tlectrophorese bidimen- sionnelle, ce systeme offre une rapidi- ti d’analyse (quelques minutes, contre plusieurs heures) et une sensi- bilite accrue, de I’ordre de la femto- mole (lo-“). Polyvalent, il s’applique H differents types d’analyse de pro- teines : recherche de marqueurs de maladies, purification, caracterisation structurale, determination des pro- prietes fonctionnelles et des interac- tions. L’atout des puces a proteines reside done dans leur capacitt a repondre aux differentes attentes actuelles de la proteomique. Cepen- dant, selon Mary Lopez, vice-presi- dente de la R&D chez Genomics Solutions (Ann Arbor, Michigan), citee dans un article de Signalsmag.com, le changement de conformation possible des proteines induit par leur fixation sur un sup- port sohde pourrait limiter la portee de cette technique pour l’analyse fonctionnelle. CrCCe en decembre 1993, fondee, presidte et dirigee par William E. Rich, docteur en chimie, Cipher- gen s’est d’abord appuye sur des capital-risqueurs, tels que S.R. One ou Atlas Venture, reunissant 34,9 millions de dollars en cinq tours de table. Puis, comme toutes les societes de haute technologie, elle a du faire face i de lourds investissements en R&D, avant de pouvoir commercia- liser ses produits, en 1998. En six ans, les pertes cumulees atteignent plus de 30 millions de dollars, pour un chiffre d’affaires (CA) de 10 mil- lions. Uentree de Ciphergen sur le Nasdaq et la mise sur le marcht de plus de 6 millions d’actions, lui apportent done un Cnorme bol d’air : la societe peut desormais compter sur un bas de laine de plus de 100 millions de dollars.

Quels sont les clients de Ciphergen ? I1 s’agit de plusieurs centres de recherches americains et britanniques (une trentaine de laboratoires des National Institutes for Health, l’Insti- tute of Cancer Research de I’universi- tC de Londres) et des grands groupes pharmaceutiques (Pfizer, Glaxo Well- come, SmithKline Beecham). Au total, la sociite de Fremont a vendu 120 sys- temes complets comprenant les puces, le lecteur SELDI et le logiciel d’analy- se, chacun au prix de 160 000 dollars. Le CA a ainsi atteint 6 millions de dol- lars pour les 9 premiers mois de l’an- nee, contre 3 millions pour la meme periode de 1999. Parallelement, I’ef- fectif a double en 6 mois, pour atteindre 125 personnes en octobre 2000. La croissance de la societe est forte. Elle s’implante au Japan et en Europe : Royaume-Uni, Allemagne, la France depuis millet dernier, et bientot la Suisse et PItalie. Apres l’ouverture du Biomarker Discovery Center ?r Fre- mont, ou sont Ian&es des recherches sur les marqueurs prottiques utili- sables en clinique, Ciphergen a Pgale- ment pour projet deux nouveaux centres de recherche devolus aux memes objectifs, sur la tote Est des Etats-Unis et en Europe.

l Ouels concurrents ? Tout irait pour le mieux, done, si des systemes concurrents ne se profi- laient. Par exemple, Biacore, une sociite sutdoise (Uppsala) position- n&e depuis plusieurs annees sur le cre- neau de l’analyse des interactions moleculaires, propose le systeme BIA-MS (Biomolecular interaction analysis I Mass spectrometty) et l’ap- plique en particuher a I’analyse des cascades de regulation, telles que les voies de signalisation. Autre tech- nique concurrente potentielle, les bio- capteurs SPR (Surface plasmon reso- nance array chip technology) de Mil- lennium Pharmaceuticals (Cambrid- ge, Massachusetts), qui s’est d’ailleurs associee cette an&e avec Bioacore. Et du cbte des puces a proteines propre- ment dites, des start-ups pointent le nez avec leurs propres pro&d& : Zyomyx (Hayward, Californie), CombiMatrix (Seattle, Washington), et Packard BioChip Technologies, division de Packard Bioscience (Meriden, Connecticut) creee en aout dernier. Le succes et la rentabilite de Ciphergen dtpendront done de sa capacite a exploiter sa position de pionnier sur un marche qui devrait continuer de s’ouvrir et de s’ttoffer.

lsabelle Caillard > Ciphergen Biosystems Inc, 6611, Dumbarton Circle, Fremont, California 94555, l?tats-Unis. Site Web : www.ciphergen.com