Le principe d'individualisation à l'épreuve des peines ...

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Le principe d'individualisation à l'épreuve des peines minimales d'emprisonnement - Étude comparée des systèmes de justice pénale français et canadien Mémoire Maîtrise en droit - avec mémoire Yasmine Ben M'barek Université Laval Québec, Canada Maître en droit (LL. M.) et Université Toulouse 1 Capitole Toulouse,France Master (M.) © Yasmine Ben M'barek, 2019

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Le principe d'individualisation à l'épreuve des peines minimales d'emprisonnement - Étude

comparée des systèmes de justice pénale français et canadien

Mémoire Maîtrise en droit - avec mémoire

Yasmine Ben M'barek

Université Laval Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Toulouse 1 Capitole Toulouse,France

Master (M.)

© Yasmine Ben M'barek, 2019

Le principe d’individualisation à l’épreuve des peines minimales d’emprisonnement

Étude comparée des systèmes de justice pénale français et canadien

Maîtrise en droit – avec mémoire

Yasmine BEN M’BAREK

Sous la direction de :

Julie DESROSIERS (Université Laval)

Antoine BOTTON (Université Toulouse I Capitole)

ii

Résumé

Le terme d’individualisation désigne la faculté de modulation de la peine par le juge

selon la nature de l’infraction et les caractéristiques propres au contrevenant. Cette

faculté du juge fera l’objet d’une étude comparée sous le prisme des peines

minimales d’emprisonnement : peines obligatoires imposées par le législateur pour

certaines infractions et qui s’imposent aux juges. Ces dernières, très controversées

en France comme au Canada, semblent constituer un obstacle à la

personnalisation de la sanction entrainant déséquilibres et injustices dans la

détermination de la peine.

iii

Table des matières

Résumé ........................................................................................................................................................... ii

Table des matières .................................................................................................................................... iii

Remerciements ............................................................................................................................................ v

Introduction .................................................................................................................................................. 1

PARTIE 1 L’importance croissante de l’individualisation dans nos systèmes pénaux

et l’évolution parallèle des peines minimales d’emprisonnement : des tendances

paradoxales ? ............................................................................................................................................... 8

Chapitre 1 L’individualisation : fil d’or de la détermination de la peine ...... 9

Section 1 : L’individualisation de la peine : condition de son efficacité ? ........... 10

Section 2 : La réforme du droit pénal : l’intégration progressive du principe

d’individualisation en droit positif français et canadien ............................................. 20

Chapitre 2 L’insertion des peines minimales dans l’arsenal répressif : une

évolution contrastée ........................................................................................................ 35

Section 1 Les peines minimales en France : le frein de l’individualisation ? .... 36

Section 2 L’inflation du mandatory sentencing au Canada : entre dissuasion,

dénonciation et populisme ......................................................................................................... 45

PARTIE 2 Peines obligatoires d’emprisonnement et personnalisation de la

sanction : un mariage indésirable ? ............................................................................................... 52

Chapitre 1 : Les peines minimales obligatoires : atteinte injustifiée au

principe d’individualisation .......................................................................................... 53

Section 1 : Dissuasion et lutte contre la récidive : des objectifs hors de portée

.................................................................................................................................................................. 54

Section 2 : Les déséquilibres créés dans le système de justice pénale ................ 62

Chapitre 2 Les peines obligatoires d’emprisonnement et la Constitution :

une protection insatisfaisante du principe d’individualisation ....................... 70

Section 1 Entre individualisation et proportionnalité : l’enjeu des terminologies

.................................................................................................................................................................. 71

Section 2 Une protection en demi-teinte du principe d’individualisation en droit

français et canadien ....................................................................................................................... 77

iv

Conclusion................................................................................................................................................... 84

Bibliographie .............................................................................................................................................. 88

Annexe A Peines et mesures principales prononcées dans les condamnations en

2017 selon le nombre d’infractions sanctionnées ................................................................... 94

Annexe B Chiffres des condamnations pour l’année 2010 ................................................. 95

Annexe C Taux d’incarcération au Canada et autres pays de l’OCDE ......................... 96

Annexe D Surpopulation carcérale en France et au Québec ............................................. 97

v

Remerciements

À ma mère, pour son infini dévouement.

À mon père, pour ses lectures attentives et ses corrections mais surtout pour le

soutien sans faille lorsque les difficultés paraissaient insurmontables.

À Madame Desrosiers, pour sa bienveillance et ses riches enseignements.

À Messieurs De Lamy et Botton, pour m’avoir aiguillé dans mes recherches.

1

Introduction

« Telle la pierre sous les coups répétés du ciseau, la silhouette du crime et

du criminel émerge progressivement. Sa composition se révèle dans cette

posture qui permet aux tribunaux de saisir chaque forme, chaque relief

nécessaire à la configuration de la peine. »1 Cette métaphore éloquente des

professeurs Desrosiers et Parent révèle la minutie avec laquelle le juge doit

déterminer la peine. Cette dernière, châtiment édicté par la loi à l’effet de

prévenir ou de réprimer une atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction2

obéit, selon les cas, à des logiques punitives différentes. De la rétribution, à

la prévention en passant par la réhabilitation et l’amendement, la sanction

pénale s’est vue attribuer des objectifs divers et variés au gré des mutations

philosophiques, sociales et politico-juridiques. Ainsi les « anciennes

fonctions » de la peine cohabitent désormais avec celles qui pourraient être

qualifiées de « nouvelles » de sorte que le droit pénal est désormais semblable

à « un jardin en friche où la végétation aurait poussé de façon luxuriante »3.

Le mouvement d’individualisation du droit criminel participe sans conteste

à cette diversification de la réponse pénale.4

La personnalisation ou l’individualisation désigne l’action d’adapter une

solution à la personnalité de celui qu’elle concerne5. Appliquée à la sanction

prononcée par le juge pénal, cette définition correspond au mode

d’appréciation de la peine consistant à prendre en compte les circonstances

de l’infraction et la personnalité de son auteur.6

1Hugues PARENT et Julie DESROSIERS, Traité de droit criminel, Tome III : "la peine", Montréal, 2e éd., Thémis, (2016) par. 34. 2Jean-Baptiste THIERRY, L'individualisation du droit criminel, Revue de sciences criminelles et de droit comparé, Dalloz actualité, (2008-05-06) pp.59-68. 3Virginie PELLETIER, Pour une refonte du droit des peines : Quels changements si les préconisations de la Commission Cotte étaient suivis ?, Institut de sciences criminelles et de la justice, Paris, Lexisnexis, (2016) p. 57. 4L'individualisation du droit criminel – Jean-Baptiste Thierry – RSC 2008. 59 5Gérard CORNU, association Henri Capitant (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, 11e éd., Quadrige, Presses Universitaires de France (2016). La personnalisation et l’individualisation seront comprises comme synonymes tout au long de ce travail de recherche, le Conseil constitutionnel français et la Cour suprême du Canada n’établissant pas de distinction entre ces terminologies. 6 Id.,

2

Ce principe d’individualisation reconnu comme principe à valeur

constitutionnelle en France depuis 2005 revêt une importance fondamentale

dans la réhabilitation du délinquant et la lutte contre la récidive. L’impératif

d’individualisation a été intégré en droit français et canadien de sorte à créer

une multiplication des sanctions pouvant être prononcées par le juge. La

crise de la privation de liberté dans nos sociétés contemporaines se

traduisant par une hausse des taux d’incarcération et l’implosion du

système carcéral a conduit le législateur à multiplier les peines substitutives

à l’emprisonnement. En France, surtout, cette diversification de la réponse

pénale s’est traduite par un accroissement des modes alternatifs de

règlement et par la création frénétique de nouvelles peines, jusqu’à

l’avènement de la sanction-réparation en 2007.7

Plus de cent ans après la première édition de L’individualisation de la peine

de Raymond Saleilles parût en 1898, la question de la modulation de la

peine par le juge en fonction des caractéristiques propres à chaque individu

semble être centrale dans nos systèmes pénaux contemporains. L’auteur,

en avance sur son temps, expliquait que « la peine doit être adaptée à la

nature de celui qu’elle va frapper »8 et, qu’en ce sens, liberté doit être donnée

au juge dans son prononcé.

En regardant vers l’avenir, Saleilles explique que la peine, au-delà de son

aspect rétributif, tourné vers le passé, doit permettre à l’individu d’être

réhabilité afin d’éviter qu’il ne persiste encore davantage dans la criminalité.

Il fonde ainsi la peine sur la liberté de l’individu et affirme que la dignité de

ce dernier doit être préservée en tout état de cause (il s’oppose en ce sens

aux peines afflictives et infâmantes). Dans cette logique, et en redonnant au

droit une dimension profondément humaine et humaniste, Saleilles

constate le rôle du jury dans l’individualisation de la peine ainsi que celui

7Jean-Baptiste THIERRY, L'individualisation du droit criminel, Revue de sciences criminelles et de droit comparé, Dalloz actualité, (2008-05-06) pp.59-68. 8 Raymond SALEILLES, L’individualisation de la peine : étude de criminalité sociale, Paris, 1e éd., F. Alcan, (1898).

3

des circonstances atténuantes (introduites dans le Code pénal français en

1824) comme premier levier d’individualisation de la peine. Cependant, il

prône une démarche scientifique et met le juge au cœur du système qui

serait en ce sens « un système d’individualisation judiciaire »9 par opposition

à un « système d’interprétation légale »10. Il préconise alors une discrétion

importante donnée au juge quant à l’appréciation des capacités du

délinquant à se réinsérer dans la société et s’éloigner du crime. Il doit ainsi

tailler sur mesure la sanction pénale en fonction de la personne condamnée,

de sa personnalité, de sa situation et de sa vie passée afin qu’elle soit la plus

juste possible et pour la société (prévention de la récidive) et pour l’individu

lui-même (réhabilitation).

Dans cette optique, si le juge peut s’accommoder des peines

d’emprisonnement maximales en ce sens qu’il peut toujours prononcer une

peine inférieure, il est plus difficile d’admettre l’existence de peines

minimales d’emprisonnement obligatoire (PMO) à la lumière des

enseignements de Saleilles. Il s’agit d’un minimum d’emprisonnement fixé

par le législateur pour une infraction donnée et qui lie le juge quant au

prononcé de la peine. A l’inverse de ce que préconisait l’auteur de

L’individualisation de la peine, ce dernier se retrouve bridé par les

minimums fixés par le Parlement et ne peut éviter de prononcer une peine

d’emprisonnement à l’encontre d’un délinquant pour lequel cette dernière

serait manifestement inadaptée.

Au Canada, si la nature individualisée du processus de détermination de la

peine a été maintes fois reconnue par la Cour suprême11, le principe semble

trouver moins d’écho au Parlement. En effet, ce dernier multiplie les

législations comportant un nombre important de peines d’emprisonnement

9Id., 10Id., 11R. c. L.M. (C.A.) [2008] 2 R.C.S. 163 par.17.

4

obligatoires12 créant ainsi d’importants déséquilibres dans la détermination

de la peine. Le vecteur de l’adoption de ces peines minimales

d’emprisonnement est, entre autres, l’objectif de dissuasion.

En France, c’est la lutte contre la récidive qui a fait figure de justification

lors de l’adoption de la loi 2007-1198 du 10 août 2007 intégrant dans le

Code pénal un système de peines dites « plancher ».

Cependant, on voit les limites d’un tel système dans l’un et l’autre des deux

pays. D’abord, loin de limiter la récidive, les peines d’emprisonnement sont

associées à une hausse du risque de réitération des infractions chez les

individus sortants13. En outre, l’objectif de dissuasion tant mis en avant

n’est ni mesurable ni quantifiable. Faisant le constat de leur inefficacité et

de leur inapplicabilité par les juges, le législateur français finira par abroger

les peines minimales de prison par la loi n°2014-896 du 15 août 2014

justement intitulée loi relative à l’individualisation des peines et renforçant

l’efficacité des sanctions pénales. Outre-Atlantique, en revanche, elles sont

en plein essor.

Il n’y a de principe auquel il est plus difficile de donner corps et tout l’enjeu

de la personnalisation est celui de sa mise en œuvre effective. Aussi il

convient de se demander si l’intégration de peines minimales

d’emprisonnement au sein de l’arsenal répressif est conciliable avec une

application effective du principe d’individualisation ?

Nous nous pencherons plus particulièrement sur deux questions

spécifiques de recherche qui nous permettrons de répondre à notre

12 La loi sur les armes à feu, adoptée en 1995 (L.C. 1995, ch. 39), la loi règlementant certaines drogues et autres substances adoptée en 1996 (L.C. 1996, ch. 19), la loi sur la sécurité des rues et des communautés, adoptée en 2012, (L.C. 2012, ch. 1) introduisent toutes de nouvelles peines minimales obligatoires dans le système de justice pénale canadien. 13 En France, 62% des individus sortants de prison sont à nouveau appréhender dans les cinq ans suivant leur libération tandis qu’entre 2001 et 2011, le taux de condamnation en état de récidive légale est passé de 4,9% à 12,1%. Ces chiffres sont sans appel et remettent en question le choix de l’emprisonnement comme outil de lutte contre la récidive. Prévention de la récidive et individualisation des peines : chiffres clés (2014), <http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf>.

5

problématique générale. D’une part, il convient de poser la question de

savoir en quoi l’individualisation représente un critère essentiel de la

détermination de la peine. D’autre part, les atteintes au principe

d’individualisation causées par un système de peines minimales peuvent-

elles être justifiées par des objectifs pénologiques tels que la dissuasion et

la lutte contre la récidive ? Quelle est la légitimité de tels objectifs ? Doivent-

ils primer sur d’autres objectifs de détermination de la peine tels que la

réhabilitation et la réinsertion du contrevenant ?

Autant de questions que nous allons tenter d’étudier plus en profondeur

dans le cadre de ce travail de recherche. Il m’a semblé, en effet, que les

enjeux posés par l’individualisation et les peines minimales

d’emprisonnement se prêtaient parfaitement à une approche comparée de

deux démocraties possédant deux traditions juridiques différentes mais

faisant face aux mêmes défis quant à la nécessité d’établir des peines justes

et efficaces.

Nous estimons que, dans un système démocratique, l’individualisation de la

peine doit être le principal critère de sa détermination et le juge ne doit pas

être bridé par des minimas imposés par le législateur, du moins, pas de

manière rigide. La justification des peines minimales d’emprisonnement

semble pouvoir être remise en question sur le plan pratique comme

juridique.

L’analyse comparée doit nous permettre d’affirmer que le principe

d’individualisation de la peine reçoit une application effective au Canada

pour ce qui est des infractions qui ne prévoient pas de peines minimales

d’emprisonnement. Dans le cas contraire, lorsqu’une peine minimale est

prévue, tout espoir d’individualisation est anéanti, le juge n’ayant pas la

possibilité de déroger de quelque façon aux dispositions édictées par le

Parlement. En France, si le principe est au centre des récentes réformes de

6

la justice pénale, un examen approfondi permet toutefois d’affirmer que de

nombreux tempéraments lui sont apportés.

Si les minimas fixés par le législateur ne peuvent être supprimés du système

répressif, le juge doit, au moins, avoir des outils assurant une application

effective du principe d’individualisation. Autrement dit, les termes de la loi

doivent permettre d’aller en deçà des minimums fixés par le législateur

lorsque la personnalité du délinquant et les circonstances de l’infraction s’y

prêtent.

L’approche méthodologique adoptée sera une approche de droit comparé. Il

s’agira d’essayer de saisir, à la lumière du droit canadien et du droit

français, toutes les dimensions du principe d’individualisation et les

contraintes causées, à cet égard, par les peines minimales

d’emprisonnement. Il s’agira d’identifier les difficultés communes auxquelles

font face les deux pays s’agissant des peines minimales mais surtout les

solutions qui y sont apportées, le cas échéant. En effet, « on est en général

d’accord pour reconnaître que le droit comparé est appelé à renseigner le

législateur sur les solutions adoptées et les expériences faites dans les

systèmes juridiques des pays étrangers »14.

Par ailleurs, « l’intensification constante des rapports internationaux amène

aujourd’hui le législateur national à suivre et à étudier attentivement le

fonctionnement des institutions juridiques dans les autres pays ».15 En ce

sens, l’étude du droit canadien et de son application nous confortera dans

l’idée que le système français doit rester hostile aux peines minimales, et,

de manière complémentaire, l’étude du droit français, permettra d’affirmer

que le principe d’individualisation doit recevoir plus d’écho en droit

canadien. S’il ne s’agit pas d’aboutir à une suppression complète des peines

14Imre ZAJTAY, « Problèmes méthodologiques du droit comparé » dans Aspects nouveaux de la pensée juridique : recueil d’études en hommage à Marc Ancel, René CASSIN et Maurice ROLLAND, vol.1, Paris, A Pedone, (1975), pp.69‑79, p. 72. 15Groupe consultatif sur la recherche et les études en droit, Le droit et le savoir : rapport au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Ottawa, Division d’information, Le Conseil, 1983 p. 76‑77.

7

minimales, le système répressif doit permettre au juge de se délier des

minimas imposés par le législateur afin d’imposer une peine juste et efficace.

La recherche comparée nous permettra d’affirmer que ce n’est qu’à cette

condition qu’on peut garantir une application effective du principe

d’individualisation.

La recherche a pour objet d’analyser l’évolution contrastée des peines

minimales d’emprisonnement parallèlement à l’importance croissante du

principe d’individualisation. Ce dernier s’imposant comme le fil d’or de la

détermination de la peine (Partie 1ère). Les effets de ces peines obligatoires

sur la personnalisation de la sanction seront ensuite étudiés (Partie 2ème).

8

PARTIE 1 L’importance croissante de l’individualisation dans

nos systèmes pénaux et l’évolution parallèle des peines

minimales d’emprisonnement : des tendances paradoxales ?

« Il faut que l’on croie à la responsabilité pour qu’une mesure prise contre un malfaiteur soit une peine, mais l’application de la peine n’est plus affaire de

responsabilité, mais d’individualisation. C’est le crime que l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine le genre de mesure qui lui convient »16.

L’individualisation de la peine est le critère de son application. Ce doit être

selon l’illustre Raymond Saleilles, la formule du droit pénal moderne17. En

avance sur son temps, le juriste français expliquait déjà en 1898 la nature

fondamentale du principe et en formulait la théorie. Dès le XVIII siècle, la

répression évolue progressivement pour devenir un processus

essentiellement individualisé en Europe18 comme en Amérique du Nord,

notamment au Canada.

L’évolution du droit pénal dans le sens d’une plus grande considération de

l’individu criminel19 et de ses intérêts a permis au principe de

personnalisation de s’imposer comme le fil d’or de la détermination de la

peine (Chapitre 1er).

Cette tendance générale vers l’individualisation de la peine20 semblait

naturellement marquer l’obsolescence des peines fixes, figure du code pénal

napoléonien, mais aussi des peines minimales obligatoires dites

aussi peines plancher. La réalité n’est pas aussi tranchée et l’évolution des

peines minimales d’emprisonnement en France et au Canada a été sujette à

de nombreux remous législatifs. (Chapitre 2ème)

16Raymond SALEILLES, L’individualisation de la peine : étude de criminalité sociale,1ère éd., Paris, F. Alcan, 1898. p.164. 17Id., 18Sylvie BOISSONADE, « Les prémices de l’individualisation au cours du XIXe siècle en Europe en matière de procédure et de pénologie » (2013) 91:4 Revue historique de droit français et étranger (1922-) 725-739. 19Michel DANTI-JUAN, « Droit pénal, changement social et économie psychique : difficultés du questionnement et plausibilité des rapprochements » (2011) n° 83:1 Cliniques méditerranéennes 7-23. 20Henri VERDUN, Des pratiques judiciaires de correctionnalisation, Étude synthétique et critique, thèse pour le doctorat, Sciences juridiques, Université d’Aix en Provence, (1922), p. 109.

9

Chapitre 1 L’individualisation : fil d’or de la détermination de la

peine

Il paraît nécessaire de définir au préalable la notion d’individualisation au

sens pénal et d’identifier ses principaux caractères afin d’en comprendre les

enjeux (Section 1). De la genèse du principe à l’état actuel du droit positif en

France et au Canada, sera mise en lumière la place croissante de la

personnalisation de la peine dans nos systèmes répressifs modernes

(Section 2).

10

Section 1 : L’individualisation de la peine : condition de son

efficacité ?

Sens commun, sens juridique. L’individualisation dans son sens le plus

commun désigne l’action de rendre individuel quelque chose, de l'adapter à

un individu. C’est une différenciation établie sur la base de caractères

individuels21. Appliquée au droit pénal, l’individualisation consisterait donc

à adapter la peine au délinquant appréhendé en fonction de traits qui lui

sont personnels. C’est ainsi qu’on parle plus justement de personnalisation

de la peine. La définition juridique de ce dernier terme pouvant être donnée

comme suit : « Action d’adapter une solution (mesure, sanction) à la

personnalité de celui qu’elle concerne, plus généralement, à l’ensemble des

circonstances d’une espèce »22.

Buts et fonctions de la peine : le rétributivisme. La peine, strictement

définie, est le châtiment qui réprime une atteinte à l’ordre social, qualifiée

d’infraction23. A priori, elle réprime donc un acte passé dans une optique

purement rétributive : il s’agit de punir le mal par le mal. La peine était, à

cet égard, envisagée par les premiers groupes humains comme une

vengeance : celui qui avait causé une souffrance devait souffrir à son tour.

Cette vengeance privée sera plus tard encadrée par la loi du Talion que l’on

retrouve dans le Code d’Hammourabi (~1750 av. J.-C.)24 et instituée par les

trois religions monothéistes que sont le christianisme, l’islam et le

judaïsme25. Ont beaucoup été utilisés, également, des mécanismes de

compensation pécuniaire qui consistaient à faire payer le prix de l'offense à

l'individu qui causait le préjudice avec l’idée que ce « tribut » ramènerait la

situation à un équilibre antérieur altéré par le délit.26

21Centre national de ressources textuelles et lexicales, en ligne : < https://www.cnrtl.fr/> 22CORNU, préc., note 5. 23Id., 24« TALION - Encyclopædia Universalis », en ligne : <https://www.universalis.fr/encyclopedie/talion/> (consulté le 25 juin 2019). 25 Exode, XXI, 24. Coran, sourate 2, versets 178 et 179. 26Jean-Marie CARBASSE avec la collaboration de Pascal VIELFAURE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, coll. Droit fondamental, Paris, 3e éd., Presses Universitaires de France, (2014) p.13.

11

Théoricien de la justice absolue27, Emmanuel Kant (1724-1804) fonde quant

à lui le jus puniendi sur la rémunération du coupable qui a, par son acte,

atteint arbitrairement l’ordre moral. L’expiation du crime est alors

indispensable au rétablissement de la morale collective, fondement du droit.

Le prussien prête à l’idée de justice un caractère absolu poussant à son

paroxysme l’approche rétributive puisqu’il considère que la répression est

indifférente à toute notion d’utilité sociale. Le criminel par son acte, empiète

arbitrairement sur la liberté de l’autre, et la punition doit en tout état de

cause lui être infligée quand bien même cette dernière s’avèrerait inutile non

seulement pour lui mais aussi pour le corps social28. Tout cela participe

d’une approche rétributive de la peine dont on retrouve l’influence

aujourd’hui tant en droit canadien qu’en droit français.

En droit canadien d’abord, on retrouve l’influence des courants

rétributivistes au sein de l’article 718 qui dispose que « le prononcé des

peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer,

parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la

loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de

sanctions justes ». L’infliction de sanctions justes renvoie bien à la volonté

d’attribuer à la répression pénale une fonction punitive tournée

essentiellement vers la gravité du crime commis, donc, vers le passé. La

peine est alors la simple conséquence méritée de l’acte répréhensible

commis par le délinquant : le juste prix de sa faute.29

A l’instar du législateur, la Cour suprême a reconnu cet aspect de la sanction

pénale qui, entre autres objectifs, doit aussi être infligée en vue de

« sanctionner la culpabilité morale du contrevenant »30. Dans son rapport

27Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, traduit par Vincent DELBOS, Paris, éd., La question morale, Presses Universitaires de France, (2013), pp. 36-45. 28Wilfried JEANDIDIER, Droit pénal général, 2e éd., vol. 1, coll. Domat droit privé, Paris, Montchrestien, 1991. para.46. 29PARENT et DESROSIERS, préc., note 1, para.21. 30R. c. M. (C.A.) [1996] 1 R.C.S. 500.

12

rendu en 1986, la Commission canadienne sur la détermination de la peine

envisage le rétributivisme comme une potentielle justification de la peine

mais non comme un but à atteindre par cette dernière31. En effet, la question

de savoir pourquoi punir ne se confond pas avec la question de savoir dans

quels buts punir. La première s’attachant aux justifications de la peine alors

que la seconde vise les effets que l’on cherche à faire produire à cette

dernière. C’est une distinction qui n’est pas toujours évidente. Les objectifs,

les raisons, les justifications : lorsqu’il s’agit de la sanction pénale les

concepts se brouillent, s’entremêlent et renvoient en réalité à une multitude

de questionnements : Pourquoi punir, comment punir, combien punir ?

Autant de problématiques que théoriciens utilitaristes et rétributivistes ont

tenté de résoudre à travers le temps sans jamais trouver de réponse absolue

et indiscutable. Ces confusions naissent de la définition même de la

peine, comme le souligne à bon droit la Commission canadienne en mettant

en lumière le caractère tautologique de cette dernière :

À la question : pourquoi punir quelqu'un?, il est facile de répondre : parce qu'il a fait quelque chose de mal. Cette réponse en soulève cependant une

autre : doit-on effectivement imposer une sanction pénale à quiconque fait n'importe quoi de mal (est impoli, se tient mal à table, triche aux cartes) ? Non, évidemment. Seuls ceux qui commettent les fautes les plus

répréhensibles devraient être punis. Quelles sont exactement ces fautes ? C'est ce qu'on appelle les infractions criminelles. Et qu'est-ce donc qu'une

infraction criminelle ? C'est un geste légalement défini comme passible d'une peine. Ajoutons que cette définition légale peut varier d'un pays à l'autre ou d'une époque à l'autre (par exemple, on ne brûle plus les

sorcières). Finalement, notre question de départ - pourquoi punir quelqu’un ? - reçoit une réponse très peu instructive : parce que cette

personne a posé un geste que nous jugeons actuellement nécessaire de punir. 32

La peine se définit par l’infraction et l’infraction par la peine. Le

rétributivisme, mis à part donner une justification partielle à la sanction

pénale, ne parvient pas à éclaircir toutes les zones d’ombre de sa définition

31COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, Réformer la sentence: une approche canadienne, Rapport, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1987, p. 155. 32 Id., p.153.

13

ni à cibler ses objectifs. Interviennent alors, nous allons le voir, d’autres

courants de pensée.

En France, la formulation de l’article 130-1, premier article du titre III du

Code pénal, consacré aux peines, issue de la loi du 15 août 201433, attribue

à ces dernières deux fonctions principales. La première étant d’assurer la

punition du coupable :

Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de

nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ;

2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. 34

Cet article tente de poser une définition du sens de la peine, celle-ci étant

jusqu’à lors absente du code pénal. L’objectif étant d’intégrer de façon claire

et cohérente les fonctions et finalités de la sanction pénale au sein même du

code. L’étude d’impact annexée au projet de loi précise en ce sens :

La peine a pour principale finalité de restaurer durablement l’équilibre social mis à mal par la commission de l’infraction, c’est-à-dire non

seulement de réparer le préjudice causé à la société, mais d’éviter que la réponse pénale ne l’aggrave. De cette finalité de cohésion sociale découle les deux fonctions de la peine : - la fonction rétributive de sanction, liée

essentiellement à la gravité de l’infraction commise ; - la fonction réhabilitante, qui vise à réduire le risque de récidive. 35

La première fonction attribuée à la peine est donc issue des philosophies

rétributivistes et est tournée vers le passé puisqu’elle s’attache à la gravité

du crime commis. L’étude d’impact poursuit cependant en affirmant que le

prononcé de la peine emprunte non seulement aux conceptions rétributives

mais aussi aux conceptions utilitaristes36. En effet, au-delà de la punition

33Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, n°2014-896, JORF n°0189 du 17 août 2014, p. 13647, Texte n°1. 34Code pénal - Article 130-1. 35Etude d’impact de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, n°2014-896, JORF n°0189 du 17 août 2014, p. 13647. Texte n°1. p. 69. para. 6. 36Id., p.70.

14

du coupable, la sanction doit être orientée vers sa réhabilitation. A l’inverse

des premières, les secondes se tournent donc vers ce qu’on peut faire

produire d’effets à la peine dans l’avenir.

Buts et fonctions de la peine, l’utilitarisme. L’infraction n’est pas

simplement un tort qui doit être réparé par la peine car ce qui a été fait,

souvent, ne peut être défait : il s’agit davantage de garantir la protection de

la société à l’avenir par la réformation du coupable. Ainsi, le curseur est

déplacé du fait criminel sanctionné par la peine et appartenant au passé,

au résultat de cette dernière, appartenant quant à lui à l’avenir.

Au XVIIIème siècle naît l’école classique et avec elle se développent les

courants utilitaristes. Cette école est représentée par deux figures

centrales : l’italien Cesare Beccaria (1738-1794) et l’anglais Jérémy

Bentham (1748-1832).

Cesare Beccaria, dans son Traité des délits et des peines37 sera parmi les

premiers à s’insurger contre l’arbitraire des lois criminelles et la sévérité

excessive des peines alors en vigueur. Pour lui, les lois doivent avant tout

servir la société et leur seul but est « tout le bien-être possible pour le plus

grand nombre »38. Le fondement du droit de punir réside dans la somme des

portions de liberté cédées par chacun : dépôt nécessaire au maintien d’une

société sûre39. Ainsi, toute peine est excessive et donc inutile si elle n’est

plus « nécessaire à la conservation du dépôt de la liberté publique »40. C’est

ainsi qu’il marque son opposition à la peine de mort. De ce constat, il dégage

les principes de légalité et d’égalité. Nul crime ni peine qui ne soient prévus

par la loi, nul loi qui ne soit strictement interprétée. La figure de ce système

est donc le législateur, le juge n’a aucun pouvoir discrétionnaire et il ne peut

en aucun cas moduler la peine prévue à l’avance par ce dernier, dépositaire

37Cesare BECCARIA, Dei delliti e delle pene, 1e éd. originale, (1764), Livourne. 38Cesare BECCARIA, des délits et des peines, traduit par Collin de Plancy, Paris, éd. du Boucher, (2002), p.8. 39Id., p.12. 40Id., p.13.

15

de la volonté générale41. Les peines doivent, par ailleurs, être proportionnées

à la gravité de l’acte perpétré. Il considère qu’une peine modérée mais

certaine a un meilleur effet dissuasif qu’une peine lourde mais aléatoire.42

A l’instar de Beccaria, Bentham considère que l’homme, envisagé d’un point

de vue rationnel, effectue un calcul hédoniste afin de préserver au mieux

ses intérêts. Le criminel n’est guère différent. Ainsi, la peine doit engendrer

une souffrance plus grande que le profit tiré de l’infraction afin que l’individu

trouve plus d’intérêt à s’abstenir qu’à passer à l’acte43. La sanction ne doit,

quant à elle, engendrer que le mal strictement nécessaire pour remplir son

but.

S’inscrivant dans le même courant de pensée, John Stuart Mill affirme :

Les hommes ne sont autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d'action de quiconque que pour assurer leur propre protection […]. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté

pour user de la force contre un de ses membres, est de l'empêcher de nuire aux autres.44

Les législations pénales occidentales ont été profondément imprégnées par

ces courants. L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen consacrant le principe de nécessité des peines selon lequel la loi ne

doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires est tout

droit inspiré des écrits de Beccaria, au même titre que le principe de légalité.

Le code criminel canadien dispose quant à lui que « le prononcé des peines

a pour objectif essentiel de protéger la société » et de « contribuer au

maintien d’une société paisible et sûre »45. Rétributivisme et utilitarisme ont

donc tous deux marqué le droit pénal moderne de leur sceau.

41Id., p.16. 42JEANDIDIER, préc., note 26. para.47. 43JEANDIDIER, préc., note 26. para.48. 44John Stuart Mill, De la liberté, traduit par Laurence Lenglet, coll. Folio essais, n°142, Paris, éd. Gallimard, (1990). p.74. 45Article 718 du Code criminel canadien - LRC (1985).

16

Le code pénal napoléonien. S’il n’établit pas de peines fixes, comme ce que

préconisait Beccaria, ce code prévoit un minimum et un maximum :

l’individualisation par le juge était donc possible dans une fourchette bien

définie. Chaque infraction est délimitée et assortie des peines

correspondantes : c’est la naissance de la classification tripartite des

infractions. Si on perçoit des efforts dans le sens d’une plus grande

individualisation des peines, le code est cependant marqué par une extrême

sévérité46 et prévoit de nombreuses circonstances aggravantes mais très peu

de circonstances atténuantes.

L’école néo-classique : défense sociale et individualisation. Le code

pénal de 1810 se situe encore très loin de ce que défend Saleilles et, de ce

que préconisaient, en général, les tenants de l’école néo-classique, tels que

Pellegrino Rossi, Joseph Ortolan, Filippo Grammatica et Marc Ancel. Dont

la formule célèbre « punir pas plus qu’il n’est juste, pas plus qu’il n’est utile »

établie une synthèse entre conception morale de la justice et utilitarisme.

Cette formule, que l’on doit à Rossi et Ortolan marque une adhésion aux

idées de rétribution proportionnée de Beccaria en allant plus loin encore47.

« L’utile et le juste vont de pair car l’utile doit être juste pour être efficace »

résumera le criminologue québécois Maurice Cusson dans Criminologie

actuelle paru en 199848, exprimant la synthèse qui doit être faite entre

rétributivisme et utilitarisme.

Le but général du droit pénal « est de concilier le maximum possible de

sécurité sociale avec le minimum possible de souffrance individuelle. »49

C’est ainsi que « le droit nouveau envisage des êtres sociaux qui ont des

devoirs envers la communauté. Il voit surtout dans le criminel l’individu qui

46Châtiments corporels, peine particulière réservée au parricide (section du poing ayant porté le coup mortel)… 47Jean PRADEL, Histoire des doctrines pénales, coll. Que sais-je?, Paris, 2e éd., Presse universitaire de France, (1991), p.52. 48Maurice CUSSON, Criminologie actuelle, Coll. Sociologies, Paris, 1e éd., Presse universitaire de France, (1998) p.157. 49Adolphe PRINS, La défense sociale et les transformations du droit pénal, vol.1, coll. Actualités sociales, Bruxelles, 1eéd., Misch et Tron, (1910) p.40 para.3.

17

porte atteinte à l’ordre social »50. Il ressort de ces nouveaux courants

humanistes que la peine ne poursuit par un seul but qui serait, selon

l’approche adoptée, la protection de la société ou le rétablissement d’un

ordre moral, mais bien de multiples buts allant de la rétribution, à la

préservation de la paix sociale en passant par la réhabilitation et

l’amendement du coupable.

L’individualisation selon Saleilles. Raymond Saleilles, concepteur de

l’individualisation dans son acception pénale, explique ainsi qu’il faut tailler

la peine, la moduler, en fonction des circonstances de commission de

l’infraction et de la personnalité de son auteur51. Constatant les lacunes des

conceptions classiques de la peine n’envisageant que l’aspect objectif du

crime, il redonne à la sanction pénale toute sa dimension en

affirmant qu’au-delà de la matérialité du fait criminel, correspondant au mal

produit, il faut impérativement considérer l’individu criminel. Saleilles

affirme en ce sens qu’avec une telle conception, « le droit pénal est une

construction toute abstraite qui ne connaît que le crime et ignore les

criminels »52. Négligeant ainsi la personne du délinquant pour ne traiter que

l’acte réprimé, le droit pénal est réduit à un mécanisme de rétribution

automatique dans lequel chaque infraction est assortie d’une peine

correspondante applicable systématiquement qu’importe l’auteur. Rejetant

cette approche mathématique de la répression pénale53, il adopte une

position bien plus humaniste et pragmatique en remettant le curseur sur

l’Homme criminel sans toutefois écarter l’aspect objectif de la criminalité.

Formulation du principe. La peine doit être adaptée à la nature de celui

qu’elle va frapper54. La sanction pénale ainsi envisagée comporte donc une

part de subjectivité découlant de la dimension fondamentalement sociale du

50Id., p.2. 51SALEILLES, préc., note 1. 52SALEILLES, préc., note 1. p.9. 53SALEILLES, préc., note 1. p.10. 54SALEILLES, préc., note 1. p.5

18

droit criminel, judicieusement défini, d’ailleurs, comme « la sociologie

criminelle adaptée à l’idée de justice »55. C’est cette prise en compte du

criminel d’un point de vue tant criminologique que sociologique et

psychologique, qui rompt avec l’école classique et offre, sans aucun doute,

une lecture nouvelle, bien plus réaliste, des fonctions attribuées à la peine.

Les caractères de l’individualisation. Le premier postulat est le suivant :

aucun crime n’est identique comme aucun homme n’est identique. La

réponse pénale ne peut donc s’appliquer mécaniquement de sorte qu’à

chaque infraction s’applique une peine déterminée et inmodulable. Il existe

autant de faits criminels qu’il y a de criminels et chaque circonstance

matérielle gravitant autour de l’acte contribue à le rendre unique : « Il

s'ensuit que la responsabilité, pour chaque crime spécial, varie pour chaque

délinquant, non pas à raison des diversités de natures et de tempéraments

psychologiques, mais à raison des variétés d’exécution de chaque crime en

particulier. »56 C’est là le degré primaire d’individualisation. Il comprend la

prise en compte du crime matériellement commis ainsi que le degré de

liberté de l’agent au moment de sa commission. Ce dernier élément faisant

référence à l’état pathologique (trouble psychique, neuropsychique, abolition

du discernement) de l’individu au moment du passage à l’acte.

Le second degré d’individualisation réside dans la prise en compte du

criminel en tant qu’être social. On envisage la responsabilisation et la

réadaptation de ce dernier comme les principaux objectifs attachés à la

peine. Les conceptions déterministes telles que la théorie du criminel né

établies par Cesare Lombroso, sont balayées au profit d’un homme capable

de se réformer et d’être réintégré à la société. La lutte contre la récidive est

la toile de fond du système pénal et elle passe par l’individualisation de la

peine. Joseph Ortolan affirmait ainsi : « que l’un des buts essentiels de la

55SALEILLES, préc., note 14. p.7. 56SALEILLES, préc., note 14, p.42.

19

peine pour conjurer le danger des récidives, c’est la correction morale »57. La

peine sert la société mais aussi le criminel en l’éloignant du crime. « La

seule utilité que l’on puisse demander à la peine, c’est de faire du criminel

un honnête homme, si la chose est possible, ou sinon de le mettre hors d’état

de nuire », résume Saleilles.58

L’individualisation, critère d’application de la peine. « C’est le crime que

l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine le genre de

mesure qui lui convient. La responsabilité, fondement de la peine, et

l’individualisation, critérium de son application : telle est la formule du droit

pénal moderne »,59 exposait Saleilles. La réadaptation du délinquant passe

par une diversification du traitement pénal qui, pour être juste, doit prendre

en compte les différences entre les individus. 60 L’individualisation se révèle

être la voie royale vers un système de peine efficace fondé sur la

responsabilité, et seule capable de lui conférer l’étoffe et l’élasticité

essentielles à la réalisation de toutes les finalités qui lui sont assignées. Il

n’est donc pas surprenant que les mouvements de réforme depuis le XXème

siècle aient pour toile de fond ce principe désormais directeur dans la

détermination de la peine61 et incorporé peu à peu par le législateur et la

jurisprudence en droit positif.

57Joseph-Louis-Elzéar ORTOLAN, Éléments de droit pénal : pénalité, juridiction, procédure, Paris, 3e éd., vol.2. Tome 1, H.Plon, (1863), p.88. 58SALEILLES, préc., note 14, p.23. 59SALEILLES, préc., note 14, p.164. 60Jean-Hervé SYR, « Les avatars de l'individualisation dans la réforme pénale », (1994), n°2, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, éd. Dalloz, (avril-juin 1994), p. 217-235. 61Id.,

20

Section 2 : La réforme du droit pénal : l’intégration progressive

du principe d’individualisation en droit positif français et

canadien

Un phénomène progressif. Si l’individualisation de la peine paraît

aujourd’hui être aussi évidente qu’indispensable, elle n’a été introduite dans

le système pénal qu’à la faveur de réformes successives. Ces dernières

n’avaient pas nécessairement pour objet l’individualisation en elle-même,

mais faisaient le constat de phénomènes criminels, auxquels devaient être

apportées des solutions pérennes et plus efficaces, telles que la récidive.

Elles injectaient inéluctablement dans le système de l’individualisation par

piqûres successives. Le législateur donne une première forme à la peine en

la façonnant de telle sorte qu’elle s’adapte, à priori, à la nature du

comportement incriminé et à la personne du délinquant. Assortie de

circonstances aggravantes ou atténuantes, accompagnée ou non de peines

complémentaires, elle constitue une première individualisation d’origine

légale. Le juge prend ensuite le relais. Tel un orfèvre, il examine

minutieusement les circonstances de commission (aggravantes et

atténuantes) de l’infraction et les caractéristiques propres à son auteur et

sculpte la peine, la ciselle minutieusement afin qu’elle épouse parfaitement

la silhouette du crime et du criminel.

Une codification tardive. Le principe n’a été intégré dans le code pénal

français que très récemment à l’article 131-2 inséré par la loi du 15 août

2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des

sanctions pénales. Cette codification été jugée nécessaire, « eu égard à

l’importance centrale de ce principe dans le fonctionnement de la justice

pénale et dans la perspective d’une réponse adaptée à la personnalité et à la

situation de chaque condamné, condition sine qua non de la prévention de

21

la récidive »62. Cet article ne fait cela-dit que codifier expressément

l’individualisation de la peine, celle-ci ayant été déjà consacrée comme

principe à valeur constitutionnelle par le Conseil des sages dans une

décision du 22 juillet 200563.

Le principe d’individualisation et la Constitution. Le principe

d’individualisation n'a aucune assise textuelle dans la Constitution. Le

conseil des Sages, en 1981, s’est d’abord montré réticent à le considérer

comme un principe fondamental devant prévaloir sur les autres fondements

de la répression pénale64. Dans sa décision du 20 janvier 1994, il déclare :

L'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-

ci et préparer son éventuelle réinsertion.65

Les finalités de la peine que sont l’amendement et la réinsertion sont donc

reconnues par le Conseil avant le moyen permettant de les réaliser à savoir

la personnalisation de la sanction. En 1992, sera intégrée dans le nouveau

code pénal une section complète consacrée aux modes de personnalisation

des peines regroupant une panoplie de mesures permettant d’individualiser

la sanction. Il faudra attendre la décision du 22 juillet 2005 précitée pour

voir l’individualisation érigé en principe à valeur constitutionnelle. Le

Conseil des Sages déduit le principe d’individualisation de celui de nécessité

des peines, lui-même consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de

l’homme intégrée au bloc de constitutionnalité par la décision du 16 juillet

197166.

62COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI n°1413 relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines – Rapport n°1974 par Dominique RAIMBOURG, PARIS, Assemblée nationale, (28 mai 2014). 63Décision n° 2005-520 DC du 22 juillet 2005. 64Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, par. 16 : « Considérant, d'autre part, que, si la législation française a fait une place importante à l'individualisation des peines, elle ne lui a jamais conféré le caractère d'un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale ». 65Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994, par.12. 66Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. par.2.

22

Outre-Atlantique : un principe prétorien. A l’origine, le système de justice

pénale canadien ne contenait pas de règles codifiées régissant la

détermination de la peine, celles-ci étant principalement dégagées par la

jurisprudence. Par la loi du 3 septembre 1996, le législateur va engager une

refonte historique du Code criminel67 en y introduisant, notamment, les

articles 718 et suivants qui énoncent les principes applicables à la

détermination de la peine. Cependant, les règles jurisprudentielles

antérieurement consacrées n’ont pas perdu de leur valeur : elles serviront

de support à l’interprétation des nouvelles dispositions législatives68. C’est

le cas du principe d’individualisation, corollaire du principe de

proportionnalité considéré comme « un précepte central de la détermination

de la peine »69. Ce dernier est d’ailleurs consacré par l’article 718.1 du Code

criminel en ces termes : « La peine est proportionnelle à la gravité de

l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ».

Le principe d’individualisation ne fait donc l’objet d’aucune loi au pays de

l’érable. Cependant, s’il n’est pas considéré comme un principe de justice

fondamental comme pourrait l’être, dans une certaine mesure70, le principe

de proportionnalité71, son importance ne cesse d’être soulignée par la Cour

suprême. La détermination de la peine est présentée comme « un processus

fortement individualisé » dans lequel le juge dispose d’une latitude

suffisante pour adapter la peine aux circonstances de l’infraction et à la

situation du condamné72. En 1996, dans l’arrêt R. c. M. (C.A.), le juge en

chef Lamer rappelait que :

67Code criminel L.R.C. (1985), ch. C-46. 68Jean-Paul PERRON, « la détermination de la peine », Collection de droit 2019-2020, École du Barreau du Québec, vol. 13, Droit pénal : Infractions, moyens de défense et peine, (2019). 69 R. c. Ipeelee, [2012] 1 RSC 433. para.36. 70Safarzadeh Markhali, 2016 CSC 14 par.21. et R. c. Anderson [2014] 2 R.C.S. 167 par.21. dans lesquels la Cour suprême affirme que le principe de proportionnalité n’est pas un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte. 71R. c. Ipeelee, préc., note 67, par. 37. : « Le principe fondamental de la détermination de la peine — la proportionnalité — est intimement lié à son objectif essentiel — le maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’imposition de sanctions justes. » 72Id., par.38, voir aussi R. c. Lloyd [2016] 1 RCS 130 et R. c. Safarzadeh Markhali [2016] 1 R.C.S. 180.

23

Le législateur fédéral a conféré expressément aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir discrétionnaire de déterminer le genre de

peine qui doit être infligée en vertu du Code criminel et l’importance de celle-ci73.

L’individualisation du processus de détermination de la peine étant

indissociable du principe de proportionnalité, l’examen de la situation

personnelle du délinquant est essentiel au prononcé d’une peine

correspondant au crime. C’est ce qui a été rappelé dans l’arrêt R. c. Proulx

de la Cour suprême en ces termes :

La justification de cette approche réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine

suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que la peine corresponde au crime, le principe de proportionnalité commande l’examen de la

situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l’infraction74.

Récemment, le principe a encore été affirmé dans l’arrêt R. c. Pham dans

lequel la Cour suprême considère, qu’à l’instar des circonstances

aggravantes et atténuantes se rattachant à la gravité de l’infraction et au

degré de responsabilité du délinquant, les conséquences indirectes sur la

situation de ce dernier doivent également être prise en compte au titre de

l’individualisation :

À la lumière de ces principes, les conséquences indirectes découlant d’une

peine s’entendent de tout effet qu’a celle-ci sur le délinquant concerné. Elles peuvent être prises en compte dans la détermination de la peine en tant que facteurs liés à la situation personnelle du

délinquant. Cependant, ces conséquences ne constituent pas, à proprement parler, des facteurs atténuants ou aggravants, puisque, par

définition, de tels facteurs se rattachent uniquement à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant (al. 718.2a) du Code criminel). Leur pertinence découle de l’application

des principes d’individualisation et de parité. Les conséquences indirectes pourraient également être pertinentes à l’égard de l’objectif de la détermination de la peine qui consiste à favoriser la réinsertion sociale des

73R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 90, R v Ipeelee, 1 SCR 433 (SCC). 74R. c. Proulx [2000] 1 RCS 433. par.82.

24

délinquants (al. 718d) du Code criminel). En conséquence, lorsque deux peines sont appropriées eu égard à la gravité de l’infraction et au degré de

responsabilité du délinquant, la peine qui convient le mieux pourrait être celle qui favorise le plus la réinsertion sociale de ce dernier.75

L’importance du principe d’individualisation est ainsi maintes fois

réaffirmée par la Cour suprême et les tribunaux canadiens76 et nous permet

d’affirmer qu’il représente aujourd’hui un principe directeur de la

détermination de la peine. En effet, l’individualisation se révèle être, entre

autres principes, la toile de fond du processus judiciaire de sorte qu’il est

établit que « chaque cas est un cas d’espèce : le juge appelé à configurer la

peine doit en conséquence s’attarder avec minutie à tamiser chacune des

circonstances pertinentes à la lumière des objectifs, principes et facteurs

applicables »77.

Le juge dispose par conséquent d’une entière discrétion dans le choix de la

peine lorsque, pour une infraction donnée, la loi prévoit des peines

différentes en nature ou en degré. C’est ce qui résulte de l’article 718.3(1)

du Code criminel formulé en ces termes :

Lorsqu’une disposition prescrit différents degrés ou genres de peine à l’égard d’une infraction, la punition à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, à la discrétion du tribunal qui

condamne l’auteur de l’infraction.

Ce pouvoir discrétionnaire du juge régulièrement réaffirmé par la Cour

suprême78 est le vecteur de l’individualisation :

Notre Cour a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est

un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine

appropriée.79

75R. c. Pham, [2013] 1 RCS 739. par 11. 76 R. c. Nasogaluak [2010] 1 RCS 206. 77R. c. Paquette, [2007] R.J.Q. 2074, par. 78. 78R. c. L.M. [2008] 2 RCS 163. par. 17 et R. c. Johnson [2003] 2 SCR 357, par. 22. 79SYR, préc., note 58, par. 82. R. c. Nasogaluak [2010] 1 RCS 206, par 43, R. c. Ipeelee, [2012] 1 RSC 433.

25

La peine encourue. Que ce soit en France ou au Canada, le pouvoir

discrétionnaire du juge s’effectue dans le cadre du principe de légalité,

héritage infrangible de l’école classique. Ensemble, la Charte canadienne

des droits et des libertés80 et la déclaration des droits de l’Homme et du

citoyen81 donne à ce principe une valeur supra-législative. Il y a ainsi dans

la définition de l’infraction par le législateur une première esquisse de la

silhouette du crime matériellement commis. Ainsi, les modes opératoires, la

qualité de l’auteur ou de la victime, l’âge, l’habitude, le moment de l’acte, la

densité de la faute (dol spécial, dol général) sont autant d’éléments qui

permettent de donner à l’espèce sa configuration propre. La peine encourue

désignée par le doyen Claude Lombois comme étant « la peine au repos »

assortie chaque infraction de sorte à donner au juge la possibilité de

prononcer une peine adaptée toujours dans le cadre du principe de légalité.

En France, la force de ce dernier est telle qu’aucune peine principale,

alternative ou complémentaire ne peut être appliquée si elle n’est pas

expressément prévue par le législateur pour l’infraction en cause. En outre,

toutes les circonstances aggravantes applicables au crime sont également

prévues préalablement et listées exhaustivement dans le Code pénal pour

chaque comportement incriminé. La situation est différente au Canada où

la portée du principe est moindre de sorte que le juge peut, à l’instar de la

loi, ériger un fait en cause d’aggravation82.

Les circonstances de commission de l’infraction. La prise en compte des

circonstances gravitant autour du fait principal permet de façonner encore

80Charte canadienne des droits et libertés (1982), article 11g) : « 11. Tout inculpé a le droit : g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations; » 81 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), article 7 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance. » 82 PARENT et DESROSIERS, préc., note 1, para 37.

26

davantage la sanction pénale afin qu’elle corresponde au mieux au contexte

de commission de l’infraction. Les circonstances aggravantes ont l'effet

d'augmenter la peine d'emprisonnement ou d'amende. L’idée est qu’une

même infraction peut se décliner à l’infini de sorte qu’aucun meurtre, aucun

vol, aucune agression n’est parfaitement identique.

En droit pénal français, les circonstances aggravantes sont, rappelons-le,

soumises au principe de légalité des délits et des peines. Ainsi, le code pénal

prévoit deux catégories de faits pouvant aggraver la répression. Les causes

générales d’aggravation d’abord, il n’en existe que deux : la récidive (132-8)

et l’utilisation d’un moyen de cryptologie (article 132-79). Les causes

spéciales d’aggravation83, ensuite, qui ne cessent de se diversifier et de se

multiplier, permettant, sans doute, une meilleure individualisation, mais

causant également une confusion certaine entre éléments constitutifs et

circonstances aggravantes, les deux se confondant parfois (la faute délibérée

à la fois élément constitutif du délit de risque causé à autrui84 et

circonstance aggravante de l’homicide involontaire).85 Ces causes spéciales,

répondant aux fonctions classiques du droit pénal, ont pour but de punir

plus sévèrement les fautes les plus graves en graduant la répression mais

également de prévenir la commission d’infractions aggravées en augmentant

le quantum des peines. Elles peuvent ainsi faire basculer l'infraction d'une

catégorie à l'autre : contravention à délit ou délit à crime. Un vol simple86

est un délit mais il tombe sous la qualification de crime lorsqu’il est

accompagné par des violences ayant entrainé une mutilation ou une

infirmité permanente87.

Les circonstances atténuantes, quant à elle, n’étaient à l’origine prévues que

pour certains délits dans le code pénal napoléonien. Leur champ fut ensuite

83L’âge de la victime, sa qualité ou celle de l’auteur, leur lien de parenté, l’autorité de droit ou de fait qu’exerce l’auteur sur la victime, les circonstances liées au modus operandi (usage d’une arme, effraction, violences, réunion…) 84Code pénal - Article 223-1. 85Code pénal - Article 221-6. 86Code pénal - Article 311-3. 87Code pénal - Article 311-7.

27

élargi à quelques crimes par la loi du 25 juin 182488. Il faudra attendre la

loi du 28 avril 183289 pour que le législateur se décide enfin à les étendre à

tous les crimes, tirant leçon d’acquittements massifs par des jurés préférant

acquitter plutôt qu’infliger au coupable une peine bien trop sévère. Les

circonstances atténuantes sont laissées à la libre appréciation du juge qui,

dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, peut abaisser le quantum de

la peine encourue s’il trouve des causes qui affaiblissent soit la matérialité

de l’action, soit la culpabilité de l’agent90.

En droit pénal canadien, le principe de proportionnalité comprend deux

aspects essentiels : la gravité objective, liée à la nature même de l’acte, et la

gravité subjective du crime, liée aux circonstances factuelles gravitant

autour de l’acte. C’est lors de l’évaluation de ces circonstances aggravantes

et atténuantes que le juge commence son travail d’individualisation. Le

législateur canadien établit une liste de circonstances aggravantes qui n’est

pas exhaustive et dans laquelle on retrouve des causes d’aggravation

communes au droit français : le motif discriminatoire, le lien conjugal, l’âge

de la victime, l’abus d’autorité91... D’autres circonstances sont quant à elles

d’origine prétorienne. Elles sont d’autant plus nombreuses qu’elles

permettent aux juges, au cas par cas, de dégager toute la spécificité d’une

espèce donnée afin d’ajuster la sanction en conséquence. L’usage de la

violence92 et l’existence d’antécédents judiciaires93 sont ainsi des causes

d’aggravation majeures dégagées par la jurisprudence. Les remords

exprimés par le contrevenant94 ou le pardon accordé par la victime95 jouent

en faveur du condamné au même titre que les conséquences négatives de la

88Loi du 25 juin 1824 contenant diverses modifications au Code pénal, JORF du 20 août 1944 p. 515. 89Loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au code pénal et au code d'instruction criminelle, JORF du 20 août 1944 p.121. 90René GARRAUD, Précis de droit criminel, coll. Sciences sociales, Paris,11e éd., Hachette, (1912), par. 200. 91Code criminel - Article 718.2 a). 92R. c. Riendeau, 2007 QCCQ 921 93R. c. Viens, 2007 QCCQ 3159 94R. c. Coffin [2006] R.J.Q. 976 95R. c. Mauricette, 2011 QCCA 632

28

peine sur sa situation personnelle96, celle de sa famille97, sa santé98, son

emploi99… Une multitude de circonstances sont ainsi définies par les

tribunaux, contribuant ainsi à moduler la sentence en fonction du degré de

gravité du crime commis et du degré de culpabilité morale du délinquant100.

L’infraction ainsi évaluée à la lumière de toutes ces circonstances de

commission et des caractéristiques propres à l’auteur, donne lieu au

prononcé d’une peine individualisée.

La peine prononcée : la discrétion du juge en droit français. La faculté

de modulation de la peine conférée au juge est également une condition

centrale de la personnalisation de la peine en droit français. Elle revêt un

double aspect : d’abord l’initiative du juge dans le prononcé de la peine et

ensuite la faculté de modulation de cette dernière. D’une part une peine ne

peut être appliquée que si le juge la prononce expressément dans la décision

de condamnation. D’autre part, la discrétion conférée au juge doit être telle

qu’il est maître de la nature de la peine, de son quantum ainsi que de son

régime dans le cadre des dispositions du Code pénal et du Code criminel. Il

peut ainsi décider de prononcer une peine d’emprisonnement assorti d’un

sursis au lieu d’une peine ferme. Il peut également faire en sorte que ce

sursis soit assorti d’obligations particulières auxquelles le condamné devra

se soumettre au risque de voir le sursis révoqué. C’est d’ailleurs à travers la

peine de prison que l’individualisation a d’abord trouvé matière à

s’appliquer.

96R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 97R. c. Pham [2013] 1 R.C.S. 739 98Thibault c. R., [2016] J.Q. No. 1324 99R. c. Martin, 2012 QCCA 2223 100R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 par.43 : « Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d’arrêter la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au Code et dans la jurisprudence ».

29

L’individualisation de la peine de prison. En France, les lois Bérenger du

14 août 1885101 et du 26 mars 1891102 introduisant la libération

conditionnelle et le sursis à l’exécution de la peine, constituent, deux étapes

considérables vers une meilleure prise en compte de la personnalité du

contrevenant. Elles sont le fruit d’un constat reposant sur une distinction

entre délinquant d’habitude et délinquant primaire. Les effets néfastes de

l’emprisonnement favoriseraient la récidive et pousseraient les primo-

délinquants, en contact avec les délinquants « endurcis », à s’engager dans

une carrière criminelle. On considère qu’il n’existe pas chez eux de tendance

criminelle et la peine ne doit pas venir les pervertir davantage. La libération

conditionnelle permet aux condamnés à une peine de prison présentant des

garanties de réinsertion importantes d’en sortir avant le terme. D’une part,

elle joue comme récompense car elle ne s’applique qu’aux individus ayant

adopté un comportement irréprochable durant la période d’incarcération.

D’autre part, elle agit comme une menace censée encourager la personne

concernée à conserver sa ligne de conduite au risque de se voir réincarcérer

pour la portion de peine qu’elle n’a pas effectuée. Le sursis simple fait, lui

aussi, peser sur le condamné la menace d’une incarcération qui doit, à

l’instar de la libération conditionnelle, avoir pour effet de le dissuader de

réitérer son crime ou d’en commettre un autre. Il s’est décliné en différentes

formes en même temps que le mouvement de diversification générale de la

sanction pénale ayant donné naissance à de nombreuses peines

complémentaires et alternatives dont le sursis mise à l’épreuve (SME) et le

sursis assorti d’une obligation d’accomplir un travail d’intérêt général

(sursis TIG). Prononcé pour plus de la moitié des peines d’emprisonnement

pour crime ou délit, le sursis est une mesure phare du code pénal français.

101Loi du 14 août 1885 CCR, JORF du 15 août 1885 page 4562 102Loi du 26 mars 1891 sur l'atténuation et l'aggravation des peines, JORF du 27 mars 1891 page 1433.

30

En 2017, 63% des peines d’emprisonnement étaient prononcées avec sursis

(toutes catégories) dont plus de 80% assortissaient la totalité de la peine103.

Peines alternatives, peines complémentaires : vers une diversification

de la sanction pénale. Depuis plusieurs années, le législateur ne cesse de

créer de nouvelles sanctions pénales espérant ainsi apporter une meilleure

réponse à la criminalité et donner aux juges tous les outils nécessaires au

prononcé d’une peine adaptée. En sus de la peine principale

(l’emprisonnement et l’amende), la juridiction de jugement peut imposer

d’autres sanctions à condition qu’elles soient prévues par la loi pour

l’infraction en cause. L’interdiction de porter une arme, la suspension du

permis de conduire ou encore l’injonction de soins et la confiscation sont

autant de mesures pouvant assortir la peine principale. Elles sont prévues

par l’article 131-1 du Code pénal104. Ces peines peuvent également être

prononcées en lieu et place de la peine principale. Le travail d’intérêt

général, le jour-amende et le stage de citoyenneté font également partie des

peines pouvant être prononcées à titre principale en matière délictuelle

représentant ainsi une alternative à l’emprisonnement. Quoi qu’il en soit ces

peines doivent obligatoirement être prononcées par le juge à l’inverse des

peines accessoires.

Peines accessoires et automatiques. Catégorie ancienne, ces peines

étaient appliquées même si le juge ne les prononçait pas. Le développement

de la jurisprudence du conseil constitutionnel a conduit à conclure que ces

peines sont contraires au principe d'individualisation. En 1992, le

législateur a voulu mettre au rebut ces peines qui étaient très fréquentes :

103Voir annexe 1. <http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_RSJ_Penal_6.5_2017.ods> (consulté le 16 juillet 2019) 104Code pénal - Article 131-2 : « Lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d'une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d'un droit, injonction de soins ou obligation de faire, immobilisation ou confiscation d'un objet, confiscation d'un animal, fermeture d'un établissement ou affichage de la décision prononcée ou diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique. »

31

l’article 132-17 précise qu’aucune peine ne peut être appliquée si la

juridiction ne l'a expressément prononcée.

La juridictionnalisation de l’application des peines. Amorcée par la loi

du 15 juin 2000, la juridictionnalisation des modalités d’application de la

peine en fait des décisions susceptibles de recours alors qu’elles n’étaient

jusqu’alors que de simples mesures d’administration judiciaires

insusceptibles d’appel. L’individualisation au stade de l’exécution de la peine

se trouve incarné par le juge d’application des peines (JAP)105. Ce dernier

prend le relais de la personnalisation de la peine amorcée par la juridiction

de jugement en s’assurant que la peine évolue en même temps que le

condamné afin qu’elle reste adaptée à sa situation personnelle,

professionnelle et familiale. Il dispose de larges prérogatives s’agissant du

suivi des peines restrictives de liberté notamment depuis l’élargissement de

son champ de compétence par la loi Perben II adoptée le 9 mars 2004106

visant à renforcer l’individualisation de la peine au stade de son exécution.

Il peut désormais révoquer une peine de SME ou de STIG. Devenant « juge

alchimiste »107, il peut également transformer la nature de la peine

prononcée en assortissant un emprisonnement d’un sursis ou en

transformant une peine de TIG en jour-amendes, par exemple. Le JAP joue

ainsi un rôle accru dans l’individualisation post-sentencielle de la peine108.

L’individualisation et les récentes réformes de la justice en France. Le

projet de loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité

des sanctions pénales avait pour principal objectif de renforcer la

personnalisation de la peine au stade de son prononcé et de son exécution.

La loi entrée en vigueur le 1er octobre 2014 pour la majorité de ses

105Isabelle DREAN-RIVETTE, La personnalisation dans le Code pénal, coll. Sciences criminelles, Paris, L’Harmattan, (2005), p. 227. 106Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JORF n°59 du 10 mars 2004 page 4567 texte n° 1. 107Mickaël JANAS, « Le nouveau rôle du JAP », (15 novembre 2004), n°11, Actualité juridique pénal, Dalloz, p.394. 108Id.,

32

dispositions, insère le nouvel article 132-1 selon lequel toute peine

prononcée par la juridiction doit être individualisée. Elle modifie les

modalités du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve en supprimant

l’automatisme de la révocation en cas de nouvelle infraction. Elle doit

désormais être explicitement prononcée par le tribunal. La loi réaffirme le

caractère exceptionnel de l’emprisonnement qui ne doit être prononcé qu’en

dernier recours et spécialement motivé s’il n’est pas assorti d’un sursis ou

d’une mesure d’aménagement109. L’expression récurrente « la personnalité

de son auteur, sa situation familiale, matérielle et sociale » renvoi

directement à l’individualisation de la sanction. La loi l’impose comme ligne

d’orientation au juge dans son travail de détermination de la peine.

Elle supprime par ailleurs le mécanisme des peines plancher et crée une

nouvelle peine, la contrainte pénale, toujours dans le sens d’une meilleure

prise en compte de la situation propre à chaque auteur. Destinée à freiner

les condamnations à des peines d’emprisonnement dans une logique de

modération, cette nouvelle alternative en milieu ouvert soumet le condamné

à diverses obligations et interdictions en vue de le sortir de la délinquance.

Cela va de pair avec le nouvel article 130-1110 instituant la réinsertion et

l’amendement du condamné comme finalités de la peine à l’instar de sa

rétribution. Cette peine sera cependant supprimée en même temps que le

109Loi du 15 août 2014, préc., note 31, Article 3. « Le second alinéa de l'article 132-19 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés : « En matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux sous-sections 1 et 2 de la section 2 du présent chapitre. « Lorsque le tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement sans sursis ou ne faisant pas l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux mêmes sous-sections 1 et 2, il doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale. » ; 110Article 1er de la loi n° 2014-8961 JORF n°0189 du 17 août 2014 page 13647 texte n° 1 : « Au début du titre III du livre Ier du code pénal, il est ajouté un article 130-1 ainsi rédigé : « Art. 130-1.-Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : « 1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ; « 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »

33

SME pour être remplacée par le sursis probatoire par la loi de

programmation 2018-2019 et de réforme pour la justice promulguée le 23

mars 2019111.

L’individualisation a été l’un des principaux axes de réflexion du rapport

rendu en décembre 2015 sur la refonte du droit des peines112 et commandé

par la Garde des sceaux de l’époque, Christiane Taubira. Il fait à ce titre

l’objet du troisième chapitre dudit rapport intitulé « La consécration de

l’individualisation et de la juridictionnalisation au stade de l’application des

peines ». On perçoit ici la volonté du basculement vers une individualisation

post-procès aux mains, donc, essentiellement du juge d’application des

peines. Ce qui ne veut pas dire que la juridiction de jugement n’a plus le

pouvoir d’individualiser la peine, bien au contraire. Il s’agit simplement de

mettre en place de nouvelles mesures ou de renforcer les modalités

d’individualisation déjà prévues par la juridiction de jugement. En d’autres

termes, il s’agit d’asseoir le principe au stade de l’application des peines afin

d’assurer sa mise en œuvre effective. Une réévaluation de la situation

matérielle, sociale et familiale du condamné doit ainsi être menée chaque

fois que nécessaire et au moins une fois par an par les SPIP et le JAP dans

le cadre du nouveau « sursis probatoire avec suivi renforcé » de l’article 132-

41-1113. Les obligations et interdictions auxquelles est soumis le

111Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice JORF n°0071 du 24 mars 2019 texte n° 2. 112COMMISSION PRESIDÉE PAR BRUNO COTTE, Pour une refonte du droit des peines, Rapport à Madame la Grade des Sceaux, Ministre de la justice, PARIS, Ministère de la Justice, (18 décembre 2015). <http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_refonte_droit_peines.pdf> 113Loi du 15 août 2014, préc., note 31, Article 81 : « Art. 741-2.-Lorsque le tribunal a fait application de l'article 132-41-1 du code pénal et a prononcé un sursis probatoire avec un suivi renforcé, le service pénitentiaire d'insertion et de probation évalue, de façon pluridisciplinaire, la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée. » « La situation matérielle, familiale et sociale de la personne est réévaluée à chaque fois que nécessaire au cours de l'exécution de la peine, et au moins une fois par an, par le service pénitentiaire d'insertion et de probation et le juge de l'application des peines. » « Au vu de chaque nouvelle évaluation, le juge de l'application des peines peut, selon les modalités prévues à l'article 712-8 du présent code et après avoir entendu les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat modifier ou compléter les obligations et interdictions auxquelles la personne condamnée est astreinte ou supprimer certaines d'entre elles ; il peut également, s'il estime que la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ne le justifient plus, ordonner la fin du suivi renforcé. »

34

contrevenant sont ainsi réajustées à la lumière de chaque nouvelle

évaluation dans le but d’assurer un suivi effectif. Ces recommandations ont

été entérinées par la nouvelle loi de programmation 2018/2022 et de

réforme de la justice promulguée le 23 mars 2019114.

Au fil des réformes, l’individualisation de la peine s’est imposée comme le

principal levier de lutte contre la récidive. Principalement orientée vers une

réduction significative du recours à l’emprisonnement115, la lutte contre la

récidive nécessite la réalisation d'une véritable individualisation,

indispensable pour réduire la pression sur un système carcéral au bord de

l'explosion116. Il n’est pas surprenant que la constitutionnalisation du

principe en droit français ait conduit à un déclin des peines minimales

d’emprisonnement jusqu’à leur suppression en 2014. En revanche, au

Canada, la personnalisation de la sanction souffre de l’inflation du

mandatory sentencing exacerbée par le gouvernement Harper depuis 2006.

114Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JORF n°0071 du 24 mars 2019, texte n° 2. 115SYR, préc., note 58, p.217. 116Id.,

35

Chapitre 2 L’insertion des peines minimales dans l’arsenal

répressif : une évolution contrastée

La suppression des peines plancher de l’arsenal répressif français est loin

d’avoir été spontanée malgré l’insertion du principe d’individualisation au

sein du Code pénal de 1992. Elle a plutôt été le fruit de maintes réformes

législatives ponctuées d’abrogation, de réhabilitation puis encore

d’abrogation. Malgré leur neutralisation récente117, leur spectre plane

encore sur les débats parlementaires. En effet, d’aucuns considèrent que

l’individualisation de la peine n’empêche pas l’insertion de peines plancher

dans l’arsenal répressif (Section 1).

Quant au Canada… le constat est d’autant plus flagrant : arrosées par des

considérations politiques et populistes, les peines minimales obligatoires y

fleurissent dans de nombreux domaines du droit pénal et pas toujours pour

les infractions les plus graves, critère de cantonnement à l’origine. (Section

2)

117Loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, préc., note 31.

36

Section 1 Les peines minimales en France : le frein de l’individualisation ?

Les peines après la Révolution. Au lendemain de la Déclaration des droits

de l’homme et du citoyen proclamant l’égalité entre les citoyens, le droit

pénal révolutionnaire instituait un système de peines fixes ne laissant

aucun pouvoir d’appréciation au juge. Ce dernier ne devait être alors que la

bouche prononçant les paroles de la loi118. Empreint de l’égalitarisme de

l’école classique et notamment des écrits de Beccaria, la seule

individualisation possible était d’origine légale. Le juge devait se contenter

d’ouvrir le code, y trouver la peine applicable pour l’infraction en cause et la

prononcer sans autre modulation119. La question du quantum minimal et

maximal ne se posait donc pas.

Très vite, il a été évident qu’un tel système ne pouvait perdurer. En effet :

Entre les coauteurs d'une même infraction ou entre les personnes coupables d'une même infraction, il n'y a qu'un élément commun : le délit

objectif qu'ils ont commis, avec sa gravité intrinsèque. Hormis ce trait qui les rapproche, de profondes différences séparent nécessairement leurs personnalités respectives et leurs responsabilités : leur âge, leurs

antécédents, leur éducation, leur intelligence, leur structure mentale, les malheurs ou les tentations qui les ont accablés. Il n'est pas juste qu'ils

soient a priori justiciables d'un châtiment de la même intensité. Il faut donc laisser au juge le pouvoir d'adapter quantitativement la peine prescrite par la loi à la responsabilité morale de chaque délinquant. [...]. Il serait injuste

de procéder autrement120.

Le code napoléonien restitue donc au juge une partie de son pouvoir

discrétionnaire en remplaçant les tarifs fixes du droit révolutionnaire par

des fourchettes de peine. Le tribunal peut ainsi faire varier le quantum de

118Charles de Secondat de Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XI, chapitre VI, (1748) : « Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononcent la parole de la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur ». 119J.-F. Chassaing, « Les trois codes français et l'évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain », revue sciences criminelles, Lexisnexis, (1993). en ligne : JurisClasseur <http://www.lexis360.fr/document?docid=EN_KEJC-192638_0KSG> (consulté le 18 août 2019). 120Id., p.451.

37

la peine entre un plancher et un plafond préalablement fixés par le

législateur. Avec le jeu des circonstances aggravantes et atténuantes, le juge

reprend un rôle actif dans la détermination de la peine. Ce sont les prémices

de l’individualisation.

La loi « liberté et sécurité », un bond en arrière. Un recul du pouvoir des

juges est cependant observé lors de l’adoption de la loi dite « sécurité et

liberté » du 2 février 1981 sur fond de débat politique houleux et d’escalade

de violences dans les prisons. Décriée pour son aspect répressif, la loi

réintroduisait les peines plancher, restreignait le champ des circonstances

atténuantes et limitait la possibilité de prononcer un sursis, reléguant ainsi

au second plan le souci d’individualisation de la peine. Dans leur

déclaration pour la défense des libertés judiciaires, se joignant à d’autres,

les professeurs Jacques Léauté, Robert Badinter et Georges Levasseur

s’insurgeaient contre ces dispositions n’hésitant pas à faire un

rapprochement avec le régime de Vichy :

Dans notre justice, la liberté de décision de ceux qui jugent, magistrats ou jurys, doit être aussi large que possible, pour leur permettre en toute

conscience de s’adapter à la diversité des hommes et des faits dont ils ont à connaître. Le projet de loi, par la restriction qu’il apporte aux

circonstances atténuantes et aux possibilités de sursis, réduit cette liberté de décision et tend à uniformiser ou à automatiser la répression au risque de forcer les juges à prononcer des décisions injustes. Il rappelle ainsi

fâcheusement un système institué par le gouvernement de Vichy121.

Changement de majorité et retour à l’orthodoxie. La loi du 31 mai 1983

abrogera les dispositions relatives au sursis, aux circonstances atténuantes

et aux peines plancher. Le juge recouvre toute l’étendue de son pouvoir

d’appréciation dans la seule limite des maximums légaux, qui, en définitive,

étant bien plus élevés que ce que prononcent en général les juges, sont une

121pour_la_defense_des_libertes_judiciaires_-_1980.pdf, en ligne : <https://jean-jaures.org/sites/default/files/redac/commun/productions/2010/1014/pour_la_defense_des_libertes_judiciaires_-_1980.pdf> (consulté le 18 août 2019).

38

mince restriction. Dans la foulée de l’abrogation de la loi « sécurité et

liberté », une innovation législative majeure est réalisée en la figure de deux

nouvelles peines : le jour-amende et le travail d’intérêt général. Le souffle de

l’individualisation reprend dans une volonté de décongestionner le système

carcéral122.

En 1986, le retour d’une majorité politique de droite s’accompagne d’un

retour à la répression : élévation de la période de sûreté (période de non-

admissibilité à la libération conditionnelle), diminution des possibilités de

réduction de peine et création de nouvelles places de prison sont au

programme, entre autres mesures123.

L’individualisation dans le nouveau Code pénal. L’avènement du

nouveau code pénal en 1994 marquera une distanciation par rapport aux

conceptions légalistes du code napoléonien124. Les pouvoirs du juge dans la

détermination de la peine sont accrus et l’impératif de personnalisation est

consacré à l’article 132-24 : « dans les limites fixées par la loi, la juridiction

prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de

l’infraction et de la personnalité de son auteur. Lorsque la juridiction

prononce une peine d’amende, elle détermine son montant en tenant compte

également des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction ».

Subsistent alors les peines minimales de droit commun en matière

criminelle que l’on retrouve encore aujourd’hui à l’article 132-18 :

Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion

criminelle ou de détention criminelle à temps, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à deux ans. Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention

criminelle à temps, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion criminelle ou de détention criminelle pour une durée inférieure à celle qui

122Jacques-Guy PETIT, Claude FAUGERON et Michel PIERRE, Histoire des prisons en France 1789-2000, Coll. Hommes et Communauté, Paris, Privat, (2002), p.228. 123Id., p. 229. 124DREAN-RIVETTE, préc., note 103, p.13.

39

est encourue, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à un an.

La restauration controversée des peines plancher. L’arrivée au pouvoir

de Nicolas Sarkozy en mai 2007 marque un tournant. Il fait de la

réhabilitation des peines minimales une mesure phare de son programme

et il ne faudra pas attendre deux mois après son investiture pour voir la loi

« renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs »125

réintégrer les seuils légaux dans le système répressif. Rompant « la liberté

quasi-discrétionnaire » dont bénéficiait jusque-là le juge pénal126, la loi ne

concerne cependant que les délinquants récidivistes et est donc restreinte

dans son champ d’application.

Dans la continuité de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de

la récidive des infractions pénales127, limitant le nombre de SME et

permettant un allongement de la période de sûreté de 15 à 18 ans voire 22

ans (état de récidive), la loi nouvelle tend à resserrer l’étau sur les individus

récidivistes par son effet supposément dissuasif128. L'article 132-18-1

nouveau du code pénal dispose que lorsque l’infraction constituant le

second terme de la récidive est de nature criminelle, la peine

d'emprisonnement, de réclusion ou de détention ne peut être inférieure aux

seuils suivants :

1° Cinq ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;

2° Sept ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention 3° Dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention

125Loi n° 2007-1198 sur la récidive des mineurs et des majeurs du 10 août 2007, JORF n°185 du 11 août 2007 page 13466 texte n° 1. 126Jean PRADEL, « Enfin des lignes directrices pour sanctionner les délinquants récidivistes (commentaire de la loi du 10 août 2007 sur les pleines plancher », Recueil Dalloz, 2007, p.2247. 127Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénale, JORF n°289 du 13 décembre 2005, page 19152 texte n° 1. 128« Récidive des majeurs et des mineurs - Sénat », en ligne : <http://www2.senat.fr/dossier-legislatif/pjl06-333.html> (consulté le 20 août 2019).

40

4° Quinze ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité.

L'article 132-19-1 nouveau du code pénal (excluant toutefois certains délits

tels le harcèlement sexuel, les dégradations simples et les filouteries,

considérés comme peu graves) dispose quant à lui que lorsque le second

terme de la récidive est un délit, « la peine d'emprisonnement ne peut être

inférieure aux seuils suivants :

« 1° Un an, si le délit est puni de trois ans d'emprisonnement ; 2° Deux ans, si le délit est puni de cinq ans d'emprisonnement ; 3° Trois ans, si le délit est puni de sept ans d'emprisonnement ;

4° Quatre ans, si le délit est puni de dix ans d'emprisonnement »

Concernant la récidive des mineurs, le législateur étend le système des

peines plancher à ces derniers mais l’exclusion de l’atténuation de la peine

ne devient le principe qu’au stade de la seconde récidive pour les crimes et

délits commis avec violences ou les agressions sexuelles.

« Si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs peut décider qu'il n'y a pas lieu de le faire bénéficier de l'atténuation de la peine prévue au premier alinéa dans les

cas suivants : 1° Lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient ;

2° Lorsqu'un crime d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ;

3° Lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agression sexuelle, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.

Lorsqu'elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine doit être spécialement

motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° commises en état de récidive légale. »129

Les peines minimales ainsi restaurées, le législateur prévoit toutefois un

assouplissement dans la faculté du juge d’aller en-deçà des minimas prévus.

En matière correctionnelle, d’une part, il a toujours le loisir, s’il le souhaite,

129Loi du 14 août 1885, préc., note 99, Article 5.

41

d’assortir la peine d’emprisonnement d’un SME ou d’un sursis simple si les

circonstances de l’infraction ou la personnalité de l’auteur s’y prêtent. A ce

stade, l’individualisation de la peine est donc encore possible. En revanche,

en matière criminelle, s’agissant des multirécidivistes, c’est-à-dire les

délinquants ayant commis une nouvelle infraction alors qu’ils étaient déjà

en état de récidive légale pour une précédente infraction (soit trois

infractions au moins commises en état de récidive légale), le juge ne peut

s’affranchir des minimas que si « le prévenu présente des garanties

exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ». Le même régime est réservé

aux délits considérés comme graves tels que les délits de violences

volontaires ou accompagnés de la circonstance aggravante de violence ainsi

que les atteintes et les agressions sexuelles. Le juge, s’il souhaite s’affranchir

des minimas imposés par le législateur, doit spécialement motiver sa

décision (en matière correctionnelle seulement, les décisions de cour

d’assise ne faisant l’objet, à l’époque, d’aucune exigence de motivation sur

la peine)130.

L’individualisation de la peine est restreinte dans ces deux cas à deux

égards. D’abord, l’expression « garanties exceptionnelles d’insertion ou de

réinsertion » ne renvoie pas à ce principe bien qu’elles pourraient très bien

être comparées à des circonstances atténuantes. De ce fait, le juge n’a pas,

en principe, la faculté de considérer la personnalité de l’auteur de

l’infraction, encore que ces « garanties » soient difficilement

130Arrêt n° 378 du 8 février 2017 (16-80.389) - Cour de cassation - Chambre criminelle – « Vu l’article 591 du code de procédure pénale, ensemble l’article 365-1 dudit code ; Attendu que, selon le second de ces textes, en cas de condamnation par la cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé ; qu’en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 du code susvisé ; » Attendu que la feuille de motivation, intégralement reproduite dans l’arrêt, comporte les énonciations suivantes : “la gravité des faits, au cours desquels les accusés n’ont pas hésité à exercer des violences graves sur des victimes âgées, les antécédents judiciaires des accusés et leur positionnement consistant à nier les évidences à l’audience, ce qui est de pronostic très défavorable pour l’avenir, justifient le prononcé de peines fermes significatives, étant relevé que M. Jean X... se trouve en état de récidive légale” ; Mais attendu que ces énonciations, qui relèvent non pas de la déclaration de culpabilité mais de la motivation de la peine, contreviennent au principe ci-dessus énoncé ;

42

caractérisables131 et qu’on puisse toujours les considérer comme pouvant

être absorbées par le vaste processus qu’est l’individualisation de la peine.

Cependant, le législateur a bien eu l’intention de restreindre la portée du

principe sans quoi il n’aurait pas prévu un régime différent pour les crimes

et délits graves commis en « double-récidive ». Ensuite, ces garanties

d’insertion et de réinsertion doivent être « exceptionnelles », le juge ne

pourra donc se contenter de simples justifications de la part du prévenu,

encore que, une nouvelle fois, la frontière entre « garanties exceptionnelles »

et simples garanties est loin d’être évidente. Il semblerait que des garanties

très sérieuses puissent être considérées et non pas « des garanties qui ne

joueraient que dans des hypothèses exceptionnelles »132.

Si le condamné est jugé pour une première récidive, le principe

d’individualisation entre à nouveau en jeu : la juridiction doit tenir compte

« des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des

garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci »133.

La validation constitutionnelle des peines minimales. Amenés à se

prononcer sur la constitutionnalité de la loi, les juges de la rue Montpensier

ont considéré qu’au regard des aménagements prévus par la loi pour

permettre au juge de déroger aux minimums légaux, celle-ci se conformait

au principe d’individualisation de la peine. Ils ajoutent qu’en tout état de

cause, ce dernier « ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des

règles assurant une répression effective des infractions ; qu'il n'implique pas

davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la

personnalité de l'auteur de l'infraction »134. Le Conseil constitutionnel valide

ainsi le système de peines minimales instauré par le législateur rompant un

131Aurélie CAPPELLO, « Question prioritaire de constitutionnalité – Impact de la question prioritaire de constitutionnalité sur la matière pénale », répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, (Juin 2015). 132Loi du 26 mars 1891, préc., note 100. 133Code pénal - Article 132-18-1 alinéa 2 (abrogé) : « Toutefois, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. » 134 Décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007.

43

certain consensus prévalant depuis de nombreuses années sur la question

de l’individualisation de la peine.135

Les peines plancher en pratique. Cependant, les chiffres indiquent que

sur l’année 2010, sur l’ensemble des infractions commises en récidive (soit

13% de l’ensemble des condamnations prononcées), les juges ont usé de leur

faculté de déroger aux peines minimales en théorie applicables dans 62%

des cas136. Le prononcé de peines minimales représentait moins de 2% de

l’ensemble des condamnations en 2010137. En pratique, donc, le juge déroge

aux minimas imposés par la loi 6 fois sur 10138. S’ajoute à cela que lorsque

qu’effectivement il prononce une peine plancher c’est, dans la grande

majorité des cas, en matière criminelle (84% des peines plancher

prononcées)139 dans laquelle les minimas imposés n’étaient de toute façon

pas déterminants puisque les juges auraient fait certainement preuve

d’autant de sévérité antérieurement à la loi140.

Le projet de loi LOPPSI du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation

pour la performance de la sécurité intérieure141 étendra par la suite le

dispositif aux primo-délinquants majeurs et mineurs. Pour ces derniers, le

Conseil constitutionnel jugera le système contraire aux exigences

constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs142. Les peines

plancher pour les individus jugés une première fois pour des violences

aggravées par certaines circonstances sont toutefois déclarées conformes à

la Constitution.

135La semaine juridique- édition générale- N° 17 - 28 AVRIL 2014 Lexisnexis 136Peines planchers : application et impact de la loi du 10 août 2007, INFOSTAT JUSTICE, bulletin d’information statistique, n°118, Ministère de la Justice, (octobre 2012) Voir annexe B. <http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_infostat_118_20121017.pdf> 137Id., Voir annexe B. 138Id., page 1 139Id., Voir annexe B. 140 Id., 141Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, JORF n°0062 du 15 mars 2011 page 4582 texte n° 2. 142Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 Considérant 27.

44

Changement de majorité et retour à l’orthodoxie, acte II. La majorité

suivante abrogera cependant le système des peines plancher, le considérant

comme « une résurgence du passé »143 contraire à l’individualisation de la

peine par une loi relative (justement) à l’individualisation de la peine et

renforçant l’efficacité des sanctions pénales144. En effet, le rapport préalable

à la loi présenté à l’assemblée nationale le 28 mai 2014145, présente les

peines minimales comme portant une atteinte injustifiée à la

personnalisation des peines et reproche au législateur d’envoyer aux juges

deux messages contradictoires. D’une part, il enjoint à faire preuve de

parcimonie s’agissant de l’emprisonnement, celui-ci ne devant être prononcé

qu’en dernier ressort, d’autre part, il l’impose comme peine de principe

s’agissant des individus agissant en état de récidive légale.

Pour autant, et malgré l’inefficacité alléguée de la loi controversée, les portes

de sortie laissées à la juridiction de jugement marquaient tout de même une

certaine indulgence de la part du législateur français comparativement à

certains systèmes étrangers bien plus rigides qui, eux, ne prévoient aucune

dérogation en matière de peines obligatoires. C’est le cas du système de

justice pénale canadien notamment.146

143Mickaël BENILLOUCHE, « La peine minimale : une résurgence du passé contraire à la Constitution ? » La Semaine Juridique, Edition Générale n° 30-35, (23 Juillet 2018), 875. 144Loi 15 août 2014, préc., note 31. 145COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 1413) relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des

peines. En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1413.asp> 146Julian V. ROBERTS, « Peines d’emprisonnement obligatoires dans les pays de common law, Quelques modèles représentatifs » - Rapport - DIVISION DE LA RECHERCHE ET DE LA STATISTIQUE, Ministère de la justice, Canada, (9 novembre 2005).

45

Section 2 L’inflation du mandatory sentencing au Canada : entre

dissuasion, dénonciation et populisme

Resocialisation, intimidation, rétribution, neutralisation sont autant de

fonctions qui ont été attribuées à la peine au fil des courants doctrinaux147 :

Numerous theories of punishment have been advanced including those of deterrence, retribution, rehabilitation, restitution, incapacitation and

denunciation. Parliament has regarded various of these theories as being more influential at one time or another, and its failure to adopt a single

principled approach to sentencing for any sustained period has become a

matter of concern in recent years.148

Mais au chapitre des peines d’emprisonnement obligatoires, c’est la

dissuasion et la dénonciation qui prévalent…

Les peines et leurs fonctions. Sont distinguées, dans le système de justice

pénale canadien, les crimes poursuivis par actes d’accusation

correspondant aux agissements les plus graves, et les crimes de moindre

gravité poursuivis par procédure sommaire. En principe, le Code criminel

prévoit une peine pour chaque acte criminel mais si ce n’est pas le cas, la

peine maximale est alors de cinq ans d’emprisonnement149. Pour les

infractions poursuivies par procédure sommaire, les peines applicables sont

un emprisonnement maximal de six mois et/ou une amende de cinq mille

dollars150. Enfin, il existe une troisième catégorie d’infractions dites mixtes.

Dans ces cas-là, c’est au ministère public que revient le choix de la

poursuite : soit par procédure sommaire soit par acte criminel. En fonction

du choix ainsi opéré, la peine applicable suivra l’un ou l’autre des régimes

précédemment décrits. Aux termes de l’article 718.3(2), aucune peine

minimale n’est obligatoire si le législateur ne le prévoit pas expressément.

147PRADEL, préc., note 45, p.88. 148David ORMEROD, Criminal law, Oxford, 13e éd., Smith and Hogan's Criminal Law, Oxford University Press, (2011), p.38. 149Code criminel - Article 743. 150Code criminel - Article 787 (1).

46

Six fonctions sont attachées à la peine en droit canadien : la dénonciation,

la dissuasion, l’isolation du délinquant, sa réinsertion, la réparation du

dommage causé par l’infraction et la reconnaissance du tort causé à la

victime et à la collectivité (amendement du coupable). L’objectif traditionnel

du droit criminel étant la protection de la société, le respect de la loi et le

maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions

justes151.

Si aucune hiérarchie n’est établie parmi les six fonctions de la peine152 de

sorte que c’est au juge qu’il revient de décider laquelle il convient de

privilégier153, lorsque le législateur impose une peine minimale, le juge perd

cette faculté de choix. En effet, ce sont les objectifs de dénonciation et de

dissuasion qui font figure de justification lorsqu’il s’agit d’adopter une loi

comportant des peines obligatoires154.

La dissuasion et la dénonciation dans le discours juridique. Beccaria

assignait à la peine une fonction précise : celle d’empêcher le coupable de

réitérer son geste et de dissuader les autres d’en commettre de

semblables155. Dans sa perspective utilitariste, tout l’enjeu du droit pénal

est de prévenir la commission de nouvelles infractions. Le législateur

canadien souscrit à cette idée lorsqu’il intègre des peines obligatoires dans

l’arsenal répressif. Mais pas seulement. Ces dernières empruntent

également aux philosophies rétributivistes de la peine puisqu’elles assurent

la sanction du coupable sans que celui ne puisse y échapper : les juges

n’ayant pas la possibilité d’y déroger.

151 Code criminel - Article 718. 152André JODOUIN et Marie-Ève SYLVESTRE, «Changer les lois, les idées, les pratiques : réflexions sur l’échec de la réforme de la détermination de la peine», vol. 50, n°3-4, Cahier de Droit, 519, (2009), 528-529. 153R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, par.43. 154Anthony DOOB and Carla CESARONI, « Mandatory Minimum Sentences: Law and Policy The Political Attractiveness of Mandatory Minimum Sentences", vol. 39, n°2-3, York University, Osgoode Hall Law Journal, 287 - 304. (2001). 155Eloi Clément, « Le Droit selon BECCARIA », Revue Juridique de l’Ouest, IODE (UMR CNRS 6262), pp.41-62, (2014), p.47.

47

Il apparait que le législateur et le juge canadiens croient tous deux en l’effet

dissuasif des minimas obligatoires156. En effet, les tribunaux font prévaloir

pour un certain nombre d’infractions ces deux objectifs associés que sont la

dénonciation et la dissuasion. C’est le cas en matière de trafics de

stupéfiants157, de conduite sous l’emprise un état alcoolique causant des

lésions corporelles ou la mort158 ou encore d’utilisation d’armes à feu159… A

ce propos, le ministre de la justice du gouvernement Chrétien, Allan Rock,

affirmera, dans le cadre de l’adoption de la loi sur les armes à feu160 :

To strengthen the law and to provide real deterrents in sentencing we will

introduce new strong penalties for 10 specific serious crimes... . Those who choose to use a firearm in such a way must know that they will surely incur

severe consequences161.

L’explosion du nombre de peines d’emprisonnement obligatoires. Le

droit canadien a, depuis sa création, toujours comporté certaines peines

minimales. Cependant, celles-ci ne constituent pas la norme162 comme il a

été rappelé par la plus haute cour du pays dans l’arrêt R. c. Wust :

Les peines minimales obligatoires ne constituent pas la norme au Canada, et elles dérogent aux principes généraux applicables en matière de

détermination de la peine énoncés dans le Code, la jurisprudence et la littérature sur le sujet. En particulier, elles dérogent souvent au principe

156BENILLOUCHE, préc., note 141. 157R. c. Gagnon, 2016 QCCQ 2698 par. 56 : « En matière de trafic de drogues dures, les tribunaux supérieurs affirment que suivant les principes et objectifs de la détermination d'une peine, il doit être privilégié les critères de dénonciation et de dissuasion tant générale qu'individuelle.» 158R.c. Lacasse [2015] SCJ No 64 par. 5 : « En matière d'infractions comme celles en cause en l'espèce, à savoir la conduite avec les capacités affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort, des tribunaux de diverses régions du pays ont reconnu qu'il est nécessaire de privilégier les objectifs de dissuasion et de dénonciation afin de communiquer la réprobation de la société. » Voir également R. c. Proulx. [2000] 1 RCS 61 par. 130. 159R. c. Morrisey [2000] 2 SCR 90 par. 46 : « In other words, the punishment is acceptable under s. 12 while having a strong and salutary effect of general deterrence. It cannot be disputed that there is a need for general deterrence. This legislation dictates that those who pick up a gun must exercise care when handling it. It is consistent with the jurisprudence on the use of firearms. » 160Loi sur les armes à feu L.C. 1995, ch. 39. 161Cité par Anthony N. Doob & Carla Cesaroni dans « Mandatory Minimum Sentences : Law and Policy The Political Attractiveness of Mandatory Minimum Sentences », préc., note 152. 162Ministère de la Justice Gouvernement du Canada, « 1.0 Introduction : aperçu de l’application des peines minimales obligatoires au Canada – Les peines minimales obligatoires au Canada : analyse et bibliographie annotée » (8 mars 2017), en ligne : <https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/pmo-mmp/p1.html> (consulté le 22 août 2019).

48

énoncé à l’art. 718.1 du Code, que le législateur a déclaré être le principe fondamental en matière de détermination de la peine : le principe de la

proportionnalité.163

Pourtant, compte tenu de ce constat, le législateur n’a pas hésité à adopter

un nombre considérable de peines obligatoires faisant passer leur chiffre de

6 en 1892 à 29 en 2001 pour dépasser la centaine à l’heure actuelle. En

1995, la loi sur les armes à feu introduira 19 nouvelles PMO. En 2008 et

2012, la modification de la loi règlementant certaines drogues et autres

substances (LRDS) ainsi que l’adoption de la loi sur la sécurité des rues et

des communautés (LSRC) ont non seulement accru la sévérité de PMO

existantes mais encore prévu d’autres minimas obligatoires pour d’autres

infractions, confirmant ainsi « le virage répressif » du gouvernement

conservateur164. Dans sa lancée, le gouvernement conservateur adoptera

également en 2014 la loi visant à combattre la contrebande de tabac165

instaurant des PMO en cas de récidive.

Le choix du législateur de privilégier les objectifs pénologiques de dissuasion

et dénonciation pour adopter de plus en plus de peines minimales, censées

être exceptionnelles, est critiqué et critiquable. En effet, comme nous

l’aborderons par la suite, l’efficacité attribuée aux objectifs pénologiques de

dénonciation et de dissuasion est loin d’être évidente. D’une part, ni l’un ni

l’autre ne sont quantifiables de sorte qu’il est difficile de réaliser une étude

empirique précise sur la question même si le caractère dissuasif du système

pénal pris dans son ensemble est indéniable166. D’autre part, il est avéré

qu’une peine d’emprisonnement peut avoir des effets criminogènes à

163R. c. Wust [2000] 1 RCS 455 par.18. 164Julie DESROSIERS, «Replacer le principe de la modération au coeur de la justice pénale, ou cent fois sur le métier remettez votre ouvrage», dans Julie DESROSIERS, Margarida GARCIA et Marie-Ève SYLVESTRE, Réformer le droit criminel au Canada, défis et possibilités, Cowansville, Yvon Blais, (2017), 313-339. 165Loi visant à combattre la contrebande de tabac, L.C. 2014, ch. 23. 166Maurice CUSSON, « Dissuasion, justice et communication pénale », Etudes et analyses, n°9, Institut pour la justice, Paris, (mai 2010).

49

l’inverse de ce que souhaite vraiment le législateur, à savoir lutter contre la

récidive par les PMO.

L’influence des pressions sociales et populistes. L’attitude « tough on

crime » du parlement est fondée par les partisans des minimas obligatoires

sur le trop grand « laxisme » du système de justice pénale canadien à l’égard

des criminels. Laxisme qui s’accommoderait trop bien du large pouvoir

discrétionnaire laissé au juge dans la détermination de la peine. D’après

eux, cette discrétion n’a jamais été synonyme d’un choix absolument libre

du juge de choisir la peine qu’il estime appropriée dans un cas précis167.

Cela n’a jamais été contredit, puisque le pouvoir des juridictions a toujours

été encadré par les principes directeurs de légalité, de proportionnalité et les

autres principes de détermination de la peine consacrés par la

jurisprudence ainsi que les objectifs codifiés par le législateur. Quoi qu’il en

soit, certains élus et praticiens présentent les PMO comme un outil efficace

assurant plus de justice dans la détermination de la peine en permettant

aux citoyens de savoir, à l’avance et de manière stable, les conséquences

légales que peuvent avoir leurs actes, renforçant ainsi la sécurité

juridique168. Anthony Gray résume en ce sens que :

The use of mandatory sentencing around the world has increased in recent years. Governments have responded to community perceptions that some courts have been "too soft" on crime, or that sentencing outcomes are

unpredictable and uncertain, by introducing minimum mandatory

sentencing provisions169.

Si, assurément, prévoir pour chaque sanction une peine minimale

obligatoire garantit la prévisibilité de la loi, vouloir rendre le système

167Lincoln CAYLOR and Gannon G. BEAULNE, « Parliamentary restrictions on judicial discretion in sentencing: a defence of mandatory minimum sentences », Macdonald-Laurier Institute (mai 2014), p.2. En ligne : <https://www.macdonaldlaurier.ca/files/pdf/MLIMandatoryMinimumSentences-final.pdf>. 168 Id., p.3. 169Anthony GRAY, « Mandatory Sentencing around the World and the Need for Reform », vol.20, n°3, New Criminal Law Review, pp.391-432. (2017).

50

judiciaire plus juste en écartant toute possibilité d’évaluer le degré de

responsabilité du délinquant (principe de proportionnalité) semble, au

contraire, très contestable. Sacrifier les principes cardinaux du droit

criminel que sont la proportionnalité et l’individualisation sur l’autel de la

dissuasion, loin de moderniser le système de justice, marque une régression

dans la manière de traiter la délinquance. Un système de peines plancher

entièrement fondé sur ces objectifs pénologiques ne peut être qu’un système

bancal et peu efficient. Les précurseurs d’un droit de la peine cohérent en

perpétuelle quête de sens et d’efficacité (Saleilles, Marc Ancel, Béranger…)

avaient saisi l’importance du redressement du condamné et pour la société

et pour lui-même. Importance minimisée sinon ignorée par le législateur

lorsqu’il multiplie les lois portant création de nouvelles peines minimales

d’emprisonnement qui, loin de prévenir la récidive, la favorisent et

l’entretiennent et ce, au nom d’objectifs pénologiques, si ce n’est

inatteignables, du moins inquantifiables. Marc Ancel se refusait, d’ailleurs,

à assigner à la peine comme une de ses fonctions essentielles l'intimidation

individuelle ou collective dont la valeur pratique se révèle, selon lui, à peu

près illusoire170.

En réalité, l’inflation des PMO, malgré les effets avérés néfastes de

l’emprisonnement, sont symptomatiques de deux mouvements conjugués

caractérisant nos systèmes de justice contemporains : celui de l’inflation

législative et celui du populisme pénal. En effet, l’idée selon laquelle « la

prison est la meilleure peine qui soit pour dénoncer le crime et dissuader les

criminels a certes été amplifiée par le vent de populisme pénal qui balaie nos

démocraties occidentales »171. Le droit pénal, censé représenter l’ultima ratio,

devient « l’exutoire des tensions sociales destinées à rassurer l’opinion

170Marc ANCEL, « La défense sociale nouvelle » dans Revue internationale de droit comparé, Vol. 6 n°4, (Octobre-décembre 1954). pp. 842-847. p843. 171 DESROSIERS, préc., note 163, p.315.

51

publique » et « souligne le règne de l’émotion sur la sphère pénale »172. En

découle l’aspect purement politique de certaines incriminations au gré des

faits divers contribuant à décrédibiliser le droit et à lui faire perdre sa

valeur :

It is clear that politicians often support mandatory sentencing laws because

such sentences are said to send a denunciatory message and because harsh penalties are supported by large numbers of the general public, even

if they cost a great deal and accomplish little.173 L’actualité brûlante de l’affaire Bissonnette permet sans aucun doute de

corroborer cette idée, ce qu’exprime l’honorable plume du juge François

Huot faisant référence aux célèbres lettres Persanes de Montesquieu : « La

justice élève sa voix, mais elle a peine à se faire entendre dans le tumulte

des passions »174.

Malgré des réformes et une jurisprudence allant dans le sens d’une

meilleure prise en compte du principe d’individualisation, force est de

constater l’impossibilité de mettre en œuvre de manière effective ce principe

face à un dispositif de peines minimales inséré dans un système pénal

manquant lui-même de cohérence et des objectifs de détermination de la

peine nécessitant d’être ordonnés voire hiérarchisés.

172Bertrand DE LAMY cité par Julie DESROSIERS et Pierre RAINVILLE dans « Remarques Liminaires sur les Dérives et Evolutions du Droit Pénal », vol.50, n°3-4, Cahiers de Droit, pp.455-467 (2009), p.457. 173Elizabeth SHEEHY, « Mandatory minimum sentences : law and policy introduction », vol.39, n°2-1, York University, Osgoode Hall Law Journal, pp. 261-272, (2001). 174Montesquieu cité par l’honorable François HUOT dans R. c. Bissonnette [2019] J.Q. no 758 par. 7.

52

PARTIE 2 Peines obligatoires d’emprisonnement et

personnalisation de la sanction : un mariage indésirable ?

« L'individualisation envisagée sous sa forme contemporaine la plus radicale a pour objectif premier une réduction significative du recours à

l'emprisonnement, encore appelée décarcération. » 175

La privation de liberté est la clé de voûte du système pénal classique176.

Pourtant, les peines minimales d’emprisonnement, incapables d’atteindre

les objectifs qui leur sont assignés, constituent une atteinte injustifiée au

principe d’individualisation (section 1) dont la protection constitutionnelle

demeure insatisfaisante (section2).

175SYR, préc., note 58. 176Id.,

53

Chapitre 1 : Les peines minimales obligatoires : atteinte

injustifiée au principe d’individualisation

« Au lieu de citoyens réformés, les prisons ont fourni à la société le produit

humain d'une forme d'organisation anti-sociale qui soutient le

comportement criminel. »177

Si les peines minimales d’emprisonnement représentent pour ceux qui en

défendent l’application, un outil de lutte contre la récidive par leur effet

dissuasif (section 1), elles empêchent, pour ceux qui y sont farouchement

opposés, le prononcé d’une peine juste et crée des déséquilibres injustifiés

dans la détermination de la peine (section 2).

177Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle, « rapport du comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle— justice pénale et correction : un lien à forger », Ottawa, imprimeur de la reine, (1969-03-31) pp.336-337.

54

Section 1 : Dissuasion et lutte contre la récidive : des objectifs

hors de portée

L’ensemble des justifications et des critiques que l’on peut apporter à

l’utilisation du mandatory sentencing sont celles que l’on adresse

traditionnellement à la peine de prison qu’elle soit obligatoire ou décidée par

le juge. En effet, c’est l’institution même de la prison qui est ici en cause, sa

légitimité étant contestée tant du point de vue de ses effets à l’égard de

l’individu condamné que de ceux qu’elle produit à l’égard de la société toute

entière. Ces critiques de la prison telles qu’elles ont pu être formulées par

Michel Foucault dans Surveiller et punir sont plus que jamais pertinentes

dans un contexte où les gouvernements sont tentés de plus en plus d’agir

contre le crime par l’adoption de peines minimales obligatoires.

Les évolutions historiques de l’emprisonnement. L’histoire des prisons

accompagne celle des hommes178. Mais si l’enfermement existe depuis la

nuit des temps179 sous différentes formes et pour diverses raisons, la prison

en tant qu’institution permettant de lutter contre le crime n’est, elle, qu’une

idée très récente.

« Parmi les peines, et dans la manière de les appliquer en proportion des délits, il faut choisir les moyens qui feront sur l’esprit du peuple

l’impression la plus efficace et la plus durable, et, en même temps, la moins

cruelle sur le corps du coupable »180.

La primauté de la souffrance corporelle dans les sociétés anciennes laisse

peu à peu place à l’enfermement comme reine des peines. La rationalité

punitive du siècle des Lumières légitimant une souffrance physique dès lors

que celle-ci était nécessaire a laissé longtemps subsister des châtiments

corporels parfois violents : ainsi coupait-on le poing du parricide sous

178Christine DAURE-SERFATY, Observatoire international des prisons, rapport, vol.1, Lyon, (1993), p.9. En ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33252945.texteImage> 179Jacques LEAUTE, Les prisons, coll. Que sais-je ?, Paris, 2e éd., Presses universitaires de France, p.13. 180BECCARIA, préc., note 36, p.51.

55

l’empire du Code pénal de 1810 ou encore marquait-on les récidivistes au

fer rouge181. Beccaria défendra l’abolition des châtiments corporels, qui, à

son sens, loin de les amender, endurcissait les criminels182. Il estime que

« le but des peines ne saurait être de tourmenter et affliger un être sensible

ni de faire qu'un crime déjà commis ne l'ait pas été »183. Cette dernière partie

s'oppose à la punition rétributive qui viserait à compenser le mal commis

par l'infraction. Selon lui, la peine intervenant après la commission de

l'infraction, elle ne pourra jamais réparer le mal causé. Il n'y a pas de

compensation parfaite entre la peine et le préjudice.

Sous la Révolution et le premier Empire, l’enfermement n’était qu’une

neutralisation temporaire : les prisons n’étaient pas conçues comme des

établissements spécifiques réservés aux condamnés purgeant leur peine184.

Au XIXe siècle, on use de mécanismes tels que la déportation, la relégation

et la transportation consistant à éloigner l'individu géographiquement de la

métropole : on se souvient ainsi de la Guyane avec l'île du Diable (Dreyfus

en fut le pensionnaire le plus célèbre), de l’Algérie française ou encore de la

Nouvelle-Calédonie comme principales destinations d’exil185. Les conditions

de voyage étaient telles que la mortalité était très élevée de telle sorte que le

mécanisme était en réalité définitif. L'Angleterre a, elle, utilisé l'Australie.

Ces mesures disparaissent pour la plupart au XXe siècle avec les

phénomènes de décolonisation. Il y a eu d'autres mécanismes de mise à

l'écart et notamment l'ordonnance de 1670 qui prévoyait un mécanisme de

bannissement mais surtout des peines de galère. On plaçait les individus

sur les navires militaires du Royaume. Les techniques de combat de l'époque

faisant appel à des navires à rames, on avait une main d'œuvre gratuite au

sein de la marine. Quand le recours aux navires à rames a cessé, on a aussi

181LEAUTE, préc., note 178, p.4. 182BECCARIA, préc., note 36. 183Id., p.51 184Id., p.14. 185FAUGERON, PETIT et PIERRE, préc., note 120, p.125.

56

cessé d'utiliser la peine des galères. On a donc commencé à transférer les

individus dans des villes d'arsenal avec des chantiers navals, notamment

dans les villes portuaires : ce seront les premiers bagnes. L'emprisonnement

est utilisé très récemment à titre de peine, on l'utilisait auparavant à titre

conservatoire pour empêcher l'individu de fuir avant son procès. Ainsi, le

condamné à mort devait être enfermé avant son exécution et on devait veiller

à ce qu’il ne se suicide pas dans sa cellule, échappant ainsi aux supplices

qui lui étaient réservés186. Au XVIIIème siècle, le droit pénal évolue

considérablement et, en même temps que l’adoucissement des peines, la

réflexion sur la prison devient centrale. Les châtiments corporels

disparaissent peu à peu. La peine de mort est abolie pour la plupart des

pays européens au XIXe siècle. La France est retardataire de ce point de vue

: elle ne fut abolie qu’en 1981. On a essayé de conserver la peine de mort en

éliminant la souffrance qui lui est associée, c'est ainsi qu'on a retenu la

guillotine comme moyen d’exécution. Au Canada, la peine de mort sera

supprimée en 1976. La prison à perpétuité devient alors la peine encourue

la plus sévère de l’arsenal répressif. C’est avec ces mutations du système

pénal que le rôle de la prison va se transformer pour devenir une peine de

référence dans nos sociétés contemporaines. Les fonctions qui lui sont

attribuées ont évolué en même temps que l’institution.

Les fonctions attribuées à la peine d’emprisonnement. Le maintien de

l’ordre public par la neutralisation du criminel est la première justification

à la peine d’emprisonnement, le but étant « la cessation du trouble et sa

sanction immédiate »187. La peine n’a qu’une vocation pratique visant à

écarter le délinquant du reste de la société pendant un temps. Ensuite, la

prison, dans une perspective utilitariste, doit avoir un effet dissuasif au

même titre que la peine de mort en ce qu’elle remplace cette dernière au

186Id., p.13. 187Faugeron CLAUDE et Jean-Michel LE BOULAIRE, « Prisons, peines de prison et ordre public », vol. 33, n°3, Revue française de sociologie, pp. 3-32, (1992).

57

sommet de l’échelle des sanctions que ce soit en France ou au Canada188.

Prison : entre neutralisation, dissuasion et harmonisation. La prison

devient, aux XIX et XXème siècles, le cœur de la pénalité189. Pour Rossi, elle

incarne la « peine par excellence des sociétés civilisées »190. Elle permet non

seulement de neutraliser le délinquant mais elle joue également un rôle

d’intimidation du condamné et des autres membres du corps social. Ainsi,

« la prison est avant tout un dispositif de sûreté et la peine est la légitimation

sociale nécessaire, dans les sociétés démocratiques, à l’existence d’un tel

dispositif ».191 Les peines minimales d’emprisonnement, par leur certitude

et leur sévérité (le juge n’étant pas censé pouvoir y déroger quels que soient

les faits d’espèce ou la personnalité du délinquant) auraient un potentiel

dissuasif important et garantirait la protection de la société par la

neutralisation assurée du délinquant.

Certes, la peine de prison neutralise mais cette neutralisation n’est que

temporaire si on exclut les peines de prison perpétuelles. Celles-ci, rares au

Canada, n’existent qu’en théorie en France puisqu’un aménagement de

peine est toujours possible, en vertu des dispositions du Code de procédure

pénale192 prévoyant un réexamen du juge d’application des peines lorsque

le condamné présente « des gages sérieux de réadaptation sociale ». On

notera au passage que ces dispositions sont une émanation du principe

d’individualisation trouvant donc à s’appliquer même dans le cas de crimes

les plus graves punis par la peine la plus sévère. Quoi qu’il arrive, donc, et

dans la grande majorité des cas, l’effet neutralisant de l’emprisonnement est

circonscrit dans le temps193. L’isolement à l’écart de la société ne bénéficie

188DESROSIERS et PARENT, préc., note 1, par. 341. 189Edouart TILLET, « Histoire des doctrines pénales : Doctrines pénales depuis les codes Napoléon », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, (juin 2002). 190Id., cité par Edouart TILLET. 191FAUGERON et LE BOULAIRE, préc., note 186, p.7. 192Code de procédure pénale - Article 720-4. 193Laurence L. MOTIUK, « Contribuer à la réinsertion sociale sans risque : mesure des résultats » dans L-MOTIUK et SERIN, Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, vol.1, services correctionnels Canada, (2001).

58

à cette dernière que durant l’incarcération194. Sur le long terme,

l’emprisonnement a des effets loin d’être bénéfiques pour le corps social car

les chances de récidive sont fortes195. La commission canadienne sur la

détermination de la peine exprimait bien la difficulté qu’il y avait à

considérer l’emprisonnement comme la meilleure des peines :

Le fait que l’emprisonnement soit perçu comme la sanction préférée pour la plupart des infractions pose cependant un certain nombre de difficultés. La plus importante est sans doute qu'en dépit du fait que nous infligeons

régulièrement cette sanction particulièrement lourde et coûteuse, elle n'a produit que très peu d'effet, si ce n'est de mettre des contrevenants à l'écart de la société pendant un certain temps196.

Quant à la dissuasion, elle s’observe sous les deux aspects qu’on lui attribue

traditionnellement. D’abord concernant la dissuasion générale censée être

dirigée vers la société dans son ensemble, rien n’indique qu’une sévérité

accrue des peines renforce son pouvoir dissuasif. Ce postulat a en effet été

réfuté par de nombreux travaux doctrinaux. Les recommandations du

rapport du Comité Ouimet en 1969 et de la commission canadienne sur la

détermination de la peine en 1987 relayées par la Cour suprême dans l’arrêt

Nur, relativise largement l’effet dissuasif des peines minimales

d’emprisonnement :

L'un des arguments les plus fréquemment avancés pour justifier les peines minimales est leur valeur dissuasive. A première vue, cela parait

convaincant. Cependant, cet argument repose sur deux prémisses qui sont fausses. La première est qu'il suppose que l'existence de peines minimales est connue de ceux qui sont susceptibles de commettre une infraction, ce

que démentent les sondages d'opinion et la seconde, que ces personnes sont à peu près certaines de se faire prendre, ce qui ne semble pas non

plus être le cas.197 En effet plus que le coût réel que le crime pourrait avoir (la peine minimale),

c’est le risque de sa réalisation qu’évalue le délinquant avant le passage à

194Id., 195CUSSON, préc., note 46, p.141. 196COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29, p.11. 197Id., p.71.

59

l’acte. Par conséquent, la peine ne dissuade pas de passer à l’acte mais

convainc au contraire à tout mettre en œuvre pour éviter d’être confondu.

Cette rationalité du risque remet complètement en cause non seulement la

dissuasion individuelle mais aussi la dissuasion collective :

La peine qui est pensée comme une probabilité plutôt que comme un coût

stimule non pas tant le renoncement que l’élaboration de stratégies mises en œuvre pour éviter la peine. Il n’y a alors ni dissuasion générale ni

dissuasion spécifique.198

A défaut de dissuader, les minimas obligatoires ne peuvent plus faire figure

d’instrument de lutte contre la récidive. L'emprisonnement étant un facteur

essentiel de maintien dans la délinquance car il se traduit par une exclusion

de l'individu des deux aspects de sa vie qui sont les plus socialisant : le

travail et la famille. Les individus seront exclus des groupes socialement

valorisés et ils se tournent alors vers leurs semblables. La prison est depuis

longtemps considérée comme inapte à endiguer la récidive. Elle crée des

criminels plus qu’elle n’en amende et les peines obligatoires contribue à

aggraver ce cercle vicieux en plus d’exercer une pression à la hausse sur les

taux d’incarcération. Une telle sévérité dans la détermination de la peine est

contre-productive :

Lorsque le juge condamne le délinquant à l’emprisonnement en vue de

protéger la collectivité, que veut-il dire exactement ? Veut-il dire que l’emprisonnement du prévenu traduit le risque de récidive, ou qu'il neutralise le prévenu, ou encore qu'il a un effet de dissuasion sur les

délinquants éventuels ? De ces trois possibilités, seule la deuxième mérite d'être retenue. La première des trois interprétations précitées est

définitivement non fondée ; on dit même que l’emprisonnement contribue davantage 8 accroitre la récidive qu'à la réduire » 199 formulait la Commission de réforme du droit en 1974. Et le rapport Archambault rendu

en 1986 d’ajouter que « si on estime que l’incarcération est au mieux un

198Richard DUBE et Sébastien LABONTE, « La dénonciation, la rétribution et la dissuasion : repenser trois obstacles à l’évolution du droit criminel moderne », vol.57, n°4, Les Cahiers de droit, pp.695-713, https://doi.org/10.7202/1038262ar 199COMMISSION DE REFORME DU DROIT DU CANADA, Les principes directeurs de la détermination de la peine et du prononcé de la sentence, document de travail, Ottawa, (1974), p.5.

60

échec partiel, la logique impose d’en recommander l’usage le plus pondéré

possible.200

La Cour suprême affirmait dans le même sens dans sa décision R. c. Wust

que :

Même s’il est possible de soutenir que des peines sévères et inappropriées peuvent avoir un effet dissuasif considérable et que, en conséquence, de

telles peines servent toujours un objectif valable, il me semble que l’infliction de peines injustement sévères risque davantage d’inspirer le

mépris et le ressentiment que d’inciter au respect de la loi. Selon un principe bien établi du système de justice criminelle (on comprend ici la référence au principe d’individualisation), le juge doit s’efforcer d’infliger

une peine appropriée eu égard à l’affaire dont il est saisi201.

Ceci étant dit, s’il est allégué que les PMO sont circonscrites aux infractions

les plus graves certaines infractions n’en sont pas assorties malgré un degré

objectivement élevé de gravité comme les voies de fait graves définies par

l’article 268(3)202 du Code criminel et incluant, notamment, l’excision.

Les PMO contribueraient fortement à harmoniser les peines, autre principe

de détermination de la peine codifié à l’article 718.2b) du Code criminel. En

vertu de ce principe, des peines semblables devraient être prononcées pour

deux individus ayant commis des crimes semblables et dont les situations

personnelles sont identiques. Ici, encore, cette justification ne semble pas

convaincre. D’abord, parce qu’on harmonise les peines, certes, mais au

détriment du principe de proportionnalité. Des cas peuvent donc se

rencontrer où, prenant l’exemple de la loi réglementant certaines drogues et

autres substances , un trafiquant de drogues endurci se verrait infligé la

peine de sept ans d’emprisonnement pour importation de substances

illicites, au même titre qu’un jeune étudiant confondu pour avoir été pris en

possession d’une infime quantité de cannabis destinée à sa consommation

personnelle203. On constate ici l’extrême disproportion de la peine compte

200COMMISSION SUR LA DETERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29. 201R. c. Wust [2000] 1 RCS 455 par. 21. 202Code criminel - Article 268(3) : « Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger. » La peine maximale encourue est de 14 ans. 203R. c. Smith [2015] 1 R.C.S. 1045.

61

tenu et des circonstances de l’acte incriminé et du degré de blameworthiness

de son auteur.

On perçoit ainsi les limites de l’harmonisation des peines comme fondement

des minimas obligatoires imposés par le législateur. Il n’est pas cohérent de

faire primer ce principe sur celui, cardinal, de la proportionnalité. Comme

nous avons pu l’affirmer précédemment, aucun crime n’est identique de

sorte que la similarité entre deux situations demeure une question de

degré204. L’harmonisation devrait toujours être subordonnée à la

proportionnalité de la peine, celle-ci devant être individualisée par le juge

pour pouvoir épouser toutes les facettes du crime tant dans sa gravité

objective que subjective. C’est précisément en raison de la plausibilité du

cas d’espèce présenté plus haut que la discrétion judiciaire ne doit pas être

bridée par les peines obligatoires. Il n’apparait pas judicieux de donner plus

de poids au principe d’harmonisation qu’à celui de proportionnalité, ceux-ci

devant être opportunément articulés de manière à rechercher une peine

appropriée et donc individualisée205. En tout état de cause, et même si les

sentences sont en définitive très disparates, dès lors que le juge ayant décidé

d’imposer une peine en particulier est en mesure de justifier son choix, le

principe d’harmonisation est satisfait sans qu’il soit nécessaire d’adopter

des PMO. Loin de remplir les objectifs qui lui sont assignés par le législateur,

la peine obligatoire d’emprisonnement génère des déséquilibres injustifiés

dans la détermination de la peine, tous liés à l’impossibilité d’individualiser

la peine.

204R.c. Ipeelee [2012] 1 R.C.S 433, par. 79. 205Morasse c. R., 2015 QCCA 74, par. 141.

62

Section 2 : Les déséquilibres créés dans le système de justice

pénale

Si les effets bénéfiques des peines minimales d’emprisonnement sur la

criminalité restent à démontrer, leurs effets pervers sont, eux, avérés et

multiples. Empêchant le juge d’individualiser la peine, elles produisent des

déséquilibres en cascade dans la détermination de la peine et même en

amont : plaçant le choix de la peine entre les mains du ministère public. Ce

dernier n’étant en aucun cas soumis à l’impératif d’individualisation de la

sanction pénale. En outre, si les PMO procèdent d’un choix du législateur,

ce dernier montre peu de cohérence lorsqu’il s’agit de modérer le recours à

l’emprisonnement d’une part, mais de multiplier le recours aux peines

plancher d’autre part. On peut, ici, reprendre la même critique qui a été faite

au législateur français dans le message contradictoire qu’il envoyait aux

juges en insérant un système de PMO. Affirmer d’une part que le recours à

l’incarcération ne doit intervenir que si aucune autre mesure n’est

appropriée, et d’autre part multiplier les peines d’emprisonnement

obligatoires semble en effet relever du paradoxe.

La détermination de la peine entre les mains des avocats de la

Couronne. Le rapport de force entre la poursuite et la défense est

inéquitable lorsque, face à un même fait, le ministère public a, dans le cadre

de l’opportunité des poursuites, le choix de retenir une qualification assortie

d’une peine minimale d’emprisonnement plutôt qu’une autre qui en est

dépourvue. Le présumé coupable préfèrera ainsi plaider coupable pour une

infraction assortie d’une peine moindre plutôt que de risquer des poursuites

impliquant une lourde peine minimale, ce même s’il est en définitive

innocent. C’est ce qu’a eu l’occasion de relever la Cour suprême dans l’arrêt

Nur en 2015 :

63

Le poursuivant dispose dès lors d’un atout dans la négociation d’un plaidoyer, ce qui entraîne un déséquilibre inéquitable entre le pouvoir du

poursuivant et celui de l’accusé et incite presque irrésistiblement ce dernier à reconnaître sa culpabilité à une infraction pour laquelle il encourt une peine moins lourde afin d’échapper à une longue peine minimale

obligatoire.206

Par ailleurs, dans R. c. Smickle207, la Cour supérieure de l’Ontario relevait

à bon droit qu’au stade du choix de la poursuite, tous les faits ne sont pas

caractérisés, le procès censé déboucher sur la manifestation de la vérité ne

s’étant pas encore déroulé. Le ministère public a un choix déterminant à

faire, lourd de conséquences pour l’avenir judiciaires du mis en cause sans

que ce choix ne soit en pratique éclairé.

En outre, si l’on considère une infraction mixte poursuivie soit par

procédure sommaire soit par acte d’accusation prévoyant dans les deux cas

deux peines obligatoires distinctes, selon le choix de poursuite, le ministère

public a inexorablement une main sur la sévérité de la sanction qui sera

infligée. Sauf, qu’à la différence du juge, les autorités de poursuite sont

indifférentes à l’individualisation de la peine ou, du moins, n’y sont-elles pas

soumises.

Un exemple simple du Code criminel permet d’illustrer le propos. Les

attouchements sexuels sur un adolescent peuvent recevoir alternativement

la qualification d’acte criminel ou d’infraction punissable sur déclaration de

culpabilité par procédure sommaire208. Dans le premier cas, la peine

minimale applicable est d’un an d’emprisonnement, dans le second cas la

peine est réduite à 90 jours. Selon le mode de poursuites, le procureur de la

Couronne a donc la possibilité de réduire de moitié la peine minimale

encourue et ce, avant d’avoir tous les éléments pertinents participant à la

206R. c. Nur, [2015] 1 RSC 773, par.96. 207R. c. Smickle, 2012 ONSC 602. 208Code criminel - Article 153(1.1)(a).

64

manifestation de la vérité et au prononcé d’une peine proportionnée et

individualisée.

Dans le même sens, la possession d’armes à feu suite à la commission d’une

infraction peut faire l’objet d’une peine minimale d’un an et d’une peine

maximale de 10 ans si le contrevenant est poursuivi par acte d’accusation

mais le minima devient maxima lorsqu’il est poursuivi par procédure

sommaire209. C’est précisément dans ce type de situation que le système des

PMO révèle toute son incohérence et c’est dans le choix purement

discrétionnaire du Procureur de la couronne que peuvent naître les plus

criantes inégalités. Certainement pas dans la faculté du juge d’individualiser

la peine. Ce dernier, à l’inverse du ministère public, a l’obligation de motiver

scrupuleusement sa décision au regard des principes et objectifs de

détermination de la peine. Le fait que deux juges indépendants et impartiaux

puissent, face à deux cas similaires, conclure à deux peines distinctes, ne

devrait pas être vu comme un inconvénient dans un système individualisé

de détermination de la peine :

The theory individualized sentences is simple : judges look at the ‘whole offense’ and the ‘the whole offender’. They consider half a dozen or more possible purposes of sentencing and come to the unique or personnal blend

‘appropriate’ to the case in question. They take scores of factors into account in trying to accomplish this blend of purposes to finally arrive at the ‘right’ sentence. The fact that two judges looking at the same case may

come up with different sentences is not, in a system individualized sentencing a problem […] The two sentences were ‘right’ each have been

individualized in a sensible and thoughtful manner.210

209Code criminel, possession d’une arme obtenue lors de la perpétration d’une infraction : 96 (1) Commet une infraction quiconque a en sa possession une arme à feu, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé ou des munitions prohibées qu’il sait avoir été obtenus par suite soit de la perpétration d’une infraction au Canada, soit d’une action ou omission qui, au Canada, aurait constitué une infraction. (2) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de un an; b) soit d’une infraction punissable, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’un emprisonnement maximal de un an. 210Julian V. ROBERTS et David P. COLE, Making sense of sentencing, Toronto, (1999), p.351.

65

En revanche le fait que le pouvoir discrétionnaire soit retiré des mains du

juge pour être placé entre les mains des autorités de poursuite est très

critiquable dans un système se voulant équitable et démocratique.

Cependant, cette analyse mettant l’individualisation au cœur du processus

de détermination de la peine se heurte à l’argument, non sans pertinence,

de l’égalité des justiciables devant la loi pénale. Les partisans des peines

minimales obligatoires ont en effet mis en avant les peines minimales

comme un outil au service de la lutte contre la disparité des peines. Ainsi,

indépendamment du degré de responsabilité d’un délinquant en particulier,

la peine minimale s’applique à tous ceux coupables des mêmes faits,

injectant dans le même temps davantage de certitude et de prévisibilité dans

le système de justice pénale. C’est ce que formuleront Lincoln Caylor et

Gannon G. Beaulne dans leur plaidoyer pour les peines minimales :

However, scrutinized in light of the rule of law, it is clear that, at least in the

abstract, mandatory minimum sentences should be capable of functioning as effective tools to ensure the even, equal, and proportionate application of sentences to offenders guilty of the same offence. Rather than eliminating a

judge's ability to assess a proportionate sentence, mandatory minimums set a stable sentencing range for an offence, permitting citizens to understand in advance the severity of the consequences that attend the commission of

that offence, regardless of the individual offender's particular degree of

responsibility211.

Ainsi deux individus qui commettraient un vol dans des circonstances très

similaires seraient punis de la même manière peu importe le juge auquel ils

seraient confrontés. L’égalité serait certes assurée du point de vue de l’acte

matériel et, à première vue, les deux voleurs seraient jugés de la même

manière indépendamment de leurs origines sociales, ethniques... Mais qu’en

est-il alors du degré de responsabilité morale du contrevenant ? C’est

précisément cet aspect de l’infraction que cette logique sacrifie : « regardless

of the individual offender’s particular degree of responsibility »212. En réalité,

211Lincoln CAYLOR et Gannon G. BEAULNE, Parliamentary Restrictions on Judicial Discretion in Sentencing: A Defence of Mandatory Minimum Sentences, Mac Donald Laurier Institute, (2014), p.16. 212 Id.,

66

là où les minimas obligatoires suppriment des inégalités, ils en créent de

plus profondes ailleurs. Comme l’affirmera la Commission sur la

détermination de la peine : « The strongest argument against mandatory

minimum penalties is, of course, that they do not reflect the reality of the

wide range of circumstances in which offences are committed and in which

offenders find themselves »213. Elle conclue ainsi à bon droit que les peines

minimales créent autant de difficultés qu’elles tentent d’en résoudre214. Les

déséquilibres créés par un système de mandatory sentencing sont plus

nombreux que ceux qu’il tend à corriger, à commencer par ceux liés au

principe de modération et ceux liés aux effets discriminatoires à l’égard des

populations autochtones.

L’effectivité du principe de modération annihilée par le nombre

croissant de peines minimales. Le taux d’incarcération au Canada, s’il est

relativement stable depuis ces trente dernières années, reste néanmoins

supérieur à celui de la France et bon nombre d’autres pays européens215. La

surpopulation carcérale est un fléau en France216 comme au Canada217. La

réduction du recours à l’emprisonnement est au centre des débats et des

propositions de réforme dans l’un et l’autre des deux pays mais la réception

du principe par le législateur et les juges semble mitigée. En France, toutes

les dispositions du Code pénal concourent à ce que l’emprisonnement soit

utilisé avec la plus grande parcimonie. L’article 132-19 dispose qu’une peine

ferme ne peut être prononcée « qu'en dernier recours si la gravité de

l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine

indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ».

213COMMISSION SUR LA DETERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29, p. 65. 214Id., p. 66. 215Voir annexe D. 216PRADEL, préc., note 45, p.147-148. 217R. c. Gladue [1999] 1 RCS 688 par. 52.

67

Le législateur canadien, prenant acte des recommandations formulées dans

le rapport Ouimet218 et soutenues par la Commission sur la détermination

de la peine219 et la commission de réforme du droit220, a inséré l’article

718.2d) imposant une nouvelle obligation au juge « d’examiner la possibilité

de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient »

avant d’envisager la privation de liberté. Cela étant dit, alors que la

Commission Archambault plaidait pour une abolition des peines minimales

obligatoires (excepté pour le meurtre et la haute trahison) au profit d’une

mise en œuvre effective du principe de modération, le législateur n’a, lui,

cessé d’en adopter de nouvelles depuis le début du siècle opérant ainsi une

« contre-réforme »221. Les peines minimales opèrent une pression à la hausse

sur le taux d’incarcération et sur la fourchette des peines applicable222 de

sorte qu’elles désamorcent les dispositions en faveur d’une meilleure prise

en compte de la situation du délinquant par le prononcé d’une mesure de

rechange.

Les peines minimales sont à l’origine d’une distorsion dans la détermination

de la peine223. Si à l’origine les juges considéraient, pour une infraction

donnée, que la fourchette de peine devait se situer entre six et trois ans

d’incarcération, une PMO de deux ans, par exemple, rehausse

considérablement le plancher alors appliqué. Ce n’est plus le degré de

gravité objective du crime qui justifie la peine minimale mais bien la seconde

218COMITÉ CANADIEN DE LA RÉFORME PÉNALE ET CORRECTIONNELLE, préc., note 176. 219COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29. 220COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT, préc., note 198. 221Hélène DUMONT, « Contrer la contre-réforme en matière punitive : Comment s’y prendre et comment repenser la réforme de la pénologie canadienne » dans Patrick HEALY et Patrick A. MOLINARI (dir.), Détermination et exécution des peines : La pénologie mise en pratique », Montréal, Institut canadien d’administration de la justice, (2012) citée par Julie Desrosiers dans « Replacer le principe de la modération au coeur de la justice pénale, ou cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », dans Julie Desrosiers, Margarida Garcia et Marie-Ève Sylvestre, Réformer le droit criminel au Canada, défis et possibilités, Cowansville, Yvon Blais, 2017, 313-339. 222R. c. Morrisey [2000] 2 SCR 90 p76, 77 223Julian V. ROBERT, "Mandatory Minimum Sentences of Imprisonment: Exploring the Consequences for the Sentencing Process", vol.39, n°2-3, Article 4, Osgoode Hall Law Journal, (2001).

68

qui accroit la première. Les premières victimes de ces effets indésirables sont

les délinquants autochtones.

Les effets discriminatoires des PMO envers les Premières Nations. Les

peines minimales obligatoires font échec aux dispositions de l’article

718.2(e) du Code criminel. Faisant le constat du taux d’incarcération élevé

chez les populations autochtones et de leur surreprésentation dans les

prisons du pays, le législateur a voulu envoyer un message aux juges : celui

d’une précaution accrue s’agissant de l’enfermement des délinquants

autochtones. Cette nouvelle disposition permet au juge de prendre en

considérations des facteurs historiques et systémiques dans la

détermination de la peine n’occultant pas le passé tragique de ces

populations et la discrimination à laquelle elles font face :

Why, in a society where justice is supposed to be blind, are the inmates of

our prisons selected so overwhelmingly from a single ethnic group? Two answers suggest themselves: either Aboriginal people commit a

disproportionate number of crimes, or they are the victims of a discriminatory justice system. We believe that both answers are correct, but not in the simplistic sense that some people might interpret them. We

do not believe, for instance, that there is anything about Aboriginal people or their culture that predisposes them to criminal behaviour. Instead, we believe that the causes of Aboriginal criminal behaviour are rooted in a long

history of discrimination and social inequality that has impoverished

Aboriginal people and consigned them to the margins of society.224

Par l’adoption de peines minimales sans aucune possibilité de dérogation

laissée au juge, le législateur fait échec à ces dispositions de sorte à créer

une incohérence certaine. A l’instar de la critique qui a été faite au

législateur français, il commande au juge un examen renforcé de toutes les

sanctions substitutives à l’emprisonnement en ce qui concerne les

délinquants autochtones, en lui enlevant dans le même temps cette faculté

par l’instauration de peines obligatoires. Le juge est ainsi dans l’incapacité

224Manitoba, Public Inquiry into the Administration of Justice and Aboriginal People, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba: « The Justice System and Aboriginal People », vol.1 (Winnipeg: Queen's Printer, 1991) at 85 [Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba] quoted in Apples, Oranges, and Steel : The Effect of Mandatory Minimum Sentences for Drug Offences on the Equality Rights of Aboriginal Peoples, vol.46 UBC Law Review Society 121 – 155 (2013)

69

d’individualiser la peine et d’appliquer les dispositions censées être

réparatrices de l’article 718.2(e) compte tenu du contexte alarmant dans

lequel vivent bon nombre d’autochtones au Canada :

Les facteurs historiques qui jouent un rôle de premier plan dans la

criminalité des délinquants autochtones sont aujourd’hui bien connus. Des années de bouleversements et de développement économique se sont

traduites, pour nombre d’autochtones, par de faibles revenus, un fort taux de chômage, un manque de débouchés et d’options, une instruction insuffisante ou inadéquate, l’abus de drogue et d’alcool, l’isolement et la

fragmentation des communautés. Ces facteurs et d’autres encore

contribuent à l’incidence élevée du crime et de l’incarcération.225

225R.c. Gladue, [1999] 1 RCS 688, par.67.

70

Chapitre 2 Les peines obligatoires d’emprisonnement et

la Constitution : une protection insatisfaisante du

principe d’individualisation

Selon les principes utilisés et la valeur juridique qui leur est donnée, l’appréhension

constitutionnelle des peines minimales obligatoires d’emprisonnement n’est pas la

même (section 1). En découle une protection du principe d’individualisation en

demi-teinte (Section 1).

71

Section 1 Entre individualisation et proportionnalité : l’enjeu des

terminologies

La proportionnalité et l’individualisation, si elles sont inextricablement liées,

ne se confondent pas. La conception des principes et leurs statuts juridiques

ont une importance fondamentale dans la manière d’aborder la

constitutionnalité des peines minimales obligatoires.

En France, tout le contentieux constitutionnel autour des peines plancher

se cristallise autour du principe d’individualisation. Ce dernier revêtant

désormais une valeur supra-législative, les justiciables ont le loisir de s’en

prévaloir devant les juges constitutionnels.

Au Canada, en revanche, c’est le principe de proportionnalité qui est

mobilisé lorsqu’une peine minimale est contestée. Non pas que le principe

d’individualisation n’ait pas son importance, mais il n’est pas, en tout cas à

l’heure actuelle, un principe de justice fondamentale pouvant être exploité

dans un débat sur la constitutionnalité des peines obligatoires.

Le critère de la disproportion exagérée : un contrôle de

constitutionnalité restreint. En France et au Canada, le critère de la

disproportion exagérée traduit la réticence du juge à empiéter sur le pouvoir

législatif du parlement par un contrôle de proportionnalité trop large. Le

principe de nécessité des peines, proclamé par l’article 8 de la DDHC est le

seul principe de détermination de la peine textuellement présent dans la

Constitution. Pourtant, c’est le principe que le Conseil mobilise le moins. II

considère en effet et selon sa formule traditionnelle :

Qu’il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur pouvait être atteint

par d'autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi déférée ne sont pas manifestement inappropriées à la finalité poursuivie226.

226Décision n° 2001-444 DC du 9 mai 200 Considérant n°3.

72

Dans deux décisions rendues sur question prioritaire de constitutionnalité

le 15 décembre 2017, le Conseil invalide les dispositions de la loi créant la

nouvelle infraction de consultation habituelle de sites terroristes. On aurait

pu imaginer dans ce contexte qu’il mobilise pleinement le principe de

nécessité. Cependant, au lieu de se fonder expressément sur ce dernier, il

préfère écarter les dispositions en se basant, in fine, sur l’exercice de la

liberté de communication. Les requérants soulevaient pourtant clairement

la violation du principe de nécessité des peines. Mais le Conseil comme la

Cour suprême évite, et cela peut se comprendre, de se mettre en porte à

faux avec le législateur, porte-parole de la volonté du Peuple.

Il est vrai que c’est au législateur de fixer les peines en matière criminelle et

correctionnelle227 de sorte qu'en l'absence de disproportion manifeste entre

l'infraction et la peine encourue, il n’appartient pas au Conseil de substituer

sa propre appréciation à celle du législateur. Ce n’est donc que dans

l’hypothèse d’une disproportion exagérée que le juge sort de sa réserve228.

La Cour suprême du Canada semble adopter une optique similaire. Le

principe de proportionnalité a été considéré, dans l’arrêt Ipeelee, comme un

principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte

canadienne des droits et des libertés :

Le principe fondamental de la détermination de la peine — la

proportionnalité — est intimement lié à son objectif essentiel — le maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’imposition de sanctions justes. Quel que soit le poids qu’un juge souhaite accorder aux différents objectifs

et aux autres principes énoncés dans le Code, la peine qu’il inflige doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. La proportionnalité

représente la condition sine qua non d’une sanction juste.229

227Constitution française du 4 octobre 1958, article 4 : « La loi fixe les règles concernant : la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats. » 228PRADEL, préc., note 124. 229R. c. Ipeelee, [2012] 1 R.C.S. par. 37

73

Dans l’arrêt Safarzadeh-Markhali rendue en 2016, la Cour suprême déclare

que la Cour d’appel de l’Ontario a eu tort d’opérer un contrôle de

proportionnalité étendue sur l’exclusion du crédit majoré par le législateur

en matière de détention présentencielle sur le fondement de l’article 7 de la

Charte :

La Cour d’appel statue que la proportionnalité dans le processus de

détermination de la peine constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte et que l’exclusion du crédit majoré pour détention présentencielle que prévoit le par. 719(3.1) est contraire à ce

principe. Elle est dans l’erreur. La proportionnalité dans le processus de détermination de la peine n’équivaut pas à un principe de justice

fondamentale pour l’application de l’article 7230. La Cour distingue entre la proportionnalité dans le processus de

détermination de la peine et la proportionnalité de la peine elle-même. Elle

considère que le principe de proportionnalité de l’article 718.1 du Code

criminel n’a pas de valeur supra-législative du point de vue de l’article 7 de

la Charte. Le législateur peut ainsi modifier ou abroger à son gré ces

dispositions231. Le seul aspect constitutionnel de la proportionnalité réside

alors dans l’article 12 de la Charte garantissant une protection contre les

peines cruelles et inusitées232. C’est sur ce terrain que va être engagée la

bataille contre les peines minimales obligatoires initiée par l’arrêt Smith233.

Dans cette décision, la Cour suprême établit un test en deux étapes

permettant de déterminer si oui ou non une peine minimale est

exagérément disproportionnée. Le juge doit d’abord examiner la proportion

de la peine à l’égard de l’accusé, s’il s’avère que cette dernière est

exagérément disproportionnée, la peine minimale doit être déclarée

inconstitutionnelle. Sinon, le juge doit passer à la seconde étape du test qui

230R. c. Safarzadeh-Markhali, [2016] 1 RCS 180 par. 67 231Id., par. 71 232Id., 233R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045

74

est de déterminer si la peine serait exagérément disproportionnée dans

d’autres situations que celles du délinquant mais raisonnablement

envisageables. Ainsi, si la peine minimale de sept ans n’était pas en l’espèce

exagérément disproportionnée à l’égard du comparant, elle aurait pu l’être

à l’égard d’une personne coupable d’avoir importé une seule fois un joint de

marijuana pour sa consommation personnelle234.

Ainsi, la Cour suprême ouvrait-elle par cette décision « de larges

perspectives de contestations constitutionnelles » permettant d’évaluer et

d’éventuellement parer les peines minimales obligatoires « à l’aune de

circonstances hypothétiques raisonnables »235. Ce brin d’espoir a vite fait de

se dissiper. La jurisprudence postérieure se caractérise par un déclin de la

seconde étape du test de l’arrêt Smith.

Dans l’arrêt Luxton, la Cour l’occulte pour se concentrer uniquement sur

la proportionnalité de la peine à l’égard du délinquant concerné. Elle le

déboute de ses prétentions, considérant que la peine minimale de perpétuité

pour meurtre au premier degré assortie d’une période d’inéligibilité à la

libération conditionnelle de 25 ans n’est pas une peine cruelle et inusitée

au sens de l’article 12 de la Charte. Elle considère la sentence proportionnée

à « la turpitude morale » du délinquant et à la méchanceté inhérente à

l’infraction commise236.

Cependant, cette position est critiquable pour au moins deux raisons :

En premier lieu, à l’égard du délinquant, la peine n’était pas manifestement

disproportionnée, celui-ci ayant tué un chauffeur de taxi sans raison

apparente en lui assénant plusieurs coups de couteau et en le laissant se

vider de son sang aux abords d’une ferme. Mais qu’en serait-il, d’une jeune

234Id., par. 79. 235PARENT ET DESROSIERS, préc., note 1, par. 371. 236R. c. Luxton [1990] 2 R.C.S 711, par.4.

75

fille, violentée et agressée depuis son plus jeune âge, contrainte de se

prostituer par son proxénète et qui, dans un moment de panique tuerait un

client trop entreprenant ? Cette hypothèse est loin d’être exubérante, le cas

très actuel de la jeune américaine Cyntoia Brown dont est inspirée la

situation décrite en témoigne. Si on part de l’hypothèse que Cyntoia était

majeure au moment des faits, sa peine aurait été la perpétuité sans

possibilité de libération conditionnelle avant dix ans. Cette peine ayant par

ailleurs été validée par la Cour suprême pour le meurtre au premier degré

dans l’arrêt R. c. Latimer237.

La neutralisation des peines minimales obligatoires sur le fondement du

principe de proportionnalité reste donc très limitée d’autant plus que le juge

n’a pas le loisir d’accorder des exemptions constitutionnelles238. En effet, la

validité d’une peine minimale est absolue : soit elle est constitutionnelle,

soit elle ne l’est pas239. Dans le premier cas, elle est d’application obligatoire.

Dans le second, elle est déclarée inapplicable. La déférence des juges à

l’égard du législateur se manifeste une nouvelle fois. Rien n’empêchait, en

effet, à la Cour suprême de valider les exemptions constitutionnelles, la

question étant jusque-là ouverte à l’interprétation :

Premièrement, même si la question de la possibilité de recourir à des

exemptions constitutionnelles pour écarter l’application de dispositions prescrivant une peine minimale obligatoire n’a pas encore été résolue de façon définitive, la jurisprudence prépondérante ne tend pas, pour l’heure,

à l’octroi de telles exemptions et incite à la prudence. Deuxièmement, puisque le législateur, en adoptant une disposition législative qui prescrit

une peine minimale obligatoire, veut précisément retirer aux juges le pouvoir discrétionnaire d’infliger une peine inférieure à la peine minimale prescrite, permettre aux tribunaux d’accorder de telles exemptions

constitutionnelles contrecarre directement l’intention du législateur et représente un empiètement injustifié sur le domaine législatif.240

237R. c. Latimer [2001] 1 R.C.S. 3. 238R. c. Ferguson [2008] 1 R.C.S. 96. 239Kent ROACH, « The Future of Mandatory Sentences after the Death of Constitutional Exemptions », vol.54, n°1, The criminal Law Quaterly, (2008). 240R. c. Ferguson [2008], préc., note 233.

76

Si le principe de proportionnalité semble ainsi restreint à la fois dans son

champ d’application et dans son contrôle. Le principe d’individualisation

permet, quant à lui, un contrôle élargi des dispositions adoptées par le

législateur. Aussi, le Conseil constitutionnel français fonde-t-il ses

décisions sur ce principe plus volontiers que sur ceux de nécessité et de

proportionnalité.

Un contrôle élargi par la consécration du principe d’individualisation.

Par la constitutionnalisation du principe, le Conseil contrôle les garanties

d’individualisation offerte par la loi. Ce contrôle ne se restreint donc pas à

l’évaluation de la disproportion exagérée mais s’étend à la faculté réelle du

juge de prononcer une peine adaptée à la situation du délinquant.

Cependant, le principe n’est pas sans limite et les décisions récentes du

Conseil ne vont pas dans le sens d’un renforcement du principe.

De ces différentes conceptions de l’individualisation et de la proportionnalité

du point de vue des juridictions française et canadienne découle une

protection constitutionnelle inégale des principes.

77

Section 2 Une protection en demi-teinte du principe

d’individualisation en droit français et canadien

Le principe d’individualisation, bien qu’il ne soit pas reconnu comme un

principe constitutionnel par la Cour suprême, semble recevoir une

application bien plus rigoureuse et effective au Canada de par la motivation

méticuleuse des juges sur la peine prononcée. Motivation qui n’était jusqu’à

très récemment jamais exigée pour les peines criminelles en France et

souvent très sommaire pour les peines correctionnelles. Les évolutions

récentes concernant la motivation des peines criminelles et correctionnelles

contribueront peut-être à un contrôle plus effectif du principe

d’individualisation. Somme toute, la consécration du principe n’a pas eu les

conséquences escomptées. Si on examine la jurisprudence du Conseil

constitutionnel, on décèle un manque de cohérence dans les décisions

relatives à l’individualisation et les peines minimales d’emprisonnement ont

jusqu’ici toutes été validées, même lorsque la loi ne permettait pas au juge

de déroger au plancher fixé par le législateur.

Si l’individualisation de la peine bénéficie désormais du « label principe à

valeur constitutionnelle » en France, les conséquences de son nouveau

statut sont loin d’être satisfaisantes. Quelques perles d’incohérence peuvent

en effet être relevées dans la jurisprudence du « Conseil des Sages »… Outre

les limites qu’il fixe lui-même au principe et qui sont celles issues de sa

jurisprudence antérieure, plusieurs exemples éloquents peuvent être cités

traduisant un contrôle incohérent de l’exigence d’individualisation. Ces

exemples, sans être tous liés aux peines plancher, permettent néanmoins

d’avoir une vision globale du traitement « deux poids, deux mesures » du

principe par le Conseil s’agissant de l’individualisation des peines. La

version constitutionnelle du principe ne paraît pas plus contraignante

qu’auparavant.

78

La peine automatique de l’article L7 du Code électoral. C'est une

décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 11 juin

2010241, quatrième à laquelle le Conseil a été confrontée accusant l’article

L7 du Code électoral de violer le principe d'individualisation de la peine. Il

prévoyait que :

Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale pendant un délai de 5

ans à compter de laquelle la condamnation est devenue définitive les personnes condamnées pour concussion, corruption, trafic d'influence, prise illégale d'intérêt, détournement de bien et recel de ces infractions.

Les juges n'avaient pas à prononcer la mesure, elle s'appliquait de plein droit

à la diligence de l'officier en charge de dresser les listes. Le Conseil constate

que la peine est attachée de plein droit à certaines condamnations sans être

expressément prononcée par le juge qui ne peut davantage en faire varier la

durée. Les deux critères de l'individualisation que sont le pouvoir de

modulation du juge et le prononcé exprès de la peine ne sont pas respectés.

L'article est déclaré inconstitutionnel et on peut le comprendre si on se base

seulement sur la lettre de l'art L7. Mais l'art 132-21 du Code pénal a

vocation à préciser les conditions du prononcé d'une peine :

Toute personne frappée d'une déchéance ou incapacité quelconque, qui résulte de plein droit en application de dispositions particulières d'une condamnation pénale, peut par le jugement de condamnation ou par

jugement ultérieur être relevée en tout ou partie y compris en ce qui concerne la durée de cette incapacité.

Si on apprécie l'article L7 au regard des facultés de modulation données au

juge, il a en réalité la possibilité de la faire varier avec une capacité de

modulation complète. Le Conseil a jugé que les dispositions de l'art 132-21

étaient insuffisantes pour garantir le principe d'individualisation. Dans

d'autres décisions relatives à des peines de même nature, il considère

pourtant que cet article est tout à fait suffisant.

241Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2011.

79

L’annulation du permis de conduire de l’article L234-13 du Code la

route. Décision également rendue sur question prioritaire de

constitutionnalité le 29 septembre 2010242 portant sur l'art L234-13 du code

de la route qui prévoyait que lorsqu'une personne est condamnée en récidive

pour certaines infractions au code de la route, cela donne lieu de plein droit

à une annulation du permis avec interdiction de solliciter un nouveau

permis pour une durée de trois ans. Le juge n'a pas l'initiative puisque la

peine est exécutée de plein droit et sans faculté de modulation, il est obligé

de la prononcer. Le Conseil considère que ces peines peuvent se voir

appliquer l'article 132-21 qui donne une possibilité de modulation au juge.

Il valide donc le dispositif et conclut au respect du principe

d’individualisation.

La majoration de 40% des pénalités en matière fiscale. C’est une décision

rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 10 février 2012243, il

existait un article 1759 du Code général des Impôts qui visait des individus

qui ne respectaient pas, en tant que contribuables, une obligation de

déclaration des opérations de transfert de fonds opérées vers l'étranger ou

qui ne déclaraient pas à l'administration fiscale les comptes dont ils

disposent à l'étranger et leur éventuelle clôture. L’article prévoyait une

régularisation du montant des impôts qui aurait dû être acquitté en plus

d’une majoration de 40% des sommes éludées. Cette majoration violait le

principe d’individualisation sous plusieurs aspects, étant fixe et

automatique (sans possibilité de modulation). Le Conseil a trouvé deux

éléments pour valider le dispositif. D’abord, l’article 1729 prévoit une

majoration de 80% du montant des droits dus par l'individu s'il est établi

que cet individu s'est livré à des manœuvres frauduleuses ou un abus de

droit : le Conseil y voit une faculté de modulation car les sommes peuvent

242Décision n° 2018-731 QPC du 14 septembre 2018. 243Décision n° 2010-40 QPC du 29 septembre 2010.

80

être majorées de 80% au lieu de 40% sous condition. Il explique ensuite que

l'administration fiscale ou le juge en matière fiscale peut à tout moment

décider après contrôle soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en

dispenser l'individu. On imagine alors que le juge a une initiative mais ce

n’est en réalité pas le cas. Il ne peut dispenser l’individu que s'il arrive à

démontrer que les sommes détenues à l'étranger ne constituent pas des

revenus imposables ; autrement dit s’il n’y a pas d’infraction constituée. Ce

n’est pas une faculté du juge que de dispenser un individu innocent d’une

peine. Si l'infraction est constituée, le juge n'a aucune possibilité de

modulation. Pour sauver la mesure, le Conseil cherche une forme d'initiative

de l'administration alors qu'en réalité si la personne est déclarée coupable,

la majoration s'applique et le juge ne peut la moduler qu’à la hausse sous

certaines conditions. Les dispositions de l’article semblent nettement porter

atteinte au principe d’individualisation mais le Conseil les valide coûte que

coûte.

La validation des peines minimales en droit douanier. Alors que les

peines minimales ont été abrogées du Code pénal par la loi de 2014,

subsistaient en droit douanier244 une incrimination pour laquelle une peine

d’emprisonnement de deux à dix ans était prévue. Aucune disposition

n’étant prévue par la législation en cause permettant au juge de se

soustraire au minima fixé en fonction de la situation personnelle de

l’inculpé, on aurait pu croire à l’invalidation des dispositions contestées. Il

n’en fut rien. Le Conseil constitutionnel estime que la faculté d’individualiser

la peine réside dans l’écart important entre le minimum de deux ans et le

maximum de dix ans d’emprisonnement. Ainsi analysée, toute disposition

assortie d’une peine minimale pourrait être jugée conforme au principe

d’individualisation. Dans les décisions antérieures, le Conseil a maintes fois

rappelé que ce dernier ne devait pas empêcher le législateur d’adopter des

244Code des douanes – article 415.

81

dispositions propres à assurer la répression effective des infractions. Il

s’attachait ensuite à identifier les garanties d’individualisation incluses dans

la loi en cause. C’est également sa façon de procéder dans le cas du Code

des douanes. Il considère ainsi que la possibilité d’assortir la peine

d’emprisonnement d’un sursis garantit le respect du principe

d’individualisation. Mais il ajoute aux modes de personnalisation la

possibilité de prononcer une peine alternative à l’emprisonnement et le fait

de ne pas inscrire la condamnation au casier judiciaire. Cette dernière

affirmation paraît très contestable dans le sens où il est difficile de

comprendre en quoi un défaut d’inscription au casier représenterait un

mode d’individualisation d’une peine déjà prononcée245. Ces dispositions,

abrogées depuis, laissent néanmoins planer le doute quant à l’avenir des

peines minimales : « La gravité de l'infraction et l'amplitude suffisante entre

peine maximale et peine minimale relèvent d'une appréciation casuistique

et le législateur ne sera jamais certain d'échapper à la censure du Conseil.

Une histoire bien mouvementée que celle des peines minimales », résume la

professeure Anne Ponseille246.

Histoire qui ne s’achève pas là puisque la réforme de mars 2019 modifie

l’article 132-19 du code pénal, afin d'interdire à la juridiction, en matière

délictuelle, de prononcer une peine d'emprisonnement ferme d'une durée

inférieure ou égale à un mois. Cette nouvelle disposition, si elle ne crée pas

à proprement parler une peine minimale, en emprunte tous les effets. En

effet, le juge qui voudrait prononcer un emprisonnement ferme sera

contraint de prononcer une peine supérieure à un mois de sorte que ces

nouvelles dispositions constituent presque des peines minimales déguisées.

Elles seront par ailleurs contestées par un certain nombre de députés mais,

une nouvelle fois, le Conseil constitutionnel, dans la continuité de sa

245Anne PONSEILLE, « Peine minimale en matière douanière devant le Conseil constitutionnel, Conseil constitutionnel, 14 septembre 2018, n° 2018-731-QPC », Revue de droit constitutionnel appliqué, n°4, Dalloz, 2019, pp.541. 246Id.,

82

jurisprudence antérieure va les valider en relevant toutes les possibilités

restant au juge dans le prononcé de la peine. Il relève notamment que

compte tenu de la faiblesse du quantum minimum, la juridiction n’est pas

privée de fixer la peine selon les circonstances de l’espèce et, qu’en outre,

elle peut prononcer une autre peine ou assortir la peine de moins d’un mois

d’un sursis247. Évidemment, c’est justement cela le nœud du problème : si

le juge considère qu’une peine de quatorze jours fermes serait adaptée à la

situation du condamné, il ne pourrait pas la prononcer. Il serait contraint

de prononcer une peine supérieure à un mois s’il ne souhaite pas l’assortir

d’une mesure d’aménagement ou d’un sursis. En définitive, la discrétion

judiciaire s’en trouve une nouvelle fois amputée.

Pendant ce temps, la jurisprudence de la Cour suprême évolue, elle, vers un

renouveau des circonstances hypothétiques raisonnables.

Le renouveau des circonstances hypothétiques raisonnables dans les

arrêts Nur et Lloyd. Dans l’arrêt Nur248, la Cour suprême a invalidé la peine

minimale obligatoire de trois ans d’emprisonnement pour possession illégale

d’arme à feu. Elle remet la seconde étape du test établi dans l’arrêt Smith

au goût du jour et ré-ouvre par la même occasion la brèche à d’éventuelles

contestations futures. L’arrêt Lloyd,249 rendu moins d’un an plus tard,

confirme cette supposition. La Cour suprême invalidera la peine minimale

d’un an pour trafic de drogues prévues par la LRCDS. En réalité, cette

seconde étape de l’arrêt Smith peut être analysée comme une application à

priori du principe d’individualisation. La Cour imagine des hypothèses dans

lesquelles la peine serait inadaptée à la situation particulière du

contrevenant. Elle opère donc une appréciation in concreto de la

constitutionnalité des peines minimales obligatoires susceptibles d’être plus

en phase avec le principe d’individualisation de la peine même si ce dernier

247Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, Considérant 332, 333, 334. 248R. c. Nur, [2015] 1 R.C.S. 773. 249R.c. Lloyd, [2016] 1 RCS 130.

83

n’est pas expressément garanti par la Charte. En outre, elle lance un appel

au législateur afin qu’il intervienne par des « clauses d’exemptions

législatives » rendant les peines minimales conformes à la Charte :

The majority in Lloyd addressed the underlying infirmities in mandatory

minimum sentencing ,and it directed Parliament to develop “legislative exemption clauses” to render MMS constitutionally compliant.250

En effet, la Cour suprême formulait dans l’arrêt Lloyd la proposition

suivante :

Le législateur pourrait par ailleurs recourir à un mécanisme qui permettrait au tribunal d’écarter la peine minimale obligatoire dans les cas

exceptionnels où elle constituerait une peine cruelle et inusitée. L’octroi d’un pouvoir discrétionnaire résiduel susceptible d’être exercé dans les cas exceptionnels est un moyen répandu à l’étranger pour prévenir l’injustice et

l’inconstitutionnalité (Ministère de la Justice du Canada, Division de la recherche et de la statistique, Peines d’emprisonnement obligatoires dans

les pays de common law : Quelques modèles représentatifs (2005) (en ligne), p. 1, 4-5 et 35). Il permet au législateur de prévoir de lourdes peines pour les crimes jugés odieux tout en évitant l’infliction de peines qui sont

disproportionnées au point d’être inconstitutionnelles dans certains cas exceptionnels251.

Dans le cas contraire, il reviendra au juge d’abandonner toute déférence à

l’égard du législateur et d’adopter, face à son inertie, une attitude plus

audacieuse s’agissant de l’évaluation des conséquences injustes et

injustifiées du mandatory sentencing.252

250Sarah CHASTER, « Cruel, unusual and constitutionnaly infirm : mandatory minimum sentences in Canada », Appeal Law Review, vol.23, pp.89-119. 251 R.c. Lloyd, [2016] 1 RCS 130, par.36. 252Id., note 248.

84

Conclusion

En définitive, le réel problème de l’emprisonnement ne réside pas tant dans

les minimas légaux que dans le régime de la privation de liberté. Les

conditions d’incarcération et le peu de moyens dont disposent

l’administration pénitentiaire et le juge constituent le véritable obstacle à

une mise en œuvre effective du principe d’individualisation. On peut très

bien imaginer une peine minimale d’emprisonnement qui soit individualisée

avec un réel suivi à la fois pendant l’incarcération et au dehors, lorsque la

peine est purgée. Encore faudrait-il repositionner le débat sur ce qui fait

vraiment défaut au système de justice pénale à savoir l’absence de

continuité dans la lutte contre le crime, nuisant à une réponse pénale

cohérente. Cela passe par une réflexion sur une véritable hiérarchisation

des objectifs visés par la sanction pénale. Dissuasion et dénonciation

seraient reléguées au second plan pour privilégier, avant tout, la

réhabilitation du coupable par la sanction. Quant à la rétribution, celle-ci

n’est pas un but à atteindre par la peine : elle lui est inhérente. Le prononcé

de la peine, dénouement du procès pénal durant lequel le coupable doit

répondre de ses actes face aux juges et à l’ensemble du corps social, est un

malum in se. C’est le système de justice pénale dans son ensemble qui

assure la rétribution du coupable. Mais le mal doit être accompagné d’un

bien et celui-ci réside dans la réhabilitation de l’individu. Hors, au chapitre

de la réinsertion, la privation de liberté a fait preuve de son inefficacité. Elle

n’a plus aucune légitimité à être considérée comme la clé de voûte du

système judiciaire.

Cesser de céder aux pressions populistes et recentrer la réflexion sur

l’efficacité de la sanction pénale devient urgent pour redonner au droit pénal

toute sa substance. Comme le formulait si justement l’illustre professeur

Jacques Léauté en 1968 : « le temps des improvisations et des courtes vues

85

est révolu ». 50 ans plus tard, pourtant, cette affirmation aux allures

d’ultimatum n’a en rien perdu de sa vivacité…

Il convient tout de même de nuancer le propos. Comme le fait remarquer

Jean Pradel, il ne faut pas voir les choses que dans un sens253. Certes,

l’emprisonnement est susceptible de favoriser la récidive mais le contraire

est aussi vrai : c’est la récidive qui conduit à l’emprisonnement. Il est de

bonne guerre qu’après avoir reçu un avertissement solennel de la justice,

celui qui réitère son acte se voit infliger une sanction plus sévère. En outre,

la surpopulation carcérale et l’instauration de peines plancher ne sont pas,

en France tout du moins, d’une corrélation sans faille. En effet, en 2018,

alors que le système des peines plancher n’est plus en vigueur depuis 4 ans

déjà, le nombre de personnes incarcérées bat des records avec un taux de

surpopulation carcérale frôlant les 120%. Peut-être pouvons-nous affirmer

qu’en réalité, dans un contexte où l’institution de la prison est en crise

constante (en réalité la crise des prisons naît en même temps que

l’institution), l’adoption de peines plancher n’est tout simplement qu’un

ajout superflu à l’arsenal répressif. Quoi qu’il en soit, le droit français tel

qu’il était en vigueur avant l’abrogation des peines minimales avait au moins

le mérite de laisser une place, certes restreinte, mais effective, au principe

d’individualisation. Effective car les dérogations prévues par le législateur

ont été massivement mobilisées en pratique.

Dans la formulation de la décision du Conseil constitutionnel de 2018, rien

n’empêche le législateur futur de réintégrer le système des peines plancher

dans l’arsenal répressif. Cependant le cercle est vicieux : soit le système de

peine plancher est réintégré avec des garanties suffisantes

d’individualisation (incarnées dans des possibilités de dérogation laissées

au juge) et dans ce cas on sape dans le même temps l’efficacité du système.

On continuerait alors à décorer l’arsenal législatif de lois supposées être «

253PRADEL, préc., note 124.

86

tough on crime » mais qui en pratique n’enlèvent quasiment rien à la

discrétion du juge. Soit, on réinsère des peines minimales avec un périmètre

circonscrit mais sans possibilité d’individualisation autre que la possibilité

de faire varier le quantum de la peine entre les minima et le maxima prévus

par la loi. C’est cette nouvelle perspective, plus stricte, qu’ouvre la

jurisprudence récente du Conseil constitutionnel français.

Comparativement au système canadien de détermination de la peine, on

comprend que le système des peines plancher tel qu’il était prévu par le

législateur français était en réalité relativement équilibré.

Fondamentalement, le système instauré par la loi de 2007 ne méconnaissait

pas le principe d’individualisation de la peine. On a pu le voir ensuite dans

la pratique des magistrats qui, par leur plume aiguisée, se contentaient de

trouver des formules bien tournées pour neutraliser les dispositions de la

nouvelle loi qui se révèlera n’être, in fine, qu’un ajout superflu à un dispositif

pénal déjà saturé par une politique criminelle caractérisée par une

surproduction normative.

Il faudrait éventuellement envisager un renforcement du principe

d’individualisation au Canada pour pouvoir fonder les déclarations

d’inconstitutionnalité sur ce fondement plutôt que sur le principe de

proportionnalité qui ne recouvre pas le même champ même si l’un et l’autre

sont en réalité les deux faces d’une seule et même pièce. Si proportionnalité

et individualisation sont sœurs, elles ne sont pas jumelles. La seconde

implique d’aller plus loin que la première dans la recherche d’une peine juste

et efficace sans oublier le but ultime du droit criminel : la préservation d’une

société paisible et sûre. La rigidité du système des peines obligatoires est

créatrice de beaucoup trop d’injustices et de non-sens pour être conservée.

Les recommandations de la Commission canadienne sur la détermination

de la peine, visant à abolir les peines obligatoires, sont plus que jamais

pertinentes.

87

Le but du droit pénal est l’expression et la protection des valeurs sociales de

nos sociétés, le but de la peine est d’empêcher la récidive du coupable. On

distingue le but de la sanction du moyen nécessaire permettant de

l’atteindre qui est, lui la réinsertion de l’individu dans la société.

L’’instrument au service du moyen est ce qu’on appelle l’individualisation de

la peine. Afin de lutter contre la récidive, il faut réintégrer le délinquant, le

resocialiser grâce à la personnalisation de la sanction. Considérons

l’infraction comme un cancer. Le chirurgien doit faire en sorte d’éradiquer

toutes les cellules cancéreuses (moyen) afin que le cancer ne se manifeste

pas de nouveau (but). Ce traitement, pour être efficace doit correspondre

aux caractéristiques physiologiques du patient (personnalisation). On

distingue le but (éradiquer la récidive), le moyen (resocialisation) et

l’instrument d’intervention (l’individualisation).

L’intimidation, la réforme ou l’expiation ne sont point, à proprement parler, le but du châtiment, mais bien les moyens de l’atteindre. C’est vers cette

fin que tendent à la fois, et par des efforts instantanés, l’intimidation qu’elle

inspire, l’expiation qu’elle proclame, la réforme qu’elle s’efforce d’opérer254.

Le vrai problème du système pénal aujourd’hui réside dans le fait que tous

les mystères de son essence n’ont pas été résolus. La peine, ses finalités,

son but, sa définition, tous se confondent dans un entrelacs de courants

philosophiques, de visions tantôt libérales, tantôt autoritaires, de volontés

politiques capricieuses…

254Faustin HELIE et Adolphe CHAUVEAU, Théorie du Code pénal, Tome I, vol.1, Bruxelles, Meline Cans et Compagnie,1e éd., édition augmentée par J.S.C. NYPELS, p.35.

88

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89

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R. c. Martin, 2012 QCCA 2223

R. c. Morrisey [2000] 2 SCR 90

R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 par.43

R. c. Nur [2015] 1 RCS 773

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94

Annexe A Peines et mesures principales prononcées dans les

condamnations en 2017 selon le nombre d’infractions sanctionnées

unité : condamnation Condamnation Condamnation

pour infraction

unique

Condamnation pour infractions

multiples

Total 557 762 375 114 182 648

Réclusion 1 025 439 586

Emprisonnement 286 377 153 125 133 252

Emprisonnement ferme ou avec

sursis partiel

132 634 62 913 69 721

Emprisonnement ferme 104 439 53 102 51 337

Emprisonnement sursis partiel 28 195 9 811 18 384

avec mise à l’épreuve 24 498 8 531 15 967

simple 3 697 1 280 2 417

Emprisonnement avec sursis

total

153 743 90 212 63 531

avec mise à l’épreuve 45 830 24 863 20 967

avec TIG * 8 732 4 502 4 230

simple 99 181 60 847 38 334

Contrainte pénale 1 636 843 793

Amende 180 088 154 034 26 054

Mesures de substitution 61 100 46 762 14 338

Dont suspension permis de conduire

7 247 6 844 403

TIG 14 738 9 538 5 200

Jours-amende 23 607 16 672 6 935

interdiction permis de conduire 632 509 123

Mesures éducative 21 690 15 391 6 299

Sanction éducative 1 980 1 377 603

Dispense de peine 3 866 3 143 723

* TIG : Travail d'intérêt général

Source : Ministère de la Justice/ SG / SEM / SDSE / Fichier statistique du Casier judiciaire national

95

Annexe B Chiffres des condamnations pour l’année 2010

Source : Peines planchers : application et impact de la loi du 10 août 2007, Infostat Justice, bulletin d’information statistique, n°118, octobre 2012, Ministère de la Justice.

96

Annexe C Taux d’incarcération au Canada et autres pays de l’OCDE

Source : Statistiques sur les services correctionnels pour adultes au Canada, 2013-2014, statistiques Canada.

<https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2015001/article/14163-fra.htm>

Source : Le droit pénal dans la société canadienne (1982) in Anthony N. Doob, «Principes de détermination de la

peine, politiques publiques et modération en matière de recours à l'incarcération: la rupture du Canada avec son

histoire», (2012) 9 Champ pénal/Penal field, en ligne: <https://champpenal.revues.org/8327>.

97

Annexe D Surpopulation carcérale en France et au Québec

Source : Ministère de la Sécurité publique du Québec. Analyse prospective de la population carcérale des

établissements de détention du Québec de 2010-2011 à 2020-2021.

Source : Observatoire International des Prisons, Constructions de prison : places et population carcérale toujours à la hausse.

20 août 2018 <https://oip.org/infographie/constructions-de-prison-places-et-population-carcerale-a-la-hausse-depuis-15-

ans/>