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Le Parchemin des tragédies et le Demi-diola Banympondiong Abdou Karim Diédhiou

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Le Parchemin des tragédies et le Demi-diola

Banympondiong

Abdou Karim Diédhiou

23.84 598581

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 312 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 23.84 ----------------------------------------------------------------------------

Le Parchemin des tragédies et le Demi-diola Banympondiong Abdou Karim Diedhiou

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Avant-propos

Le parchemin des tragédies et le Demi-diola ou la tragédie des cultures, des mœurs et des traditions, contées à travers un vécu et une perception du monde.

L’auteur pense que l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie, sont en train progressivement de perdre les fondamentaux des valeurs culturelles qui font l’authenticité de leurs civilisations. Au même moment, l’occident révolutionne ses valeurs et les exporte partout dans le monde, en acculturant les peuples dominés. À travers un vécu, l’auteur analyse et donne son point de vue sur un angle culturel et dénonce les envahissements culturels et les intolérances culturelles. Si l’on sait aussi que la stigmatisation des identités et des cultures est encore plus vraie entre tribus africaines d’une même nation qu’ailleurs dans le monde. Quant à son environnement culturel direct, l’auteur entre dans le fond des us et coutume de l’ethnie de son père, pour ce qu’il en sait, pour l’avoir vécu. Des aspects culturels jusque-là pas encore étalés dans un ouvrage du genre.

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L’œuvre est en d’autres termes une autobiographie et des biographies légèrement romancées. Les histoires et les faits sont réels. Les dates qui marquent tous les événements dans le récit, sont exactes. Les personnes évoquées ont réellement existé dans la vie de l’auteur et exactement dans les mêmes rôles. Les noms cités sont textuels (en entiers, en diminutifs ou en surnoms). L’auteur raconte des faits antérieurs à sa naissance. Une histoire capitale que son père lui a racontée. La révélation a montré à quel point la complicité avec son père était au-delà de ce que pensaient ses parents. Dans les récits, l’auteur raconte les parcours de plusieurs vies qui ont jalonné les péripéties de sa vie d’un enfant né d’une union d’ethnies différentes. Entre vécu et expérience, l’auteur fait étalage de plusieurs états d’esprits sociaux qui ont jalonnés son vécu.

L’auteur parle beaucoup de sa mère et de sa philosophie maternelle : sa manière d’être, d’éduquer et de communiquer. Par cette brèche féminine, il évoque ses relations avec des filles (ses petites-amies) et les femmes des ménages où il a vécu, et les drames qui y sont liés. Sa famille est au cœur d’un récit à travers lequel il évoque ses frères et ses relations tumultueuses avec ses parents après le décès de son père. Des tumultes qui l’ont obligé et conduit sur un parcours du combattant hors du commun.

Le récit est en quelque sorte la tragédie de la vie de l’auteur en relation avec d’autres vies tragiques dans des contextes en liaisons avec des évènements tragiques.

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Une tragédie heureuse au sens où elle lui a servi d’école. Une école très présente dans le récit avec un instituteur atypique d’une école primaire. Au-delà du primaire, il évoque comment ses études ont été sabotées au niveau secondaire.

Par ailleurs, il évoque son parcours professionnel dans des conditions pas souvent vécues. En tant que acteur des enquêtes, il a parcouru tout le Sénégal. Il raconte les moments forts de ses missions dans la région sud du Sénégal, exposée à une rébellion armée. Un ensemble de récits époustouflants. Au-delà de la Casamance, il relate un périple encore plus extraordinaire dans le cadre toujours de ses missions dans le nord du pays, en territoire peulh et Toucouleur de la même famille. Beaucoup d’ethnies du Sénégal et leurs réalités apparaissent dans l’œuvre. La sous-région et le monde apparaissent par d’autres arcanes en d’autres aspects. Face aux mœurs changeantes qui dénaturent pas mal de sociétés, l’auteur prend pour exemple ses expériences vécues pour trouver des explications.

Et, pendant qu’il écrivait cette œuvre aux allures mathématiques et à la chronologie désordonnée et dans laquelle il faisait une part belle à son demi-frère aîné, il apprend son décès comme il l’évoque dans les écrits.

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Toute chose par un acte que pose une personne, est motivée par un gain qu’elle peut en tirer auprès des hommes, des esprits ou de Dieu.

Pour toujours être en phase avec les êtres, il faut se faire philosophe pour prendre avec philosophie les actes posés.

En se mettant dans les habits d’un sociologue, on cherchera toujours à placer chaque acte dans un contexte social par rapport aux réalités sociales, pour mieux comprendre.

Avec un effort de psychologue, on comprendra toujours mieux ce qui se passe dans la tête d’un être pour motiver ses actes.

Et en se faisant globalement, on devient un être compréhensif avec tout le monde et un sage qui vit tranquille et heureux comme un fou dans son monde.

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BANYMPONDIONG ? Un son qui résonne

comme une cacophonie chez les autres, mais comme une harmonie symphonique dans le clan ethnique. C’est un nom. Un surnom que la tradition a octroyé à un petit garçon. Il en était baptisé cinq ans après sa naissance. Une année qui avait coïncidé avec son premier voyage vers la terre de ses ancêtres dans la lignée paternelle. Rufisque est sa ville natale, mais Banympondiong n’y est pas originaire. La mère y est adoptée. Elle a des origines encore plus lointaines. Rufisque est une ville historique qui naguère était une localité phare pour avoir été une des quatre communes qui donnaient la citoyenneté aux indigènes du Sénégal du temps de la présence du colonisateur et de ses lois arbitraires et divisionnistes. Elle est désormais classée dans le lot des bourgades africaines maintenues en ruines par le prétexte de patrimoine mondial. On ne sait pour combien de temps encore, Rufisque demeurera un musée public parmi les vestiges qui servent de mémorial pour les bâtisseurs étrangers. Les descendants des bâtisseurs antiques ont trouvé les moyens de conserver

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les œuvres de leurs aïeuls, partout à travers le monde. Des villes et des monuments sont maintenus et restaurés comme pour servir de rivaux aux éléments qui, plus de quatre millénaires, demeurent indéboulonnables comme pour prouver qu’ici est le point de rayonnement de la civilisation humaine. Une civilisation contée par les hiéroglyphes et dont les pyramides des pharaons d’Egypte en sont l’incarnation physique.

Des révisions d’histoires ont perdu des peuples. L’acculturation continue de faire perdre des valeurs authentiques et dénature des peuples. Les cultures et les valeurs des dominateurs s’imposent comme des biens universels à léguer aux peuples dominés. La mondialisation est un instrument du néocolonialisme et sert l’impérialisme global. Les lobbyings politiques sournoises ou ostentatoires et la puissance militaire sont comme une épée de Damoclès sur des États et des peuples obligés à se soumettre. La communication reste un puissant levier de propagande et d’acculturation. Les religions demeurent des supports et des vecteurs pour l’aliénation d’us et de coutumes dits primitifs ou sauvages, au profit des mœurs des convertisseurs. Tout réside dans l’endoctrinement. L’activisme culturel s’inscrit dans le prosélytisme du chaque élément de mon tout est meilleur que chaque élément de ton tout. Les patronymes en demeurent un cas illustratif. Le port des prénoms transmis par les convertisseurs venus d’ailleurs, s’impose comme une condition sine qua none à l’adhésion à ces fois venues

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d’ailleurs. À cause de l’Islam et du christianisme, des peuples à travers le monde, notamment ceux d’Afrique sortis des croyances traditionnelles, ont troqué leurs prénoms authentiques et parfois même leurs patronymes, pour ceux des convertisseurs d’origines arabes ou judéo-chrétiennes et parfois même entre communautés d’une nation. Une sorte d’homophonie qui, progressivement, enterre des prénoms et des patronymes traditionnels antérieurs à l’entrée des religions révélées. En guise de palliatif comme une mesure bibliothécaire pour sauvegarder le patrimoine des prénoms authentiques, des peuples islamisés ou christianisés qui subissent l’influence active d’une acculturation patrimoniale, associent un prénom ou surnom traditionnel à côté des patronymes venus d’ailleurs. « Banympondiong » est de cet ordre. L’ancien président du Zaïre s’était officiellement débaptisé de Joseph Désiré, pour se rebaptiser traditionnellement et officiellement au nom de Mobutu Seseko Kuku Ngbendu wa Zabanga. Il fut une figure emblématique d’un combat pour le retour à l’africanisation des noms.

Banympondiong est originaire du Fogny. Un vaste contrée parmi les provinces traditionnelles de la Casamance et où vivent différents clans de l’ethnie Diola. Le village de Tenghori est ce qu’il connaît comme son appartenance. Son aïeul est venu de Niankite, pour s’installé là-bas. Cet exil volontaire est un nomadisme concis. Il consiste à quitter

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définitivement le village d’origine pour un autre. Dans les clans, des familles se disloquent personne par personne et se dispersent sur l’étendue des terres de leurs provinces respectives. Deux raisons motivent les départs des individus qui quittent leurs familles pour s’implanter ailleurs. Le plus souvent, les raisons sont liées à des prédications mystiques, sinon l’individu se déplace pour trouver ailleurs des conditions de vie plus adéquates à ses besoins. Cela s’inscrit également dans un mode d’expansion familiale. Et quelle que soit l’étendue de la dispersion, au besoin, les familles savent se retrouver par lignées généalogiques à l’intérieur d’une province. L’organisation clanique de l’ethnie Diola est fondée sur les similitudes des us et des coutumes. Les valeurs culturelles sont quasi identiquement les mêmes, mais néanmoins des palissades existent entre les provinces traditionnelles du Fogny, du Kalounaye, du Boulouf et du Kabrousse. Chacune d’elles a ses spécificités. La diversité se note dans le dialecte, le folklore, la danse traditionnelle et sur des pratiques coutumières. Les rites de certains groupes sont bannis par d’autres à travers les provinces. Entre certains groupes, le parler du dialecte comporte des nuances, alors qu’entre d’autres la différence est nette et totale. Le Diola du Fogny ne comprend rien du Diola de Moulomp qui vit dans le Boulouf ainsi qu’avec celui de Karone.

Le peuple Diola vit en société égalitaire. Le roi ne détient aucun pouvoir absolu pour régner en maitre

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absolu comme dans les sociétés féodales. Il est plutôt un chef sous l’arbre à palabre et bénéficie du respect de sa communauté en tant que chef de clan. Le pouvoir royal ne tient ni du sang et encore moins d’une lignée de transmission familiale. Le roi peut être n’importe qui et de n’importe quelle famille. Les titres sociaux dans la nomenclature des rôles coutumiers s’acquièrent par transmission via les esprits du bois sacré. Tout passe par le mystique qui révèle les hommes et les femmes qui héritent de pouvoirs et émergent du lot en toute modestie. Les castes sont ignorées dans l’organisation sociale de l’ethnie Diola. Les membres d’une même famille peuvent exercer des activités vues dans des sociétés de mœurs féodales comme des activités d’inféodés ou propres à des castes inférieures. L’activité de percussionniste, de troubadour, de louangeur, de forgeron, de pêcheur, de chasseur, de cultivateur, de cordonnier, demeurent des métiers de libres d’exercice et non pas l’apanage d’un groupe ou d’une caste. Seule la pratique de la forge mystique est détenue par une famille. La forgerie Diola avait en elle un pouvoir de guérison, de désenvoutement et de protection, et elle jouait un rôle mystique déterminant dans la société, en s’occupant des besoins et des préoccupations. Les tabous sociaux sont quasi inexistants en milieu Diola, excepté le mariage avec l’ethnie Baïnounk. Le Diola et le Baïnounk vivent sur les mêmes terres de la Casamance. Les raisons du refus de s’unir par le mariage sont historiques et demeurent.

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Banympondiong est né métissé de mère Bambara, elle-même, née dans la province du Saloum au centre du pays. Elle a grandi à Rufisque où sa famille est venu installée définitivement avant les indépendances, à la fin des années quarante. Le père de Banympondiong fut un soldat qui était en service au camp du génie militaire de Bargny. La localité est sur la périphérie de la ville de Rufisque. À la fin des années soixante, le jeune soldat avait fait la connaissance d’une dame qui habitait le quartier Diorga de Rufisque. De leur union, est né Banympondiong. Mais le jeune soldat avait déjà un fils âgé de quatre ans, comme également la jeune dame avait une fille du même âge. Le père de la demi-sœur à Banympondiong, était de même ethnie que la mère de Banympondiong. Également, la mère du demi-frère à Banympondiong, était de la même ethnie que le père de Banympondiong. De ses origines paternelles, l’arrière grand-père de Banympondiong, du nom de Bakary, fut un grand notable et membre éminent d’une cour indigène de justice coloniale. La cour faisait office de siège de tribunal à Bignona, à un kilomètre du village de Tenghori. Une bande de rizières s’érigeait en frontière entre les deux localités. Banympondiong avait mis pour la première fois les pieds dans son village d’origine, en 1973. Le voyage de Dakar de vers Tenghori a été occasionné par une affectation du père au camp militaire de Bignona. Il se fit en compagnie du père, de la mère et d’Ansoumana. Il était le petit frère à Banympondiong. Le demi-frère

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aîné dont il allait faire la connaissance, vivait au village sous la couverture du grand-père paternel. Quatre cent kilomètres de route parcourus à travers plusieurs ragions du pays. À l’époque, des fourgonnettes Mercedes et Renault-Saviem SG2, transformées et équipées de trente-cinq places et de vingt-cinq places, parcouraient la distance avec porte-bagages en toit, surchargés à gratter le ciel. Les véhicules roulaient déséquilibrés sur un flanc.

Parmi les chauffeurs de l’époque, Boy Ndiaye était une célébrité. Les voyageurs vers le sud du pays se disputaient les places de son car de transport en commun. Des voyageur encore plus rassurés d’arriver à bon port que quand Boy Ndiaye était ivre à excès avant de prendre le volant. À l’état, il pliait la distance et le temps. Boy Ndiaye était des chauffeurs qui à cette époque rendaient les villageois plus primitifs que jamais. À l’approche d’un village, ils klaxonnaient pour alerter d’une pluie imminente de la manne. Les paysans en raffolaient. Le pain était une denrée rare dans les campagnes et un aliment de luxe. Pendant qu’ils les traversaient les uns après les autres, ils jetaient de petits bouts de pain aux populations qui sortaient répondre massivement à l’appel. Des enfants en majorité, mais également des hommes et des femmes de tous les âges, se ruaient vers la manne. Le spectacle offrait des images qui défiguraient l’image de ces ruraux, et les présentait sur un visage de populations affamées. Ces populations victimes de l’inconscience

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de ces conducteurs, étaient pour la plupart des paysans qui ignoraient tout de la capitale avec nostalgie et trouvaient plaisir à procéder un trophée d’un car voyageur venant ou en partance vers là-bas. Le sud de ces contrées Sérères, marque une limite du pays. Un autre pays commence. Avant d’entrer en Casamance, l’autre partie enclavée du pays, il fallait traverser un territoire étranger. La république de Gambie le fut par la route et également le fleuve Gambie fut traversé à bord un ferry. L’étape marquait un arrêt forcé et prolongé. Sur les quais des rives, la bande d’eau obligeait les longues files de véhicules à attendre pour traverser au rythme des rotations de deux bacs qui se croisent. Des bacs pas rassurant et qui, par moment, tombent volontairement en panne. Cet arrêt est toujours une occasion pour les voyageurs d’effectuer diverses dépenses et se restaurer copieusement à la sauce gambienne dans les gargotes qui bordent les marécages des deux rives du fleuve. Plus longtemps que durait la traversée, plus les voyageurs en transit y laissaient des devises du franc Cfa, plus prisé que le Dalasi de la Gambie.

Banympondiong débarque dans le village natal du père avec un double prénom arabophone. Un patronyme qui tout seul sonnait mal à l’oreille des gardiennes de la tradition. Les parents du village découvrirent un petit garçon métissé ou plutôt un demi-diola de teint plus ou moins clair, rachitique de corps et muni de yeux bridés. Lorsque l’une ses

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grand-mères l’a vu pour la première fois, instantanément, elle eut à l’idée le prénom traditionnel qu’allait porter le petit garçon, venu d’ailleurs pour prendre toute sa place parmi les siens. La vieille Igna-Malamine l’a baptisé du prénom traditionnel. Chez les Diola du Fogny, pour beaucoup, les pseudonymes des parents sont formés à partir Abba pour les hommes et Igna pour les femmes, respectivement pour désigner père et mère. À ces deux génériques, le prénom de l’enfant aîné est rattaché. Igna-Malamine était une des épouses nombreuses au grand frère du grand-père de ce garçon culturellement métissé. Elle n’avait pas perdu du temps. Sans prendre la peine de demander le prénom du garçon, Igna-Malamine l’appela « Banympondiong ». L’appellation signifie en argot du dialecte : celui qui a les yeux bridés ou le chétif aux yeux bridés. Le surnom prit le dessus sur le véritable prénom qui demeura volontairement ignoré au niveau du village. Les garçons de son âge l’appelaient courtement : Nympo. À partir de cet instant, Banympondiong entra dans la tradition comme le père l’était avec le surnom de Koumangui.

L’âme d’Ansoumana ne s’était pas adaptée à l’endroit. Il décéda peu de mois après son arrivée sur la terre de ses origines paternelles, sans avoir le temps de porter un surnom traditionnel. Mais, l’initiation aux coutumes continua son chemin. Banympondiong fut amené à Djikess. C’est le village originaire de sa grand-

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mère paternelle. Là-bas, la tradition lui autorisait de s’emparer autant qu’il pouvait saisir de poules et de coqs. Ce droit revient qu’aux enfants d’un certain âge dans leurs familles maternelles. La mère de Banympondiong n’étant pas de l’ethnie, la famille de la grand-mère paternelle lui servait de substitution. À la fin de la journée, il retourna à Tenghori avec un coq qu’il nomma Sokona, sans savoir pourquoi et comment ce nom lui était venu. Sokona ne signifiant rien dans aucun des dialectes qu’il connaît.

Au village de Tenghori, la grande famille vivait dans une très grande concession constituée de trois grands bâtiments en banco. Chacun des bâtiments était muni d’un grand grenier abondamment rempli de céréales de toutes sortes, régulièrement renouvelées à la fin de chaque hivernage. Les stocks nourrissaient la concession d’une récolte d’hivernage à une autre. Le grand-père Famara était le chef de concession en tant fils aîné de Bakary. Exceptionnellement, il se faisait appeler Pa-Wiyé, contrairement à la tradition. Vieux, le nom de son fils ainé, fut ainsi déformé. Mamadou, le grand-père intellectuel, il a été à l’école des blancs, fut son cadet et se faisait appeler Abba-Dembo. Quant à Ansoumana, le plus jeune des trois des grands-pères qui vivaient à Tenghori, il répondait à l’appellation d’Abba-Landing. Sana, le quatrième et le plus jeune fils de Bakary, est inconnu des petits-fils de la famille. Il est décédé avant que l’un d’eux ne soit venu au monde. Sana n’avait pas fini ses jours à Tenghori. Il avait

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déménagé de la famille paternelle pour s’installer à Djikess dans sa belle-famille. Les raisons du transfert étaient liées aux mystiques. Les esprits de Sana étaient incompatibles avec des forces invisibles qui habitaient l’environnement familial. Sana était définitivement resté au village de Djikess. Ses frères trois frères ainés ont assuré la perpétuation de la lignée dans le village de Tenghori, comme il en assurait une nouvelle lignée de la descendance de Bakary, au niveau du village où il a fini ses jours.

Le père de Banympondiong était en son temps le plus grand intellectuel du village et, était compté parmi ceux qu’on appelait les cadres casamançais. Il était le premier du village à avoir fait la France. S’il en avait des devanciers, ils l’étaient dans le cadre des bataillons pour les deux grandes guerres sous le drapeau français, alors que lui y était pour des études supérieures. Ses amis l’appelaient « Le Maire ». Il avait des projets et des ambitions qui lui tenaient à cœur pour son terroir. La politique n’était pas son affaire, il disait n’avoir pas fait des études pour cela. Mais, il entendait devenir un administrateur civil dans la fonction publique, au cas échéant un agent de développement communautaire. Son rêve était de matérialiser un plan qu’il avait déjà conçu pour un aménagement du territoire de Bignona. Ce fut la naissance d’un clan d’esprits tordus dans l’enclos. L’héritage du dédain fut transmis à sa suite génétique. En économes rabat-joie, ces avares ne le qualifiaient pas d’ingénieur, mais plutôt de sous-

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ingénieur en travaux publics de bâtiment, pont et chaussée. En plus de ce qu’ils lui reconnaissaient amèrement, il avait également fait des études d’architectures. Contre tout ce qu’il ambitionnait après ses brillantes études en France, il se retrouva sur la voie des armes. Il avait racontés à son fils les péripéties de son entrée dans les rangs de l’armée nationale. Cela fut un concours de circonstances inédites.

En compagnie d’une dizaine de compatriotes qui également avaient fait leurs études en France, ils étaient tous provisoirement logés dans l’internat du lycée Van Vollenhoven de Dakar. Et parmi tous, il fut la seule victime d’une suspicion discriminatoire. Ses colocataires d’internat furent tous recrutés et affectés à des postes de responsabilités. Il se retrouva tout seul sur le quai sans savoir pourquoi. Et pendant qu’il prolongeait son séjour en attendant son tour, il fut visité par le gardien de l’établissement qui lui informa de sa situation de paria. Le monsieur beaucoup plus âgé l’intima de libérer les lieux de sa présence. Des mots de ce dernier, il comprit qu’il a été snobé lors du recrutement de l’État, alors qu’il était très confiant pour un poste de responsable à la direction des Travaux Publics. Car il était éligible à ce poste comme cadre et surtout à une période où le pays venait d’accéder à l’indépendance et que les cadres de son niveau n’étaient pas monnaie courante. Abasourdi, son salut n’est venu que de ce même gardien de l’établissement. Ce dernier l’avait convoqué dans son