Le règne des Carolingiens : l’empire d’Occident retrouvé et perdu -...

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Le règne des Carolingiens : l’empire d’Occident retrouvé et perdu Les successeurs des Mérovingiens Les Carolingiens, dynastie fondée par la famille des Pippinides, règnent sur l’Europe occidentale des années 750 jusqu’à la fin du x e siècle. Prenant appui sur l’Église de Rome, leur pouvoir est marqué par la réalisation de la quasi-unité de l’Occident chrétien sous Charlemagne, sacré empereur d’Occident en 800, et par de grandes réformes entreprises par Pépin le Bref, poursuivies et amplifiées par Charlemagne, dans les domaines religieux, administratif, législatif et éducatif. Cette véritable restauration de l’État s’appuie sur des lettrés et savants chrétiens, conseillers de l’empereur. Nommés à des postes clés, ils seront les artisans de ce qu’on a appelé la « Renaissance carolingienne », voulue par Charlemagne, qui s’épanouit sous son règne et ceux de son fils Louis le Pieux et de ses petits-fils. Les successeurs de Charlemagne auront du mal à conserver l’empire dans ses limites, son unité et son intégrité. En transmettant de son vivant son titre d’empereur à son fils aîné et en le faisant son héritier principal, Louis le Pieux tente de rompre avec la tradition franque de l’héritage (répartition égale du royaume entre les fils), génératrice de déchirements fratricides. Mais il échouera. Le traité de Verdun (843) partage l’empire entre les petits-fils de Charlemagne et met fin au grand rêve d’unité. Une brève reconstitution théorique de l’empire apparaîtra sous Charles III le Gros, qui sera empereur d’Occident quelques années (881-887). Couronnement de Charles le Chauve Sacramentaire de Charles le Chauve BNF, Manuscrits, latin 1141, f. 2 v° École du Palais de Charles le Chauve, v. 870 Charles le Chauve, entre deux dignitaires ecclésiastiques, est couronné roi de Lotharingie (à Metz, le 9 septembre 869) par la main de Dieu, qui impose ainsi sa souveraineté sur les hommes. À la mort de Charlemagne, le monde occidental est, d’apparence évidente, tout entier chrétien. C’était la mission, c’est le mérite de l’empereur défunt d’avoir, en repoussant toujours plus loin les limites de l’empire, dilaté la chrétienté. Laurent Theis, L’Héritage des Charles

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  • Le règne des Carolingiens : l’empire d’Occident retrouvé et perdu

    Les successeurs des Mérovingiens

    Les Carolingiens, dynastie fondée par la famille des Pippinides, règnent sur l’Europeoccidentale des années 750 jusqu’à la fin du xe siècle. Prenant appui sur l’Église de Rome, leur pouvoir est marqué par la réalisation dela quasi-unité de l’Occident chrétien sous Charlemagne, sacré empereur d’Occidenten 800, et par de grandes réformes entreprises par Pépin le Bref, poursuivies etamplifiées par Charlemagne, dans les domaines religieux, administratif, législatifet éducatif. Cette véritable restauration de l’État s’appuie sur des lettrés etsavants chrétiens, conseillers de l’empereur. Nommés à des postes clés, ils serontles artisans de ce qu’on a appelé la « Renaissance carolingienne », voulue parCharlemagne, qui s’épanouit sous son règne et ceux de son fils Louis le Pieuxet de ses petits-fils. Les successeurs de Charlemagne auront du mal à conserver l’empire dans seslimites, son unité et son intégrité. En transmettant de son vivant son titre d’empereurà son fils aîné et en le faisant son héritier principal, Louis le Pieux tente de rompreavec la tradition franque de l’héritage (répartition égale du royaume entre les fils),génératrice de déchirements fratricides. Mais il échouera. Le traité de Verdun (843)partage l’empire entre les petits-fils de Charlemagne et met fin au grand rêve d’unité.Une brève reconstitution théorique de l’empire apparaîtra sous Charles III le Gros,qui sera empereur d’Occident quelques années (881-887).

    Couronnement de Charles le ChauveSacramentaire de Charles le ChauveBNF, Manuscrits, latin 1141, f. 2 v° École du Palais de Charles le Chauve,v. 870Charles le Chauve, entre deux dignitairesecclésiastiques, est couronné roi deLotharingie (à Metz, le 9 septembre 869)par la main de Dieu, qui impose ainsisa souveraineté sur les hommes.

    À la mort de Charlemagne, le monde occidental est,d’apparence évidente, tout entier chrétien. C’était la mission,c’est le mérite de l’empereur défunt d’avoir, en repoussanttoujours plus loin les limites de l’empire, dilaté la chrétienté.

    Laurent Theis, L’Héritage des Charles

  • L’Empire chrétien d’Occident, de sa naissance à sa dislocation

    Les maires du palaisLes deux ancêtres des Carolingiens, Pépinde Landen et saint Arnoul, évêque de Metz,appartiennent à l’aristocratie d’Austrasie.Ils rallièrent au roi de Neustrie Clotaire IIl’aristocratie de la Gaule du Nord-Est (613).Pépin occupa une fonction apparue au vie siècleet qui prit de l’importance en même temps ques’affaiblissait l’autorité des rois mérovingiens :celle de maire du palais, réel détenteurdu pouvoir, au cœur des relations avecl’aristocratie. Mais le véritable chef du lignagecarolingien est Pépin II, dit Pépin de Herstal,petit-fils de Pépin de Landen et de saint Arnoul(qui avaient marié leurs enfants) ; maire dupalais d’Austrasie en 679, il vainc les Neustriensen 687, et se fait nommer maire du palais pourtout le royaume franc par Thierry III, qui n’aplus de royal que le titre. Pépin II gouverneen s’appuyant sur la religion et s’allie avec lapapauté. Mais l’unité franque se désagrègeaprès sa mort en 714.

    Charles Martel (v. 688-741)Il faudra sept ans au bâtard de Pépin II, CharlesMartel, dernier de ses fils vivants, pour réunirl’Austrasie et la Neustrie et s’imposer commemaire du palais (721-741). Il lutte contrel’invasion arabe (Poitiers, 732) et reconquiert

    des territoires du Sud-Ouest, sauf Narbonnequi reste aux mains des Arabes. Il apparaîtainsi comme le protecteur de la civilisationchrétienne. En 734, le pape Grégoire III, sesentant menacé par les Lombards — ils ontoccupé Ravenne (gouvernée par Byzance) etsont aux portes de Rome —, appelle à sonsecours Charles Martel, auquel il a donné le titrede vice-roi. Mais Charles est peu désireuxd’intervenir en Italie. À la mort du roi Thierry IV(737), son successeur Childéric III est expédiédans un monastère. Avant de mourir, Charlesdispose du royaume en faveur de ses filslégitimes : Carloman administre l’Austrasie,l’Alémanie et la Thuringe et Pépin, dit le Bref,dirige la Neustrie, la Bourgogne et la Provence.Griffon, fils illégitime, tentera d’obtenir sa part,mais sera neutralisé. Face à l’agitation desgrands d’Austrasie, les deux frères devrontrappeler Childéric III sur le trône (743).

    Pépin III le Bref (v. 715-768)Dès leur arrivée au pouvoir, les deux frèresentreprennent une vaste réforme religieuseque Pépin poursuivra seul : en 747, Carlomanse retire dans un monastère. Désireux alorsde se faire nommer roi, Pépin envoie deuxambassadeurs requérir l’avis du pape Zacharie.Celui-ci donne la réponse devenue célèbre :

    « Mieux vaut appeler roi celui qui détient lapuissance que celui qui dispose du titre, maispas du pouvoir. » Assuré du soutien du pape,Pépin dépose le dernier MérovingienChildéric III, se fait élire roi des Francs parles grands (751) et sacrer par les évêques deNeustrie et d’Austrasie, nouant ainsi des liensétroits avec Rome. En 754, le successeurde Zacharie, Étienne II, se déplace lui-mêmejusqu’à Saint-Denis — fait sans précédent —pour demander l’aide militaire de Pépin IIIcontre les Lombards. Pépin reprend Ravenneet plusieurs villes, agrandissant l’État pontifical,ce qui lui vaudra le sacre du pape (à Saint-Denis) et, honneur suprême, le titre de« patrice des Romains » (protecteur). À la mort de Pépin III (768), le royaumeest partagé entre ses deux fils, Charles etCarloman, mais Carloman meurt en 771et Charles recueille l’héritage de son frère,au détriment de ses deux neveux, qui sontaussi les petits-fils de Didier, roi desLombards… source de futurs conflits.

    Charlemagne (v. 747-814)Le long règne de Charlemagne (768-814)est marqué par une politique intérieureréformatrice, qu’il conduit en s’appuyant surdes conseillers érudits (tel Alcuin, le principal),

    Portrait de Lothaire Ier

    Évangiles de LothaireBNF, Manuscrits, latin 266, f. 1 v°Saint-Martin de Tours, 849-851Le petit-fils de Charlemagne, Lothaire Ier, commanditairedu manuscrit, ouvre la série de superbes illustrations de cesÉvangiles, production de la collégiale de Saint-Martin de Tours.La représentation de l’empereur est copiée sur celle desempereurs antiques. Vêtu d’une toge, il trône majestueusementdans un décor théâtral, entouré de deux gardes armés quisymbolisent la protection divine. L’empereur figure le pouvoirtemporel, tandis qu’à la page suivante, un Christ en majestésiégeant sur un globe incarne le pouvoir spirituel.

    Histoire des fils de Louis le PieuxNithardBNF, Manuscrits, latin 9768, f. 13, détailSaint-Riquier ou Soissons (?), fin du ixe s.Nithard est le fils de Berthe (fille de Charlemagne) et d’Angilbert (abbé laïcde Saint-Riquier). Témoin des querelles d’héritage entre ses cousins Charlesle Chauve, Lothaire et Louis le Germanique après la mort de Louis le Pieux,il prend le parti de Charles, dont il devient le conseiller, et participe à labataille de Fontenoy-en-Puisaye (841) contre Lothaire. Il se retire peu aprèsà l’abbaye de Saint-Riquier, où il succède à son père en 845. C’est à lademande de Charles le Chauve qu’il fait le récit des luttes de pouvoir des filsde Louis Ier le Pieux, nous transmettant, entre autres choses, le serment deStrasbourg, de 842.

  • Fulda

    LorschEchternach

    St-Gall

    ReichenauAuxerre

    St-Amand

    Luxeuil

    Laon

    Fleury

    Hersfeld

    Soissons

    St-DenisDol

    Malmesbury

    Corbie

    Lan-Carvah

    St-Riquier

    Tours

    Ferrières

    Aniane

    Gellone

    Mt-Cassin

    Bobbio

    HautvillersSt-Wandrille

    Mayence

    Strasbourg

    MetzReims

    Vienne

    Lyon

    VéroneMilan

    Pavie

    Paris

    Orléans

    Cambrai

    Utrecht

    Ratisbonne

    Cantorbery

    Freising

    Salzbourg

    Coire

    RomeGérone

    Barcelone

    Le Mans

    York

    Brême

    Aix-la-Chapelle

    Venise

    Ravenne

    aquitaine

    marche d’espagne

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    moraves

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    roy. desasturies

    septimanie

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    bohême

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    évêché

    Empire de Charlemagne (814)

    mouvance de l’Empire

    paysslaves

    émirat decordoue

    états de l’église

    territoiresbyzantins

    hommes de confiance placés à des postes clés,et les luttes incessantes, avec le soutien deRome, pour étendre sa domination en mêmetemps que la christianisation de l’Europe. En774, le roi des Francs entre dans Rome commeun simple pèlerin. Il s’engage auprès du papeHadrien Ier, de nouveau menacé par lesLombards, à l’aider à asseoir son autorité surla plus grande partie de l’Italie. Il combatvictorieusement les Lombards, reçoit lacapitulation de Didier et se proclame roi deLombardie. Il reçoit, comme son père, le titrede « patrice des Romains ». En 781, il fait sacrerses fils par Hadrien Ier : Pépin, roi d’Italie,et Louis, roi d’Aquitaine.La christianisation de la Saxe prendra plus detrente ans d’une succession de rebellions etde pacifications ; le capitulaire Partibus saxonis(785), ordonnant aux Saxons de se convertirau christianisme sous peine de mort, entraînerades massacres de part et d’autre. La Bavièreest intégrée au royaume en 788. La conquêtedu nord de l’Espagne (Catalogne) constituela marche d’Espagne, qui protège les Aquitainsdes Maures. Enfin, la soumission des Avarsrepousse les frontières de l’Est jusqu’auxterritoires des peuples slaves, dont certainss’allient aux Francs. À l’ouest, la Bretagnepacifiée forme une nouvelle marche.En 790, Charlemagne s’installe à Aix-la-Chapelleavec son entourage. Jusque-là, les rois n’avaientpas de résidence fixe ; Charles fera du palais

    le cœur administratif et culturel de l’empire,organisant la cour sur le modèle de cellede l’empire d’Orient. Son règne reçoit saconsécration le jour de Noël 800 dans labasilique Saint-Pierre de Rome : Charlemagneest couronné « empereur des Romains » par lepape Léon III, après avoir instruit un attentatperpétré contre ce pape accusé d’immoralitéet l’avoir ramené sur le Saint-Siège. L’empereurdes Francs est regardé comme un nouveauDavid : il a restauré l’empire d’Occident.En 806, Charlemagne partage son empire, selonla tradition franque, entre ses trois fils, Pépind’Italie, Charles et Louis, mais Pépin meurt en810 et Charles en 811. Charlemagne nommeBernard, fils de Pépin, roi d’Italie, et, en 813,quelques mois avant sa mort, il désigne Louiscomme son successeur devant l’assembléeréunie à Aix-la-Chapelle.

    Louis Ier le Pieux (778-840) et ses filsDès son arrivée sur le trône, Louis Ier remplaceles proches de son père par ses propresconseillers, comme Benoît d’Aniane, un moinequ’il place à la tête de tous les monastères del’empire, le chargeant de les réorganiser etréformer selon la règle de saint Benoît. En 816,il se fait sacrer à Reims par le pape Étienne IVet s’engage à garantir l’indépendance del’institution pontificale (ce que n’avait pas vouluCharlemagne). Pensant sauvegarder l’unitéde l’Empire et le protéger des invasions (les

    Normands menacent les côtes ouest et nord),Louis Ier organise sa succession dès 817 :rompant avec la tradition franque, l’OrdinatioImperii désigne son fils aîné Lothaire commeunique héritier, le proclame empereur etl’associe au pouvoir ; Pépin est nommé roid’Aquitaine, Louis reçoit la Bavière, et tous deuxsont placés sous l’autorité de Lothaire. En casde décès d’un des rois, un seul héritier devraêtre désigné ; si l’empereur meurt, les grandsdevront choisir son successeur entre sesdeux autres frères. Mais, en 823, un autre fils,Charles, naît du remariage de Louis Ier avecJudith. Pressé par sa femme, Louis finit parchanger l’Ordinatio (829), attribuant à Charlesune partie importante des territoires deLothaire, qui est expédié en Italie où il s’était faitcouronner empereur par le pape Pascal Ier àla naissance de son demi-frère. Les trois frèress’unissent alors contre leur père et le déposenten 833. Louis Ier est enfermé avec Judith etCharles, mais il est rappelé sur le trône quelquesmois plus tard. Pépin d’Aquitaine meurt en 838et Louis le Pieux donne son royaume à Charlesle Chauve, au détriment du fils de Pépin qui serévoltera contre Charles. Un nouveau partageintervient en 839 (assemblée de Worms). À la mort de Louis Ier le Pieux (840), ses fils vonts’affronter de plus belle. Lothaire Ier revendiquel’application de l’Ordinatio de 817, tandis queses frères veulent conserver leur part. Après laviolente bataille de Fontenoy-en-Puisaye (841),

    L’empire de Charlemagne en 814 et les principaux foyers culturels

  • Les territoires des trois fils de Louis Ier le Pieux d’après le traité de Verdun (843)

    Portrait de Charles II le ChauvePsautier de Charles le ChauveBNF, Manuscrits, latin 1152, f. 3 v°École du palais de Charles le Chauve, avant 869Le roi (il ne sera sacré empereur qu’en 875) estreprésenté ici avec les attributs de sa fonction :un sceptre et un globe, au centre d’un espacebordé de draperies évoquant un sanctuaire. Au-dessus de sa tête, la main de Dieu le bénitet le désigne comme son représentant sur terre.

    où Lothaire est battu, Louis et Charles seretrouvent avec leurs armées à Strasbourg etéchangent solennellement, le 14 février 842,un double serment resté célèbre : Louis leGermanique prononce la promesse de paixen langue romane pour les soldats francset Charles le Chauve en langue tudesquepour les Germains. Finalement, à l’instigationdes grands, l’empire sera partagé en troisroyaumes à peu près égaux par le traitéde Verdun (843) : à l’ouest, la Franciaoccidentalis de Charles le Chauve, à l’est,la Francia orientalis de Louis le Germanique,et, entre les deux, la Media Francia deLothaire Ier, qui garde le titre d’empereur,mais n’a aucun pouvoir sur les autres rois.La fin de l’empire d’Occident est signée.Charles est sacré roi en 848 à Orléans.Lothaire transmet son titre à son fils aînéLouis II et le fait couronner empereur d’Italieen 850 ; avant sa mort (855), il répartit lereste de son empire entre ses deux autresfils, Lothaire II (Lotharingie) et Charles(Provence).

    Charles II le Chauve (823-877)Le territoire imparti à Charles le Chauve parle traité de Verdun recouvre l’ancienne Gaule(Neustrie, Aquitaine) et la marche d’Espagne.Son règne est marqué dès le début par desluttes incessantes : contre les Normands(dès 841), contre les Bretons qui débordentde leurs frontières (à partir de 845), contreune aristocratie dont la montée en puissancesape l’autorité royale. En 858, Charles doitaffronter une révolte des grands de Neustriemenée par le puissant Robert le Fort, comtede Tours et d’Angers, fondateur de la lignéedes Robertiens et arrière-grand-pèred’Hugues Capet. Louis le Germaniquepénètre dans le royaume de son frère, appelépar les rebelles, et convoque les évêquesà Reims pour asseoir sa légitimité. Mais lesévêques francs, sous la conduite d’Hincmar,désavouent Louis et proclament reconnaîtrecomme unique roi Charles II. Grâce à l’appuide l’épiscopat et les conseils d’Hincmar,Charles viendra à bout de toutes lesrebellions — souvent en payant le prix fort.À la mort de Lothaire II (869), Charles leChauve, soutenu par les évêques, se faitcouronner roi de Lotharingie, à Metz. En 870(traité de Meersen), il doit rétrocéder Aix-la-Chapelle et Metz à Louis le Germanique ;il ne reste alors rien de la Lotharingie, etdeux ensembles apparaissent bien distincts :la Francie et la Germanie. Pour certainshistoriens, la France naît du partage deMeersen, et Charles II en est le premier roi.À la mort de Louis II (fils de Lothaire Ier),le pape Jean VIII fait proclamer Charles IIle Chauve empereur d’Occident, et le sacreà Rome le jour de Noël (875). Charles vatenter de reconstituer l’empire : il envahitla Lorraine à la mort de Louis le Germanique,mais il est repoussé par le fils de Louis.

    En 877, le pape l’appelle pour défendre Romecontre la menace musulmane. Avant departir, il réunit une assemblée à Quierzyet promulgue un capitulaire, véritabletestament, dont les articles réglant l’héréditédes honneurs seront considérés commefondateurs de la féodalité. Pendant sonabsence, la Francie se soulève. Il meurt surle chemin du retour. Son fils Louis II le Bèguemeurt à son tour en 879.Après une période confuse de luttes derivalité entre les petits-fils de Charles leChauve et les fils de Louis le Germanique,Charles le Gros, dernier des fils de Louis leGermanique, est sacré empereur en 881 etroi de Francie occidentale en 884, après lamort de Carloman (petit-fils de Charles leChauve). L’empire semble s’être reconstitué,regroupant à nouveau les royaumes francs,mais ce n’est qu’apparence, l’autorité deCharles III le Gros est sapée par l’anarchiedes grands et l’invasion des Normands,à laquelle il ne peut faire face. Il est destituéen 887. À sa mort en 888, l’empire estdéfinitivement morcelé entre les royaumesde France, Lotharingie, Bourgogne, Italie,Alémanie. C’est la fin réelle des Carolingiens,bien qu’il faille attendre près d’un siècle (987)pour voir Hugues Capet leur substituer surle trône de France la dynastie des Capétiens.

    Magdebourg

    Marseille

    Arles

    MilanEmbrun

    Lyon

    Vienne

    Toulouse

    Bordeaux

    Bourges

    Paris

    Tours

    Orléans

    Rome

    Ravenne

    Venise

    Spolète

    Meersen

    Strasbourg

    MayenceTrêves

    MetzVerdun

    Ratisbonne

    Aix-la-Chapelle

    Barcelone

    aquitaine

    francie

    carinthie

    bavière

    provencelombardie

    alémanie

    rhétie

    austrasie

    océanatlantique

    merdu

    nord

    saxe

    bohème

    bourgogne

    lotharingie

    Soissons

    Reims

    Laon

    bretagne

    charles le chauve lothaire

    louis le germanique

    territoiresbyzantins

    états de l’église

  • Le développement de l’instruction

    Que des écoles soient fondéesoù les enfants puissent lire.

    Admonitio generalis, 23 mars 789, chapitre 72

    De nouvelles lois et un nouveauprogramme pour l’écoleJusqu’à Charlemagne, l’enseignement estconfiné dans les monastères, où les moinesétudient les textes anciens dans les scriptoriaet les bibliothèques. Pour mener à bien sesréformes, Charlemagne a besoin d’uneadministration performante et d’un clergéinstruit dans une langue commune ; lui-mêmecomprend et lit le latin, le parle mais ne sait pasl’écrire. Il promulgue une série de capitulaires(le plus important, l’Admonitio generalis, datede 789), rédigés par des conseillers, quiprescrivent l’organisation d’écoles cathédrales,monastiques et presbytérales, destinéesaux futurs clercs et moines, mais accueillantégalement les laïcs. Avant lui déjà, en 772,son cousin Tassilon III, duc de Bavière, avaitdemandé aux évêques d’ouvrir des écolesdans leurs églises.Les écoles délivrent les apprentissagesde base : lecture et écriture du latin, calcul.Sous l’égide d’Alcuin, qui a enseigné à l’écolecathédrale d’York, de grands centres culturelss’organisent autour des monastères (Corbie,Saint-Riquier, Saint-Martin de Tours…), prèsdes cathédrales comme à Reims, Orléans, Lyon,et dans le palais de l’empereur. Les écolesinstallées là dépassent le niveau élémentaireet enseignent les « arts libéraux », programmed’enseignement « secondaire », propédeutiquedes études supérieures constituéesessentiellement de la théologie. Hérités del’Antiquité, où ils regroupaient les « formes desavoir » propres à l’homme libre, les sept artslibéraux sont distribués en deux cycles :grammaire, rhétorique et dialectique (lessciences du langage) forment le trivium ;

    arithmétique, géométrie, musique et astronomie(soit les disciplines scientifiques) composent lequadrivium. Cette répartition du savoir et du« savoir-dire » était définie par Martianus Capelladans son œuvre majeure De Nuptiis Mercuriiet Philologiæ (« Les Noces de Mercure et dePhilologie »), écrite vers 410. Cette véritableencyclopédie, où chaque discipline estpersonnifiée, fut le manuel de base del’enseignement des écoles carolingiennes,complété par les Institutiones de Cassiodore(vie siècle) et les Etymologiæ d’Isidore de Séville(viie siècle), et enrichi un peu plus tard descommentaires de Jean Scot Érigène.On étudie également les textes des Pères del’Église et l’on réapprend la Bible à la lumièrede leurs écrits. Les auteurs romains ancienssont redécouverts : Térence, Cicéron, Virgile,Sénèque, Aulu-Gelle… C’est le latin de cesécrivains qui est pris pour modèle. Leurs textessont copiés et imités : ainsi Éginhardparaphrase-t-il Suétone dans sa biographiede Charlemagne. Les disciplines scientifiquesdu quadrivium sont étudiées à travers les textesdiffusant l’héritage antique. On apprend àconnaître les plantes pour leurs utilisations enagriculture, mais aussi en médecine, disciplinequi naît à cette époque. La littérature grecque commence à arriver,mais il faudra attendre la deuxième moitié duixe siècle pour voir les premières traductionsde textes grecs en latin, dues à des Irlandaiscomme Jean Scot Érigène, qui enseigneraà l’école palatine de Charles le Chauve.Ces grands centres culturels sont des lieux derencontre de maîtres que Charlemagne a faitvenir de toute l’Europe, tels les Italiens PaulDiacre et Paulin d’Aquilée, l’Espagnol Théodulfe,les Irlandais Dungal et Dicuil, et surtout l’Anglo-Saxon Alcuin, entraînant un brassage desinfluences antiques et byzantines avec leshéritages insulaires, francs et germaniques.

    Sénèque, Lettres à LuciliusBNF, Manuscrits, latin 8658A, f. 128Région de la Loire (?), 1re moitié du ixe s.Ce traité de Sénèque, composé de lettres philosophiqueset morales, faisait partie des œuvres classiques étudiéespar les lettrés carolingiens.

    Cassiodore, Commentaire sur les psaumes I-LBNF, Manuscrits, latin 2195, f. 9 v°, détailSaint-Denis, début du ixe s.Librement inspirée de saint Augustin, cetteœuvre théologique traite également de questionsgrammaticales et stylistiques. Elle connutun grand succès durant tout le Moyen Âge.La majuscule historiée qui ouvre cette page,et dont les extrémités dessinent des têtesd’animaux, est d’influence insulaire.

    Recueil de traités grammaticauxBNF, Manuscrits, latin 13025, f. 40 v°Corbie, début du ixe s.Cet ouvrage, composé d’une copie du manuelscolaire du grammairien latin Donat (v. 350) et dedivers commentaires et autres traités ou extraits(Isidore de Séville, Bède…), témoigne del’enseignement de la grammaire à Corbie auixe siècle. La page reproduite ici est le début d’untraité sur les déclinaisons et les conjugaisons, dontla première lettre, P, est une initiale ornéeremarquable : elle est formée par un homme vêtu àl’orientale qui porte un lion sur son dos. Le corpsdu texte est en écriture minuscule caroline.

  • La révision des textesLe développement de l’instruction impliqueune relecture des textes : « Dans chaquemonastère ou évêché, corrigezscrupuleusement les psaumes, les notes,le chant, le comput, la grammaire et leslivres religieux », prescrit le capitulaireAdmonitio generalis. La Bible, base del’enseignement, se rapproche plus oumoins, selon les versions, de la Vulgatede saint Jérôme, avec des interpolationsde textes plus anciens. De plus, erreurs,approximations, fautes grammaticalesse sont accumulées au fil des copies.Maurdramne, abbé de Corbie (772-781),effectue la première correction, quiapporte, avec l’écriture caroline, une plusgrande lisibilité au texte. Angilram, évêquede Metz, établit également une versionrénovée.Alcuin, abbé de Saint-Martin de Tours,après avoir dirigé l’école palatine, s’engageà son tour, à la demande de Charlemagne,dans une révision sur laquelle il vatravailler de 796 à 800. Il entend purifierle texte. Il rectifie la grammaire etl’orthographe à partir de plusieursmanuscrits latins, et surtout il revientà la Vulgate. En revanche, le WisigothThéodulfe, évêque d’Orléans et abbéde Fleury, complète la Vulgate par despassages de la Vetus latina (texte ancienantérieur à la Vulgate), cite des variantesen marge, et cherche à se rapprocher del’original hébreu pour l’Ancien Testament.C’est la Bible d’Alcuin, à l’origine dela production de Bibles et d’Évangilespar l’école de Tours au ixe siècle,qui s’imposera comme modèle.La réforme de la liturgie sur le modèleromain, entreprise sous Pépin III parl’évêque de Metz Chrodegang dansl’objectif d’unifier les pratiques religieuses,retentit sur les textes et leur présentation,et entraîne la production de nouveauxlivres. Bibles, Évangiles, sacramentaires(recueils de prières à l’usage de celui quicélèbre la messe), psautiers (recueils descent cinquante psaumes bibliques àl’usage des ecclésiastiques et des laïcs),lectionnaires (recueils d’extraits bibliquesdestinés à être lus à la messe),évangéliaires (passages des quatreÉvangiles recomposés en fonction de leurlecture dans l’année liturgique), produitssous les Carolingiens, témoignent desdiverses transformations liturgiques.

    Bible de ThéodulfeBNF, Manuscrits, latin 9380, f. 248 v°Orléans ou Fleury, 1er quart du ixe s.Théodulfe ajoute au texte de la Vulgate desextraits de traités d’Isidore de Séville, de saintAugustin, d’Eucher de Lyon…, dont il expliquel’utilité dans un poème.Cet exemplaire a pu être copié sous la directionde Théodulfe. Luxueux et sobre dans sadécoration (sur cette page, un encadrementarchitectural de colonnes, motif courant pourles tables des canons des Évangiles), il estfidèle aux opinions de l’évêque d’Orléans,hostile à la figuration de Dieu.

    Évangiles de Saint-Martin de ToursBNF, Manuscrits, latin 260, f. 23Saint-Martin de Tours, époque d’Alcuin (796-804)Ce manuscrit est un des plus anciens livresd’Évangiles décorés à Saint-Martin de Tourssous l’abbatiat d’Alcuin. Il contient le textedes quatre Évangiles, accompagnés de leurappareil critique.Le décor des tables des canons estd’inspiration à la fois insulaire (entrelacs,motifs tressés) et orientale.

    La querelle iconoclaste vue parles CarolingiensTraité sur les images, dit Libri caroliniBNF, Arsenal, ms. 663, f. 1Reims, vers 869-870Ce traité, commandé par Charlemagneet attribué à Théodulfe, donne la positiondes Carolingiens dans la controversesur le statut des images en cours enOrient. Le concile de Nicée de 787, réunià l’initiative du pape Hadrien qui voulaitrestaurer l’adoration des images,avait suscité les réactions défavorablesdes théologiens entourant Charlemagne.Rédigé entre 791 et 793, cet ouvrageaffirme le rôle pédagogique des imagesdans l’instruction des fidèles, l’aide àla mémorisation et l’édification, maisen rejette l’adoration.Ce manuscrit est l’œuvre d’une vingtainede copistes du scriptorium de lacathédrale de Reims, dont l’écritureminuscule ronde aux lettres détachéesest caractéristique du style.Dans chaque monastère ou évêché,

    corrigez scrupuleusement les psaumes,les notes, le chant, le comput, la grammaireet les livres religieux ; parce que souvent,ceux qui souhaitent bien prier Dieu le fontmal à cause de livres non corrigés. Nepermettez pas que vos élèves les altèrent,soit en les lisant, soit en les écrivant ;et s’il faut copier les Évangiles, le psautierou le missel, que des hommes d’expérienceles transcrivent avec le plus grand soin.

    Admonitio generalis, 23 mars 789, chapitre 72