LE SANG DU PRINCE - Exultet · Compiègne annon cer au roi Louis XV et à la famille royale...

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LESANGDUPRINCE

Vieetmortduducd’Enghien

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DUMÊMEAUTEUR

Julie,divertissement(ouvragecollectif),L’Âged’Homme,1996.Volkofflapidaire,314aphorismes,L’Âged’Homme,2000.LeLiendusang,ÉditionsduRocher,2000.

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Si le journal s’arrête au 25 juin 1785, c’est que le seigneurToudouze estmort le lendemain.Une brève note l’annonce enconclusion.

Chaquejour,soussasurveillance,deuxcopiesétaientfaitesdesonrécit,unepourleprincedeCondé,l’autrepourleducdeBourbon.UneestconservéeàlabibliothèqueMazarine,l’autreestentremesmains.

Quellesatisfactiond’êtreàlasource!Aucunrécitpostérieurne vaut pour moi le travail au jour le jour de cet homme quim’offre la vie quotidienne de la maison de Condé pendantl’enfanceduperson-nageauqueljemeconsacre.

Etcommeilm’estfacile,puisquej’ailachanced’êtresurleslieuxmêmes,defranchirdeuxsièclespourmeretrouveraujourdelanaissancedupetitprince!«Le2août1772,S.A.S.MmeladuchessedeBourbonestaccouchéed’unprinceàhuitheurestrois quarts du soir, les premières douleurs pour l’enfantementayantcommencéverslesquatreheuresdumatin.»

La journée se déroule comme aux premières pages de cescontes de fées qui s’ouvrent par l’effervescence joyeuse d’unenaissance princière. Tandis que M. de Maillé est parti pourCompiègne annon cer au roi Louis XV et à la famille royalel’heureux accouchement de la jeune mère, les plus grandsprincessepressentautourduberceau.

Celui qui les reçoit, Louis-Joseph, prince de Condé, n’estpas lemoinsprestigieux.S’il ne règnepas, son sang est aussinoble que celui du roi : comme le roi, il descend de Robert,comte de Clermont, sixième fils de Saint Louis. Le premier àporter le titre de prince de Condé fut le valeureux Louis deBourbon, tué d’un coupdepistolet parMontesquiou, après labatailledeJarnac,en1579.SonpèreétaitroideNavarreetsonfrèreaîné,AntoinedeBourbon,futlepèredeHenriIV.

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Ce grand-père de trente-six ans, qui s’illustra pendant laguerre de Sept Ans contre le maréchal de Brunswick – dontnous aurons à reparler –, est veuf d’une princesse de Rohan-Soubise,morteàlanaissancedeleurfille,laprincesseLouise.Bien qu’il ait sincèrement pleuré sa femme, le prince s’estconsolé avec Mme de Monaco qui lui offre une existencepresqueconjugaleunpeucontrariéetoutdemêmeparlefaitqueleprincedeMonacoserefuseàmourir.

L’heureuxpère,quiporte le titrededucdeBourbon,a luiaussifaitunmariaged’amour.Àquatorzeans,ilaeulecoupdefoudrepoursacousine,laprincesseBathilded’Orléans.Maisilen a aujourd’hui dix-sept, et sa femme ne l’intéresse plus quetrèsmodérément.Celanel’empêchepasdeprésenterfièrementson fils à son beau-père, le duc d’Orléans, qui est arrivé àChantillydèsquatreheuresdel’aprèsmidiavecsonfils,leducdeChartres,quipasseraàlapostéritésouslepeuglorieuxnomdePhilippe-Égalité.

LeducdePenthièvre,beau-pèreduducdeChartresetdelaprincessedeLamballe–dontlemassacreen1792seraunedeshontesdelaRévolution–,estlàaussi.Est-celanaturequiafaitceprincepieuxetmélancolique,commeledécritChateaubrianddans sa Vie de Rancé, ou le deviendra-t-il à cause de laRévolution et de ses malheurs ? Pour l’heure, il assiste àl’ondoiement de l’enfant par M. le curé qui s’est rendu auchâteaudansl’après-midiavecleclergé.

Deux salves de canon ont été tirées de vingt-sept coupschacune.

Cemêmejour,«lenouveau-néétantsurunoreiller,lefeuaprisàl’eau-de-viequiagagnél’oreillerquis’estenflammé.Leprinceétaittoutenfeu.Ilfutretirépromptementsansaccident».

Quelques biographes du prince n’hésitent pas à faire du

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pathos avec cet incident, déclarant que l’enfant était d’unefaiblesseextrêmeetquelesaccoucheurs,dansleurprécipitationà le frotter à l’eaude-vie un peu trop près de la cheminée, ontmanquélefairerôtiraulieudelesauver.Ducoup,ilsdonnentàce fait la résonance d’un glas lugubre, premier avertissementd’undestintragique.

Jenepartagepascetteopinion: j’aurais tendanceàpenserquelenouveau-néaeuplutôtdelachancedenepasbrûlervifetque,cejour-là,ledestinluifutfavorable.

Ilestvraiquelesportraitsnousmontrentunenfantravissantmaisdélicat.Sonregardbleuetrêveur,unbrinmélancolique,nerévèlepasunegrandevivacité.Ilenaura,pourtant,àrevendre.

Lecompterendudecettejournéemémorablesetermineparunenotesolennelle : le roiadonnéun titreà l’enfantprincierqui sera duc d’Enghien, comme son ancêtre illustre, le GrandCondé,vainqueurdeRocroietdeNorlingenautempsdeLouisXIV1.

J’airefermépourunmomentlelivreetôtélesgantsblancscarNicoleGarnier, conservateur en chefdudomaine,vientmechercher. Son expression, plus concentrée que sévère, setransforme dès qu’elle parle des trésors dont elle a la charge.Passionnéeetpassionnante,ellem’emmène repérerà travers lechâteauetleparccequisubsistedel’enfanceduducd’Enghien,«cegrandabsent,meconfie-t-elle.Iln’arienconstruitici,rienaménagé,riencollectionné».

J’enai la tristepreuveen admirant l’expositionducabinetdes livres qu’Emmanuelle Toulet, conservateur de labibliothèque, me commente avec verve : tous les seigneurs deChantilly, jusqu’à laRévolution, faisaient apposer leurs armessurlescouverturesdeleurslivres.SilesarmesdesCondésontimmuables–deFrance,aubâtonpérienbandesdegueules–la

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quatre cents pages jaunies, recouvertes par deux écritures àl’encre pâlie. Contrastant avec la graphie perlée de l’abbé, leslettres pataudes et énormes de l’élève, qui s’arrondissent,s’amenuisent, s’affermissent au fil des pages me livrent lapersonnalitédemonpetitprince,bienplusréel,pourmoi,quesij’avaisdeluitouteunecollectiondephotosoudefilms.

Jefeuillettelentementlescahiers,émuedereleverlestachesd’encre, les dessins de fleurs ou de maisons qui truffent lesdéclinaisonslatines.

Leprinceestlàtoutentier,avecsonbadinage,saloyauté,saluciditésursesfaiblesses,sasoifdegloire.

Toute sa vie à venir est en germe dans ces quelque millepages.

Jevoudraistouttranscrire!

L’abbéMillotafaceàluiunenfantemplidebonnevolonté:«Sijetravaillebien,a-t-ilécritàsonpère,jeferailebonheurdemes parents, si je fais mal, je fais leur malheur ; ils serontcontentsdemoi,etnouscouleronsunevieheureuse.»

Malgrétout,l’effortneluiestpasnatureletilestpeuenclinà passer des heures immobile devant des leçons à apprendre.Enfant dissipé, certes, mais enfant princier. Un jour que sesgouverneursl’avaientpuni,pourunebêtise,àdînerseul,ilsluidemandents’iln’enestpashonteux:«Eh!messieurs,répond-il,c’estvousplutôtquiêtesprivésdel’honneurdemangeravecmoi!»

Ruser pour remplir sa mission, voilà à quoi s’attache leprécepteur. « Je m’avisai un jour de jeter une question sur lepapier,écrit-il;jeluiremislaplumeetilrépondit;ledialogueseprolongea,ils’enfitunplaisir.»

Grâceàcettetrouvaille,l’enfantvaingurgiterlatin,histoire,littérature, grammaire, géographie, catéchisme et que sais-je

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encore d’indispensable à un prince de lamaison de Bourbon.«Onnecroiraitpaspossible,expliquel’abbé,qu’unetêteaussienfantine pût penser et s’exprimer comme je l’ai vu dansplusieurs de ces dialogues. S’il eût été plus capabled’application, il aurait écritmoins de fadaises ;mais je doutequ’il eût trouvé des traits aussi heureux. C’étaient les sailliesd’unmoment.»

Dèsladeuxièmepagedupremiercahier,l’abbéMillotécrituneversion:

«Speroforeutsapiensfias.»Réponsedelamaindel’élèvedesixans:«J’espèrequevousdeviendrezsage.–Nihilfuturusestquinihildiscit.–Celuiquin’apprendrienneserarien.»Cette dernière formule a dû terriblement marquer le petit

prince car on retrouve cette angoissedans les leçons suivantesquigardentastucieusementlaformededialogues.

«Pourquoiserait-ilhonteuxdenepassavoirlamythologie?demandel’abbé.

–D’abordparcequetoutlemondelasait,transcritl’enfant.Ensuitesionenparledans lemondeonrestecommeunebêtesans savoir ni que dire ni que faire encore pour sa propresatisfaction.»

Unpeuplustard,l’abbé,àproposdelascience:«Pourquoivousest-ellenécessaire?–Jeneveuxpasêtreunignorant.–Pourquoicraignez-vousdel’être?–Jeseraisdéshonoré.»L’honneuromniprésentetlahantisedudéshonneur,déjà!Etlorsquel’abbéluidemandedetracerunpland’étudesqui

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« [lui] paraisse digne de fixer sans ennui [sa] bonne tête », leprince fait cette réponse grave de sa grosse écriture debonhommedesixans:

«Dèsdeuxheuresdumatin(sic), jecommencepar répéterunefabledeLaFontaine,etquelquesversdeVirgile,celadansunquartd’heure,ensuitetraductionparécritpendantunedemi-heure, histoire pendant une demi-heure, traduction de Térencependanttroisquartsd’heure.

Le soir traduction, nonpar écrit (sic), de quelques vers deVirgile, y comparer l’abbé de L’Ille. Pendant une demi-heure,article des hommes illustres à traduire par écrit, pendant troisquartsd’heure–unquartd’heured’histoire,unedemi-heuredeTérence.

–Etcelasansennui1,soulignelemaître,carc’estlachoseproposée.»

Maisleprinceesthonnête:«Jenepourraispastravaillersansennui.–Vousêtesdoncleplusmalheureuxdesenfants,poursuitle

maîtrequiveutallerjusqu’auboutduraisonnement.Etcommejeprendsbeaucoupdepartàcemalheur,indiquez-moilemoyendevousamusersansrenoncerautravail.»

Etleprinced’avoircetteconclusionmerveilleuse:«Jenevousl’enseigneraipasparcequ’ilestnécessaireque

jetravaille.»Lesdeuxpagessuivantessontraturéesetpleinesdepâtés:

relâchementcompréhensibleaprèsuntelaveu!Toutdemême,lepetitprincesembleavoirdumalàfixerson

attention.«Oh!lebeaupersonnagequeceluid’unêtresansraison!

s’exclamel’abbé.– J’ai mal fait aujourd’hui, reconnaît l’enfant. Pour la

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maison de Condé, il se mit à crayonner vivement cetteextraordinairescèned’hallali.Quandletableaufutachevé,deuxans plus tard, le prince de Condé le fit envoyer au grand-ducPaul qui le plaça à Saint-Pétersbourg. Beaucoup plus tard, en1884, le grand-duc Wladimir en fit exécuter une copie qu’iloffrit au duc d’Aumale pour le remercier de l’avoir reçu àChantilly.

C’est cette copie devant laquelle j’aime rêver pour mereposerdemesécritures.

Dans l’immédiat, les honneurs furent pour la comtesse duNordetleprincedeCondéluidonnalesquatredentsetlesboisdu cerf. La princesse fit monter les dents en girandole en lesentourantdediamants.

Aumomentdepartir,lecomteduNordmanifestaauprincedeCondésesregretsdequitteruntelparadis:

« Je changerais tout ce que je possède contre votre beauChantilly.

–Oh!VotreAltesseyperdraittrop…–Non,réponditlefuturtsar,carceseraitdevenirCondé!»

LeprincedeCondéexprimaalorslesouhaitdeserendreunjouràSaint-Pétersbourg cequ’accepta avec enthousiasme le grand-duc.

«Hélas!cen’estqu’unrêve»,soupiraalorsleprince1.Commentaurait-ilpusavoirquedanscetteimmenseRussie,

il emmènerait, avec son petit-fils, son armée recueillie par cemêmePaul,devenutsar?

Et la vie familiale reprend son cours. Paris commence àbruiredemillerumeursquin’atteignentpaslecourspaisibledessaisons à Chantilly. Les chaleurs continuent de succéder auxgelées.

Le25mars1785,àVersailles,naîtunpetitprincequifaitle

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bonheurdesFrançaisetquiseraconnusouslenomtragiquedeLouisXVII.

Le 17 mai de cette année-là, en présence du prince deCondé, du duc et de la duchesse de Bourbon et deMademoiselle,leducd’Enghien,douzeansetdemi,estbaptisédanslachapelledeVersailles2.IlreçoitlesprénomsdeLouis,comme son parrain, le roi Louis XVI, Antoine, comme samarraine, la reine Marie-Antoinette, et Henri comme tous lesprincesdeCondé3.

Le duc de Bourbon distribua, dit-on, troismille boîtes dedragées.

Le 2 février 1788, le duc d’Enghien se rendit à Versaillesavec son père et son grand-père pour être reçu chevalier desOrdresduroi(Saint-EspritetSaint-Michel).

DanslaGrand-ChambreduParlementoù,pourlaseulefoisdansl’Histoire,troisgénérationsdeCondésiégeaientensemble,le nouveau chevalier de quinze ans et demi, regard clair etbouclesblondes,prononçasonpremierdiscourspublic.

Cejour-là,leducd’Enghienétaitexactementàlamoitiédesavie.

Dans les mois qui suivirent, son grand-père l’emmena aucamp de Saint-Omer. Le prince de Condé prenait en mainl’éducationmilitairedesonpetit-filsdontilnedoutaitpasqu’ilseraitledignedescendantdelamaisondeCondé,servantleroiet la France en accomplissant ce qu’il était né pour être : unprincesoldat.

À six ans, il avait écrit à son père : « Je lis aveccontentementleshéroïquesactionsdenosrois;envoyantdesibeauxexemples,jemesensuneambitiondelesimiter:maisce

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m’estassezpourmaintenantd’êtreenfantdedésiretden’avoird’autrevolontéquelavôtre.»

LaRévolution, l’exil et laguerrevont exacerber le combatintérieurdu jeuneprince : volonté très forted’écrire saproprepage de gloire, contrariée par l’impuissance à se dégager del’emprisedesonpèreetsurtoutdesongrand-père.

1. Dans un souci de clarté, j’ai choisi de rétablir, dans lescitations, l’orthographeet laponctuationmodernesetdonc,desupprimeruncertainnombredemajuscules.1.Ontrouve,dès l’anmil, la tracedesseigneursd’EnghienenHainaut. Par le jeu des héritages, le nom, éteint depuis 1482,demeuraituneseigneuriedu roideFrance.En1607,Henri IV,qui avait besoin d’argent, vendit son domaine d’Enghien-en-HainautàCharlesdeLigne,comted’Arenberg,toutenstipulantque le titre d’Enghien serait maintenu dans la famille desBourbon-Condé qui, depuis 1567, avaient vu leur terre deNogent-le-Rotrouérigéeenduché-pairied’Enghien.Cetitreétait,depuis,l’apanagedesaînésdesCondé.1.Latraditionfamilialerapportequeceportraitfutréaliséparladuchesse de Bourbon elle-même bien qu’aucune signaturen’apparaissesurlepastel.1.LebusteenmarcheexécutéparDeseineetexposéàParisauSalon de 1822 avait disparu. Après vérification, MmeKottulinsky m’envoie un courrier pour me confirmer que lebuste deSychrovporte l’inscription : «En1816par deSeine(sic)del’ancienneacadémieroyaledepeinture.»2.Autreorthographe,parmid’autres,d’Enghien.1.ComtessedeClinchamp,Chantilly.1.Soulignédansletexte.1.FrançoiseChapard,«UnballonenforêtdeCoye».

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neufheures,sansmeréveiller,chosequinem’arrivaitjamais.»Le lendemain, les promenades se poursuivent le long du

Rhinetlagaietéestdemise:onatoutperdumaispersonnenepeutempêcherd’admirerlanaturedubonDieu!

Àl’inversedel’archiducMaximilien,leducdeWurtembergprendlepartiderecevoirdignementlesprincesdeCondé.

Agissant enmodéré, enfin ! à cette époque précise, le ducfaitsavoiràcesprincesqu’ilregardeleurcause«commecelledetouslessouverains»etquechezlui,ilsjouirontdetoutelasécurité,detouteslescommoditésetdetouslesagréments.

Comment refuser une telle invitation quand l’argent descassettesfileàtouteallure?Souslesfauxnomsqu’ilsportentet dans l’immédiat, les princes du sang pensent ne pasmettreleurshôtesdansunepositiontropinconfortable.

À Stuttgart, capitale du Wurtemberg, le duc d’Enghientrouveledînermauvais,maismagnifiquementservi.

Le lendemain, le duc les emmène àHohenheim, samaisonde campagne. Le prince de Condé s’étend sur la descriptiond’un domaine qu’il juge splendide, quoique moins noble etmoinsrichequeChantilly.Leducd’Enghien, lui,estahuriparlespectacledesécuriesquiviennentd’êtrebâties:«Ellessontpeintesenrose,blancetor:c’estunevraiefolie!Jamaisonnepourraymettredeschevaux.»

MaisleducetladuchessedeWurtembergsontsiaimables!IlsproposentauprincedeCondédemettreàsadisposition,tantqu’il est hors de France, unemaison avec un régiment et unechasse très étendue. Le prince remercie mais n’accepte ni nerefuse : comment pourrait-il répondre autrement alors qu’ildépenddeLouisXVIpourdéterminersonlieuderésidence?

Voici les Condé en route pour la Suisse. Une des

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expressions qui reviennent souvent sous la plume du jeuneprinceest«premièrefois»:c’estlapremièrefoisqu’ilvoitdescigognesetleurnid,lapremièrefoisqu’ilvoitdesmontagnesdeneige,desmarmottesetdeschamois.Ilnotetouslesponts, leschutesd’eau sur leRhin, les lacs, lesglaciers. Il est enchanté,attristé,surpris,ennuyé,jamaisindifférent.

À Berne, après s’être installés à l’auberge du Faucon, ilsretrouventlecomted’Artoisquiestdescendudansunchâteauàl’extérieurde laville.Onconverse,biensûr,de lapolitiqueetdes affaires. On se réjouit de ce que le Béarn et le Haut-Languedoc projettent de se déclarer ouvertement pour le roi.Cettenouvellen’aurapasdesuite.

Abandonnant les conversations des plus âgés, le jeuneprince préfère s’attarder devant le coucher de soleil sur lesmontagnes.

Ils quittent Berne le 27 août, traversent le lac de Thounepuisdesforêts,leprincedeCondéetlaprincesseLouisesurdescharsàbancs,lesducsd’EnghienetdeBourbonàcheval.

Larusticitédescampementsn’échappepasaujeuneprince:à Lauterbrunn, les habitations sont des sortes de petitesbaraques où pendant l’été « les bergers se retirent quand lestroupeauxsontdanslamontagne».Làoùtroisàquatrepeuventseserrer,commentlogerlestrentepersonnesquiconstituentlapetitetroupedesprinces?Leministreduvillagemetfinalementquelques chambres à leur disposition et le prince, pas trèsenthousiaste,passelanuitavectroisgentilshommes:duCayla,Choiseuletd’Espinchal.

Unmatindeseptembre,dansunvillage,lesprincessesontarrêtés pour faire boire les chevaux. Quatre marchands debaromètres sont là, eux aussi ; ils sontmilanais et rentrent deFranceenarborantlacocardenationale.Undialogueétrangesenoue entre les deux groupes : les uns cherchent à savoir, les

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autressontassezfiersderenseigner:oui,ilsfurentàVersailleset à Paris aussi ; ils ont assisté – de loin ! – à la prise de laBastilleetauxéchauffouréesdesInvalides.

« Avez-vous pris part à la punition de MM. Foulon etBerthier1?demandeleprincedeCondé.

– Oh ! non, nous n’avons pas été là ; ça, c’était de lacanaille.

– Et du départ des princes, qu’est-ce qu’on disait parmivous?

– Ma foi, répondent les marchands, les honnêtes gensdisaientqu’ilsavaientbienfait.Leroin’étaitpasenmesuredelessauver,sionavaitvoululeurfairedumal.

–C’estsansdoutecequ’ilsontpensé,commenteleprince.– Et ce prince de Condé, que diable pouvait-il faire de

quatrevingt-dix-septcanonschezlui;onavaitpeurdecela.–Maisonnousamandéqu’onn’avait trouvéchez luique

vingt-septcanons,s’étonneleprincequisaitdequoiilparle.–Mafoi,jenesaispas,vingt-septouquatre-vingt-dix-sept.–D’ailleurs, ilnepouvaitpasen fairegrand-chose, caron

dit qu’onn’a trouvé chez lui ni poudre, ni boulets, s’entête leprince.

–Oui,répondentlesmarchandsquiveulentavoirlederniermot, on a dit cela depuis, mais ils disaient comme cela, quec’étaittoujoursplussûrdelesavoirpris.

–Celaestincontestable,ditleprinceimperturbable.– Tout le monde est le maître à présent, commentent

fièrementlesmarchands.– Ne trouvez-vous pas que cela peut avoir quelque

inconvénient?»demandeleprince.Et le prince, qui ne s’est pas fait identifier, a cette

conclusion étonnante par sa naïveté : si les marchands

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Nous sommes à l’été 1790.Le prince deCondé publie unmanifeste, premier grand acte politique de l’Émigration :« J’irai, malgré l’horreur que doit naturellement inspirer à undescendant de Saint Louis l’idée de tremper une épée dans lesang des Français, j’irai, à la tête de la noblesse de toutes lesnations et suivi de tous les sujets fidèles à leur Roi qui seréuniront sous nos drapeaux, j’irai tenter de délivrer cemonarqueinfortuné.»

Dèscemoment-là,leprincedeCondéavaitbienentêteuneactionmilitaire.

À Turin, les tensions s’exaspèrent. Le 31 juillet, on vientdireauprincedeCondéquesesenfants,laprincesseLouise,leduc de Bourbon et le duc d’Enghien pourraient être attaquésquand ils sepromènent à laCitadelle.Habitué auxmœursdesPiémontaisetàleurscoupsdecouteauintempestifs,leprincenes’alarmepasoutremesuremaisdéfendàsesenfantsdesortir.

Lessemainespassentetlesréunionssemultipliententrelesprinces français. Des courriers secrets s’échangent avec lesfidèlesrestésenFrance.LaprincesseLouisedeCondésecassele genou pour la troisième fois. Le comte d’Artois traîne unrhume considérable. Le prince de Condé se purge. Le ducd’Enghienetsonpèrevontàlachasseauxcailles.L’étés’achèveenpluiesquicontrarientlespromenadesàcheval.

«Peuàpeu,enhabitantunpays,onparvientàenconnaîtreles usages et les mœurs, et cette foule de petits riens dontl’ensembleformel’énormedifférencequ’ilyaquelquefoisentrelespeuples:différencequinepeutêtrebiensaisiequequandonavécu,pourainsidire,delaviedecespeuples.»

Or,pendantqueleducd’Enghiendressecebilanpositifdeson séjour, ajoutant « avoir recueilli profit et agrément depuis[sa] sortie de France », demystérieuses personnes se pressentchez le prince de Condé et le comte d’Artois, deux surtout :

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selontoutevraisemblance,l’évêqued’ArrasetM.deCalonne.Le choix de ce dernier comme conseiller des princes n’est

paslemeilleur,àécouterlesjugementsdel’époque.«Touteslesqualités d’unhommeaimable et aucuned’unhommed’État »,murmurent certains à son sujet 1. Marie-Antoinette, elle, nel’aimepasetellegarderarancuneaucomted’ArtoisetauprincedeCondédeluifaireconfiance.

Dans les premiers jours de décembre, le départ pour Lyonsemble imminent. D’Espinchal note que les rapports faits auxprinces laissentespérerque toutyseraitprêtpour les recevoir.LeprincedeCondéest leplusenthousiastepourcedépartcarcesontsespropresagentsquionttoutpréparéàLyon.Lepetitclanfran-çaissediviseaussitôt:enfaceduprincedeCondéquiprésente l’affaire comme immanquable, d’autres comme M.d’Autichampsontplusréticents.Lesconversationsquidevraientrester secrètes font le tour des salons de Turin. Mais lesFrançais, dans l’ensemble, sont prêts à suivre les princes quoiqu’ilpuissesepasser.

Quoi qu’il en soit, tous ces plans sont d’un seul coupbalayés. D’abord, Louis XVI dépêcheM. de Bourcet à Turinpourinterdiretouteinitiativeaucomted’Artois.Danslemêmetemps, imprudence ou trahison, des agents des princes sontarrêtésàLyonetàAix:lesmoindresprojetsdesprincesémigréssontétalésdevantlenouveaupouvoirfrançais.

Tout cela, ajouté à l’exaspération que leur manifestent lesTurinoisetleurroi,décidelesprincesàremonterversleNord.

Lejeuned’Enghiencomptelessemainesquileséparentducar-naval, sa période préférée, mais les bruits de départ luiparviennent, renversant ses propres projets : « Je ne regrettaisrien,écrit-il.L’onpart(disais-jeenmoi-même);maisc’estpouracquérir de l’honneur et ramener l’ordre et la paix dans notre

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patrie;etjedésiraispartirplutôtlesoirquelelendemain.»Le 4 janvier 1791, c’est le départ du comte d’Artois pour

Venise, et le 6 janvier, à huit heures dumatin, les princes deCondéprennent la routedeBerne, laissant laprincesseLouisequipartirale8.

La suite des princes est nombreuse, composée entre autresdeMM.d’Autichampetd’Auteuil,etduchevalierdeVirieuquine quitte pas son élève. Le chevalier de Belsunce, quin’appartientpasàlamaisondeCondé,demandequandmêmeàaccompagnerleducdeBourbon.Cemalheureuxjeunehomme,toujours choqué par le massacre de son frère dont la foule adévoré le cœur, après avoir dépecé joyeusement le cadavre, en1789,àCaen,rêvedevengeance.

EnquittantTurin, le ducd’Enghienquitteunmodedeviequ’ilneretrouveraplusjamais.Aussiprovincialeetrétréciequefûtl’existencequ’ilavaitmenéependantcesquinzemois,c’étaitunevieorganiséeautourd’unroi,aveccequecelacomportaitdebals, de chasses, de réceptions dans des salons qui neconnaissaientnilarévolutionnilaruine.Laprésenceducomted’Artois offrait aux émigrés français comme le reflet de laprésenceduroideFrance.

Et pendant que les voitures s’ébranlent, je voudrais, moi,réfléchirunmoment.

Qui est ce princededix-huit ans et demi ?Que sais-je delui?«Fortjoli»,écrit,danssonjournal,leducdeGenevois,undes fils du roi Victor-Amédée, qui ajoute : « l’air un peuétourdi;dureste,ilesttrèsbeau».

Ceprincepiémontaismesembleuneassezmauvaiselangue,probablementjalouxducharmeévidentdesoncousinfrançais,maisiln’apascomplètementtort.L’observantdansunesoiréeàlacour,leducdeGenevoisseplaîtàdénoncersalégèreté:«Le

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Quepeutfaire lecomted’Artois?s’iléprouvedudépit, lecadet est trop attaché à la légitimité pour ne pas s’inclinerdevant son aîné et accepter de partager avec lui, à Coblence,l’hospitalité de leur cousin électeur de Trèves, Clément-Wenceslas,filsd’AugusteIII,roidePologne,frèredeleurmère,ladauphineMarie-Josèphe.

PourdénouerlesintriguesquisetricotententreCoblenceetWorms,personnenem’aidemieuxqueGhislaindeDiesbachquime commente cette effervescence et met généreusement sabibliothèqueàmadisposition.Grâceàlui,jecomprendsmieuxles tergiversations continuelles de Louis XVI vis-à-vis desprinces en exil, comme l’attitude ambiguë de l’empereurLéopold et de la plupart des souverains européens, accueillantlesémigrés,maispasvraimentdésespérésdevoir lamonarchiefrançaiseenpleinnaufrage.

La personnalité des frères de Louis XVI, et celle, sidifférente,deCondéimprègnent lesdeuxfoyersd’émigration:tandisqueCoblencesetransformeenunepâlecopiedelacourdeVersaillesavecsesintriguespolitiquesetsesdivertissementsmondains, Worms, austère à l’image du prince de Condé,devientlevéritableservicedurecrutementmilitaire.

Le prince de Condé se fait entendre par tous les moyensclandestins qu’il trouve à sa disposition, et tous ceux qui ontservi autrefois sous sa bannière n’hésitent pas une minute,entraînantleursfilsencoreenfants.Loindevouloirsemettreensécurité, ils rejoignent leur chef, motivés par un devoird’honneur.Voyantqueleroinepeutplussesauvertoutseul,nepouvantcontinuerdeservirl’arméed’ungouvernementquiprivedelibertéleursouverain,ilsviennentoffrirleurépéeauxprincesen exil, n’ayant avec eux, pour tout bagage, que la même foi

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monarchiquequianimeleprincedeCondé.Sur les cinquantemille Français ayant franchi la frontière,

près de vingt mille rejoignent l’armée en formation dans laseconde partie de 1791 1. Parmi eux le comte de Puymaigre,soixante-cinq ans, et son fils : « Il n’est pas certain quemonpèreeûtémigré,maissurunelettreduprincedeCondéauquelildevaitsafortunemilitaire,monpèren’hésitaplus2.»

Voilàlegenredefidélitéqu’inspiraitleprincedeCondé.

J’ai voulu explorer moi-même les Archives nationalesconservées depuis 1789 dans l’ancien hôtel des princes deRohan-Soubise.

Leducd’Enghien,enfant,s’estprobablementpromenédansce jardin 3 qui me conduit au bâtiment moderne réservé auxchercheurs.

Ici, seuls les employés portent des gants. Beaucoupmoinsblancsqueceuxqu’onmeprêteàChantilly.Maisdansunautregenre, le cérémonial est aussi solennel : davantaged’informatiquepourdemander lesmanuscritsetdeprécautionspour filtrer qui entre dans lasalle de lecture, fouillesystématique,àlasortie,deschercheursqui,ici,secomptentparcentaines.

JepensaissurvolerledossierdéposéparlebarondeSurval,et qui contient unepartie de la correspondancedes princes deCondépendantl’Émigration,parcequejecroyaisquetoutesceslettresavaientétépubliéesmais jem’aperçoisavecétonnementque certaines ne l’ont jamais été et que d’autres ne l’ont étéqu’enpartie.

J’aibeauavoirludesdizainesdefoisleslettresreproduitesdans toutes les biographies – qui d’ailleurs se contentent des

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mêmesextraits–,jenemelassepasdetenirenmainlestextesmanuscrits. L’écriture du duc d’Enghien m’est devenue plusfamilière que celle de mes plus proches parents. J’ai appris àreconnaîtrelafaçondontilformeseslettreset,aupapierqu’ilemploie, je sais s’ilestencampagne–etc’estalorsunpapierbuvardaffreux–ous’ilestdevantsonécritoire.Lepapiern’estjamais somptueux : les papiers toilés avec armoiriesartistiquement disposées doivent être une invention du XIXesiècle. De temps en temps apparaît une tache d’encre avec,presqueentière,l’empreintedigitaledel’auteur.

Dans un des cartons, je trouve une correspondance dequelquessouverainsaveclesprincesdeCondé.

Jeparcourslebillettrèsamical,datédu16juillet1791,duroiAmédéedeSavoieauprincedeCondé.Ilseditsoulagédesavoir sa fille et son gendre Provence en sécurité, s’afflige dusort du roi et de la reinemais ne propose rien de concret. Letexted’unelettredel’impératriceCatherine,datéedu25octobre1791,meparaîtplusintéressant;l’écriture,différentedesautreslettres deCatherine, est probablement celle d’un copiste ; elleest parfaitement lisible.La signature est-elle autographe ?Elleest époustouflante, d’une belle encre brune encore trèsbrillante:unvéritabledessindotéd’unCinimitable.

«MessieursmesCousins![…]LesCondésontétésouventlesdéfenseursetlessoutiensdesdroitsdutrône.C’estsousunde vos aïeux que Henri IV fit le premier apprentissage desarmes. Le Grand Condé fonda et assura l’éclat immortel durègne de Louis XIV par ses victoires. C’est à Vos AltessesSérénissimes, qui se montrent si dignes d’ancêtres aussiglorieux, qu’il est réservé, en marchant sur leurs traces, demaintenirtoutlelustreaunomqu’ellesportent.»

J’aime que l’impératrice de Russie connaisse si bien

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massacré aux États de Rennes auprès demoi,marcher seul ettriste,piedsnusdanslaboue,portantsessouliersàlapointedelabaïonnette,depeurdelesuser.[…]Toutecettetroupepauvre,ne recevant pas un sou des Princes, faisait la guerre à sesdépens, tandis que les décrets achevaient de la dépouiller etjetaientnosfemmesetnosmèresdanslescachots1.»

Malgré la guerre imminente, le prince de Condé n’obtienttoujourspasdepouvoirarmerseshommes.Le21mai,presqueunmoisaprèsladéclarationdelaguerre,leprince,quipassesesjournées à écouter ses soldats « jusqu’au dernier », se plaintencore et toujours des vexations de Vienne qui continue dedéfendre de laisser armer les émigrés tant que les troupesprussiennesnesontpasarrivées.

Elles arrivent enfin et n’enthousiasment pas le ducd’Enghien:«JefussurprisdevoircesfameuxPrussiens,donton m’avait tant vanté la discipline, sans gêne sous les armes,tournant la tête à droite, à gauche, ne conservant nulleimmobilité. Après cela, je ne m’aviserai pas de juger sil’instruction du soldat est meilleure que la nôtre ; je mecontenterai seulement de remarquer que leur conduite pendantlesopérationsdecampagne,n’estpasenleurfaveur.»

Encontinuantmalecturedujournalduducd’Enghien,j’aila surprise dem’apercevoir, à laBibliothèque historique de laVilledeParis,quelespagesdecelivre,àpartirdecettedate(p.296)nesontpasencorecoupées!

Enfinlessubsidesfinanciersarriventparl’Empereurqui«afaitverserlescentcinquantemillefrancspromisàsontrésordeBruxelles;celavasansdoutedéciderlaPrusseàverser,maisleretardseradedixàdouzejours1».

Lemardi26juin, leprincedeCondéestréveilléparunde

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sesaidesdecampquiluiapprendcequis’estpasséàParisle20juin,journéeaucoursdelaquelle«onavaitprodiguéauroietàtoutesafamilletouslesgenresd’avilissements;onneluiavaitlaisséquelavie».

C’est ce jour-là que Louis XVI, malgré les menaces desémeutiers conduits par Santerre – celui qui tentera, en faisantjouer les tambours, d’empêcher Louis XVI de prononcer sesdernièresparoles–,avaitrefusédesanctionnerlesdécretssurladéportationdesprêtresréfractaires.

Étantdonnél’évidentmanquedelibertéduroi,ilestdécidédedonneràMonsieur, lecomtedeProvence, le titrede régent«queseulMonsieurpouvaitprendreparsonseuldroit».

Je résume, telle que je la perçois, la situation derrière lesfrontièresfrançaises:lesdeuxfrèresdeLouisXVIsontprêtsàaccepter beaucoup pourvu qu’on leur fournisse les moyensd’entretenir un semblant de vie de cour, les alliés sont prêts àdonner beaucoup pourvu qu’ils entrent en France, enfin leprince de Condé est prêt lui aussi à avaler beaucoup decouleuvrespourvuqu’onluilaisselesmoyensdelibérerleroi.

ToutfairepoursauverLouisXVIetlesprêtres,serépète-t-il:«J’allaiencoreàlamesse,écritleprincedeCondé,carilnefallait pas y manquer, puisque nous avions l’Autel comme leTrôneàsoutenir.»

L’argent arrive bien d’Espagne, de Prusse, de Russie, etmême de Vienne, mais il ne couvre pas la moitié des dettescontractées depuis des semaines pour assurer l’entretien deshommesetdeschevaux.

Le3juillet,uneréunionsetiententrelesprincesfrançaisetleducdeBrunswick,aucoursde laquelle leducdécidedenepasexigerquelestroupesdesémigréspassentleRhinaveclui,«cequenouscraignionsplusque lamort»,écrit leprincede

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Condéquineveutrentrerchezluiqu’avecdesFrançais.Étrangeréflexionquimetenlumièresafidélitécompliquée

pardessituationsqu’ilnemaîtrisepas.LeducestunferventadmirateurduprincedeCondéquile

battitàJohannisberg,pendantlaguerredeSeptAns,etCondéadelasympathiepourlui:«Brunswickentendcommandernotrearmée,écrit-ilàsonfils1,j’ensuisenchanté.J’aimebienmieuxêtre à ses ordres (et les Princes y seront aussi) qu’à ceux dumaréchal.»

Il s’agitdumaréchaldeBrogliequiétait leseulautrechefmilitaire parmi les émigrés et je comprends qu’entre deuxsituations humiliantes, le prince abomine encore plus l’idéed’obéiràunFrançais.

Malheureusement, le manifeste que signe le duc deBrunswick, le 27 juillet, met le feu aux poudres à Paris.L’intentionétaitbonnedevouloirdéfendreleroideFrancemaisles menaces maladroites qui l’accompagnent révoltent lesParisienscontrelesémigrésetlespuissancesétrangères.

Lapopulation,horsd’elle,etquinepeutsevengerquesurceux qui sont à sa portée, se précipite aux Tuileries. Dans laseule journée du 10 août, un millier de gardes suisses quiprotégeaientLouisXVI etMarie-Antoinette auxTuileries sontmassacrés.

Le prince de Condé souffre au plus haut point de ladépendance où il se trouve vis-à-vis des Autrichiens quin’arrivent d’ailleurs pas à comprendre que le prince deCondésoitBourbonpuisqu’ils’appelleCondé.Unevexationdeplus,mais cette journée du 10 août fait passer d’autres sentimentsbienenavant.

On ne se bat pas contre un pays, on se bat contre desmassacreurs.

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EtquandWürmserveutfaireuneentréesolennelledanslesvilles alsaciennes conquises, le prince lui déclare qu’avec soncorps,ilreprésentel’arméeroyaledeFranceetqu’ilsejoindraauxAutrichienspouraffirmerquelaprisedepossessionsefaitaunomdeSaMajestéLouisXVII.

Quil’aentendu?C’estl’aigleàdeuxtêtesqueWürmserfaitplantersurlespoteaux,lesroutesetlesvillagesconquis,etlescourriersdelaposterevêtentlalivréeimpériale.

Après le combat deGermersheim, près deBellheim, le 19juillet, au cours duquel le duc d’Enghien s’est emparé d’uneredoutemalgrélefeudescanons,leprincedeCondévavisiterles blessés et donne des ordres pour qu’on prenne soin desprisonniers. Surprise de ces soldats qui s’attendaient à êtrepassésparlesarmesetquivoientenoutreleducdeBourbonetleducd’Enghienvenirleurprodiguerdebonnesparolesetdessecours, s’opposant ouvertement auxAutrichiensqui voulaientlesmassacrer.

Chez le jeune prince, l’amour de la patrie se double durespect admiratif envers ces Français qu’il combat. Respectmutueld’ailleurs.

Mme de Staël, dont le témoignage n’est pas suspect departialité, écrivait : « Les émigrés ont été souvent fiers desvictoires de leurs compatriotes. Ils étaient battus commeémigrés,maisilstriomphaientcommeFrançais.»

Et pendant que les combats se poursuivent en Alsace, ledomainedeChantillyestpeuàpeudépecé:lesobjetsprécieuxetlestableauxontétéemballésetenvoyésàParisaumuséedelaRépublique.Undécretdu23mai1793aprescritl’enlèvementdes plombs, cuivres, fourneaux et chaudières pour envoyer letout à l’hôtel des Monnaies à Paris afin d’être fondu. Le

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mobilier est vendu et laConvention déclare qu’elle n’assureraplusl’entretiendecetobjetdeluxe.

Le28 août, à deuxheuresdumatin, unpremier convoi dedétenuspolitiquespromisà laguillotinearriveàChantillyquivaêtretransforméenprison.

Le prince de Condé est tenu au courant de ces malheurs.« J’ai reçudesnouvellesdeChantilly (où jevousconseilledeprendrevotrepartidenepointêtreaumoisd’octobre),écrit-ilàson fils. Il y a beaucoup de prisonniers. […] On a fait descloisonsdanslesgrandespièces,sanslesgâter,àcequ’ondit;aucun jet d’eau ne va ; tout est arrêté aux Moulins ; on nedistinguepluslesalléesdesparterres.L’herbeestpartout;onaemballé lecabinetd’histoirenaturelleavecbeaucoupde soin ;tous les portraits de famille sont déchirés. Les tableaux de lagalerie des Conquêtes ont été emportés assez soigneusement ;tous les bronzes ont été fondus. […] On connaît toutes lespersonnes qui ont achetémesmeubles ;mais il ne faut pas ledire,pourqu’ellesnelescachentounelesdénaturentpas.»

Jusqu’à la chute de Robespierre, le château-prisonrenfermeraunpeuplusdemilledétenus.

C’est le 26 juin 1793 que le prince de Condé apprendl’exécutionduducd’Orléans.Sasœur,laduchessedeBourbon,mèreduducd’Enghien, qui s’était pourtant fait surnommer lacitoyenne Vérité, est emprisonnée à la Force avant d’êtretransféréedansuneprisondeMarseille.

Et le 26 octobre, alors qu’il campe à Berstheim, dans« l’affreusecertitudedu supplicede laReine1 », leprincedeCondé fait célébrer un service solennel auquel assistent touteslescompagnies«pardétachementscommandés»àcausede lapetitessedel’église.

C’estunefoisdeplusleurFrancequimeurt.

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Ledébutdel’hiverestrude.Lamaladie,plusmortellequelefeudesennemis, s’acharnesur lapetitearmée.Affaiblispar lemanque de nourriture, mal logés, les soldats anémiés sontatteintsdebronchitesetdedysenteriesmaispartagentavec lesvillageois qui les hébergent la nourriture que leur fournitparcimonieusementl’arméeautrichienne.

Décembre est unmois de batailles très chaudes autour deBerstheimetdeHagueneau.Les troupescondéennesaffrontentunofficierdetrente-cinqans,CharlesPichegru,généralenchefdel’arméeduRhin.

PichegruaétéforméaumétierdesarmessouslesordresduprincedeCondéetlevoilàaujourd’huifaceàsonancienchef.Lasituationn’estpasunique:dansleface-à-facedescombats,nombreux sont les soldats républicains qui reconnaissentbrutalementleursanciensofficiers.

Mais c’est sur l’armée de Condé que va souffler le ventfavorable. Dès le 1er décembre, les troupes de Pichegru sontmises à mal, et le 2 s’engage la bataille de Berstheim.Républicains et condéens prennent, perdent et reprennent levillagejusqu’àlavictoiredescondéens.

La petite armée fut héroïque en ces jours, galvanisée parl’exemple des princes. Lorsque les républicains entrèrent dansBerstheim,leprincedeCondécriaàsessoldats:«Messieurs,vousêtestousdesBayards!Ilfautreprendrelevillage.»

Touscrièrentalors:«ViveleRoi!Àlabaïonnette!»Etilscoururentversl’ennemi.Cefutàcettecharge,où ilsebattaitvaillamment,que« le

duc de Bourbon fut blessé d’un coup de sabre à la main etobligédeseretireràcausedusangqu’ilperdait,cequilaissaauduc d’Enghien le commandement de cette cavalerie pendant le

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ventd’unnouveauprojet.Enoctobre1797,quandleprincedeCondédécided’envoyersonpetit-filsenRussie,croyantquelarupture définitive est consommée, elle lui écrit cette lettred’adieudigne,lucideetdésespérée:

«Jevousdemandepardondenevousavoirpasentenduplustôt. Jevous aurais épargnéune correspondancequivous coûtesansdoute.Ildoitêtrepénibled’exprimercequ’onnesentplus.[…]

«Jevousremerciedusentimentquivousaportéàprolongeruneerreuràlaquellej’aidûquelquesinstantsdebonheur.Ellene pouvait pas durer, je ne vous en veux pas de l’avoir faitcesser.Changer est unmalheur, tromper serait un tort et votrefranchise,quelquedéchirantequ’ellesoit,vousdonneaumoinslesdroitsdemonestime.

«[…]Iln’étaitquevousquipuissiezm’éclairersurvous.Jele suis aujourd’hui et cette lettre sera la dernière que vousrecevrezdemoi.Jemetsduprixàconserverlesvôtres.Jetiensauseulbienquimereste.Cependant,sicesacrificeestencorenécessaire, si vous le désirez, j’en aurai le courage. Quant àcelles qui vous restent de moi, n’intéressant plus votre cœur,elles peuvent flatter votre amourpropre.Ce n’est pas à ce titreque vous voudriez les garder. Au reste, je ne fais aucunedemande sur cet objet, vous ferez ce que vous croirez devoirfaire.

«Nem’oubliez pas tout à fait. Croyez que, dans tous lestemps,moncœursera toujours lemême. Ilestdes impressionsqui ne s’effacent pas, il est des souvenirs qu’on aime àconserver.

« Adieu, soyez heureux, vous qui pouvez l’être encore. Iln’est plus que votre bonheur qui puisse me consoler de toutceluiquej’aiperdu.

«Adieu,adieu,quecemotmefaitmal!Est-ilpossibleque

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cesoitledernier?»

Loin de toute sentimentalité, avec quel cœur déchiréCharlotte libère celui qu’elle aime, préférant lui donner sonindépendanceplutôtquedelepousseràlatromper!

Charlotteignorequesesadieuxnesontpasdéfinitifs.Maisnousnesommesqu’en1794.

1. 11 décembre 1793. Rappelons que cette lettre est inédite,comme le sont la majorité des lettres citées dans ce volume :certainesenpartie,d’autresentotalité.1.AuducdeBourbon,3octobre1795.2.6mars1796.1.AuprincedeCondé,2février1796.1.6mars1797.1.FlorencedeBaudus,op.cit.2.11février1796.1.20septembre1795.2.17janvier1796.3.AuducdeBourbon.18avril1796.4.12novembre1796.1.20avril1796.2.8décembre1796.3.AucomtedeFoucquet.1.6mars1797.

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CHAPITREVI

Ils’ennuieàmourir

Enmars 1794, le duc d’Enghien, guéri, rejoint son grand-père. Pendant les années 1794 et 1795, il va rester attaché àl’état-major avec le commandement de la cavalerie. Il portedésormais l’habit gris de fer de l’état-major général, longueredingoteàdeuxrangéesdeboutonsdorés,colletrabatturougeécarlateauxfleursdelysd’oràquois’ajoutent,sursapoitrine,la plaque du Saint-Esprit et la croix de Saint-Louis. Au brasgauche,lebrassardornédestroisfleursdelysnoirs.

Dans les réserves du château de Versailles, une énormestatue du prince, offerte par le duc d’Aumale en 1843, attendqu’onveuille bien lui redonneruneplaceplusdigne. Il est enuniforme,unmanteaudrapésuruneépaule, l’attitudenoble, levisagefinmaisviril.Jesuis infinimentséduite.Queldommagequeseuleslesaraignéespuissentl’admirer!

On le dit doux de caractère mais très actif, porté à desattachementssolidesetraisonnables.Iladel’espritsansaucuneprétention ; vif dans ses actions et ses mouvements, il ne semontreniemporténiviolent.Satêten’estjamaisplusfroidequedanslesévénementsquiéchauffent,engénéral,celledesautreshommes ; sapassiondominante restecellequ’ilcultivedepuisqu’ilestenâgederaisonner:l’amourdelagloire.

Ces deux années vont laisser l’armée de Condé dans uneinactionpénible.

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prince de Condé apprend queWürmser, promu feld-maréchal,vient de conclure un armistice avec le général Jourdan : lesarmées conserveront leurs positions respectives. Après le rêved’une rentrée en France, l’année 1796 s’ouvre sur uneinterdictiondedéplacement.

L’armée condéenne est de nouveau réduite à l’inaction. Ilrestelesmanœuvresmaislefroidlesempêchesouventetpuis,àquoi serviraient-elles pour ces soldats qui ont tous déjà faitcampagne?

Leducd’Enghien,lui,espèreenversetcontretout.«Cettetrêveneparaîtplusunpréliminairedepaix,écrit-ilàsonpère.Oncroit àunecampagneencore et jene seraispas éloignédecettefaçondepenserquidevientgénérale.Nousentendonstousles jours lepolygonedeStrasbourgqui fait tremblernosvitresmaispasnospersonnes1.»

Mais le voilà de nouveau souffrant et toujours aussi peuavarededétails:

«Depuisquatreoucinqjours je tiensmesassisesdansmacham bre pris par lamain et le pied droit. Lamain, c’est uneverruequej’aibrûléeavecdel’amadou,tropfortapparemment,declochesencloches,celasuppure.Lepieddroitc’estungroschiendeboucherquim’amordu,desortequepourterminerlachose promptement jeme suis établi la jambe en l’air. Elle vafortbienetj’enseraiquittedanstroisouquatrejours.

« L’enflure et l’inflammation sont dissipées. La main quidurait depuis plus d’un mois s’est trouvée à merveille de cerepos,estabsolumentguérie,oudumoinsleseraavantlepied.Quantauchien,c’étaitlanuittâtonnantpourtrouverunescalier,j’ai marché sur le corps d’un des enfants de la lice qui estaccourue au bruit, et s’est saisi de mon pied qui était lecoupable, il n’y a qu’un croc qui soit entré un peu avant, les

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autresdentsn’ontfaitquedesécorchures2.»Son moral finit par être atteint comme celui de ses

compagnons.Noussommesàlafindumoisdemarsetaucuneactionnes’annonce.

«Encorenerienfairecetteannée,c’estdur.»

Eh bien, il n’est pas prophète car 1796 va être une de sesplusbellesannéescommemilitaire.

1. Ce document est aujourd’hui conservé aux Archivesnationales.1.18avril1796.AuducdeBourbon.1.4août1795.2.26août1795.1.Cambaceres,Mémoiresinédits.Cesmémoiresviennentd’êtrerendus publics, grâce à Laurence Chatel de Brancion qui endétient le manuscrit et qui explique pourquoi il ne faut pasd’accentà«Cambaceres».1.17janvier1796.2.AuducdeBourbon,22février1796.

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CHAPITREVII

Ilfaitsespreuves

C’estledébutduprintemps.Enfin son grand-père lui donne « lamarque de confiance,

d’estime,detendresselaplusflatteuse»enluioffrantlachosequ’ildésiraitleplusaumonde:lecommandementdesonavant-garde!Lajoiedujeuneprinceéclatedanslalonguelettrequ’ilécritàsonpère:

«Cettetâchem’imposeunchangementdeviegénéral.[…]Cen’estpluslevolontaired’Enghienlibredesesactions,jeunetêtequel’oncroittroplégèrepourlachargerderien,courantlesfilleset lespartiesdebarres,maisbienMgr leducd’Enghien,jeune prince rempli de volonté et de désir de bien faire,commandant l’avant-garde de son grand-père, flatté de cettemarquedeconfianceetfaisanttousseseffortspours’enrendredigneetpourapprendresonmétier1.»

Lasimpleconnaissancedelanouvellel’adéjàtransformé.L’arméeapplauditdeboncœur.Leprinceadéjàprouvéses

qualitésmilitaires:«Unebravourefroide,impassible,quilaisseàl’hommelafaculténécessairepourapercevoiràl’instantmêmelemomentd’agir,etpourenprofiter,parcecoupd’œilquijugeinstantanément les chances du succès et celles des revers, lemoyendeprofiterdesunesetdeparerauxautres2.»

Qualités de chef qui prouvent que son grand-père ne setrompaitpasenluioffrantceposteetquimontrentquelgénéralilauraitpuêtre.

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pourraitm’arriveraumondedeplusheureux.« Que votre volonté soit faite, cher papa, votre enfant s’y

soumettra.[…]»En post-scriptum : « Pardon de ce griffonnage, j’avais les

yeuxàmoitiéfermés.»IlarriveenfinàWarvengenle17juilletausoir:« Nous voici, cher papa, arrivés sains et saufs excédés de

fatigue et soutenus par le seul espoir de nous retrouver avecvous. […] Je meurs de sommeil. La troupe n’arrivera ici quedanslanuit.Imaginez-vousquenousvenonstoutdroitde[nomillisible] après trois jours et trois nuits d’affaires et decanonnades.Jevousverraidemainàvotrelever.Jeveuxprendrevosordres.M.deFroehlichme lâcheetm’aannoncéqu’ilmerendaitàvous.Jevousembrassecherpapa.»

Et lescombatssepoursuivent toujours.Le8août,quelquepartsurlarouted’AitrachàWurtrach,lejeuneprinceestsurprisau milieu de son dîner. Il faut partir. En montant à cheval, ilaperçoitunepenséesauvage.«Pournotrebelle»,s’écrie-t-ilencueillantlafleuretenlaglissantdanssonportefeuilleavantdegaloperverslescoupsdefusil1.

Cette parenthèse galante (pour Charlotte ?) ne l’a pasdétournéducombatdontilrendcompteàsongrand-père,lesoirmême:

«Nousavonsétéattaquéstrèsvivementparlesavant-postesennemis, je les ai fait charger et nous avons pris quelqueshommesetquelqueschevaux. […]Jen’aivuauboutdenotrechargequequatrecentschevauxquidébouchaientdelaforêtsurnous au grand trot. Nous avons arrêté sur-le-champ et j’aicommandédeseretirer,maistrèsdoucement.Nousn’avonsiciqu’environ cent trente hommes, nous ne pouvons tenir surgranderoutesansinfanteriecontrequatrecentschevauxfrais.»

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Ce récit ne procure qu’amertume au prince de Condé quirépond à son petit-fils : « J’aurai perdu beaucoup de monde,sansriengagnerpourlaFrance.»

L’insuccèsdecesdernièressemainesdecampagneadégradéles relations entre le prince de Condé et les alliés qui l’enrendent,trèsinjustement,responsable.IlssoupçonnentmêmelesrépublicainsfrançaisdeverserplusvolontierslesangdesalliésqueceluidesFrançaiscondéens.

Encore plus grave, l’archiduc Charles a laissé entendre aumajordePalarin,aidedecampduprincedeCondé,quecelui-cimanqueraitdecourages’ilneselançaitpasdansunengagementavecl’ennemi.

Onpeutcomprendrel’indignationduprincequidécide,sansplustarder,uneoffensivedenuit.

Ce sera la bataille d’Ober-Kamlach, stérile, effroyablementmeurtrière.

Entreprisedictéeparl’orgueil?Unelettreduducd’Enghienà sonpère, trois jours après la bataille du 13 août, donne soninterprétation:

« Comme il courait depuis longtemps des bruits faux,absurdes, mais cruels pour nous dans l’armée autrichienne,commeonpré-tendaitquenousétionsdemoitiéavecl’ennemipourabandonnerlepays,quenousnenousbattionsquepourlaforme, […] mon grand-père a cru indispensable d’attaquerl’ennemidanslesboisdeKamlach,le13avantlejour.[…]Lesuccèsdumatinnousa coûtébiencher. […]Nousavons tenudansnotrepositiondumatinetnousnenoussommesretirésquelesoir.»

Atrocepourlescondéens,cettejournéelefutaussipourlesrépublicainset le jeuneprinceterminesa lettreenleurrendanthommage : «Ce ne sont plus des hommes de 93, ce sont desdieux.

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«Envérité,àprésent,jenesaisauqueldesdeuxdonnerlapommepourlavaleur,denostroupesoudesleurs.»

Plus tard, des paysans allemands élevèrent une stèlefunéraireaveccetteinscriptionterrible:«IciplusieursmilliersdeFrançaiss’égorgèrentle13août1796sansquenoussachionsprécisémentpourquoi.»

Début septembre, le jeune prince est cantonné dans lesfaubourgs deMunich. Voici ce qu’il confie à son grand-père,aprèsunepromenadesurlepontdel’Iserpendantunetrêve:

« J’ai été fort surpris, en approchant d’un groupe, de voirémigrés, Autrichiens et patriotes mêlés ensemble et causantamicalement.On s’est séparéetunmomentaprès, lesofficierspatriotesaunombredesixouseptsontrevenusetontdemandéàmefaireleurcour.[…]Jelesaisaluésetilsontététrèspoliscarund’euxadit[…]qu’ilétaitbiencontentdevoirunprincequ’ils aimaient et estimaient beaucoup. Il n’a étéquestionquedebienscommuns,delapertedelajournée,delabravouredesdeuxpartiesetcelaadurédeuxàtroisminutes.»

On va plus loin que le simple secours aux blessés ! Uncourantde respectpournepasdirede sympathie s’est installéentrelespatriotesetleducd’Enghien.

Jemereprésente,grâceauxmémorialistesquiontfixécettescène,l’entrevueentrelesdeuxcommandeursd’avant-poste.Ilssont à cheval, seuls, guidés par une confiance réciproque. LegénéralAbbatuchi–quiseratuéaucombat,cettemêmeannée–avingt-sixans,deuxansdeplusqueleducd’Enghien.Ilporteune écharpe bleue avec un panache tricolore. Le prince, lui,porte le plumet blanc au chapeau et le brassard fleurdelisé.« Monseigneur, lui dit alors le général [et non pas citoyencomme on pourrait s’y attendre], vous n’aviez pas besoin denaître prince pour vous faire une réputation. Fils d’un

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Difficiledetrouveruncantonnementpourtousceshommes.À Vlodzimir, impossible de se procurer l’approvisionnementnécessaire;àLutsko,leducd’Enghienessaietantbienquemalde caser ses troupes mais la place manque tellement qu’il seréjouitdel’ordresignédePaulIerqui lesenvoieàDubno.Là,dansunrayondequatre-vingt-dixkilomètresautourdelaville,les hommes s’installent qui dans des villages, qui dans deshameaux. En dépit du froid, les conditions ne sont pas troppénibles;deuxhommesseulementsontmortspendantletrajet.Laville,bienbâtie,possèdedenombreuxhôtelsdontquelques-unssontmisàladispositiondesofficiersgénéraux.

Les cafés, auberges et marchandises de toute sorte font lebonheur des Français, et même quelques femmes élégantestiennentsalon.L’exils’annoncepresquesupportable.

Pendantquesestroupess’acheminentversleurdestination,leprincedeCondéestarrivéàSaint-Pétersbourg.

C’estvraimentcocassedevoiràquelpointlesesprits,mêmelesplusfins,commeceuxduprincedeCondé,nourrissaientdesidées étranges sur la civilisation russe. Dans ses lettres à sonpetit-fils, il s’étonne de ce qu’il trouverait normal en France :« On croit trouver des taudis, et l’on trouve quatre ou cinqpièces de plain-pied, grandes, propres, et quelquefois assezornées.»Lesfemmesrussessont«deplustrès-jolies»!Il lesimaginaitdonclaides!Quelquesaubergespossèdentmêmedessalles d’armes, un télescope et quelques instruments dephysique!

Le20novembre, leprinceestarrivéàRiga,ville frontière,accueillipar lespersonnalitésde lacitéetunaidedecamp, lecomte Kritoff. « Il a absolument l’air d’un Français, et il estparfaitement honnête », semble s’étonner le prince toujoursaussi chauvin. Kritoff lui remet une lettre de bienvenue de

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l’empereur, une somptueuse pelisse de zibeline en cadeau, etl’uniformedegénéral russequ’il doit revêtir pour seprésenterdevantletsar.

Le2décembre,leprinceestentrédansSaint-Pétersbourgets’est installé au palais de Tauride, ancienne demeure du feld-maréchalPotemkine,misàsadispositionparl’empereur.

Paul Ier donne un faste inouï à ses retrouvailles avec leseigneur de Chantilly, lui faisant don d’un luxueux château,achetépourlacirconstanceaucomteTchernychev,surlefrontonduquelletsarafaitinscrireHôteldeCondéenlettresd’or.

Enarrivantdans«son»palais,leprincedeCondédécouvreque la délicatesse de son hôte n’a pas de limites : les valetsportent la livrée ventre de biche et amarante desCondé et lesvoitures comme l’argenterie dont lui a fait présent le tsar sontfrappéesàsesarmes.

Enfin, récompense suprême réservée aux personnes qui luisonttrèsproches,letsardécoreleprincedeCondédel’ordredeSaint-André.

Le21décembre,l’empereurPaulIerremetsolennellementauprincelesnouveauxdrapeauxetétendardsducorpsdeCondé.Yfigurent les emblèmes russes et français : au centre, l’aigle àdeuxtêtesetauxquatrecoinsunefleurdelys.

ÀChantilly,unearmoiredanslachambrefortecontientdestrésorsnonexposés.NicoleGarnierouvrelestiroirslargesmaispeu profonds. Chacun renferme un immense drapeausoigneusement étalé, ayant appartenu à l’armée de Condé. Lasoiebleue, jauneouroseestbiendéfraîchie,maissurcertains,j’aivunettementl’aiglebicéphaleencadréedesquatrelys.

IlneresteplusauprincedeCondéqu’àfairevenirsonpetit-fils à Saint-Pétersbourg. Il n’a cessé de lui adresser dans ses

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lettres mille recommandations pour cette réception à la cour.«Une fois que vous vous y serez fait connaître, lui écrit-il enguisededernierconseil,vouscourrezoùvousvoudrez;maisilfaut d’abord commencer par là, n’est-ce pas mon cher ami ?Vousensentezsûrementlanécessitéetl’importancepourvous,jediraimêmepournous.»

D’Enghienestd’accord,maisaprèssamarchededeuxmoisetdemi,sagarde-robeestréduiteàquelquesloques.

«J’espèreêtreàPétersbourglundioumardiauplustard,jem’arrangeraipourarriververssixheuresdusoirafindepouvoirfairetravaillertailleurs,bottierscarj’arrivedépourvudetoutcequ’ilmefautpourparaîtreetpuis jeneseraipasfâchéd’avoirunenuitpourmereposerunpeuetdormiretunematinéepourcauser avec vous. Je vous prie cher papa de faire en sorte queContyeouvotrevaletdechambresetrouventàmonarrivéeavectous les ouvriers nécessaires. Il me faut habit veste culottepantalonbottessouliersépéeceinturonplumetdanslechapeauécharpegantssabreuniformeenfincommevousvoyeztout1.Jen’airienpufairefaireàLutzkooùl’onnetrouveriend’ailleursjenesavaiscequ’ilfallaitpourleparfaituniforme2.»

Une nuit pour fabriquer un uniforme de parade ! On secroiraitdansCendrillon!

Le 26 janvier, le duc d’Enghien quitteDubno, après avoirconfié son commandement au lieutenant général de Wall. Levoyage est d’environ six cents kilomètres, le prince arrive le 6févrieràSaint-Pétersbourg.

Revêtu de l’uniforme terminé dans la nuit, le prince estprésentéàl’empereurparsongrand-père.

Enquelquessemaines,lesprincesfrançaisséduisenttoutela

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arriverd’Italie.Lavictoiredel’arméedeMassénaestécrasante:« M. de Korsakoff attaqué devant Zurich fut battu, tourné,enfermédanslavilleetnedutsonsalutqu’àlavaleurextrêmedesestroupes.»

DansConstance–bâtiesurunisthmequiavancesalonguelangue au milieu du lac, lui-même traversé par le Rhin –, lespremiers jours d’octobre, l’armée de Condé, obéissant auxordres de l’archiduc Charles, défend la position de la ville,faisantpreuved’unevaillancephysiquehorsducommun.

Mais il ne s’agit plus que de protéger l’évacuation de laSuisseparlestroupesalliées.

Toute la journéedu7 octobre, d’Enghienmontre, une foisde plus, son talent militaire et son courage. Sous le feu del’artillerie patriote, il est partout, même quand son cheval,atteintd’unebaïonnette,s’écroulemortsouslui.

«Cherpapa,écritenhâtelejeuneprinceàsongrand-père,jesuismaîtredelavilledeConstance,l’ennemis’estretiré,j’aiprisundrapeauauxFrançaisenmarchantenavantpourdélivrerle lieutenant général de [nom illisible].M. deSalgues est tué,nousavonssoncorps,nousavonsfaitbeaucoupdeprisonniers,j’attendsdesordresmaisjecroisqu’ilvaudraitmieuxseretirervers [illisible : probablement un des faubourgs de Constance]carnotrepositionestbienmauvaise.»

Lespatriotesne sontpasmieux lotis car les rivesduRhinleur sont interdites, gardées fermement par les piquets decavalerie que commande le duc d’Enghien en personne. Plustard,unepartiedesestroupesetdecellesduprincedeCondéserejoignentà l’intérieurde laville,maiscertains régimentssontrestés à l’extérieur : il faut reformer le corps. D’Enghiens’élance de nouveau.M. dePuymaigre a laissé une image trèsforte de ce dernier incident : le prince de Condé à cheval, le

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cordonbleudel’ordreduSaint-Espritbarrantsapoitrine,criantd’unevoixforte,aveccetondegrandeurqu’ilsaitsibiengarderaufeu:«Faitesferme,mesamis:leducd’Enghien,monpetit-fils, n’est pas encore passé. » Et de voir arriver alors, avecsoulagement, le prince, sabre à la main, venant de chargercommeunCondé.

Dans l’émotion de la bataille, leurs dissensions sontbalayéesparunemêmeardeur.

Aucœurde ladéfaitedespuissancesalliées, labatailledeConstancesedétachecommeunevictoireduducd’Enghien.

PendantquelescondéensserendentmaîtresdeConstance,lesrépublicainsontassaillilestroupesrussesdanslavalléeduRhin : deux armées à bout de fatigue et de souffrance.Finalement lesRusses sont contraints de se replier, piedsnus,déguenillés, versLindau où ils rejoignent l’armée autrichiennecommandéeparl’archiducCharles.

LeprincedeCondé,toujoursdiscipliné,vientsemettreàladispositiondugénéralenchefSouvorovdontl’accueilgracieuxenchanteleprinceetsonpetit-fils.

Les relations entre Autrichiens et Russes sont moinscordiales. Ils se reprochentmutuellement leur insuccès et leurententesedégradejusqu’àneplusexister.

Dans les semaines qui suivent, les bruits courent que lestroupes russesvont repartir auprintempspour laPologneaveclesémigrés.

Cantonné dans la ville autrichienne de Linz, le ducd’Enghienaretrouvélajoiedevivreetnesesouciepaslemoinsdu monde, à l’entrée de l’hiver, de repartir vers les grandesplainesrusses.Ils’installeaumieuxetpourcelademandeàsonpère«de faireunecollectionpareille tant enassiettes etplats

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qu’enthébouilloirecuillersàpunchmouchoirsetc.,maispointdeverreries,[ilena]achetésuffisammentenpassantenBohême1».

Samaisonmontée,ilretrouvelesplaisirsdel’opéraetdelacomédie,donnelui-mêmeunbalquerendl’état-major.

C’estenvalsantquelesémigrésattendentlesordresdutsar.

Pendant que les combats faisaient rage dans les valléesrhénanes, Bonaparte, le 16 octobre 1799, entrait secrètementdansParis,etle9novembre(18brumaire)devenaitlemaîtredelaFrance.

Le bruit du coup d’État parvient aux oreilles du ducd’Enghienquiensaisitl’importance.«L’ordredesetenirprêtàmarcheraétéconfirmédenouveau,écrit-ilàsonpère;ilparaîtcertain que l’empereur de Russie et celui des Romains 1 sontbrouillés et que les Russes doivent rentrer en Russie sur-le-champ. Il y a de grandes négociations en jeu, la politique estembrouillée au dernier point. On m’apprend la révolution deParisquipeutchangerlafacedesaffaires.»

«VoilàBonaparteàpeuprèsroi;maisjedoutequecelasoitlong»,déclare leprincedeCondéqui, lui aussi, a compris lasituation2.

Brouille avec l’empereur allemand ? Arrivée de Bonaparteaupouvoir?Toujoursest-ilqueletsarPauldécidedeseretirerde la coalition antifrançaise. De nouveau se dessine pour lesémigrésundépartpourlesgrandesplainesdel’Est.

DeMunich,le19décembre,leducd’Enghienconfieàsonpèresondésespoirà l’idéede retournerenRussie :«Mortaucivil,mortaumilitaire,mortpourtoutlerestedel’Europe,voilàlesortdesrentrantsenRussieavantlapaixgénérale.»

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CHAPITREX

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Iln’estnullepartchezlui

J’airéglémonradio-réveilsurlechiffresept:demainmatin,jeparspourEttenheim.

Àdéfaut de calmermon angoisse en étreignant unours enpeluche,jemesuisemparéed’unlivredelacomtessedeSégur,Après la pluie, le beau temps. Les parties de croquet et lesamours de Jacques et Geneviève m’enferment dans le coconprotecteurquejevoudrais,cesoir,n’avoirjamaisquitté.

Maisàquoidonc,sottequejesuis,m’auraitserviunréveil?Àcinqheures,jen’aidéjàplusdutoutenviededormir.

J’ai le temps d’écouter lamétéo, affligeante sur toutes lesfréquences :pluiesverglaçantes,froid,neige.«s’ilnevousestpas indispensabledeprendre la route, serinent les spécialistes,restezchezvous.»

Maismoi, je n’ai pas le choix, je suis dans une situationimpérative.Dernierpetitdéjeuneravantdepartir.Copieux.

Derniers coups de brosse. Mes cheveux sont toutélectriques.Signeévidentdeneigequelquepart.Siprèsqueça?

JemecouvrecommeuneEsquimaudeetmeursdechaudenfermantmesbagages.s’il fait23degréschezmoi,quelleest latem-pératurechezeux?

J’entassedansunsacunebouteilled’eau,despommes,duchocolat.Bonsang,jen’aipasdeboussole.Est-ceraisonnabledepartirsipeuéquipée?

Jefermel’eauetlegaz,cequejenefaisjamaispouraucunvoyage.

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À l’instant, je n’ai plus aucune envie de partir. La peurm’envahit, mais je n’ai pas honte : l’important, ce n’est pasqu’ellesoitenmoi,l’important,c’estquejelavainque.

J’aimebienmemoquerdemoi-même!Tout de même, je regarde ma voiture et la trouve bien

minuscule pour me transporter droit vers l’est, et me fairefranchirlesobstaclesquimeséparentd’Ettenheim.

Huit heures et demie. La lumière de janvier, entre aube etjour,estsomptueuse.FlottantsurlaSeinecotonneuse,lagrosseboule rouge joue les impressions soleil levant. Le muséed’Orsay,lePalaisdejustice,Notre-Dameseprofilentenombreschinoises. Je m’enchante de ce spectacle, oubliant presque depestercontrelesencombrementsinévitablesd’unParisquivaautravail.

Mevoilàenfinsurl’autorouteetjem’emplislesyeuxd’unpay-sageauqueljenesuispashabituée.Lesoleilestmontémaisil se cantonne dans sa partition hivernale, chantant unesymphoniegrise,dugrisbleutéaugris-vertamande,dugris-noirau gris-mauve, voilant les prairies et les collines d’une brumelactée.

Plustard,jem’arrêtepourprendredel’essenceaurelaisdeValmy.Loindanslaplaine,sousuncielbleud’azur,seprofileune silhouetteminuscule. Effet demon imagination ? Je croisapercevoirunmoulinetsesailes.J’aipourtantentendudirequelemoulin deValmy avait été détruit par la tempête de l’hiverdernier. Et d’ailleurs, en septembre 1792,mon duc d’Enghienn’enamêmepasaperçuunboutd’aile.Peuimporte,Valmyasaplace dans ma remontée du temps : je prends des photos quiauront en premier plan les énormes camions arrêtés sur leparking.Peut-êtrelapelliculeimprimera-t-ellelescamionssans

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entrèrentetsortirentlesespions.

Ilneigeunpeumaisjeneveuxpasrepartirparl’autoroute.Jeveuxpartircommeestpartileducd’Enghien.

Je m’arrête pour dessiner l’église de Kapel puism’embarque,moi aussi, sur le Rhin. La traversée sur le bac àmoteurdureàpeinedeuxminutes.Àlarame,cinqminutes?

JevoudraispasserparStrasbourgmaisjemetrompeencoreet de nouveau Strasbourg m’échappe. C’est bien. Le ducd’Enghien,desesfenêtresd’Ettenheim,nefaisaitqu’apercevoirles toursde la cathédralequemoi, j’ai imaginéesdans lenoir.Strasbourgluiéchappaaussi:iln’envitquelaprison.

Mes amis d’Ettenheim avaient attiré mon attention sur ceThaddéeRoesch,mairedeRhinauen1804,amideCharlotteetdu prince. Jusqu’en 1998, Dieter Weiss avait entretenu unecorrespondanceavecunecertainecomtessedeMarande,dontlemari descendait de la fille aînée de Roesch. Il avait aussicertains papiers assez fantaisistes, comme les récits du drameparMaxdeMarande.

« C’était un arrière-petit-fils de Roesch, m’avait expliquéDieterWeiss,etilatoujoursaffirméquelemariageentreleducetCharlotte ne faisait aucundoute.Malheureusement, il ne sefondaitsuraucundocument.»

Une lettredeMmedeMarande,datéedu11mars1987, leprouve : « Nous n’avons jamais eu trace de ce contrat demariage.»

Ilmemontra aussi deux lettres de la princesseCharlotte àRoesch,postérieuresàl’exécutionduducd’Enghien,etsurtout

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la photo d’une bague, une pierre en cristal entourée de douzebrillants.

«Elleappartenaitauducd’Enghien,meditDieterWeiss.Lapierre centrale était creuse et contenait unemèche de cheveuxappartenantà laprincesseCharlotte.Aumomentd’être fusillé,leprincedonnacettebagueàundessoldatspourlaremettreàCharlotte.Cequifutfait.»

Cerécitm’étonna:jen’avaisjamaisluquoiquecesoitausujetdecettebague.MaisDieterWeisspoursuivit:

«Quand elle reçut la bague, Charlotte enleva ses cheveuxpour ymettre des cheveux du duc d’Enghien et elle l’offrit àRoesch, en remerciementde sa fidélité.Plus tard, le princedeCondé,voulantvoircettebague, lademandaàRoeschet la luirenditaprèsavoirfaitgraveràl’intérieurdel’anneau:“21mars1804. Amitié. Fidélité.” La comtesse de Marande possèdetoujourscettebague.»

L’anecdotem’avaittouchée,j’avaisenviedevoircettebague.Malheureusement,MmedeMarandenerépondplusauxlettresdeDieterWeiss.Est-ellemorte?Entoutcas,sonmariestmort,etcommeilsn’ontpaseud’enfant,lapisterisqued’êtredifficileàsuivre.

En observant la généalogie de Roesch, je m’aperçois qued’autresdescendantssonttoujoursvivantsetquejelesconnais.

Rentrée à Paris, j’appelle Emmanuel Rougier qui acceptevolon-tiersdemeprêtersespapiersdefamille:luidescenddelafillecadettedeRoesch.

IlmeconfirmelamortdeMmedeMarandeetmerévèleque,àlasuitedebrouillesfamiliales,lespapiersdecettebranchedelafamilleontdisparu.Aveclabague.

«A-t-ellevraimentexisté?dis-jedéçue.–Rassurez-vous: labagueexistebien.Mais jenesaispas

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oùellesetrouveaujourd’hui1.»Sespapiers recoupentceuxque j’ai rapportésd’Ettenheim,

avecquelquesprécisionssurlafamilleRoesch.« D’origine alsacienne, m’explique-t-il, elle était

honorablementconnuemaisellen’ajamaiséténoble.Letitredebaronestaussifantaisistequele titredecomteetafortioridemarquis dont s’était paré Max de Marande, doté d’uneimaginationaussifertilequefabulatrice.Ilabeaucoupécritsurle duc d’Enghien mais ses affirmations sont, la plupart dutemps,complètementfantaisistes.»

Exemple,lamésaventurequeleducd’Enghienauraiteue,àParis, avec cette comédienne parisienne, maîtresse deBonaparte:lajeunefemme,entendantarriverlePremierconsul,aurait caché d’Enghien derrière un paravent qui aurait assisté,sanspouvoirs’échapper,àunescènetrèsintime.Leplusgrave,c’estqueMarandeajoutequeBonaparte,l’ayantappris,enavaitété tellementmortifié (iln’avaitpasété sibrillantce jour-là !)qu’ilavaitdécidédesevengerduprinceetdoncd’ordonnersonenlèvement et son exécution. J’ai retrouvé cette anecdote dansuneconversationdesalon,audébutdeGuerreetPaix.CequeTolstoïracontecommeunragotmondain,Marandeessayadelefairepasserpourvrai.

Je trouve très choquant de transformer cette tragédie envaudevillequitournemal.

«Cequ’ilaécritausujetdumariageduducd’Enghienestaussipeufondé»,conclutEmmanuelRougier.

Cesaffirmationsontpourtantsuffiàplusd’unpourdéclarerlemariagecertain.

Dès la dissolution de l’armée, les chemins du prince de

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matrimoniaux de son grand-père, jusqu’à présent, ont touséchoué. L’amour pro-fond que le prince porte à Charlotte n’arien d’une passion dévorante. s’il espère que la chancecontinuera à lui être favorable, il n’est pas question pour luid’oubliersesdevoirsdeCondéenbravantlechefdesamaisonparunmariageavecCharlotte.

Ce qu’il veut dans l’immédiat, c’est garder Charlotte sanstropmécontenterleprincedeCondé.

« Ici, cher papa, je trouve paix intérieure, attachementvéritableetconstant,confianceentière, fondéesuruneépreuvededix années. Jemèneunevie uniforme et douce ; jamais unnuage,jamaisunmomentd’humeur,d’ennui,àplusforteraisondedégoûtdepartetd’autre.Jemeplaisàfairelebonheurd’unêtre,commecetêtremetsonbonheuràfairelemien.[…]Toutchangementserapourmoiunmalheur,toutautreengagementunchagrinbiendouloureux. Jemesoumettraipardevoiràcequel’onappelleramonbonheurouunétablissementconvenableetavantageux ; mais ce sera un sacrifice pénible, auquel noussommesdetouttempsrésignés.[…]Jepriechaquejourlecielardemmentpourqu’ilneseprésenteaucunefacilitépourunsortavantageux.Ceserait lafindubonheurlepluspuret lemieuxsenti qui ait peut-être jamais existé, et pourmettre à sa placeDieusaitquoi1!»

Il faut à Charlotte une grande abnégation pour supporterl’attitude du prince de Condé à son égard, mais la qualité del’amour qu’elle voue au prince est telle qu’elle supportefièrement ce dédain. Le prince, lui, amoureux plus frivole, estconscientdesesfaiblessespossibles:

«[…]Pourvousseul,«J’aicraintlescharmesdeLondres;j’aicraintdesamours

vifs(sic)quim’yauraientretenutroplongtemps.Jemedéfiede

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moi;aulieuqu’icij’aime,àlavérité;maiscetamourestfondésur l’estime et la confiance, et je suis sûr que l’onme recevratoujours mieux après une campagne qu’avant, et que l’on meferarepartirsur-le-champ,loindemeretenir,lorsquel’honneurm’appelleraquelquepart2.»

Cette maîtresse passionnée agit en libératrice sans jamaischercher à enchaîner. L’amour qu’elle porte au duc d’Enghienesttropnoblepourimposerauprincequoiquecesoitpourellequil’empêcheraitdefairesondevoirdeprinceetdemilitaire.

Etleducd’Enghienyestdeplusenplussensible.

Le16février1803,meurtlecardinaldeRohan.Sesdernièresannéesaurontétépénibles:àlasignaturedu

concordat, ilavaitdûsedémettredesonévêchédeStrasbourg.En Allemagne, la situation était, elle aussi, critique car lessouverains allemands avaient décidé de séculariser les biensecclésiastiques : le margrave de Bade s’était emparé desbailliages d’Ettenheim et d’Oberkirch et le cardinal, dansl’attentepénibledeconnaîtrejusqu’oùiraitcettedépossession,étaittombémalade.

VeilléparCharlotte,ils’éteintavantd’avoirdûabandonnersa demeure. Tandis qu’à Strasbourg un service solennel estchanté en présence de l’évêque concordataire, les bourgeoisd’Ettenheim assistent à la messe d’enterrement dans leurcathédrale toute tenduede noir « avecdes trophées d’armoiriecommeci-devant».Pour ladernière fois, lesarmesdesRohandécorentofficiellementEttenheim1.

En souvenir de la façon dont le cardinal avait reçu lesprinces deCondé au début de l’Émigration, le prince informesongrand-pèredesamort.Peut-êtreespère-t-ilquel’émotiondeCharlotteletouchera?Etquel’héritagepossiblelerendraplus

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compréhensif.«Lecardinalafaitunebellefin.Ilaremplilesdevoirsd’un

bon chrétien, est mort avec toute sa connaissance, et nous aréellementédifiés.[…]SafinaétédéchirantepourlaprincesseCharlotte.Ilaétédeuxjoursaveclagangrènedanslespoumons,par conséquent sans aucunespoir, etne sedoutantpasde sonétat,croyantmêmequ’ilétaitmieuxetledisant.Vousjugezdecequ’aeuàsouffrirlecœursensibledecettemalheureuse;ellevous aurait touché si vous en aviez été témoin. Malade elle-même d’un gros rhume, maladie épidémique qui règne en cemoment, elle n’a voulu quitter son chevet ni jour ni nuit. Lecardinal a dicté ses dernières volontés. […] J’ai su, parl’indiscrétiondusecrétaire,qu’ellesétaient toutesenfaveurdela princesse, et vous pouvez juger demon bonheur de la voirenfintiréedelapositiongênéeoùellesetrouvedepuissilong-temps1.»

Pauvre Charlotte ! L’héritage de son oncle comprendtellement de dettes qu’elle est obligée de le refuser. Elle doitquitter la maison du cardinal qui revient légitimement aumargraveet s’installeaubasde laville,dans la joliemaisonàcolombages,louéeàuncertainSartori,cellequiesttransforméeaujourd’huienpizzeria.IlluiresteaussidespropriétésàSaint-Dominguemais l’agitation qui trouble l’île empêcheCharlottededisposerdesesnouveauxbiens.

Toutes ces épreuves que traverse la princesse ne changentpaslessentimentsinjustesquenourritleprincedeCondéenverselle. Cette dureté blesse son petit-fils, aggravant encore leurdiscordance:

« Il me traite encore bien sévèrement, et ne daigne pasm’ajouterunmotdebonté.Cetteretenueluidoitfairepresqueautant de mal qu’à moi. Suivant vos ordres, j’y mets toute la

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1.22septembre1803.

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CHAPITREXI

Ilestaucentredespassions

À première vue, l’enlèvement et l’exécution du ducd’Enghien m’apparaissaient comme une sinistre pagailleordonnée par un ambitieux que dominaient la passion et unentouragecrapuleux.

J’aicrupouvoirmeconstruireuneversionàlafoisréelleetprécise des faits. Naïve que j’étais ! Je me suis noyée autantdanslesfaussesrepentancesdesacteursdudramequedanslesexplications partisanes des commentateurs. Chaque nouvellelectures’opposaitàlaprécédente.

J’ailonguementmûricefouillis,etdecetteluttedepouvoirssurfonddecriseexceptionnelle,j’aitirémaversionpersonnelle1.

Partialeévidemment.

Del’automne1803auprintemps1804,lapeurd’unnouvelattentatcontrelavieduPremierconsulvamettreàviflesnerfsdes hommes au pouvoir, à commencer par ceux de Bonapartequi,perdantlesang-froidquiluiafaitgagnertantdebatailles,vapasserquelques-unesdespiressemainesdesavie.

Cinqhommessontlesacteursprincipaux:Bonaparte, trente-quatre ans, au-dessus de tous. L’Histoire

lui a enseigné que le pouvoir est à reconquérir chaque jour,qu’onsoitroiouchefdebande.Ilestarrivéàlapremièreplacepar ses victoires militaires mais il ne peut y rester qu’en

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remportantdesvictoirespolitiques.Orilamontrésafaiblessele18 Brumaire : sans son frère Joseph, il n’aurait été qu’unconspirateurdeplus1.Dansl’affaireduducd’Enghien,s’ilestle maître du jeu, quelques astucieux s’arrangeront pourl’empêcherdereculer.

Il n’empêche que, chef de l’État, il porte la responsabilitésuprêmedececrimecommeilenestconvenuàlafindesavie2.Sacorrespondanceentrejanvieretmars18043montrequ’ilsetenaitaucourantdel’avancéedel’affaireaujourlejour,mêmesisesinformateursluiannonçaientdesfaitsavantmêmedelesvérifier!

Fouché,ensuite.Cejacobindequarante-cinqans,quiavotélamort deLouisXVI, est convaincuqueBonaparte ne pourraêtre le chef des Français que s’il se compromet avec lesrégicides.MinistredelaPolicedepuis1799,ilacessé,pouruntemps,deplaireàBonaparte,àsonfrèreJosephetàTalleyrand.Le15septembre1802,lePremierconsulsupprimeceministère.

Fouchéestcondamnéàl’ombre,maispasàl’inaction.Uneobsessionl’habite:puisqueBonaparten’apasversélesangdeLouis XVI, qu’il fasse verser celui d’un Bourbon, n’importelequel.L’exorcismedusymboleroyalseraalorscomplet.

Sa perspicacité et sa malhonnêteté, jointes aux dossierscompromettantsqu’ilaconstituéssurdespersonnalitésdetousbords politiques, et aux agents de renseignement qui lui sontrestésacquis,luipermettentdegarderlecontrôledelasituation.

EtpuisTalleyrand.Leplusâgé:cinquanteans.Sonsangdegrand seigneur périgourdin lui fait regarder de très haut unFouchéàquiletitrededucd’OtrantenedonnerajamaiscequeTalleyrandpossèdeparnaissance.

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prisespourespionnerlespensionnésanglaisetparticulièrementma personne. Je suis averti depuis longtemps ; mais je vousavouequelacraintederencontrerungueuxsoudoyénemeferajamaisfaireunpasdeplusoudemoins,etjenesuispasfâché,sil’onacruàproposd’ouvrirmeslettres,quel’onyaitreconnumafaçondevoiretdepenser,et ladésapprobationcontinuelleque j’ai toujoursdonnéeàdesmesuresendessouset indignesdelacausequenousservons;mesuresquiontdéjàfaittantdemal.Aureste,j’espèrequelesarrestationsquiviennentd’avoirlieu en France vont tout naturellement débarrasser la bonnecause d’un tas de demi-convertis [allusion à Pichegru etMoreau]quin’ypouvaientquefairegrandtort.»

Ces derniers jours, en écho aux recommandations deprudencedesongrand-père,luisontparvenuescellesduroideSuède, Gustave Adolphe, en séjour chez son beau-père, lemargravedeBade,àMahlberg,cechâteauque j’ai aperçuà lasortied’Ettenheim.

Convaincuounon,maispousséparlaprincesseCharlotte,iladécidédequitterEttenheim. Ila louéunemaisonàFribourgqu’il fait remettre en état. Il s’y installera dès qu’elle serahabitable.

Enattendant,etparcequ’ilconnaîtlesfaussesrumeursquicourent sur ses allées et venues, le prince accepte demodifierl’itinéraire de ses promenades. « Il portait la prudence jusqu’ànepasapprocherdugrandRhin,limitedesdeuxÉtats.Jeveux,disait-il,pouvoir,encasd’événement,affirmersurmonhonneurquejen’aijamaisétéenFrance1.»

N’en déplaise aux forgeurs de légende : aucune aventureamoureuse ou frondeuse ne lui faisait oublier qu’il ne voulaitrentrerchezluiqu’enpleinelumière,lesarmesàlamain.

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Leprincepassetoutelajournéedu13marsàlachasse,aubois de Rhinheim 2. Un de ses serviteurs l’y rejoint pour luiporter un message de Thaddée Roesch, le maire de Rhinau.Celui-ciaobservélesmouvementsdetroupedanssavilleetquetous les bateaux sur la rive française avaient été consignés. IlconjureleprincedeserendrelesoirmêmedansunedesîlesduRhinoùdoivent l’attendredesamisqui l’emmèneront,dans lanuit,versunlieusûr.

Unanxieuxdeplus,doitsedireleprincecarilcontinuedechasseretnégligelerendez-vous.

Quandilrentre,laprincesseCharlottelesuppliedeprendredesdispositions : elle a étéprévenuede l’agitation au-delàduRhinparunsous-officierdelagendarmeriequiavaitappartenuautrefoisà lamaisondeRohanetconfirmecequeditRoesch.Mais le prince est fatigué de sa journée et meurt de faim.Refusantdeselaissergagnerparcestracas,ils’attableavecsesamispuisvasecoucher.

Canone, très inquiet, obtient de se rendre à la sortied’Ettenheimpoursurveillerjusqu’aumatinlaroutequivientdeRhinau.

Maiscettenuit-là,toutrestecalmedanslavillecommeversleRhin.

Aupetitmatin,Canone rentreunpeu rassuréetcommencesontravail.Maisenouvrantlesvolets,sescraintesseréveillentcar il aperçoit les agents d’Ordener, « désilhouettés » enmarchands, qui déambulent peu discrètement autour de lamaison.Ils’agitdubrigadierdegendarmeriePferdsdorfetd’unnommé Stoll. Canone se précipite pour prévenir le prince quiaccepte que le lieutenant Schmitt les suive à cheval pourobserverleurmanège.

Dèsqu’ilsvoientSchmittà laportede lamaison, lesdeux

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sbires remontent à cheval et se dirigent ostensiblement vers lasortiedelaville,sanssepresserlemoinsdumonde.Schmittlessuitjusqu’àl’aubergeduCygne,surlarouteentreEttenheimetStrasbourg où il les aborde 1. Avec tous les accents de lasincérité,lesespionsracontentqu’ilssontvenusfairedesachatsenvillepourleurcommerce.Schmittlesaccompagneencoreunbout de chemin mais leur apparente bonne foi doit être trèsconvaincante car Schmitt les abandonne et rentre rassurer leprince.

À mesure que la journée avance, l’indifférence du princecèdedevantlapréoccupationdesescompagnons;l’angoissedelaprincesseCharlottepèsedeplusenpluslourd:qu’ilparte!ÀFribourg,àBâle,n’importeoù,maisqu’ils’éloigneduRhin.

Dans la soirée, le prince finit par se laisser fléchir : c’estdécidé,ilpartirademain,15mars.

Onn’estpasàquelquesheuresprès.Et pour rassurer la princesse avant qu’elle ne rentre chez

elle, il demandeà ses aidesdecamp,Grünstein etSchmitt, depasserlanuitprèsdelui.AveclesdomestiquesCanone,Poulainet Féron, ils seront six à résister à une attaque éventuelle. Laporte d’entrée est soigneusement verrouillée etCanone déposedans la chambre de sonmaître les fusils du prince avec leursmunitions.

L’âmetranquille,leducd’Enghiens’endort.Ilestenvironminuit.LeshommesdeBonapartesontentraind’embarquersur le

Rhin.

Le jeudi 15 2, à Ettenheim, ma maison cernée par undétachementdedragonsetdespiquetsdegendarmerietotaldeuxcentshommesenviron,deuxgénéraux, le coloneldedragons,lecolonelCharlotdelagendarmeriedeStrasbourg

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Troptard!Leducd’Enghienestenroute.Qu’ilmeurepuisqu’ilestdevenusigênant.Leplusvitepossibleetdansleplusgrandsecret:sileclanBonaparteréagitaussimal,lepireestàprévoir.Lajournéedumardi20mars1804commence.La voiture du prince ne ralentit pas son allure : elle est

attendueàParis,enfindesoirée.Les ordres se précisent. Dans la matinée, Bonaparte dicte

l’arrêtsuivant:

«Paris,le29ventôsedel’anXIIdelaRépubliqueuneetindivisible.

«LegouvernementdelaRépubliquearrêtecequisuit:«Art.1.Leci-devantducd’Enghien,prévenud’avoirporté

lesarmescontrelaRépublique,d’avoirétéetd’êtreencoreàlasoldedel’Angleterre,seratraduitàunecommissionmilitairedeseptmembres,nomméeparlegénéralgouverneurdeParisetquiseréuniraàVincennes.

«Art.2.Legrandjuge,leministredelaGuerreetlegénéralgouverneur de Paris, sont chargés de l’exécution du présentarrêté.»

Iln’estpasfaitmentiondelaconspirationdeGeorges.

AussitôtsignéeparBonaparte,lanoteestportéeàMuratquidoitlacontresigneretnommerlesseptjuges.AutourdeMuratdelaisseréclatersacolère.Ilestaupieddumur:laformationd’une commission militaire ne dépend que de lui, commegouverneurdeParis.Ilsaitparfaitementquesidevantunehautecourouungrandtribunalunaccusépeuts’expliquer,choisirundéfenseur,entameruneprocédured’appel,demandersagrâce,le

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jugement d’une commission militaire est immédiatementexécutoire. Et comme la conclusion ne fait aucun doute, c’estlui,Murat,quivalégitimercela!

Devantsesofficiers,Muratoutrés’écrie:«C’estunetachequ’onveutmettreàmonhabit;maisjejureparDieuqu’ellen’ysera pas. » Aussitôt à cheval, le voilà qui galope jusqu’àMalmaisonpours’expliqueravecsonbeau-frère.EntrelesdeuxMéridionaux, la discussion s’entend à des lieues. Chacunvocifère,hurlantdesargumentsquel’autren’entendpas.

«Sivousn’exécutezpasmesordres,jevousrenverraidansvosmontagnesduQuercy!»tonitrueBonaparte.

Murat s’en moque. Il quitte la Malmaison avec fracas etreprendlaroutedeParis.

À peine arrivé chez lui, il se heurte à César Berthier, sonchefd’état-major,quiadéjàétémisaucourantdetoutel’affairepar le ministre de la Guerre, Alexandre Berthier, son proprefrère.Lamesureestcomble;l’humiliation,chezMurat,sejointà la colère : « Je ne nommerai pas la commission militaire,répète-t-il;queBonapartelanommes’ilveut!»

Berthier, le ministre, fonce à la Malmaison où Savary estprésent.IlrapportelesproposdeMuratàBonapartequi,presséparletemps,dresselui-mêmelalistedessept.

« La plupart de ces juges galonnés avaient été triés sur levolet,c’est-à-direqu’ilsavaientétéchoisisparmilesofficiersàtout poil qui avaient prêté leur concours le plus actif àBonaparte pour la perpétration de son 18Brumaire », écrit lepetit-filsdeSavary.

Voicileursnoms:Le général Hulin, commandant les grenadiers à pied de la

gardeconsulaire,président.Le colonel Guitou, commandant le 1er régiment de

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cuirassiers.Le colonel Basancourt, commandant le 4e régiment

d’infanterielégère.LecolonelRavier,commandantle18erégimentdeligne.LecolonelBarrois,commandantle96edeligne.LecolonelRabbe,commandantle2erégimentdelagardede

Paris.Le citoyenDautancourt, capitaine-major de la gendarmerie

d’élite,quiferafonctiondecapitaine-rapporteur.LecitoyenMolin,capitaineau18ed’infanteriedeligne,fera

fonctiondegreffier.J’ai consulté les dossiersmilitaires disponibles auSHAT :

rienàdireducouragedeceshommessurleschampsdebataille.Je suis tout de même songeuse devant le dossier du généralHulin,grandspécialisteduretournementdeveste.Le14juillet1789, il est volontaire pour prendre la Bastille. Cerévolutionnaire enthousiaste, qui parle de Louis XVI commed’un « despote du fond de son palais de Versailles », vas’attacher à Bonaparte pour l’abandonner dès la premièreRestauration. Et dans une lettre à Louis XVIII, datée du 16juillet1813, ilnemontreaucunétatd’âmeàconclure :« […]En protestant de mon dévouement au Roi, je ne fais ici querenouveler l’assurance des sentiments dont le vertueux LouisXVI,sonaugustefrère,eutlapreuve.»

Voicidequellefidélitéétaitcapableceluiquiallaitprésider,comme le plus élevé en grade, le jury chargé de condamner leducd’Enghien.

Àcetteliste,Bonaparteajouteletexted’uninterrogatoiredepure forme et enfin un jugement tout rédigé dont le dispositifconclutàunecondamnationàmort.

«Mongrand-père,écritleducdeRovigo1,hommepratique

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Deuxmillesoldatscontreunprince.

LesseptjugessontaucompletdanslesalondeHarel.Hulinécriradanssesmémoiresqueniluiniaucundesescompagnonsnesavaientquiilsallaientavoiràjuger.

Étrange affirmation carHulin a passé unmoment, l’après-midimême, à laMalmaison avec le Premier consul et qu’il adoncreçudesordresdirectementdeBonaparte.

Il écrira aussi, fait bien plus grave, que lui comme sescollègues étaient entièrement étrangers à la connaissance deslois.«Chacunavaitgagnésesgradessurlechampdebataille;aucun n’avait la moindre notion en matière de jugements ; etpour comble de malheur, le rapporteur et le greffier n’avaientguèreplusd’expériencequenous.»

Unepremière fois,peuaprèsminuit– leprincea-t-il eu letemps de dormir ? – le lieutenant Noirot, de la gendarmeried’élite, visageplein et coloré,marquédepetite vérole, pénètredanslachambreavecdeuxgendarmesdegardedont l’unporteune lanterneetdemandeauprincede s’habilleretde le suivrepourparaîtredevantlacommissionmilitaire.

Il a changé de costume sauf la redingote vert olive qu’ilenfile. De nouveau, on lui fait traverser la cour – voit-il dansl’ombre les innombrables silhouettes silencieuses, l’arme aupied?–etremontervers lesalondélabréd’Harel,dansla tourduBois,oùl’attendenttroishommes.

Le rapporteur Dautancourt, le greffier Molin et le chefd’escadron Jacquin voient alors entrer un jeune homme pâle,taille 1,705 m, cheveux et sourcils châtain clair, figure ovale,longue et bien faite, yeux gris tirant vers le brun – le bleu del’enfance s’est donc éteint –, bouche moyenne, nez aquilin,menton un peu pointu, bien fait. Il est vêtu d’un habit bleu

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barbotàboutonsdemétal,d’ungiletblancetd’unpantalondenankin.Ilaôtésaredingoteettientsonchapeauàlamain.Sansunmot,ils’assiedsurlachaisequ’onluidésigne.

LemajorDautancourtcommencel’interrogatoired’identité.Avec simplicité et sans montrer de faiblesse, le prince

répond volontiers : de son enfance àChantilly à ses dernièresannées en pays de Bade, qu’aurait-il à cacher ? Il ne renieaucunecampagnemilitaire,aucuneprisedepositionpolitique:iln’ajamaiseuàchoisir,sanaissanceluiaimposésondestin.

Dautancourta,entrelesmains,lesquestionsqueBonaparteadictéesdansl’après-midiàRéal.Ellesportentessentiellementsur les liensduducd’Enghienavecl’Angleterre,plusfacilesàprouverquesacomplicitéavecCadoudal.

LeprinceaffirmenejamaisavoirmislespiedsenAngleterreet n’avoir revu ni son père ni son grand-père depuis ladissolution de l’armée de Condé. Oui, il a entretenu unecorrespondance avec eux, mais n’est-ce pas naturel entremembresd’unemêmefamille?

Etquandon luidemandequellesontétéses relationsavecPichegruetDumouriez,iln’aaucunmalàrépondre:aucune.

Que reste-t-il des faits reprochés au prince ?Qu’il a portéles armes contre la République ? Mais la France entière saitcela, et d’ailleurs, le duc d’Enghien le revendique sans aucunmalaise.

Legreffierfaitsignerleprocès-verbalàtouslesprésents,ycomprisauducd’Enghien.Maiscelui-cidemandeàajouteruncodicille:

« Avant de signer le présent procès-verbal, je fais, avecinstance, la demande d’avoir une audience du Premier consul.Mon nom, mon rang, ma façon de penser et l’horreur de masituationmefontpenserqu’ilneserefuserapasàmademande.

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«L.A.H.deBourbon.»

Laséanceestlevée,leprinceestramenédanssachambredupavillon du Roi. Là, il demande une plume et du papier etcommenceàrédigerunelettrepourlaprincesseCharlotte.

Ilnefautpaslongtempspourtransformerlesalond’Harelensalle de tribunal : le feu allumé dans la cheminée, une longuetable avec, derrière un fauteuil présidentiel entouré de sixchaises, quelques chandeliers, une chaise pour l’accusé. Lesjuges prennent place quand arrive Savary enveloppé dans sonmanteau.

«Jen’aiaucunmotifdetairesonnom,écrirasonpetit-fils,d’autantplusqu’audébutdecettetristeaffaire, l’aidedecampdeBonaparteétait toutdésigné,nonpour jouer le rôled’agentsecret, comme certains publicistes l’ont prétendu, mais bienpourlaconduirejusqu’aubout.»

Savarys’installeprèsdufeu,derrière lefauteuilqu’occupeHulin.Ombre glacée qui pèsera lourd sur la décision des septjuges.

Un des juges demande au président la communication despiècesàcharge.

Pasdepiècesàcharge.Unautredemandelacommunicationdespiècesàdécharge.Pasdepiècesàdécharge.Unautredemandealorsquel’onréunisselestémoins.Pasdetémoins.Danscesconditions,sont-ilshabilitésàsiéger?LeprésidentHulinleurrappellealorsqu’ilsnesontpasen

conseil de guerre, mais en commission militaire, juridictionspéciale instituée par la Convention en l’an III, ne relevantd’aucunerègle.Riennel’obligeauxformeslégalesdelajustice

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SophiedeTott.MuséeCondé,Chantilly.©BridgemanGiraudon-Lauros.

PrincesseCharlottedeRohan-Rochefort.ChâteaudeSychrov.Républiquetchèque.©D.R.

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Mohilofsurlatombeduducd’Enghien(1821),BibliothèqueNationaledeFrance,Paris

L’arrestationduducd’Enghiendevantlamaisond’Ettenheim.©D.R.

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LedocteurJägeraupieddelacolonnefunérairesituéedanslesfossésdeVincennes.©D.R.

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VueduchâteaudeVincennesprisedansundesfossésaumomentdel’exhumationducorpsduducd’Enghienle20mars1816,JacquesIgnace

Hittorf.©R.G.Ojeda/rmn