Le livre de Jérémie : son architecture -...

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-Ancien Testament-------------- L'accumulation des thèses, la multiplication des modes d'étude, rendent inévitable qu'on se spécialise, et de plus en plus. Mais gare à l'« effet pervers» ! Il ne faut pas que la spécialité emprisonne le spécialiste! Jacques BUCHHOLD offre un exemple éclatant de liberté. Spécialiste du Nouveau Testament, dont il occupe la chaire à la F.L. T.E., il se montre polyvalent comme peu savent l'être. A le lire sur la structure du livre de Jérémie, le lecteur s'écriera: « Rien de tel qu'un professeur de Nouveau Testament pour m'éclairer sur l'Ancien! » (Il est vrai que Jacques BUCHH0 LD enseigna jadis un cours biblique sur Jérémie. .. ) Le livre de Jérémie : son architecture par Jacques BUCHHOLD I l Y a quelques années, le théologien juif André Neher écrivait: « Premier contact avec le livre de Jéré- mie: on a l'impression de tenir entre les mains non pas un livre, c'est-à-dire le produit d'une réflexion mûre et concer- tée, mais un document qui fait partie en- core de l'histoire qu'il raconte et qui porte les traces des circonstances drama- tiques dans lesquelles il a été rédigé. A aucun moment on ne sent l'écrivain der- rière le texte, soucieux de dominer et d'organiser la matière, encore moins le collationneur ou l'éditeur, désireux d'ar- ranger l'écrit en vue de la lecture. Tout se passe comme si un témoignage nous était livré à sa source dans le jaillissement limpide et souverain de l'événement. .. Le livre de Jérémie est ainsi doublement inachevé : inachevé dans son inventaire des paroles de Jérémie ; inachevé dans __ 4 Fac-Réflexion nO 44

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-Ancien Testament--------------

L'accumulation des thèses, la multiplication des modes d'étude,rendent inévitable qu'on se spécialise, et de plus en plus.

Mais gare à l'« effet pervers» !Il ne faut pas que la spécialité emprisonne le spécialiste!

Jacques BUCHHOLD offre un exemple éclatant de liberté.Spécialiste du Nouveau Testament,

dont il occupe la chaire à la F.L. T.E.,il se montre polyvalent comme peu savent l'être.

A le lire sur la structure du livre de Jérémie, le lecteur s'écriera:« Rien de tel qu'un professeur de Nouveau Testament

pour m'éclairer sur l'Ancien! »(Il est vrai que Jacques BUCHH0 LD enseigna jadis

un cours biblique sur Jérémie ... )

Le livre de Jérémie :son architecture

par Jacques BUCHHOLD

Il Y a quelques années, le théologienjuif André Neher écrivait:

« Premier contact avec le livre de Jéré­mie: on a l'impression de tenir entre lesmains non pas un livre, c'est-à-dire leproduit d'une réflexion mûre et concer­tée, mais un document qui fait partie en­core de l'histoire qu'il raconte et qui porteles traces des circonstances drama­tiques dans lesquelles il a été rédigé. A

aucun moment on ne sent l'écrivain der­rière le texte, soucieux de dominer etd'organiser la matière, encore moins lecollationneur ou l'éditeur, désireux d'ar­ranger l'écrit en vue de la lecture. Tout sepasse comme si un témoignage nousétait livré à sa source dans le jaillissementlimpide et souverain de l'événement. .. Lelivre de Jérémie est ainsi doublementinachevé : inachevé dans son inventairedes paroles de Jérémie ; inachevé dans

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le sens qu'il voulait donner à cet inven­taire. »(1)

Nombreux sont les exégètes qui repè­rent un tel caractère d'inachèvement oud'absence d'unité dans la prophétie deJérémie. Monloubou y discerne « un étatde désordre si évident qu'il faut bienadmettre qu'au-delà de l'influence deJérémie, ce livre a subi celle de multiplesauteurs, commentateurs, glossateursenfin »(2). John Bright applique à Jérémiele jugement qu'il porte sur la plupart deslivres prophétiques de l'Ancien Testa­ment: « Tout y est confus. Le lecteur n'ytrouve aucune narration qu'il pourraitsuivre, pas la moindre trace d'une pro­gression logique qui unirait les différentessections du livre en un tout cohérent »(3).

(1) André Neher, Jérémie, coll. Judaïsme, Israël,Paris, Stock, 1960, 1980, p. 9-10.

(2) L. Monloubou, " Les prophètes du Vile s. et dudébut du Vie s. : Jérémie », dans Introduction à laBible, édition nouvelle. L'Ancien Testament. Intro­duction historique et critique, sous dir.H. Cazelles, p. 398.

(3) John Bright, Jeremiah, The Anchor Bible 21,New-York, Doubleday, 1965, LVI. Telle est la rai­son qui a conduit de nombreux exégètes à seconcentrer sur l'étude d'une hypothétique pré­histoire du livre de Jérémie, commencée parDuhm en 1901 puis poursuivie en particulier parS. Mowinckel (1914), J. Bright, E.W. Nicholsonet W. L. Holladay.

Le lecteur de la prophétie de Jérémiedevra-t-il donc se résigner à constater cemanque d'unité du livre et cette absencede dessein d'ensemble dans sa mise enforme? Ou l'analyse de la prophétie per­mettrait-elle, au contraire, de mettre enévidence une cohérence inattendue deses diverses parties, qui dévoile au lec­teur l'intention de son auteur(4) ? Pourtenter de choisir entre cette alternative,rappelons tout d'abord les faits donttoute compréhension de l'organisationdu livre se doit de tenir compte.

Texte massorétique (TM)et Septante (LXX)

Deux recensions principales du livre deJérémie sont en notre possession: letexte massorétique en hébreu(5) et la tra­duction grecque de la Septante. Or, cesdeux textes présentent deux divergencesessentielles :

• la Septante est plus courte que letexte massorétique. Selon Graf (1862),elle aurait 2700 mots en moins, ce quireprésente un huitième du livre. Cepen­dant, « le phénomène n'est pas isolédans la Bible: Josué, Samuel, Ezéchielsont plus courts dans le grec et le Jobgrec a quatre cents stiques de moins (uncinquième) que le Job hébreu »(6). Un

(4) Nous utilisons ici le terme d'auteur d'unemanière qui inclut l'" éditeur» et l'" organisateur»du livre.

(5) Suivi pour l'essentiel par la Peshitta, le Targum etla Vulgate.

(6) A. Gelin, " Jérémie (le livre de) » dans Supplé­ment au dictionnaire de la Bible, vol. IV, col. 858.

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certain nombre de différences entre laSeptante et le texte massorétique sem­blent donc s'expliquer par le travail destraducteurs(?). Néanmoins, la découverteprès de Qumrân d'un papyrus en hé­breu(8) plus proche de la Septante quedu texte massorétique suggère que lesdivergences entre ces deux recensionsde l'Ancien Testament remontent à deuxtextes hébreux dont l'un aurait servi debase à la traduction de la Septante(9).

• L'ordre du texte massorétique diffèrede celui de la Septante. En effet, la Sep­tante insère, après Jérémie 25.13, lesoracles contre les natiÇ)ns qui occupentles chapitres 46 à 51 du texte massoré­tique. Par ailleurs, ces oracles n'appa­raissent pas dans le même ordre dansl'hébreu et dans le grec. Toute compré­hension de l'organisation du livre devrarendre compte de ces faits.

(7) Cf. J.A. Thompson, The Book of Jeremiah,NICOT, Grand Rapids, Eerdmans, 1981, p. 117­118.

(8) Il s'agit de 40Jerb qui contient Jr 9.22 à 10.18(avec les débuts de ligne mutilés). Les troisautres manuscrits de Jérémie découverts àOumrân sont proches du TM (20Jer, 40Jera,

40Jerc).

(9) Pour les débats sur la priorité du TM ou de laLXX, voir plus bas et la présentation des enjeuxdans Peter C. Craigie, Page H. Kelley, JoelF. Drinkard, jr., Jeremiah 1-25, Word BiblicalCommentary, Dallas, Word Books, 1991, XLI­XLV. Voir aussi E. Tov, « Some Aspects of theTextual and Literary History of the Book of Jere­miah » dans Le livre de Jérémie. Le prophète etson milieu. Les oracles et leur transmission, sousdir. P.-M. Bogaert, BETL L1V, Louvain, UniversityPress, 1981, p. 145-167.

(10) Craigie, Kelley et Drinkard Jr., p. XXXI-XXXII.

Une « anthologie »

« Ce qui a survécu [du livre de Jérémie]ne constitue pas un livre, souligne uncommentaire ... C'est une anthologie, ouplus précisément une anthologie d'antho­logies »(10). La prophétie regroupe, eneffet, plusieurs « recueils» qui composentdes sous-ensembles du livre:

• comme le suggèrent les divergencesentre le texte massorétique et la Sep­tante, les oracles sur les nations (46 à 51)constituent une entité à part qui est intro­duite par la formule: « Voici la parole del'Eternel adressée au prophète Jérémiesur les nations» (46.1), et qui se conclutsur ces mots : « Là prennent fin lesparoles de Jérémie» (51.64) ;

• le chapitre 52 forme un appendicehistorique, emprunté à 2 Rois 24.18à 25.30 ; cet appendice concerne lachute de Jérusalem et confirme ainsi lesmenaces adressées par le prophète àson peuple;

• les chapitres 30 et 31 constituent unlivret, rédigé à part (30.1), qui annonce larestauration du peuple de Dieu;

• Jérémie 51.60 mentionne un livretsur Babylone qui regroupait toutes lesmenaces de jugement prononcées par leprophète sur le royaume mésopotamien.

Par ailleurs, plusieurs oracles formentdes entités définies et bien délimitées:« A l'occasion de la sécheresse» (14.1à 15.9), « Dans la maison du potier»

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(18.1-17), « Aux prophètes» (23.9-40),etc. Finalement, le livre de Jérémie sou­ligne l'activité rédactionnelle de Baruch,bras droit et secrétaire de Jérémie, etmembre d'une famille influente duroyaume de Juda(11).

Le livre de Jérémie soulign,!l'activitélÎedactionnelle c .Baruch, bras droit et seCf!taire de Jérémie, et membred'une famille influente duroyaume dq:Juda. XM

L'activité rédactionnellede Baruch

Le livre de Jérémie mentionne explici­tement l'activité rédactionnelle de Baruchen 36.4-32 et en 45.1. C'est à ce scribeque Jérémie a dicté, dans un premiertemps, le manuscrit que le roi Yehoyaqimdétruisit en le jetant au feu puis, dans undeuxième temps, un nouveau manuscritauquel le prophète « ajouta de nom­breuses paroles» (36.32). Le contenuprécis de ce deuxième manuscrit ou rou­leau (l'Urra//e) a donné lieu à de nom­breux débats. Certains le limitent aux dixpremiers chapitres de la prophétie(12),d'autres l'étendent aux chapitres 1 à 20et 25(13), d'autres encore y incluent plu­sieurs passages des oracles sur lesnations(14) .

Deux indices nous poussent à opterpour cette dernière solution. Première­ment, le chapitre 45, qui pourrait jouer le

rôle d'une signature éditoriale de tout lelivre de Jérémie, rappelle la dictée durouleau à Baruch (45.1). Ce rouleaun'est-il pas présenté ainsi comme l'ossa­ture même de toute la prophétie ?Deuxièmement, Jérémie 36.2 souligneque la perspective du rouleau de Baruchne se limite pas à Israël et à Juda maiss'étend aux nations (<< sur Israël, sur Judaet sur toutes les nations ») ; c'est pour­quoi il nous paraît légitime d'identifier cerouleau avec le livre mentionné en 25.13,dans lequel était consigné « ce que Jéré­mie a prophétisé contre toutes lesnations». Car il faut constater que cesécrits sont datés tous deux de la mêmeannée (25.1-2 ; 36.1 )(15).

(11) Voir 32.12; 36.4ss. ; 43.3 ; 45.1. Fils de Neriya,Baruch était le frère de Séraya, « responsabledu campement", qui accompagna le roi Sédé­cias lors de son voyage de 593 en Babylonie(51.59).

(12) En particulier William L. Holladay, The Architec­ture ofJeremiah 1-20, Lewisburg, Bucknell Uni­versity Press, Londres, Associated UniversityPress, 1976, p. 171-174. Selon lui, le manus­crit brûlé se serait limité à 1.1 à 6.30.

(13) P. ex., Bright, LVII-LVIII; voir JA Thompson,p.59.

(14) A. Baumann, Urro//e und Fasttag. Zur Rekons­truktion der Urro//e des Jeremiasbuches nachden Angaben in Jer 36, ZAW, 1968, p. 350-372selon Monloubou, p. 402 ; CF KeH, Jeremiah,Lamentations, dans Commentary on the O/dTestament, vol. VIII, 1. 1, trad. de l'allemand parDavid Patrick et James Kennedy, GrandRapids, Eerdmans, rééd. 1978, p. 26-27.

(15) Cf., cependant, Keil, n. 1, p. 376-378, qui noteque la clause: « Tout ce qui est écrit dans celivre et ce que Jérémie a prophétisé contretoutes les nations" est rédactionnelle (cf. ledémonstratif « ce livre" et le passage du « je "à « Jérémie ,,). Selon lui, puisque les oraclesde 50 et 51 contre Babylone n'ont été mis par.

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La question chronologique

Tous les exégètes le relèvent : la pro­phétie respecte globalement la chrono­logie de l'époque. Ainsi, la plupart d'entreeux attribuent les six premiers chapitresdu livre à l'époque de Josias. Néan­moins, la prophétie malmène aussi lachronologie à de nombreuses reprises :« Il est parfois difficile, affirme Harrison,de comprendre pourquoi certains pas­sages se trouvent là où ils se trou­vent »(16). Ainsi, par exemple, Sédéciasapparaît dès les chapitres 21 et 24 alorsqu'en 22.24s. il est question de Yehoya­kin (Koniahou) et en 25 de Yehoyaqim.Puis ce même Yehoyaqim réapparaît auxchapitres 35 et 36 alors que le cha­pitre 34 nous livre des prophéties datantdu temps de Sédécias. Ce « désordre»chronologique est tel aux yeux de JohnBright que l'exégète renonce à com­menter le livre en suivant l'ordre du texteet regroupe les péricopes selon la datedes événements qu'elles rapportent(17).

Une année semble jouer Lnrôle,1:pentral dans le livre, 6Q5,la quatrième année de Veho­yaqim.

Un fait est particulièrement troublant :une année semble jouer un rôle centraldans le livre, 605, /a quatrième année deYehoyaqim. C'est en cette année queJérémie fait publiquement le point sur lesvingt-trois ans de proclamation de laParole de Dieu qui se sont écoulés

depuis sa vocation (25.1-3). C'est encette année aussi que le prophète dicte àBaruch le manuscrit que le roi judéen jet­tera au feu quelques mois plus tard(36.1 s.). C'est de cette année encorequ'est datée la signature éditoriale duchapitre 45. Finalement, c'est de cetteannée que date la défaite de l'Egyptedevant les armées babyloniennes à Kar­kémish, par laquelle sont introduits lesoracles sur les nations (46.1 )(18). Tout seprésente comme si les choses s'étaientconcrétisées en cette année-là.

écrit qu'en 593 (selon 51.59-60), le livrede 25.13 est différent du rouleau de 36.2, 32.La suite de Jr 25.15-38 et 36.2 suggèrent,néanmoins, que dès la quatrième année deYehoyaqim, Jérémie avait annoncé le jugementde Babylone. C'est pourquoi nous rejetonsl'interprétation de W.L. Holladay, Jeremiah 1,Hermeneia, Philadelphie, Fortress, p. 669, selonlequel la « nation » de 25.12 ne pouvait désigneroriginellement Babylone mais visait Juda.

(16) R.K. Harrison, Introduction to the Old Testa­ment, Londres, Tyndale, 1970, p. 815.

(17) Pour un essai de datation des oracles de Jéré­mie, voir R.K. Harrison, Jeremiah and Lamen­tations, TüTC, Londres, Tyndale, 1973, p. 33 ;cf. déjà son Introduction. .. , p. 816 ; voir aussile « plan de lecture» dans R. Blanchet et autres,Jérémie, un prophète en temps de crise, EssaisBibliques 10, Genève, Labor et Fides, 1985,p.41-43.

(18) Il est à noter que tel n'est pas le cas dans laSeptante dans laquelle les oracles sur lesnations débutent par celui sur Elam (49.34 TM).

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La question chronologique

Tous les exégètes le relèvent : la pro­phétie respecte globalement la chrono­logie de l'époque. Ainsi, la plupart d'entreeux attribuent les six premiers chapitresdu livre à l'époque de Josias. Néan­moins, la prophétie malmène aussi lachronologie à de nombreuses reprises :« Il est parfois difficile, affirme Harrison,de comprendre pourquoi certains pas­sages se trouvent là où ils se trou­vent »(16). Ainsi, par exemple, Sédéciasapparaît dès les chapitres 21 et 24 alorsqu'en 22.24s. il est question de Yehoya­kin (Koniahou) et en 25 de Yehoyaqim.Puis ce même Yehoyaqim réapparaît auxchapitres 35 et 36 alors que le cha­pitre 34 nous livre des prophéties datantdu temps de Sédécias. Ce « désordre»chronologique est tel aux yeux de JohnBright que l'exégète renonce à com­menter le livre en suivant l'ordre du texteet regroupe les péricopes selon la datedes événements qu'elles rapportent(17).

Une année semble iouerLnrôle,1:pentral dans le livre, 6Q5,la quatrième année de Veho­yaqim.

Un fait est particulièrement troublant :une année semble jouer un rôle centraldans le livre, 605, /a quatrième année deYehoyaqim. C'est en cette année queJérémie fait publiquement le point sur lesvingt-trois ans de proclamation de laParole de Dieu qui se sont écoulés

depuis sa vocation (25.1-3). C'est encette année aussi que le prophète dicte àBaruch le manuscrit que le roi judéen jet­tera au feu quelques mois plus tard(36.1 s.). C'est de cette année encorequ'est datée la signature éditoriale duchapitre 45. Finalement, c'est de cetteannée que date la défaite de l'Egyptedevant les armées babyloniennes à Kar­kémish, par laquelle sont introduits lesoracles sur les nations (46.1 )(18). Tout seprésente comme si les choses s'étaientconcrétisées en cette année-là.

écrit qu'en 593 (selon 51.59-60), le livrede 25.13 est différent du rouleau de 36.2, 32.La suite de Jr 25.15-38 et 36.2 suggèrent,néanmoins, que dès la quatrième année deYehoyaqim, Jérémie avait annoncé le jugementde Babylone. C'est pourquoi nous rejetonsl'interprétation de W.L. Holladay, Jeremiah 1,Hermeneia, Philadelphie, Fortress, p. 669, selonlequel la « nation » de 25.12 ne pouvait désigneroriginellement Babylone mais visait Juda.

(16) R.K. Harrison, Introduction to the Old Testa­ment, Londres, Tyndale, 1970, p. 815.

(17) Pour un essai de datation des oracles de Jéré­mie, voir R.K. Harrison, Jeremiah and Lamen­tations, TüTC, Londres, Tyndale, 1973, p. 33 ;cf. déjà son Introduction. .. , p. 816 ; voir aussile « plan de lecture» dans R. Blanchet et autres,Jérémie, un prophète en temps de crise, EssaisBibliques 10, Genève, Labor et Fides, 1985,p.41-43.

(18) Il est à noter que tel n'est pas le cas dans laSeptante dans laquelle les oracles sur lesnations débutent par celui sur Elam (49.34 TM).

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A ce fait s'ajoute l'aspect très biogra­phique de nombreux autres passages dulivre qui semble tout autant conter unehistoire que rapporter des oracles. Cestextes biographiques constituent, en fait,l'essentiel des chapitres 36 à 44.

L'organisation internedu livre:un essai d'interprétation

Jérémie et les autres livres prophé­tiques (TM et LXX)

La tradition manuscrite dont témoignela Septante a de toute évidence tenté dereproduire dans le livre de Jérémie leschéma classique des grands livres pro­phétiques d'Eséùe et d'Ezéchiel : (1) SurJuda et Israël ; (2) sur les nations ;(3) oracles de salut. En fait, la situationdes oracles sur les nations en fin de livredans Jérémie est originale et unique,même parmi les petits prophètes. C'estpourquoi certains exégètes « organi­sent » le livre en liant ces oracles à25.13(23). Mais en agissant ainsi, ilsn'expliquent en rien l'ordre actuel dutexte massorétique qui représente la lec­ture la plus difficile (et donc originelle(24) 7)du texte. Car la question qui se pose estcelle de l'intention qui a gouverné le pla­cement des oracles des nations en fin deprophétie. Celui-ci n'a-t-il pas pour butévident de présenter les quarante-cinqpremiers chapitres de la prophétiecomme une unité offrant un panoramahistorique particulier des quarante der­nières années de l'histoire de Juda 7

La situation des oracles surles nations en fin de livre dansJérémie est originale et uni­que, même parmi les petitsprophètes.

La question chronologique

Cette histoire est, bien entendu, mar­quée par la chronologie des événementsde l'époque, que suit globalement le livrecomme nous l'avons souligné plus haut.Cependant, le livre regroupe les sujetsapparentés (dans ses différents livrets ouses diverses sections bien définies(25)) etsurtout cette histoire est structurée aumoyen du rappel renouvelé de deuxmoments ou épisodes clés qui formentdes textes pivots dans la prophétie: (1) laquatrième année de Yehoyaqim (605),date de la rédaction du rouleau de Ba­ruch (chap. 25, 36 et 45) et de la défaitede l'Egypte à Karkémish (chap. 46), et

(23) P. ex. Monloubou, p. 403.

(24) Cf. les remarques de Craigie, Kelley et DrinkardJr., p. 368. Par « originelle », nous soulignonsque le TM ne dérive pas d'un texte hébreu,base de la LXX (Vor/age) , dans lequel les oraclessur les nations apparaîtraient après 25.13. Enaffirmant cela, nous ne nous prononçons passur la priorité dans le temps entre la Vor/age etleTM.

(25) Cf. plus haut « une 'anthologie' » et la remarquede Keil, p. 29 : « Le livre dans sa forme cano­nique a été organisé selon un plan précis etcohérent pour lequel la préservation de l'ordrechronologique n'a représenté qu'un enjeusecondaire par rapport à celui du regroupementdes sujets apparentés. »

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(2) la prédication de Jérémie au Temple(chap. 7 et 26(26)).

Ceci donne la structure suivante :

Cette organisation de la prophétie ins­crit dans la structure même du livre l'his­toire des relations de l'Eternel avec sonpeuple: c'est au Temple, « au commen­cement du règne de Yehoyaqim »(26.1),que le ton monte (chap. 7) et que leconflit éclate (chap. 26(27)) et lors de laquatrième année du roi les « dés» sontjetés: le jugement est inéluctable.

La note biographique

Nous l'avons relevé: la note biogra­phique concernant Jérémie court surtoute la portée de la prophétie. Elle le faitsur le mode du crescendo en 7 à 25, enalternance avec les oracles du prophète,au moyen des plaintes et des « confes­sions» de Jérémie(28). En 26 à 36, alorsque le conflit éclate (chap. 26) et que lasection débouche sur le rejet officiel dela Parole de Dieu par Yehoyaqim(chap. 36), le prophète accompagne desa foi (l'achat symbolique du chap. 32)les paroles d'espérance qu'il proclame

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(chap. 30-31 et 33). Finalement, en 37­45, la vie même de Jérémie est liée ausort de Jérusalem et de son Temple.

C'est au travers de son prophète queDieu instruit un procès avec son peuple(2.9 ; et avec les nations: 25.31). Jéré­mie reçoit la Parole (1.2,4, 13 ; 2.1 ; etc.),il en fait sa nourriture (15.16), « séduit» et« vaincu» par l'Eternel (20.7). Face aupeuple qui rejette son message, il souffrelui-même du rejet de ses concitoyens(20.8 ; 18.18-23 ; 26 ; 37 ; 38) et céliba­taire (16.2), coupé de toute vie sociale(16.5, 8), il mène une existence qui estune métaphore vivante du jugement àvenir (16.3-4, 6-7, 9). Face à Dieu, enrevanche, malgré ses luttes, ses crainteset son découragement, les yeux remplisde larmes de compassion (8.23 ; 13.17)et malgré l'interdiction qui lui est adres­sée (7.16; 11.14; 14.11), Jérémie necesse de prier et de plaider pour sonpeuple révolté (14.7-9, 13, 19-22). Dansles ténèbres du conflit, par son exemple

(26) On peut aussi relever que les deux dernierschapitres des oracles sur les nations, qui visentBabylone, annoncent « la vengeance de l'Eter­nel, la vengeance de son Temple» (50.28 ;51.11 ).

(27) Les deux narrations des chap. 7 et 26 ont uneffet de dramatisation. Le chap. 7 rapporte laprédication de Jérémie, le chap. 26 en décrit lesconséquences : Jérémie échappe de peu à lamort!

(28) Il faudrait justifier notre propos dans le détail etmettre en évidence cette alternance. Souli­gnons, cependant, qu'il nous semble profondé­ment erroné d'extraire les « confessions » deJérémie de leur environnement textuel pour lesétudier car c'est précisément pour lui donner unsens qu'elles y sont ainsi intégrées.

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même il annonce l'aube de la rédemption(chap. 32). Ainsi l'architecture du livre, aumoyen d'un savant mélange d'oracles etde données biographiques, met enlumière le drame qui se joue à Jérusalem,durant les quelques quarante à cinquanteans du ministère de Jérémie, entre Dieuet son peuple.

Face au peuple qui rejette sonmessage, il mène une exis-.tence qui est une métaphorevivaflte du juge!"ent à venit~Face~ à Dieu, malgré ses IUf-tes, ~~s craintes et son déco~­ragement, les yeux remplis fielarmes de compassion, Jére­mieQe cesse de prier et étf!plaider pour son peuple. ..

« La cohérence d'un tel plan prouveque le collectionnement de l'ensembledes prophéties est l'œuvre, en une seulefois, d'un seul éditeur [... ] : vraisembla­blement Baruch, le collègue de Jérémie,qui serait resté en vie jusqu'au dernierévénement mentionné dans le livre(52.31 s.) »(29), la libération de Yehoyakinaprès la mort de Nébucadnetsar en 561avant Jésus-Christ.

L'autre Jérémie

Six cents ans plus tard, à Jérusalem,au Temple une nouvelle fois, un autreprophète, qui incarnera parfaitement laParole de Dieu face à l'opposition et au

rejet, reprendra les mots mêmes de sonprédécesseur : « Ma maison sera appe­lée une maison de prière. Mais vous,vous en faites une caverne de voleurs(Mt 21.13 et Il; Jr 7.11). » Il n'est doncpas étonnant que, voyant le Fils del'homme, certains ont discerné en lui leretour de Jérémie(30) (Mt 16.13-14). •

J.B.

(29) Keil, p. 28-29.

(30) Signalons, cependant, l'interprétation deJ. Jeremias, « Jeremiah ", TDNT, vol. III, p. 220­221, qui signale que selon le Talmud babylo­nien bb, 14b.bar, Jérémie était placé en débutdes prophètes. L'expression « Jérémie ou l'undes prophètes" (Mt 16.14) serait ainsi unsimple équivalent de « un des prophètes"(Mc 8.28) ou « un des anciens prophètes"(Lc 9.19).

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