Le Poison de La Veangeance - Hobb, Robin

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    Robin Hobb

    LASSASSIN ROYAL-4Le poison de la vengeance

    Traduit de langlais par A. Mousnier-Lompr

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    Pour la trs relle Kat Ogden

    Qui menaa, trs tt dans sa vie, de devenir quand elleserait grande danseuse de claquettes, escrimeuses, judoka, star

    de cinma, archologue, et prsidente des Etats-Unis.

    Et qui sapproche dangereusement de la fin de sa liste.

    Il ne faut jamais confondre le film et le livre.

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    PROLOGUE - LES OUBLIS

    Chaque matin, mon rveil, jai de lencre sur les mains.Parfois je me retrouve le visage appuy sur ma table de travailau milieu dun fouillis de parchemins et de papiers. Mongaron, quand il se prsente avec mon plateau, se risquequelquefois me reprocher de ne pas mtre couch la veille ;mais quelquefois aussi il regarde mon visage et n ose pas direun mot. Je nessaie pas de lui expliquer mon attitude ; ce nestpas un secret quon peut transmettre un homme plus jeuneque soi : il faut lacqurir par soi-mme.

    Il est indispensable davoir un but dans la vie. Cela, je lesais aujourdhui, mais les vingt premires annes de monexistence me furent ncessaires pour men rendre compte, enquoi je ne me crois pas exceptionnel. Cependant, une foisapprise, cette leon est reste grave en moi. Aussi, nayantgure de quoi distraire ma douleur, je me suis mis en qutedun but et me suis attel une tche laquellemencourageaient depuis longtemps dame Patience etGeairepu le scribe. Ces premires pages constituent unetentative pour rdiger une histoire cohrente des Six-Duchs,mais jai du mal, je men suis vite aperu, garder lespritlongtemps fix sur un seul sujet, et je mamuse donc avecdautres traits, de moindre porte, sur mes thories de la

    magie, sur mes observations des structures politiques et sur lesrflexions que mont inspires certaines cultures trangres.Lorsque linconfort atteint son apoge et que je suis incapablede trier convenablement mes ides pour les coucher sur lepapier, je travaille sur des traductions ou je tente dexcuterdes copies lisibles dedocuments anciens. Je moccupe les mainsdans lespoir de distraire mon esprit.

    Lcriture joue pour moi le rle que la cartographie jouait

    pour Vrit : la minutie et la concentration exiges suffisentpresque faire oublier laiguillon de la dpendance et les

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    souffrances rsiduelles dune ancienne intoxication. On peut seperdre dans de tels travaux et sy oublier, ou bien aller plusprofondment encore et retrouver de nombreux souvenirs desoi-mme. Trop souvent, je maperois que je mcarte de

    lhistoire des Six-Duchs pour narrer celle de FitzChevalerie, etces rminiscences me laissent face celui que jtais et celuique je suis devenu.

    Lorsquon sabsorbe profondment dans ce genre decompte rendu, on se rappelle une quantit surprenante dedtails, mais tous les souvenirs que je ravive ne sont pasdouloureux : jai eu plus quune juste part de bons amis, plusfidles que je ntais en droit de lesprer ; jai connu des

    beauts et des joies qui ont mis lpreuve la rsistance de moncur autant que les tragdies et la laideur. Cependant, jepossde peut-tre davantage de souvenirs sombres que laplupart des hommes ; rares sont ceux qui ont pri au fond duncachot ou qui peuvent se souvenir de lintrieur dun cercueilenterr sous la neige. Lesprit rencle voquer de tellesscnes ; une chose est de savoir que Royal m a tu, une autre deme concentrer sur le dtail des jours et des nuits o il m a fait

    affamer puis battre mort. Quand je revis cette priode,certains instants parviennent encore, malgr les annes, meglacer les entrailles ; je revois les yeux de lhomme et jentendsle bruit de mon nez qui se brise sous son poing. Il existe encoreun lieu que je visite en rve, o je lutte pour rester debout enmefforant de ne pas songer au suprme effort fournir pourtuer Royal. Je me rappelle sa gifle qui a fait clater ma jouetumfie et dont je garde ce jour une cicatrice sur le visage.

    Je ne me suis jamais pardonn le triomphe que je lui aiconcd en me suicidant par le poison.Mais plus douloureux que les vnements que je garde en

    mmoire sont ceux que je nai pas vcus. Quand Royal ma tu,je suis mort, et plus jamais je ne fus publiquement connu sousle nom de FitzChevalerie ; je ne renouai jamais de liens avec leshabitants de Castelcerf qui mavaient connu depuis que javaissix ans ; je ne vcus plus jamais Castelcerf, je nallai plus

    jamais prsenter mes respects dame Patience, je ne massisplus jamais sur la pierre dtre aux pieds dUmbre. Disparus,

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    les rythmes des vies qui se mlaient la mienne ; des amismoururent, dautres se marirent, des enfants naquirent, ilsdevinrent des hommes, et de tout cela je ne vis rien. Bien que jene possde plus le corps dun jeune homme en bonne sant,

    beaucoup vivent encore qui mappelaient ami et, parfois,jaspire les revoir, leur serrer la main, enterrer et laissergsir en paix la solitude des annes.

    Cest impossible.Ces annes me sont perdues, tout comme les annes

    venir que mes amis ont encore vivre. Perdue aussi cettepriode, d peine un mois mais qui me parut bien plus longue,o je restai enferm au cachot puis dans un cercueil. Mon roi

    tait mort dans mes bras, mais je ne le vis pas inhumer ; jentais pas non plus prsent au conseil qui suivit ma mort et olon me dclara coupable davoir pratiqu la magie du Vif etpar consquent mort en toute justice.

    Patience vint rclamer mon corps ; ce fut lpouse de monpre, autrefois si accable dapprendre quil avait engendr unbtard avant leur union, qui me tira de ma cellule, ses mainsqui lavrent mon cadavre pour lenterrer, qui disposrent

    proprement mes membres et menvelopprent dans le linceul.Pour des raisons connues delle seule, la maladroite,lexcentrique dame Patience nettoya mes blessures et les bandaaussi soigneusement que si jeusse t vivant ; elle ordonnaquon creust ma tombe et assista lensevelissement de moncercueil ; en compagnie de Brodette, sa chambrire, elle mepleura quand tous les autres, par peur ou par dgot de moncrime, mavaient abandonn.

    Pourtant, elle ne sut rien de lentreprise de Burrich etUmbre, mon mentor assassin, qui se rendirent quelques nuitsplus tard sur ma tombe pour en enlever la neige tombe entre-temps et les mottes de terre gele quon avait jetes sur moncercueil. Eux seuls taient prsents quand Burrich arracha lecouvercle, sortit mon corps puis, grce sa propre magie duVif, appela le loup qui mon me avait t confie. Il la luiarracha et la renferma dans la chair meurtrie qu elle avait

    fuie. Ils me ressuscitrent et je retrouvai une forme humaine ;je me rappelai ce que ctait davoir un roi et dtre li par un

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    RSURRECTION

    On emploie des esclaves dans les Etats chalcdes. Ilsfournissent la main-duvre pour les tches pnibles: ils sontmineurs, souffleurs de forge, rameurs bord des galres,

    boueurs, ouvriers dans les champs, et putains ; curieusement,ils sont aussi bonnes denfants, prcepteurs, cuisiniers, scribeset artisans qualifis. Tout entire, la brillante civilisation deChalcde, depuis les immenses bibliothques de Jep jusqu auxfontaines et aux thermes fabuleux de Sinjon, repose surlexistence dune classe desclaves.

    Les Marchands de Terrilville constituent la principalesource dapprovisionnement en esclaves. Autrefois, la plupart

    taient des prisonniers de guerre, et Chalcde soutientofficiellement que cest encore le cas ; cependant, au cours desdernires dcennies, il ne sest pas produit de guerressuffisamment importantes pour rpondre la demandedesclaves instruits. Les Marchands de Terrilville sont trshabiles dcouvrir dautres sources o puiser et, lorsquonaborde ce sujet, on mentionne souvent la piraterie qui svitdans les les Marchandes. Les propritaires desclaves desEtats chalcdes ne font gure preuve de curiosit quant laprovenance de leur main-duvre du moment quelle est enbonne sant.

    La coutume de lesclavage na jamais pris dans les Six-Duchs. Un homme condamn pour un dlit peut tre oblig dese mettre au service de celui qui il a fait du tort, mais unelimite de temps est toujours fixe et son statut n est jamaismoindre que celui dun homme qui rpare sa faute. Si le crimeest trop odieux pour tre rachet par le travail, le condamn le

    paye de sa vie. Nul ne devient jamais esclave dans les Six-

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    Duchs et nos lois nacceptent pas lide quune maisonnepuisse faire entrer des esclaves dans le royaume et lesmaintienne dans cet tat. Pour cette raison, de nombreuxesclaves chalcdes qui acquirent la libert dune faon ou

    dune autre cherchent souvent dans les Six-Duchs unenouvelle patrie.

    Ces esclaves apportent avec eux les coutumes et le savoirtraditionnels de leur pays dorigine. Un conte mest ainsiparvenu ; il traite dune jeune fille qui tait vecci, cest--diredoue du Vif. Elle souhaitait quitter la maison de ses parentspour suivre lhomme quelle aimait et devenir sa femme ; sesparents le jugeaient indigne et interdirent leur fille de se

    marier avec lui. Enfant trop respectueuse pour leur dsobir,elle tait aussi femme trop ardente pour vivre sans son bien-aim : elle sallongea sur son lit et mourut de chagrin. Sesparents accabls lenterrrent et se reprochrent fort de ne luiavoir point permis de suivre son cur. Mais, leur insu, ellestait lie une ourse par le Vif et, quand elle mourut, lourseaccueillit son esprit afin quil ne schappe pas du monde. Troisnuit aprs lensevelissement, la bte creusa dans la tombe et

    rendit lesprit de la jeune fille son corps. Sa rsurrection fitdelle une femme nouvelle qui ne devait plus rien ses parents ;aussi quitta-t-elle le cercueil fracass pour se mettre larecherche de son bien-aim. Le conte sachve tristement car,ayant t ourse, elle ne fut plus jamais compltement humaineet son bien-aime ne voulut pas delle.

    Cest sur cette histoire que Burrich fondait sa dcision deme librer des geles de Royal en mempoisonnant.

    *

    La pice tait trop chaude et trop petite. Haleter ne merafrachissait plus. Je quittai la table et mapprochai de labarrique deau dans le coin. Jenlevai le couvercle et bus longstraits. Cur de la Meute leva les yeux avec un presque-grondement. Sers-toi dune timbale, Fitz.

    Leau me dgoulinait du menton. Je le regardai mon tour.

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    Essuie-toi la figure. Cur de la Meute baissa le regardsur ses mains. Il y avait de la graisse dessus et il en frottait deslanires. Je reniflai lodeur, puis me passai la langue sur leslvres.

    Jai faim, dis-je.Assieds-toi et termine ton travail. Ensuite, nous

    mangerons. Jessayai de me rappeler ce quil attendait de moi. De la

    main, il indiqua la table et je me souvins : il y avait d autreslanires de cuir de mon ct de la table. Je me rassis sur lachaise dure.

    Jai faim maintenant , dis-je. Encore une fois, il me

    regarda dune faon qui tait comme un grondement. Cur dela Meute tait capable de gronder avec ses yeux. Je soupirai. Lagraisse quil utilisait sentait trs bon. Javalai ma salive, puis jebaissai les yeux. Il y avait des lanires et des bouts de mtaldevant moi sur la table. Je restai un moment les contempler.Cur de la Meute finit par poser ses sangles et sessuya lesmains sur un chiffon. Il vint auprs de moi et je dus me tournerpour le voir. L, dit-il en montrant le cuir devant moi. C est l

    que tu le rparais. Il attendit que je prenne la lanire. Je mepenchai pour la renifler et il me tapa sur lpaule. Ne fais pasa !

    Ma lvre se retroussa, mais je ne grondai pas. Gronder lemettait trs en colre. Je restai un moment les lanires dans lesmains. Puis jeus limpression que mes doigts se souvenaientavant mon esprit et je les regardai travailler le cuir. Quand jeusfini, je lui montrai la lanire et tirai dessus, fort, pour lui

    prouver quelle tiendrait mme si le cheval rejetait la tte enarrire. Mais il ny a plus de chevaux , fis-je tout haut ; jevenais de me le rappeler. Tous les chevaux sont partis.

    Frre ?Jarrive. Je me levai, me dirigeai vers la porte. Reviens tasseoir , dit Cur de la Meute.il-de-Nuit mattend, rpondis-je. Puis il me revint quil

    ne pouvait pas mentendre. Je len pensais capable sil voulait

    sen donner la peine mais il ne voulait pas. Je savais que si jemadressais lui ainsi, il me pousserait ; il ne me laissait gure

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    parler il-de-Nuit de cette faon. Il poussait mme il-de-Nuit quand le loup me parlait trop. Ctait trs trange. il-de-Nuit mattend, lui dis-je avec ma bouche.

    Je sais.

    Cest le bon moment pour chasser.Il est encore meilleur pour rester ici. Jai manger.il-de-Nuit et moi pourrions trouver de la viande

    frache. Jen salivais davance : un lapin ventr, encorefumant dans la nuit dhiver. Voil ce qui me faisait envie.

    il-de-Nuit devra chasser seul cette nuit , rponditCur de la Meute. Il sapprocha de la fentre et entrouvrit lesvolets. Un courant dair glac entra. Je sentis lodeur dil-de-

    Nuit et, plus loin, celle dun chat des neiges. il-de-Nuit gmit. Va-ten, lui dit Cur de la Meute. Allons, va chasser, va tenourrir. Je nai pas assez manger pour toi.

    il-de-Nuit scarta de la lumire qui tombait de lafentre. Mais il nalla pas trop loin. Il mattendait, mais je savaisquil ne pourrait pas attendre longtemps. Comme moi, il avaitfaim.

    Cur de la Meute se rendit auprs du feu qui rendait la

    pice trop chaude. Une marmite tait pose ct ; il la tira verslui avec le tisonnier et ta le couvercle. De la vapeur s leva,accompagne dodeurs : grains de bl, racines et un tout petitparfum de viande, presque effac par la cuisson. J avais si faimque je reniflai pour mieux le percevoir. Je commenai gmir,mais Cur de la Meute me fit nouveau son grondement dil.Je retournai sur la chaise dure et jattendis.

    Il lui fallut trs longtemps. Il enleva toutes les lanires de la

    table et les pendit un crochet. Puis il rangea le pot de graisse.Puis il apporta la marmite bouillante sur la table. Puis il sortitdeux bols et deux gobelets. Il versa de leau dans les gobelets. Ilsortit un couteau et deux cuillers. Dans le buffet, il prit du painet un petit pot de confiture. Il remplit de ragot le bol posdevant moi, mais je savais que je navais pas le droit dy toucher.Je ne devais pas manger tant quil navait pas coup le pain pourmen donner un morceau. Javais le droit de tenir le pain, mais

    pas de le manger tant quil ntait pas assis, avec son assiette,son ragot et son pain.

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    Prends ta cuiller , me rappela-t-il, puis il sassitlentement sur sa chaise juste ct de moi. Le pain et la cuiller la main, jattendis et jattendis encore. Je ne le quittais pas desyeux mais je ne pouvais mempcher de mcher dans le vide.

    Cela le mit en colre. Je refermai la bouche. Enfin : Nousallons manger , dit-il.

    Mais lattente ntait pas termine. Javais le droit deprendre une bouche la fois. Je devais la mcher et lavaleravant den prendre une autre, sans quoi il me donnait unetaloche. Je ne pouvais prendre de ragot que ce que contenait lacuiller. Je saisis le gobelet et bus. Il me sourit. Bien, Fitz. Cestbien.

    Je lui rendis son sourire, mais je mordis alors troplargement dans le pain et il frona les sourcils. Je m efforai demcher lentement, mais javais trop faim maintenant et lanourriture tait l et je ne comprenais pas pourquoi ilmempchait de manger. Il me fallut longtemps pour terminer.Il avait fait exprs de servir le ragot trop chaud, pour que je mebrle la langue si je prenais de trop grosses bouches. Jeruminai un moment cette ide. Puis : Tu as fait exprs de

    servir la nourriture trop chaude. Pour que je me brle si jemange trop vite. Un sourire apparut lentement sur son visage. Il hocha la

    tte.Je finis quand mme de manger avant lui. Je dus rester sur

    ma chaise en attendant quil ait termin lui aussi. Alors, Fitz, dit-il enfin. La journe na pas t trop

    mauvaise, hein, mon garon ?

    Je le regardai. Rponds quelque chose, fit-il.Quoi ? demandai-je.Nimporte quoi.Nimporte quoi. Il frona les sourcils et jeus envie de gronder, parce que

    javais fait ce quil mavait dit de faire. Au bout dun moment, ilse leva et alla chercher une bouteille. Il versa quelque chose

    dans son gobelet, puis il me tendit la bouteille. Tu en veux ? Je me reculai. Rien que lodeur me piquait le nez.

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    Rponds.Non. Non, cest de la mauvaise eau.Non : cest de la mauvaise eau-de-vie. De leau-de-vie de

    mre qui ne vaut rien. Je dtestais a, mais toi tu aimais bien.

    Je soufflai par le nez pour me dbarrasser de l odeur.Nous navons jamais aim a.

    Il posa la bouteille et le gobelet sur la table, se leva et allaouvrir la fentre. Va chasser, jai dit ! Je sentis il-de-Nuitfaire un bond, puis senfuir. il-de-Nuit a peur de Cur de laMeute autant que moi. Une fois, jai attaqu Cur de la Meute.Jtais rest longtemps malade, mais jallais mieux. Je voulaissortir chasser et il refusait. Il tait devant la porte et jai saut

    sur lui. Il ma frapp avec son poing, puis il ma tenu couch parterre. Il nest pas plus grand que moi, mais il est plus mchant etplus rus. Il connat beaucoup de faons dempcher de bougeret la plupart font mal. Il ma longtemps tenu par terre, sur ledos, la gorge dcouverte, offerte ses crocs. Chaque fois que jeremuais, il me tapait. il-de-Nuit a grond dehors, mais pastrop prs de la porte, et il na pas essay dentrer. Quand jaigmi pour demander grce, il ma encore tap. Tais-toi ! a-t-

    il dit. Quand je me suis tu, il a repris : Tu es jeune. Je suis plusvieux et jen sais plus que toi. Je me bats mieux que toi, jechasse mieux que toi. Je suis au-dessus de toi. Tu feras tout ceque je voudrai. Tu feras tout ce que je te dirai. Tu as compris ?

    Oui, lui ai-je rpondu. Oui, oui, cest lesprit de la meute, jecomprends, je comprends. Mais il ma encore tap et il acontinu me tenir, la gorge offerte, jusqu ce que je lui diseavec ma bouche : Oui, je comprends.

    Revenu la table, Cur de la Meute versa de leau-de-viedans mon gobelet. Il le posa devant moi, l o j tais oblig desentir lodeur. Je reniflai.

    Essaye, fit-il. Rien quun peu. Tu aimais a, avant ; tu enbuvais en ville, quand tu tais plus jeune et que tu ne devais pasentrer sans moi dans les tavernes. Ensuite, tu mchais de lamenthe en croyant que je ne remarquerais rien.

    Je secouai la tte. Je naurais pas fait ce que tu mavais

    interdit. Jai compris.

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    Il fit le bruit qui ressemble ternuer et strangler. Oh,tu faisais trs souvent ce que je tavais interdit de faire ! Trssouvent.

    Je secouai encore la tte. Je ne men souviens pas.

    Pas encore. Mais a viendra. Du doigt, il dsigna mongobelet. Vas-y, gote. Juste un peu. a te fera peut-tre dubien.

    Et parce quil lavait ordonn, je gotai. Leau me piqua labouche et le nez, et je narrivai pas me dbarrasser du got ensoufflant par le nez. Je renversai ce qui restait dans le gobelet.

    Eh bien ! Patience serait contente. Il najouta rien. Il mefit prendre un chiffon pour essuyer ce que javais renvers ; puis

    il me fit faire la vaisselle dans leau et je dus la scher, en plus.

    *

    Parfois je me mettais trembler et je tombais sans raison.Cur de la Meute essayait de mempcher de bouger. Parfois lestremblements me faisaient mendormir. Quand je me rveillais,javais mal. Javais mal la poitrine, mal au dos. Parfois je me

    mordais la langue. Je naimais pas ces moments-l. Ils faisaientpeur il-de-Nuit.Et parfois il y avait quelquun dautre avec il-de-Nuit et

    moi, quelquun qui pensait avec nous. Il tait trs petit mais iltait l. Je ne voulais pas quil soit l. Je ne voulais personne,plus jamais, personne dautre quil-de-Nuit et moi. Il le savaitet il se faisait si petit que la plupart du temps il ntait pas l.

    *Plus tard, un homme vint. Un homme vient , dis-je Cur de la Meute. Il faisait

    sombre et le feu baissait. Le bon moment tait pass pour lachasse. La nuit tait l. Bientt elle nous ferait dormir.

    Sans rpondre, il se leva vivement mais sans bruit et prit legrand couteau qui tait toujours sur la table. Il me fit signe de

    me mettre dans le coin, hors de son chemin. Il sapprochadoucement de la porte et tendit loreille. Dehors, jentendais

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    lhomme marcher dans la neige. Puis je sentis son odeur. C estle gris, dis-je. Umbre.

    Alors il ouvrit trs vite la porte et le gris entra. Les odeursqui laccompagnaient me firent ternuer. Il sentait toujours la

    poudre de feuilles sches et plusieurs sortes de fumes. Il taitmaigre et vieux, mais Cur de la Meute se conduisait toujourscomme sil tait plus haut dans la meute. Cur de la Meuteajouta du bois sur le feu. La pice devint plus lumineuse et pluschaude. Le gris repoussa son capuchon en arrire. Il me regardaun moment avec ses yeux clairs, comme sil attendait quelquechose ; ensuite, il parla Cur de la Meute.

    Comment est-il ? Mieux ?

    Cur de la Meute fit bouger ses paules. Quand il vous asenti, il a prononc votre nom. Il n a pas eu de crise de lasemaine, et, il y a trois jours, il ma rpar un harnais ; ctait dubon travail.

    Il ne cherche plus mcher le cuir ?Non. Du moins quand je le regarde. Et puis cest un

    ouvrage quil connat par cur; a rveillera peut-tre quelquechose en lui. Il eut un rire bref. Si on n arrive rien, on peut

    toujours vendre le harnais. Le gris sapprocha du feu et tendit les mains vers lesflammes. Elles taient taches. Cur de la Meute sortit sabouteille deau-de-vie. Ils burent dans des gobelets. Il mendonna un avec un fond deau-de-vie, mais il ne me fora pas legoter. Ils parlrent longtemps, longtemps, de choses quinavaient rien voir avec manger, dormir ni chasser. Le grisavait appris quelque chose propos dune femme. Elle pouvait

    tre trs importante, devenir un point de ralliement pour lesduchs. Cur de la Meute dit: Je ne veux pas en parler devantFitz. Jen ai fait la promesse. Le gris lui demanda s il pensaitque je comprenais, et Cur de la Meute rpondit que cela nechangeait rien, quil avait donn sa parole. Javais envie de mecoucher, mais ils mobligrent rester sans bouger sur unechaise. Quand le vieux dut partir, Cur de la Meute dit: Cesttrs dangereux de venir ici pour vous ; la route est longue. Vous

    arriverez rentrer ?

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    Le gris sourit. Jai mes mthodes, Burrich. Je sourisaussi en me rappelant quil avait toujours t fier de ses secrets.

    *

    Un jour, Cur de la Meute sortit en me laissant seul. Il nemattacha pas. Il dit seulement : Tu as des flocons davoineici ; si tu veux manger pendant mon absence, il faudra que tu terappelles comment les faire cuire. Si tu sors par la porte ou lafentre, ou mme si tu ouvres la porte ou la fentre, je le sauraiet je te battrai mort. Tu as compris ?

    Oui , rpondis-je. Il avait lair trs en colre contre moi

    mais je ne me rappelais pas avoir fait quelque chose quilmavait interdit. Il ouvrit une bote et y prit des choses. Surtoutdes bouts de mtal ronds. Des pices. Je me souvenais dunautre objet : il tait brillant et recourb comme une lime, et ilsentait le sang quand je lavais eu. Je mtais battu pour lavoir.Je ne me rappelais pas en avoir eu envie mais je mtais battu etjavais gagn. Je nen voulais plus. Il le tint par la chane pourlobserver, puis le mit dans une poche. Cela mtait gal quil

    lemporte.Je commenai avoir trs faim avant son retour. Quand ilarriva, il y avait une odeur sur lui. Lodeur dune femelle. Pasforte, et mlange celles dune prairie. Mais ctait une bonneodeur et elle me donna envie de quelque chose qui ntait pas boire ni manger ni chasser. Je mapprochai de lui pour lerenifler mais il ne sen aperut pas. Il prpara le gruau et nousmangemes ; puis il sassit devant le feu avec lair trs triste. Je

    me levai et allai chercher la bouteille deau-de-vie. Je la luiapportai avec un gobelet. Il prit la bouteille et la timbale mais nesourit pas. Demain, je tapprendrai peut-tre rapporter, medit-il. a, tu arriveras peut-tre le faire convenablement. Puis il but toute leau-de-vie de la bouteille et en ouvrit uneautre aprs. Je le regardai. Quand il sassoupit, je pris sonmanteau avec lodeur. Je ltendis par terre, me couchai dessuset mendormis en le flairant.

    Je fis un rve mais il navait pas de sens. Il y avait unefemelle qui sentait comme le manteau de Burrich et je ne

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    voulais pas quelle sen aille. Ctait ma femelle mais, quand ellepartit, je ne la suivis pas.

    Cest tout ce que je me rappelais. Se souvenir, ce n tait pasbon, comme avoir faim ou soif ntait pas bon.

    *

    Il mobligeait rester enferm. Il mobligeait depuislongtemps rester enferm alors que je ne demandais qusortir. Mais cette fois il pleuvait, trs fort, si fort que la neigetait presque toute fondue. Soudain, je trouvai agrable de nepas sortir. Burrich , dis-je, et il se tourna brusquement vers

    moi. Je crus quil allait attaquer tant il avait t vite. Jessayai dene pas reculer. Cela le mettait en colre, quelquefois.

    Quy a-t-il, Fitz ? demanda-t-il, et sa voix tait douce.Jai faim, dis-je. Maintenant. Il me donna un gros morceau de viande. Elle tait cuite

    mais ctait un gros morceau. Je le mangeai trop vite et il meregarda, mais il ne mempcha pas et il ne me tapa pas. Pas cettefois.

    *

    Je ne cessais de me gratter le visage la barbe ; pour finir,jallai me planter devant Burrich et je me grattai. Je naimepas a , lui dis-je. Il eut lair surpris, mais il me donna de leautrs chaude, du savon et un couteau trs coupant. Il me donnaun morceau de verre rond avec un homme dedans. Je le

    regardai un long moment. Il me faisait frissonner. Ses yeuxtaient comme ceux de Burrich, avec du blanc autour, maisencore plus sombres. Ce ntaient pas des yeux de loup. Safourrure tait aussi noire que celle de Burrich mais les poils deses joues poussaient par plaques rches. Je touchai ma barbe etvis des doigts sur le visage de lhomme. Ctait trange.

    Rase-toi, mais fais attention , fit Burrich.Jarrivai presque me rappeler comment on sy prenait.

    Lodeur du savon, leau brlante sur ma figure ; mais la lameaiguise, aiguise, ne cessait de me couper. De petites coupures

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    qui piquaient. Aprs, jobservai lhomme de la vitre ronde. Fitz,pensai-je. Il ressemblait presque Fitz. Je saignais. Je saignede partout , dis-je Burrich.

    Il rit. Tu saignes toujours quand tu tes ras. Tu veux

    toujours aller trop vite. Il prit la lame aiguise, aiguise. Assieds-toi et ne bouge plus. Tu as oubli quelques poils.

    Je restai trs immobile et il ne me coupa pas. Ctait dur dene pas bouger alors quil sapprochait tellement et me regardaitde si prs. Quand il eut fini, il me souleva le menton et medvisagea. Il me dvisagea longuement. Fitz ? fit-il. Il tournala tte et me sourit, mais son sourire disparut quand il vit que jene le lui rendais pas. Il me donna une brosse.

    Il ny a pas de chevaux brosser , dis-je.Il parut presque content. Brosse-toi a , et il mbouriffa

    les cheveux. Il mobligea les brosser jusqu ce quils soienttout plats. Des endroits de ma tte me faisaient mal. Burrichfrona les sourcils en me voyant faire la grimace. Il me prit labrosse des mains, me dit de ne pas bouger et regarda ma tte. Salaud ! cracha-t-il durement et, me voyant broncher, ilajouta : Non, pas toi. Il secoua lentement la tte et me tapota

    lpaule. La douleur va passer avec le temps. Il me montracomment tirer mes cheveux en arrire et les attacher avec unelanire. Ils taient juste assez longs. Cest mieux, dit-il. Tureprends figure humaine.

    *

    Je mveillai dun rve, tout agit et tout gmissant. Je me

    redressai et me mis pleurer. Il quitta son lit pour s approcher. Quy a-t-il, Fitz ? Quest-ce qui ne va pas ?Il ma enlev ma mre ! dis-je. Il ma emport ! Jtais

    beaucoup trop jeune pour rester sans elle ! Je sais, je sais. Mais ctait il y a longtemps. Tu es ici,

    maintenant, et tu ne risques rien. Il avait lair presque effray. Il a enfum la tanire, continuai-je. Il a pris la peau de

    ma mre et de mes frres.

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    Son visage changea et sa voix ntait plus gentille. Non,Fitz ; a, ce ntait pas ta mre. Cest un rve de loup, le rvedil-de-Nuit. a lui est peut-tre arriv, mais pas toi.

    Si, a mest arriv, rpondis-je et je fus soudain en

    colre. Si, a mest arriv, et jai eu aussi mal. Aussi mal ! Jeme levai et marchai en rond dans la pice. Je marchai trslongtemps jusqu ce que je ne sente plus ce que je sentais. Ilresta assis me regarder. Il but beaucoup deau-de-vie pendantque je marchais.

    Un jour de printemps, je regardais par la fentre. Le mondesentait bon le vivant et le nouveau. Je mtirai, puis fis roulermes paules. Jentendis mes os craquer. Ce serait une belle

    matine pour monter cheval , dis-je. Je me tournai versBurrich. Il touillait du gruau dans une bouilloire suspendue au-dessus du feu. Il vint ct de moi.

    Cest encore lhiver dans les Montagnes, dit-ildoucement. Jaimerais savoir si Kettricken est bien arrive chezelle.

    Sinon, ce nest pas la faute de Suie , rpondis-je.Soudain, quelque chose bascula et me fit mal au-dedans de moi,

    si bien que je restai un instant le souffle coup. Je mefforaidanalyser la douleur, mais elle senfuit. Je navais pas envie dela rattraper, pourtant il faudrait que je la pourchasse, je lesavais. Ce serait comme chasser un ours : quand je serais sur sestalons, elle mattaquerait et tenterait de me faire du mal. Mais ily avait quelque chose en elle qui me poussait la suivre. Je prisune profonde inspiration que je relchai en tremblant ; jen prisune autre, la gorge serre.

    A ct de moi, Burrich ne bougeait pas, ne disait rien. Ilmattendait.il-de-Nuit me lana un avertissement pressant : Frre, tu

    es un loup. Reviens, sauve-toi, a va te faire du mal.Je mcartai brusquement de lui.Et Burrich se mit faire des bonds dans la pice en

    injuriant les objets et il laissa le gruau attacher. Il fallut quandmme le manger parce quil ny avait rien dautre.

    *

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    Pendant quelque temps, Burrich ne me laissa aucun rpit. Tu te souviens ? rptait-il sans cesse ; il me citait des nomset me demandait de retrouver qui ils appartenaient. Parfois,

    cela me revenait un peu. Une femme, rpondis-je au nom dePatience. Une femme dans une pice pleine de plantes. Javaisfait de mon mieux, mais cela ne lempcha pas dtre en colre.

    Quand je dormais la nuit, je faisais des rves o je voyaisune lumire trembler, danser sur un mur de pierre et des yeux une petite fentre. Les rves me ptrifiaient et me bloquaientle souffle. Si jarrivais reprendre assez de respiration pourcrier, je parvenais me rveiller. Parfois, il me fallait longtemps

    pour inspirer suffisamment ; Burrich se rveillait lui aussi et ilse saisissait du grand couteau pos sur la table. Quy a-t-il ?Quy a-t-il ? me demandait-il, mais jtais incapable de luiraconter.

    Mieux valait dormir la journe, dehors, dans l odeur delherbe et de la terre. Les rves de murs ne me venaient pas,alors ; je voyais une femme qui se pressait doucement contremoi, son parfum tait celui des fleurs des prairies et sa bouche

    avait le got du miel. Ces rves-l me faisaient mal au rveil,quand je me rendais compte quelle tait partie pour toujours,emmene par un autre. La nuit, je masseyais pour contemplerle feu et jessayais de ne pas penser des murs de pierre glacs, des yeux sombres pleins de larmes ni une douce boucheemplie de mots amers. Je ne dormais pas. Je n osais mme pasmallonger, et Burrich ne my forait pas.

    *Umbre revint un jour. Il avait la barbe longue et il portait

    un chapeau larges bords comme un colporteur, pourtant je lereconnus quand mme. Burrich ntait pas l mais je le laissaientrer. Je ne savais pas pourquoi il venait. Voulez-vous deleau-de-vie ? demandai-je, en songeant que ctait peut-trepour cela quil tait venu. Il mobserva et sourit presque.

    Fitz ? dit-il. Il tourna la tte pour me regarder de face. Eh bien, comment vas-tu ?

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    Comme je ne connaissais pas la rponse cette question, jelui rendis simplement son regard. Au bout dun moment, il mitla bouilloire chauffer. Il sortit des objets de son sac. Il avaitapport de la tisane pice, du fromage et du poisson fum. Il en

    tira aussi des paquets dherbes et les posa en rang sur la table.Puis il prit une poche en cuir. Dedans, il y avait un gros cristaljaune qui lui remplissait toute la paume. Au fond de son sac setrouvait un grand bol peu profond, enduit de vernis bleu lintrieur. Il lavait plac sur la table et rempli deau quandBurrich revint. Il tait all pcher. Il avait un fil auquel taientaccrochs six poissons. Ctaient des poissons de rivire, pas demer. Ils taient glissants et brillants. Il avait dj enlev les

    viscres. Vous le laissez, seul prsent ? demanda Umbre quand

    ils se furent salus.Bien oblig, pour chercher manger.Vous lui faites donc confiance ? Burrich dtourna le visage. Jai dress beaucoup

    danimaux : apprendre une bte faire ce quon lui ordonne,ce nest pas la mme chose que faire confiance un homme.

    Burrich fit cuire le poisson la pole et nous mangemes ;il y eut aussi du fromage et de la tisane. Puis, tandis que jefaisais la vaisselle, ils sinstallrent pour parler.

    Je voudrais essayer les herbes, dit Umbre Burrich ;sinon, leau ou le cristal, quelque chose, enfin. Nimporte quoi.Je commence croire quil nest pas vraiment... l.

    Si, rpliqua tranquillement Burrich. Il faut lui laisser letemps. Je ne pense pas que les herbes lui fassent du bien : avant

    de... de changer, il aimait un peu trop a ; vers la fin, il taittoujours malade ou dbordant dnergie. Sil ntait pas plongdans un abme de chagrin, il tait puis davoir combattu oudavoir donn sa force Vrit ou Subtil, et alors il prenait delcorce elfique au lieu de se reposer. Il avait oubli commentlaisser son corps se remettre tout seul ; il navait pas la patience.La dernire nuit... vous lui avez donn de la graine de caris,nest-ce pas ? Gantele ma dit navoir jamais rien vu de pareil ;

    mon avis, davantage de gens se seraient ports son secourssils navaient pas eu si peur de lui. Le pauvre Lame a cru quil

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    tait devenu compltement fou ; il ne sest jamais pardonn delavoir ceintur ; ah, si seulement il pouvait savoir que le petitnest pas mort...

    Je navais pas le temps de faire le difficile : jai pris ce

    que javais sous la main. Jignorais que la graine de caris lerendrait fou furieux.

    Vous auriez pu refuser de lui en donner, fit Burrich mi-voix.

    Cela naurait rien chang : il aurait fait ce quil a fait,mais puis, et il se serait fait tuer aussitt.

    Jallai masseoir sur la pierre dtre. Burrich ne meregardait pas : je me couchai sur le ct, puis roulai sur le dos et

    mtirai. Ctait bon. Je fermai les yeux et savourai la chaleur dufeu sur mon flanc.

    Lve-toi et assieds-toi sur le tabouret, Fitz , dit Burrich.Je soupirai mais jobis. Umbre ne me jeta pas un coup

    dil. Burrich se remit parler. Je prfre lui viter les chocs ; il a besoin de temps pour

    sen sortir seul, cest tout. Des souvenirs lui reviennent parfois,mais il les repousse ; je crois quil na pas envie de retrouver la

    mmoire, Umbre. Il na pas envie de redevenir FitzChevalerie ;peut-tre a-t-il trop apprci dtre un loup et ne reviendra-t-iljamais.

    Il faut quil revienne murmura Umbre. Nous avonsbesoin de lui.

    Burrich se redressa ; il posa par terre ses pieds jusque-lappuys sur la rserve de bois et se pencha vers Umbre. Vousavez reu des nouvelles ?

    Pas moi, mais Patience, je pense. Il est trs frustrantparfois de jouer les rats derrire les murs.Eh bien, quavez-vous entendu ?Seulement Patience et Brodette qui parlaient de laine.Et en quoi est-ce important ? Il leur fallait de la laine pour tisser un linge trs doux

    destin un nourrisson ou un petit enfant. Il va natre la finde nos moissons, mais ce sera le dbut de l hiver dans les

    Montagnes ; mieux vaut le faire pais , a dit Patience. Ilsagissait peut-tre de lenfant de Kettricken.

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    Burrich parut surpris. Patience est au courant pourKettricken ?

    Umbre clata de rite. Je lignore ! Qui sait de quoi cettefemme est au courant ? Elle a beaucoup chang, ces temps

    derniers ; elle est en train de circonvenir la garde de Castelcerfet le seigneur Brillant ny voit que du feu. Je songe prsent quenous aurions d linformer de notre plan, ly faire participerdepuis le dbut. Mais je me trompe peut-tre.

    a maurait peut-tre facilit la tche. Le regard deBurrich tait perdu dans la contemplation des flammes.

    Umbre secoua la tte. Je regrette ; elle devait croire quevous aviez abandonn Fitz, que vous le rejetiez cause du Vif. Si

    vous aviez cherch rcuprer son corps, Royal aurait puconcevoir des soupons ; il fallait le persuader que Patience taitla seule sintresser assez Fitz pour vouloir linhumer.

    Elle me hait, maintenant. Elle ma dit que je navais nifidlit ni courage. Burrich observa ses mains et sa voix sedurcit. Je savais quelle avait cess de maimer il y a desannes, quand elle a donn son cur Chevalerie. a, jepouvais laccepter : ctait un homme digne delle ; et cest moi

    qui lavais quitte : je pouvais supporter quelle ne maime plusparce quelle me respectait en tant quhomme. Mais aujourdhuielle me mprise. Je... Il hocha la tte, puis ferma les yeux. Uninstant, rien ne bougea, puis Burrich se redressa lentement, setourna vers Umbre et demanda dun ton calme : Pour vous,donc, Patience sait que Kettricken sest sauve au royaume desMontagnes ?

    Je nen serais pas tonn. Il ny a pas eu dannonce

    officielle, naturellement ; Royal a dpch des messages au roiEyod en demandant savoir si Kettricken sy tait rfugie,mais Eyod sest content de rpondre quelle tait reine des Six-Duchs et que ses actes ne regardaient pas les Montagnes. Royalen a t si vex quil a rompu tout commerce avec le royaumedEyod. Mais Patience semble trs au courant de ce qui se passeen dehors du Chteau ; peut-tre est-elle informe desvnements au royaume des Montagnes. Pour ma part,

    jaimerais beaucoup quon mexplique comment elle compte yfaire parvenir la couverture : la route est longue et dure.

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    Burrich resta longtemps sans mot dire. Puis : Jaurais dtrouver un moyen pour accompagner Kettricken et le fou, maisil ny avait que deux chevaux et des vivres pour deux : je navaispas russi men procurer davantage. Et ils sont partis seuls.

    Il observa le feu dun air furieux. Jimagine quon na pas denouvelles du roi-servant Vrit ?

    Umbre secoua lentement la tte. Le roi Vrit, fit-il mi-voix, reprenant Burrich. Sil tait ici. Son regard se fit lointain. Sil avait rebrouss chemin, il serait dj ici, murmura-t-il.Encore quelques journes clmentes comme aujourdhui et il yaura des Pirates rouges dans toutes les baies de la cte. Je penseque Vrit ne reviendra pas.

    Alors Royal est roi pour de bon, dit Burrich dun tonamer. En tout cas, jusqu ce que lenfant de Kettricken soit enge daccder au trne ; et ce moment-l on peut sattendre une guerre civile sil rclame la couronne et sil reste encoreun royaume des Six-Duchs gouverner. Vrit... je regrette prsent quil se soit lanc la recherche des Anciens ; au moins,tant quil tait vivant, nous tions un peu protgs des Pirates ;maintenant quil nest plus l et que le printemps sinstalle, il ny

    a plus dobstacle entre eux et nous... Vrit... Le froid me fit frissonner. Je le repoussai. Il revint,je le repoussai et le tins lcart. Au bout dun moment, je prisune grande inspiration.

    Rien que leau, alors ? demanda Umbre Burrich ; jecompris quils avaient continu parler mais que je navais pascout.

    Burrich haussa les paules. Allez-y. Quel mal cela peut-il

    faire ? Savait-il dchiffrer leau, avant ?Je ne lui ai jamais demand dessayer, mais jai toujourseu le sentiment quil y arriverait. Il a le Vif et lArt ; pourquoi nesaurait-il pas aussi lire leau ?

    Ce nest pas parce quon peut faire quelque chose quondoit le faire.

    Ils restrent un moment sentre-regarder, puis Umbrehaussa les paules. Peut-tre ma profession ne mautorise-t-

    elle pas autant de scrupules que la vtre , fit-il dun ton guind.

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    Burrich ne rpondit pas tout de suite ; enfin, bourru : Pardon, messire. Nous avons tous servi notre roi selon nospossibilits.

    Umbre acquiesa de la tte et sourit.

    Il dbarrassa la table de tous les objets sauf du bol deau etdune bougie. Viens ici , me dit-il dune voix douce, et jemapprochai. Il me fit asseoir sur une chaise et plaa le boldevant moi. Regarde dans leau et dis-moi ce que tu vois.

    Je voyais leau du bol ; je voyais le fond bleu du bol. Aucunede ces rponse ne le satisfit ; il me rpta de regarder encoremais je voyais toujours les mmes choses. Il dplaa la bougie plusieurs reprises en me demandant de regarder chaque fois.

    Pour finir, il dit Burrich : Eh bien, au moins il rpond quandon lui parle, maintenant.

    Burrich hocha la tte mais il avait lair dcourag. Oui.Avec le temps, peut-tre...

    Je compris quils en avaient termin avec moi et je medtendis.

    Umbre voulut savoir sil pouvait passer la nuit chez nous.Naturellement, rpondit Burrich avant daller chercher leau-de-

    vie. Il servit deux gobelets ; Umbre attira mon tabouret prs dela table et sassit. Ils se remirent bavarder sans plus soccuperde moi.

    Et moi, alors ? demandai-je enfin.Ils sinterrompirent et se tournrent vers moi. Quoi, toi ?

    fit Burrich.Je ne peux pas avoir deau-de-vie ? Ils me dvisagrent et Burrich senquit dun ton

    circonspect : Tu en veux ? Je croyais que tu naimais pas a.Non, je naime pas a. Je nai jamais aim a. Jerflchis. Mais a ne cotait pas cher.

    Burrich carquilla les yeux ; Umbre eut un petit sourire, lesyeux baisss sur ses mains. Puis, Burrich alla chercher un autregobelet et y versa de leau-de-vie. Ils restrent un moment mobserver mais je ne fis rien, et ils reprirent finalement leurdiscussion. Je pris une gorge deau-de-vie : le liquide me

    piquait toujours la bouche et le nez mais il dclenchait unechaleur au-dedans de moi. Je nen voulais plus ; puis je songeai

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    que si et je bus encore. Ctait toujours aussi dsagrable,comme un mdicament que Patience mobligeait boire quandje toussais. Non. Je chassai cette pense aussi, et je posai legobelet.

    Burrich ne me regarda pas ; il continuait parler Umbre. Quand on chasse un cerf, on peut souvent sen approcher biendavantage simplement en faisant semblant de ne pas le voir ; ilreste o il est vous surveiller, sans bouger un sabot tant quevous ne le regardez pas dans les yeux. Il saisit la bouteille etme resservit. Lodeur me ft froncer le nez. Il me semblait sentirquelque chose bouger, une pense dans ma tte. Je tendis monesprit vers mon loup.

    il-de-Nuit ?Mon frre ? Je dors, Changeur. Il nest pas encore temps

    de chasser.Burrich me foudroya du regard et je cessai.Je navais pas envie de reprendre de leau-de-vie, je le

    savais, mais quelquun dautre my incitait ; quelquun mepressait de saisir mon gobelet et de le tenir dans ma main. Je fistournoyer le liquide dans la timbale. Vrit faisait ainsi avec son

    vin tout en le regardant ; je regardai dans le gobelet sombre.Fitz.Je reposai le rcipient, me levai et me mis marcher en

    rond dans la pice. Jaurais voulu sortir mais Burrich ne melaissait jamais aller dehors seul, surtout pas la nuit ; aussi fis-jeplusieurs fois le tour de la pice avant de me rasseoir sur machaise. Le gobelet deau-de-vie se trouvait toujours ma place.Au bout dun moment, je le repris, rien que pour chasser lenvie

    de le reprendre ; mais une fois que je leus dans ma main,lintrus me fit changer denvie : il me fit penser le boire, labonne chaleur du liquide dans mon ventre. Il me suffisait delavaler dun trait et le got ne durerait pas, rien que la chaleur,agrable dans mon ventre.

    Je savais ce quil cherchait faire. Je commenais mesentir en colre.

    Encore une petite gorge, alors, cest tout. Murmure.Pour

    taider te dtendre, Fitz. Le feu est bien chaud, tu as bienmang ; Burrich te protgera et Umbre est l aussi : inutile de

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    rester ainsi sur tes gardes. Rien qu une gorge encore, uneseule.

    Non.Une toute petite gorge, alors, pour thumecter la bouche.

    Jobis pour le faire cesser de me donner envie, mais il necessa pas et je pris une autre gorge. Je memplis la bouche etjavalai. Il devenait de plus en plus dur de rsister ; il musait et Burrich remplissait toujours mon gobelet.

    Fitz, dis : Vrit est vivant. Cest tout. Rien que a.Non.Leau-de-vie ne te fait-elle pas du bien ? Elle te fait chaud

    au ventre. Reprends-en un peu.

    Je sais ce que vous cherchez ; vous cherchez m enivrerpour que je ne puisse plus vous empcher dentrer. Je ne vouslaisserai pas faire. Javais le visage mouill.

    Burrich et Umbre mobservaient. Il na jamais eu le vintriste, fit Burrich. Du moins avec moi. Ils paraissaient trouverla scne trs intressante.

    Dis-le ; dis : Vrit est vivant. Ensuite, je ne tedrangerai plus, je te le promets. Dis-le rien quune fois, mme

    en chuchotant. Dis-le ; dis-le.Je baissai les yeux sur la table. Puis, voix trs basse : Vrit est vivant.

    Ah ? fit Burrich. Il avait pris un ton trop dtach et il sepencha trop vite pour remplir mon gobelet. La bouteille taitvide : il transvasa sa timbale dans la mienne.

    Et soudain jeus envie de boire et, cette fois, cette envietait la mienne. Je pris le gobelet et le bus d un trait, puis je me

    levai. Vrit est vivant, rptai-je. Il a froid mais il est vivant.Et cest tout ce que jai dire. Je me dirigeai vers la porte,dfis le verrou et sortis dans la nuit. Burrich ne chercha pas marrter.

    *

    Burrich avait raison : tout tait l, comme un air trop

    souvent entendu et dont on ne peut plus se dbarrasser. Ctaitsous-jacent toutes mes penses et cela teintait tous mes rves ;

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    cela revenait sans cesse et ne me laissait pas le moindre rpit. Leprintemps se changea en t ; danciens souvenirscommencrent recouvrir les nouveaux, mes viescommencrent se recoudre entre elles ; il restait des trous et

    des faux plis, mais il me devenait de plus en plus difficile derefuser de savoir ce que je savais ; chaque nom retrouvait unsens et un visage : Patience, Brodette, Clrit, Suie ntaientplus de simples mots mais rsonnaient dsormais des richesharmoniques du souvenir et de lmotion. Molly , dis-je unjour tout haut ; Burrich leva soudain le regard et faillit lcher lecollet en boyau finement tress quil fabriquait ; je lentendisprendre sa respiration comme sil sapprtait me parler ;

    pourtant, il garda le silence et attendit que je poursuive, mais jefermai les yeux, enfouis mon visage dans mes mains et pleuraimon inconscience disparue.

    Je passais beaucoup de temps devant la fentre contempler la prairie. Il ny avait rien de spcial observer,mais Burrich ne minterrompait pas et ne mobligeait pas excuter mes corves comme il let fait nagure. Un jour que jeregardais lherbe grasse, je lui demandai : Quallons-nous faire

    quand les bergers arriveront ici ? O irons-nous vivre ? Sers-toi de ta tte. Il avait fix une peau de lapin auplancher et la raclait pour en ter la chair et la graisse. Ils neviendront pas : il ny a plus de troupeaux mener en pturesdt ; le meilleur du cheptel est parti pour l Intrieur avecRoyal. Il a vid Castelcerf de tout ce quil pouvait emporter. Jete parie que les rares moutons rests Castelcerf ont fini labroche pendant lhiver.

    Srement. Soudain quelque chose pressa sur monesprit, quelque chose de plus terrible que tout ce que je savais etne voulais pas me rappeler : ctait tout ce que jignorais, toutesles questions demeures sans rponse. Je sortis me promenersur la prairie, puis jallai plus loin, au bord du ruisseau que jesuivis vers laval jusquau petit marais o poussaient lesmassettes ; je cueillis les pis verts pour les ajouter au gruau.Javais retrouv tous les noms des plantes ; sans le vouloir, je

    savais lesquelles pouvaient tuer un homme et comment les

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    prparer. Toute ma science tait l, prte menvahir, que jeveuille ou non.

    Quand je revins avec les pis, Burrich faisait cuire l avoine ;je dposai ma brasse sur la table et puisai une cuvette deau

    la barrique, puis, tout en triant les massettes avant de lesnettoyer, je lui demandai enfin : Que sest-il pass cette nuit-l ?

    Il se tourna trs lentement vers moi, comme si javais tune proie quun mouvement brusque risquait deffaroucher. Quelle nuit ?

    Celle o le roi Subtil et Kettricken devaient senfuir.Pourquoi les chevaux et la litire ntaient-ils pas prts ?

    Ah, celle-l ! Il poussa un soupir comme au souvenirdune vieille douleur, puis il se mit parler dune voix pose ; onet dit quil voulait viter de meffrayer. On nous surveillait,Fitz, depuis le dbut. Royal savait tout. Je naurais pas pu fairesortir un grain davoine des curies ce jour-l, alors troischevaux, une litire et un mulet... Il y avait des gardes de Baugepartout, qui faisaient semblant dtre descendus inspecter lesboxes vides, et je nai pas os aller te prvenir ; alors, pour finir,

    jai attendu que le banquet ait commenc, que Royal se soitcouronn et croie avoir gagn pour sortir en douce des curieset aller chercher les deux seuls chevaux disponibles : Suie etRousseau. Je les avais cachs chez le forgeron pour que Royalne puisse pas les vendre eux aussi. Pour tous vivres, jai pris ceque je trouvais dans la salle des gardes ; je ne voyais pas quefaire dautre.

    Et ce sont les seules provisions quont emportes la reine

    Kettricken et le fou. Leurs noms roulaient trangement sur malangue ; je navais pas envie de penser eux, de me les rappeler.La dernire fois que javais vu le fou, il maccusait en pleurantdavoir assassin son roi ; javais insist pour quil senfuie laplace du roi afin de sauver sa vie. Ce ntait pas le meilleursouvenir dadieu conserver dun ami.

    Oui. Burrich posa le faitout sur la table pour laisser legruau paissir. Umbre et le loup mont guid jusqu eux.

    Jaurais voulu les accompagner mais ctait impossible ; jenaurais fait que les ralentir. Ma jambe... Je savais que je ne

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    soutiendrais pas longtemps lallure des chevaux, et monter deux par ce temps aurait puis les btes. Jai d les laisserpartir sans moi. Il se tut un instant, puis, dune voixgrondante, plus grave que celle dun loup : Si jamais je

    dcouvre qui nous a vendus Royal...Cest moi. Il planta son regard dans le mien, lhorreur et lincrdulit

    peintes sur ses traits. Je baissai le nez ; mes mainscommenaient trembler.

    Jai t stupide. Cest ma faute. La petite servante de lareine, Romarin, toujours dans nos jambes... Elle devaitespionner pour le compte de Royal. Elle ma entendu dire la

    reine quil lui fallait se tenir prte, que le roi l accompagnerait,quelle devait se vtir chaudement. De l, Royal a d devinerquelle allait senfuir de Castelcerf, quelle aurait par consquentbesoin de chevaux. Et peut-tre ne sest-elle pas contentedespionner ; peut-tre a-t-elle port un panier de friandisesempoisonnes une vieille femme, peut-tre a-t-elle appliqude la graisse sur la marche dun escalier que sa reine devaitbientt emprunter.

    Avec un effort, je quittai les pis des yeux pour rencontrerle regard effar de Burrich. Et ce que Romarin na puapprendre, Justin et Sereine lont entendu : ils vampirisaient leroi, ils le saignaient de sa force dArt et ils interceptaient lamoindre pense quil changeait avec Vrit. Une fois quils ontsu que je prtais ma force au roi, ils se sont mis m espionnerpar lArt moi aussi. Jignorais que ctait possible, mais Galenavait trouv un moyen et lavait enseign ses lves. Tu te

    rappelles Guillot, le fils de Lad ? Le membre du clan ? Ctait lemeilleur dans cette discipline. Il pouvait faire croire sesvictimes quil ntait pas l, alors quil se tenait ct delles.

    Je secouai la tte en mefforant de me dbarrasser desterrifiants souvenirs que je gardais de lui et qui faisaientresurgir les ombres du cachot, tout ce que je renclais encore me rappeler. Je me demandais si je lavais tu ; je ne le pensaispas : il navait sans doute pas aval assez de poison. Je

    maperus que Burrich me regardait fixement.

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    Cette nuit-l, au dernier moment, le roi a refus de partir,repris-je mi-voix. Depuis si longtemps, je ne voyais que letratre en Royal et javais oubli que Subtil y verrait encore unfils. Quand Royal sest empar de la couronne de Vrit alors

    quil savait son frre vivant, le roi Subtil na plus voulu vivre,sachant Royal capable dun tel acte. Il ma demand de luiprter ma force pour artiser un adieu Vrit. Mais Sereine etJustin taient aux aguets. Je me tus et de nouvelles pices dupuzzle se mirent en place. Jaurais d me rendre compte quectait trop facile : personne pour garder le roi... Pourquoi ?Parce que Royal nen avait pas besoin ; Sereine et Justin taitcolls Subtil comme des sangsues. Royal en avait fini avec son

    pre : il stait couronn roi-servant et Subtil ne pouvait plus luitre daucune utilit ; ils ont donc saign le roi blanc, ils l onttu avant mme quil puisse dire adieu Vrit. Sans douteRoyal leur avait-il recommand de veiller ce quil nartise plusVrit. Alors jai tu Sereine et Justin ; je les ai tus de la mmefaon quils avaient assassin mon roi : sans leur laisserloccasion de se dfendre, sans la moindre piti.

    Calme-toi ; allons, calme-toi. Burrich sapprocha

    vivement de moi, me prit par les paules et me fit asseoir. Tutrembles comme si tu allais faire une crise. Calme-toi. Jtais incapable de parler. Cest ce quUmbre et moi narrivions pas dmler, me

    dit-il : qui nous avait trahis ? Nous avons pens tout le monde,mme au fou ; un moment, nous avons craint davoir remisKettricken entre les mains dun tratre.

    Comment avez-vous pu croire a ? Le fou aimait le roi

    Subtil plus que quiconque ! Nous ne voyions personne dautre qui connaissait nosplans, rpondit-il simplement.

    Ce nest pas le fou qui a provoqu notre perte : cestmoi. Cest cet instant, je pense, que je redevinscompltement moi-mme. Javais dit lindicible, exprim lavrit inexprimable : je les avais tous trahis. Le fou mavaitprvenu. Il avait prdit que je causerais la mort des rois si je

    napprenais pas cesser de me mler de tout. Umbre aussimavait mis en garde ; il avait tent de marracher la promesse

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    de ne plus modifier les vnements, mais jai refus. Et par mesactes jai tu mon roi : si je ne lui avais pas prt ma force pourartiser, il ne se serait pas tant expos aux coups de ses assassins.Je lai aid souvrir pour contacter Vrit, mais ce sont ces

    deux sangsues qui sont apparues. Lassassin du roi... Cest vraide tant et tant de manires, Subtil ! Je regrette, mon roi, jeregrette profondment. Sans moi, Royal naurait eu aucun motifde vous tuer.

    Fitz ! Le ton de Burrich tait ferme. Royal navait pasbesoin de motif pour tuer son pre : il lui suffisait de ne plus enavoir de le maintenir en vie. Et a, tu ny pouvais rien. Un plibarra soudain son front. Mais pourquoi le tuer juste ce

    moment ? Pourquoi ne pas avoir attendu de stre assurs de lareine ?

    Je souris. Tu las sauve. Royal croyait la tenir, il pensaitnous avoir barr la route en tempchant de sortir les chevauxdes curies ; il sest mme vant devant moi, dans ma cellule,quelle avait d partir pied et sans vtements contre lhiver.

    Burrich sourit son tour, durement. Elle et le fou ont prisles affaires prpares pour Subtil, et ils se sont mis en chemin

    sur deux des meilleures btes qui soient sorties des curies deCastelcerf. Je parie quils sont arrivs sains et saufs dans lesMontagnes, mon garon ; Suie et Rousseau doivent brouterdans de hautes ptures, en ce moment.

    Maigre rconfort. Cette nuit-l, jallai courir avec le loup etBurrich ne me fit aucun reproche. Mais nous ne pouvions courirassez vite ni assez loin, et le sang vers cette nuit ntait pascelui que je souhaitais voir couler, non plus que la viande tide

    ne parvint combler le vide en moi.*

    Je me remmorai ma vie et la personne que javais t. Lesjours passant, Burrich et moi nous remmes nous parler avecfranchise, comme des amis, et il renona son empire sur moitout en exprimant de feints regrets pour me taquiner ; nous

    retrouvmes nos habitudes dantan, nos anciennes faons derire ensemble et de nous chamailler. Mais notre relation qui

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    partout en moi comme une odeur malsaine, teintait messouvenirs et assombrissait ma perception de celui que j avaist. Aucun des instants de joie, de passion ou de courage que jeretrouvais dans ma mmoire ntait exactement tel quil avait

    t, car mon esprit ajoutait toujours avec perfidie : Oui, tu aseu cela, en un temps, mais ensuite est venu ceci, et ceci est ceque tu es aujourdhui. Cette peur dbilitante rdait en moicomme une prsence dissimule et je savais, avec uneconviction affreuse, que rduit aux abois je me fondrais en elle :je ntais plus FitzChevalerie, jtais ce qui restait de lui aprsque la peur leut chass de son corps.

    *

    Le deuxime jour aprs que Burrich fut tomb courtdeau-de-vie, je lui dis : a ne me drange pas de rester seul icisi tu veux aller Bourg-de-Castelcerf.

    Nous navons pas dargent pour acheter dautres vivres etplus rien vendre , rpondit-il dun ton sec comme si ctaitma faute. Il tait assis prs du feu ; il joignit les mains et les

    serra entre ses genoux : je les avais vues tremblerimperceptiblement. Nous allons devoir nous dbrouiller sansrien ; le gibier abonde et, si nous narrivons pas nous remplirle ventre, cest que nous mritons de mourir de faim.

    Tu tiendras le coup ? demandai-je carrment.Il me regarda, les yeux trcis. a veut dire quoi, a ? a veut dire quil ny a plus deau-de-vie, rpondis-je

    brutalement.

    Et tu crois que je ne peux pas men passer ? Je sentaisdj sa colre monter. Il avait de moins en moins de patiencedepuis que lalcool manquait.

    Jeus un petit haussement dpaules. Je posais laquestion, cest tout. Je demeurai sans bouger, sans leregarder, en esprant quil nallait pas exploser.

    Aprs un silence, il dit trs bas : Nous verrons bien. Je laissai passer un long moment, puis : Quallons-nous

    faire ?

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    Il me jeta un regard agac. Je te lai dj dit : chasserpour nous nourrir. Tu es srement capable de comprendre a.

    Je dtournai les yeux avec un petit hochement de tte.Javais compris ; je parlais... daprs. Aprs-demain.

    Eh bien, nous chasserons pour nous procurer de laviande ; nous devrions tenir quelque temps de cette faon. Maistt ou tard nous aurons envie de choses que nous ne pourronsni chasser ni bricoler ; Umbre nous en fournira certaines, si cestpossible

    Castelcerf est aussi sec quun vieil os, prsent. Je devraime rendre Bourg-de-Castelcerf pour y louer mes services.Mais pour linstant...

    Non, murmurai-je. Je voulais dire... nous ne pouvonspas rester ternellement cachs ici. Quallons-nous faireaprs ?

    Ce fut son tour de se taire un moment. A vrai dire, je n yai gure rflchi. Il me fallait durgence un abri pour te laisser letemps de gurir, et ensuite, jai bien cru que jamais tu ne...

    Mais je suis revenu, maintenant. Jhsitai. Patience...Elle te croit mort. Il mavait coup peut-tre plus

    schement quil ne le voulait. Umbre et moi sommes les seuls savoir la vrit. Avant de te tirer de ton cercueil, nousignorions quoi nous attendre : la dose de produit tait-elletrop forte, y avais-tu succomb, ou encore tais-tu mort de froidau bout de plusieurs jours sous la terre ? J avais vu ce quontavait fait. Il sinterrompit et me dvisagea un instant, lesyeux hagards. Il secoua imperceptiblement la tte. Je nepensais pas que tu y avais survcu et encore moins au poison ;

    aussi navons-nous voulu donner de faux espoirs personne. Etaprs, une fois quon ta sorti de l... Il secoua la tte plusviolemment. Au premier abord, tu tais dans un tat affreux.Ce quon tavait fait... les dgts taient pouvantables... Je nesais pas ce qui a pris Patience de nettoyer et de panser lesblessures dun cadavre, mais autrement... Et puis plus tard... tuntais plus toi-mme. Les premires semaines, jtais maladede ce que nous avions fait : nous avions mis l me dun loup

    dans le corps dun homme, voil ce que je pensais.

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    Il me regarda de nouveau, et une expression incrdulepassa sur ses traits ce souvenir. Tu mas saut la gorge. Lepremier jour o tu as russi te tenir debout tout seul, tu asessay de tenfuir ; je ten ai empch et tu mas saut la gorge.

    Je ne pouvais pas montrer Patience la crature qui grondait etmordait que tu tais devenue, et encore moins...

    Crois-tu que Molly... ? fis-je.Burrich dtourna les yeux. Elle a sans doute appris que tu

    tais mort. Un silence, puis, mal laise : Quelquun avaitfait brler une bougie sur ta tombe ; on avait dgag la neige, etil restait le moignon de cire quand je suis venu te dterrer.

    Comme un chien dterre un os.

    Javais peur que tu ne comprennes pas.Je nai pas compris. Jai cru il-de-Nuit sur parole, cest

    tout. Jtais arriv la limite de ce que je pouvais supporter de

    me rappeler, ce jour-l, et jaurais voulu abandonner laconversation, mais Burrich sacharna. Si tu reparais Castelcerf ou Bourg-de-Castelcerf, on te tuera. On te pendraau-dessus de leau et on brlera ton cadavre, ou bien on le

    dmembrera ; en tout cas, les gens veilleront ce que tu soismort pour de bon et que tu le restes, cette fois.Ils me dtestaient donc tant ?Te dtester ? Non. Ils taimaient bien, ceux qui te

    connaissaient, en tout cas ; mais si tu revenais parmi eux alorsque tu es mort et enterr, ils auraient peur de toi ; et pasquestion dexpliquer ton dcs par un tour de passe-passe : lamagie du Vif est mal vue ; lorsquon en accuse un homme, puis

    quil meurt et quon linhume, mieux vaut quil reste dans sontrou sil veut laisser un bon souvenir. Si on te voyait tepromener dans la rue, on y verrait la preuve que Royal avaitraison, que tu tadonnais la magie des Btes et que tu ten esservi pour tuer le roi ; il faudrait nouveau texcuter et plussoigneusement cette fois-ci. Burrich se leva brusquement et fitdeux aller-retour dun mur lautre. Crnom de nom, jeboirais bien quelque chose, dit-il.

    Moi aussi , murmurai-je.

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    *

    Dix jours plus tard, Umbre apparut sur le chemin quimenait chez nous. Le vieil assassin marchait pas lents, un

    bton la main, son paquetage haut perch sur ses paules. Lajourne tait chaude et il avait rejet en arrire le capuchon deson manteau ; le vent faisait danser ses longs cheveux gris et ilstait laiss pousser la barbe pour dissimuler ses traits. Aupremier coup dil, on laurait pris pour un vieux rmouleuritinrant au visage marqu de cicatrices, mais plus pour leGrl ; le vent et le soleil avaient hl son teint. Burrich tait lapche, activit quil prfrait pratiquer seul, et, en son absence,

    il-de-Nuit tait venu lzarder sur notre seuil ; mais, ds quilavait hum lodeur dUmbre, il stait clips dans les boisderrire la hutte. Jtais seul.

    Jobservai Umbre pendant quil approchait : lhiver lavaitvieilli, accentuant ses rides et le gris de ses cheveux, mais il sedplaait avec plus de vigueur que je ne men souvenais, commesi les privations lavaient endurci. Enfin, je me portai sarencontre avec un curieux sentiment de timidit et de gne ;

    quand il leva les yeux et maperut, il sarrta sur la piste ; jecontinuai jusqu lui. Mon garon ? fit-il dun toncirconspect quand je fus auprs de lui ; je dus faire un effortpour acquiescer en souriant. Le sourire qui illumina soudainson visage me mortifia ; il lcha son bton pour me prendredans ses bras, puis il appuya sa joue contre la mienne comme sijtais encore un enfant. Oh, Fitz, Fitz, mon garon !sexclama-t-il dune voix empreinte de soulagement. Je te

    croyais perdu ! Javais peur que nous ne tayons inflig un sortpire que la mort ! Ses bras secs et forts mtreignaient.Jeus piti du vieil homme. Je ne lui dis pas que ctait le

    cas.

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    2.

    LA SEPARATION

    Aprs strecouronn roi des Six-Duchs, le prince RoyalLoinvoyant abandonna peu ou prou les duchs ctiers leurs

    propres moyens. Il avait auparavant dpouill Castelcerf etune grande partie du duch de Cerf de tout largent quil avaitpu rcuprer ; de Castelcerf les chevaux et le btail avaient tvendus bas prix, les meilleures btes tant nanmoinsconvoyes dans lIntrieur, la nouvelle rsidence de Royal,Gu-de-Ngoce. Le mobilier et la bibliothque du sige royaltraditionnel avaient t razzis, une partie des biens rserve lameublement de la demeure du prince, une autre divise entre

    ses ducs et ses nobles de lIntrieur titre de faveurs, oucarrment vendue. Les entrepts grain, les caves vin, lesarmureries, tout avait t vid et le butin emport danslIntrieur.

    Son projet annonc avait t de dplacer le roi Subtil,souffrant, et la reine Kettricken, veuve et enceinte, Gu-de-Ngoce, afin de les protger des raids des Pirates rouges contreles duchs ctiers, ce qui lui fournit une excuse pour dpouillerCastelcerf de ses meubles et de ses objets de valeur ; or, avec ledcs de Subtil et la disparition de Kettricken, ce mauvaisprtexte ne tint plus, mais cela ne lempcha pas de quitter auplus tt le Chteau aprs son intronisation. On a racont que,le conseil des nobles discutant le bien-fond de sa dcision, ilaurait rpondu que les duchs ctiers ne reprsentaient pourlui que guerre et gaspillage dargent, quils avaient toujoursvcu aux dpens des duchs de lIntrieur et quil souhaitaitbien du plaisir aux Outrliens sils semparaient de ces rgions

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    Chevalerie, avait renonc au trne en faveur de son punVrit. Les soldats de Cerf y taient galement en garnison,ainsi que la garde personnelle de la reine Kettricken et lesquelques hommes qui subsistaient de la garde du roi Subtil ; le

    moral tait bas parmi les hommes car la solde tombaitirrgulirement et les rations taient de pitre qualit. Leseigneur Brillant avait amen avec lui sa garde personnelle etla prfrait manifestement aux soldats de Cerf. La situationtait encore complique par une hirarchie embrouille :officiellement, les troupes de Cerf devaient prsenter leursrapports au capitaine Keffel, du contingent de Bauge,commandant de la garde du seigneur Brillant ; mais, dans les

    faits, Gantele, de la garde de la reine, Kerf, de la garde deCastelcerf, et le vieux Rouge, de la garde du roi Subtil, faisaientbande part et tenaient leurs propres conseils entre eux, et,sils rendaient compte rgulirement, ctait dame Patience,que, le temps passant, les soldats de Cerf en vinrent dsignersous le titre de dame de Castelcerf.

    Mme une fois couronn, Royal demeura jaloux de saposition ; il envoya des messagers dans tout le royaume afin

    dapprendre o la reine Kettricken et le futur hritierpouvaient se cacher. Souponnant quelle pt avoir cherchrefuge auprs de son pre, le roi Eyod du royaume desMontagnes, il exigea de celui-ci quil la lui rendt; Eyodrpliqua que les affaires de la reine des Six-Duchs neregardaient pas le peuple des Montagnes, et Royal, furieux,rompit les liens avec son royaume, interdit tout commerce etseffora dempcher jusquaux simples voyageurs den franchir

    la frontire ; dans le mme temps, des rumeurs, sans douterpandues sur son ordre, commencrent circuler, selonlesquelles lenfant que portait Kettricken ntait pas de Vrit etquil navait donc aucun droit lgitime sur le trne des Six-Duchs.

    Ce fut une triste poque pour le petit peuple de Cerf :abandonns par leur roi, dfendus seulement par une trouperduite et mal ravitaille, les gens du commun se trouvaient

    privs de gouvernail sur une mer dmonte ; ce que les Piratesne volaient ou ne dtruisaient pas, les hommes du seigneur

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    Brillant le saisissaient titre dimpt; les routes furent bienttinfestes de brigands car, lorsque lhonnte homme ne gagneplus sa vie, il se dbrouille comme il peut ; les petits fermiers,dsesprant de subsister, fuirent la cte pour devenirmendiants, voleurs et putains dans les cits de lIntrieur; lecommerce steignit, car on voyait rarement revenir lesnavires qui partaient.

    *

    Umbre et moi bavardions, assis sur le banc devant lacabane. Nous ne parlions pas de sujets graves ni des

    vnements importants du pass, nous ne discutions pas demon retour dentre les morts ni de la situation politique ; non,nous voquions les petits riens que nous partagions comme si jerevenais dun long voyage. Rdeur, la belette, se faisait vieux;lhiver coul lui avait raidi les articulations et mme la venuedu printemps navait pas russi le revigorer ; Umbre craignaitquil ne passe pas lanne. Mon mentor avait enfin russi fairescher des feuilles de pennon sans quelles moisissent mais elles

    taient beaucoup moins efficaces que les fraches ; lesptisseries de Mijote nous manquaient tous les deux. Umbreme demanda si je souhaitais rcuprer quelque chose dans machambre ; Royal lavait fait fouiller et lavait laisse sens dessusdessous, mais rien ou presque nen avait t emport, croyait-il,et nul ne sapercevrait de la disparition dun ou deux objets. Jelui parlai de la tapisserie qui reprsentait le roi Sagesse en trainde traiter avec les Anciens : il sen souvenait, mais elle tait

    beaucoup trop volumineuse pour quil puisse la transporterjusqu la hutte. Je lui adressai alors un regard si pitoyable quilse ravisa aussitt et affirma quil se dbrouillerait.

    Je lui fis un sourire radieux. Ctait une plaisanterie,Umbre. Cette grande pendouille na fait que me donner descauchemars depuis que jtais tout petit. Non : il ny a plus riendans ma chambre quoi je tienne encore.

    Umbre me regarda dun air presque triste. Tu laisses une

    existence derrire toi, comme a, en ne gardant que ce que tu as

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    sur le dos et une boucle doreille? Et rien de ce que je pourraiste rapporter ne tintresse... Tu ne trouves pas a trange?

    Je rflchis un moment. Lpe dont Vrit mavait faitcadeau, lanneau dor que mavait donn le roi Eyod et qui avait

    appartenu Rurisk, une pingle que mavait remise dameGrce, le biniou de mer de Patience jesprais quelle avait pule reprendre , mes peintures et mes papiers, une petite boteque javais sculpte pour y garder mes poisons... Molly et moinavions jamais chang de gages damour ; elle ne voulait pasque je lui fasse de prsents et je navais jamais song voler undes rubans dont elle dcorait ses cheveux. Si jy avais pens...

    Non. Mieux vaut une rupture franche. Mais vous avez

    oubli quelque chose. Je retournai le col de ma chemise rchepour lui montrer le petit rubis monture dargent. Lpingleque Subtil mavait donne pour me marquer comme son vassal.Je lai toujours. Patience sen tait servie pour fermer lelinceul dont jtais envelopp. Je chassai cette pense.

    Je mtonne encore que les gardes de Royal naient pasdtrouss ton cadavre ; le Vif a, jimagine, si vilaine rputationquils devaient te redouter mort autant que vivant.

    Je passai mon index sur larte brise de mon nez. Jenavais pas lair de beaucoup les effrayer, autant que je puisse ledire.

    Umbre eut un sourire torve. Ce nez te gne, hein ? Moi, jetrouve quil te donne du caractre. Je le regardai en louchant cause du soleil. Ah ?

    Non, cest faux, mais ctait une faon courtoise de direles choses. Ce nest pas si affreux, nanmoins ; on a presque

    limpression que quelquun a voulu te le redresser. Un souvenir aux artes dchiquetes me fit frissonner. Jenai pas envie dy penser, dis-je avec franchise.

    La compassion assombrit soudain son visage ; je dtournaile regard, incapable dendurer sa piti. Le souvenir des torturesque javais subies tait plus supportable si je pouvais feindreque nul nen tait inform: javais honte de ce que mavait faitRoyal. Jappuyai larrire de ma tte contre le bois du mur

    baign de soleil et pris une longue inspiration. Eh bien, que sepasse-t-il l o les gens sont encore vivants ?

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    Umbre accepta le changement de conversation et sclaircitla gorge. Que sais-tu, pour commencer ?

    Pas grand-chose : que Kettricken et le fou ont russi schapper, que Patience a peut-tre appris quils taient arrivs

    sains et saufs dans les Montagnes, que Royal est furieux contrele roi Eyod et a bloqu ses routes commerciales, que Vrit esttoujours en vie, mais que personne na de nouvelles de lui.

    Ho ! Hol ! Umbre se redressa brusquement. Larumeur propos de Kettricken... cest un souvenir du soir oBurrich et moi en avons parl.

    Je dtournai les yeux. Un souvenir comme celui quongarde dun rve quon a fait autrefois, avec des couleurs dlaves

    et tous les vnements mlangs. Je me rappelle seulementvous avoir entendu en parler.

    Et celle au sujet de Vrit ? La tension que je percevaissoudain en lui me fit courir un frisson glac dans le dos.

    Il ma artis, ce soir-l, murmurai-je. Je vous ai alors ditquil taitvivant.

    MALEDICTION ! Umbre se leva dun bond et se mit sauter sur place de rage. Je ne lui avais jamais vu pareille

    attitude et je le regardai, les yeux carquills, cartel entre lastupfaction et linquitude. Burrich et moi navons accordaucune foi ta dclaration ! Oh, nous tions heureux detentendre et, quand tu tes sauv, Burrich a dit: Laissons-lesortir, cest dj bien quil se rappelle son prince. Et nousnavons pas cherch plus loin. Zut et zut ! Il se tut soudain,puis tendit lindex vers moi. Rends-moi compte ; raconte-moitout.

    Je fouillai dans mes souvenirs ; jprouvai autant de mal les trier que si javais vu Vrit par les yeux du loup. Il avaitfroid, mais il tait vivant. Fatigu ou bless, je ne sais pas ;ralenti, en tout cas. Il essayait de me contacter, mais comme jele repoussais, il mincitait boire, pour abaisser mes murailles,je suppose...

    O tait-il ?Je lignore. Il y avait de la neige, une fort. Je

    mefforai de saisir des souvenirs fantmes. Je ne crois pasquil savait lui-mme o il se trouvait.

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    en moi, aussi lente et inluctable que la nuit venant. Mon cursinsurgeait, mais lautre terme de lalternative taitinsupportable. Je bandai ma volont.

    Il faisait noir quand je revins sur mes pas, la queue entre

    les jambes. Javais une impression trange retourner la hutte nouveau sous lidentit dun loup, flairer dans la fume dunfeu de bois une chose dhomme et cligner des yeux sous lclatdu feu derrire les volets. A contrecur, je sparai mon espritde celui dil-de-Nuit.

    Ne prfrerais-tu pas chasser avec moi ?Je prfrerais cent fois chasser avec toi, mais, cette nuit, je

    ne peux pas.

    Pourquoi ?Je secouai la tte. Le fil de ma dcision tait trop neuf et

    trop tnu, je nosai pas lprouver en en parlant. Je marrtai lore du bois pour ter les feuilles et la terre qui maculaientmes vtements, maplatir les cheveux et les renouer en queue ;je formai le vu de ne pas avoir la figure trop sale. Je carrai lespaules et je fis leffort de regagner la cabane, douvrir la porte,dentrer et de les regarder. Je me sentais horriblement

    vulnrable : eux deux, ils connaissaient presque tous messecrets ; ma dignit dj mise mal tait dsormais enlambeaux. Comment esprer me prsenter devant eux et mevoir traiter comme un homme ? Pourtant, je ne pouvais leur enfaire grief : ils avaient essay de me sauver malgr moi, il estvrai, mais de me sauver tout de mme. Ce ntait pas leur fautesi ce quils avaient sauv le mritait peine.

    Ils taient attabls mon arrive. Si je mtais sauv ainsi

    quelques semaines auparavant, Burrich aurait bondi sur moi mon retour pour me secouer comme un prunier et me bourrerde taloches ; ce temps tait rvolu, je le savais, mais le souvenirque jen gardais mobligeait une prudence que je ne parvenaispas dissimuler compltement. Toutefois, son visagenexprimait que le soulagement, tandis quUmbre me regardaitavec un mlange de honte et dinquitude.

    Je ne voulais pas te mettre aux abois, dit-il avec sincrit

    avant que je puisse placer un mot.

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    Ce nest pas votre faute, rpondis-je. Vous avez touchmon point le plus sensible, cest tout ; parfois, on ignore lagravit de sa blessure tant que quelquun dautre ne la sondepas.

    Je massis. Aprs des semaines de chre frugale, voir tout coup du fromage, du miel et du vin de sureau sur la table melaissait presque pantois. Il y avait aussi une miche de pain pouraccompagner la truite que Burrich avait pche, et, pendant unmoment, nous ne fmes rien dautre que manger sans dire unmot sauf pour les ncessits du repas ; la sensation dtrangetque je ressentais parut sen trouver allge ; pourtant, une foisque nous emes fini et dbarrass la table, la tension revint.

    Je comprends ta question, maintenant , fit Burrich debut en blanc. Umbre et moi le dvisagemes, surpris. Il y aquelques jours, tu mas demand ce que nous allions faireensuite. A ce moment-l, je considrais Vrit comme perdu ;Kettricken portait son hritier mais elle stait rfugie dans lesMontagnes, et je ne pouvais rien faire de plus pour elle. Si je memanifestais elle, je risquais de la trahir auprs de certains :mieux valait quelle reste cache en scurit parmi le peuple de

    son pre. Quand son enfant serait en ge de rclamer sontrne... ma foi, si jtais encore de ce monde, je ferais sans doutemon possible. Mais, pour lheure, le service que je devais monroi, ctait du pass; alors, quand tu mas pos ta question, jenai pens qu notre propre sauvegarde.

    Et maintenant ? murmurai-je.Si Vrit est vivant, cest un usurpateur qui occupe son

    trne. Jai prt serment de venir en aide mon roi, Umbre

    aussi et toi galement. Ils ne me quittaient pas des yeux.Sauve-toi encore.Je ne peux pas.Burrich sursauta comme si je lavais piqu avec une

    aiguille. Si je me dirigeais vers la porte, se jetterait-il sur moipour marrter? Mais il ne dit rien, ne fit rien ; il attendait marponse.

    Non, pas moi. Ce Fitz-l est mort , fis-je abruptement.

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    A voir lexpression de Burrich, on aurait cru que je lavaisgifl ; mais Umbre demanda calmement : Alors pourquoiporte-t-il toujours lpingle du roi Subtil?

    Jtai le bijou de mon col. Tenez, voulais-je dire, tenez,

    prenez-le, lui et tout ce quil symbolise; jen ai assez, je nai plusle courage ncessaire. Mais je restai simplement contemplerlobjet.

    Un peu de vin de sureau ? fit Umbre sans sadresser moi.

    Il fait frais ce soir, rpondit Burrich. Je vais prparer duth.

    Umbre hocha la tte. Jtais toujours perdu dans la

    contemplation de lpingle rouge et argent entre mes doigts. Jerevoyais les mains de mon roi qui lenfonaient dans les plis dela chemise dun enfant. L, avait-il dit. A prsent tumappartiens. Mais il tait mort, aujourdhui. Cela medlivrait-il de ma promesse ? Et ses dernires paroles ? Quai-je fait de toi ? Encore une fois, je repoussai question. Ilmimportait davantage de savoir ce que jtais maintenant;tais-je ce que Royal avait fait de moi ? Ou bien pouvais-je y

    chapper ? Royal ma dit un jour, fis-je, pensif, quil me suffisait deme gratter un peu pour dcouvrir Personne, le garon dechenil. Je me forai croiser le regard de Burrich. Ce seraitpeut-tre agrable dtre celui-l.

    Ah oui ? coupa Burrich. Fut un temps o tu ne pensaispas ainsi. Qui es-tu, Fitz, si tu nes pas lhomme lige du roi?Ques-tu ? O irais-tu ?

    O jirais si jtais libre? Retrouver Molly, scria moncur. Je secouai la tte pour chasser cette ide avant quelle medchire. Non : avant mme de perdre la vie, javais perdu Molly.Je considrai ma libert : elle tait amre et vide, et je navaisquune destination possible. Jaffermis ma volont, levai lesyeux et soutins fermement le regard de Burrich. Je pars ; jepars pour nimporte o. Les Etats chalcdes, Terrilville ; je saisbien moccuper des animaux et je me dbrouille comme scribe.

    Jarriverai gagner ma vie.

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    Srement ; mais gagner sa vie, ce nest pas vivre, observaBurrich.

    Et alors ? lanai-je, soudain furieux. Pourquoi mecompliquaient-ils ainsi la tche ? Penses et mots se mirent tout

    coup suppurer de moi comme dune blessure infecte. Tumas oblig me dvouer mon roi et tout lui sacrifier,comme toi ! Jai d abandonner la femme que jaime poursuivre un roi comme un chien bien dress, comme toi ! Etquand ce roi ta fait faux bond, tu tes soumis, tu as lev sonbtard sa place, et puis on ta tout enlev, curies, chevaux,chiens, hommes commander ; ils ne tont rien laiss, pasmme un toit sur ta tte, ces rois qui tu avais prt serment.

    Quas-tu fait, alors ? Comme il ne te restait rien, tu tesraccroch moi, tu as arrach le btard son cercueil et tu lasforc revenir la vie ! A une vie que je hais, une vie dont je neveux pas ! Je braquai sur lui un regard accusateur.

    Il me dvisageait, les yeux carquills, incapable derpondre. Jaurais voulu marrter l mais quelque chose mepoussait continuer ; la colre me faisait du bien, comme un feupurificateur. Je serrai les poings. Pourquoi es-tu toujours l ?

    Pourquoi me remets-tu toujours debout alors quon me rejettepar terre chaque fois ? Que cherches-tu ? A faire de moi tonoblig ? A obtenir un droit sur ma vie parce que tu nas pas lecourage den avoir une propre? Tout ce que tu dsires, cest mefaire ton image, celle dun homme qui na pas dexistence lui,qui la donne tout entire son roi. Tu ne vois donc pas que lavie, ce nest pas seulement la donner pour quelquun dautre?

    Je croisai son regard, puis dtournai les yeux, incapable de

    supporter la stupfaction peine que jy lisais. Non, repris-jelentement, tu ne vois pas, tu ne peux pas comprendre. Tu nesmme pas capable dimaginer ce dont tu mas dpouill. Jedevrais tre mort mais tu mas interdit de mourir, avec lesmeilleures intentions du monde, en croyant toujours faire lebien, mme si a me faisait du mal. Mais qui donc ta donn cedroit sur moi ? Qui a dcrt que tu pouvais minfliger ce que tumas inflig?

    Il ny avait plus un bruit dans la cabane. Umbre restaitptrifi, et lexpression de Burrich ne fit quaccrotre ma colre :

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    je le vis se reprendre, rassembler sa dignit et son orgueil, puisil dit mi-voix : Cest ton pre qui ma confi cette mission,Fitz. Jai fait de mon mieux pour toi, mon garon. Le dernierordre que mon prince ma donn, Chevalerie ma ordonn :

    Elve-le bien. Et jai...Tu as perdu les dix annes suivantes de ta vie lever le

    btard dun autre, coupai-je avec une ironie froce. Tu tesoccup de moi parce que ctait la seule chose que tu savaisvraiment faire. Tu as pass ton existence toccuper des autres,Burrich, faire passer les autres avant toi, sacrifier touteespce de vie normale au profit des autres. Aussi dvou quunchien ! Est-ce une vie, a ? Nas-tu jamais song devenir ton

    propre matre, prendre tes propres dcisions ? Ou bien est-cela peur qui te pousse au fond de la bouteille ? Javais cri cesderniers mots. A court de paroles, je le regardais dans les yeux,haletant, exhalant ma fureur chaque expiration.

    Dans mes colres denfant, je mtais souvent promis de luifaire payer un jour toutes les taloches quil mavait donnes,tous les boxes quil mavait oblig nettoyer alors que je mesentais peine capable de tenir debout. Par les mots que je

    venais de prononcer, javais rempli au dcuple cette petitepromesse de gosse boudeur : les yeux carquills, il restait muetdaccablement. Je vis sa poitrine se soulever comme pourreprendre le souffle quun coup vient de lui ter. Il naurait paseu lair plus boulevers si je lui avais plant un poignard dans lecorps.

    Je le regardais fixement. Jignorais do avaient jailli mesparoles mais il tait trop tard pour les rattraper. Dire Excuse-

    moi ne changerait pas le fait quelles avaient t prononces etne les modifierait en rien. Jesprai soudain quil allait mefrapper, quil nous accorderait au moins cela nous deux.

    Il se leva, chancelant, et les pieds de sa chaise raclrent leplancher ; le sige lui-mme tomba en arrire tandis queBurrich sen loignait. Burrich, qui marchait toujours dun pas siassur mme quand il dbordait deau-de-vie, Burrich gagna laporte en titubant et senfona dans la nuit. Sans bouger, je

    sentis quelque chose en moi simmobiliser et je souhaitai que cefut mon cur.

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    Pendant un moment, le silence rgna. Un long moment.Puis Umbre poussa un soupir. Pourquoi ? demanda-t-il enfin mi-voix.

    Je ne sais pas. Comme je mentais bien ! Umbre lui-

    mme avait t mon matre en la matire. Je plongeai le regarddans les flammes. Un instant, je faillis lui expliquer, puis je menjugeai incapable, et je me surpris tourner autour du pot. Javais peut-tre besoin de me librer de lui, de tout ce quil afait pour moi, mme quand je ne le voulais pas. Il faut quilcesse de me rendre des services que je ne peux pas luirembourser, des services quun homme ne doit pas rendre unautre, des sacrifices que nul ne doit faire pour quelquun

    dautre. Je ne veux plus tre son dbiteur. Je ne veux plus riendevoir personne.

    Quand Umbre me rpondit, ce fut dun ton prosaque, sesmains aux longs doigts poses sur ses cuisses, calmes, presquedtendues ; mais ses yeux verts avaient pris la teinte du mineraide cuivre et la colre y brasillait. Depuis ton retour duroyaume des Montagnes, on dirait que tu ne rves que de tebattre avec le premier venu. Quand tu tais petit et que tu te