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Le redoublement au cours préparatoire Thierry Troncin Mai 2004, Séminaire interne de l’IREDU Introduction Les redoublements ne sont que la face immergée de la prise en charge pédagogique des élèves dits en difficulté, sans pour autant les désigner de manière fidèle et exhaustive. Tels les icebergs entravant parfois les routes maritimes, ils sont autant de signes ostensibles mais imparfaits de la manière avec laquelle le chemin ordinaire des apprentissages scolaires est emprunté par une cohorte d’élèves d’une même classe d’âge. En cela, ils sont plus que des décisions administratives : ils témoignent de la manière avec laquelle le système éducatif est pensé, organisé et décliné par les acteurs. Ils témoignent aussi du poids relatif des recherches en sciences sociales dans le domaine des pratiques professionnelles liées à l’École lorsque celle-ci est interrogée dans ses fondements. Rares en effet sont les objets de recherche recueillant un tel consensus défavorable de la part des chercheurs, et ce depuis de nombreuses années. J.-J. PAUL (1997) écrit à ce propos que « s’il y a bien un domaine où les chercheurs en sciences de l’éducation se donnent la main, c’est bien celui du redoublement, pour affirmer à l’unisson que le redoublement est une solution injuste, inefficace sur le plan pédagogique et coûteuse. » Le redoublement est devenu un des sujets de controverse les plus récurrents et incontournable dans le monde de l’éducation selon A. (de) PERETTI (1993). Il constitue un phénomène culturellement enraciné dans notre pays, une de ces évidences socialement partagées qu’il importe de mieux comprendre. Les croyances dans ce domaine sont nombreuses et ancrées. La première d’entre elles consiste à penser que tous les systèmes éducatifs ont recours au redoublement : plusieurs pays, tels que ceux de l’Europe du Nord, l’Angleterre ou le Japon, favorisent la promotion automatique des élèves jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Le deuxième champ de certitudes a trait aux effets sociétaux du redoublement : y recourir agirait positivement sur le niveau global des élèves et sur les écarts entre les plus forts et les plus faibles. Les dernières études internationales (PISA, 2000 ; PIRLS, 2001) montrent qu’il n’y a pas de relation positive entre l’efficacité et l’équité d’un système éducatif et son usage plus ou moins intense du redoublement : les pays adeptes de la promotion automatique sont au contraire parmi les mieux placés dans la conjugaison de ces deux objectifs. De plus, l’estimation du coût - 1 -

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  • Le redoublement au cours préparatoire

    Thierry Troncin Mai 2004, Séminaire interne de l’IREDU

    Introduction

    Les redoublements ne sont que la face immergée de la prise en charge pédagogique des élèves

    dits en difficulté, sans pour autant les désigner de manière fidèle et exhaustive. Tels les

    icebergs entravant parfois les routes maritimes, ils sont autant de signes ostensibles mais

    imparfaits de la manière avec laquelle le chemin ordinaire des apprentissages scolaires est

    emprunté par une cohorte d’élèves d’une même classe d’âge. En cela, ils sont plus que des

    décisions administratives : ils témoignent de la manière avec laquelle le système éducatif est

    pensé, organisé et décliné par les acteurs. Ils témoignent aussi du poids relatif des recherches

    en sciences sociales dans le domaine des pratiques professionnelles liées à l’École lorsque

    celle-ci est interrogée dans ses fondements. Rares en effet sont les objets de recherche

    recueillant un tel consensus défavorable de la part des chercheurs, et ce depuis de nombreuses

    années. J.-J. PAUL (1997) écrit à ce propos que « s’il y a bien un domaine où les chercheurs

    en sciences de l’éducation se donnent la main, c’est bien celui du redoublement, pour

    affirmer à l’unisson que le redoublement est une solution injuste, inefficace sur le plan

    pédagogique et coûteuse. » Le redoublement est devenu un des sujets de controverse les plus

    récurrents et incontournable dans le monde de l’éducation selon A. (de) PERETTI (1993). Il

    constitue un phénomène culturellement enraciné dans notre pays, une de ces évidences

    socialement partagées qu’il importe de mieux comprendre.

    Les croyances dans ce domaine sont nombreuses et ancrées. La première d’entre elles consiste

    à penser que tous les systèmes éducatifs ont recours au redoublement : plusieurs pays, tels que

    ceux de l’Europe du Nord, l’Angleterre ou le Japon, favorisent la promotion automatique des

    élèves jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Le deuxième champ de certitudes a trait aux

    effets sociétaux du redoublement : y recourir agirait positivement sur le niveau global des

    élèves et sur les écarts entre les plus forts et les plus faibles. Les dernières études

    internationales (PISA, 2000 ; PIRLS, 2001) montrent qu’il n’y a pas de relation positive entre

    l’efficacité et l’équité d’un système éducatif et son usage plus ou moins intense du

    redoublement : les pays adeptes de la promotion automatique sont au contraire parmi les

    mieux placés dans la conjugaison de ces deux objectifs. De plus, l’estimation du coût

    - 1 -

  • économique des redoublements est élevée : en France, les redoublements inhérents à la

    scolarité obligatoire génèrent, en 2002, une dépense supplémentaire de plus de 2,3 milliards

    d’euros, ce qui correspond à près de 4 % des dépenses consacrées à ce niveau

    d’enseignement1. Cette facette économique du redoublement est particulièrement prégnante

    dans les pays en développement car ces derniers y ont recours intensément (taux moyen de

    redoublants en primaire égal à 25). De ce fait, cette mesure constitue une entrave au processus

    de scolarisation et un facteur aggravant des abandons scolaires. Le troisième domaine des

    croyances concerne les effets individuels du redoublement. La plupart des recherches

    internationales soulignent qu’en moyenne il n’apporte pas les bénéfices escomptés sur le plan

    des acquisitions : les redoublants progressent lors de leur année de reprise mais pas

    significativement plus que les élèves promus faibles (aux caractéristiques initiales

    comparables). D’autre part, les conséquences psychologiques sur l’enfant et son entourage

    d’une telle décision sont d’autant plus fortes que celle-ci a été précocement vécue.

    A l'instar des autres pays développés où la pratique du redoublement est effective, les taux de

    retard scolaire en France ont diminué dans les différents degrés de la scolarité depuis un quart

    de siècle, en particulier et principalement à l'école élémentaire : aujourd’hui, un élève sur cinq

    entre au collège en retard scolaire pour près du double au début des années 80. Cependant,

    deux constats peuvent être faits : d’une part, cette proportion d’élèves en retard tend

    maintenant à se stabiliser et, d’autre part, il y a persistance de redoublements en début et au

    milieu des cycles d’enseignement alors même que les textes officiels ne les envisagent qu’à

    titre exceptionnel.

    1. Le redoublement au cours préparatoire

    C’est le cas du cours préparatoire, deuxième niveau du cycle des apprentissages

    fondamentaux à l’école primaire, dans lequel environ 5% des élèves sont maintenus. Cette

    classe est la plus emblématique de notre système éducatif. Elle représente le passage « à la

    grande école » et tous les acteurs (les enfants et leurs familles, les enseignants et les

    responsables pédagogiques) ont bien conscience qu’une grande partie du destin scolaire des

    élèves s’y joue, en particulier lorsque des difficultés d’apprentissage conduisent à une

    1 Le sureffectif dû aux redoublements est égal à 0,7% en maternelle, à 3,7% à l’école élémentaire et à 4,5% au collège.

    - 2 -

  • proposition de maintien. Les redoublants de CP resteront en moyenne plus faibles que leurs

    pairs, en particulier comparativement à ceux qui seront concernés par un redoublement

    ultérieur (tableau 1).

    Tableau 1 : Impact du redoublement à l’école élémentaire sur les résultats aux épreuves d’évaluation de 6e en 1995 (Éducation & formations n° 66, p. 28.)

    Français Mathématiques

    Écarts

    bruts Écarts nets Rapport net

    / brut (%)

    Écarts

    bruts Écarts nets Rapport net /

    brut (%) Non-redoublants 67,5 64,8 Redoublants CP - 18,9 - 15,0 79,4 - 20,1 - 16,2 80,6 Redoublants CE1 - 16,0 - 11,8 73,8 - 17,4 - 13,2 75,9 Redoublants CE2 - 13,5 - 9,4 69,6 - 14,7 - 10,6 72,1 Redoublants CM1 - 12,4 - 8,5 68,5 - 12,0 - 8,2 68,3 Redoublants CM2 - 9,6 - 6,8 70,8 - 8,9 - 6,2 69,7

    Lecture : Les élèves qui n’ont pas redoublé à l’école élémentaire ont réussi 67,5% des items à l’épreuve

    de français alors que les redoublants de CP n’en ont réussi que 48,6%, soit un écart de 18,9 items en

    moins. Cet écart atteint encore 15 items quand il est estimé toutes choses égales par ailleurs en matière de

    situation familiale et d’origine sociale. L’écart net représente 79,4% de l’écart brut.

    Cette persistance d’un niveau faible n’est pas sans incidence quant à leur cursus scolaire : seul

    un quart d’entre eux atteindra la classe de terminale (un sur dix obtiendra son baccalauréat

    général ou technologique), près du tiers sortira du système éducatif sans qualification et près

    de la moitié ne réussira pas à obtenir le moindre diplôme (tableau 2). Le redoublement au CP

    est très différentiel selon les groupes sociaux : il s’observe parmi 13% des enfants d’inactifs

    pour seulement 1% des enfants de cadres et d’enseignants. C’est au CP que cette distribution

    inégale du redoublement est la plus forte socialement. La précocité de la décision de

    redoublement dans la scolarité élémentaire, le caractère socialement différencié de cette

    décision) peut être très préjudiciable pour les élèves. Nous pouvons émettre l'hypothèse d'un

    « phénomène à causalité réciproque », selon une expression empruntée à M. CRAHAY

    (2000). Les élèves de milieu modeste entament leur scolarité avec un niveau de compétence

    général inférieur par rapport à celui des élèves de milieu aisé : ainsi ils sont plus susceptibles

    d'être sanctionnés, en début de scolarité, par un redoublement dont le caractère préjudiciable

    ne peut qu'amplifier leurs difficultés scolaires. Selon cette analyse, le redoublement agirait

    - 3 -

  • comme un mécanisme d'amplification des différences initiales de compétences et serait un

    facteur implicite de discrimination sociale. La sélection sociale à l'intérieur de l'école

    s'opérerait en partie par le biais du redoublement qui serait, selon P. MERLE (1998), « le

    premier signe de la marginalisation scolaire. » A ce titre, il peut être considéré comme « un

    des processus générateurs d’inégalités dans le système scolaire » (H. DRAELANTS, 2002)

    et, au même titre que l’orientation, comme un outil de gestion de l’hétérogénéité des publics

    scolaires remplissant la fonction de triage dévolue à l’école.

    Tableau 2 : Impact du redoublement sur le niveau de qualification atteint et le diplôme le plus élevé obtenu (Éducation & formations n° 66, p. 29.)

    Niveau redoublé Niveau de qualification atteint(a) Diplôme le plus élevé obtenu

    VI o

    u V

    I bis

    (b)

    V

    IV

    Auc

    un

    Bre

    vet

    CA

    P ou

    BEP

    Bac

    pro

    ., B

    T, B

    P,

    BM

    A(b

    )

    Bac

    gén

    éral

    ou

    tech

    no.

    CP 30,3 44,3 25,5 42,6 5,8 32,9 9,9 8,7 CE1 26,1 45,8 28,1 38,1 5,5 35,4 10,0 11,0 CE2 24,7 45,4 29,9 35,0 5,6 37,3 10,4 11,8 CM1 21,8 45,2 33,0 32,7 6,5 34,5 13,7 12,6 CM2 18,8 44,5 36,7 27,3 7,9 35,6 14,7 14,6 6e 19,9 43,8 36,3 29,4 5,8 37,1 15,3 12,5 5e 16,4 39,2 44,5 23,8 6,8 34,1 16,7 18,7 4e générale 9,2 26,7 64,1 13,7 8,2 24,6 17,2 36,3 3e générale 5,3 20,7 74,0 9,8 12,5 17,9 13,0 46,8 Ensemble des élèves(c) 9,1 21,6 69,3 13,7 5,7 18,0 10,4 52,3

    (a) Les niveaux VI ou VI bis concernent les élèves qui sortent d’une classe de premier cycle ou avant la

    dernière année d’un CAP ou BEP. Le niveau V concerne les élèves qui ont terminé la préparation d’un

    CAP ou BEP, ou sortant de Seconde ou de première. Le niveau IV concerne les élèves qui sortent d’une

    classe de terminale ou d’une classe équivalente.

    (b) Bac pro. : baccalauréat professionnel ; BT : brevet de technicien ; BP : brevet professionnel ; BMA :

    brevet des métiers d’art

    (c) Y compris les élèves n’ayant jamais redoublé.

    Lecture : 30,3% des élèves entrés en 6e en 1989 après avoir redoublé le CP ont terminé leurs études sans

    qualification.

    - 4 -

  • A la différence de certains redoublements plus tardifs dans la scolarité, le redoublement au

    cours préparatoire ne peut être ni stratégique (en vue d’une orientation précise ou pour éviter

    une orientation non désirée) ni entièrement comprise par les élèves : pour un enfant de six-

    sept ans, quitter son groupe d’appartenance pour tout recommencer n’a pas de sens. De plus,

    les recours des familles y sont inexistants : la proposition de l’enseignant, qui doit être

    entérinée par le conseil de cycle, est en réalité une décision. Ainsi, ce niveau d’enseignement

    apparaît-il propice pour comprendre pourquoi le redoublement fait encore partie intégrante de

    notre paysage éducatif.

    2. Le contexte de cette recherche

    Cette recherche sur le redoublement au CP est inscrite dans une étude plus large sur les

    parcours scolaires des élèves scolarisés au CP en septembre 2002 dans les écoles publiques de

    Côte d’Or. Trois raisons ont présidé ce choix : d’une part, le souci de limiter les effets non

    désirés liés à cet objet d’étude (les attitudes de repli, la modification des pratiques en la

    matière) ; d’autre part, le désir d’associer les acteurs de terrains : des échanges et des comptes

    rendus d’analyses sont régulièrement organisés ; enfin, la volonté de « rentabiliser » les

    investissements humains et financiers inhérents à ce type de suivi longitudinal. Les données

    empiriques, sur lesquelles porte cette étude sur le redoublement, ont été collectées via

    différents canaux. Le schéma suivant présente le protocole complet de recueil de ces

    informations, en les qualifiant et en les quantifiant.

    - 5 -

  • Schéma 1 : Le protocole de recueil des données

    - 30

    - 17

    - 21

    Juin 2004

    Fiches récapitdes décisions

    d’anné

    3

    3

    Fin CP Début CP

    Photographies des compétences scolaires des élèves

    Septembre 2002

    - 3932 élèves

    - 220 écoles

    - 274 classes

    ulatives de fin e

    4

    Juin 2003

    78 élèves

    7 écoles

    0 classes

    Bases de donsur le redoubl

    Enseignants : - chargés d’un CP

    - assurant des rem

    - R.A.S.E.D. : 41

    - 6 -

    Septembre 2003

    - 4030 élèves

    - 221 écoles

    - 276 classes

    nées ement

    s

    - enfants

    - pro

    - red

    - famille

    - inspect

    Questionnaire

    : 233

    placements : 46

    Familles d’enfantsde CP : 3389

    Écoles (directeurs) : 194

    Entretiens :

    mus au CE1 : 46

    oublants de CP : 35

    s de redoublants : 30

    eurs : 12

    Juin 200

    Juin 200

    Début CE1 Début 2d CP

    Fin CE1 Fin 2d CP

    Année 2002-200

    Année 2003-2004

    1er trimestre 2003-2004

    Année 2002-2003

  • Les analyses conduites à partir de ces différentes bases de données investissent plusieurs

    facettes du redoublement que le schéma ci-dessous synthétise.

    Schéma 2 : Les analyses sur le redoublement

    Analyse des décisions

    de redoublement

    Les représentations liées à la

    décision de maintien en général, au

    CP en particulier

    - des adultes de l'école

    (enseignants, responsables

    éducatifs…)

    - des familles

    - des enfants (redoublants ou non)

    L’impact socio-affectif

    de la décision sur les

    redoublants et leurs

    familles

    L’efficacité pédagogique

    - les progressions absolues

    et relatives des redoublants

    au cours du 2d CP

    - les progressions relatives

    des anciens redoublants de

    CP au cours du CE1

    Le processus de décision

    - qui prend la décision ? sur quels critères ?

    - comment est-elle annoncée à l'élève, à sa

    famille ?

    - les recours des familles (combien ?

    quelles familles ? quelles sont les décisions

    finales ?)

    Une analyse descriptive

    - du phénomène global

    (combien ? où ?)

    - des caractéristiques

    sociales et scolaires des

    redoublants

    Les effets contextuels

    3 niveaux :

    - la circonscription

    - l’école

    - la classe

    La prise en compte

    pédagogique des

    redoublants dans la

    classe

    Les propositions de voies

    alternatives au

    redoublement

    - 7 -

  • Cet écrit prend appui sur les principaux résultats de cette recherche concernant l’adhésion des

    acteurs à cette mesure du redoublement et la manière dont les enfants et leurs familles vivent

    (et ont vécu) cette décision.

    3. L’adhésion des acteurs au redoublement

    Les acteurs qui détiennent en grande partie les clefs du redoublement sont les enseignants car

    il est utile de rappeler que tous les pouvoirs se trouvent institutionnellement confondus : ce

    sont les mêmes qui enseignent et jugent ensuite les résultats de cet enseignement, ce sont les

    mêmes qui fixent les règles et sanctionnent en cas de transgression.

    3.1 Le redoublement au CP et les enseignants

    De manière globale, le recours au redoublement lorsque des difficultés importantes persistent

    en fin d’année scolaire de CP est une pratique (déclarée) très fréquente. A la lecture du

    tableau ci-après, nous relevons que les « pratiquants systématiques » sont ainsi

    proportionnellement trois fois plus nombreux que les « opposants systématiques ». Les

    premiers cités argumentent leur position de deux manières distinctes : dans quatre cas sur dix,

    ils déclarent que le passage en CE1 suppose une bonne assise dans les savoirs fondamentaux

    et que le retard initial (par rapport aux élèves promus) ne pourra non seulement pas être

    comblé mais qu’il aura tendance à s’accroître ; dans les autres cas, ils font explicitement

    référence aux vertus (supposées) du redoublement, lequel préserve le désir d’apprendre,

    permet un nouveau départ, évite trop de souffrance en CE1 et est d’autant plus efficace qu’il

    est précocement décidé. Quant aux seconds cités, ils inscrivent la plupart du temps leurs

    propos dans le cadre réglementaire en vigueur (pas de maintien en cours de cycle).

    - 8 -

  • Tableau 3 : Le recours au redoublement chez les enseignants de CP (pratiques déclarées)

    Lorsque des difficultés importantes persistent en fin

    d’année scolaire de CP, vous proposez un maintien … % des répondants

    Jamais 6,4 Parfois 60,1 Toujours 18,0 Sans objet(b) 10,3 Non-réponse 5,2 Total : 100,0

    (a) : cette modalité caractérise les réponses des enseignants qui n’ont encore aucune expérience

    professionnelle au CP.

    La proposition de redoublement au CP est rarement regrettée (moins de 4% des enseignants

    déclarent avoir éprouvé ce sentiment) et si tel est le cas, le principe même de la répétition

    d’une année à l’identique n’est pas remis en cause. Il l’est d’autant moins que chaque

    enseignant a en mémoire un ou plusieurs élèves pour lesquels de réels progrès ont été

    constatés, progrès qui ont été « naturellement » associés à cette seconde année consacrée aux

    mêmes apprentissages. Ceci est particulièrement vrai au cours préparatoire où les

    progressions des élèves peuvent être rapides et spectaculaires. Ainsi, les croyances des

    enseignants de CP quant à la « capacité » de cette mesure à combler les lacunes constatées

    chez les élèves les plus fragiles sont-elles fortes.

    Tableau 4 : La capacité du redoublement à combler les lacunes des élèves

    Les élèves comblent leurs lacunes l’année de leur maintien au CP… % des répondants

    Fréquemment 55,9 Quelquefois 20,6 Toujours 7,7 Ne sait pas 6,4 Rarement 3,0 De façon variable 2,6 Jamais 2,1 Non-réponse 1,7 Total : 100,0

    - 9 -

  • Nous notons par ailleurs que les enseignants novices à ce niveau d’enseignement (et qui ont

    une expérience professionnelle limitée, moins de trois ans en moyenne) participent pour

    moitié d’entre eux à ce mouvement d’adhésion, ce qui est un argument supplémentaire pour

    une (in-)formation systématique prodiguée dans le cadre de la formation initiale. Les

    croyances et les pratiques déclarées des enseignants de CP ne s’organisent pas de manière

    bien identifiée autour de leurs caractéristiques personnelles ou professionnelles2 (telles

    qu’elles ont été appréhendées). Les entretiens conduits en parallèle laissent percevoir un jeu

    complexe de certaines variables. Ainsi, l’expérience avec le collègue de CE1 ne joue en

    faveur d’un moindre recours au redoublement que dans la mesure où les deux enseignants

    entretiennent des relations de confiance et partagent les mêmes points de vue sur la question.

    Cette expérience peut être est également sous le joug des caractéristiques de la classe de CE1 :

    un effectif et un niveau moyen considérés comme élevés favoriseront un maintien en CP des

    élèves les plus fragiles. Cependant, la piste de réflexion privilégiée est celle consistant à

    envisager un lien entre la manière dont les enseignants conçoivent l’enseignement, et plus

    encore l’apprentissage, et la persistance d’une pratique qui n’a aucune légitimité pédagogique.

    En s’appuyant sur les témoignages d’autres enseignants non chargés d’une classe au quotidien

    (exerçant dans un RASED ou assurant des remplacements), il apparaît que le redoublement

    n’est que le symptôme le plus visible quant à la manière dont le « métier d’enseignant » est

    pensé. La prégnance de la classe, en tant qu’espace réservé à un groupe d’enfants du même

    âge dont un enseignant et un seul a la charge, et d’un découpage annuel de la scolarité (que la

    mise en place des cycles n’a pas réussi à estomper) est forte et apparaît « sclérosante ». Elle

    circonscrit la réflexion et l’action des enseignants dans un cadre où le redoublement s’impose

    par manque de voies alternatives réalistes et « renvoie » à une conception linéaire des

    apprentissages : chaque élève, en fin de CP, doit maîtriser les compétences minimales

    (définies par chaque équipe pédagogique ou par chaque enseignant) afin de poursuivre au

    CE1 dans les meilleures conditions. Ces enseignants « hors classe » sont plus critiques que

    leurs collègues de CP quant à la pertinence de cette mesure. Outre leur défiance quant à son

    efficacité pédagogique, ils apparaissent plus sensibles à deux facettes du redoublement qui

    n’avaient été que peu relevées dans les propos des enseignants chargés d’une classe : le

    caractère injuste de cette décision car situé dans un contexte particulier et ses effets

    psychosociaux sur l’enfant et sur son entourage.

    2 L’ancienneté (générale, dans l’école, avec le collègue de CE1, au CP), la formation initiale ou les stages de formation.

    - 10 -

  • 3.2 L’adhésion des familles au redoublement

    Les familles sont particulièrement sensibles à l’importance du cours préparatoire dans la

    scolarité de leur enfant : neuf familles sur dix considèrent que cette classe est déterminante et

    qu’une année « laborieuse » est un mauvais présage pour l’avenir. C’est parce que le CP est la

    pierre angulaire d’un édifice en construction que plus d’un tiers des familles interrogées

    considère qu’un redoublement à ce niveau est grave et très ennuyeux. Quand bien même un

    échec au CP puisse-t-il être considéré par le plus grand nombre comme très préjudiciable, le

    redoublement à ce niveau d’enseignement, en tant que tel, est perçu par plus d’un tiers des

    familles comme une nouvelle chance, une opportunité de repartir sur de nouvelles bases ou

    une occasion privilégiée pour « mettre tout à plat ». Les propos de ces familles traduisent cette

    idée selon laquelle si les fondations érigées au cours du CP ne sont pas suffisamment solides

    ou avancées, au regard de ce qui est attendu, il est vain de vouloir les renforcer ou de les

    poursuivre en intégrant le cours supérieur. Ainsi, si l’enseignant de CP (avec qui les familles,

    même les plus éloignées de l’école, ont des relations privilégiées) propose un redoublement,

    elles sont plus d’un tiers à l’accepter sans discussion. Les cas d’opposition de principe sont

    marginaux et, dans les faits, ne résisteront pas puisque aucun recours ne sera constaté. Le

    statut particulier du CP renforce en quelque sorte la légitimité du redoublement. Il est vrai que

    les familles concernées par un redoublement à ce niveau d’enseignement sont très marquées

    socialement et plus de la moitié d’entre elles a déjà été confrontée à cette décision, soit au

    cours de leur histoire personnelle, soit au cours de la scolarité d’un enfant plus âgé.

    3.3 L’adhésion des enfants au redoublement

    Ces entretiens ont concerné 46 enfants de CE1 (23 élèves forts, 23 élèves faibles) et 35

    redoublants de CP. Si en moyenne sept enfants sur dix savent ce que redoubler signifie, nous

    notons de fortes variations : 90 % forts de CE1 sont dans cas pour 70 % des élèves faibles et

    seulement la moitié des redoublants. Parmi les définitions recueillies, certaines sont élaborées

    (Être une seconde fois dans le même niveau d’enseignement.), d’autres sont pragmatiques (Ça

    veut dire que tu passes pas), d’autres enfin dénotent d’une interprétation déjà prononcée du

    « métier d’élève » (Ça veut dire se refaire une classe). La moitié des répondants donne une

    définition du redoublement attachée au CP (Redoubler, ça veut dire rester au CP), voire

    strictement attachée à ce niveau (Ça veut dire pas aller au CE1. C’est le CP qu’on redouble,

    - 11 -

  • après on redouble plus.). Parmi les définitions, il est intéressant de relever les verbes utilisés

    par les enfants : passer (19), rester (17) et refaire (16) se démarquent significativement par

    leur fréquence (les verbes recommencer (2), retourner (1) et reprendre (1) complétant cette

    liste). Nous relevons une prépondérance des verbes liés à des actions physiques, de

    mouvement (ou d’inertie), ce qui nous laisse à penser que la notion de parcours scolaire (avec

    des obstacles à franchir périodiquement) est déjà présente.

    Les enfants évaluent bien les risques qu’ils encourent selon leurs compétences scolaires ou

    selon le contexte : un élève faible se sentira plus menacé par un redoublement qu’un élève fort

    mais protégé en quelque sorte si plusieurs de ses camarades de classe sont encore plus faibles

    que lui. Il ne fait aucun doute pour les enfants que le redoublement sanctionne des résultats

    insuffisants, en particulier dans le domaine de la lecture. Sur un sujet aussi « neuf » que le

    redoublement pour des enfants ayant une seule année d’expérience à la « grande école », les

    opinions parfois affirmées et motivées témoignent que cette question a déjà été l’objet de

    conversation entendue soit à l’école (en classe, à la récréation), soit dans la famille. Près d’un

    tiers des non-redoublants évoque sans ambiguïté le caractère grave (Oui c’est grave car tu

    perds ton temps de refaire les mêmes choses. Un redoublant a appris des choses tout de

    même. Il faudrait qu’il recommence que ce qu’il ne sait pas bien faire. ) et éventuellement

    injuste (C’est juste de redoubler quand on ne travaille pas assez ou quand on ne fait pas les

    efforts nécessaires. C’est injuste quand on a fait de son mieux ou quand on a bien réussi

    certaines choses. C’est pas sûr que ça sert à quelque chose dans ce cas.) d’une telle décision.

    L’image du redoublant est globalement négative : dans sept cas sur dix, les enfants déclarent

    que les redoublants de leur classe « ne sont pas gentils ou font des bêtises ». Dans les mêmes

    proportions, ils estiment que leurs performances scolaires restent inférieures à celles de leurs

    nouveaux camarades.

    Si le redoublant est bien identifié et que la perspective de vivre une telle expérience est

    envisagée avec réticence, il apparaît pertinent de rendre compte de la manière dont cette

    décision est réellement vécue par les enfants et leur entourage proche.

    - 12 -

  • 4.1 Les redoublants et leurs familles parlent du redoublement

    Si près d’un tiers des redoublants interrogés ne sait pas dire (précisément ou à grands traits) la

    ou les raisons pour lesquelles ils ont été freinés dans leur progression scolaire, il s’avère que

    cette décision n’a laissé aucun d’entre eux indifférent. Tous les enfants se souviennent de

    l’instant où cette décision leur a été annoncée et parfois même du lieu (Le directeur, il m’a dit

    de venir dans bureau et m’a expliqué. […] Maintenant je fais plus de bêtises à la récréation.

    J’veux plus retourner dans le bureau du directeur. J’ai peur qu’il me dise encore la même

    chose.). Les craintes exprimées précédemment par les non-redoublants (les moqueries, la

    tristesse de ne plus être avec ses copains, l’obligation de devoir tout recommencer) se

    retrouvent ici dans les mêmes proportions. Quitter ses camarades de classe est ce qui a

    chagriné le plus les redoublants. Il apparaît ainsi que le groupe-classe, dont chaque enseignant

    de CP mesure bien toute l’importance et dont la bonne constitution est une condition

    nécessaire (mais pas suffisante) à la réussite collective des apprentissages, supplante le groupe

    des « copains » retrouvés à la récréation, groupe qui ne se superpose pas entièrement au

    premier. Les apprentissages s’effectuent au sein du groupe-classe et c’est de ce groupe dont

    on est presque systématiquement séparé lorsqu’on est concerné par une décision de

    redoublement. Cinq enfants déclarent avoir été rassurés par le fait de ne pas être seuls à

    recommencer : grâce à cette expérience partagée, ils se « protègent » en quelque sorte des

    moqueries éventuelles et ne sont pas entièrement séparés de leur groupe d’appartenance

    initial.

    Cette décision est rarement l’objet de discussions avec l’enfant à l’école et l’est dans un cas

    sur deux en famille. Lorsqu’un dialogue s’est engagé, les aspects positifs du redoublement ont

    été soulignés dans presque tous les cas. Même si cette présentation entérine de fait les

    bénéfices supposés d’une telle décision, elle apparaît plus favorable et constructive que celle

    proposée aux autres enfants fermement invités à « mieux travailler désormais ». Ces derniers

    ont senti (de nouveau) que la réussite scolaire dépendait (presque exclusivement) de leur

    implication, ce que de nombreux travaux sociologiques ont mis à mal. La très grande majorité

    des redoublants (huit sur dix) taisent cette expérience auprès de leurs nouveaux camarades de

    classe et ce pour plusieurs raisons : la peur des moqueries, le désir d’être comme les autres et

    le secret de l’expérience à préserver. Vivre son redoublement pour un très jeune écolier, qui la

    plupart du temps ne saisit pas les enjeux d’une telle décision, n’est pas chose si aisée. C’est

    sans doute vécu comme étant plus qu’un simple coup d’arrêt dans la progression des

    apprentissages car cette décision n’affecte pas seulement l’élève (dans ses compétences

    - 13 -

  • d’ordre scolaire) mais aussi l’enfant dans sa globalité. Les « accrochages » en cours de

    récréation, où ce sont des enfants et non des élèves qui jouent ensemble, montrent bien que le

    statut du redoublant (légitimé en classe) « accompagne » l’enfant en dehors de ce lieu

    d’apprentissage.

    Si les caractéristiques sociales de ces trente-cinq redoublants de CP sont d’une grande

    homogénéité, il s’avère toutefois que les enfants se différencient quant à leur connaissance du

    redoublement et quant à la manière dont celui-ci a été appréhendé dans leur environnement

    proche. Deux sous-groupes se distinguent significativement : les redoublants « connaisseurs et

    écoutés » et les redoublants « peu connaisseurs et peu écoutés ».

    Schéma 3 : Répartition des redoublants selon leur connaissance du redoublement et la « qualité » du dialogue instauré avec leur environnement proche

    -

    - +

    Connaissance

    +

    5

    2 15

    13

    Dialogue

    Ce qui rapproche les redoublants et leurs familles, c’est la manière avec laquelle la première

    année de CP a été vécue. Les résonances des difficultés scolaires ont été fréquentes et fortes,

    et ont parfois fragilisé toute la cellule familiale. Les propos de cette famille en témoignent :

    « C’est un mauvais souvenir. Ça a mal démarré et on a beaucoup souffert. On pensait pas

    qu’on pouvait se faire autant de soucis pour son enfant à l’école. Et puis ça a pas rassuré son

    frère qui était en grande section de maternelle. » A l’évocation de cette première expérience à

    l’école élémentaire, les parents utilisent presque systématiquement des mots négativement

    connotés : la galère, les mauvais moments, le stress, la tristesse ou l’angoisse. C’est cette

    - 14 -

  • souffrance, combinée au constat de difficultés précoces ne cessant de s’accroître, qui constitue

    le scellement du redoublement en tant que décision (considérée comme telle) de raison, de

    seconde chance et parfois même de soulagement. Dès lors, la décision de redoublement va

    s’imposer à tous, en particulier aux parents, comme une décision prise dans l’intérêt commun,

    voire même dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette mère de famille est de ceux-là : « Je ne

    voulais pas qu’elle passe car elle avait aucune base. Ça ne sert à rien de passer au CE1 si on

    sait pas lire et écrire. J’étais contente qu’elle puisse refaire une année pour bien repartir.

    C’était comme un soulagement car je sais qu’elle souffrira moins l’année prochaine que cette

    année. Moi aussi d’ailleurs. »

    Ces convictions familiales quant aux bénéfices supposés du redoublement sont confortées,

    dans un tiers des cas, par le fait que si cette décision émane des enseignants, elle ne peut

    qu’être raisonnablement fondée. Ces familles font part explicitement de leur méconnaissance

    des rouages de l’institution scolaire de manière globale et des mécanismes d’apprentissage de

    manière spécifique. Dans la plupart des cas, ces familles n’ont ainsi aucune raison légitime de

    remettre en cause ni les compétences professionnelles des enseignants, ni les modalités

    d’organisation du cursus scolaire. Les décisions prises à l’école ne peuvent être légitimement

    contraires aux intérêts des enfants. C’est ainsi que cette proposition s’est-elle imposée en ces

    termes à ce père de famille : « Moi je suis d’accord avec ce qu’il y a de mieux pour mon

    enfant. Je fais confiance à la maîtresse. Elle fait bien son métier. Si elle dit qu’il faut

    redoubler, c’est qu’il faut redoubler. Je sais bien que normalement on doit pas redoubler le

    CP avec l’histoire des cycles. Alors si elle dit qu’il doit quand même redoubler, c’est vraiment

    que c’est le mieux pour lui. » Cependant, quelques familles se démarquent de ce consensus

    général en ayant recours à deux types d’arguments : la moitié d’entre elles se réfère à une

    expérience familiale ressentie négativement quant aux progrès réalisés (à moyen et long

    terme), les autres soulignent la non-prise en compte des acquisitions réalisées au cours du

    premier CP.

    Les effets d’un redoublement au CP dépassent le cadre strictement scolaire. Cette expérience

    conduit les trois-quarts des parents à se ré-interroger sur leur rôle de parents. La rentrée

    scolaire ravive ce sentiment de mal-être car elle scelle les conséquences immédiates et

    définitives de cette décision. Cette nouvelle épreuve pour l’enfant et ses parents est parfois

    plus difficile que ces derniers ne l’avaient envisagé. Près de sept parents sur dix en font part,

    parmi lesquels cette mère de famille : « A la rentrée, ça nous a fait du mal de la voir avec

    « des petits bouts » qui venaient de maternelle. Oui ça on ne peut pas le nier, ça nous a fait

    - 15 -

  • quelque chose. Ça, on s’y attendait pas trop. » Néanmoins, cette « piqûre de rappel » induite

    par la rentrée scolaire a des effets limités dans le temps, effets qui s’estompent

    progressivement au profit d’observations et de constatations faites au quotidien permettant de

    souligner les bénéfices à court terme liés au redoublement.

    A court terme est l’expression adéquate car nous décelons un changement d’attitude vis-à-vis

    du redoublement entre la période où la décision a été envisagée puis décidée (trois quarts des

    parents y étaient extrêmement favorables) et celle où le second CP est enclenché depuis moins

    de trois mois (moins de la moitié des parents ne soulignent que des aspects positifs). Cette

    prise de conscience progressive des effets indésirables liés au redoublement conduit plusieurs

    parents à s’interroger sur la pertinence d’une telle décision et à regretter le manque de

    souplesse des prises en charge pédagogiques des élèves les plus fragiles. Les propos suivants

    témoignent de ce doute qui s’est progressivement installé dans l’esprit des parents : « Il est

    mieux dans sa tête, ça c’est sûr mais en même temps les difficultés en lecture, elles sont

    toujours là. Il a repris un peu confiance en lui mais je ne sais pas si ça sera suffisant. » Nous

    pouvons apprécier l’importance de ce scepticisme grandissant en mettant en perspective les

    avis parentaux émis en début (réactions imaginées) et en fin (réactions réelles) de premier CP

    avec ceux émis deux mois après le redoublement.

    Tableau 5 : Évolution des avis parentaux sur le redoublement

    Effectifs Début 1er CP A l’annonce de la décision Après deux mois de redoublement

    Avis positifs 9 19 8 Avis mitigés 11 0 9

    Avis négatifs 4 7 9

    Avis non exprimés 2 0 0

    Total 26 26 26

    9

    3 2

    8

    La « situation finale » divise l‘échantillon considéré en trois groupes aux effectifs équivalents.

    Comparativement à la « situation initiale », c’est le groupe des « opposants » qui a le plus

    évolué. Cinq parents ont été en particulier sensibles aux effets psychosociaux d’une telle

    décision ainsi qu’au fait que deux problèmes pédagogiques se posaient : d’une part la non

    - 16 -

  • prise en compte (la prise en compte insuffisante dans le meilleur des cas) des acquis réalisés

    dans le(s) domaines(s) d’apprentissage le(s) moins déficitaire(s) et, d’autre part, l’apparition

    relativement rapide des mêmes difficultés ou obstacles dans le(s) domaines(s) d’apprentissage

    le(s) plus déficitaire(s). Le point de vue de cette mère de famille est à ce titre significatif : « Je

    crois pas que je prendrais la même décision aujourd’hui. Je pensais pas qu’il y penserait

    encore aujourd’hui. Je crois que le mieux c’est de passer et de refaire ce qu’on sait pas bien.

    Je pensais pas comme ça au début mais j’ai un peu changé d’avis parce que je vois bien que

    ça suffit pas de refaire une année pour que ça aille tout de suite mieux. »

    Cependant, si le bien-fondé du redoublement est parfois remis en cause par les familles des

    redoublants, il n’en est pas de même du niveau d’enseignement à privilégier pour qu’il soit le

    plus efficace : le cours préparatoire recueille encore et toujours tous les suffrages favorables.

    S’il faut redoubler, c’est cette classe et pas une autre : « Le CP, c’est ce qu’il y a de plus

    important car c’est là qu’on apprend les bases, la lecture surtout. Redoubler le CP, c’est

    nécessaire parfois pour pas être noyé après. S’il faut redoubler une classe, c’est bien celle-là.

    Après, c’est trop tard. » Le redoublement est parfois considéré comme une dette à payer « de

    toute façon », le plus tôt possible étant le mieux pour « ne plus en entendre parler. » Ces

    parents nous le disent ainsi : « Vous savez, nos trois enfants ils ont redoublé le CP. Alors,

    redoubler le CP c’est pas la fin du monde et puis c’est mieux que de redoubler après. Après,

    on espère qu’on sera tranquille jusqu’au bout. »

    Conclusion

    Le redoublement est une mesure administrative inscrite dans la tradition du fonctionnement

    de notre système éducatif. Dès le plus jeune âge, nos écoliers apprennent à la cerner, à en

    mesurer les enjeux et à la craindre. Pas tous de la même façon cependant. Ce sont les

    redoublants eux-mêmes qui sont les moins au fait de cette question, la moitié d’entre eux ne

    sachant pas la circonscrire. Néanmoins, le redoublement s’impose aux yeux de la plupart des

    enfants comme une décision dont le principal responsable est l’élève lui-même qui, par

    manque de résultats ou / et d’investissement, n’est pas à la hauteur des attentes

    institutionnelles. De ce fait, sa légitimité n’est que peu questionnée par les enfants. L’école est

    considérée comme un parcours jonché d’obstacles qu’il s’agit de franchir et cette

    préoccupation prime parfois sur les apprentissages, en particulier chez les enfants d’origine

    - 17 -

  • populaire. Toutefois, ce n’est pas tant ce « coup d’arrêt » dans les progressions d’ordre

    scolaire qui les chagrine : l’idée d’être exclu du groupe-classe (constitué lors de cette

    première année de scolarisation élémentaire), associée à celle de devenir un « redoublant »,

    retient toute leur attention. Car le statut de « redoublant » existe et est redouté, pas

    uniquement en classe et à l’école d’ailleurs, et s’avère parfois difficile à (sup-) porter.

    Comme d’autres rouages de l’institution scolaire, le redoublement échappe parfois à la

    compréhension des élèves concernés, un tiers des redoublants déclarant ne pas en connaître

    les motifs. Rarement objet de discussions à l’école, inégalement discutée dans les familles,

    cette mesure s’impose à l’élève tout en concernant l’enfant et son cercle familial. Elle prend

    toute sa dimension lorsque la seconde rentrée scolaire met côte à côte des « petits bouts »

    issus de maternelle avec « un(e) grand(e) » qui a échoué lors de son premier cours

    préparatoire. S’il n’est pas si facile d’être redoublant ou parent de redoublant, il est tout aussi

    difficile et peu concevable d’oublier cette première année à la « grande école », année qui

    s’est caractérisée par des difficultés d’apprentissages insurmontables, qui a été à l’origine de

    souffrance et de découragements partagés et qui a généré de nombreuses interrogations sans

    réponse. C’est ainsi que la proposition de redoublement, envisagée tôt dans l’année scolaire

    par l’enseignant de la classe, est-elle globalement bien accueillie, parfois même avec

    soulagement, et ce d’autant plus que le consensus (à l’école, en dehors de l’école) sur le bien-

    fondé de répéter son CP en cas de difficultés avérées est grand.

    Dès lors, cette seconde chance, ce nouveau départ, ce bis repetita s’imposent aux parents, eux-

    mêmes parfois déjà convaincus du bien-fondé pédagogique d’une telle décision. L’École, par

    son fonctionnement rigide et son inertie à explorer d’autres voies possibles, se condamne-t-

    elle à apporter cette seule réponse lorsqu’elle constate des écarts avec la norme scolaire,

    réponse qui est peu satisfaisante à bien des égards. Ce sont ces limites (progrès provisoires,

    prise en compte insuffisante des acquis…), parfois tardivement constatées, qui incitent

    plusieurs parents, pour un tiers d’entre eux, à être plus mesurés dans leurs propos. Cependant,

    le redoublement au cours préparatoire semble bénéficier de beaucoup d’indulgence car le

    poids (réel et dans les esprits des familles) de ce niveau d’enseignement dans la scolarité d’un

    élève légitime en quelque sorte que cette solution extrême soit parfois retenue. Cette classe

    supplante l’idée de cycle d’enseignement car il est peu concevable qu’un élève soit promu au

    CE1 sans le bagage minimal attendu, en particulier dans le domaine de la lecture.

    - 18 -

  • Cette contribution écrite n’a exploré qu’une des facettes du redoublement, le regard porté par

    les acteurs sur cette mesure, et a volontairement accordé une large place aux ressentis des

    redoublants de CP et de leurs familles. Ce dernier volet, peu traité dans la littérature, mérite

    sans nul doute des investigations plus approfondies d’une part en ne se centrant pas sur un

    seul niveau d’enseignement et, d’autre part, en affinant les modalités d’appréhension des

    données (en particulier, celles liées à l’estime de soi et à la motivation scolaire).

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