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Publié sur www.monde-diplomatique.fr 1 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de LYON CONTRADICTOIRE JUGEMENT CORRECTIONNEL DU 24 FÉVRIER 2009 N°de Jugement: 6 ème Presse N° de Parquet : 0894249 A l'audience publique du TRIBUNAL CORRECTIONNEL, au Palais de Justice de LYON le VINGT QUATRE FÉVRIER DEUX MILLE NEUF composé de M. SCHIR, Vice Président, faisant fonction de Président, Mme THEOLEYRE, Juge assesseur, M. COR, Juge assesseur, assistés de Mme LEMERCIER, Greffière, en présence de M. REYNAUD, Procureur de la République Adjoint a été rendu le jugement, le Tribunal vidant son délibéré après débats ayant eu lieu les 27 et 28 JANVIER 2009 alors qu'il était composé de M. SCHIR, Vice Président, faisant fonction de Président, Mme THEOLEYRE, Juge assesseur, M. COR, Juge assesseur, assistés de Mme LEMERCIER et de Mme RIGAT-ESSELIN, Greffières en présence de M. REYNAUD, Procureur de la République Adjoint ENTRE: La LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISÉMITISME représentée par M. Patrick GAUBERT, son président en exercice, sise 42 RUE DU LOUVRE 75001 PARIS Partie civile poursuivante constituée par l'intermédiaire d'un avocat à l'audience, représentée par M°JAKUBOWICZ, du Barreau de LYON (T.350) Monsieur le PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE, près ce Tribunal, partie jointe,

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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de LYON

CONTRADICTOIRE

JUGEMENT CORRECTIONNEL DU 24 FÉVRIER 2009 N°de Jugement: 6èmePresse N° de Parquet : 0894249

A l'audience publique du TRIBUNAL CORRECTIONNEL, au Palais de Justice de LYON le VINGT QUATRE FÉVRIER DEUX MILLE NEUF composé de M. SCHIR, Vice Président, faisant fonction de Président, Mme THEOLEYRE, Juge assesseur, M. COR, Juge assesseur, assistés de Mme LEMERCIER, Greffière, en présence de M. REYNAUD, Procureur de la République Adjoint a été rendu le jugement, le Tribunal vidant son délibéré après débats ayant eu lieu les 27 et 28 JANVIER 2009 alors qu'il était composé de M. SCHIR, Vice Président, faisant fonction de Président, Mme THEOLEYRE, Juge assesseur, M. COR, Juge assesseur, assistés de Mme LEMERCIER et de Mme RIGAT-ESSELIN, Greffières en présence de M. REYNAUD, Procureur de la République Adjoint ENTRE: La LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISÉMITISME représentée par M. Patrick GAUBERT, son président en exercice, sise 42 RUE DU LOUVRE 75001 PARIS Partie civile poursuivante constituée par l'intermédiaire d'un avocat à l'audience, représentée par M°JAKUBOWICZ, du Barreau de LYON (T.350) Monsieur le PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE, près ce Tribunal, partie jointe,

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ET: SINET Maurice Albert Né le 30/12/28 à PARIS 20ème (75) Nationalité FRANÇAISE Demeurant 7 RUE DE ROMAINVILLE 93130 NOISY LE SEC Directeur de publication (Siné Hebdo) Jamais condamné, libre, Comparant et assisté de Maître TRICAUD, du Barreau de PARIS (D1292) et de Maître LEVY, du Barreau de PARIS (P507)

Prévenu de COMPLICITÉ DE PROVOCATION À LA DISCRIMINATION NATIONALE, RACIALE, RELIGIEUSE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN DE COMMUNICATION AU PUBLIC PAR VOIE ELECTRONIQUE La société LES EDITIONS ROTATIVE, représentée par M. Philippe VAL, co-gérant, sise 44 RUE DE TURBIGOT 75003 PARIS Citée en qualité de civileirient responsable par M. Maurice SINET - Comparant et assisté de Maître MALKA du Barreau de PARIS (CO593)

L'affaire appelée à l'audience publique du 27 Janvier 2009, le Président a constaté la présence et l'identité du prévenu, et a donné connaissance de l'acte qui a saisi le Tribunal.

Le Président a constaté la présence des témoins régulièrement cités. Maitre LEVY et Maître TRICAUD, conseils du prévenu, ont développé in limine litis des conclusions tendant aux fins de nullité et d'irrecevabilité. Maître JAKUBOWICZ pour la partie civile et le Ministère Public ont été entendus en leurs observations.

Maître LEVY et Maître TRICAUD ont eu la parole en dernier. Sur quoi, le Tribunal a décidé de joindre au fond les exceptions et nullités soulevées et dit qu'il sera statué sur le tout par un seul et même jugement. Le Ministère Public a développé oralement in limine litis une exception d'irrecevabilité de la partie civile.

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Maître JAKUBOWICZ et Maître TRICAUD ont été entendus en leurs observations.

Sur quoi, le Tribunal a décidé, de joindre au fond les exceptions et nullités soulevées et dit qu'il sera statué sur le tout par un seul et même jugement. Le prévenu a été interrogé.

Les témoins ont été entendus conformément aux articles 444 et suivants du Code de procédure pénale. Maître JAKUBOWICZ, avocat au Barreau de LYON, a déclaré se constituer partie civile au nom de la LIGUE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME et a développé des conclusions dûment visées et jointes au dossier.

Le Ministère Public a été entendu en ses réquisitions.

Maitre MALKA est intervenu pour le civilement responsable, les Editions Rotative, représentées par M. Philippe VAL.

Maitre TRICAUD et Maitre LEVY ont présenté leurs moyens de défense.

Le Greffier a tenu note du déroulement des débats qui se sont déroulés les 27 et 28 janvier 2009. Après débats à l'audience publique des 27 et 28 janvier 2009 les parties présentes ou régulièrement représentées ont été informées par le Président, conformément aux dispositions de l'article 462 alinéa 2 du Code de procédure pénale, que le jugement sera rendu à l'audience de ce jour.

Après en avoir délibéré conformément à la Loi, le Tribunal a statué en ces termes :

LE TRIBUNAL

Attendu que Maurice SINET a été cité par exploit de Maître PENOT-LETERRIER Huissier de Justice à TREMBLAY EN FRANCE en date du 20/10/08, à la demande de la LICRA, pour comparaître à l'audience de ce jour ; que la citation est régulière en la forme ; Attendu que Maurice SINET est prévenu

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- de complicité de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou religion déterminée, pour avoir écrit les propos suivants dans sa chronique "Siné sème sa zone" publiés sur le territoire national et notamment à Lyon dans l'hebdomadaire CHARLIE HEBDO du 11 juin 2008 :

« Je n'ai jamais brillé par ma tolérance mais ça ne s'arrange pas et au risque de passer pour politiquement incorrect, j'avoue que de plus en plus, les musulmans m'insupportent et que plus je croise les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier, plus j'ai envie de leur botter violemment le cul.

J'ai toujours détesté les grenouilles de bénitier catholiques vêtues de noir, je ne vois donc pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeante, et véritables épouvantails contre la séduction ! Leurs maris barbus embabouchés et en sarouel coranique sous leur tunique n'ont rien à leur envier point de vue disgracieux. Ils rivalisent de ridicule avec les juifs loubavitchs ! Je renverserai aussi de bon coeur le plat de lentilles à la saucisse sur la tronche des mômes qui refusent de manger du cochon à la cantoche. » Faits prévus et réprimés par l'article 24 AL. 8 de la LOI DU 29/07/1881 :

- de complicité de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, race ou religion déterminée, pour avoir écrit les propos suivants dans sa chronique « Siné sème sa zone » publiés sur le territoire national et notamment à LYON dans l'hebdomadaire "Charlie Hebdo" du 2 juillet 2008 : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter ! Le Parquet (encore lui!) a même demandé la relaxe. Il faut dire que le plaignant est arabe! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de DARTY . Il fera du chemin dans la vie ce petit (...)

La semaine dernière, "L'Express " titrait son édito "ISLAM cette religion doit abjurer les archaïsmes les plus flagrants de son dogme". Croyez-vous que ce Christophe BARBIER, qui se permet d'admonester les musulmans, les enjoignant brutalement d'abandonner leurs traditions, aurait le même culot

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pour s'adresser aussi violemment aux juifs ? Moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est vite fait! » Faits prévus et réprimés par l'article 24 AL. 8 de la LOI DU 29/07/1881 ; l - FAITS ET PROCÉDURE Dans son édition datée du 11 juin 2008, l'hebdomadaire CHARLIE HEBDO a publié une chronique intitulée "Siné sème sa zone", dans laquelle l'auteur, Maurice SINET dit SINÉ, a écrit les propos suivants (les passages poursuivis sont surlignés en gras) :

« Je n'ai jamais brillé par ma tolérance mais ça ne s'arrange pas et au risque de passer pour politiquement incorrect, j'avoue que, de plus en plus, les musulmans m'insupportent et que, plus je croise, les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier, plus j'ai envie de leur botter violemment le cul ! J’ai toujours détesté les grenouilles de bénitier catholiques vêtues de noir et sentant le pipi, je ne vois donc pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeante et véritables épouvantails à bites ! Leurs maris barbus embabouchés et en sarouel coranique sous leur tunique n'ont rien à leur envier au point de vue disgracieux. Ils rivalisent de ridicule avec les juifs Loubavitch ! Je renverserais aussi de bon coeur, le plat de lentilles à la saucisse sur la tronche des mômes qui refusent de bouffer du cochon à la cantine. Quand on a des parents aussi bornés que les leurs, le seul remède est de leur désobéir et de les envoyer se prosterner ! Et quand ils prétendent que c'est pour des raisons d'hygiène qu'ils refusent le porc évoquant des maladies datant du temps de leur prophète mais éradiquées depuis belle lurette, mon sang ne fait qu'un tour et se transforme aussitôt en boudin ! La bêtise n'a pas de limites, c'est connu, mais arrêtons de la respecter et, qui plus est, de l'entretenir au nom d'une indulgence dont ils ne font, eux, aucune preuve ! J'ai appris, à l'occasion de sa mort, que c'était Yves Saint Laurent qui avait lancé la mode du port du pantalon par les femmes. Si c'est exact, je ne suis pas près de Iui pardonner. Je regretterai en effet, toute ma vie, le temps béni qu'heureusement j’ai connu, des robes, courtes ou longues, des jupes droites ou plissées, amples ou serrées et, ô merveille, des bas retenus par des porte-jarretelles ou des guêpières. On a quelque peine à se rappeler que le pantalon était banni, grâce à Dieu, pour nos compagnes et que l'horrifiant collant débandant n'avait pas encore été inventé, veinards qu'on était ! Je peux concéder, à la rigueur, qu'un jean bien moulé sur les fesses d'une nana roulée comme Jennifer Lopez ou Angelina Jolie peut avoir quelque charme mais il n'équivaudra quand même jamais la robe blanche à pois qui galbe la croupe altière de

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Marilyn montant l'escalier dans "7 ans de réflexion". Un grand merci à Billy Wilder! C'était aussi l'heureuse époque, hélas révolue, où les femmes ne se rasaient pas les aisselles ! Notre politique de disette menée à un train d'enfer par Sarkozy et sa bande de casseurs va nous conduire à supprimer beaucoup de nos stations météorologiques. Personnellement, j'ai toujours trouvé que les prévisions, pour les pékins que nous sommes, étaient complètement inutiles et que la façon dont les spécialistes les ânonnaient à la radio et les présentaient à la télévision était insupportable. Je serai donc ravi de leur disparition. Je ne vois pas qui ça peut intéresser à part les élégantes qui tiennent à savoir quelles fringues emporter aux antipodes et quelques professions spécifiques comme les marins, les aviateurs ou les guides de montagne qui, de toute façon, ont des stations réservées, heureusement plus précises que les nôtres qui relèvent plus de la cartomancie et du spiritisme qu’une science plus ou moins exacte. »

Dans son édition datée du 2 juillet 2008, ce même hebdomadaire a publié une nouvelle chronique du même auteur dans laquelle ce dernier a écrit les propos suivants :

« Libé » a payé cher son scoop crapoteux de Carla Sarkozy. Ce léchage de cul éhonté a suscité un déluge de bafouilles de lecteurs courroucés et écoeurés comme moi, et pas mal de désabonnements prouvant ainsi qu'on n'a pas toujours intérêt a prendre les gens pour des cons ! Quant à la réaction de la direction du quotidien, qui prétend que « Nul ne peut suspecter notre journal de complaisance envers l'Elysée », elle se fourre le doigt dans l'œil jusqu’aux couilles ! C'est uniquement pour des raisons esthétiques que je ne cloue pas la première Dame de France au même pilori que son odieux mari, mais pourtant, elle le mérite quand elle ose avouer aimer beaucoup Brice Hortefeux ! De toute façon, je n’ai jamais trouvé aucun charme à cette nana, qui ne m'a -jamais fait bandasmer ! Concemant l'édito-lynchage de Philippe Val sur Denis Robert, je me contenterai, prudemment, du blanc qui va suivre : Je ne faisais pas, jusque-là, partie du comité de soutien à Denis Robert. C'est chose faite ! Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet (encore lui !) a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de DARTY. Il fera du chemin dans la vie, ce petit !

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En Israël, son papa et sa belle-doche ont réussi, de justesse, à rencontrer le Premier Ministre, Ehud Olmert, qui venait miraculeusement d'éviter la taule pour malversations grâce au soutien des 19 députés de gauche ! Dans quel monde pourri on vit, mon kiki ! Vite, une bonne nouvelle pour nous rasséréner. SUITE, HÉLAS, DES HAUTS-LE-COEUR. Grâce à une ordonnance de 2004 prise sous l'impulsion d'Henri Madelin, l'État vient de confier à Bouygues la construction de 3 prisons. Il aura, en plus, leurs concessions pendant 27 ans ! Il "assurera la maintenance et le nettoyage des locaux, mais aussi la blanchisserie , la restauration, les soins et les transports détenus ainsi que l’accueil des familles et même la gestion du travail des prisonniers. » On croit rêver ! La semaine dernière, « l’Express » titrait son édito « ISLAM : Cette religion doit abjurer les archaïsmes les plus flagrants de son dogme. » Croyez-vous que ce Christophe Barbier, qui se permet d’admonester les musulmans, les enjoigant brutalement d’abandonner leurs traditions, aurait le même culot pour s’adresser aussi violemment aux juifs ? Moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et un ejuive rasée, mon choix est fait ! »

Le 8 juillet 2008, à la fin de l’émission « On refait le monde » sur RTL à laquelle participaient Claude ASKOLOVITCH, Alain-Gérad SLAMA et Claude CABANES, le présentateur Nicolas POINCARE adressait à ces derniers : « Coup de cœur, coup de gueule », qui veut commencer ?

Claude ASKOLOVITCH : « C’est une affaire qui à mon avis va faire beaucoup de bruit. C’est un article antisémite dans un journal qui ne l’est pas qui s’appelle « Charlie Hebdo ». L’auteur de l’article est un vétéran du dessin de presse et de la polémique en France. Il s’appelle Siné. Il est dans Charlie Hebdo depuis toujours. Il a une chronique hebdomadaire dans « Charlie ». Sa dernière chronique consacrée partiellement à Jean SARKOZY, fils de son père, etc… Et, à un moment donné, Siné dérape mais dérape bien ! Je cite une phrase, voilà…il parle de Jean SARKOZY « digne fils de son paternel…etc et il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie ce petit ! Sous entendu, pour faire du chemin dans la vie, vaut mieux être juif, pour avoir des héritiers, vaut mieux être (mot inaudible). Et il y en a d'autres du même ordre dans la chronique. Déjà, cela pose un gros problème ! Ce qui est intéressant, c'est un article paru mercredi de la semaine dernière. Philippe Val, patron de "Charlie" totalement insoupçonnable de cette dérive et qui est même considéré ... Ça énerve pas mal de gens à l'extrême gauche et par le lectorat de "Charlie Hebdo" comme plutôt philosémite etc. Peu importe ! Philippe VAL n'a pas lu cette chronique parce qu’il déteste tellement Siné, qui

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fait partie de la vieille garde de "Charlie Hebdo" d'un gauchisme imbécile qu'il exècre, dixit Philippe VAL, qui ne les lit plus. Donc, les chroniques de Siné arrivent directement par fax, et elles sont dans le journal. Et là, c'est très embêtant parce que Val, patron de "Charlie Hebdo" va sans doute se payer, peut se payer un procès pour "antisémitisme" pour un article qu'il désavoue, qui est passé dans son journal qu'il n'a pas lu et, la semaine prochaine - je Iui ai parlé longuement au téléphone - il va faire lui, son éditorial pour expliquer que Siné est une ordure, a dérapé totalement et qu'il devrait partir.

Vous me direz : pourquoi il le vire pas? Et c'est là où l'histoire de la presse est extraordinaire: il ne peut pas le virer parce qu’'il fait partie des « historiques » de « Charlie Hebdo », Siné !… Donc vous avez une affaire, on va en parler plus longuement, et vous avez une affaire qui concentre toutes les ambiguïtés d’un certain discours très à gauche, quand on en vient à la question nazie ou à la question juive ? L’ambiguïté d’un journal qui publie des articles avec lesquels il n’est pas d’accord mais qu’il passe quand même et l’impuissance d’un parton de presse, Philippe Val, totalement insoupçonnable, encore une fois, ne de racisme, ni d’antisémitisme, mais qui se retrouve en situation d’accusé qui pense que c’est juste. »

Alain Gérard SLAMA : « Ce qui est très très curieux, c’est la force de cette tradition d’antisémitisme chez les caricaturistes. Je repense à KONK, dans « le Monde » qui était d’un antisémitisme forcené et qui a fait quelques disciples. D’ailleurs il est parti au « Front National » (on entend distinctement ASKOLOVITCH qui commente : « lui était négationiste, ce que n’est pas Siné ») Je pense comme quoi il y a souvent des liens entre la virulence de la dénonciation de l’argent des riches et puis l’antisémitisme. C’est pas une preuve de nouveauté ce que je dis, Freud l’avait vu avant moi et dit avant moi ! Mais enfin c’est une raison supplémentaire pour qu’on évite ce type d’argument car je reviens sur le discours sur l’argent ».

A ce propos, Philippe VAL, directeur de publication de CHARLIE HEBDO, dans un chapitre intitulé « Deux poids deux mesures » A propos de ce qu'il est convenu d’appeler l'affaire Siné » de son livre "Reviens Voltaire, ils sont devenus fous", pages 244 et 245, écrivait :

« L'été arrive, et je m'isole à la campagne pour mettre la dernière main, lecteur paisible et bucolique, au livre que tu tiens dans tes mains. Par un bel après-midi calme et ensoleillé, ma consoeur et collaboratrice Anne-

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Sophie Mercier me téléphone : "Je viens d'avoir un coup de téléphone de Claude ASKOLOVITCH. Il travaille en ce moment à un livre sur Jean SARKOZY. Il a découvert la chronique de Siné qui le met en cause. Je viens de la lire, c'est vraiment dégueulasse ... Askolovitch passe ce soir sur RTL, il est remonté, et il va taper très fort. Il m'a dit qu'il allait t'appeler ( ... ) Je fouille dans ma pile de Charlie, et je lis la chronique de Siné dans son intégralité. J'aurais dû le faire bien avant, puisque je suis directeur de la publication, mais j’avoue que je lis plus Siné aussi attentivement que lorsque j'étais rédacteur en chef. Autrefois, il m'est arrivé de lui demander de couper des passages qui me semblaient odieux, notamment au moment de la fameuse liste "Euro-Palestine". Mais cette fois-ci, le rédacteur en chef, Gérard Biard -excédé depuis longtemps par le mépris massif et sans cause que, Siné lui a toujours exprimé- et moi-même avons manqué de vigilance. Siné écrivait donc ceci :

« Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l’UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de DARTY. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »

Outre qu’il s’en prend à la vie privée pour en déduire un jugement public, ce qui n’est pas dans le genre de Charlie, l’association du judaïsme et de la réussite sociale relève d’un poncif antisémite auquel on ne peut trouver l’excuse – souvent avancée par les défenseurs de Siné – de la raillerie circonstanciée de l’opportunisme du fils de Sarkozy (…) ».

Dans l'hebdomadaire LE NOUVEL OBSERVATEUR, daté du 17-23 juillet 2008, sous le titre "Bal tragique à Charlie : Siné viré pour antisémitisme", avec en guise d'introduction: "On lui pardonnait tout. Ses saillies, ses outrances, ses diatribes. Parce que "c'est Siné", le vétéran sulfureux de l'hebdo satirique . Pas cette fois. Son dérapage a provoqué un tollé, et son refus de s'excuser a entraîné son départ du journal", Claude Askolovitch signait un article dans lequel il écrivait notamment :

« (…) Tout a commencé le jour du bouclage, lundi 30 juin. Comme d'habitude, Siné envoie sa chronique par fax. Quand le texte arrive, on le montre à Val. Il y jette un oeil. Il ne voit qu'une phrase : "Concernant l'éditorial de Philippe Val sur Denis Robert, je me contenterai, prudemment, du blanc qui va suivre : autocensuré". Val soupire. Siné le cherche ! La semaine précédente, Val a décidé de dire tout le mal qu'il pense du journaliste d'investigation, Denis Robert, héros et victime de

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l'affaire Clearstream, icône de sa rédaction, mais dont lui, Val, pense qu'il est bidon ... Siné veut défendre Robert ? Bon. "Il veut me taper, qu'il me tape." L'attaque contre Jean Sarkozy, la riche héritière juive... Ni la chute sur les juives religieuses "aux crânes rasés" ... Le texte de Siné part dans le journal. La bombe est amorcée. Etrangement, elle va mettre six jours à exploser. Manifestement, personne ne lit Siné. Il va falloir une lectrice incongrue pour que tout sorte. Madame Marie Culioli, maman de Jean Sarkozy ... Elle est alertée ; et peinée. Jean Sarkozy, évidemment, n'a jamais annoncé une quelconque conversion au judaïsme. Sa fiancée est désespérée de devenir un sujet de rumeurs. La famille est excédée. Que faire ? Porter plainte ? La colère de Jean Sarkozy est rapportée à des journalistes. L'affaire éclate sur RTL. Nous sommes mardi 8 juillet. Val est chez lui dans la Drôme. Il termine un livre contant "la complaisance d'une certaine gauche envers le terrorisme, depuis la guerre d'Algérie jusqu'à l’islamisme »…son sujet. On l’a alerté sur Siné. Il est malade (…) Il veut en finir. Il va écrire contre Siné dans le journal. Et que Jean Sarkozy porte plainte, tant mieux ! « J’irai au tribunal et je plaiderai coupable… ». Il voudrait virer Siné ? Même pas. Pas encore. C’est injouable, pense-t-il. On ne vire pas, à « Charlie », et certainement pas un Siné, père spirituel des talents les plus méchants de la rédaction (…).

Mercredi 9 juillet, Val rentre de sa Drôme. Le lendemain, il arrive à la rédaction, déterminé ... Il se rend compte qu’il n’y aura pas de drame. On se range à ses conditions. Oui, il faut sauver "Charlie" de la honte. Oui, la rédac va bouger contre un texte « ni acceptable, ni défendable ». Charb appelle Sine, une nouvelle fois. Il lui passe Val."Tu dois t'excuser" Siné veut bien. "Tu dois présenter tes excuses à Jean Sakozy." Là, non. S'excuser auprès d'un Sarkozy, jamais ! Mais Siné présentera ses excuses à ceux que ses propos ont choqués. Un texte est concocté, dosé au mauvais poil près, où le vieux se désole d'un "raccourci honteux et condamnable". Et la rédaction fera un communiqué. Et Val emballera l'affaire dans son édito. Il prendra sur lui d'écrire, directement, au fils du président. "Charlie" s'excusant, Siné disant "désolé", ce sera une première ! Mais il faut bien cela pour retrouver son honneur. Val respire. "Charlie" est donc sauvé, de la tache comme de la déchirure ... Et puis patatras. Dimanche 13 juillet, Siné repart en guerre, convaincu d'avoir été piégé et humilié. Il envoie un mail à Val. L'autre le rappelle. Siné est dans un de ses grands jours : "Je ne m'excuse plus. Et je ne veux pas être désavoué par la rédaction."

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Val s'arcboute. "Siné, tu nous mets tous dans la merde. Je t'ai trouvé une sortie honorable pour que tu puisses continuer avec nous, tu avais accepté, et maintenant, tu la refuses ..." Siné : "Je ne m'excuse pas. C'est toi qui me vires !" Après Val, ils seront quelques uns à téléphoner à Siné, ce dimanche bête et méchant, pour qu'il sorte de sa bulle et se laisse aider... Mais Siné ne bougera plus. Et Val, secoué, soulagé, écoeuré, actera le départ du vieil insupportable. Finalement, il pouvait le virer. "Charlie" n'est plus antisémite, mais Siné n'est plus dans "Charlie". (pièce n°6, M° TRICAUD et M° LEVY)

A propos de la menace de procès, Philippe VAL en donnait la version suivante dans son livre déjà cité (pages 244, 245): « Je téléphone à l'avocat de Jean Sarkozy et je lui demande de me mettre par écrit ce qu'il m'a dit au téléphone, à savoir que les familles avaient envisagé de porter plainte, et avaient finalement renoncé après le départ de Siné. Il m'envoie le mail, que je transmets à Richard (MALKA, avocat du journal) (…) ». Selon plusieurs documents versés aux débats (notamment la pièce n°25 de M° TRICAUD), Maurice SINET a refusé de signer une lettre d'excuses apocryphe libellée ainsi : "Ma Zone" d' il y a deux semaines sur Jean Sarkozy a suscité beaucoup de réactions. Je me suis fait traiter d'antisémite sur RTL, et on m'a même rapproché de ce salaud de Konk. Mes amis de Charlie se sont émus. J'ai relu ... Bon, c'est vrai que ça pouvait être mal interprété ... Je voulais dénoncer l'imbécillité de se convertir à une religion quelle qu'elle soit et, par ailleurs, la fascination de la famille Sarkozy pour le fric. J'ai synthétisé mon propos, et, au final, il en est resté ce qui peut être analysé comme un raccourci ambigu et condamnable. Je présente mes excuses auprès de ceux qui l'ont compris comme tel. »

Par acte d'huissier signifié le 18 août 2008, la LICRA, représentée par son Président en exercice, Patrick GAUBERT, citait directement Maurice SINET d'avoir à comparaître le 9 septembre 2008 devant le Tribunal Correctionnel de LYON. Par fax transmis et reçu le 9 septembre 2008, M° TRICAUD, avocat au Barreau de PARIS, informait le Tribunal qu'il ne pouvait se présenter à l'audience de consignation fixée. Maurice SINET ayant fait délivrer à Claude ASKOLOVITCH une citation pour diffamation envers un particulier à l'audience du 7 octobre 2008 de la 17ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de PARIS, M° TRICAUD, au cas où le Tribunal de céans ne se dessaisirait pas au profit du Tribunal de PARIS, portait à sa connaissance une liste nominative provisoire de vingt témoins que Maurice SINET envisageait de faire citer.

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Selon M°TRICAUD, « compte tenu des incidents prévisibles, deux journées d'audience semblent être un minimum. » « Par courtoisie envers le Tribunal », il indiquait avoir demandé à M° Franck SAUNIER, avocat au Barreau de LYON, "d'être officieusement présent à l'audience."

A l'audience publique du 9 septembre 2008, le Président, après avoir donné connaissance de l'acte saisissant le Tribunal, constatait la non-comparution de Maurice SINET ainsi que la présence de M° Franck SAUNIER, outre celle de M° JAKUBOWICZ, représentant la partie civile.

Le Tribunal fixait la consignation à la somme de 500 Euros à verser par la partie civile avant le 10 octobre 2008 et renvoyait l'affaire à l'audience du 27 janvier 2009 à 9 h 30, et 28 janvier 2009 en continuation éventuelle, le prévenu étant cité à la diligence de la partie civile.

La consignation a été versée le 7 octobre 2008.

Par acte d'huissier signifié le 20 octobre 2008, avec dénonciation de citation à Parquet le 31 octobre 2008, la LICRA citait Maurice SINET à l’audience du 27 janvier 2009 à 9 h 30.

Par courrier reçu au service de l'audiencement le 22 janvier 2009, M° Aude WEILL-RAYNAL, au nom de l'Association AVOCATS SANS FRONTIÈRES, prise en la personne de son Président, Gilles GOLDNADEL, informait le Tribunal "qu'elle se constituera partie civile, à l'audience". A cet effet, elle transmettait des documents justifiant de sa qualité à agir.

L'audience publique du 27 et 28 janvier 2009 :

Le Tribunal a constaté l'identité de Maurice SINET, comparant assisté de ses avocats, M° Thierry LEVY et M° Dominique TRICAUD, et a donné connaissance de l'acte saisissant le Tribunal. Puis le Tribunal a constaté la présence des témoins cités à la requête de la partie civile, Bernard-Henri LEVY et Dominique SOPO, ainsi que des témoins du prévenu, Guy BEDOS, Sid Ahmed GHOZALI, André LANGANEY, Gérard FILOCHE, Dominique LAGORGETTE, Jean-Marie CLAVETINE et Mark HELD. Les témoins étaient invités à se retirer dans la salle ad hoc.

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M° TRICAUD a informé le Tribunal que Henri ROUSSEL, dit DELFEIL de TON, témoin cité par la défense, était empêché pour motif médical. Alors que Philippe VAL était initialement cité connue témoin par la partie civile, le Tribunal constatait la présence de celui-ci, assisté de M° Richard MALKA, avocat au Barreau de PARIS, car cité par acte d'huissier notifié le 9 janvier 2009 mais non porté à la connaissance du Président ou du Procureur, à la requête de Maurice SINET, partie civile élisant domicile au Cabinet de M° Franck SAUNIER, et ainsi attrait en tant que civilement responsable, "Les Editions Rotative", éditeur du journal CHARLIE HEBDO en sa qualité de gérant de la SARL de presse.

In limine litis, M° LEVY et M° TPICAUD, au soutien de conclusions régulièrement déposées et visées, ont développé oralement de voir successivement et subsidiairement :

- prononcer la nullité de la citation du 18 août 2008, du jugement de renvoi du 8 septembre 2008 et de la citation du 28 octobre 2008 pour violation de l'application combinée de l'article 553 du Code de procédure pénale et de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 ("le délai entre la citation et la comparution sera de vingt jours outre un jour par cinq myriamètres de distance"), - juger irrecevable la constitution de partie civile de l'Association Avocats Sans Frontières,

- condamner solidairement la LICRA et Avocats Sans Frontières au versement de la somme de 5 000 Euros sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale, - constater la nullité de la citation et de la procédure subséquente en application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 pour dénaturation des écrits poursuivis et atteinte aux droits de la défense, - déclarer irrecevable la constitution de partlç civile de la LICRA, le dernier alinéa de l'article 24 mentionné à l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 ne correspondant pas à l'alinéa 8 de l'article 24 visé à la prévention,

- prononcer la suppression de toute référence au jugement de condamnation de Maurice SINET en 1985 conformément à l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, - condamner qui il appartiendra au versement de la somme de 10 000 Euros de dommages et intérêts à Maurice SINET ou donner acte à ce dernier de ses réserves en application de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881.

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Pour sa part, le représentant du Ministère Public, par réquisitions orales sollicitait de voir déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la LICRA concernant la chronique du 2 juillet 2008, et ce en application de l'article 48-1 al.2 de la loi du 29 juillet 1881, l'infraction dénoncée ayant été commise envers des personnes considérées individuellement dont la LICRA ne justifiait pas avoir reçu préalablement l'accord.

Parole préalablement donnée aux parties, M° JAKUBOWICZ ayant déposé en réplique des conclusions n°1, 2 et 3 aux fins de rejet des exceptions, et irrecevabilités soulevées par le prévenu et le Ministère Public, le Tribunal, après en avoir délibéré, a joint les exceptions et incidents au fond conformément à l'article 459 al.2 du Code de procédure pénale. Sur le fond : Lors de son interrogatoire, Maurice SINET a déclaré notamment (note d'audience) : « Non, je ne reconnais pas les faits. Il y a le texte et les dessins aussi. Les gens oublient que je suis humoriste et chroniqueur. Ce sont des propos humoristiques. J'attaque les intégristes qu’ils soient musulmans, catholiques, qui arborent ce qui est interdit pas la loi. C’est une guerre de religion que je déclare. Les gens qui prient dans leur coin, ça m'est égal. C'est répugnant de voir ces jeunes filles jolies sous leur voile. Ça me dérange. C'est de l'humour. Mon patron m’a laissé écrire cela pendant 15 ans et tout d'un coup il réagit. La phrase de Jean Sarkozy, je l'ai copiée de M. GAUBERT. On me poursuit pour des propos tenus par le Président de la LICRA. Ça fait 60 ans que je me bagarre contre les minorités. Je suis l'un des parrains de SOS Racisme. Je suis fier de mes convictions, je ne suis pas prêt d'en changer. »

Sur question du Président : Comment vous définissez-vous ? Le prévenu : "Je suis dessinateur, j'ai une réputation pour faire des dessins acérés. "

Sur question du Président : La chronique du 2 juillet : Quel est le but poursuivi ? Cherchez-vous à être drôle ? Le prévenu: « Absolument, drôle et percutant. Tout le monde sait que je suis à gauche. C’était pour casser le jeune Sarkozy. »

Sur question du Président : A partir de quoi, quelles sont vos sources d'information?

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Le prévenu: « Les journaux, la télé, la radio. Je me fais une revue de presse. Je ne sais pas me servir de l'ordinateur, je n'ai pas accès à Google. » Le Président: La chronique est hebdomadaire ? Le prévenu : "C'est toute ma production. Cette chronique est écrite à la main, calligraphiée."

Le Président: Pourquoi ce choix ? Le prévenu : "Avant tout, je suis dessinateur. Écrire à la main, c'est de l'esthétique. J'aime bien écrire."

Le Président : Êtes-vous plus dessinateur, caricaturiste ou tenez-vous une chronique ? Le prévenu: « Je suis devenu chroniqueur mais j’ai été dessinateur toute ma vie. Il y a beaucoup de dessinateurs qui écrivent bien, à l’inverse des journalistes. On a un style artistique. On reconnaît le style d'un humoriste. »

Le Président : Le premier paragraphe, vous visez qui ? Le prévenu: « Je vise Jean Sarkozy personnellement, digne fils de son père. Je fais un curriculum vitae de ce monsieur. Il a eu un accident de voiture et fait un délit de fuite et c'est le conducteur qui est condamné. J'ajoute « il est arabe » . Pour moi, qu'il soit arabe explique beaucoup de choses. »

Le Président : Vérifiez-vous ce que vous lisez dans les journaux ? Le prévenu : « Non, je ne vérifie pas ce que je lis dans les journaux. Je n’ai pas inventé que le chauffeur était arabe. Concernant Darty, je ne connaissais pas la famille. C’est les journaux qui ont dit que la fille Darty était juive. » Le Président : Pourquoi évoquez-vous une conversion ? Le prévenu: « S'il épouse une milliardaire, il va finir sur les traces de son

père. »

Le Président : Pourquoi précisez-vous que sa fiancée est juive ? Le prévenu : « Je précise que Jessica DARTY est juive pour expliquer sa conversion. C'est certes conversion pour épouser une milliardaire qui me choque. »

Le Président : Avez-vous lu explicitement que sa fiancée est juive'? Le prévenu : "C'est Patrick GAUBERT qui a écrit un propos concernant Jessica Darty."

M° TRICAUD intervient en faisant état de l'article paru dans "Libération" rapportant des propos de M. GAUBERT.

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Le Président : Admettez-vous que votre propos pouvait être interprété ou perçu comme étant ambigu ? Le prévenu : "Je m'aperçois que c'est ambigu parce qu'on me l'a fait remarquer. La semaine suivante, j'ai envoyé une autre rubrique. J'ai entendu par la radio que j'étais antisémite. C'est M. ASKOLOVITCH qui le disait à la radio. J'étais fou de rage. Je savais que Philippe Val cherchait à me virer. Il ne regrette pas. Il prétend qu'il le referait si c'était à refaire. Il perd du coup des lecteurs."

Le Président : Concevez-vous que votre article ait pu être considéré comme ambigu ? Le prévenu: « M. Val m’appelait souvent au téléphone en me demandant de m'excuser, disant que l'avocat de Jean Sarkozy appelait pour avoir des excuses. Il m'a dit avoir écrit une lettre en s'excusant auprès de Sarkozy et Darty. Au début, je ne voulais pas, surtout je ne voulais pas m'excuser. Au lieu de perdre mon boulot, j'ai dit "d'accord". Michel Polac m'a appelé en me disant de signer, qu'on lui demandait de signer un texte me condamnant. J'ai téléphoné à mes copains qui m'ont dit que c'est faux, on ne leur avait pas demandé de signer un texte. J'ai refusé que ce texte paraisse. Rien n'est paru. M. Val m'a dit qu'il ne voulait plus que je paraisse. Je lui ai dit "tu me vires. " Il a refusé. J'ai continué à lui envoyer des rubriques. Il a refusé de les publier. Il m'a viré au bout de quinze ans, sans un sou d'indemnité. »

Le Président : Concernant la chronique du 11 juin 2008, le Tribunal précisant qu'il n'a pas le texte complet de celle-ci, quel est l'objectif de celle-ci ? Le prévenu: "Je dénonce les intégristes."

Le Président : Visez-vous les intégristes ? Pourquoi utilisez-vous l'expression "prolifèrent" ? Le prévenu : « C'est voulu, c'est pour donner un ton polémique à la rubrique. C'est péjoratif. Ce n'est pas une incitation à la haine. A Noisy le Sec, il y a moitié-moitié de femmes voilées. »

Le Président : "Patates", pourquoi ce terme "patates" ? Pouvez-vous le considérer comme un terme de mépris ? Le prévenu: « Combien de fois j'appelle les copains "patates ". C'est plutôt

gentil. Il y a des gens qui ne trouvent pas drôle ce que j'écris. Les "sarouels",je vise les intégristes, d'ailleurs, c'en est."

Le Président: "Et plus j'ai envie de leur botter le cul." A qui vous adressez-vous

?

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Le prévenu : "Je ne m'adresse pas à elles, je m'adresse aux lecteurs de Charlie Hebdo. Charlie Hebdo avait la réputation de « tout est permis. » Il y a eu une interruption parce qu'il y a eu des problèmes de justice. Val nous supportait mal avec mes collègues, "les vieux ". Il rêvait d'être philosophe. Il y avait une distance entre nous. "

Le Président: Estimez-vous qu'il y a des limites à la liberté d'expression ? Le prévenu : "Oui, il y a des limites à la liberté d'expression. Je me moque des patrons, des bourgeois, de ceux qui empêchent les autres de vivre. Je suis anti-religieux, anti-militaire. Je continuerai. Je ne me moque pas des SDF, des pauvres, des roms. Ils ne sont pas riches."

Le Président : Pensez-vous qu'il y a des sujets dont on ne peut pas rire ? Le prévenu : « Je ne m'applique pas cela. Quand je vois la messe sur Antenne 2, je trouve cela choquant. Mon intention n'était pas d'inciter à la haine religieuse. J'estime être intelligent et avoir des lecteurs intelligents. Ils ont perdu des lecteurs à Charlie Hebdo grâce à moi. »

Sur question d'un Assesseur : Ne pensez-vous pas que l'utilisation des clichés puisse favoriser le racisme ? Le prévenu : « Chez les imbéciles, oui. Les bras m’en tombent. Ils me prennent pour un con. Ça m'étonnerait que Jean Sarkozy ait épousé une rom. Il aurait pu épouser une arabe si elle avait été riche. J'ai voulu dénoncer l'arrivisme de Jean Sarkozy ».

Sur question de M°JAKUBOWICZ, le prévenu: "Ce sont les femmes voilées qui m'insupportent, pas les musulmans. Il ne faut pas prendre mes chroniques au 1er degré. Je n'ai jamais dit qu'on n'était plus chez nous. Quand je dis on est "moitié-moitié ", je pense aux gens qui montrent leur religion dans la rue, avec des tenues ostensibles. Il y a trop d'imbéciles qui sont choqués. Peu m'importe qu'ils soient choqués ceux-là. Je ne soutiens pas Dieudonné comme vous me le dites."

Sur question de M° JAKUBOWICZ, le prévenu : "Oui, la justice s'est trompée concernant Jean Sarkozy dans l'affaire dans laquelle il a été relaxé. La justice a condamné le chauffeur, arabe, dans cette affaire. Je ne fais pas d'amalgame. Je parle de certains juges. "

M° JAKUBOWICZ évoque la pièce n°70 et donne lecture de cette lettre.

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Sur question de M° JAKUBOWICZ : Est-ce bien le texte que vous avez accepté ?

Le prévenu: "C'est la deuxième version. J'ai refusé le terme d'ordure. M.Val a bien voulu le remplacer." M°JAKUBOWICZ évoque la pièce n°72. Le prévenu: « M. Val écrit à ma place. J'accepte de signer mais je n'aurais pas écrit cela à sa place. C'est un texte imbécile. »

M° JAKUBOWICZ évoque la pièce n° 98. M° LEVY intervient en disant que le compte rendu fait est d'après un site d'extrême -droite, raciste, condamné (France-Echos). Le prévenu: "Il est vrai que je suis monté sur scène. J'avais un partenaire qui disait des phrases anti-palestiniennes. On attribuait des propos scandaleux anti-palestiniens à des personnes ce jour-là. Il y avait Finkelkraut, Bernard-Henri Levy, Delanoë. "

Le Président : Vos chroniques étaient-elles toutes écrites dans le même style ? Le prévenu : « J'ai commencé ce métier à 22 ans. Je n'ai jamais cessé de dessiner dans des journaux de gauche bien sûr. Depuis quinze ans je pratique ces chroniques, mettons vingt cinq ans. Plus ça allait, plus l'écriture a pris le pas. J'ai eu le prix Honoré Daumier. Je me suis consacré contre le colonialisme…Ils ont tout fait pour me faire taire. Jamais ils n’ont réussi, j’y allais de plus en plus fort. J’ai toujours dénoncé les abus, les injustices. Je continuerai, on est moins libre qu’il y a vingt ans. Je me sens agressé par les médias, la télévision. Je réagis, je me défends, je défends les gens que j’aime, sans papiers…Je suis le porte parole de ces gens. »

Sur question de M° TRICAUD, le prévenu : « J’étais avec GENET, PRÉVERT. Je fais partie d’une équipe qui refuse de plier l’échine. Je choisis mes fréquentations, j’ai des amis de valeur. »

Sur question de M° JAKUBOWICZ, le prévenu : "Je suis agressé par le costume de ces femmes voilées. Les gens qui portent des vêtements ostentatoires m'insupportent."

Sur question de M° JAKUBOWICZ : Que pensez-vous de ce jugement de Pierre Desproges ? Le prévenu : "Il avait beaucoup d'humour. A la fin de cette plaidoirie (tribunal des flagrants délires), on est allé boire un coup et on a bien rigolé. Il rigolerait bien d'entendre des trucs comme je viens d'entendre."

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Philippe VAL, directeur de la publication de Charlie Hebdo, cité en qualité de civilement responsable à la requête de Maurice SINET, partie civile, a déposé comme suit (note d'audience) : « J'ai déjà écrit sur cette affaire. On a essayé de négocier avec SINÉ, de signer des excuses. Il a accepté puis refusé. J'ai une responsabilité dans cette affaire. J'aurai dû relire cette chronique en tant que directeur de la publication. Je ne relisais pas toujours ses chroniques. Il s'en prenait pas mal à moi les derniers temps. J'admirais son talent tant qu'on restait dans les limites acceptables éthiquement et moralement. La deuxième chronique (2juillet 2008) m'a été portée sous les yeux par la secrétaire de rédaction vers 17 heures en plein bouclage. J'ai dit : "Je m'en fous, tu passes cela ... C'est passé. Je m’économise en ne lisant pas ses chroniques. Je ne sais pas ce qui a poussé SINÉ à plus signer ces excuses. Si j'avais voulu me débarrasser de lui, je l'aurais fait depuis longtemps. Il avait des problèmes sur les questions de xénophobie, de racisme. je suis intervenu plusieurs fois, j'étais rédacteur en chef, nous avons eu des débats pour négocier les phrases. »

Sur question du Président : Dans les deux chroniques, que reprochez-vous précisément à Maurice SINET ? Philippe VAL : « Une chronique, c’est tout. Le contexte de celle-ci compte. Le texte est porteur de sens. Le début est une auto-censure, cela enchaîne sur l’allusion au jugement, ensuite ça passe à Jean Sarkozy qui se convertit…C’est ambigu, le contexte de la chronique est tel que cela pose un problème. Il y a une lourde ambiguïté qui pèse. J’accepte qu’elle est une ambiguïté. Je découvre après, je suis catastrophé. La famille, la mère, la fiancée de Jean Sarkozy sont blessés et menacent de faire un procès. J’ai eu des coups de fil, je ne voulais pas de ce procès. J’ai réuni la rédaction le lendemain. SINE n’était pas là. Je l’ai appelé, on a négocié un texte d’excuse. J’ai pris mes responsabilités pour des raisons éthiques et morales. Je tenais à ce que ces excuses soient faites. »

Sur question du Président : Pour vous, y a-t-il antisémitisme ? Philippe VAL : « Il y a une ambiguïté antisémite, le lien entre juif et argent. Il pouvait lever l’ambiguïté. Ne le faisant pas, le texte reprend un sens. J’ai pensé qu’il n’était plus possible de continuer à travailler avec SINÉ ».

Sur question du Président : M° Christophe BIGOT parle d'antisémitisme subliminal (pièce n°24 versée par le prévenu : Contrejournal de Libération, 31 juillet 2008, Affaire Siné: interview de M. Christophe BIGOT "Val voit de l'antisémitisme subliminal") : Philippe VAL : « M° BIGOT devrait peser ses mots. On suppose que quelque chose émane ... Il y a des mots : héritière, juif, conversion au judaïsme ... Je n'ai jamais dit que SINÉ était antisémite. Je voulais qu'il lève cette ambiguïté. »

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Sur question du Président : A propos du dessin représentant deux femmes dans la chronique du 2 juillet 2008, dans votre livre "Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous", vous écrivez page 248 : "La Juive rendue laide par son crâne rasé, opposée à la Musulmane supposée jolie sous son tchador, n'est pas une Juive religieuse. C'est la représentation des Juives déportées que Siné a mis dans la balance face à la femme voilée". Ne pensez-vous pas y aller un peu fort dans votre interprétation ? Philippe VAL: "La seule représentation de juifs rasés, c'est celle des juifs déportés. Un juif rasé, cela n'a jamais été loubavitch, en revanche les photos de juifs rasés déportés sont célèbres."

Sur question de M°JAKUBOWICZ, Philippe VAL déclarait : "On a été les co-rédacteurs de la lettre avec SINÉ et mon avocat. Il a accepté de signer cette lettre. Le propos était moralement et éthiquement condamnable à mes yeux. Si SINÉ refusait de lever l'ambiguïté, le propos de fait devenait antisémite. On peut être maladroit et s'excuser. Il refuse de le faire, on confirme, on souligne, d'où le terme de condamnable dans la lettre. Je sais que CAVANNA voulait faire un journal politique, hebdomadaire. Jamais accolé au titre Charlie Hebdo, il n'y a eu "bête et méchant. " On ne voulait pas faire HARA KIRI en 1981. L'étiquette "bête et méchante " ne nous intéressait pas. Un journal satirique n'est pas forcément bête et méchant. On n'a jamais revendiqué cette appellation. Charlie Hebdo est satirique et politique, il y a des analyses, informations, commentaires et non pas seulement des sketches. Il y a de la représentation, mais si possible une rigueur journalistique. Le chroniqueur choisit son ton. »

Sur question: Votre journal est-ce du journalisme ou de la représentation ? Quelle est votre conception de la liberté d'expression ? Philippe VAL : "On ne partage pas la même conception de la liberté

d'expression. La liberté d'expression pour moi est au service de la liberté. La loi française est plutôt bien faite. Je crois être le seul directeur de journal qui a accepté longtemps de se faire taper dessus dans son journal. Lorsqu'il l'a fait dans d'autres journaux, cela m'a blessé. Après cette affaire, que SINÉ s'exprime contre moi, c’était légitime. J'ai été étonné par la quantité et la violence des menaces d'une teneur insoupçonnée... C'est d'un antisémitisme haineux, la violence que ça a déchaîné m'a stupéfait. Il y a une irresponsabilité de faire des choses pareilles, voir des gens comme PLANTU commettre cela... les menaces .... C’est stupéfiant."

Sur question de M° MALKA, Philippe VAL : "Je veux récuser un mot, "philosémite ". J'ai en moi une certitude que ni l'origine, ni le lieu de naissance des gens ne leur confèrent une essence positive ou négative. Mes positions sur Israël m'ont été reprochées. Mais je n'ai rien écrit d'autre que la situation des

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Palestiniens était intolérable. Je ne pense pas que c'était une hystérie pro-palestinienne. Dire que ce sont les anti-racistes qui créent les racistes, c'est les déresponsabiliser. C'est d'une mauvaise foi facile. "Police de la pensée", qu'est-ce que c'est ? Empêcher des gens d'écrire et de penser ailleurs ... Qui peut se permettre de faire partie d'une police de la pensée ? La pluralité des sources..., je ne vois pas qui peut exercer une police de la pensée. Au procès des caricatures, je n'ai pas sollicité le témoignage du Président de la République, je l'en ai remercié de son témoignage écrit. Je ne lui dois rien, il ne me doit rien. Pourquoi ménagerai-je le Président de la République ? Je ne vois pas quel service je pourrai lui rendre. SINÉ a le droit de penser ce qu'il veut de Denis ROBERT. Je me fous que SINÉ l’ait soutenu, cela m'est complètement indifférent. Il y a des diversités d'opinion dans Charlie Hebdo. Je ne pouvais pas faire autrement que ce que j'ai fait. Je ne le regrette pas, j'ai senti la nécessité de le faire en moi. Un journal, c'est fait pour faire du lien et non pour créer une rupture. Je ne vois pas comment faire un journal autrement. Je ne pourrais accepter que le journal ne soit pas porteur de ce lien."

Sur question de M° TRICAUD, Philippe VAI, : "On ne m'a pas interrogé sur les propos contre les musulmans. J'étais aussi gêné sur la deuxième chronique que les choses qui touchent à la vie d'une démocratie ne sont pas acceptables, l’essentiel de notre combat étant la défense des droits des immigrés. Je suis venu répondre aux questions concernant la chronique. Je réprouve ce que SINE dit dans cette chronique. Mes déclarations dans Libération le 30 juillet 2008 ? Il faut demander à Eric FAVROT qui devrait faire attention à ce qu'il écrit. Le site de Libération a été fermé suite à l'article de JOFFRIN. Il y a eu un déluge de messages racistes, antisémites ... Il y a eu polémique à propos d'une phrase de JOFFRIN qui parlait de "race juive. " J'ai appris et regretté les menaces de mort à l'encontre de SINÉ, moi-même je vis depuis trois ans sous protection policière, je n'ai pas vu un article de SINÉ à ce propos. Je n'avais pas lu la chronique du 11 juin, je l'ai lue trop tard. Il y a eu une négligence, personne ne m'a alerté. J'ai demandé une levée d'ambiguïté publiable dans le numéro suivant. Il a pris sa décision négative et l'a surmédiatisée. On ne pouvait revenir en arrière, dès le dimanche tout le monde savait, on ne pouvait plus le faire, cela n'aurait pas eu de sens. Il a levé l'ambiguïté après la bataille."

Sur question de M° TRICAUD : Quelle bataille ? Philippe VAL: "Jean SARKOZY n'est pas seul dans l'affaire, la famille de la jeune fille également.

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C'est imaginable qu'il l'aime, c'est une offense à caractère racial."

Sur question de M° LEVY, Philippe VAL: "Je ne suis pas venu au procès la semaine dernière, c'était le procès SINÉ/ASKOLOVITCH. Je me rends où je me sens utile. Il est possible que lorsque j'ai pris connaissance de la chronique, que j'ai parlé à ASKOLOVITCH de SINÉ en des termes peu flatteurs. C'était une conversation privée. Je dis qu’ ASKOLOVITCH a décidé de rendre publique la conversation ... J'aurai été à sa place, je n'aurai pas fait cela, c'était une conversation privée. Il prétend ce qu'il veut. Je ne peux vous répéter mot à mot ce que j'ai dit au téléphone, j'étais en colère. J'en parle dans mon livre car je juge bon de répéter ce que j'ai dit, ce sont mes propos et je les assume. J'ai réglé le différend avec SINÉ et moi en juillet, et pour moi c'est réglé. L'allusion à VOLTAIRE est relative à la constitution anglaise, l'image de VOLTAIRE dont il est question, c'est l'image de ce VOLTAIRE admirateur de l’Angleterre. Je ne fais pas de VOLTAIRE un collaborateur de Charlie Hebdo. Dans le texte je dis qu'il y avait une ambiguïté apparente. Je ne sors pas de là. Je n'ai jamais dit que SINÉ était antisémite. Ce n'est pas moi qui ai décidé de souligner l'ambiguïté en refusant de signer les excuses. Je pense qu'il est dangereux de perpétuer ces lieux communs, base de la propagande raciste qui a des conséquences sur les préjugés que peuvent avoir certaines personnes. Il faut bien lever l'ambiguïté, il est nécessaire moralement et éthiquement. A quoi cela sert de dire que cette personne est juive ? Qu’est-ce que cela apporte, à quoi cela fait écho ? Je relis généralement les articles depuis que je suis directeur de publication. Depuis un moment j'évitais de lire les articles de SINE, même dans le journal. La chronique du 11 juin, je l'ai lue après celle publiée quinze jours plus tard, en rentrant de province au journal. Je n'avais pas lu cette chronique. Celle de juin, je l'ai découverte tardivement après que l'affaire SINÉ a éclaté. Je l'ai lue après la discussion avec SINÉ à propos des excuses, je pense. Juridiquement, je suis responsable de cette chronique. J'ai fait preuve de négligence. On ne se parlait plus quand je l'ai lue, c'était après son départ. Je ne lis pas tout dans mon journal. Je ne me dérobe pas, je suis là. Je ne l'ai pas lu avant le conflit avec SINÉ effectivement. Les alertes n'ont pas fonctionné, j'en ai la responsabilité. J'ai exercé une vigilance jusqu'au moment où j'ai exercé d'autres fonctions. Je suis responsable devant la loi. J'aurai dû agir, je ne l'ai pas fait. Je n'accable pas SINÉ, j'ai pris mes responsabilités. Les poursuites, ce n'est pas mon choix. Je ne fais pas allusion à ces femmes tondues pour collaboration. Passons à une autre question. Je suis opposé au port du foulard islamique à l'école. A l'école, les enfants n'ont pas à se différencier, se séparer. Je n'ai pas à juger la chronique de juin, je lui trouve une violence contre-productive, la chronique n'est pas à mon goût, moralement je la trouve désagréable, cela règle le problème par la violence, l'exclusion de l'autre, l'affirmation de soi par rapport à l'autre.

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Mon journal dénonce l'intégrisme, l'intégrisme musulman. SINÉ ne dénonce pas l'intégrisme musulman, une femme voilée c'est peut-être lié à une coutume. Il faut éviter ces généralités, dans un journal c'est pas pareil qu'au bistrot. Anne-Sophie MERCIER m'a parlé des menaces car ASKOLOVITCH lui a parlé que les familles étaient très remontées et voulaient faire un procès. J'ai eu un coup de fil de E. GAUGUET. Ils ont abandonné l'idée des poursuites après le départ de SINÉ. J'ai reçu un mail, je l'ai transmis à "Rue 89". Je pense qu'aux yeux de ma rédaction, cela aurait voulu dire que je les avais "vendus ". Il fallait que,je rétablisse cette vérité.

Témoin cité à la requête de la partie civile, Bernard-Henri LEVY, 60 ans, écrivain, demeurant Boulevard Saint-Germain à PARIS, serment préalablement prêté, a déposé comme suit : "La chronique que j'avais consacrée dans le journal « Le Monde » n’était qu'une réaction mesurée a ce qui était en train de devenir « l’affaire SINÉ ». Je pense que les polémistes, les dessinateurs, les écrivains ont un droit de critique et d'irrévérence. Je me félicitais du fait que le journal de Charlie Hebdo n’avait jamais manqué à ce droit et devoir d'irrévérence. Je disais qu'il y avait une ligne jaune qui était constituée par le racisme, l'antisémitisme. Le premier texte de juin 2008, parler des femmes qui prolifèrent, me semblait passer les droits d'irrévérence par rapport aux dogmes. Le deuxième texte parlant de Jean SARKOZY, en écrivant cela il passait la ligne jaune et rentrait dans l'antisémitisme. Il y a des textes de Drumont qui disent exactement cela, que la bonne méthode est d'entrer dans le clan au mépris de toute sincérité. Je lis Charlie Hebdo. J'aime ce journal. J'ai beaucoup admiré SINÉ. Je disais là qu'il y avait une limite parce que la loi le dit, la loi qui proscrit le crime d'injure eu égard à son appartenance à un groupe, une ethnie, une religion, une race. Cette loi est une loi qui proscrit le racisme et l'antisémitisme".

Sur question du Président se référant à deux articles du blogueur Philippe BILGER selon lequel "le passage du particulier au général ne fait-il pas toute la différence, le passage de la liberté de critique sur des attitudes singulières, aussi risquée qu'elle soit, à la scandaleuse opprobre jetée globalement sur une communauté ou une pratique religieuse ?" et "une parole, certes acide mais qui se contentait à tort ou à raison de dénoncer un comportement singulier de Jean SARKOZY sans tomber dans un pluriel qui aurait signé l'antisémitisme" (pièce n° 74 communiquée par les avocats du prévenu, blog de Philippe BILGER, article "Siné Monde" mis en ligne le 21 juin 2008, et article "Charlie Hebdo en famille" du 17 septembre 2008, non versé mais toujours en ligne) : "Philippe BILGER considère qu'il n'est pas convaincu de l'antisémitisme des propos de quelqu'un sous le seul prétexte que Bernard-

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Henri LEVY les a déclarés tels. Où voyez-vous le passage du singulier au pluriel dans cette chronique ?" Le témoin: "M. BILGER a raison sur ce point. Ce n'est pas parce que X ou Y décréterait des propos antisémites qu'ils le seraient. Le stéréotype est là, du juif riche. C'est un stéréotype parce que c'est faux. Les 6 millions de juifs de la Shoah n'étaient pas des juifs riches. Ce stéréotype « juif-argent » est une des choses qui a provoqué le plus d'incendies. Le passage du singulier à la généralité n'a pas besoin d'être fait par l'auteur pour qu'il passe dans les esprits. Ceux qui attaquaient DREYFUS n'attaquaient pas tous les juifs de France. La France d'aujourd'hui n'est pas celle de l'affaire DREYFUS. Les juifs de France ne sont pas menacés. Moi, ces phrases-là m'ont indigné. Le fait qu'un monsieur comme SINÉ, reconnu, puisse dire que pour monter les échelons, il était bon de se convertir au judaïsme, cette idée-là est ravageuse. M. SINÉ est un personnage célèbre, très écouté. Lors de l'attentat de la rue des Rosiers, il avait dit qu'il était antisémite, que s'il tuait un juif, il l'aurait fait exprès. Il s'est excusé, mais il l'a dit. Dès qu'on parle racisme, antisémitisme, on est adossé à des histoires terribles.

Sur question du Président à propos du passage de l'explicite à l'implicite, le témoin : "La biographie de SINÉ se charge d'opérer le passage de l'explicite à l'implicite". Sur question du Président à propos du rire : Estimez-vous que les temps ont changé ? Le témoin : "Les temps changent en général. Un humoriste n'est pas obligé de répéter les clichés. Il a le devoir de se renouveler. Les couvertures d’ HARA KIRI : je ne me souviens pas de couverture appelant à la haine ou à la violence. Je n'ai jamais lu ce genre de phrase dans Hara Kiri. Je n'ai jamais trouvé cet humour-là. Nous vivons aujourd'hui un climat à haute tension. Il ne fait pas bon aujourd'hui être maghrébin en France. Il n'est pas bon de dire que les juifs sont les rois de l'époque dans le climat d'aujourd'hui à haute tension. Je n'ai jamais attaqué pour injure en 40 ans de vie publique. Dans ces deux textes une ligne jaune a été franchie, un vrai pas a été

accompli. Je crois que s'il n'y avait pas une condamnation de SINÉ aujourd'hui avec les termes employés, je pense que ça serait un signal épouvantable dans ce pays." Sur question de M°JAKUBOWICZ, le témoin: "Dans ces affaires-là le passage du singulier au pluriel se fait de soi. La renommée de M. SINET ne peut pas être ignorée. Drumont ne s'en prenait jamais aux juifs en général, il s'en prenait à un en particulier, de faire tel mariage. C'était compris comme une loi."

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Sur question de M° JAKUBOWLCZ, le témoin : "C'est le même débat qu'on avait au moment de l'affaire DREYFUS. On sait que c'était une vague d'antisémitisme. C'est toujours la même histoire. Jean SARKOZY, on ne va pas voler au secours du fils du Président de la République. Les antisémites entendent que les juifs sont les rois de l'époque. Je ne suis pas là par passion mais je pense que sous couvert de la personnalité de Jean SARKOZY on a fait passer des messages."

Sur question de M°JAKUBOWICZ, le témoin : "Concernant la communauté musulmane, il ne s'agit pas d'une querelle de voisinage, il s'agit d'un jugement général sur une catégorie de français habillés d'une certaine manière à qui on doit "botter le cul". Cette phrase sur les pauvres dames du quartier qui ne lui plaisent pas. Encore une fois, "proliférer" c'est de l'ordre de l’animalité. Dès qu'on franchit le pas, on est dans le racisme. Quand je parle de la France de SARKOZY, je pense qu'actuellement les tensions me semblent plus vives qu'il y a quinze ou vingt ans. Ce n'est d'ailleurs pas la faute de SARKOZY. Nous justement les intellectuels, on doit respecter la loi."

Sur question de M° MALKA, le témoin: "Je suis conscient de la nécessité de ne pas crier au loup à tort et à travers. Je fais justement très attention. Dans cette affaire-là, il m'a semblé que la personnalité, le lieu (Charlie Hebdo) et la famille dans laquelle cela se passait, me paraissait vulnérable à cette forme de racisme. Avec ce texte de SINÉ, on était au coeur de la boîte noire. Il se trouve que je connais l'affaire POLIAKOFF et l'affaire DREYFUS ; Je ne crois pas qu'il y ait une flambée d'antisémitisme en France à l'heure actuelle mais je pense qu'il n'était pas bien d'écrire ces lignes qui sont d'un humour glauque." Sur question de M° MALKA, le témoin : "Je pense que depuis quelques mois il y a une évolution dans la manière dont Philippe VAL est traité. Je pense que Philippe VAL est un homme de gauche, un libertaire mais qui n'est pas d'accord avec la mouvance libertaire d'aujourd'hui. Je pense que le crime de Philippe VAL est là."

Sur question de M° TRICAUD, le témoin : "Dans le contexte d'aujourd'hui, je trouve, juste que SINÉ soit poursuivi. J'avais un but à l'époque, je voulais que SINÉ s'excuse." Sur question de M° TRICAUD: « Personne ne se baillonne la bouche pour parler aujourd'hui de M. MARDOFF, pour le dénoncer. Ce qu'il y a d'antisémite, c'est de dire qu’on se convertit pour monter socialement. Qu'on se convertisse par amour, c'est autre chose.

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L'antisémitisme qui dit que les juifs sont les maîtres du monde est de l'antisémitisme qui peut marcher. Lorsque je dis que les temps ont changé, c'est que la rhétorique n'est pas la même. « Il fera du chemin ce petit » , ça veut bien dire que ce mariage lui permet de prendre l'ascenseur social. »

Témoin cité à la requête du prévenu, Gérard FILOCHE , 63 ans, inspecteur du travail, domicilié rue Rambuteau à PARIS, serment préalablement prêté, a déposé comme suit : « Je suis un militant de gauche depuis 45 ans. SINÉ, dès avant 1968, exprimait sa solidarité avec les peuples colonisés… Je l’admirais avant de le connaître. Je suis devenu son ami, rencontre en 1988 lors du repas des parrains de SOS Racisme. SINÉ, c’est la crème des hommes (…). On s’en est fait des discussions mais jamais on ne pourrait l’accuser de ce dont il est accusé aujourd’hui. En matière de liberté d’expression, c’est cela qui est en cause : dépasser ou non les bornes. Il n’y aurait pas eu tant d’histoires si ce n ‘était pas Jean SARKOZY qui était mis en cause. »

Sur question de M° TRICAUD, le témoin : « Bernard-Henri LEVY connaît-il encore quelque chose à la gauche ? La police de la pensée officielle : je suis indigné par les paroles de Madame ALBANEL, ça c’est de la police de la pensée. »

Témoin cité à la requête prévenu, Guy BEDOS, 74 ans, acteur-humoriste-écrivain, domicilié à PARIS, serment préalablement prêté, a déposé comme suit : "Je suis né en Algérie. Je vivais dans une ambiance de racisme, d'antisémitisme. Je suis un résilient. Tout mon engagement politique est basé sur la lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Ce mot "antisémite", on ne doit pas le galvauder. J'ai de l'estime pour SINÉ. Je ne m'attendais pas à me trouver face à la LICRA un jour. Il faut savoir lire, écouter les humoristes. SINÉ est un humoriste ! L'humour est une langue étrangère et parfois il faut des sous-titres. Siné est un provocateur, un malade de la provocation. Je suis étonné, ayant lu les phrases incriminées. Ce sont les phrases d'un athée, je ne savais pas que c'était un délit, SINÉ s'amuse, il ne les attaque pas sérieusement. Il interprète un personnage. J'ai l'impression qu'on pourchasse l'antisémite comme le faisait Mac Carthy avec les pseudos communistes.

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Cela devient fou, cela banalise l'antisémitisme. Qu'on cherche les vrais, qu'on arrête les procès d'intention. Je n'ai vu qu'une certaine forme d'athéisme superficiel dans ses propos. SINÉ, c'est tout sauf un raciste. "

Sur question du Président: Bernard-Henri LEVY a écrit: "... et si les temps avaient changé", disant qu'on ne peut plus rire de tout et de tous. Qu'en pensez-vous ? Le témoin: « C'est vrai, la situation entre Palestine et Israël a fait monter beaucoup de susceptibilités. Il y a une susceptibilité plus grande qui se développe. » Sur question du Président : Dans l'article en cause, il est reproché à M. SINET d'employer le poncif du lien existant entre l'argent, le pouvoir et les juifs. Avez-vous eu cette lecture ? Le témoin : « Non. Il a voulu dire que ce garçon avait le sens de la promotion sociale et qu'il allait faire un beau mariage. »

Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin : "Le juif et l'argent c'est un mythe, oui nous sommes d'accord. Je ne fais pas cette lecture, cette association, dans la chronique. Pour moi, SINÉ parle d'un garçon qui fait un beau mariage. Il se trouve qu'elle est juive. Je n'ai pas le souvenir de "Carbone 14". Intervention de M° LEVY à la suite de l'évocation de l'épisode de la radio libre "Carbone 14" par M° JAKUBOWICZ. "Vous êtes malhonnête. Quand on lit un texte, on le cite intégralement." Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin : "Je prends cela très au sérieux. Je ne me souviens plus de ces propos que vous me citez. Tout ce qui est exagéré est insignifiant. Je n'ai pas pu prendre ce texte au sérieux. J'ai oublié que j'avais témoigné contre ce texte. C'est de l'archéologie cela. Pour le moment, je suis choqué par ces termes, je ne peux les approuver. Il est notoire que SINÉ ne boit pas que de l'eau. Il a craqué, à jeun il n'aurait jamais tenu ces propos. Il ne les pense pas. Il devait s'ennuyer à la radio. Je ne peux pas croire que SINÉ tienne des propos pareils que je trouve détestables. Il s'agit de son humour, ce n'est pas le mien. J'y vois un ras le bol de la présence des religions qui se mêlent à la politique. Je ne pense pas que SINÉ soit islamophobe. J. M. LE PEN a un passé, il n'est pas prouvé que SINÉ était de ce côté-là. On peut discuter sur la forme, sa brutalité. Je ne tiens pas SINÉ pour un vrai raciste. La plupart des musulmans ne lisent pas Charlie Hebdo, c'est un léger trait d'humour.

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Je pense que SINÉ est un provocateur, à côté je suis Paul GUTH. SINÉ est un malade de la provocation. Il vous montre que ses propos peuvent aggraver son cas. Je peux trouver cela maladroit, je ne l'aurai pas fait. J. M. LE PEN est un tortionnaire, un fasciste. Comparer SINÉ à LE PEN, c'est une offense. Sa vie ne justifie pas tout, mais c'est une sorte de trait de caractère. Rien dans la vie de Bob, tout nous dit que c'est une provocation, que ce n'est pas son sentiment profond."

Sur question de M° TRICAUD, le témoin : "Vous me lisez une attestation de Jean-Yves LAFESSE, je pourrai la co-signer. Ils sont entre farceurs, ils en rajoutent. On est dans la provocation, pilier de l'humour satirique. Je dis : "Blague, blague, plaisanterie." Cette phrase de DESPROGES, l'énormité fait qu'on ne peut prendre cela au sérieux." Sur question de M°LEVY, le témoin: « En passant de l'oral à l'écrit un texte fait un voyage dangereux. Je demande à relire mes interviews. Noir sur blanc, cela se durcit, cela prend un autre sens. Le ton, la musique... C'est cette façon de faire rire. Je m'ingénie à ne pas faire rire des gens qui ne peuvent se défendre. Je ne suis pas méprisant, je crois respecter le public (…). »

Cité à la requête de la partie civile, Dominique SOPPO, 32 ans, enseignant et président de SOS-Racisme, domicilié à PARIS, serment préalablement prêté, a déposé comme suit: "Je suis un lecteur assidu de Charlie Hebdo. J'ai été surpris à la lecture de ces écrits. Il y a des insinuations assez douteuses . Ce basculement constant entre les juifs et les musulmans. C'est une argumentation antisémite. Cette mise en opposition entre deux groupes humains est préjudiciable car cela peut réveiller des maux." Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin : « La question du second degré sur ce sujet. A partir du moment où on attribue des comportements insupportables à des personnes,je ne vois pas comment on peut trouver du second degré. » Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin: "Il y a dans la chronique un basculement où l'on voit très fortement apparaître un lien réalisé entre le fait que les arabes sont traités comme ci et les juifs comme cela. On est dans une insinuation selon laquelle il faudrait se vivre comme victime. Les logiques de bouc émissaire se développent rapidement. On favorise les logiques de victimisation." Sur question de M°JAKUBOWICZ : Avez-vous eu connaissance de la présence au Zénith de M. SINET près de DIEUDONNÉ ?

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Le témoin: "Non, je n'ai pas eu connaissance de ce fait."

Sur question de M° MALKA, le témoin: "On n'est pas dans le même ordre de choses avec les caricatures de Mahomet. On est face à une critique politique de l’islam. Les caricatures de Mahomet, ce n'est pas dans le même ordre d'idée."

Sur question de M° MALKA, le témoin: "Lorsque l'on est anti-raciste, on se bat contre toutes les formes de racisme. Philippe VAL ne privilégie pas la communauté juive. Il tient à une clarté absolue de son journal. "

Sur question de M° MALKA, le témoin : « L'antisémitisme historiquement s'est retrouvé dans beaucoup de familles politiques. L'antisémitisme n'est pas un travers qui se rencontrerait que dans une partie de la classe politique. »

Sur question de M° LEVY, le témoin: "C'est une chose que de dire que le foulard peut gêner, c'est une autre chose que de dire que parce qu'il y a des femmes qui portent le foulard, il faut les critiquer. C'est une chose qui est assez douteuse. La question du second degré me semble être mal venue car c'est un sujet assez sensible. Je ne pense pas que l'on puisse s’en prendre à des personnes parce que la tenue ne plaît pas, qu'on soit gêné par un comportement. Je sais faire la différence entre l'humour et l'analyse politique."

Sur question de M° LEVY, le témoin : "Le balancement, c'est qu'il y a l'évocation du juif l'évocation des arabes, un arabe qui a été débouté par la justice. A la fin du texte on parle de la musulmane voilée et de la juive rasée. Il y a bien un balancement entre les deux. De dire que les arabes sont moins bien traités que les juifs, c'est une incitation à la haine raciale. Cette mise en parallèle entre juifs et arabes pose problème à la lutte anti-raciste que nous menons."

Sur question de M° LEVY: Dans le texte de SINÉ où est l'incitation à la haine raciale? Le témoin: "Non, il n'est pas dit que le juif est favorisé. Quand on explique que ce qu'on écrit sur les arabes, on n'oserait pas le dire des musulmans, cela permet une logique de victimisation. "

Témoin cité à la requête du prévenu, Sid-Ahmed GHOZALI, 71 ans, fonctionnaire à la retraite, ancien Premier ministre d'Algérie, serment préalablement prêté a déposé comme suit :

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"J'ai été amené à avoir de hautes fonctions en 1962. J'ai été ministre des Affaires Etrangères en Algérie. J'ai quitté le gouvernement suite à l'assassinat du Président. Je suis ingénieur des Ponts et Chaussées. Lorsque j'étais étudiant à Paris j'ai connu Bob SINET Il s'était distingué en étant un des premiers humanistes, en prenant fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie. A l'époque c'était plutôt risqué, c'était pas le tribunal correctionnel mais la Cour de Sûreté de l'Etat. Il s'est tissé des liens de fraternité. C'est le premier ami français que je me suis fait. Je le connais mieux que je connais mes frères. Je vais chez lui régulièrement. Ce type de lien m'autorise à dire, s'il fallait dire un seul mot pour le qualifier : c'est un anti-raciste. Il n'a que des amis arabes, juifs, noirs. Il a été derrière toutes les causes (Vietnam, apartheid en Afrique du Sud). Il était un soutien très fort pour le peuple palestinien. Quand j'ai su qu'on lui reprochait d'être antisémite, j'ai été bouleversé, en même temps choqué. Je suis moi-même sémite, berbère. SINÉ est athée. Je n'ai jamais senti de haine. Je fais mes prières sous son toit. C'est un humaniste. Je me demande encore comment on peut le traiter d'antisémite. Je ne lui ai connu que des femmes juives. Ça ne peut pas ne pas me renvoyer à la question palestinienne. Est-ce qu'on ne veut pas faire payer à SINÉ ses positions pro-palestiniennes ? SINÉ ne peut pas être antisémite. Le reproche qui lui est fait est un amalgame entre une question de race et une question politique."

Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin: "J'ai fait référence à mon lieu de fraternité avec SINÉ pour dire qu'il n'était pas antisémite. Ce n'était pas la première fois que je l'entendais dire des choses contre les musulmans. On ne peut pas lui reprocher d'inciter à la haine raciale. Il a fait des dessins très fortement pro-palestiniens. Il ne faut surtout pas lire au premier degré. C'est sa manière de s'exprimer, aussi bien par écrit que par le dessin."

Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin: « S'il a déclaré ce matin certaines choses, c'est l'athée qui s'exprime. Celui qui va juger les écrits de SINÉ, c'est le tribunal. Ce n'est pas moi qui vais juger. Je ne peux pas percevoir l'ombre d'une incitation à la haine raciale de la part de SINÉ. » Cité à la requête du prévenu, Mark HELD, 76 ans, architecte, domicilié à CAGNES SUR MER, serment préalablement prêté, a déposé comme suit: « Ces accusations me blessent, m'indignent, me révoltent. Mon père est hongrois, ma mère polonaise. Pour eux la France était le pays de la liberté. Mon père est entré dans la Résistance à Paris. Nous sommes cachés avec ma

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mère dans une famille française admirable. Ces persécutions ont laissé des traces profondes. Il y avait en moi une part de juif menacée. J'éprouve toujours cela. Je n'aurai jamais supporté la moindre nuance d'antisémitisme de la part de SINÉ. J'ai perdu des amis à cause de cela. J'ai reconnu l'humour, la dérision, l'auto-dérision, une aptitude à la compassion chez SINÉ. Ma mère l'aurait qualifié de "Mensch " (un Homme). Je dis de SINÉ qu'il est un juif d'honneur. Je ne comprends pas le procès qui lui est fait. »

Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin: « Je n'ai pas connaissance des propos tenus par SINÉ en 82 sur "Carbone 14 ". Ces paroles que vous citez n'ont rien à voir avec ce que SINÉ aurait pu dire, dans le ton. Dans l'atelier de mon oncle existait la dérision, l’auto-dérision. Je connais trop SINÉ pour que cela soit lui. Une telle exagération enlève de l'importance aux propos. Chez LE PEN ce serait sincère(…). » Cité à la requête du prévenu, Jean-Marie LACLAVETINE, 54 ans, écrivain et éditeur, demeurant à TOURS, serment prêté, a déposé comme suit : « Je connais le dessinateur depuis longtemps. Je suis attaché à son travail. Il m'a demandé d'être avec lui. J'avais publié une tribune dans "Le Monde" en réponse à celle de Bernard-Henri LEVY en juillet ou août. C'est ainsi que j'ai connu SINÉ. Je suis frappé par la mauvaise foi de l'accusation. Pour moi, cette accusation d'antisémitisme est très grave. Ceux qui en sont frappés, sont frappés du sceau de l'infamie. Il y a eu en France une tendance à manier cette accusation à tort et à travers dans des conditions douteuses. J'ai donc réagi à la tribune de Bernard-Henri LEVY qui traînait SINÉ dans la boue et laissait entendre que les gens se prononçant en faveur de SINÉ étaient des héritiers de BRASILLACH. Ou vous avouez que vous êtes antisémite ou il vous considère comme tel et vous êtes fichu. Il y a une manipulation dangereuse. En lisant cette chronique de SINÉ, on ne peut penser qu'elle a un caractère antisémite. "Siné sème sa zone ", ce n'est pas l'éditorial de JOFFRIN. Il faut être de mauvaise foi pour penser qu'il incite les gens à aller botter le cul des femmes en tchador. Il propose un univers singulier, un caractère qu'il pousse à outrance. On demande aux humoristes d'exagérer. Nous vivons en France dans un climat intellectuel, politique, étouffant. Des gens tiennent le haut du pavé médiatique, nous surveillent et c'est le tir à vue si on émet des opinions différentes. On ne peut parier librement sans avoir un frisson avant d'ouvrir la bouche." Sur question du Président : Pour vous, ce sont les mots qui comptent ? Le témoin : "Oui"

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Le Président : Avez-vous lu les textes reprochés à M. SINET ? Le témoin : "J'ai d'abord lu le papier de Bernard-Henri LÉVY, ensuite je suis allé sur Internet. Il faisait la relation entre un procès et un arabe et d'un mariage et une conversion. SINÉ a repris une phrase de GAUBERT. L'actualité a mis ces deux éléments ensemble. Je trouve cela comique, je ne vois pas où est le problème." Sur question de M° MALKA se référant aux écrits du témoin dans sa tribune dans "Le Monde" ("dans un procès en justice, il n'y aurait strictement aucune chance pour que Siné, sur la base de ces lignes, soit condamné pour antisémitisme"), le témoin : « Je reprends les paroles de Gisèle HALIMI dans ce que vous me citez. Ces propos m'ont rassuré. Il y a une forme de pensée unique entre tous les éditorialistes en France. Cela m'arrive de publier lorsque je suis en colère. Il y a quelque chose de pesant lié à l'accession de Nicolas SARKOZY. »

Sur question de M°LEVY, le témoin : "Dans les, années précédant l'accession de Nicolas SARKOZY on a senti une espèce d'asphyxie. Je redoute qu'on aille vers toujours plus d'auto-censure, bien réelle et qui est à l'oeuvre. Je n'utiliserais pas les mots de SINÉ qui a son caractère mais bien souvent je suis d'accord avec lui. SINÉ disposait d'une chronique hebdomadaire donc plus gênant que moi." Le Tribunal relève que dans la tribune évoquée par Jean-Marie LACLAVETINE (pièce n'28 versée par le prévenu : "Le Monde" du 1er août 2008, "Nous avons besoin des outrances de Siné"), celui-ci écrivait notamment :

"Bernard-Henri Lévy a raison : ce qui compte, ce sont les mots. La moindre des choses, quand on se livre à un réquisitoire aussi violent que le sien, serait donc de citer les phrases de Siné, afin de démontrer l'évidence "odieuse, inexcusable, mortelle" de son fanatisme antisémite ( ... ). Il était prévisible que cette affaire suscite les récurrents effets de manche et sonneries de tocsin. Il n'y a là qu'un symptôme supplémentaire d'un triste état de fait : on ne respire plus dans ce pays. La France pète de trouille, et ça ne sent pas bon. La poltronnerie de la plupart favorise l'autoritarisme de quelques-uns. Toute pensée, toute parole libres sont immédiatement soumises à un feu roulant d'intimidation, de condamnations ronflantes et sans appel. Comme le dit un proverbe japonais: "Le clou qui dépasse appelle le marteau." Malheur à celui qui critique les replis communautaristes, l'invasion massive du religieux dans l'espace public, la défaite annoncée de la laïcité dont le discours de Latran était un avant-goût, les clés des banlieues

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remises aux barbus par une république - capitularde, l'arrogance grandissante des imams et des rabbins, la montée des intégrismes sous couvert de quête légitime d'identité, la politique israélienne ou palestinienne. Antisémite ! Islamophobe ! La rhétorique victimaire, chère à nos dirigeants, est omniprésente ( ... ). Ainsi Jean Sarkozy, bien fils de son père en matière d'arrogance, d'opportunisme et de grossièreté, est transformé en victime d'attaques honteuses dignes du "Pilori" (un journal antisémite sous l'Occupation) ou de la Milice ( ... ). Il semble que nos penseurs n'aient pas pris la mesure du sentiment d'asphyxie qui gagne de nombreux concitoyens, dans une société de surveillance mutuelle "et de soumission générale. A l'heure où les humoristes graveleux et serviles imposent partout leur présence - et jusque dans l'entourage présidentiel - nous avons besoin, un besoin vital, des outrances et des gueulantes d'un SINÉ. Souvenez-vous des couvertures qu'osaient publier il y a vingt ans "Charlie Hebdo" ou "Hara Kiri", et comparez avec ce qui se publie aujourd'hui : le chemin parcouru est atterrant. Comme le monde est devenu simple ! La vérité nous est assenée jour après jour par une armée de journalistes conformes et de penseurs autorisés, qui nous débitent à toute heure leurs discours identiques. Où est la presse libre ? Le seul quotidien estampillé de gauche consacre cinq pages à Carla Sarkozy pour la sortie de son disque, dont les chaînes publiques assurent la promotion. La presse satirique a trempé son esprit d'insolence dans les bénitiers communautaires. Pas un organe de presse, pas une chaîne de télévision qui sont désormais en état de faire entendre une voix discordante. Le Parti communiste a disparu entre deux lames du parquet, l'extrême gauche tapine chez Drucker, le Parti socialiste mijote au tout petit feu les ambitions triviales, les syndicats se laissent tondre la laine sur le dos. Dans une Europe barricadée, la maison France a fermé portes et fenêtres. La police de langage surveille chacune de nos phrases. Nous vivons dans l'obscurité des vérités communes, des hypocrisies admises, des bienséances cathodiques, des peurs silencieuses, des grandiloquences convenables (...) Ouvrez ! On étouffe, ici !"

Témoin cité à la requête du prévenu, André LANGANEY, 66 ans, Professeur au Muséum d’Histoire Naturelle, domicilié à PARIS (12e), serment prêté, a déposé comme suit : « Du point de vue des liens avec les parties, je suis spécialisé dans la diversité biologique et j'ai collaboré avec des organismes tels que la LICRA J'ai eu des relations avec "Charlie, Hebdo ". Je tenais une chronique. J'étais sans cesse

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censuré. J'ai donc abandonné cette activité. Quand on m'a demandé de reprendre une chronique scientifique à "Siné Hebdo ", j'ai accepté. Je suis extrêmement étonné. Les faits reprochés comportent une partie contre les musulmans et les femmes voilées. SINÉ est parrain de SOS Racisme. Il est soucieux de la liberté d'information. Tout se passe au deuxième ou troisième degré. On lui reproche d'avoir écrit des choses contre les femmes musulmanes et les juifs. C'est peu de choses par rapport à ce que j'ai vu comme dessins à Charlie Hebdo. Ce qu'a publié SINÉ me semble bien peu de chose par rapport aux caricatures de Mahomet. Pour le deuxième texte, je suis stupéfait. Il faut voir des allusions extrêmement lointaines pour faire des rapprochements avec de l'antisémitisme. Dans beaucoup de familles juives, il y a beaucoup de parents qui veulent que leurs enfants, se marient dans la même communauté. Au sens scientifique il n'y a pas de race (..). La diversité des races n'est pas ce que vous croyez. Il y a une espèce humaine. Par contre le racisme est extrêmement présent (..). Ce qui créé le racisme, les différences, c'est le rejet des autres. Le racisme, c'est une lutte de tous les jours. J'admire le combat contre le racisme. Je m'étonne que la LICRA perde son temps à poursuivre M. SINET De toute façon, si Jean SARKOZY veut prendre la religion juive, c'est par amour. SINÉ a rajouté : "il ira loin le petit ". Ça n'a rien d'antisémite de dire cela. Je ne vois pas pourquoi la LICRA serait offensée par cette phrase. Rien de ce qui constitue le délit de racisme ne figure dans cette phrase. »

Sur question du Président, le témoin : "Je vous avouerai que la prose de Bernard-Henri Lévy me fatigue. Je ne l'ai pas lu."

Témoin cité à la requête du prévenu, Dominique LAGORGETTE, Maître de Conférences en Sciences du Langage, Université de Savoie, membre junior de l'Institut Universitaire de France, Directrice de l'équipe "pragmasémantique de l'insulte", Laboratoire "Littératures, Langage et Société", serment prêté, a déposé comme suit :

"Ma spécialité est l'histoire de la langue. Je travaille sur le langage du Moyen Age. Au départ je travaillais sur l'insulte, maintenant je travaille sur la menace. J’avais deux textes à examiner (cf pièce n°110 : analyse linguistique comportant 22 pages), Celui du 11 juin est en fait un billet d'humeur. On attend de l'auteur qu'il pique une colère. On a l'impression qu'il change de sujet.

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Le fil conducteur, c'est l'habillement féminin, d'abord les femmes voilées, on passe aux catholiques, les "grenouilles de bénitier", puis on passe aux juifs loubavitch.

Dans le deuxième paragraphe on passe à un lamento très nostalgique. Dernière partie sur la météo.

On va avoir une première partie extrêmement violente. On est dans la démesure, avec des métaphores. Il va passer des animaux au végétal.

Il faut retenir le fait qu'on est dans le domaine de l'invraisemblable. On est dans le fantasme.

Le fait de se moquer des groupes les plus ostensibles dans leurs croyances n'est pas nouveau. On touche aux deux tabous : le vêtement et l'alimentation.

Concernant le deuxième texte du 2 juillet 2008, on est dans la revue de presse - il y ai le nom des publications. C'est fréquent d'avoir des charges anti-corridas de la part de SINE. Sur question du Président se référant aux dessins illustrant la chronique, le témoin : "Dans le premier texte, on en déduit que c'est une grenouille de bénitier et une femme voilée."

Sur question du Président, le témoin : "C'est une revue de presse que l'auteur commente à partir de journaux. Le lecteur peut aller lui à la source de l'article. On sera dans la provocation. On construit une connivence avec son lecteur. Il y a du discours en circulation. Je reprends le vocabulaire de quelqu'un. J'ajoute ma sauce à moi. On a une base de données (Factiva.com). Pour l'analyse, on a des bases de données particulières. J'ai interrogé la base avec des mots clés associés. Cette base regroupe des données de tous les pays du monde. Il y avait 27 articles qui évoquaient cette question. Peu avant la parution de la chronique, il y a eu des articles publiés dans la presse helvétique. Ces articles se sont affichés parce qu'il y avait toutes les données que je demandais avec les mots clés."

Sur question du Président : Estimez-vous qu'il y a un lien entre "conversion, juif, mariage" ? Le témoin: "Pour moi, il n'y a pas de dimension antisémite. Dans le paragraphe relatif à "L'EXPRESS ", on a un rééquilibrage. Son choix est fait entre une musulmane ou une juive, mais on ne sait pas quel est son choix. Il y a une cohérence dans l'écriture. M SINET écrit vraiment très bien."

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Sur question du Juge Assesseur : Vous écrivez à propos de la phrase « Je renverserais aussi de bon coeur le plat de lentilles… » c'est une envie hypothétique. Le témoin : "Le conditionnel est une hypothèse pour moi".

Sur question de M° JAKUBOWICZ, le témoin : "J'ai fait ce travail à la demande de la défense."

Sur question de M° JAKUBOWICZ : Quelle est votre légitimité ? Le témoin : "On est dans un acte de langage. C'est un texte qui s'enchaîne. Je sais analyser des phrases. On ne connaît pas les sources du journaliste de « Libération ».

Sur question de M° JAKUBOWICZ : Expliquez-nous le sens du terme

"proliférer" ? Le témoin : "Ce terme renvoie à des cellules mais peut être utilisé pour l'humanité. J'ai trouvé dans le Frantex le terme "proliférer ". On trouve l'association avec un groupe religieux. Je parle du Trésor de la Langue Française (le TLF).

Sur question de M° MALKA : Est-ce que vous contestez que le terme "proliférer" renvoie, pour le grand public, à des animaux ? Le témoin : « On en parle aussi pour les armes nucléaires. »

Sur question de M° TRICAUD, le témoin : « On va avoir une suite de descriptions vestimentaires. Ce qui déclenche l’envolée, c'est les signes. »

Sur question de M° TRICAUD, le témoin : « Cette chronique est faite pour attirer un lecteur de gauche et anti-clérical. » Sur question de M° TRICAUD: "Est-ce que vous percevez les textes de M. SINET comme un appel à quelque chose ? Le témoin : "Dans la chronique du 11 juin 2008, il y a énormément de « je ». Il y a des phrases de conclusions. Il n'y a pas de demande de passage à l'acte mais là je suis dans les limites de ma discipline. On n'est pas dans un tract. Ça c'est très clair. Dans les tracts il y a des slogans. Ce n'est pas de la poésie, on est dans le satirique." A l'issue de la déposition de Dominique LAGORGETTE, le Président a qualifié de "riche" le travail fourni par celle-ci (pièce n' 110),

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Les débats étaient suspendus à 21 heures 40 puis repris le 28 janvier 2009 à 9 heures 30. A la reprise des débats, M° FRICAUD informait le Tribunal que Maurice SINET venait d'avoir un malaise au Tribunal avant d'être secouru par les Sapeur-Pompiers. Le prévenu devant regagner Paris, M° TRICAUD déclarait le représenter pour la suite des débats. M° JAKUBOWICZ s'est constitué partie civile au nom de la LICRA et a sollicité le bénéfice de l'acte introductif d'instance en plaidant de voir :

- déclarer Maurice SINET coupable du délit de complicité de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, à raison des propos publiés dans sa chronique dans l'hebdomadaire CHARLIE HEBDO du 11 juin 2008 pour les trois passages poursuivis à la prévention et des propos publiés dans sa chronique dans l'hebdomadaire CHARLIE HEBDO du 2 juillet 2008 pour les deux passages poursuivis à la prévention, - dire et juger recevable et bien fondée la constitution de partie civile de la LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME (LICRA). - condamner Maurice SINET dit "SINÉ" à payer à la LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME (LICRA) la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 5.000,00 euros en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. - ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de Maurice SINET, sans que chacune de ces publications puisse excéder un coût de 3.000,00 euros, dans les quotidiens "LE MONDE", "LIBERATION", "LE FIGARO", ainsi que dans les hebdomadaires "CHARLIE HEBDO", "LE NOUVEL OBSERVATEUR", "L’EXPRESS". - condamner Maurice SINET aux entiers dépens.

Selon M°JAKUBOWICZ, dans sa chronique du 11 juin 2008, Maurice SINET exprime sa haine des croyants musulmans qui "l'insupportent". Par

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l'emploi du terme péjoratif "proliférer", à propos des femmes voilées, celui-ci se livre à une analogie zoologique en assimilant celles-ci "à des choses et à des animaux". Selon la partie civile "le lecteur en arrive à considérer qu'elles sont nécessairement néfastes ou nuisibles". Il serait agréable à Maurice SINET "de leur botter violemment le cul". Celui-ci les "insulte" en les traitant de "patates" et "d'épouvantails" et il préconise de s'en prendre physiquement aux enfants, juifs ou musulmans, qui refusent de manger du porc "en renversant un plat de lentilles à la saucisse sur leur tête".

Par ces propos, Maurice SINET incite à "la haine, non pas contre l'Islam, mais contre la population musulmane de France".

Par les propos contenus dans les deux passages poursuivis au titre de la chronique du 2 juillet 2008, la partie civile fat valoir "qu'en associant les juifs au pouvoir (le fils du Président de la République), à l'argent (Jean SARKOZY se convertirait pour épouser une riche héritière), aux privilèges (dont ne bénéficient pas les "arabes"), aux protections des médias (on ne peut les critiquer contrairement aux musulmans), Maurice SINET reprend à son compte tous les poncifs de l'antisémitisme nés sous la Troisième République (citation directe, page 11). Selon la LICRA, Maurice SINET « n'est plus dans l'humour mais dans la stigmatisation, la haine et la rancoeur " et ses "propos constituent à l’évidence une incitation à la haine à l'égard des juifs et visent à opposer une communauté (les "arabes ") contre une autre (les juifs) ».

Le représentant du Ministère Public a pris des réquisitions orales de relaxe du prévenu.

M° MALKA, avocat de Philippe VAL, gérant de la SARL de presse "LES EDITIONS ROTATIVE", éditeur de Charlie Hebdo, et civilement responsable, a plaidé que Philippe VAL assumait sa responsabilité d'éditeur, ce dernier ayant déclaré lui-même, lors des débats, avoir failli à ses obligations légales de directeur de la publication en ne relisant pas les chroniques incriminées. Rappelant que MaURICE SINET a rédigé 780 chroniques dans "Charlie Hebdo", M° MALKA a estimé que ce dernier était dans la "radicalité" tandis que Philippe VAL se trouvait dans "la réflexion". Selon M° MALKA, il convenait, dans l'intérêt d'un vouloir vivre ensemble, de concilier la liberté d'expression et la protection des communautés.

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M° TRICAUD a plaidé au principal la relaxe et, subsidiairement, sollicité avant-dire droit une expertise aux fins de désigner un expert avec mission de déterminer si les chroniques poursuivies doivent donner lieu à "une interprétation symbolique". M° TRICAUD a fait une demande reconventionnelle de voir condamner la LICRA, à raison de sa mauvaise foi, au paiement de la somme de 5.000,00 euros sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale. Au visa de l'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 31 mai 1949 portant révision du jugement du Tribunal correctionnel de la Seine du 25 août 1857 ayant condamné Charles BAUDELAIRE pour délit d'outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs à raison de la publication du recueil "Les Fleurs du Mal", M° TRICAUD a fait valoir que les chroniques reprochées à Maurice SINET constituaient des œuvres artistiques et, à ce titre, échappaient à "l'arbitraire" des poursuites en ce que, premièrement, celles-ci "donnaient lieu à une interprétation symbolique", que, deuxièmement, elles étaient "ratifiées par l'opinion publique et les lettres spécialistes du droit de la presse" (M° Christophe BIGOT, M° Jean-Yves HALIMI et l'Avocat Général Philippe BILGER), et que troisièmement, "elles ne dépassaient pas par leur forme expressive les limites permises à l'artiste par le juge". M° TRICAUD a plaidé, en outre, que "Maurice SINET ne s'en prenait pas aux croyants d'une religion mais à certaines manifestations ostentatoires des pratiques d'une minorité, la critique des signes religieux ostentatoires arborés par une minorité de croyants n'étant pas constitutive d'un appel à la haine ou à la discrimination contre les pratiquants d'une religion déterminée. Enfin, M° TRICAUD a fait valoir que le délit reproché n'est pas constitué en son élément moral, les propos publiés dans un journal satirique devant être appréciés à l'aune d'un lectorat habitué aux outrances et aux provocations. De même, M° Thierry LEVY a plaidé la relaxe en faisant valoir, à propos de la chronique du 11 juin 2008, que l'examen du "sens et de la portée" des trois paragraphes incriminés montre que le caricaturiste, par l'emploi répété du « je », exprime "des sentiments personnels" qu'il argumente "sans chercher à les faire partager". Maurice SINET traite des trois religions du Livre et pas seulement de l'Islam. Il en résulte que celui-ci exprime une opinion personnelle à l'encontre de certaines pratiques religieuses sans accompagner celle-ci d'aucune exhortation ni d'aucun appel à la partager. "En dénonçant les attitudes et des signes ostentatoires", liés à la pratique d'une religion dans l'espace public ("quartier", "cantoche"), le caricaturiste n'a fait qu'user, même en termes sévères, de la liberté d'expression dans un débat public et sur une question d'intérêt général mettant en cause le principe de laïcité.

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M° LEVY et M° TRICAUD ont communiqué et versé aux débats 111 pièces et documents dont 21 attestations de moralité émanant de Roland AGRET, écrivain, Christophe ALÉVÊQUE, comédien, Patrick RAYNAL, éditeur et écrivain, Bernard LANGLOIS, journaliste, Stéphane MAGGI, éducateur social, Michel ONFR.AY, philosophe, Marina de POLIAKOFF dite VLADY, comédienne et écrivain, Maurice PLOCKI dit RAJFUS, écrivain, Jacques PEYROLES, écrivain, Georges FEDERMANN, psychiatre, Gustavo MASSIAH, économiste, Frédéric BONNAUD, journaliste, François CAVANNA, journaliste et écrivain, Rony BRAUMAN, médecin et enseignant, Georges MOUSTAKI, chanteur, Edgar NAHOUM dit Egar MORIN, directeur de recherche au CNRS, Daniel MERMET, journaliste, Marcel-Francis KAHN, Professeur de médecine, Serge QUADRUPPANI, écrivain et traducteur, Francis JACOB, avocat, Paul KARALI, dessinateur, Michel WARCHAWSKI, journaliste.

Il - DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION In limine litis : - sur la nullité de la citation du 18 août 2008, du jugement du 8 septembre 2008 et de la citation du 20 octobre 2008 :

Aux termes de l'alinéa 1 de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, « le délai entre la citation et la comparution sera de vingt jours outre un jour par cinq myriamètres de distance."

Le prévenu fait plaider qu'il résulte de la combinaison des articles 54 de la loi du 29 juillet 1881 et 553-1 du Code de procédure pénale que, lorsque la partie citée ne se présente pas, la citation délivrée en violation de l'article 54 précité est entaché de nullité et ne saisit la juridiction répressive ni de l'action civile ni de l'action publique en sorte qu'une décision prononcée à tort, dans ces conditions, constitue, en elle-même une atteinte aux droits de la défense, au sens de l'article 565 du même code (Ch. Crim 9 nov 1992).

En l'espèce, la distance entre le domicile de Maurice SINET à Noisy-le-Sec et le tribunal de grande instance de Lyon est supérieure à 350 kilomètres, soit 35 myriamètres. En application de l'article 54 précité, le délai entre la citation et l'audience devait être supérieur à vingt sept jours. En conséquence, la LICRA ayant fait citer directement Maurice SINET devant le tribunal, par acte d'huissier du 18 août 2008, pour l'audience du 9 septembre

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2008, soit dans un délai de vingt et un jours, cette citation introductive d'instance, délivrée en violation de l'article 54 précité, est entachée de nullité.

Cette nullité affecte également le jugement du 9 septembre 2008, irrégulièrement qualifié de contradictoire à signifier, l'ambiguïté procédant de la présence à l'audience, à la demande de M° TRICAUD, de M° SAUNIER, avocat au Barreau de Lyon,I equel se disait "présent" sans pouvoir néanmoins représenter Maurice SINET qui n'avait pas encore constitué avocat.

S'il y a lieu de constater à bon droit la nullité de la citation directe du 18 août 2008 et celle du jugement du 9 septembre 2008, le moyen soulevé est en revanche inopérant en ce qui concerne la citation délivrée à l'initiative de la partie civile le 20 octobre 2008.

Cette seconde citation constitue un acte autonome de procédure et non indissociable, comme allégué, des deux autres actes de procédure. A elle seule, elle met, en oeuvre la poursuite et saisit régulièrement la juridiction. En effet, selon une jurisprudence constante, mutatis mutandis, un arrêt prononçant la nullité de la citation en raison de l'inobservation du délai prévu par l'article 552 du Code de procédure pénale, ne fait pas obstacle à ce que la cour d'appel statue ultérieurement sur l'appel dont elle demeure saisie, après avoir constaté la délivrance à l'initiative du Ministère Publie ou de la partie civile, d'une autre citation respectant le délai précité (Ch. Crim. 13 avril 1999).

Quant à la consignation prévue par l'article 392-1 du Code de procédure pénale, il suffira de rappeler que dans l'état de la jurisprudence la plus récente de la Chambre Criminelle, le défaut de versement de consignation par la partie civile poursuivante n'est pas une cause d'irrecevabilité de la citation directe délivrée à sa requête lorsque le tribunal a omis d'en fixer le montant et le délai de versement (Ch. Crim. 29 avril 2003).

En conclusion, il convient de constater la nullité de la citation du 18 août 2008 et du jugement du 9 septembre 2008 et de rejeter l'exception de nullité soulevée à l'encontre de la citation du 20 octobre 2008. - sur l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la LICRA :

Aux termes de l'article 48-1 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, "toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts de défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants, combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les

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infractions prévues par les articles 24 (dernier alinéa), 32 (alinéa 2) et 33 (alinéa 3), ainsi que les délits de provocation prévus par le 1° de l'article 24, lorsque la provocation concerne des crimes ou délits commis avec la circonstance aggravante prévue par l'article 132-76 du Code pénal."

Le prévenu fait plaider que la LICRA « n'a pu mettre en mouvement valablement l'action publique ce qui emporte la nullité de la procédure entreprise » en ce que l'alinéa de l'article 24 alinéa 8, visé à la prévention, incriminant la provocation à la haine, la violence ou la discrimination à raison de l'origine ou de la religion, ne correspond pas au dernier alinéa de cet article tel que visé par l'article 48-1 "puisque l'alinéa suivant prévoit le délit de provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe ou du handicap".

Le prévenu précise que la Chambre Criminelle a récemment eu l'occasion de rappeler que la substitution d'un alinéa de l'article 24 à un autre alinéa emportait la nullité de la procédure (Ch. Crim. 8 juin 2004). Ce moyen est cependant sans emport car la non-mise en conformité de l'article 48-1 portant mention du dernier alinéa de l'article 24, dans sa rédaction initiale issue de la loi du 1er juillet 1972, avec les modifications législatives nombreuses et successives venues affecter l'article 24 (5 janvier 1951, 1er juillet 1972, 9 septembre 1986, 16 décembre 1992, 13 mars 1993 et 30 décembre 2004), ne peut être reprochée à la partie civile.

Pour ajouter à l'incertitude découlant de cet enchâssement de modifications législatives, il y a lieu d'évoquer l'insécurité momentanée introduite par la circulaire du Secrétaire du Gouvernement, en date du 20 octobre 2000, relative au mode de décompte des alinéas, désormais calqué sur le mode de computation préconisé par le Conseil d'Etat. ("Compter pour un alinéa tout mot ou groupe de mots renvoyé à la ligne sans tenir compte du signe placé à la fin de la ligne, c'est à dire point, point-virgule, au début de la ligne nouvelle, c'est à dire chiffre arabe ou romain, tiret, etc ... " "La simplification ainsi obtenue trouve, il est vrai, ses limites dans le fait que coexistent dans le droit positif des textes réglementaires appliquant l'un ou l'autre décompte, selon la date à laquelle ils auront été adoptés"). L'arrêt de la Chambre Criminelle du 8 juin 2004 cité par le prévenu concerne l'une des victimes collatérales de "la simplification ainsi obtenue", en l'espèce la LICRA, laquelle, pour avoir visé l'alinéa 6 et non l'alinéa 8 par suite de la nouvelle computation, s'était vue opposer non pas l'irrecevabilité de sa plainte avec constitution de partie civile, mais la nullité de ladite plainte, non rectifiée ni complétée par le réquisitoire introductif, et la prescription subséquente.

Dans la présente affaire, la LICRA satisfait aux conditions statutaires pour avoir qualité et intérêt à agir sur le fondement de l'article 48-1. Le prévenu n'est pas

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fondé à reprocher à la partie poursuivante un défaut d'harmonisation des textes imputable au seul législateur.

De manière plus déterminante, le prévenu ne peut se prévaloir d'aucune incer-titude sur les faits reprochés, les parties poursuivantes, pour obvier à ce reproche et satisfaire à l'exigence de précision, prenant désormais la précaution de développer littéralement les alinéas de l'article 24 visés à la prévention.

Par ailleurs, il convient de relever que, contrairement, à ce qu'allègue le prévenu, en l'état actuel de la nouvelle numérotation préconisée par la circulaire précitée, le dernier alinéa de l'article 24, en l'espèce le 12ème , vise non pas la provocation à la violence à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap, mais la peine complémentaire d'affichage ou de diffusion de la décision. L'absurdité d'une telle référence ne pouvait échapper au prévenu et vide le moyen de son fondement. - sur l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'Association Avocats Sans Frontière Par un courrier reçu au Tribunal de Grande Instance de LYON le 23 janvier 2008, M° Aude WEILL-RAYNAL informait le tribunal que "l'Association Avocats Sans Frontière", prise en la personne de son Président, Gilles William GOLDNADEL, se constituera également partie civile à l'audience". M° WEILL-RAYNAL joignait à ce courrier "les documents permettant d'apprécier la recevabilité de cette action."

En début d'audience, le Président constatait la non-représentation de cette association aux débats et le non-dépôt d'éventuelles écritures. Le conseil de la LICRA indiquait au Tribunal avoir été informé par l'avocat de cette association que celle-ci ne se constituerait pas.

Les conseils du prévenu sollicitent dans leurs conclusions de voir déclarer irrecevable la constitution de partie civile de ladite association, motif pris qu'en matière de droit de la presse, l'acte initial de poursuite fixe irrévocablement la nature, l'objet et l'étendue de celle-ci et qu'il s'en déduit qu'aucune association agissant sur le fondement de l'article 48-1 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 ne saurait être admise à intervenir comme une partie civile dans la procédure déjà engagée par une autre (Ch. Crim.10 mai 2006). Force est de constater que le courrier reçu le 23 janvier 2008 n'est que la chronique d'une constitution annoncée. L'Association Avocats Sans Frontière n'ayant pas manifesté son intention de persister dans son action civile par voie d'intervention, au demeurant irrecevable

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en application de la jurisprudence précitée, ne peut être considérée comme se désistant de sa constitution par sa non-comparution ou sa non-représentation au sens de l'article 425 alinéa 1 du Code de procédure pénale.

En conséquence, il y a lieu de dire que la demande d'irrecevabilité soulevée par le prévenu est sans objet et doit être rejetée. - sur la demande reconventionnelle :

Le prévenu sollicite de voir condamner solidairement la LICRA et l'Association Avocats Sans Frontières au versement de la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de constitution de partie civile en ce que celles-ci "ont attrait témérairement Maurice SINET devant la juridiction de céans et ont maintenu une procédure manifestement irrégulière, malgré les avertissements prodigués, tout en l'accusant témérairement." Si le bien-fondé de la demande reconventionnelle à l'égard de la LICRA ne pourra recevoir une réponse qu'après un examen des faits au fond, il convient d'ores et déjà de rejeter la demande reconventionnelle à l'égard de l'Association Avocats Sans Frontière, celle-ci étant dénuée de fondement.

- sur la dénaturation des écrits poursuivis :

Le prévenu soulève la nullité de la citation en invoquant une atteinte aux droits de la défense en suite de la dénaturation des écrits poursuivis. Le prévenu relève en effet que Siné a écrit : « j'ai toujours détesté ces grenouilles de bénitiers catholiques vêtues de noir, et sentant le pipi, je ne vois pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeante et véritables épouvantails à bites", ce que la LICRA a retranscrit ainsi : « j'ai toujours détesté les grenouilles de bénitiers catholiques vêtues de noir, je ne vois donc pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeante et véritables épouvantails contre la séduction. »

Siné a écrit : « Je renverserai aussi de bon coeur le plat de lentilles à la saucisse sur la tronche des mômes qui refusent de bouffer du cochon à la cantine " mais il ajoutait "quand on des parents aussi bornés que les leurs, le seul moyen est de leur désobéir et de les envoyer se prosterner " ce que la LICRA a omis de transcrire. Enfin, le prévenu souligne que dans le dernier passage incriminé, la LICRA a ajouté l'adverbe "vite" alors que Siné a écrit: « mon choix est fait ! » et non pas "mon choix est vite fait !".

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Selon le prévenu, "en tentant de gommer la démesure rabelaisienne, voire grossière de la chronique ", la partie civile a dénaturé les faits de la poursuite. Le moyen soulevé est cependant inopérant dans la mesure où la modification terminologique relevée, si elle est effectivement atténuante et modératrice dans l'expression, ne dénature cependant pas fondamentalement le sens et la portée des propos, la partie civile ayant déclaré à l'audience que la différence constatée procédait d'une retranscription par la LICRA du texte diffusé sur Google.

Pour apprécier la portée des propos, il conviendra de les rétablir dans leur dimension de verve rabelaisienne.

Quant à l'omission de transcription reprochée ("quand on a des parents aussi bornés que les leurs, le seul moyen est de leur désobéir et de les envoyer se prosterner"), celle-ci est également insuffisante à caractériser une dénaturation. des propos. Le Tribunal, pour apprécier la portée des propos reprochés, devra prendre en considération les éléments intrinsèques tirés de la chronique en son entier, ce qui a précisément justifié la retranscription de l'entière chronique dans le présent jugement.

A cet égard, le Tribunal relève que le prévenu a également écrit: "Et quand ils prétendent que c'est pour des raisons d'hygiène qu'ils refusent le porc, évoquant des maladies datant du temps de leur prophète mais éradiquées depuis belle lurette, mon sang n'a fait qu'un tour et se transforme aussitôt en boudin ! La bêtise n'a pas de limites, c'est connu, mais arrêtons de la respecter et, qui plus est, de l'entretenir au nom d'une indulgence dont ils ne font, eux, aucune preuve !".

Le Tribunal, pour sa part, constate que Siné a écrit « je renverserais » au mode conditionnel et non pas « je renverserai » au futur de l'indicatif, confusion commise dans les écritures mêmes des conseils du prévenu. Enfin, dans la chronique du 2 juillet 2008, le Tribunal constate que la virgule ponctuant l'épithète "juive" a été omise dans la citation de la partie civile (« vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de DARTY ») alors que la phrase en question, fort controversée, a été publiée ainsi : « vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de DARTY. »

Il convient en conséquence de rejeter l'exception de nullité soulevée.

- sur la suppression du jugement de condamnation en date du 12 février 1985 et la demande indemnitaire de l'article 41 alinéa 4 :

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Le prévenu fait plaider que les parties civiles ayant produit un jugement de condamnation de Maurice SINET en date du 12 février 1985 en violation de l'article 133-9 du Code pénal ("l'amnistie efface les condamnations prononcées"), de l'article 133-11 du Code pénal interdisant à toute personne ayant eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions de condamnations amnistiées d'en rappeler l'existence sous quelque forme que ce soit ou d'en laisser subsister la mention dans un document quelconque, ainsi que de l'article 133-14 et 133-16 étendant les effets de la réhabilitation à ceux de l'amnistie, et sollicite, en application de l'article 41 alinéa 4, de voir prononcer la suppression de toute référence audit jugement et de condamner qui il appartiendra à la somme de 10 000,00 euros de dommages et intérêts.

Le moyen est cependant inopérant et la demande mal fondée car le Président a pris soin en début d'audience de rappeler que le Bulletin n°1 du Casier Judiciaire du prévenu ne comportait aucune mention de condamnation et le Tribunal constate que la pièce querellée versée aux débats par la partie civile a été cancellée pour la partie du dispositif relative à la peine prononcée.

Il y a lieu en conséquence de dire n'y avoir lieu à suppression et de rejeter la demande indemnitaire.

- sur la réserve d'action de l'article 41 alinéa 5 :

Le prévenu sollicite le Tribunal de lui donner acte de ses réserves fondées sur l'article 41 alinéa 5. Cependant, dans la mesure où seuls les faits étrangers à la cause peuvent donner lieu à ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, il n'y a pas lieu, en l'espèce, de donner acte au prévenu de la réserve d'action sollicitée, le Tribunal considérant la condition d'extranéité non remplie car la pièce versée, à savoir le jugement cancellé, n'est pas étrangère à la cause, la partie civile pouvant légitimement considérer que la connaissance du fait est utile au libre exercice de son droit d'agir.

- sur l'irrecevabilité partielle de la constitution de partie civile de la LICRA

: Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881, "Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers les personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes."

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En l'espèce, le Ministère Public à pris des réquisitions orales de voir déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la LICRA relativement aux propos tirés de la chronique du 2 juillet 2008, motif pris au visa de l'article 48-1 alinéa 2 que l'infraction ayant été commise envers une personne visée individuellement, à savoir Jean SARKOZY, la LICRA est dès lors irrecevable dans son action en l'absence d'accord préalable de ce dernier.

En réplique, le conseil de la partie civile a développé des conclusions (n°3) faisant valoir qu'il est de jurisprudence constante que "lorsque c'est un groupe de personnes physiques qui est visé par une publication et non une personne prise individuellement, l'action des associations antiracistes est autonome et n'a pas à bénéficier de l'accord préalable de quiconque (Crim.7 décembre 1993)." Selon la partie civile, en l'espèce, "Jean SARKOZY n'est pas la victime principale du délit d'incitation à la haine raciale." "Dans sa chronique Maurice SINET pratique un amalgame honteux entre les juifs et l'argent" et celui-ci "n'incite pas à la haine ou à la violence envers Jean SARKOZY en raison de son appartenance vraie ou supposée à une race, une ethnie, une nation ou une religion mais stigmatise l'ensemble de la communauté juive, en lui attribuant des privilèges et des pouvoirs hypothétiques, en développant le triptyque fameux : juif = pouvoir =argent."

Le Tribunal considère que la détermination de la personne ou du groupe visé implique l'étude des propos reprochés et donc l'examen préalable du fond de l'affaire. - sur la recevabilité de l'intervention forcée de civilement responsable : M° MALKA, avocat de Philippe VAL, civilement responsable, tout en ne contestant pas explicitement le bien fondé de son intervention forcée, s'interroge néanmoins sur la régularité de sa mise en cause par Maurice SINET, partie civile, alors même que la LICRA, partie civile poursuivante ne l'a pas mis en cause en tant que directeur de la publication.

Le Tribunal relève que selon les dispositions de l'article 44 de la loi sur la liberté de la presse, "les propriétaires de journaux ou d'écrits périodiques sont responsables des condamnations pécuniaires prononcées au profit des tiers contre les personnes désignées dans, les deux articles précédents, conformément aux dispositions des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil ".

Ainsi, il suffit pour la régularité de l'intervention du civilement responsable sur le fondement de l'article 1384-alinéa 5 du Code civil, de constater que Maurice SINET, auteur des chroniques incriminées, a bien été mis en cause à titre de complice en application de l'article 42 de la loi sur la liberté de la presse.

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En outre, les dispositions de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 imposant l'observation d'un délai de vingt jours et plus selon la distance évaluée en myriamètre entre la date de la citation et la comparution, ne concernant cependant que l'exploit introductif d'instance et non les citations ultérieures (Crim. 12 octobre 2004), il en découle que la citation délivrée est régulière.

AU FOND:

- Sur les propos tenus à Radio "Carbone 14" en août 1982 :

Evoqués de manière récurrente et insinuante au cours des débats et parfois rapportés de manière biaisée par certains, les propos tenus par Maurice SINET sur les ondes de la radio libre "Carbone 14" au cours d'une nuit d'août 1982 doivent être restitués dans leur contexte. Lors de cette émission en direct passablement arrosée, à ses dires, Maurice SINET a tenu des propos provoquant incontestablement à la haine et à la violence envers les personnes de la communauté juive.

Celui-ci a reconnu et regretté son "dérapage incontrôlé".

Il a publié, à ses frais, une lettre d'excuses publiée sous forme d'encart publicitaire dans le journal "Le Monde" du 21 octobre 1984 : "Siné à la LICRA" : "Tenus au cours d'une nuit d'août 82 sur les ondes d'une radio libre, un certain nombre de mes propos ont choqué à tel point que vous m'intentez un procès pour "incitation à la haine raciale. Pour moi, qui me considère comme un anti-raciste, c'est un comble. Je ne suis pas antisémite, je ne l'ai jamais été et ne le serai jamais, mais je me demande en effet si, auditeur et juif, je n'aurais pas réagi de la même façon (...). Il m'était difficile d'admettre que c'était bien moi qui avait dérapé à ce point-là. J'avais du mal à le croire mais, hélas, il n'y avait pas le moindre doute. Tout le monde s'accorde à reconnaître que lors de cette émission, j'étais complètement ivre. Une fois de plus, je haïssais l'alcool et ses ravages (...). Mes essais de provocation, d'humour au pénultième degré, que je manie d'habitude avec dextérité, étaient cette fois complètement ratés et odieux (..), je me rendais parfaitement compte que j'avais fait voler en éclat toutes les limites permises et que certains d'entre eux avaient pu faire mal à beaucoup. Je sais posséder le sens de la démesure : je gagne d'ailleurs ma vie avec puisque c'est mon métier. Je sais aussi les problèmes délicats que provoquent parfois ces exercices périlleux (…) Mais il faut aussi - ce serait malhonnête de ne pas le faire - remettre les choses dans le contexte de l'époque : la guerre du Liban faisait rage et nous étions tous bouleversés. J'étais absolument contre les positions du gouvernement israéliens d'alors, partageant en cela les sentiments de beaucoup d'amis juifs. C'était le sujet d'actualité le plus brûlant et toutes nos conversations étaient passionnées et exacerbées. En évoquant cela, je ne

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cherche pas à me disculper, j'aimerais simplement vous faire comprendre, sinon admettre, ma colère et ma déraison (..). Vous comprendrez, je l'espère, que les propos que vous me reprochez sont en flagrante contradiction avec tout ce que je pense. Je m'excuse bien volontiers et très sincèrement auprès de tous ceux que j'ai pu blesser."

A la suite de cette lettre d'excuses, la LICRA se désistait de sa plainte et seule l'association "Le Comité Juif d'Action", représentée par M° GOLDNADEL, maintenait sa plainte.

Le prévenu a versé aux débats (pièce n°102) une attestation de Jean-Yves LAMBERT, dit LAFESSE, ainsi libellée :

"La particularité de l'émission que j'animais sur la radio libre "Carbone 14" était de laisser les gens (invités ou auditeurs au téléphone) exprimer ce qu'ils voulaient au micro et ce, quelque soit leur état. Quand les propos dérapaient dans une discussion haineuse, il m'appartenait de ramener l'intervenant à la raison ou de lui faire quitter l'antenne. Certaines soirées furent plus marquantes que les autres, j'en citerai trois, particulièrement arrosées, avec : Serge GAINSBOURG, Jean-Hedern HALLIER et Bob Siné. Ces trois hommes-là, on les aime ou on les hait. Ce qu'ils ont ou avaient en commun est de dépeindre au second, troisième, ou énième degré des faits, des personnages qu'ils abhorrent. Serge Gainsbourg qui insulte copieusement les lesbiennes en direct au point que deux d'entre elles débarquèrent pour lui casser la figure (…). Avec Bob Siné tout le monde en prit pour son grade : les Catholiques, les Juifs, les Musulmans, les Homos, les sympathisants de Jacques Chirac, Mitterrand, etc. Mais c'était très clairement au second degré. Il n'y a pas eu un auditeur pour appeler le standard, pas une des personnes présentes à la radio ce soir-là, Musulman, Juif, Catholique et autres pour réagir à l'antenne. Parce que tout le monde a bien compris ce soir-là derrière les propos provocants et éthyliques de Siné, qu'il exhibait la bête qu'il combat, l'horreur dont l'être humain est capable sous toute forme, en toute occasion. Et ses harangues ne suscitèrent que le fou rire tant elles étaient et se voulaient caricaturales. Il suffisait simplement d'entendre le son de la voix de Siné pour en être immédiatement convaincu. Enfin, qui peut vraiment imaginer que Siné défendait les S.S. ? » Jean DANIEL, directeur du "Nouvel Observateur", dans un éditorial intitulé "L'affaire Siné, un antisémitisme de gauche", publié le 30 juillet 2008, a été l'un des rares journalistes, voire le seul de la presse écrite, à présenter des excuses à Maurice SINET, dans les termes suivants :

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"N.B. : Autocritique. Faisant une citation du célèbre dessinateur Siné dans mon éditorial, et dans laquelle il était censé avoir écrit : "Je souhaite la mort de tous les juifs qui ne sont pas pro-palestiniens ", j'ai commis deux inexactitudes. La première, c'est que la citation comportait des phrases encore plus regrettables et compromettantes que j'ai de moi-même censurées. Mais la seconde inexactitude, très grave celle-là, est que je n'ai pas informé nos lecteurs que Siné s'était nettement excusé de ses propos qu'il avait attribués à une soirée trop festive. Il a regretté sans équivoque d'avoir prononcé ces phrases. Il a formulé ses regrets avec fermeté et clarté. Je suis désolé et attristé de cette grave négligence. Je présente à Siné des sincères excuses." (Pièce n°95 versée par M° TRICAUD).

Pour sa part, Alexandre ADLER, dans un article intitulé "L'antisémitisme, ciment du vertige identitaire", publié le 26 juillet 2008 dans "Le Figaro", s'est exprimé ainsi : "L'antisémitisme est une bien vilaine chose, même sur le plan esthétique, si l'on oublie Wagner et Céline - en tout cas, sur le plan moral et, bien souvent, sur le plan politique, malgré les satisfactions que certains y cherchent à court terme (..). Rappelons tout à tract et dans un ordre dispersé la récidive. Siné a déjà été condamné sévèrement pour des propos outrageants, et avait déjà comme témoins de moralité quelques-uns des pétitionnaires en sa faveur tels le pontifiant Michel POLAC ou l'amusant Guy BEDOS. Sans la précaution réthorique de l'antisionisme, ce sont les juifs qui sont présentés comme les maîtres de l'argent et de la société française (...). Mais revenons un instant sur la haine antisarkozyste .- on aura beau rappeler que le président n'est ni juif par la religion ni même très majoritairement par l'origine (..). Qu'importe, dans une mondialisation impétueuse que certains, à droite comme à gauche, vivent comme une agression permanente, un homme, Nicolas Sarkozy, proclame, sans cesse, qu'il est une opportunité pour une France qui peut se secouer de la rancoeur petite-bourgeoise de la corporation et de l'éloge de la paresse, et voici que les antisémites, comme un essaim de mouches, s'en prennent à sa personne, ou le cas échéant, à celle de son fils. Le degré d'horreur et de mépris que cette attitude produira chez nos concitoyens, au-delà des clivages politiques traditionnels, est un test en grancteur réelle de la santé de notre corps politique. (...) Et qui a la bassesse de Drumont, de Maurras ou de Bernanos : ce sont les pétitionnaires semi-trotskystes en faveur de l'éternel stalinien Siné. " (Pièce n°98 versée par M° TRICAUD) - sur le délit de provocation à la haine raciale et le droit applicable :

Le délit prévu et réprimé par l'article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 suppose, pour être constitué, que soit établie par la partie poursuivante

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l'existence d'une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, c'est à dire, un acte positif d'incitation manifeste, d'exhortation ou d'excitation à ces actions, attitudes ou sentiments, et que le propos ait pour cible une personne ou un groupe de personnes déterminé, à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

L'incitation ou la provocation sont au coeur de cette incrimination.

Evoquant le résultat ainsi recherché, certains auteurs parlent "d'un basculement intellectuel chez le provoqué" ou "d'un choc incitatif à l'accomplissement d'actes de discrimination ou de violence."

L'annotateur à la Gazette du Palais d'un jugement de la 17ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, en date du 6 décembre 1984, relevait déjà : « Pour qu'il y ait provocation, l'écrit incriminé doit créer, d'évidence, par la charge explosive et le sens des mots qui le composent, l'incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale dans l'esprit de son lecteur » (Gaz. Pal. 1985, jurisprudence, p. 706).

Un arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 7 septembre 1995 évoquait ''la puissance émotive du dessin. " Cette "puissance émotive" créée par le dessin ou l'écrit est illustrée par nombre de décisions : - TGI Paris, 17ème ch., 24 novembre 2005 : "Assez de racailles. Résistance. "Stop. L'Islam ne passera pas ". "Rejoignez-nous contre l'Islam. " "Petites réflexions sur la présence musulmane en France et sur la stratégie des islamistes". "Ils sortent relativement peu des quartiers et des territoires qu'ils ont conquis. "Quadriller le terrain, développer leurs réseaux, accumuler des armes, faire de la propagande : voici le programme des islamistes à brève échéance. La prochaine étape, c'est le déclenchement des hostilités. " - TGI Paris, 17ème ch., 26 mars 2002 : à propos d'un prévenu présentant sans nuance ni réserve les membres de la communauté juive comme responsables de la situation en Palestine : "Si vous voyez des juifs dans la rue, quel que soit le continent, tabassez-les, tuez-les ... " - Cour d'appel de Pau, 18 juin 2002 : à propos d'un dessin représentant un homme tenant une matraque dans sa main gauche et retenant un chien d'attaque de sa main droite avec les mots suivants : "TU NIQUES LA FRANCE ... DEGAGE!" - TGI Paris, 18 octobre 2000 : "guerre totale au sionisme international et à ses agents ! Guillotinez les ordures corrompues... " - Cour de Cassation, Ch. Crim. 29 janvier 1998, à propos d'un prévenu mettant en cause l'influence prêtée à "l'Internationale juive " qualifiée de « grand lobby

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mondialiste », "toujours à l'affût", "en tenue de combat", grisé par les encens des victoires totales « les fumées et les décombres de la société effondrée ». -Ch. Crim, 13 juin 1995 : "Refusons le bâillon", "mafia cosmopolite", contre l'inquisition cosmopolite, contre l'oppression, contre l'imposture » -TGI Paris, 17ème ch., 10 mars 2006 : "sale nègre", "les juifs auront ta peau", voilà le genre de slogans que j'ai entendus. Ce sont tous ces négriers reconvertis dans la banque, le spectacle et aujourd'hui l'action terroriste qui manifestent leur soutien à la politique Ariel Sharon. Ceux qui m'attaquent ont fondé des empires sur la traite des noirs et l'esclavage".

De même, selon une jurisprudence constante, ne tombe pas sous le coup de la loi « faute d'incitation manifeste » à la haine ou à la violence le fait de tourner en dérision les pratiques religieuses catholiques (TGI Paris, 1ère ch, 7 décembre 1993, AGRIF c/Fluide Glacial : une suite de dessins consacrés au personnage de "Soeur Marie-Thérèse des Batignolles" sous le titre : "Le bouc est mis, soeur" et TGI Paris, 17ème ch., 7 décembre 1993, AGRIF c/L'Echo des Savanes à propos des pratiques religieuses de la confession tournée en dérision).

Concernant un article intitulé "A propos de la mosquée de Beyson" ("L'Europe, aux apports culturels convergents de nos souches grecque, romaine, germaine, celle et chrétienne, est incompatible avec l'Islam (..)- La base de l'Islam, n'est-ce pas la confusion de l'Etat et de la religion ? C'est à dire exactement le contraire de la laïcité. Ecole libre et obligatoire... ou école coranique et obligatoire ? Choisissez, bon dieu, nous ne voulons pas d'un maire schizophrène"), la Chambre Criminelle, par un arrêt en date du 17 mai 1994, a confirmé une décision de relaxe d'une cour d'appel au motif "qu'il est normal que les citoyens débattent des difficultés relatives à l'immigration, fussent-elles d'ordre religieux, et puissent exprimer leur opinion et que la seule crainte, du risque de racisme ne saurait priver les citoyens de la liberté de pensée et d'expression, dans la mesure où le débat se déroule de bonne foi et sans but de discrimination au sens de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881". A propos d'un tract intitulé "Pas de cathédrale à la Mecque, pas de mosquée à Strasbourg", comportant un texte virulent d'opposition de nature politique au financement partiel de la grande mosquée de Strasbourg par les collectivités territoriales (tract illustré d'un dessin représentant deux paysans priant dans la campagne en direction d'un minaret), la Chambre Criminelle, par arrêt du 30 mai 2007, a confirmé la relaxe au motif que le dessin relevait de la dérision et que le tract n'incitait pas à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale, les- propos dénoncés n'excédant pas les limites admissibles à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Selon le conseiller rapporteur, "la grande difficulté en cette matière consiste à sanctionner les propos à caractère raciste, tout en permettant l'expression d'opinion sur les dogmes, la politique, ou certains membres faisant partie d'un groupe lorsque ceux-ci sont mis en cause, non pas du fait

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de leur appartenance audit groupe, mais en raison de leur comportement à l'occasion de telles ou telles circonstances." Outre l'article 24 alinéa 8 de la loi sur la liberté de la presse, les règles servant de fondement aux présentes poursuites doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle de la liberté d'expression.

La liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes dans une société démocratique, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (CEDH, 23 septembre 1994, JERSILD C/DANEMARK), ainsi que l'exigent les principes de pluralisme et de tolérance qui s'imposent particulièrement à une époque caractérisée par la coexistence de nombreuses croyances et confessions au sein de la nation.

L'exercice de cette liberté fondamentale comporte, aux termes mêmes de l'article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique et qui doivent être proportionnés au but légitime poursuivi.

L'article 9 de cette même convention prévoit un droit à une jouissance paisible de la liberté de religion.

En France, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République.

En France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer et même de tourner en dérision les religions, les symboles et les rites de la pratique religieuse (Cour d'Appel de VERSAILLES, 18 mars 1998 et Chambre Criminelle, 8 mars 2001, AGRIF C/La Grosse Bertha). Des restrictions peuvent être apportées à la liberté d'expression si celle-ci se manifeste de façon gratuitement offensante pour autrui, sans contribuer à une quelconque forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain (CEDH, 20,septembre 1994, Otto Preminger Institut c/Autriche, § 49, CEDH; 4 décembre 2003, Gunduz c/Turquie, § 37).

- sur les propos qualifiés de provocation à la haine raciale :

La caricature ne se limite pas aux dessins. Si elle représente bien souvent un "dessin (une) peinture qui par le trait, le choix des détails, accentue ou révèle

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certains aspects (ridicules, déplaisants)", elle désigne aussi une "description comique ou satirique, par l'accentuation de certains traits" (Petit Robert).

La caricature est "un des aspect du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression". Le bouffon remplit une fonction sociale éminente et salutaire. A sa manière, il participe à la défense des libertés.

« La caricature permet des excès qui ne sont pas admis pour des articles de fond », elle "autorise des outrances, voire des provocations que ne permettrait pas un écrit à vocation informative" (Cour d'Appel de Paris, 11 ème section, 20 octobre 1994). La griffe et l'humour acide n'excluent pas l'analyse et la critique sociétale. L'exagération permet d'utiliser l'ironie comme instrument de critique sociale et politique, en faisant appel au jugement et au débat. Le journal CHARLIE HEBDO est un journal satirique que nul n'est obligé d'acheter ou de lire. Ce journal, à raison-même de son genre satirique, a bénéficié à plusieurs reprises d'une appréciation bienveillante -, ainsi, selon la Cour d'Appel de Paris, "CHARLIE HEBDO est un journal satirique qui pratique l'outrance verbale, la dérision et la provocation, et si le caractère insolent, scabreux voire grossier de certains articles peut choquer, cette forme de presse bénéficie d'une certaine tolérance dont la cour doit tenir compte", (Cour d'Appel de Paris, 11ème section, 3 1 octobre 1996). Le droit à l'humour connaît cependant des limites, telles que les atteintes au respect de la dignité de la personne humaine, l'intention de nuire et les attaques personnelles gratuitement offensantes.

A l'occasion de la poursuite du chef de provocation à la discrimination religieuse à propos d'un dessin publié dans CHARLIE HEBDO en 1994, sous la légende "les commandos anti-avortement nous font chier", représentant à l'intérieur d'une église, trois personnages déféquant dans un bénitier et sur une croix et urinant dans le calice posé sur le tabernacle, la Cour de Cassation rejetait le pourvoi formé contre l'arrêt de relaxe et de débouté au motif notamment que "le journal connaît une diffusion auprès de lecteurs avertis qui ne se méprennent pas sur la portée de son contenu". (Crim. 8 juin 1999).

De même, à l'occasion de poursuite pour provocation à la haine religieuse, à la suite de la publication par CHARLIE HEBDO, le 18 novembre 1996, d'un cahier spécial intitulé "Spécial manif anti-pape des posters pour vos pancartes",

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les prévenus étaient relaxés par la 17ème Chambre au motif que "les posters, s'ils ont pu, par leur présentation grossière ou vulgaire, choquer, voire blesser la sensibilité de certains membres de la communauté catholique, ceux-ci ont été publiés dans un journal connu pour son anticléricalisme et son caractère satirique et ne contiennent, en raison même de leur absurdité et donc de leur totale absence de crédibilité, aucun appel à la haine."

- en ce qui concerne la chronique du Il juin 2008 (cf. page 4 du présent jugement) :

Cette chronique est composée d'un texte comportant trois paragraphes séparés d'un gros point noir et elle est illustrée par trois dessins. En haut à gauche, en face des deux premières phrases évoquant "les femmes voilées" et "les grenouilles de bénitier", figure un dessin représentant une femme avec un sac à la main, vêtue d'une robe gris sombre couvrant tout le corps de la tête aux chevilles, genre tchador, ainsi qu'une seconde femme, dans la même attitude, coiffée d'un chignon et vêtue strictement de noir, représentant le stéréotype de "la grenouille de bénitier" du culte catholique. Au milieu de la chronique, un dessin représente une femme vêtue d'une robe blanche à pois montant un escalier, référence cinéphilique selon la linguiste Dominique LAGORGETTE, à Marylin Monroe à "la croupe altière" dans le film "7 ans de réflexion" de Billy Wilder. Au terme d'une analyse fouillée (pièce n°110, 22 pages), la linguiste Dominique LAGORGETTE conclut ainsi: "Le texte de Monsieur Sinet s'apparente à un billet d'humeur polémique : - la chronique a pour fil conducteur la vêture des femmes, thème qui traverse les trois paragraphes et les trois dessins les illustrant, - le premier paragraphe se distingue des deux autres par sa tonalité virulente et indignée, qui l'apparente à la satire, tandis que les deux autres procèdent pour l'un d'un lamento nostalgique et pour l'autre d'une critique nettement moins vive que celle portée par le premier paragraphe ; - le premier paragraphe est essentiellement consacré à la critique des coutumes de trois courants appartenant aux trois religions monothéistes majoritaires en France : s'il se focalise dès le début sur les Musulmans traditionalistes, leurs codes vestimentaires et leur tabous alimentaires, il réfère aussi, dans une volonté affichée de rééquilibrage, aux mêmes groupes de croyants du catholicisme et du judaïsme, - mettant en oeuvre tout l'arsenal rhétorique de la tradition satirique laïque, Monsieur Sinet brosse un portrait carnavalesque à la fois de ces groupes mais aussi des, mesures qu'il souhaiterait prendre pour les ramener, selon lui, à la raison. Démesure, exagération, vocabulaire image sont mis au service d'une rhétorique de l'indignation typiquement polémique. » En résumé, Maurice SINET analyse et griffe.

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La partie civile fait plaider que les femmes musulmanes sont assimilées à des choses et à des animaux. Elles n'appartiendraient plus à la race humaine et puisqu'elles "prolifèrent", "le lecteur en arrive à considérer qu'elles sont nécessairement néfastes ou nuisibles" Selon la partie civile, Maurice SINET préconise de s'en prendre aux enfants, juifs ou musulmans. Le témoin Bernard-Henri LEVY fait également valoir que, selon lui, les métaphores zoologiques caractérisent le discours de haine raciale.

Pour sa part, le Tribunal considère que la métaphore de la prolifération et de l'animalisation ne constitue pas nécessairement le marqueur univoque et inéluctable d'un discours de haine raciale. Comme le relève pertinemment la linguiste précitée, "il y aurait un livre entier à écrire sur les métaphores animales et l'invective polémique, recensées par Angenot (1982). Nous sommes ici au coeur de la satire, qui dépeint le corps grotesque, le ramène à ses fonctions viscérales (« sentant le pipi »), le ramène à des formes et des textures ("ces patates à la silhouette affligeante "), à des objets même ("épouvantails ") lui ôtant l'esprit et la parole." "On repère une trajectoire dans la dégradation symbolique de l'ennemi qui va de l'animal vers l'objet en passant par le végétal. Mais le rédacteur ne reste pas indemne. Cette métaphore du corps humain devenu animal ou substance se renverse à la fin du paragraphe sur son auteur même, dont le sang, en ne faisant qu'un tour, se transforme en boudin : il est lui-même ravalé au rang de porc si l'on suit la logique de son raisonnement." On est là dans le carnavalesque « où les valeurs se fondent les unes en les autres, en un chaos absolu", à l'instar d'un tableau de Bruegel ou de Bosch.

Le prévenu fait plaider liminairement à une demande avant-dire droit d'expertise éventuelle, l'impunité littéraire au motif que "seule une interprétation symbolique des chroniques est susceptible de rendre compte de manière objective de la volonté de leur auteur." Selon lui, "ces chroniques rédigées à la main et parsemées de dessins " ainsi que "la théâtralisation volontaire des expressions employées ne peuvent être interprétée littéralement."

Au soutien de ce moyen le prévenu relève que la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans un arrêt KARATAS contre TURQUIE du 8 juillet 1999, à propos d'un recueil de poésie kurde intitulé "Le chant d'une rébellion", jugé subversif et violent, s'est livrée à une interprétation symbolique des poèmes litigieux et a rappelé le contexte artistique de leur publication pour en apprécier la portée avant de rendre un arrêt de violation de l'article 10 par l'Etat turc.

Le Tribunal rappelle cependant que si la création littéraire et artistique bénéficie d'un "niveau élevé de protection", la Cour Européenne (CEDH, Grande Chambre, 22 octobre 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c/France, à

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propos du roman "Le procès de Jean-Marie LE PEN) a approuvé expressément (§51) la motivation de la Cour d'appel du 13 septembre 2000 selon laquelle "tout écrit qu'il soit de nature politique, philosophique, romanesque, voire, poétique, est soumis aux règles définies en la matière tant au regard de l'ordre public qu'à celui de la protection de la réputation des personnes." Il n'existe donc point d'impunité de littérature a priori. Comme le notait l'avocat de l'un des prévenus, même un romancier peut être jugé à la toise du journaliste.

Au surplus, les chroniques de Maurice SINET, en raison-même de la diffusion de "Charlie Hebdo", relèvent des mass médias et donc plutôt de la liberté de la presse au regard de l'article 10 de la Convention. En conséquence, l'expertise subsidiairement sollicitée ne se justifie pas. Au regard des éléments constitutifs du délit reproché, il convient de relever que dans le premier passage poursuivi, commençant par « Je n'ai jamais brillé par ma tolérance » et se terminant par « plus j'ai envie de leur botter violemment le cul ! », Maurice SINET exprime le sentiment qu'il éprouve à la vue des femmes voilées dans son quartier. Même s'il évoque "les musulmans qui l'insupportent", sa colère, voire son aversion, ne lui sont inspirées que par la vue des "femmes voilées", nombreuses dans son quartier. Le dessin illustrant ce propos indique que celui-ci vise une croyante musulmane traditionaliste portant le tchador.

Le prévenu fait plaider que les termes jugés provocateurs à la haine religieuse doivent être dirigés contre l’ensemble d'un groupe appartenant à la dite religion et non contre une fraction de ce groupe et que des propos aussi critiques et dérangeants soient-ils peuvent participer à un débat d'idées.

Au surplus, selon le prévenu, les trois religions sont logées à la même enseigne dans la mesure où les critiques mettant notamment en cause les manifestations visibles dans l’espace public, sont portées contre les expressions les plus traditionalistes, voire fondamentalistes et ultra-orthodoxes, comme les loubavitchs pour la communauté juive, les femmes portant le tchador et les hommes en sarouel pour la communauté musulmane, les « grenouilles de bénitier » correspondant à des femmes bigotes manifestant une dévotion affectée et étroite, non représentatives de l’entière communauté catholique. Le Tribunal considère que le port du voile est une prescription coranique (sourates 24 et 33) et le tchador désigne le tissu couvrant la tête et l'ensemble du corps des femmes musulmanes chiites. Une telle vêture constitue le signe d'une pratique traditionaliste à l'instar des "grenouilles de bénitier". Les deux croyantes traditionalistes sont dessinées symétriquement.

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Dans une affaire certes relative au port du foulard par une enseignante dans un établissement scolaire, la Cour Européenne vient encore de mettre l'accent sur le « signe extérieur fort que représente le port du foulard » et "s'est également interrogé sur l'effet prosélytique qu'il peut avoir dés lors qu'il semblait être imposé aux femmes par un précepte religieux difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes" (CEDH, 4 déc. 2008, Kervanci c/ France, §64).

En ciblant les musulmanes traditionalistes, le prévenu ne vise pas l'ensemble des musulmans.

On peut légitimement admettre que les propos employés ("ces patates à la silhouette affligeante et véritables épouvantails à bites") puissent choquer la catégorie de croyantes musulmanes portant le tchador , une autre qualification paraît d'ailleurs évoquée lorsque la partie civile souligne le caractère outrageant de certaines expressions (conclusions page 8, "Maurice SINET les insulte en les qualifiant de "patates" et d "épouvantails" ). Au regard des éléments constitutifs du délit, il convient de relever qu'un propos peut être choquant sans être provocant au sens d'une provocation à un passage à l'acte ou à un rejet sentimental. De même, dans l'expression « plus j'ai envie de leur botter le cul ! », l'emploi du terme « envie » et non celui de projet favorise une lecture métaphorique, surtout si l'on prend en compte, comme le souligne l'analyse linguistique, le contexte d'énonciation : une chronique satirique où les métaphores guerrières sont de rigueur selon un spécialiste du genre.

Au surplus, Maurice SINET s'exprime à titre personnel, d'où l'emploi répété du « je » sous forme exclamative, sans jamais exhorter autrui à passer à l'acte ou à partager le sentiment et l'opinion exprimés par l'auteur de ces lignes. A cet égard, répondant à une question de l'avocat de la partie civile au cours des débats, le prévenu a déclaré : "Je n'ai jamais dit qu'on n'était plus chez nous. Quand je dis on est "moitié-moitié", je pense aux gens qui montrent leur religion dans la rue, avec des tenues ostensibles" (note d'audience, page 6 verso).

Dans le troisième passage poursuivi, commençant par « leurs maris barbus embabouchés et en sarouel coranique sous leur tunique » et se terminant par "sur la tronche des mômes qui refusent de manger du cochon à la cantoche", Maurice SINET vise encore les signes ostentatoires de la vêture de certains musulmans traditionalistes ("sarouel coranique") qu'il compare aux signes extérieurs de la frange minoritaire de juifs orthodoxes représentée par les loubavichs.

Là encore, la loi du genre satirique commande de faire une lecture métaphorique du "plat de lentilles à la saucisse" que celui-ci renverserait "de bon coeur",

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expression marquant la dérision, "sur la tronche des mômes qui refusent de bouffer du cochon à la cantine" (à noter l'emploi du mot « bouffer » dans la chronique et non pas "manger" visé à la citation, et celui du terme "cantine" et non pas "cantoche" visé à la citation).

Prêter à Maurice SINET, comme évoqué lors des débats, une éventuelle connivence de mauvais aloi avec des lecteurs mal intentionnés serait faire peu de cas du pari sur l'intelligence des lecteurs de SINÉ, connu pour son côté provocateur et anti-religieux radical, et reviendrait à mettre en cause le label de "lectorat éclairé" de CHARLIE HEBDO plusieurs fois décerné par d'autres juridictions. Au surplus, la prise en considération de l'ensemble de la chronique et notamment de certains éléments intrinsèques, non retenus à la prévention, permettent d'interpréter la portée des propos qui s'inscrivent dans une analyse plus argumentée.

A propos des « mômes qui refusent de bouffer du cochon à la cantine », Maurice SINET préconise de remédier au fait dénoncé par la désobéissance « quand on a des parents aussi bornés. »

Il discute même le fondement théologique du tabou alimentaire : « et quand ils prétendent que c'est pour des raisons d'hygiène qu'ils refusent le porc, évoquant des maladies datant du temps de leur prophète mais éradiquées depuis belle lurette ! » Il pousse la discussion jusqu’ à mettre en cause une absence de réciprocité (« La bêtise n'a pas de limites, c’est connu, mais arrêtons de la respecter et qui plus est, de l'entretenir au nom d'une indulgence dont ils ne font, eux, aucune preuve ! »). L'argument tiré de l'absence de réciprocité a été également relevé dans un arrêt précité de la Chambre Criminelle rendu en 2007 à propos d'un tract « Pas de cathédrale à La Mecque, pas de mosquée à Strasbourg »

Dans cette chronique, Maurice SINET s'exprime comme un athée radical et un laïc militant.

Même sous une forme virulente, ses propos s'inscrivent dans le débat initié par la Commission STASI dans un rapport déposé en décembre 2004 : « Par-delà le statut des cultes, l'exigence laïque demande aussi à chacun un effort sur soi. Le citoyen conquiert par la laïcité la protection de sa liberté de conscience ; en contrepartie il doit respecter l'espace public que tous peuvent partager. Revendiquer la neutralité de l'Etat semble peu conciliable avec l'affichage d'un prosélytisme agressif particulièrement dans l'espace scolaire (…) Accepter d'adapter l'expression publique de ses particularités confessionnelles et de mettre des bornes à l'affirmation de son identité permet la rencontre de tous

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dans l'espace public (…) L'esprit de la laïcité requiert cet équilibre des droits et des devoirs.

Le débat relatif à la laïcité demeure d'actualité.

La liberté d'expression et la liberté de religion sont d'égale valeur : l'une ne supplante pas l'autre.

Cependant il convient de s'attacher non seulement au message lui-même mais aussi à la façon dont celui-ci est porté à la connaissance du public.

Il faut rappeler que les demandeurs à une interdiction des "Versets sataniques" de Salman Rushdie ont vu leur demande rejetée au motif que « si certains passages des versets sataniques, dès lors qu'ils viendraient à être lus par un croyant, étaient de nature à le heurter et à lui donner le sentiment d'être atteint dans sa foi, force est de constater que personne ne se trouve contraint de lire un livre » (TGI Paris, référé, 29 juillet 1989).

Mutatis mutandis, comme déjà évoqué, personne n'est obligé d'acheter et de lire CHARLIE HEBDO.

Même dans l'affaire Otto Preminger Institut c/ Autriche (CEDH, 20 septembre 1994) dans laquelle la Cour Européenne n'a pas jugé contraire à la Convention le délit de blasphème prévu par le droit autrichien tout en affirmant le droit de manifester paisiblement sa liberté de religion, la Cour relevait : "Ceux qui choisissent d'exercer la liberté de manifester leur religion, qu'ils appartiennent à une majorité ou à une minorité, ne peuvent raisonnablement s'attacher à le faire à l'abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi. Toutefois, la manière dont les croyances et doctrines religieuses font l'objet d'une opposition ou d'une dénégation est une question qui peut engager la responsabilité de l'Etat, notamment celle d'assurer à ceux qui professent ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garanti par l'article 9".

Dès lors, s'il faut accepter la critique ou supporter le rejet, le débat se déplace alors pour porter sur la distinction de la critique et de l'injure. En effet l'injure et l'outrage sont hors de tout débat démocratique. Ce point a été fermement rappelé dans un arrêt rendu le 16 février 2007 par la Cour de Cassation, Assemblée Plénière, à propos de l'affirmation "les juifs, c'est une secte, c'est une escroquerie" tenue par M. M'B dit D. Selon la Haute Assemblée, malgré la "résistance" des juges du fond, de tels propos "ne relèvent pas de la libre critique du fait religieux, participant d'un débat d'intérêt général mais constituent une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine".

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A noter que la même phrase ayant fondé cumulativement des poursuites du chef de provocation à la haine raciale, le prévenu avait bénéficié d'une relaxe partielle de ce chef en première instance, confirmée par la Cour d' Appel, alors que les parties civiles ont fait valoir que la phrase incriminée constituait un "appel sans équivoque et prémédité à retrancher les juifs, fauteurs de troubles comme étant à l'origine du racisme, de la communauté nationale et que ces propos inscrivaient le prévenu dans une tradition antisémite fort ancienne". Dans notre espèce, il convient de souligner qu'une opinion discutée même si elle est choquante, n'est pas nécessairement constitutive d'une provocation à la haine ou au rejet. A la lumière de la jurisprudence dégagée au cours de ces dernières années, il convient d’affirmer la primauté de la liberté d’expression sur le sentiment religieux (Cyrille Duvert, le contrôle judiciaire du traitement médiatique des symboles religieux : du numéro d’équilibriste à la boîte de Pandore, Légipresse, juin 2007, II, chroniques). La liberté d’expression l’emporte sur le respect des croyances, sauf dans les cas nettement caractérisés d’offense délibérée, c’est à dire, selon la Cour de Cassation, « d’attaque personnelle et directe envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ».

De même qu’une société démocratique implique que les athées, voire les anti-religieux, tolèrent que les croyants manifestent paisiblement leur religion, ces derniers doivent également tolérer la critique exprimée librement par les athées car les systèmes religieux ne forment pas des ensembles intouchables ou tabous.

En l’espèce, Maurice SINET, en dénonçant des attitudes et des gestes visibles dans l’espace public, imputables non pas à l’ensemble d’une communauté religieuse déterminée mais aux franges les plus traditionalistes, voire fondamentalistes, des trois religions monothéistes du Livre, assimilables à du prosélytisme et susceptibles d’induire des discriminations, le caricaturiste n’a fait qu’exercer sa liberté d’expression de manière satirique, dans un débat public touchant à la laïcité, principe constitutionnel fondateur de la République. Dans ces conditions, les propos visés n’outrepassent pas les limites admissibles de la liberté d’expression et le délit reproché n’est pas constitué. - en ce qui concerne la chronique du 2 juillet 2008 (cf.pages 4 et 5 du présent jugement) : Cette chronique rédigée à la main associe texte, coupures de presse et dessins. Elle est composée de six paragraphes, clairement démarqués par des signes noirs et ronds. Le texte est illustré par deux dessins : le premier en haut à gauche, représente une cuvette de WC dans laquelle est plongé le logotype du journal

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« Libération » et illustre le premier paragraphe commençant ainsi : « Libé a payé cher son scoop crapoteux de Carla Sarkozy » Le second dessin, placé en fin d’article et en bas de page à gauche, représente deux femmes, l’une au crâne rasé, l’autre portant un tchador, juste en face de la dernière phrase de la chronique : « Moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est fait ! » Le premier passage poursuivi commençant par « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et se terminant par "Il fera du chemin dans la vie, ce petit !", concerne les activités en 2008 de Jean Sarkozy, fils de l'actuel Président de la République. Le quatrième paragraphe de cette chronique marque une rupture : « Dans quel monde pourri on vit, mon kiki ! Vite, une bonne nouvelle pour nous rasséréner », suivi de l'inclusion d'une vignette libellée ainsi : « Samedi à Albaceté, le novillero Miguel Tendero se fait renverser par son toro, avale sa langue, fait un arrêt cardiaque. »

Dans le deuxième passage poursuivi, commençant par « La semaine dernière, « l’Express » titrait son édito : Cette religion doit abjurer les archaïsmes les plus flagrants de son dogme » et se terminant par : « entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est fait ! », Maurice SINET commente sur un ton indigné l'éditorial de Christophe Barbier, allant jusqu'à opérer un rééquilibrage en faveur de la religion musulmane qu'il estime absent dans l'éditorial. Il donne ensuite un avis personnel renvoyant à un choix à faire entre deux femmes. Il ne livre pas le résultat de son choix et laisse le lecteur deviner, ce qui selon Dominique LAGORGETTE est un autre « marqueur de connivence typique du discours polémique. »

La partie civile fait plaider que « le message du premier passage poursuivi est clair : d'un côté, un « arabe », victime dont le Parquet ferait bien peu de cas, face au fils du Président de la République, de l'autre, ce même Jean Sarkozy qui se convertirait au judaïsme pour pouvoir épouser une riche héritière de confession juive. » Pour le deuxième passage poursuivi, selon la partie civile, SINÉ soutient que Christian BARBIER « admoneste » les musulmans en leur « enjoignant » d'abandonner leurs traditions ; ce faisant, en prétendant que « le rédacteur en chef de « I'Express » serait incapable de critiquer aussi brutalement les traditions juives, il laisserait très clairement entendre que les tenants de ce culte seraient protégés et donc inattaquables. »

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En résumé, selon la partie civile, « en quelques lignes, en associant les juifs au pouvoir (le fils du Président de la République), à l'argent (Jean Sarkozy se convertirait pour épouser une riche héritière), aux privilèges (dont ne bénéficient pas les arabes), aux protections des médias (on ne peut les critiquer contrairement aux musulmans), Maurice SINET reprend à son compte tous les poncifs de l'antisémitisme nés sous la Troisième République. » La partie civile considère donc que ces « propos constituent le délit reproché. » Selon le témoin cité par la partie civile, Dominique SOPO, Président de SOS-Racisme, le balancement constant entre les juifs et les arabes dans les propos de Siné relève d'une rhétorique antisémite.

Ce témoin ayant déclaré que « dire que les arabes sont moins bien traités que les juifs, c'est une incitation à la haine raciale », M' LEVY, à propos du premier passage poursuivi (« Jean Sarkozy, digne fils du paternel est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle ... Il faut dire que le plaignant est arabe ! »), lui demandait en quoi l'incitation à la haine envers les juifs était constituée, et le témoin répondait : « Non, il n'est pas dit que le juif est favorisé. Quand on explique que ce qu'on écrit sur les arabes, on n'oserait pas le dire des musulmans, cela permet une logique de victimisation ».

Dans une tribune publiée dans le journal « Le Monde » du 22 juillet 2008, sous le titre « De quoi Siné est-il le nom ? » (pièce versée par le prévenu), Bernard-Henri LEVY, ne citant que les seuls termes extraits de la chronique visée, « une musulmane en tchador » et « une juive rasée », estime que « Siné donne à son journal une chronique où il dit, en substance, que la conversion au judaïsme est, dans la France de Sarkozy, un moyen de réussite sociale et qu'il préfère « une musulmane en Tchador « à « une juive rasée »(…). Il poursuit ainsi : « Ce qui compte, ce sont les mots. Et ce qui compte, au-delà des mots, c'est l'histoire, la mémoire, l'imaginaire qu'ils véhiculent et qui les hantent. Derrière ces mots-là, une oreille française ne pouvait pas ne pas entendre l'écho de l'antisémitisme le plus rance.

Derrière cette image d'un judaïsme tout-puissant auquel un Rastignac contemporain se devait de faire allégeance, elle ne pouvait pas ne pas reconnaître l'ombre de notre premier best-seller antisémite national : « Les Juifs, roi de l'époque » d'Alphonse Toussenel (1845). C'est affaire, non de psychologie, mais d'acoustique, donc de physique, de mécanique.

Et quand on est face à ça, quand on voit un vieil humoriste - qui, en effet, ne sait sans doute pas vraiment ce qu'il dit - manipuler des chaînes signifiantes

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qui ont toujours, partout, avec une régularité implacable, mis le feu dans les esprits, la juste attitude n'est pas de minimiser (…) ».

A l'audience, ce témoin précisait : « le deuxième texte parlant de Jean Sarkozy, en écrivant cela, il passait la ligne jaune et rentrait dans l'antisémitisme. Il y a des textes de Drumont qui disent exactement cela, que la bonne méthode est d'entrer dans le clan au mépris de toute sincérité (…) » Sur une question relative à une analyse de Philippe BILGER (Page 23 et 24 du présent jugement), il précisait : « Le passage du singulier à la généralité n'a pas besoin d'être fait par l'auteur pour qu'il passe dans les esprits. Ceux qui attaquaient Dreyfus n'attaquaient pas tous les juifs de France (…) Dans ces affaires-là, le passage du singulier au pluriel se fait de soi. Drumont ne s'en prenait jamais aux juifs en général, il s'en prenait à un en particulier de faire un tel mariage (…). Les antisémites entendent que les juifs sont les rois de l'époque. Je ne suis pas là par passion, mais je pense que sous couvert de la personnalité de Jean Sarkozy, on a fait passer des messages (…). Ce qu'il y a d'antisémite, c'est de dire qu'on se convertit pour monter socialement. Qu'on se convertisse par amour, c'est autre chose. L'antisémitisme qui dit que les juifs sont les maîtres du monde est de l'antisémitisme qui peut marcher.

« Il fera du chemin ce petit », ça veut bien dire que ce mariage lui permet de prendre l’ascenseur social » Dans l'analyse linguistique, déjà évoquée, versée aux débats, Dominique LAGORGETTE écrit : « Le texte de M. SINET, du 2 juillet 2008, s'apparente à une revue de presse écrite, dans un style polémique, plus particulièrement satirique (…) ».

Les sources consultées, notamment les occurences relevées sur la base Factiva.com (2 articles dans la presse helvétique le 9 et le 17 juin et l'article de Christophe AYAD, « Sarko comme chez lui en Israël », paru dans le journal « Libération » du 23 juin 2008), ayant établi l'intertextualité indéniable et la circulation du discours, propos rapportés de Monsieur GAUBERT par Monsieur AYAD, repris par Monsieur SINET, la linguiste a vérifié si le terme « judaïsme » et le terme « juive » dans les propos reprochés ont ou non une valeur sémantique particulière, outre leur sens courant, quand ils sont associés à « héritière ».

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Pour cela, la linguiste a réalisé des tests d'effacement puis de commutation et en a tiré la conclusion suivante : « Le fait de pouvoir substituer à « judaïsme » et à « juive » tout autre qualificatif religieux (musulman, protestant, boudhiste) sans changer le sens de la phrase litigieuse démontre l'inconsistance du grief d'antisémitisme. S'il fallait à tout prix chercher une lecture polémique dans cet enchaînement d'énoncés, on pourrait dire qu'implicitement l'auteur pose que la conversion religieuse est conditionnée par le statut social de la future épouse, ce qui constituerait une remise en cause de la sincérité de la foi. Mais il s'agirait de toute façon dans ce cas d'une critique qui ne porterait pas sur le lien confession religieuse / argent mais bien plutôt sur le rapport sincérité / croyance / arrivisme, et n'aurait guère à voir spécifiquement avec une quelconque discrimination raciale ou religieuse puisque cet effet particulier serait le même quelle que soit la religion mentionnée, comme le montrent le deuxième et le troisième tests (…). La phrase de conclusion, « il ira loin dans la vie, ce petit ! », opère un bilan du paragraphe sur un ton à la fois prophétique (usage du futur de l’indicatif) et sarcastique (« ce petit » ). Elle porte sur toute l’énumération produite dans ce paragraphe et non sur la seule avant-dernière phrase » (page 20 du rapport, pièce n° 110).

- En ce qui concerne les trois premières phrases du premier passage poursuivi (« Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet (encore lui !) a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! » )

L’auteur de ces lignes, après une brève évocation à l’élection de Jean Sarkozy et une allusion à la précocité de celle-ci (« déjà »), se livre à un commentaire tendancieux visant à discréditer une décision de justice. S’il est précisé que « le plaignant est arabe ! » , ces phrases ne recèlent aucune indication ni aucune allusion à une personne d’origine juive. Il découle de cette analyse que ces phrases ne comportent l’énoncé d’aucune incitation à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur appartenance à la religion juive.

- En ce qui concerne la quatrième phrase du premier passage poursuivi (Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de DARTY ») :

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Maurice SINET termine son énumération sur les fiançailles de Jean Sarkozy à une personne de statut social favorisé avec une éventuelle conversion religieuse selon des propos prêtés à l'intéressé lui-même.

Selon la linguiste précitée, sur les quatre articles-sources répertoriés par celle-ci sur la base Factiva.com, deux au moins se référaient explicitement à une conversion envisagée. Selon cette même spécialiste du langage, l'emploi du terme « juive » dans la phrase incriminée permet de comprendre le choix de Jean Sarkozy « de vouloir se convertir au judaïsme ».

Si la conversion au judaïsme prêtée à Jean Sarkozy avant d'épouser une riche héritière peut s'analyser de prime abord en un amalgame entre juif et argent, ce qui justifie la recevabilité de l'action civile de la LICRA sans nécessiter l'accord préalable d'une personne visée individuellement dans la mesure où l'ensemble des personnes de la communauté juive pouvait s'estimer visé par cet amalgame dont l'histoire passée a démontré la malfaisance, en revanche, il apparaît après un examen plus approfondi que l'emploi du terme « juive » n'a guère à voir spécifiquement avec une quelconque discrimination raciale ou religieuse et encore moins avec une incitation à un sentiment de rejet de la communauté juive.

En effet, comme le relève le journaliste François REYNAERT (pièce n° 16) « le propre de l’antisémitisme comme de tous les racismes, c’est d’écraser un individu sous un stéréotype. » cela n’a rien à voir avec le fait de dénoncer le comportement particulier d’un individu, même si ce comportement rejoint un quelconque stéréotype. Siné n’a pas écrit : « tous les juifs sont riches » ou « pour réussir, il faut vraiment être juif ». Selon le Tribunal, Maurice SINET s’est autorisé à railler, sur le mode satirique l’opportunisme et l’arrivisme d’un homme jeune engagé sur la scène politique et médiatique. Bernard-Henry LEVY, témoin de la partie civile, entendu à propos de l’analyse de Philippe BILGER (pièce n°74 de M° TRICAUD) évoquant « le passage du particulier au général » et « le passage de la liberté de critique des attitudes singulières à la scandaleuse opprobe jetée globalement sur une communauté ou une pratique religieuse, le pluriel seul signant l’antisémitisme », à l’instar du stéréotype écrasant un individu, Bernard-Henry LEVY déclare que « le singulier vaut le pluriel » et que « ceux qui attaquaient Dreyfus n’attaquaient pas tous les juifs de France », « Drumont ne s’en prenait jamais aux juifs en général, il s’en prenait à un particulier ».

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Le témoin ayant évoqué Dreyfus, il suffira au Tribunal de rappeler la célèbre phrase de Maurice Barrès, autrement révélatrice du pluriel et du stéréotype écrasant un individu : « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race » (extrait de « Ce que j'ai vu à Rennes », Sansot, 1904).

Entendu à propos du passage de l'explicite à l'implicite, le témoin déclare : « La biographie de Siné se charge d'opérer le passage de l'explicite à l'implicite. »

Selon le Tribunal, s'il convient bien évidemment de retenir les leçons de l'histoire, il n'en demeure pas moins que les restrictions à la liberté d'expression appellent une interprétation étroite et prohibent le glissement subreptice des notions et des termes d'un champ lexical à l'autre. Il serait périlleux pour la liberté d'expression de passer de l’explicite des mots à un implicite situé dans « un au-delà des mots » au prétexte que « ce qui compte, c'est l 'histoire, la mémoire, l'imaginaire que véhiculent ces mots ». Sauf insinuation évidente, le principe de légalité qui postule une interprétation stricte de la loi pénale interdit tout raisonnement par induction ou analogie au prétexte que « c'est affaire d’acoustique, donc de physique , de mécanique. »

En conclusion, les propos contenus dans ce premier passage poursuivi ne caractérisent pas les éléments matériel et intentionnel du délit de provocation à la haine envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à la religion juive. La critique des attitudes singulières n’outrepasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression.

- En ce qui concerne les deux dernières phrase du second passage poursuivi (« la semaine dernière, « l’Express » titrait son édito « ISLAM : cette religion doit abjurer les archaïsmes les plus flagrants de son dogme ». Croyez-vous que ce Christophe Barbier qui se permet d’admonester les musulmans, les enjoignant brutalement d’abandonner leurs traditions, aurait le même culot pour s’adresser aussi violemment aux juifs ? ») :

Si l’indignation de Maurice SINET peut paraître paradoxale, celui-ci ayant exprimé librement, trois semaines plutôt, son sentiment et son opinion à propos des pratiques les plus visibles des croyants musulmans traditionalistes dans l’espace public, perçues par ce laïc comme un prosélytisme agressif, cette indignation fonctionne ici en sorte de rééquilibrage de la religion musulmane par rapport à la religion juive.

On notera que Christian Barbier ne paraît pas très éloigné de l’opinion de Maurice SINET, l’intéressé écrivant notamment dans cet éditorial : « L’Islam de France doit comprendre qu’on ne peut être musulman dans un pays qui ne l’est

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pas comme s’il s’agissait de convertir ce pays. Or c’est bien de cela qu’il est question : dans les mots et les comportements de ses imans et de ses fidèles, il faut réguler le prosélytisme de l’Islam » (pièce n° 103 versée par le prévenu) Si le style diffère singulièrement (« comme s’il l’était ou comme s’il … et encore moins comme s’il … »), sur le fond les choses sont là aussi exprimées fortement.

Cependant, au prisme des éléments matériel et intentionnel du délit de provocation à la haine raciale, ces propos ne recèlent aucun élément susceptible de caractériser ce délit.

Si certains sociologues on des militants de l'antiracisme comme Dominique SOPO considèrent avec justesse que l'une des formes nouvelles de l'antisémitisme en France repose sur l'idée que les juifs réussissent dans la société alors que cela n'est pas le cas des arabo-musulmans, ce que pourrait suggérer l'insinuation selon laquelle Christian BARBIER ne se permettrait pas de traiter les juifs comme il traite les musulmans, encore faut-il rappeler que tout écrit ou tout message à caractère discriminatoire ou raciste ne constitue pas nécessairement le délit de provocation à la haine raciale dans la mesure où, à la différence de la diffamation raciale, il appartient à la partie poursuivante de démontrer l'élément intentionnel qui, en l'espèce, fait entièrement défaut.

- En ce qui concerne la dernière phrase du second passage poursuivi : « Moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est fait ! ») :

Maurice SINET met à nouveau en parallèle la religion musulmane et la religion juive, non plus pour opérer un rééquilibrage qu’il estime absent dans l’éditorial de « l’Express », mais pour donner un avis personnel renvoyant à un choix qu’il aurait à faire entre deux femmes appartenant à des tendances traditionalistes de leurs confessions respectives.

Si l'on a à l'esprit la chronique du 11 juin 2008 avec le dessin représentant deux femmes, l’une portant le tchador, l'autre vêtue d'un tailleur strict et d’un chignon dans le style « grenouille de bénitier », avec en outre une référence textuelle aux juifs loubavitchs, la lecture de la derrière phrase de la chronique du 2 juillet 2008 illustrée du dessin représentant deux femmes, l'une au crâne rasé, l’autre avec un tchador, devient encore plus nette : Maurice SINET vise des croyances appartenant à des tendances traditionalistes des trois religions monothéistes.

Il semble renvoyer dos à dos les deux femmes représentées dans la chronique du 2 juillet 2008 en « s'appuyant sur une évaluation esthético-sexuelle » selon Dominique LAGORGETTE.

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Le Tribunal se refuse d'entrer dans une quelconque discussion, pourtant abordée lors des débats, sur le point de savoir si les femmes juives de tradition loubavitch ont le crâne rasé ou les cheveux rasés courts pour permettre le port d'une perruque.

La chronique se clôt sur une fin ouverte car Maurice SINET, contrairement à ce qu'écrit par exemple Bernard-Henri LEVY (« il préfère « une musulmane en tchador » à une juive rasée ») ou d'autres lecteurs pressés, ne livre pas le résultat et laisse le lecteur deviner, ce qui constitue, selon la linguiste, « un marqueur de connivence typique du discours polémique ». Ce point démontre au passage que Siné s'adresse à un lecteur habitué et, faut-il le rappeler, présumé éclairé selon l'appréciation déjà évoquée. Cette indétermination rend ici en tout cas, inopérante la grille de lecture du « balancement entre les juifs et les musulmans » ou du « deux poids, deux mesures », notamment évoquée par le Président de SOS Racisme.

A noter que si Bernard-Henry LEVY évoque une préférence imaginaire, Philippe VAL est allé encore plus loin dans une interprétation que ne suggèrent ni le texte ni le dessin, celui-ci écrivant dans le livre cité, page 248 : « La Juive rendue laide par son crâne rasé, opposée à la Musulmane supposée jolie sous son tchador … » Lors du procès dit de l’affaire des caricatures de Mahomet devant la 17ème Chambre ayant donné lieu au jugement du 22 mars 2007, celui-ci déclarait cette phrase citée dans ledit jugement : « Quant au dessin représentant Mahomet avec une bombe dans le turban, il est suffisamment faible pour être interprété n’importe comment par n’importe qui, et le crime est dans l’œil de celui qui regarde le dessin. » En conclusion, les propos visés n’outrepassent pas les limites admissibles de la liberté d’expression et ceux-ci ne caractérisent pas les éléments matériel et intentionnel du délit reproché. Il convient en conséquence de renvoyer le prévenu des fins de la poursuite.

III – SUR L’ACTION CIVILE La conversion au judaïsme prêtée à Jean Sarkozy avant d’épouser une riche héritière de confession juive peut s’analyser, de prime abord, en un amalgame entre juif et argent et renvoyer ainsi à un poncif de l’antisémitisme. En conséquence, l’ensemble de la communauté juive pouvait s'estimer visée par un tel amalgame dont les leçons tirées de l'histoire ont démontré la malfaisance.

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Même si au terme des débats sur le fond, un examen plus approfondi des faits reprochés établit que l'emploi du terme « juive » n’a guère à voir spécifiquement avec une discrimination raciale ou religieuse et qu'à tout le moins le délit de provocation à la haine raciale n'est pas caractérisé, la LICRA est cependant recevable en son action civile sans qu'elle ait à justifier de l'obtention d'un accord d'une personne visée individuellement en application de l’alinéa 2 de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881.

Il convient cependant de débouter la partie civile de ses demandes à raison du prononcé de la relaxe du prévenu. Invoquant « l'indignation suscitée dans l'opinion publique » et relevant qu' « un grand nombre d'observateurs avertis ont dénoncé le scandale suscité par les écrits de SINE », la LICRA, conformément à son objet statutaire et à sa raison d'être, a pu légitimement se croire fondée à se constituer partie civile.

Le prévenu ne démontrant pas autrement que par affirmation que la partie civile aurait agi de mauvaise foi ou de façon téméraire, il convient de rejeter sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale. Seule une légèreté blâmable ou une intention de nuire constitutive de la faute de l'article 1382 du Code civil sont susceptibles de faire dégénérer en abus le droit d'agir en justice ouvert à la LICRA par l'article 48-1 de la loi sur la liberté de la presse.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire, à l’égard de SINET Maurice,

SUR L’ACTION PUBLIQUE

In limine litis :

Constate la nullité de la citation du 18 août 2008 et du jugement du 8 septembre 2008 en application de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Déclare régulière la citation du 20 octobre 2008 par l'application combinée de l'article 54 de la loi précitée et de l'article 553 du Code de procédure pénale , Déclare régulière et recevable la constitution de partie civile de la LICRA en application de l'article 48-1 alinéa 1" de la loi sur la liberté de la presse ,

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Dit n'y avoir lieu de statuer sur l'irrecevabilité alléguée de la constitution de partie civile de l'Association Avocats sans Frontières ,

Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande indemnitaire reconventionnelle à l'encontre de l'Association Avocats Sans Frontières en application de l'article 472 du Code de procédure pénale ,

Dit n'y avoir lieu à constater la nullité de la citation à raison de la dénaturation des écrits poursuivis en application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ,

Dit n'y avoir lieu à ordonner la suppression demandée en application de l’article 41 alinéa 4 de la loi précitée

Dit n'y avoir lieu à versement d'une indemnité à Maurice SINET en application de l'article 41 alinéa 4 de la loi précitée

Dit n'y avoir lieu à réserve d'action en application de l'article 41 alinéa 5 de la loi précitée

Dit n'y avoir lieu à déclarer irrecevable la constitution de partie civile sur le fondement de l'article 48-1 alinéa 2 de la loi précitée ,

Déclare régulière et recevable l'intervention forcée de Philippe VAL, civilement responsable en application des articles 42 et 44 de la loi précitée ;

Au fond : Renvoie Maurice SINET des fins de la poursuite

SUR L’ACTION CIVILE

Reçoit la LICRA en sa constitution de partie civile

Déboute la LICRA de ses demandes ;

Met hors de cause Philippe VAL, civilement responsable

Rejette la demande indemnitaire reconventionnelle de Maurice SINET en application de l'article 472 du Code de Procédure Pénale.

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Et le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier,

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,