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Le Khalsa à Montréal Hétérogénéité d'une diaspora et processus ethniques dans la communauté sikhe montréalaise Mémoire Marc-André Morency Maîtrise en anthropologie Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © Marc-André Morency, 2014

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Le Khalsa à Montréal Hétérogénéité d'une diaspora et processus ethniques dans

la communauté sikhe montréalaise

Mémoire

Marc-André Morency

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Marc-André Morency, 2014

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Résumé

Suivant un terrain ethnographique mené à l’été 2012 ainsi qu'une phase exploratoire

pendant le baccalauréat en anthropologie, ce mémoire a pour tâche d'investiguer la

diaspora sikhe montréalaise de l'intérieur. Des entretiens semi-dirigés avec différents

acteurs sikhs et des observations dans les gurdwaras m'ont permis de constater les

disjonctions intra-communautaires. À cet effet, je questionne l’utilisation des notions

de diaspora et d’ethnicité à des fins essentiellement inclusives. J'ai noté chez les Sikhs

des divergences d'opinions notables sur la relation à la « mère-partie », le Punjab, et sur

le mouvement nationaliste Khalistani. Par ailleurs, l'autorité religieuse portée par les

Sikhs amritdharis les mésententes politico-religieuses divisant les temples seront

soulignées. En contrepartie, j'ai constaté qu'en diaspora, le poids du nid familial, des

institutions, des symboles et de l'histoire mythifiée propre au sikhisme engendrent une

cohésion ethnique particulière.

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Abstract

Following an exploratory phase during my undergraduate studies in anthropology, and

an ethnographic fieldwork conducted in summer of 2012, this dissertation investigates

the Montréal Sikh diaspora from the inside. Semi-structured interviews and

observations in different gurdwaras (temples) led me to see internal disjunctures in the

community. To explain these, I investigate the use of diaspora and ethnicity as inclusive

notions. I find among the Sikhs subjects several interpretations of the Punjab

"homeland", and opposing views concerning the Khalistani nationalist movement.

Moreover, religious authority carried by amritdhari Sikhs and politico-religious

divisions between multiple gurdwaras are being paid special attention. Concurrently, I

suggest that in the Montréal Sikh diaspora, the weight of family, institutions, symbols

and mythical history related to the religion produce a particularly solid ethnic cohesion.

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Table des matières

Résumé ........................................................................................................................... iii

Abstract ........................................................................................................................... v

Table des matières ....................................................................................................... vii

Liste des figures ............................................................................................................. ix

Remerciements .............................................................................................................. xi

Introduction .................................................................................................................... 1

Plan du mémoire ...................................................................................................... 5

Chapitre 1: Méthodologie de recherche ....................................................................... 9

1.1 Problématique .................................................................................................... 9

1.1.1 Diaspora et ethnicité: le problème conjoint de l'inclusion .......................... 9 1.1.2 Mon expérience préalable chez les Sikhs montréalais .............................. 11 1.1.3 Question de recherche ............................................................................... 13

1.2 Comment y répondre? Stratégies de recherches.......................................... 15

1.2.1 L'entretien ................................................................................................. 15

1.2.2 La perspective émique: les sujets qui répondent au problème .................. 18 1.2.3 Techniques d'échantillonnage: boule de neige et quota ........................... 20

1.3 Stratégies d'analyse .......................................................................................... 21

1.3.1 Analyse de contenu thématique ................................................................ 21

1.3.2 Théorisation ancrée ................................................................................... 22 1.3.3 L'écriture comme mode d'analyse ............................................................ 23

Chapitre 2: Regard historique sur l'identité et la migration sikhe ......................... 27

2.1 Qui est un Sikh ? L’évolution historique de l’identité sikhe ........................ 27

2.1.1 Faits de gurus ............................................................................................ 29 2.1.2 Le premier Khalsa : un succès mitigé ....................................................... 33

2.1.3 Rencontre coloniale au Punjab et réforme du Sikhisme ........................... 34 2.1.3.1 Recensements et catégories ............................................................. 34 2.1.3.2 La « race martiale » au sein de l’armée britannique ....................... 35

2.1.3.3 L’institution académique coloniale ................................................. 35 2.1.3.4 La réforme du Tat Khalsa ............................................................... 36

2.2 L’autorité du Reht Maryada et l’archétype amritdhari ................................. 39

2.3 Mise à distance: la communauté imaginée ................................................... 40

2.4 La migration sikhe ........................................................................................... 42

2.4.1 La toile de l’empire ................................................................................... 42 2.4.2 Considérations théoriques sur la migration ............................................... 42 2.4.3 Asie de l’Est et du Sud-Est, Afrique et Grande-Bretagne......................... 44 2.4.4 Amérique du Nord et Canada .................................................................... 45

2.4.5 Opération Blue Star: l'État indien et les Sikhs...fuyants ........................... 47

Chapitre 3: La diaspora sikhe montréalaise: sous un vocable unificateur, des

voies/voix divergentes .................................................................................................. 49

3.1 De nouvelles prémisses pour la notion « diaspora » ..................................... 49

3.2 Diaspora comme célébration du sans-frontière? .......................................... 52

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3.3 La coresponsabilité .......................................................................................... 53

3.3.1 Le Punjab comme lieu des devoirs de la diaspora .................................... 53 3.3.3 La diaspora comme poumon du sikhisme ................................................. 56 3.3.4 Incorporations de la diaspora : pratique religieuse et citoyenneté ........... 61

3.4 Au cœur de diaspora : efforts classificatoires et perspectives (dé)centrées 63

3.4.1 Perspective centrée: les pionniers d'une notion ........................................ 64

3.4.1.2 Digression sur la question Khalistan .............................................. 66

3.5 Perspective décentrée ...................................................................................... 69

3.5.1 Type de conscience et production culturelle ............................................. 69 3.5.2 Une mère patrie commune? ...................................................................... 74

Chapitre 4: Un cas d'ethnicité: cohésion et divisions au sein du groupe ethnique

sikh ................................................................................................................................ 83

4.1 Primordialisme: affiliation familiale et affiliation historico-mythique ....... 84

4.1.2 Les symboles comme toile de sens commune .......................................... 89

4.1.2.1 Le (Tat) Khalsa comme matrice symbolique .................................. 91

4.2 Instrumentalisme: perception émique sur un motif au baptême ................ 95

4.2.1 Catégorisation ethnique : amritdharis et non amritdharis ....................... 99 4.2.1.1 Catégorisation ................................................................................. 99

4.2.1.2 Catégorisé(e)s ............................................................................... 103 4.2.1.3 Émetteurs de la catégorisation ...................................................... 106

4.3 Les politiques religieuses: différents gurdwaras, différentes orientations 108

4.3.1 Conflits politiques… ............................................................................... 110

4.3.2…sur fond de strates sociales? ................................................................. 112 4.3.3 Conflits incorporés .................................................................................. 113

4.4 Le groupe ethnique: réel ou pas? ................................................................. 115

Conclusion .................................................................................................................. 119

Bibliographie .............................................................................................................. 128

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Liste des figures1

Figure 1. Temple d'or à Amritsar, Punjab, Inde............................................................... 2

Figure 2. Gurdwara, Montréal ......................................................................................... 4

Figure 3. Groupe de jeunes élèves au gurdwara X ........................................................ 12

Figure 4. Gurdwara Z, Montréal ................................................................................... 16

Figure 5. Gurdwara Y, Montréal ................................................................................... 16

Figure 6. Page couverture du Reht-Maryada ................................................................. 40

Figure 7. Horraire d'un gurmat camp tenu à Montréal, Internet,

http://sikhtemplelasalle.blogspot.ca/ .............................................................................. 58

Figure 8. Camion décoré d'affiches et slogans décriant la situation sikh au Punjab ..... 67

Figure 9. Oeuvre qui dépeind le martyre d'un Sikh, Gurdwara Y ............................... 70

Figure 10. Bhindrawale, leader du mouvement Khalistani dans les années quatre-vingt,

et le Akal Takht, siège politique du sikhisme. Calendrier gurdwara X. ........................ 72

Figure 11. Assauts contre les Sikhs dans les années quatre-vingt, Calendrier gurdwara

X. .................................................................................................................................... 72

Figure 12. Jeune sikh montréalais visitant le temple d'or, Punjab ................................. 78

Figure 13. La communauté réunie lors du Nargar Kirtan ........................................... 119

Figure 14. Camion décoré faisant la promotion du Khalistan ..................................... 120

Figure 15. Véhicule aménagé pour le Guru Grant sahib ............................................ 121

Figure 16. Procession pour la sortie du Guru Granth Sahib ...................................... 122

Figure 17. Démonstration de Gatka ............................................................................. 122

1 Toutes les images qui apparaissent dans le mémoire ont été prises par moi-même.

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Remerciements

D'abord, merci à mon directeur de recherche Jean Michaud, avant tout pour tes qualités

d'enseignant. Outre le contenu de tes cours toujours présenté avec tact et limpidité, ton

humour justement dosé nous fait vite oublier l'environnement parfois stérile des salles

de classe. Quant à ta manière de diriger, ton approche à la fois autonomiste et

disponible me donne aujourd'hui non seulement l'impression, mais l'assurance d'avoir

construit et mené à bout un projet de recherche de mon propre chef, sous ton entière

confiance. Finalement, merci pour la générosité!

Je ne peux passer sous silence l'influence de M. Daniel Gignac, enseignant en science

des religions au Cégep de Sainte-Foy. Daniel a éveillé chez moi une curiosité sans

bornes pour les phénomènes religieux, particulièrement du côté indien. Merci pour les

nombreuses invitations dans tes classes et/ou évènements où tu devais aborder le

sikhisme. Merci pour le dévouement dans le cadre des annuelles « Journées des

sciences des religions », au Cégep Sainte-Foy. Cet événement appelle à la

compréhension et au respect des phénomènes et individus religieux qui sont plus

souvent interprétés, au quotidien, par des préconceptions.

Merci également à Jean-Étienne Poirier, professeur d'anthropologie au Cégep Sainte-

Foy. Orateur hors-pair, tes récits de pérégrinations en Mongolie ou de tes recherches

sur les plaisirs de la glisse savaient me faire « surfer » quelques heures par semaines.

Je te dois mon choix de baccalauréat. Merci Jean-Étienne.

Au baccalauréat lui-même, un énorme merci à tous les professeur(e)s qui m'ont

enseigné et qui font de notre département un lieu stimulant où il fait bon apprendre.

Votre accessibilité et votre générosité appellent à un climat intellectuel sain motivant.

En ce qui concerne les collègues et amis d'études, merci à vous tous pour les bons

moments: Mike, David, Christine, Maude, Marie-Hélène, Ann-Sophie, Marie-Jeanne,

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Marie-Ève, Myriam, et tous les autres. Une pensée spéciale à notre cher collègue

Mathieu Lapointe. La vie t'a apporté des temps durs suite à un accident, mais nous

savons tous que ta détermination dépasse largement l'obstacle, lâches pas!

Quant aux principaux concernés par ce mémoire, je ne vous remercierai jamais assez

pour votre temps, votre gentillesse et votre accueil à mon égard. D’autres noms

mériteraient d’être écrits, mais je me limiterai à mes plus proches collaborateurs:

Tanvir, Harsimran, Ravina, Pritpal, Jetvir, Gursharan, et toute la bande de jeunes du

gurdwara. Merci vous êtes formidables! Sukhjit, Mukhbir, Rajkamaljit, Amandeep,

merci également. Merci infiniment aux principaux responsables du Gurdwara de

LaSalle qui m'ont toujours laissé déambuler dans leur lieu saint à ma guise, je vous suis

reconnaissant.

Seema, les mots manquent pour te remercier de l'aide apportée depuis ma toute

première présence au gurdwara. Tu as été une collaboratrice clée pour ma recherche,

certes, mais je préfère mille fois te témoigner du respect, d'humain à humain, que

j'éprouve à ton égard. Tu es une personne au cœur immense et te connaître est une

fierté. Je vous souhaite, à toi, ton mari et ton enfant, le plus grand bonheur! Merci

également à tes parents et ton frère. Au plaisir de vous revoir tous dans un avenir

proche.

Navdeep, I discovered your precious personality on that first interview with your mates

a couple of years ago. I'd like to thank you for your time and for your generosity by

bringing me to Toronto into your family and by arranging my short stay in Punjab. I'd

also like to thank you for your honesty. I know you always spoke your mind to me and

it sincerely brought the best formal informal discussions I had in my entire stay in

Montreal. You are a person that I get along with even with the cultural miles that

separate us. Thank you Navdeep, and thank you also to your whole family in

Brampton.

Pour conclure, merci à mes parents pour leur éternel support et pour ne jamais avoir

tâché d'aiguiller nos études respectives à ma sœur et à moi. Cet appui inconditionnel

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porte aujourd'hui ses fruits car je ne me suis pas encore lassé des études et je sais que

votre fierté est davantage proportionnelle à mon désir de poursuivre, ou du moins à la

richesse du bagage que j'ai déjà acquis dans mon domaine, qu'à tout autre parcours que

j'aurais pu suivre, à moitié, en priorisant plutôt les grandes orientations de carrières

promues dans notre société. Je vous dois donc une part de la pensée critique propre aux

sciences sociales, soyez en fiers peu importe vos propres orientations politiques. Merci

à vous, et à toi aussi chère sœur

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Introduction

Le choix du sujet de recherche, pour l’anthropologue, est rarement complètement

détaché ou désintéressé. « Pourquoi avoir choisi ce sujet? », entend-on souvent. Cette

introduction servira à expliquer mon cheminement dans le choix du sujet, suite à quoi je

détaillerai le plan du mémoire.

Mes premières amours sur les choses indiennes remontent à un cours collégial en

sciences des religions intitulé « sur la piste des dieux ». Je me rappelle M. Gignac nous

exposant pour une première fois aux « croyances » hindoues, aux rivages mystiques du

Gange, au ghats surpeuplés de Vârânasî avec ses bûchers funéraires publics. À mon

souvenir, les réactions dans ce cours se répartissaient entre les récalcitrants, mis au fait

de telles pratiques « barbares », et, de l’autre côté, ceux dont l’exotisme (pas n’importe

lequel dans le cas de l’Inde) faisait automatiquement vibrer la corde de la curiosité ou

de l'orientalisme: « orientalism is a style of thought based upon an ontological and

epistemological distinction made between « the Orient » and (most of the time) the

Occident ». Thus a very large mass […] have accepted the basis distinction between

East and West as the starting point for elaborate […] social descriptions […]

concerning Orient, its people, customs, « mind », destiny, and so on. » (Said 2003

[1977], p. 2). Pour des raisons que j’ignore, j’ai basculé dans la seconde catégorie, celle

des amants de la spiritualité de l’Inde. Mais c'est tout aussi bien, parce que sans eux,

les départements d’anthropologie ne seraient guère populaires.

Les plus curieux se tourneront vers le tourisme pour étancher cette soif de l’étranger, ou

de l’étrange, carrément. Je m’envolai pour le sous-continent à l’automne 2007, du haut

de mes dix-neuf ans de vie et riche de quelques heures de cours sur ma destination, qui

ne devait pas, d’ailleurs, m’épargner sa violente claque au visage. Deux Lonely

Planet en main et un fidèle compagnon de voyage, on ne devait revenir que trois mois

et demi plus tard. Le joli Rajasthan, Delhi, le Taj Mahal, la mystique Vârânasî…les

classiques quoi! Mais la fortune nous a également poussés à revoir notre itinéraire et

bifurquer au Nord, question de ne pas manquer le petit Tibet de l’Inde, Dharamsala.

Mais tant qu’à en être si près, pourquoi ne pas faire un crochet par Amritsar et ajouter à

notre carnet de route une autre ville sainte, sikhe cette fois? Si tôt dit, si tôt fait!

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Mon partenaire et moi devions

donc séjourner au temple d’or

(Figure 1), ou Harimandir

Sahib, pendant quelques

soixante-douze heures,

expérience appréciée. Nous

occupions un dortoir gratuit,

adjacent au complexe du

temple d’or, gardé par un

homme de forte stature, barbe

longue, dans un habit

« traditionnel » et portant un large turban, le tout n’étant pas sans nous impressionner.

Quant au temple d’or lui-même, avec le kirtan (chants dévotionnels) et les gurbanis

(mots du guru) qui résonnent dans tout le complexe dès les petites heures du matin, il

était comme un havre de paix loin des rues bruyantes et de l'oppression des milieux

urbains. Comme le veux la coutume, nous avons fait l’expérience des vastes cuisines

collectives qui desservent plusieurs milliers de personnes quotidiennement. Comme la

plupart des gens qui entrent pour une première fois en contact avec le sikhisme, nous en

sommes ressortis avec une idée favorable forgée par les principes d’accueil et de

générosité dont nous avions été témoins.

De retour au pays, M. Gignac m’invita à quelques reprises dans ses cours pour

témoigner de mes pérégrinations à ses étudiants et les introduire à la diversité religieuse

du sous-continent, chacune de ses traditions étant incarnées dans le réel par différentes

structures architecturales que nous avions immortalisées sur photo. Joyeuse

coïncidence, M. Gignac, organisateur des annuelles « Journées des sciences des

religions du Cégep Sainte-Foy », avait choisi le sikhisme pour l’édition 2009.

Mon collègue de voyage et moi nous sommes retrouvés au programme de cet

évènement à la demande de M. Gignac. Notre mission: témoigner de notre expérience

chez les Sikhs, à Amritsar, pour dégager quelques grands principes de cette jeune

tradition telle que le seva, service volontaire. Évidemment, M. Gignac avait pour

Figure 1. Temple d'or à Amritsar, Punjab, Inde

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l’occasion toute une palette d’invités, et qui de mieux que les Sikhs de la région de

Montréal pour introduire au sikhisme? Avant ma présentation, je fis la rencontre d’une

jeune punjabie à la tête couverte, visiblement membre de la communauté montréalaise,

communauté qui m'était étrangère étant natif de Québec. Seema agissait d’ailleurs à

titre de porte-parole du groupe lors de la soirée d’ouverture de la semaine. Dans un

français impeccable, elle discuta avec moi quelques minutes. Je lui fis savoir que

j’avais séjourné à Amritsar quelques jours, raison de ma présence à l’évènement.

Étonnée, elle rétorqua qu’elle n’avait pas particulièrement apprécié l’Inde, le tout me

confirmant qu’elle était originaire de Montréal. Nous nous en sommes tenus à cela,

mais nos chemins devaient se recroiser.

En parallèle, j’étais au tiers de mon cheminement au baccalauréat en anthropologie, à

l’Université Laval. Se présente alors à l’horaire un cours, « Minorités et ethnicité »,

donné par M. Jean Michaud. Ce dernier suggérait, dans le syllabus, une évaluation de

groupe dont la recherche devait porter sur une formation sociale minoritaire dans un

contexte de notre choix. Eurêka! C’était ma chance d’exploiter la rencontre susdite. Je

me suis entouré de camarades de classe et leur ai exposé mon offre, à laquelle ils ont

tous adhéré. L’offre comprenait non seulement de travailler sur le cas sikh, mais

également d’aller frapper à leur porte, à Montréal, question d’ajouter un peu de

substance ethnographique à notre projet. M. Gignac m’a donc dirigé vers Mme Kaur,

que j’ai approchée par courriel, avec comme réponse ce qui suit:

Hello Marc Andre,

I am sorry I have not responded to your emails. I was awaiting confirmation from the Gurdwara that it

would be ok for you to stay. And of course, you are most welcome! The dates are fine. However, I

recommend you come on Saturday afternoon, as saturday evening and sunday morning is the most useful

time. But it is as you wish and I will be more than happy to do everything I can to help.

Just to make sure, I wanted to let you know:

No cigarettes are allowed in the gurdwara so you or your colleagues will not be able to smoke. They will

mind even if there is a scent of it on your clothing. Also, when staying in the gurdwara, you will have to

stay with your heads covered and barefoot. The gurdwara will provide you with blankets but we do not

have beds - only mattresses. I hope this is ok. I just didn't want you to be surprised... If there are any

questions, please feel free to ask me! I really look forward to seeing you again!

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Take care and I hope your studies are doing well.

Your friend

Dès ces premiers échanges, j’étais accroché à « mon » sujet. Il y avait là quelque chose

de terriblement humain et invitant, alors qu’on discutait plutôt dans les cours

d’anthropologie de la difficulté à s’immiscer sur son terrain de recherche. Il n’en était

rien.

12 mars 2010, fin de soirée, mes collègues et moi arrivons à Montréal, et entrons dans

cet immense et magnifique bâtiment aux dômes dorés (figure 2). On rejoignit Mme

Kaur et son groupe de jeunes étudiants qui apprenaient les rudiments du kirtan, chants

dévotionnels. Mais, pour l’occasion, toutes et tous s’arrêtèrent net. On se réunit, assis

au sol, et Seema devait alors prononcer ces mots : « notre objectif, en fin de semaine,

c’est que votre projet soit réussi et que vous repartiez avec tout ce que vous avez besoin

comme matériel ». Trois ans plus tard, le matériel s'est accumulé et je présente ce

mémoire consacré à la diaspora sikhe montréalaise.

Figure 2. Gurdwara, Montréal

Refaire ce parcours m’a permis de réinsérer l’anthropologue dans son sujet, au-delà du

processus de recherche et des résultats qui en découlent. Sur le terrain, en périphérie de

de la démarche scientifique, il existe une histoire productive entre un chercheur et ses

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collaborateurs. L'anthropologie est une discipline toute indiquée pour témoigner de ces

histoires et les insérer dans ses études. Comme le soutient Cynthia K. Mahmood dans

The Guru’s gift : an ethnography exploring gender equality with north american Sikh

women, « Now both of us have ongoing relationship with Sikhs, and these relationships

continue to be fraught with ethical and other kinds of dilemmas. But our « field » is not

some location away from our own lives; it’s here all around us, entwined with who we

are. We think that’s how it should be » (Mahmood et Brady 2000, p. 8).

Ce mémoire présentera néanmoins un argumentaire critique. Je n’entends pas être un

défenseur de la communauté sikh(e) sur la place publique (malgré les tentations

ponctuelles, voir Morency 2013, LaPresse.ca), pas plus qu’un détracteur de ses

membres, simplement un anthropologue2, un étudiant gradué qui tâche d’en saisir le

relief de sorte que la diaspora sikhe révèle tout son sens dans ses tensions, dans ses

contradictions et également dans sa cohésion. Oui, toutes ces choses se superposent.

Plan du mémoire

Mais avant de plonger dans l'analyse à proprement parler je présenterai d'abord la

méthodologie. En effet, j'aborde dans le premier chapitre le problème que posent les

notions de diaspora et d'ethnicité lorsqu’elles servent d'outils analytiques centrés sur

l'inclusion identitaire et politique de leurs membres. Ce problème aveugle devant des

2 Je suis de ceux qui croient que plus longtemps l’anthropologue se retient de poser des jugements

moraux ou de trancher sa position (politique) sur un thème donné, plus sa compréhension en sera fine et

le meilleur anthropologue il sera. À la lecture du célèbre débat Schepper-Hughes et D’Andrade (1995),

ma conscience a choisi le second: « whatever one wants in the way of political change, will the first

priority be to understand how things work? That would be my choice. I believe that anthropology can

maintain its moral authority only on the basis of empirically demonstrable thruths » (D’Andrade 1995, p.

408).

Talal Assad semble être du même avis dans un entretien qu’il m’a été donné de lire dans le cours

« Épistémologie et réflexivité », donné par Mme Marie-Andrée Couillard. Je crois que l’anthropologie

devrait porter plus d'attention a ce genre de réflexion : « à mon sens, de trop nombreux anthropologues

de gauche – et je me considère de gauche [et moi-même, Marc-André, me considère de gauche] –

s’appliquent avant tout à faire la critique des formes de domination dans les différents contextes culturels

et sociaux. […] Je ne suis pas en désaccord avec le fait qu’il peut y avoir de l’exploitation, mais je suis

moins intéressé, comme anthropologue, à entreprendre la critique morale de l’exploitation des

travailleurs ou des groupes raciaux. Je suis intéressé - et je crois que l’anthropologie est le lieu d’une telle

opportunité – par une exploration des idées et des concepts qui sous-tendent les différentes formations

culturelles plutôt que par une dénonciation de ce qui est affreux. […] Quand on parle de « lutter » contre

des préjugés, on risque de passer à côté du fait que leur exploration ne demande pas, à priori, de les

abandonner. […] Nous saurons mieux nous positionner si nous avons au moins regardé auparavant

quelles sortes de suppositions culturelles sont logées dans ces concepts » (Berthod 2007, p. 6).

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relations intra-communautaires elles-mêmes, parfois, problématiques. Je reviendrai sur

mon expérience auprès d'une portion de la communauté sikhe montréalaise, préalable à

la maîtrise, pour expliquer les fondements de ces questionnements. Après avoir exposé

ma question de recherche, le reste du premier chapitre explore les stratégies de

recherche et d'analyse. J'aborderai, entre autres, le rôle de l'entretien, l'analyse

thématique et la théorisation ancrée.

Le second chapitre nous amène sur le terrain de l'histoire des Sikhs. Ses deux sections

font chacune écho à un chapitre d’analyse. La première, la plus dense, traite de

l'évolution de l'identité sikhe de la naissance de guru Nanak, fondateur du sikhisme, à la

réforme politico-religieuse du sikhisme dans la première moitié du 20ième siècle, au

Punjab. Ce voyage dans le temps nous informe du rétrécissement progressif de l'idéal

sikh (entendre: amélioration) et de son produit contemporain, à l'international. Deux

périodes sont principalement ciblées, celle des dix gurus sikhs (1469 - 1699) et celle de

la colonisation anglaise dans le nord de l'Inde (1850 - 1947). La seconde section,

toujours dans le deuxième chapitre, traite de l’histoire migratoire des Sikhs. Je soutiens

que les différentes vagues migratoires connues, à motifs variés (migration forcée vs

migration cumulative), constituent en elles-mêmes les fondements de certaines

subdivisions au sein de la communauté montréalaise. Comme Ballantyne (2006) le

souligne, il est contre-productif de scinder l'histoire du Punjab et l'histoire de la

diaspora en deux entités distinctes.

Dans le chapitre trois, je soulève le débat qui oppose, dans les termes de Dufoix (2011),

la perspective centrée et la perspective décentrée de la notion de diaspora. La première

section met de l'avant la notion de coresponsabilité (Werbner 2001) qui, dans le cas

sikh, explique simultanément une solidarité avec des communautés d'outre-mer, et un

investissement très local de deux ordres: la pratique religieuse (propulsée les

institutions religieuses, les gurdwaras) et l'investissement citoyen. Dans la seconde

portion du chapitre, je questionne la perspective centrée de diaspora qui promeut un

lien (politique) essentiel à la mère patrie par tous les membres de la communauté. Je

suggère que les opinions au sujet du mouvement nationaliste sikh et la relation au

Punjab sont très nuancées en fonction de différentes variables telles que l'âge, la

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génération et le motif de la migration. Les voix sont diverses sur ces sujets et la

perspective décentrée est certainement plus apte à en tenir compte. Également selon

cette seconde perspective, et selon Axel (2001) au sujet de la diaspora sikhe elle-même,

il faut cesser d'expliquer la diaspora comme dispersion à partir d'un lieu d'origine

(passéiste), mais plutôt l'expliquer par la réactualisation constante d'un imaginaire

diasporique; la circulation d'images et de discours à travers les moyens de

communication contemporains (présent diasporique) le produit et la reconduit. En ce

sens, je traiterai du rôle des représentations artistiques de l'histoire sikhe, des journaux

ethniques et des outils éducationnels au sein des gurdwaras.

Finalement, le chapitre quatre, traitant de l'ethnicité, plonge au cœur des relations intra-

communautaires et met en relief à la fois les éléments de cohésion et les éléments de

tension au sein de la diaspora sikhe montréalaise. Questionnant une approche inclusive

de la notion d'ethnicité, une importance est accordée aux relations conflictuelles dans le

groupe. Celle qui retient le plus l'attention est la relation qu'entretiennent les Sikhs

baptisés et les Sikhs non baptisés. Dans le discours public des Sikhs, on croirait à

l’harmonie communautaire. Dans les faits, certains et certaines, non baptisé(e)s,

ressentent les effets d'un certain prosélytisme interne. La notion de catégorisation

proposée par Jenkins (2008) nous servira de lunette analytique. Par ailleurs, le nombre

de gurdwaras dans la région montréalaise renvoie, au-delà de considérations

géographiques, au désir de certains sous-groupes de se distinguer les uns des autres.

Certains se disent plus libéraux, d'autres plus traditionalistes. Cela a pour effet une

incorporation des orientations de son centre de culte pour ceux et celles qui n'en

fréquentent qu'un depuis maintes années. Les regards croisés sur les pratiques des uns

et des autres dans différents temples respectent le même principe de différenciation

entre le « nous » et le « eux », propre au phénomène de l'ethnicité, qu'entre groupes

ethniques distincts. Néanmoins, les éléments de cohésion au sein du groupe sont très

fédérateurs et maintiennent les morceaux en place. Je parle ici de la trame historico-

symbolique du sikhisme qui traverse les générations, le genre, les trajectoires

migratoires, et le statut religieux. Cette histoire émique, mythifiée, est enseignée et

reconduite dans les différents temples et dans les familles. Le nœud familial est

également le lieu de la reproduction d'une ethnicité dite primordiale, c'est-à-dire que

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peu importe son niveau d'investissement dans la religion sikhe, par exemple, la seule

naissance dans une famille sikhe suffit à ce qu'un individu en garde l'étiquette toute sa

vie durant. Dans leur cas, je dirais que c'est en large majorité avec fierté vu l'aura

donnée à « leur » histoire et celles de « leurs gurus », là où nous débuterons notre

parcours au chapitre deux. Dans l'intervalle, parlons méthodologie.

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Chapitre 1: Méthodologie de recherche

1.1 Problématique

« En définissant le problème [le chercheur] fournit au lecteur les éléments

nécessaires pour justifier la recherche. En cela, elle constitue

essentiellement un texte argumentatif présentant le thème de recherche, un

problème spécifique se rattachant à une question générale, et les

informations nécessaires pour soutenir l'argumentation servant à justifier

la recherche elle-même » (Chevrier 1992, p. 49)

Une problématique « est un processus, jamais unique ou standard, qui rend compte de

lacunes dans l'état de nos connaissances sur un sujet donné » (Gosselin 1994, p. 132).

Tel est le premier critère à respecter. Le second, lui, concerne « les problèmes

spécifiques de recherche émanent du vécu personnel du chercheur et plus

particulièrement de son expérience personnelle de situations comportant un phénomène

particulier, curieux ou étonnant relié à ses intérêts de recherche » (Chevrier 1992, p.

67). C’est dans cet interstice, dans l’écart entre les deux, que le chercheur problématise.

Cette section se décline comme suit. La première partie traite des lacunes dans l'état de

nos connaissances à la fois dans les études sur la diaspora et dans les théories de

l'ethnicité. L'autre aborde mon expérience vécue auprès de la communauté sikhe de

Montréal. Ces deux volets, lorsque croisés, donnent naissance à une problématique

particulière qui sera mise en relief, après quoi ma question de recherche sera présentée.

S'en suivront les stratégies de recherches et les stratégies d'analyse auxquelles j'ai eu

recours pour construire les chapitres trois et quatre.

1.1.1 Diaspora et ethnicité: le problème conjoint de l'inclusion

En ce qui concerne ce mémoire, ce n'est pas tant d'une lacune dans les connaissances

qu'émane ma problématique, mais plutôt d'une réorientation de ces connaissances. Pour

dire vrai, le problème soulevé n'est pas nouveau; des chercheurs questionnent déjà les

dérives conceptuelles autour des notions de diaspora et d'ethnicité. Ma problématique

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est, par conséquent, plus empruntée que forgée. Ce qui la rend unique, toutefois, est le

croisement opéré avec le cas sikh.

Concernant « diaspora », des chercheurs notent une confusion face à ce concept dont

l'utilisation tous azimuts brouille la portée heuristique. Le terme serait-il plutôt un outil

politique pour les groupes diasporiques eux-mêmes? Les chercheurs ne se laissent-ils

pas prendre à ce jeu? Brubaker (2005), dans un article phare des études sur la diaspora,

regarde son expansion sémantique et typologique d'un œil critique. Tölölyan (2007),

dans la foulée, soutient que tous les individus d'un groupe ethnique ne participent pas

au même degré à un projet commun diasporique (Sokëfeld 2006). Bien que cette

formulation soit elle-même problématique en ce qu'elle tranche entre individus

ethniques et diasporiques, elle a pour avantage de mettre en évidence le caractère

nécessairement fluide et stratifié des diasporas. Bien que simple, ce postulat semble

avoir échappé longuement aux pionniers de ce champ d'études. Pour y remédier, « we

can then study empirically the degree and form of support for a diasporic project among

members of its putative constituency » (Brubaker 2005, p. 13). Le mythe de l'unique

projet collectif est pernicieux, certes, mais Brubaker, comme Anthias (1998), voient à

tout le moins l'importance d'investiguer les multiples formes de la diaspora, ses

divergences d'opinions et ses luttes intestines. La recherche empirique seule nous

aiguille en ce sens. Pour Anthias, « the lack of attention to issues of gender, class and

generation and to [...] intra-group divisions, is one important shortcoming. Secondly, a

critique of ethnic bonds is absent within diaspora discourse, and there does not exist

any account of the ways in which diaspora may indeed have a tendency to reinforce

absolutist notions of « origins » and « true belonging » (Anthias 1998, p. 577).

Ce qui nous amène à la notion d'ethnicité. Trop souvent approchée sous l'angle

trompeur du groupe culturel clos, abordons la plutôt en termes de processus. Les

groupes ethniques existent, bien sûr, mais sont le produit de relations sociales. Malgré

l'effort de Barth (1969) à opérer ce virage, le problème persiste. Le passage des termes

« ethnicité » et « groupe ethnique » dans le langage public, médiatique et populaire y

contribue fortement. Brubraker (2001) propose d’insister sur la distinction entre les

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catégories de pratique et les catégories d’analyse: « le « discours identitaire » quotidien

et la « politique identitaire » sont des phénomènes réels et importants. Mais la

prégnance de l’usage qui est fait de nos jours de l’identité comme catégorie de pratique

n’implique pas qu’on doive en faire usage comme catégorie d’analyse » (Brubaker

2001, p. 69). Sans s’étendre trop longtemps, gardons en tête que « l’ethnicité ne se

définit pas comme une qualité ou une propriété attachée de façon inhérente à un certain

type d’individus ou de groupes, mais comme une forme d’organisation ou un principe

de division du monde social dont l’importance peut varier selon les époques et les

situations » (Poutignat et Streiff-Fenart 2008, p. 136). Ce mémoire se donne ainsi pour

tâche d’insister sur le caractère processuel et relationnel de l’ethnicité, dans le cas sikh.

Pour ce faire, je distingue les relations parfois conflictuelles au sein de la diaspora sikhe

montréalaise de ses éléments cohésifs. L'idée même d'approcher le sujet sous cet angle

émerge de mon expérience préalable avec la communauté sikhe montréalaise.

1.1.2 Mon expérience préalable chez les Sikhs montréalais

Après avoir présenté, en introduction, l'itinéraire m'ayant conduit pour une première

fois dans un gurdwara de la métropole québécoise, je poursuis ici ce chemin. Suivant

cette première expérience, j’ai multiplié les visites au temple X dans le cadre de la

« formation pratique », neuf crédits obligatoires d’initiation à la recherche au

baccalauréat en anthropologie, à l’Université Laval. À l’aide d’un collègue, j’entrepris

une collecte de données exploratoire, souvent improvisée et maladroite, mais combien

utile pour la recherche à suivre. Se développait alors un réseau de contacts parmi les

Sikhs fréquentant cet établissement, en particulier chez les jeunes adultes à qui nous

avions d’abord été présentés lors de notre première visite (Figure 3).

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Figure 3. Groupe de jeunes élèves au gurdwara X

Quelques séjours au temple ont permis une récolte intéressante: entre quinze et vingt

entretiens (individuelles et en groupe) et une vingtaine d'heure de tournage. Les

thématiques explorées tournaient autour des trajectoires migratoires familiales, de

l’importance (ou non) du baptême sikh pour ces jeunes, ainsi que de leurs expériences

comme Sikhs au sein de la société québécoise. En ce qui a trait aux adultes et premiers

immigrants, notons deux entretiens bien particuliers et passionnants pendant lesquels

chacun des répondants y allait de son récit de vie. Y défilèrent alors les conflits qui ont

opposé les Sikhs à l’État indien pendant les années quatre-vingt, leurs parcours

migratoires personnels, pour terminer avec leur vécu à Montréal. Outre les entretiens,

cette première exploration ethnographique nous amena à saisir les différents rôles du

gurdwara : politique, religieux, communautaire, éducationnel, relationnel. Cette phase

de recherche s’accompagnait de recherches bibliographiques qui croisaient les trois

champs d’études mis en jeu soit celui de la diaspora, de l’ethnicité et des Sikhs. Sans

mettre en évidence le contenu entier de cette phase de recherche préliminaire,

apprécions l'idée que

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« lectures et entretiens exploratoires doivent aider à constituer la

problématique de recherche. […] Les entretiens exploratoires ont pour

premier objectif de s’informer le mieux possible sur la question étudiée

avant d’entrer plus avant dans le vif du sujet […]. La crédibilité du travail

en dépend. […] Les entretiens exploratoires n’ont donc pas pour fonction

de vérifier des hypothèses préétablies, mais bien de trouver des idées […]

susceptibles de guider la suite du travail. [..] Bien utilisé, l’entretien

exploratoire peut rendre d’inestimables services, notamment celui d’éviter

au chercheur de se lancer tête baissée sur une mauvaise piste ou de

négliger des aspects essentiels du problème par manque de familiarité

avec lui » (Campenhoudt et Quivy 2011, p. 59).

La familiarité alors développée avec le sujet m’a permis de constater que les Sikhs

montréalais, résolument communautaristes dans leur discours public, n'échappent pas

aux querelles internes, et ce, malgré le partage d'une religion très bien établie au plan

rituel, théologique et symbolique. En avant plan, je distinguais déjà l'épineuse relation

entre Sikhs baptisés et non baptisés. Plus encore, liant mes observations à la littérature

parcourue, les Sikhs montréalais m'apparaissaient de plus en plus comme les

représentants du seul sikhisme de tradition Khalsa (chapitre 2). Aussi avais-je cette

impression que la fibre nationaliste et les opinions autour du Khalistan variaient,

causant des remous à l'interne. Sans ces explorations initiales, leur sikhisme me serait

sans doute apparu comme la seule voie possible, et leur communauté comme lisse et

conforme. Ces observations réunies, prenant de plus en plus la forme d'un problème de

recherche, il ne restait qu'à poser une question de recherche opérationnelle.

1.1.3 Question de recherche

La question de recherche est une première objectivation des connaissances du

chercheur sur son sujet. Pour Campenhoudt et Quivy :

« ce travail, loin d’être strictement technique et formel, oblige le

chercheur à une clarification souvent bien utile de ses propres intentions et

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perspectives spontanées. En ce sens, la question de départ constitue

normalement un premier moyen de mise en œuvre d’une des dimensions

essentielles de la démarche scientifique: la rupture avec les préjugés et les

prénotions » (Campenhoudt et Quivy 2011, p. 27)

À la remise du projet de mémoire, en chemin vers ma collecte de données, je m'étais

arrêté à cette position:

En m’appuyant sur l’identité sikhe amritdhari largement répandue en diaspora,

comment se négocie (choix et motifs), se décline et se pratique l’identité religieuse

sikhe, à Montréal?

À ce moment, Brubaker (2004) m'avait convaincu d'explorer empiriquement les degrés

et les formes d'investissement des membres d'une diaspora. Rétrospectivement, j'ai fait

fausse route en ne ciblant que la pratique religieuse et les motifs au baptême, réduisant

au minimum les nombreux éléments constitutifs de la diaspora sikhe. J'entamai tout de

même ma collecte de données, me concentrant d'abord sur la relation entre les Sikhs

baptisés et les Sikhs non baptisés, et tâchant d'établir une échelle d'intensité des plus

investis aux moins investis.

Cette question ne pouvait demeurer inchangée pour des raisons évidentes. Si mon

intuition au niveau de la relation parfois tumultueuse entre sikhs amritdharis et non

amritdharis s'avérait vérifiable, les portes s'ouvraient sur d'autres tensions intra-

communautaires sur lesquelles je ne pouvais fermer les yeux. D'abord, lorsque mon

réseau de contacts a dépassé les seules frontières sociales du gurdwara X, on m'a fait

comprendre que certains motifs, non géographiques, expliquaient le choix de construire

de nouveaux établissements. En lien avec cela, j'ai dû me rendre à l'évidence: le

mouvement nationaliste et l'engouement autour du Khalistan est porté par une frange de

la communauté qui se rassemble pour la plupart dans un même temple. Par ailleurs, en

développant un nouveau réseau de contacts chez des jeunes adultes récemment

immigrés du Punjab, je constatais un écart entre ces derniers et les jeunes Sikhs

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montréalais de souche plus ancienne. Cet écart est de deux ordres: la pratique religieuse

et l'importance accordée au Punjab. Néanmoins, une constante demeurait,

indépendamment du lieu d'origine, de l'âge ou du lieu de culte fréquenté: la

compréhension du sikhisme, de son histoire (symbolique) et de ses préceptes. Il m'a

fallu, a posteriori, retravailler ma question de recherche qui m'apparaissait

soudainement bien mince, m'aveuglant sur tant de paramètres. La nouvelle question,

version finale, m'apparait plus juste et me donne toute la latitude dont j'ai besoin pour

mes chapitres d'analyse (trois et quatre). Elle rejette également l'idée d'une échelle

d'investissement dans la diaspora et fait plutôt place à la pluralité des modes

d'appartenance:

Me basant sur la critique interactionnelle de l'ethnicité, ainsi que sur la remise en

question de diaspora comme concept inclusif, quels sont les éléments de cohésion et

quels sont les éléments de tension qui permettent d'avoir un portrait précis de la

diaspora sikhe montréalaise au-delà de ses symboles fédérateurs et de son récit

collectif?

1.2 Comment y répondre? Stratégies de recherches

1.2.1 L'entretien

J'aurais préféré entamer cette section par une envolée plus dense sur l'observation

participante, sur mon insertion et mon implication en profondeur auprès de la

population visée par la recherche. Malgré quelques réussites, je n'ai guère atteint la

profondeur souhaitée. Ce type d'observation, participante comme l'anthropologie la

nomme, est dite directe: « l'observation directe est celle où le chercheur procède

directement lui-même au recueil des informations, sans s'adresser aux sujets

concernés.[...] La particularité et l'avantage de l'observation directe sont que les

informations recueillies sont « brutes » dans le sens où elles n'ont pas été spécialement

ménagées, voire arrangées pour lui ». Les sujets observés [...] n'interviennent pas dans

la production de l'information recherchée » (Campenhoudt et Quivy 2011, p. 150). Une

part de cette observation directe avait déjà été faite, au temple X, pendant la phase

exploratoire de la recherche dont j'ai parlé précédemment. J'avais alors procédé en

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participant à certaines activités au sein du temple, en assistant à des cours de musiques

que les jeunes reçoivent ou encore à certaines cérémonies religieuses. En entreprenant

la collecte de donnée, pour la maîtrise cette fois, l'objectif était d'étendre cette

observation directe au-delà des seules limites du temple X, en séjournant dans certaines

familles ou en accédant à de nouveaux gurdwaras. Si cela a été réussi, ce n'est que dans

une faible proportion, du moins trop faible par rapport aux attentes que je m'étais

fixées. Soulignons au moins un séjour dans la famille d'un répondant clé, à Toronto,

ainsi que les quelques visites dans deux autres temples de la métropole québécoise

(Figures 4 et 5).

Figure 4. Gurdwara Z, Montréal

Figure 5. Gurdwara Y, Montréal

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Autrement, force est de constater que les choses ne se sont pas entièrement déroulées

comme prévu. L'obligation de transparence du chercheur m'amène vers un autre

chemin, celui de l'entretien. Celui-là, à l'inverse, fut fructueux et riche en informations.

On le dira peut-être plus risqué parce le type d'observation qu'il propose est indirecte: «

dans le cas de l'observation indirecte, le chercheur s'adresse au sujet pour obtenir

l'information recherchée. En répondant aux questions, le sujet intervient dans la

production de l'information. Celle-ci n'est pas prélevée directement et est donc moins

objective » (Ibid, p. 151). C'est effectivement le risque que court toute recherche ayant

comme principal outil de collecte de données l'entretien. Les répondants ont tout le

loisir de manipuler l'information au profit d'une image publique désirable. Mais il y a

aussi lieu de croire dans les vertus de l'entretien semi-dirigé:

« Les méthodes d'entretien se caractérisent par un contact direct entre le

chercheur et ses interlocuteurs et par une faible directivité de sa part.

Ainsi s'instaure en principe un véritable échange au cours duquel

l'interlocuteur du chercheur exprime ses perceptions d'un évènement ou

d'une situation, ses interprétations ou ses expériences, tandis que, par ses

questions ouvertes et ses réactions, le chercheur facilite cette expression,

évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à son vis-à-

vis d'accéder à un maximum de sincérité et de profondeur. [...] Il reste que

l'esprit théorique du chercheur doit rester continuellement en éveil de sorte

que ses propres interventions amènent des éléments d'analyse aussi

féconds que possible. » (Ibid, p. 170)

Pour mener à bien ces entretiens et en retirer des informations fondées, j'ai fait appel à

deux éléments:

1. le discernement du chercheur face aux propos qu'il reçoit,

2. la phase exploratoire de la recherche (théorique comme empirique) qui a forgé ce

discernement et a permis d'établir des relations de confiance avec les répondants.

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Imageons le propos. Dans mon questionnaire d'entrevue, tâchant de corroborer mon

intuition sur la relation parfois houleuse entre Sikhs amritdharis et non amritdharis, je

demandais aux répondants d'exprimer la perception qu'ils ont de la relation entre les

deux. Les jeunes répondants déjà familiers avec moi, en toute honnêteté, m'ont fait part

de certains litiges, de certaines attitudes qu'ils déplorent venant de Sikhs baptisés.

L'une de ces jeunes, dont la rencontre avec moi dans un endroit neutre devait être tenue

sous silence, m'a avoué sans retenue ce qu'elle trouvait gênant, voire agressant, chez

certains de ses pairs. Au contraire, en séjour à Toronto dans une famille punjabie, on

organisa pour moi un entretien avec des amis de la famille m'étant inconnus. Les

questionnant sur le même sujet, j'obtins un tout autre discours: « dans le sikhisme tout

le monde est égal, il n'y a aucune distinction, ni de classe ni de genre ». Nul mon

intention de juger de l'attachement à ces principes d'égalité, mais la personne

questionnée ne saurait ignorer la réalité qui se veut beaucoup moins simple. Encore

inconnus l'un de l'autre, et ma recherche portant au sens très large sur le sikhisme aux

yeux de cette personne, elle me le présenta dans sa version idéale, théologique, comme

elle voudrait que le grand public, non sikh, apprenne à le connaître.

Je crois fortement, donc, que le risque couru à centrer sa recherche sur les entretiens

peut être surmonté par une relation de confiance, développée au cours d'une phase

préparatoire, entre le chercheur et ses participants. L'entretien, dans mon cas, a été

l'outil le plus solide pour répondre à ma question de recherche. Ce n'est pas en

fréquentant les temples et en observant les gens y déambuler que j'aurais pu soulever

avec précision les conflits internes; ils n'apparaissent pas à l'œil et ne seront consignés

dans aucun journal de bord de cette manière. Dans les gurdwaras, les individus

cohabitent et procèdent aux mêmes rituels, participent aux mêmes activités. C'est à la

perspective émique, atteignable par l'entretien, que je dois le succès de ma collecte de

données.

1.2.2 La perspective émique: les sujets qui répondent au problème

« En anthropologie, l'explication émique, c'est donc le point de vue de

l'acteur, [...], avec leurs référents propres, leurs catégories en usage

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s'alimentant à une cosmologie, une praxis et une logique cognitivo-

émotionnelle façonnées par des siècles de construction culturelle » (Paillé

et Mucchielli 2008, p. 269).

Dans une autre portion du passage d'où provient cette citation, les auteurs soulèvent la

tension continuelle, en anthropologie, entre l'émique et l'étique, l'explication des acteurs

et l'explication scientifique. Présentées ainsi, ces deux catégories peuvent sembler

antagonistes, voire irréconciliables. Toutefois, en fonction de ma problématique, ce qui

ne veut pas dire que ce soit toujours le cas, l'émique a remarquablement servi l'étique.

L'étique, « c'est l'explication du chercheur, c'est l'articulation d'un système interprétatif

externe dont la légitimité relève de la perspective méta-culturelle à laquelle tente

d'accéder le chercheur » (Idem). Grâce aux entretiens, la perspective émique s'est

fondue à la problématique. Pour être bien clair, rappelons-nous que cette dernière

concerne l'utilisation de diaspora comme notion inclusive c'est-à-dire qu'elle fait vite fi

des relations intra-communautaires au profit d'une collectivité conforme, entièrement

centrée sur un lieu d'origine. Ma problématique est également celle que pose l'ethnicité

quand elle rime avec groupe clos et qu'elle oublie de parler de relations sociales où se

joue la différenciation ethnique, ouvrant ainsi la porte à la différenciation intra-

communautaire, ou intra-diasporique.

Pour confirmer ces critiques théoriques, il suffisait que me répondants, en fonction de

leur vécu et de leur interprétation de la vie communautaire sikhe, témoignent des

désaccords ressentis, des conflits (petits ou grands) et des relations qu'ils entretiennent

avec d'autres Sikhs montréalais. C'est ce qu'ils et elles ont fait, corroborant ainsi la

nécessité pour ma recherche de réévaluer les concepts véhiculés. La perspective

émique, combinée à la collecte de données par entretien, est devenue incontournable.

Cependant, pour accéder à une diversité des points de vue, encore fallait-il avoir un

échantillon les représentant.

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1.2.3 Techniques d'échantillonnage: boule de neige et quota

Certaines stratégies demeurent incontournables pour le recrutement de participants,

c’est le cas des informateurs clés: « good key informant are people whom you can talk

to easily, who understand the information you need, and who are glad to give it to you

or get it for you » (Bernard 2006, p. 196). Les tout premiers balbutiements de cette

recherche sont nés d'une précieuse collaboration. Mme Kaur, jeune adulte sikhe de

deuxième génération vivant à Montréal, m’aide, depuis ma première présence au

gurdwara, à développer un réseau de contacts substantiel. Elle encourage également

ses étudiants (au gurdwara) à répondre à mes interrogations. À partir de là, j'ai procédé

à un échantillonnage « boule de neige » :

« In the snowball technique, you use key informants and/or documents to

locate one or two people in a population. Then, you ask those to 1) list

others in the population and 2) recommend someone from the lost whom

you might interview. You get handed from informant to informant and the

sampling frame grows with each interview » (Bernard 2006, p. 193)

Un second informateur clé m'était nécessaire pour comprendre la distinction entre les

jeunes Sikhs nés en sol montréalais et ceux récemment immigrés. Navdeep, immigré

depuis seulement quelques années, entretient un réseau complètement distinct du mien.

Cette distinction dans les sous-groupes s'est révélée cruciale pour les questionnements

autour du lieu d'origine (chapitre trois). Ces tranches dans l'échantillon respectent la

technique par quota: « In quota sampling, you decide on the subpopulations of interests

and the proportions of those subpopulations in the final sample » (Bernard 2006,

p.187). À cet effet, en lien avec la première question de recherche, je me voyais aussi

dans l’obligation de diviser mon échantillon, autant que possible, entre Sikhs baptisés et

non baptisés. Sans prétendre à une proportion parfaite, suffisamment de gens de chaque

catégorie ont été questionnés pour tirer des conclusions solides sur les relations entre

les deux. On remarquera dans les chapitres d'analyse l'absence de conclusion sur les

relations de genre, et une concentration des résultats issue des propos tenus par de

jeunes adultes (18 à 35 ans, environ). L'échantillonnage par boule de neige ne m'a pas

permis, dans un délai relativement court qu'est celui d'une collecte de données de

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maîtrise, d'approcher des aînés, par exemple, ou d’autres femmes que celles m'étant

déjà familières. Évidemment, des conclusions pourraient être tirées sur cette difficulté

même pour un chercheur masculin à interroger des femmes. Faute d'espace, je laisserai

cela à d'autres chercheurs (Vig 2009), le paramètre du genre n'ayant pas été au centre de

mes questionnements. Quant aux ainés ou aux personnes plus avancées en âge, ma

limite a d'abord été celle que ces mêmes gens rencontrent en posant pied au Québec: la

langue. Finalement, certaines (sous)variables, le gurdwara fréquenté par les répondants,

par exemple, ont permis de morceler à nouveau l'échantillon et mettre en lumière

certaines réalités empiriques qui seront traitées dans les chapitres trois et quatre. Ces

derniers, recouvrant à la fois les notions et les données dans un même effort de

synthèse, sont nés d'une analyse de données.

1.3 Stratégies d'analyse

1.3.1 Analyse de contenu thématique

L’analyse de contenu thématique répond à un besoin de défrichage. Le contenu en

question émerge, il va sans dire, de la rencontre productive entre un chercheur et un

échantillon de gens retenu pour leur corrélation directe la question de recherche (Paillé

et Muchielli 2008, p. 9). Plus précisément, l'analyse de contenu est

« la transposition d’un corpus donné en un certain nombre de thèmes

représentatifs du contenu analysé, et ce, en rapport avec l’orientation de

recherche (la problématique). L’analyse thématique consiste dans ce sens,

à procéder systématiquement au repérage, au regroupement et,

subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus

qu’il s’agisse d’un verbatim d’entretien, d’un document organisationnel ou

de notes d’observations » (Paillé et Muchielli 2008, p.162).

L'analyse de contenu thématique est un outil essentiel pour coller aux données

recueillies dans un souci d’échapper à l’inférence trop éloignée, à l’érudition dirait

Sardan. En effet, « on y verrait volontiers un péché mignon de la virtuosité

anthropologique quand elle s’oublie à ses contraintes empiriques et veut par trop

pâturer sur les terres de la philosophie » (Sardan 2008, p. 23). Le croisement des

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discours, qu'ils soient unidirectionnels ou contradictoires, contribue à la formation de

nœuds de sens. Ainsi, le chercheur est en mesure de soumettre ses différents ensembles

à des comparaisons, à des croisements, ou encore à des superpositions: « les thèmes

sont identifiés [...] puis regroupés et fusionnés au besoin, et finalement hiérarchisés

sous la forme de thèmes centraux » (Paillé et Muchielli 2008, p. 166). Par ailleurs, « ce

qui caractérise la démarche de thématisation continue, c’est que cet arbre est construit

progressivement, tout au long de la recherche, et n’est véritablement parachevée qu’à la

toute fin de l’analyse de contenu du corpus » (Idem). Autrement dit, j'ai privilégié une

méthode inductive et itérative. Tous mes verbatim en banque, j'ai procédé à cette

analyse de contenu à l'aide du logiciel NVIVO. Pour imager et témoigner de cette

portion de mon travail, je place en annexe l'arbre thématique auquel j'ai abouti (Annexe

1). Toutefois, certains nœuds de contenu ont pris forme bien avant que je les voie

apparaitre dans un logiciel, ce qui m'amène à aborder la théorisation ancrée.

1.3.2 Théorisation ancrée

En rédigeant les schémas d'entrevue selon mes découvertes préalables auprès des Sikhs

montréalais, je me rangeais, à un certain niveau, dans une approche par théorisation

ancrée:

« In essence, grounded theory presents an analytical choreography with a

deep immersion in data and then transcendence of this data to reach higher

levels of abstraction. If performed well, the resulting dance emerges from

lived experiences, actions, observations, and conversations while

simultaneously engaging in a conceptually dense and theoretically

abstracted writing » (Timmermans et Tavory 2007, p. 496)

Je ne prétends pas à un tel niveau d'abstraction ni à une densité théorique élevée, mais

ma démarche n'en était pas moins centrée sur la simultanéité empirique et théorique,

considérant la phase exploratoire précédemment menée. La théorisation ancrée suggère

de faire le test continuel des données sur la théorie et de la théorie sur les données. Son

objectif le plus précieux demeure celui d’éviter les cadrages théoriques imposés à la

réalité par le chercheur. L’ultime objectif est de sceller la théorie et l’empirie sans avoir

à faire d'entorses à l'une ou l'autre.

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23

En entretien, par exemple, je possédais déjà les outils pour jeter un regard distancié.

Les propos reçus trouvaient déjà un espace particulier dans ma carte mentale provisoire

sur le sujet. Cette mise en perspective sur le propos émique signifie également, selon

Charmaz, que mon approche à la théorisation ancrée est constructiviste: « a

constructivist approach means more than looking at how individuals view their

situation […] the logical extension of the constructivist approach means learning how,

when, and to what extent the studied experience is embedded in larger and, often,

hidden positions, networks, situations and relationships » (Charmaz 2006, p. 130). En

somme, c'est donc ce va-et-vient entre la théorie et l'empirie (voir schéma ici-bas) qui

me permet d'affirmer que ma recherche se situe, à un stade minimal, dans une approche

par théorisation ancrée.

Par ailleurs, la rédaction, dernière portion de la recherche, n'est pas à extraire de

l'analyse.

1.3.3 L'écriture comme mode d'analyse

« L'écriture n'est [...] pas uniquement un moyen de communication, ou

même une activité de consignation, mais un acte créateur. Par elle le sens

tout à la fois se dépose et s'expose. L'écriture permet plus que tout autre

moyen de faire émerger directement le sens. Elle libère des contraintes

propres aux stratégies axées sur le repérage et la classification des unités

de signification du matériau analysé. [...] Sa fluidité et sa flexibilité lui

permettent d'épouser les contours parfois capricieux de la réalité à l'étude,

d'emprunter des voies d'interprétations incertaines, de poser et de résoudre

des contradictions, bref de faire écho à la complexité des situations »

(Paillé et Mucchielli 2008, p. 127).

Recherches bibliographiques phase exploratoire collecte de données phase

exploratoire analyse recherches bibliographiques maîtrise analyse

officieuse des données de la phase exploratoire selon la nouvelle littérature

construction d'une problématique et de schémas d'entrevues tenant compte de

l'analyse de phase exploratoire et de la nouvelle littérature collecte de données

maîtrise (avec distance critique accrue) analyse rédaction

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Si certain(e)s préfèrent entamer l'écriture avec un plan finement détaillé comportant des

liens déjà clairement exposés, ma stratégie a été toute autre. J'ai entamé les grandes

pièces d'analyse, les chapitres deux, trois et quatre, sans l'assurance que procure une

table des matières. Bien sûr, je connaissais les blocs de sens propres à chacun de ces

chapitres, l'analyse de contenu thématique les ayant fait émerger, mais il ne s'agissait

guère, à ce stade, d'un argumentaire finement illustré par des données déjà cueillies. Les

liens, le croisement entre les données et les arguments à portée théorique, se sont forgés

en synchronie avec la rédaction. Je ne me fais pas le chantre de l'improvisation, je

soulève plutôt l'idée que, dans l'ordre des choses, la rédaction n'a pas obligatoirement à

être à la remorque de la table des matières. Les construire synchroniquement a été très

fertile en ce qui me concerne.

Imageons le propos. J'avance comme argument central du mémoire que la trame

historico-symbolique du sikhisme, comprise et reconduite de manière quasi identique

par toutes et tous à l'intérieur de la communauté, doit être distinguée, analytiquement,

de la sociologie de la communauté sikhe, c'est-à-dire des relations internes. C'est une

distinction intellectuelle, il va sans dire. Mais cet argument, si simple peut-il sembler,

n'est pas anodin; c'est en le posant sur papier pour une communication, au mois de

janvier 2013, qu'il m'est apparu. Subitement, la trame complète du mémoire a pris

forme. Dès lors, il s'agissait de distinguer correctement ce qui rassemblait de ce qui

divisait au sein de la communauté, du point de vue des acteurs. En somme, j'affirme

que le processus de rédaction agit comme forme d'analyse et n'est pas qu'un moment

d'exposition après avoir figé dans un plan l'entièreté des arguments. Certaines intuitions

analytiques peuvent prendre une forme très convaincante lorsque croisées de manière

imprévue avec des données et posées sur papier dans une formulation efficace.

Attention, la rédaction ne surpasse guère la réalité, mais une grande quantité de données

est plus aisément conciliable, pour moi, dans des tests analytiques enchâssés dans un

texte continu que dans un plan par point.

Cela dit, avant de présenter ces analyses dans les chapitres trois et quatre, encore faut-il

savoir qui sont les Sikhs et quelles sont les raisons de leur présence en sol québécois.

Le chapitre suivant parcourt ces deux avenues et sert également de prémisse aux

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chapitres trois et quatre. Il faut porter attention à l'évolution de l'identité sikhe et aux

différentes avenues migratoires pour saisir correctement certains résultats présentés

plus bas.

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Chapitre 2: Regard historique sur l'identité et la migration

sikhe

Ce chapitre est ancré dans l'histoire et jette les fondations des chapitres d'analyse

subséquents. La première section concerne l'évolution de l'identité sikhe, son

rétrécissement, des tout débuts du sikhisme, en 1469, jusqu'à la réforme religieuse du

Tat Khalsa dans la première moitié du 20e siècle, au Punjab. Dans la foulée de Oberoi

(1994) et Mcleod (1989), je soutiens que la tradition Khalsa, au sein du sikhisme, a

réussi à assoir son hégémonie, en particulier grâce à l'activisme politico-religieux du

Tat Khalsa. Cela a eu pour effet une considération toute particulière pour les Sikhs

amritdharis (baptisés), et pour le Reht Maryada, le code de conduite du Khalsa. La

seconde portion du chapitre, suivant chronologiquement la première, aborde l'histoire

migratoire sikhe à travers la carte coloniale anglaise, d'une part, mais également suite à

la répression violente du mouvement ethno-nationaliste sikh par l'État indien.

M'appuyant sur Van Hear (2008), je soutiens que les différentes vagues migratoires que

les Sikhs ont traversées ont produites de multiples subjectivités à mettre en lien avec les

subdivisions au sein de la communauté sikhe montréalaise.

2.1 Qui est un Sikh ?3 L’évolution historique de l’identité sikhe

Quand un Sikh met en récit les principes qui le guident, il n’omettra en aucun temps la

figure de guru Nanak Dev Ji. Nanak est le fondateur du sikhisme, né en 1469 A.D.

dans la région du Punjab. Il a à l’époque jeté les bases d’une nouvelle philosophie en

rupture avec la tradition brahmanique. Nanak n’était pourtant pas étranger à son

époque. Il faut d’abord le recadrer dans le courant de la bhakti pour comprendre que le

sikhisme n’est pas a-culturel, qu’il s’insère dans une histoire et un contexte. La bhakti

peut se définir comme un assouplissement de la tradition brahmanique, se recentrant sur

la dévotion envers un dieu unique:

« les adeptes de la bhakti sont appelés bhakta, ou encore sant […] un sant

est un être « authentique », qui incarne les valeurs essentielles de la vraie

dévotion aimante. Avec le temps, chacun de ces mots en est venu à

3 Un rappel à l’ouvrage de W.H. Mcleod Who is a Sikh?, 1989.

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désigner l’une des deux grandes tendances de la bhakti. On a préféré

l’appellation de bhakta pour les adorateurs d’un dieu doué d’attributs […]

et celle de sant pour les dévots d’un dieu sans attributs, qui rejettent l’idée

d’une divinité entrant dans le monde des hommes » (Matringe 2008, p.

51).

Le sikhisme d’alors, émergeant avec le sant Nanak, ne peut être interprété comme

rupture, mais plutôt comme continuité : « la bhakti a si bien intégré tout cela qu'il serait

de la plus mauvaise méthode de vouloir discerner ce qui est âryen ou autochtone ou

dravidien, ou encore ce qui est panindien ou local ou « populaire ». Je ne connais pas,

pour ma part, de culte dit « local » qui ne comporte les croyances générales de la

bhakti. En même temps, il faut naturellement reconnaître que la généralité des

croyances tolère une multiplicité de niveaux différents qui trahissent un éloignement

plus ou moins grand du sommet de la pyramide sociale » (Biardeau 1995, p. 148).

Nanak n’en était pas moins original4. On lui attribue une triple doctrine qui fait encore

office dans les communautés sikhes. Premièrement, il aurait établi une discipline de la

méditation sur le Nom (Waheguru). Elle vise un accès direct au divin sans intermédiaire

dans la personne d’un guru. Ensuite, Nanak aurait insisté sur l’inutilité de pratiquer

toutes formes d’ascétisme. C’est dans les affaires temporelles que les Sikhs gagnent

leur rétribution. L’établissement d’une famille et la participation dans une congrégation

de fidèles, par exemple, sont hautement valorisés. Finalement, Nanak aurait inculqué le

concept de sevâ, le service volontaire, qu'il soit réalisé au sein de la communauté ou

ailleurs.

Neuf gurus humains succédèrent à Nanak. Certains moments clés sont indispensables

ici pour leur portée symbolique chez les Sikhs. Symbolique, dis-je, leur véracité

4 « He has little appreciation for the contemporary systems of religious beliefs and practices […] What

was more surprising, Guru Nanak’s relative appreciation for the Sûfîs was qualified by a serious criticism

of some of their assumptions, attitudes, and practices. Equally surprising was his criticism of the

worshippers of Krishna and Rama, the great representatives of Vaishnava bhakti. A thorough analysis of

the compositions of Guru Nanak made it clear that he did not invoke the authority of any known

scripture. In fact, he claimed to be a herald of God to deliver His message and a ministrel of God to sing

His praises. Evidently, Nanak did not identify himself with any of the traditional systems or any of the

contemporary movements » (Grewal 2009, p. xi-xii).

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historiographique étant questionnable, et questionnée d'ailleurs. Cela ne s’accompagne

pas pour autant, pour l’anthropologue, de leur rejet dans la catégorie « superstitions »,

ni donc du dévoilement de la « vraie » réalité aux croyants, jusque là sous le joug d’une

idéologie. Plutôt, questionner la véracité historique de ces moments phares nous aide à

comprendre leur fonction ainsi que leur utilisation par et pour les gens sur qui l’on

s’interroge. Le 25 février 1976, Foucault disait que :

« le progrès des Lumières, la lutte de la connaissance contre l'ignorance,

de la raison contre les chimères, de l'expérience contre les préjugés, des

raisonnements contre l'erreur etc. [...] C'est ce dont il faut, je crois, se

débarrasser: [il faut, en revanche.] percevoir au cours du XVIIIe siècle, au

lieu de ce rapport entre jour et nuit, entre connaissance et ignorance,

quelque chose de très différent: un immense et multiple combat, non pas

donc entre connaissance et ignorance, mais un immense et multiple

combat des savoirs les uns contre les autres - des savoirs s'opposant entre

eux par leur morphologie propre, par leurs détenteurs ennemis les uns des

autres, et par leurs effets de pouvoir intrinsèques » (Ewald et Fontana,

1997, p. 159).

2.1.1 Faits de gurus

Cela dit, mentionnons d'abord guru Arjan, cinquième de la lignée des gurus. Arjan a

vécu dans la seconde moitié du 16e siècle, dans la vaste région du Punjab, et serait

décédé en 1606. À l'époque, le Punjab était sous la gouverne des empereurs musulmans

Moghols. Guru Arjan est mort aux mains de l'empereur Jahangir pour avoir supporté la

candidature au trône d'un belligérant (Fenech 2001, p. 21). Pour Mahmood,

« it was not only the fact of his death, however, but the manner in which

he greeted it, which have become critical to Sikh consciousness. [...] He

had, that is, already achieved such a state of spiritual detachment from the

world, through attachment to God, that he lived life a lotus in water,

unaffected by its waves, crossing the ocean of the world in safety through

meditation in God's name » (Mahmood, 2001, p. 42).

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Arjan marque la naissance de la martyrologie au sein du sikhisme. Sa mort est

artistiquement représentée comme suit: Arjan est assis, impassible et serein, sur une

plaque en fer en dessous de laquelle brule un feu ardent. Cet épisode de torture par

Jahangir serait à relier au refus du guru à embrasser l'Islam et d'intégrer au corpus sacré

d'alors des hymnes chantant la gloire de Mahomet (Fenech 2009, p. 79). Son sacrifice

est interprété, a posteriori, comme le triomphe de la vertu sur la tyrannie. Guru

Hargobind, fils du précédent, constatant la répression grandissante de l'empereur

Moghole sur la menace régionale sikhe, prit en charge l'armement de sa communauté

pour sa propre défense, certes, mais également la défense de tous les opprimés,

hindous compris. Ces nouveaux soldats sikhs représentaient un idéal encore hautement

valorisé aujourd'hui: « the sant-sipâhî (saint-soldier), warriors who, out of love for

Akhal Purakh [Dieu] and fellow beings, battle and die to destroy tyranny, protect the

poor and establish social harmony » (Fenech 2009, p. 81). Le règne de guru Hargobind,

toujours dans l'œil d'un Sikh, marque une ère nouvelle traversée par la discipline

militaire et la défense morale, dans l'histoire du panth (communauté). Néanmoins, «

l'historien se demande si le changement dans le panth fut aussi soudain que la tradition

le suggère en le rapportant à l'époque de l'accession de Hargobind, et s'il ne faut pas

plutôt voir dans la montée de la tension entre Sikhs et Moghols au XVIIe siècle la

conséquence de l'accroissement au sein du panth du nombre de Jâts5 d'ancienne

tradition martiale » (Matringe 2008, p. 89; Oberoi 1994, p. 58).

Les septième et huitième guru n'occupent qu'une mince place dans la mémoire sikhe, si

ce n'est que d'avoir été dans l'entourage familial du neuvième guru, Tegh bahadur. Ce

dernier fut le second martyr sikh aux mains des Moghols, sous Aurangze. Né en 1621,

sa réputation est celle d'un soldat et d'un cavalier hors pair, mais il n'en est pas moins

dépeint comme humble et pieux (Fenech 2009). Toutefois, « Guru Tegh Bahadur now

5 « With their strong rural base, their martial traditions, their normally impressive physique, and their

considerable energy the Jats have for many centuries constituted the élite of the Panjab villages. they are

also noted for their straightforward manner, for a tremendous generosity, for their insistance upon the

right to take vengeance, and for their sturdy attachment to the land. They have long dominated rural

Panjab and at certain times their influence has extended much further » (Mcleod 1998 [1976], p. 11).

Nicola Mooney offre également un excellent chapitre qui concerne les particularités associées à la classe

Jat, le tout au milieu des catégories « Sikh », « amritdhari », « Sahajdari » etc. Elle expose tous les

amalgames possibles des ces catégories identitaires, au Punjab comme en diaspora. Voir Mooney, 2011.

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decided finally to confront the authorities in Delhi and there defend the right of all

people to practice their religious beliefs in freedom and good conscience [...] Upon

entering Delhi, the Guru and his companions were arrested and emprisoned » (Fenech

2009, p. 84). L'administration Moghole aurait réclamé de lui qu'il se convertisse à

l'Islam, en vain. Vu la résistance manifeste de Tegh Bahadur, on le décapita sur la place

publique en 1675 (Fenech 2009, p. 84).

Son successeur et fils, guru Gobind Singh, est la figure de proue par excellence du

sikhisme contemporain. En séjour au Punjab, l'été dernier, je fis la visite du Virasat-e-

Khalsa (« Khalsa heritage museum complex »), vaste musée situé dans la ville sainte

d'Anandpur Sahib. La visée du musée est claire quand on connaît le moindrement

l'histoire sikhe: transmettre et inculquer la définition du sikhisme tel qu'instauré,

prétendument, par Gobind Singh, en 1699. Enrobé dans une technologie

impressionnante et dans un bâtiment moderne et faste qui détonne dans son milieu, on

peut imaginer la somme monétaire investie dans l'établissement, et l'importance que les

instances publiques, au Punjab, y accordent6. Mais c'est là une toute autre question. Ce

qui nous intéresse est le propos qui y est tenu. Le nombre de salles correspond presque

parfaitement au nombre de gurus de l'histoire sikhe, chacune d'entre elles moussant leur

mémoire respective et culminant avec guru Gobind Singh et la création du Khalsa, en

1699, à Anandpur:

« When he [Gobind Singh] stood before them [congrégation] he shocked

all present into stunned silence by demanding the heads of five loyal

Sikhs. [...] A thud was heard and the Guru, emerging with a blood-stained

sword, called for a second head. Eventually, he secured five volunteers

[...] The Guru then drew back the side of the tent, dramatically revealing

five living Sikhs and five decapitated goats [...] There were then initiated

as the first members of the Khalsa order, and having completed the

6 Je dois cette boutade à Mme Isabelle Henrion-Dourcy qui, dans son passionnant cours « Anthropologie,

arts et esthétique », soumet ses étudiants à une réflexion sur le rôle parfois instrumental des institutions

muséales et patrimoniales. Voir: MYERS, 2007.

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ceremony Guru Gobing Singh himself received initiation from their hands

». (Mcleod 1989, p. 28)

Est ainsi dépeinte la première initiation au Khalsa, l’« Ordre des Purs », sous la

gouverne de Gobind Singh. Peu fier des ponts encore évidents entre sikhs et hindous, le

guru purgeait ainsi le panth du sectarisme. L'initiation, khande kî pahûl, revêtait dès

lors une importance considérable pour se réclamer du sikhisme. Les nouveaux initiés

étaient instruits selon le code de conduite alors en vigueur (rahit). Depuis, un(e)

Sikh(e) initié(e) est nommé(e) amritdhari, celui ou celle qui a accepté l'amrit:

«the most important of bodies [...] is the masculinized body of the

amritdhari. A man who is an amritdhari signifies his memberhsip in the

orthodox order of the Sikhs called the Khalsa through specific corporeal

adornments known as the five Ks [kes, kanga, kaura, kachera, kirpan]7. The

amritdhari, however, is most comonly recognized through the image of the

Sikh man with a beard and turban. Yet, more than just the beard and the

turban, membership in the Khalsa requires that Sikhs revere teachings of the

tee Gurus of Sikhism [...] and demands that they adhere to a rigorous set of

religious principles». (Axel 2001, p. 35)

Mais quel fut le résultat pour Gobind et son Khalsa? Les nouveaux rituels, dont le plus

important demeure le baptême, ont certainement accru la cohésion en délimitant des

frontières religieuses théologiques et pratiques. Pour Oberoi, « the symbolism, gestures,

formula and emotions that make up a ritual performance help transform the chaos and

vicissitudes of human existence into and ordered and meaningful sequences » (Oberoi

1994, p. 66). Le Khalsa se resserrait; on pouvait en être exclu et perdre son statut

d'amritdhari en coupant ses cheveux. Ce type d'injonction apparaissait dans le rahit-

nama, code de conduite qui, par toutes ses proscriptions, creusait le fossé entre la

communauté sikhe et le reste de la société punjabie (Ibid, p. 67).

7 Kes (cheveux et poils non coupés); kanga (peigne en bois dans les cheveux, sous le turban); kaura

(bracelet en acier porté au poignet); kachera (sous-vêtement unisexe); kirpan (dague ou épée (portée sur

le coté du corps).

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Mais le Khalsa n'était pas encore hégémonique, plusieurs Sikhs se réclamant de cultes

différents8 ou d’une autre généalogie de gurus. Soulignons les udâsis et les nirmalâs,

groupes teintés d’ascétisme hindou. Ensemble, et avec d’autres, ils constituaient les

« sectes des réprouvés » (Matringe 2008, p. 136). Encore aujourd'hui, les Sikhs du

Khalsa rebutent au sectarisme.

2.1.2 Le premier Khalsa : un succès mitigé

Nous avons vu naître le Khalsa, certes, mais ne prenons pas pour acquis son succès

immédiat dans la société punjabie d'alors. Ce déterminisme est celui des approches

« Khalsacentriques »: «Khalsacentrism is thus fundamentally an « occidentalizing »

discourse that caricatures Western culture and academic disciplines in an effort to

insulate the community from the « invasive » effects of professional scholarship and to

enable the construction of an autonomous, self-contained, and privileged interpretative

tradition within the community » (Ballantyne 2006, p. 15).

Le Khalsa, loin d’être seul en lice dans la course au monopole de la théologie sikhe, se

frottait à la tradition Sanâtan avec son cadre interprétatif large, accommodant, moins

restrictif que celui proposé dans les rahit-namas de l’époque. La tradition sikhe

Sanâtan, par exemple, demeurait largement orientée sur des distinctions de castes. Plus

encore, l’ascétisme des Udasis et des Nimralas trouvait sa place dans la définition du

sikhisme (Oberoi 1994, p. 124-125): « in addition to their function of opening up new

corridors beyond the frontiers of Sikh society, winning adherants to Sikhism and

legitimizing the ideals of renunciation, Nirmala and Udasi scholars played a key role in

the creation and diffusion of both sacred and secular knowledge » (Oberoi 1994, p.

128). Par ailleurs, loin des centres intellectuels (Lahore et Amristar), la religion

« populaire » n’était pas si facilement balayée. La disparition suggérée de la divinité de

village au profit d'un Dieu intemporel était bien mal venue du point de vue du paysan

qui ne cherchait qu’à mousser ses récoltes en satisfaisant son dieu local par une action

rituelle soutenue (Oberoi 1994, p. 167). Cette résilience était plutôt interprétée, chez les

8 Sanâtan sikhs: désignation des sikhs qui admettent des pratiques hindoues (Matringe 2008, p. 360)

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auteurs coloniaux (Macauliffe 1909), comme le déclin du sikhisme. Oberoi questionne

cette interprétation qui laisse entendre un favoritisme colonial pour le Khalsa.

2.1.3 Rencontre coloniale au Punjab et réforme du Sikhisme

Bernard S. Cohn a soumis le colonialisme britannique à une lecture anthropologique.

En préface de son ouvrage Colonialism and its form of knowledge: the British in India,

Nicholas Dirks trace le chemin:

« The colonial state is seen as a theatre for state experimentation, where

historiography, documentation, certification, and representation were all

state modalities that transformed knowledge into power. […] Not only

subjects are ruled by the state; the positions of the subjects are constituted

by classifying and naturalizing such categories and identities as […] hindu

or muslim [ajoutons Sikh] » (Dirks 1996, p. xi).

Dans cette optique, je suggère que le régime colonial anglais, dans la région du Punjab,

a ponctionné une certaine tranche de la population se définissant de manière très floue

comme sikh, en a cristallisé l’existence, la définition d’elle-même et a agi comme

catalyseur de la réforme religieuse menée par la Singh Sabah et le Tat Khalsa à la fin

19e siècle et au début du 20

e.

2.1.3.1 Recensements et catégories

Benedict Anderson, dans son célèbre « Imagined communities » (1983), traite des

recensements coloniaux comme institutions de pouvoir. La fiction du recensement est

que tout le monde y est, et qu’il n’y est qu’à un seul endroit (Anderson 2006, p. 166).

Il note qu’après 1850, ce qui caractérise les recensements coloniaux européens est leur

capacité croissante de quantification des catégories, ajoutant toujours un peu plus à la

réalité de la grille et à son effet productif dans l’autodéfinition des sujets coloniaux.

C'était le cas des Census of India. Pour Cohn, « the concept of survey came to cover

any systematic and official investigation of the natural and social features of India »

(Cohn 1996, p. 7), le résultat étant une grille ethnographique (imaginaire)

opérationnelle pour le gestionnaire impérial. L’abondance de données extraites de ces

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recensements trouvait leur place dans des encyclopédies et des archives qui imposaient

des frontières à des réalités mouvantes. Dans les premiers recensements, seulement les

porteurs des symboles du Khalsa (5 K) pouvaient être dénombrés comme Sikhs. Tous

ceux et celles qui appartenaient aux classes Ramdasi ou Udasis, n’arborant pas les

symboles du Khalsa, étaient recensés comme « hindu ». Selon Cohn, l’un des faux

présupposés du régime colonial était donc l’existence de communautés aux frontières

distinctes. Parmi ces catégories, les Sikhs apparaissaient comme acteurs privilégiés par

le fantasme colonial des « races martiales ». Oberoi avance que le régime colonial s’est

lui-même posé comme le rédempteur de la tradition martiale sikhe (Oberoi 1994, p.

213).

2.1.3.2 La « race martiale » au sein de l’armée britannique

Malgré l'envergure du recrutement, ne devenait pas soldat n’importe quel Sikh. Une

large concentration d’entre eux provenait de la caste Jât, centrale au Khalsa. Elle

s’oppose aux autres définitions du sikhisme que l’on a étiquetées comme sectaires. Au

début des années 1850, « l’armée comptait soixante-quatorze régiments: 7400 Singhs

furent donc enrôlés, exclusivement des Jâts. Ce recrutement s’accompagna d’une

injonction lourde de conséquences à cette époque où le sikhisme commençait à être dit

en danger: les soldats sikhs devaient porter les insignes du Khalsa. Les Britanniques

avaient leur idée du vrai Sikh, fondée sur une idéologie de la pureté » (Matringe 2008,

p. 153). À ce sujet, Cohn suggère que le turban sikh sous sa forme contemporaine est

le produit d’une exigence coloniale et militaire. Après l’annexion, le Raj a insisté pour

que seuls les Sikhs kesadharis9, aux cheveux non coupés et arborant normalement les

symboles de Khalsa, le portent (Cohn 1996, p.110). Ces Sikhs participaient pour la

plupart d'une classe aisée et au sommet de la hiérarchie sociale. Cette classe

bourgeoise, par ailleurs, n’était pas étrangère au nouveau système d’éducation anglais.

2.1.3.3 L’institution académique coloniale

La première école d’État ouvrait ses portes en 1851 à Amritsar. On y enseignait

l’anglais et quelques langues locales. La deuxième école phare, elle, devait ouvrir ses

9 Qui ne coupe pas les kes (cheveux et poils).

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portes en 1864 à Lahore : « in the end the whole college environment – the European

curricula, the staff, the debating clubs and societies, the reading rooms and boarding

houses – resulted in separating its student population from all of those who could not

attend such elite institutions » (Oberoi 1994, p. 270). Au sein d’une population encore

largement rurale, l’éducation vernaculaire anglophone, dans les termes d'Oberoi,

propulse ses bénéficiaires dans une nouvelle élite. De surcroît, cette tranche de la

population avait désormais accès à une abondance de livres et de documents écrits, à la

fois grâce à leurs nouvelles aptitudes en anglais, mais également par l’émergence et

l’escalade en popularité de l’imprimerie: « this control gave them an unprecendent

sway over the productions of symbols, texts and stories […]. Armed with their new

skills and print gadgetry, these elites directed their resources towards etching out a

noval cultural map for Punjab that would define their aspirations » (Ibid, p. 277)

Mais ces arguments demeurent teintés d'instrumentalisme. Affirmer que les Anglais ont

créé de toute pièce le sikhisme orthodoxe du Khalsa serait d'oublier le « pre-colonial

knowledge » (Ballantyne 2006). Pour Ballantyne, il s'agirait plutôt d'une sorte

d'appréciation réciproque. Entre autres choses, les missions chrétiennes anglaises

voyaient chez les Sikhs des alliés progressistes, à leur image, à l'opposé d'un

hindouisme profondément conservateur. Nanak était donc dépeint par les missions

évangéliques comme digne des Luther et des Calvin de ce monde (Ballantyne 2006, p.

47). Une chose est certaine, le favoritisme colonial envers les Sikhs du Khalsa, qu’il

soit purement instrumental ou fondé sur un liant naturel, ou un mélange des deux, a

certainement contribué à propulser la réforme du sikhisme.

2.1.3.4 La réforme du Tat Khalsa

« There is the question of authority within the evolving Khalsa. As we

have already seen, tradition attributes a definitive answer to Guru Gobind

Singh, one which conferred his personal authority upon the sacred

scripture and the corporate panth. This may perharps be a retrospective

interpretation, a tradition which owes its origin not to actual

pronouncement of the Guru but to an insistent need for maintaining the

panth’s cohesion during a later period » (Mcleod 1976, p. 17).

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Les Sikhs, généralement, attribuent à Gobind Singh seul la cristallisation de leur

religion. La part d'histoire entre leur soi contemporain et la naissance du Khalsa, en

1699, est mise entre parenthèse au profit de la clarté, de linéarité et de la certitude.

Mais certains auteurs (Mcleod 1989; Oberoi 1994; Fenech 2009 [2000]) croient plutôt à

une «invention de la tradition» (Hobsbawm et Ranger 2012 [1983]):

« Invented tradition » is taken to mean a set of practices normally

governed by overtly or tacitly accepted rules and of a ritual or symbolic

nature, which seek to inculcate certain values and norms of behavior by

repetition, which automatically implies continuity with the past. In fact,

where possible, they normally attempt to establish continuity with a

suitable historic past » (Hobsbawm 1983, p.1).

Il faut donc croire que le premier Khalsa n'a pas bouclé la version contemporaine du

sikhisme, mais a plutôt fait un bout de chemin en ce sens, permettant au Tat Khalsa

(Vrai Khalsa), au vingtième siècle, de réformer le sikhisme en attribuant à Gobind

Singh, à travers une certaine rhétorique, toutes les lettres de noblesse.

Le Tat Khalsa est une des franges du vaste mouvement associatif sikh de la Singh

Sabah qui recrutait parmi l’élite éduquée à l’anglaise dans les centres urbains. La

période active la Singh Sabah, dans le dernier quart du 19e siècle et le premier quart du

suivant, est perçue comme le « panthic revival », le retour de la communauté sikhe vers

son âge d’or après la création du premier Khalsa. Pour Mcleod comme pour Oberoi, le

projet politique du Tat Khalsa se résumait en trois points centraux: 1) l’autorité du code

de conduite (rahit-nama); 2) l’autorité du Guru Granth Sahib (texte sacré); 3) la

souveraineté sikhe sur leurs lieux de cultes, les gurdwaras.

En ce qui concerne ce dernier point, l'appropriation matérielle des espaces sacrés s’est

étendue jusque dans les années 1920 avec l’activisme des Akalis, du parti Akali Dal,

formation politique en ligne directe avec les idéaux du Tat Khalsa. En fait, « far more

was at stake in the removal of the idols than the right of a few to worship theses images.

The Tat Khalsa was fighting one of its first public battles for the eventual takeover of

the entire temple space and its resources » (Oberoi 1994, p. 324). Cette campagne

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38

culminait en 1925 alors que le Shiromani Gurdwara Parbandhak Comitee (SGPC)

devenait l’organe politique sikh auquel on attribuait la gestion de la majorité des

gurdwaras du Punjab (Mcleod 1976, p. 56).

Ensuite, les Sikhs doivent au Tat Khalsa l’insistance soutenue sur la discipline du corps

passant par le port des 5 K. Le port des symboles religieux étaient désormais l’unique

évidence d’une adhésion au sikhisme et à ses principes, le tout cadré dans une

rhétorique faisant l'apologie des premiers initiés au Khalsa :

« if the Sikhs in the eighteenth century could uphold the five K’s, at a time

when they had to lay down their lives in their defense, why should

contemporary Sikhs lack the will to follow their illustrious father. Only

those who stuck to the glorious heritage of the heroic epoch deserved to be

called Sikhs (Oberoi 1994, p. 332).

C’est également le Tat Khalsa, dans sa littérature engagée10

, qui a systématisé le besoin

de prendre le baptême, de devenir amritdhari, pour être considéré comme Sikh.

Finalement, Fenech démontre bien que la martyrologie sikhe est l'enfant du Tat Khalsa

qui, dans son travail éducatif soutenu par une imprimerie en essor et des moyens

d’inculcation grandissants, a fait de Arjan et de Tegh Bahadur, pour ne nommer que

ceux-là, de réels héros, torturés le regard vers Dieu et l’âme passive. Il en était de même

pour leurs défunts contemporains: « courageously placing the noose around his

[Lacman Singh] own neck; the exhortation to the gathered crowd demonstrating the

strength of his Sikh faith; and the joy he exhibits at his upcoming death; all these turn

the dramatic spectacle of execution into a triumph of righteousness rather than the

vindication of the government’s moral right and authority » (Fenech 2009, p.185). En

somme, pour les réformateurs du Tat Khalsa, seulement les Sikhs keshadaris (Sikhs

aux cheveux non coupés) étaient perçus comme de vrais Sikhs. Le panth équivalait de

plus en plus au simple Khalsa et les non-keshadaris, ceux qui refusaient de se plier aux

10

« Between 1884 and 1915 at least twenty-four manuals were published on how Sikhs ought to arrange

their life-cycle rituals […]. A large proportion of these guides concerned marriages rituals. Even when

these books disagreed on the precise historical origins of these customs or the correct steps within a

particular rite, most of them derided existing ceremonials » (Oberoi 1994, p. 339).

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39

injonctions orthodoxes du Tat Khalsa, étaient progressivement écartés du sikhisme

dominant (Shani 2008, p. 39).

2.2 L’autorité du Reht Maryada et l’archétype amritdhari

« A Sikh is any person who belives in Akal Purakh [Dieu]; in the ten

Gurus (Guru Nanak to Guru Gobind Singh); in Sri Guru Granth Sahib,

other works of the ten Gurus, and their teachings; in the Khalsa initiation

ceremony instituted by the tenth Guru; and who does not believe in any

other system of religious doctrine » (Mcleod 2003, p. 377)

Ce passage traduit, à partir du punjabi, la définition d’un Sikh qui apparait dans le Reht

Maryada, code de conduite final, publié à Amritsar sous la gouverne du SGPC (Figure

6). Majoritairement, les Sikhs considèrent ce code de conduite comme la parole exacte

de Gobind Singh. Il faut plutôt l’attribuer à la réforme religieuse menée par le Tat

Khalsa et les Akalis. Il serait bien mal venu, toutefois, de croire que Gobind Singh n’a

en rien participé à la création d’un code de conduite; il l’a fait, mais dans une moindre

mesure que ce qu’on voudrait bien croire (Mcleod 1989, p. 39). Ce n’est qu’en 1950

que le Reht-Maryada fut finalisé. Néanmoins, comme le suggère Axel (2001), le

sikhisme trouve aujourd’hui ses représentants officiels chez les amritdharis, ceux et

celles qui acceptent l’amrit. Cette longue évolution de l’identité sikhe culmine

aujourd’hui dans ce moment bien particulier, à la toute fin de la cérémonie de baptême,

quand l’un ou l’une devient amritdhari sous l’office des « five beloved ones », en

mémoire des cinq premiers baptisés dans l’ordre du Khalsa sous Gobind Singh:

« one from amongst the five beloved ones should explain to the initiates

the discipline of the order : * Today you are reborn in the true Guru's

household, ending the cycle of migration, and joined the Khalsa Panth

(order). *Your spiritual father is now Guru Gobind Singh and spiritual

mother, Mata Sahib Kaur. *Your place of birth is Kesgarh Sahib and your

native place is Anandpur Sahib. You, being the sons of one father, are,

inter-se yourselves and other baptised Sikhs, spiritual brothers. You have

become the pure Khalsa, having renounced your previous lineage,

professional background, calling (occupation), beliefs, that is, having

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40

given up all connections with your caste,

descent, birth, country, religion, etc. You

are to worship none except the One

Timeless Being (Waheguru) no God,

Goddess, incarnation or prophet. You

are not to think of anyone except the ten

Gurus and anything except their gospel

as your saviour. You are supposed to

know Gurmukhi (Punjabi alphabet). (If

you do not, you must learn it). And

recite, or listen in to the recitation of, the

under mentioned scriptural

compositions, the daily repetition of

which is ordained, every day :(1) The Japuji Sahib, (2) The Jaap Sahib, (3)

The Ten Sawayyas (Quartrains), beginning "sarawag sudh", (4) The Sodar

Rahiras and the Sohila. Besides, you should read from or listen in to the

recitation from the Guru Granth Sahib . Have, on your person, all the

time, the five K's :

I. The Keshas (unshorn hair),

II. The Kirpan {sheathed sword} (The length of the sword to be worn is

not prescribed.,

III. The Kachhehra (The Kachhehra (drawers like garment) may be made

from any cloth, but its legs should not reach down to below the shins.),

IV. The Kanga (comb),

V. The Karha (steel bracelet) (The Karha should be of pure steel.) »

(Sikh Rehat-Maryada 2004, p. 37)

2.3 Mise à distance: la communauté imaginée

Au terme de cette démonstration historique, la notion de communauté imaginée

(Anderson 1983) est une lunette judicieuse pour cadrer le produit contemporain de la

Figure 6. Page couverture du Reht-

Maryada

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réforme sikhe. Depuis, il semble exister un large consensus sur ce qu’est le sikhisme et

sa doctrine, comme si une stabilité s’était installée. Cette courte parenthèse sert donc

de mise en perspective conclusive pour le chapitre précédent et introductive pour le

reste du mémoire. Comme en témoigne Mooney, « the constructivist paradigm

encapsulated in his work [Anderson] continues to be both influential and useful »

(Mooney 2011, p. 16). Même si Anderson aborde le nationalisme, cette notion demeure

pertinente dans la sphère des diasporas qui, elles aussi, peuvent se définir comme

« an imagined political community – and imagined as both inherently

limited and sovereign. It is imagined because the members of even the

smallest nation [diaspora] will never know most of their fellow-members,

meet them, or even hear of them, yet in the minds of each lives the image of

their communion. […] In fact, all communities larger than the primordial

villages of face-to-face contact (and perhaps even these) are imagined.

Communities are to be distinguished, not by their falsity/genuineness, but

by the style in which they are imagined » (Anderson 1983, p. 6).

Finalement, « it is imagined as a community, because, regardless of the actual

inequality and exploitation that may prevail in each, the nation [diaspora] is always

conceived as a deep, horizontal comradeship. Ultimately it is this fraternity that makes

people, not so much to kill, as willingly to die for such limited imaginings » (Anderson

1983, p. 7). En effet, l’idée d’horizontalité nous aide à saisir, cognitivement, la

prétention d’une nation ou d’une diaspora, soit de partager une identité collective, en ne

faisant jamais référence à des éléments verticaux comme la classe, par exemple, qui

puisse nuire à la cohésion. C’est dans cette croyance à l’horizontalité, à la fraternité,

que les collectivités, nations comme diasporas, trouvent leur succès cohésif. Nous

verrons plus loin que cette croyance se frotte malgré tout à des tensions intra-

communautaires.

La notion de communauté imaginée m'aide à appréhender la diaspora sikhe

montréalaise. L'« invention de la tradition » jetait la lumière sur le travail politique actif

du Tat Khalsa, alors que la communauté imaginée rend compte du résultat, le sikhisme

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contemporain. Il faut donc la garder en tête jusqu'au point final de ce mémoire. Mais

qui parle de diaspora doit d’abord parler de dispersion et de migration.

2.4 La migration sikhe

2.4.1 La toile de l’empire

Ballantyne (2006) nous rappelle que les nombreux auteurs qui ont pour objet le

sikhisme, ou les Sikhs, tendent à scinder l’histoire du Punjab de l’histoire de la diaspora

sikhe, comme si ces deux itinéraires ne pouvaient être rassemblés dans une seule et

même appréciation de l’histoire du sikhisme. Pour faire echo à la première section ci-

haut, « the program of the Tat Khala was articulated against the backdrop of the exile of

important precolonial leaders, the mobility of large numbers of Punjabi soldiers, the

first significant flows of labor migration to destinations outside South Asia, and the

emergence of fleding Punjabi communities in Europe, America, Asia, and the Pacific »

(Ballantyne 2006, p. 69). À l’époque du Tat Khalsa le Punjab agissait déjà comme

important bassin de migrants. Ballantyne met en relief la notion « webs of empire »

pour capturer les réalités que la rencontre coloniale entre les Anglais et les Sikhs devait

produire. Effectivement, « societies that were colonized by the East India Company

[…] did not simply « encounter » the British but were drawn into the institutions,

markets, communication systems, and cultural networks that made up the empire »

(Ballantyne 2006, p. 30). Cette insertion passait par la migration des individus.

2.4.2 Considérations théoriques sur la migration

Si Van Hear a raison, la formation d’une diaspora et la migration qui la sous-tend ne se

conçoivent pas seulement en réponse à un exil forcé. Au contraire, « diaspora formation

can occur by accretion, as a result of gradual, routine migration, which be a matter of

choice or strategy on the part of the households and communities » (Van Hear, dans

Knott et Mcloughlin 2010, p. 34).

Pour expliquer cette « quête pour une meilleure vie dans un monde toujours plus

affluent » (Van Hear 1998, p. 2), certains facteurs causaux peuvent être avancés:

l'apport grandissant des technologies de communications; le relâchement global des

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politiques d'émigration; les résurgences ethniques locales, à l'aube de la décolonisation,

ayant généré des conflits politiques aigus; la révolution des droits (droits de la

personne, droits humains) qui a permis l'émergence de communautés d'intérêts et de

lobbys dans les États hôtes, facilitant l'arrivage de nouveaux individus. En filigrane, on

distingue donc deux types généraux de migration, économique ou forcée: « such

changes may take gradual or cumulative forms, or they may be more acute or

catastrophic; the latter I call migration crises. I suggest [et moi aussi] that such

moments may be revealing of the dynamics of migration orders and ultimately key

events in the consolidation, perpetuation, proliferation or diminution of transnational

communities » (Van Hear 1998, p. 11).

Pour être plus précis, Van Hear propose un schéma en six points qui scinde la

migration. Sur ce continuum, les pôles sont, d'un côté, le choix rationnel individuel et,

de l'autre, la contingence macro-économique (Van Hear 1998, p. 15-16). Par exemple,

la migration peut-être perçue comme choix individuel sur l'axe cout-bénéfice, en termes

économiques, politiques, ou humain (sécurité ou survie). Elle peut aussi être interprétée

comme stratégie familiale, comme réponse aux disparités politiques et économiques

mondiales, ou encore comme résultat du développement grandissant des institutions et

du réseau transnational d'une collectivité donnée. D'autres insisteront plutôt sur une

perspective macro-économique, la migration n'étant que le résultat du capitalisme

mondial. Différents cas de la migration sikhe en temps post-coloniaux sont

interprétables selon ces multiples lunettes, nous le verrons, mais n'oublions pas que,

« Althought the overwhelming proportion of this overseas Sikh population

had migrated in the post-colonial, the rise of the Sikh mass migration

outside South Asia can be traced to the posting of the Sikh soldiers to

British colonies by the British colonial army in the ninethenth century.

Rural Sikhs […] designated as « martial race » by the British colonial

authorities, were stationned in South-East Asia (Hong-Kong, Singapore

and Malaysia), and East Africa (Kenya and Uganda). From there, Sikh

migrants with army connections sought to settle in the West, particularly

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44

on the Pacific coast of North America where communities were

established » (Shani 2008, p. 81)

Van Hear parlerait donc d’une migration mixte, d’abord forcée et devenue routinière

par la force des choses. Aujourd’hui, les Sikhs migrent par réseautage délibéré,

entretenant l’hypothèse de la causalité cumulative (Van Hear 2011, p. 36). Autrement

dit, chaque migrant trace la route pour des individus subséquents. Je propose un arrêt

sur l’histoire migratoire sikhe. Les éléments théoriques soulevés ci-haut apparaîtront

d'eux-mêmes.

2.4.3 Asie de l’Est et du Sud-Est, Afrique et Grande-Bretagne

Militaires accomplis au sein de l’armée impériale, les premières centaines de Sikhs à se

déplacer en Asie de l’Est et du Sud-Est comptaient parmi les forces de l’ordre

(policiers, forces sécuritaires), alors que d'autres œuvraient dans les industries

ferroviaire et minière. À Singapour les premiers arrivants migraient de Hong-Kong,

après quoi d’autres arrivèrent directement de l’Inde : « as the security forces expanded,

the government started recruiting directly from Punjab. When the news of opportunities

in Malaya spread, many independent Sikh migrants arrived and obtained employment

in Perak’s mines » (Singh Tatla 1999, p. 49). Selon Ballatyne, la frontière entre

migrants sikhs et migrants hindous, à l'extérieur du Punjab, semblait moins accentuée.

Il reste encore à déterminer si cela est dû au fait que le Tat Khalsa n'avait pas achevé sa

réforme avant que ceux-là ne quittent, ou si c'était plutôt le résultat de l'arrivée dans un

contexte largement non indien. Néanmoins, Dusenbery nous informe du succès notable

du panth à Singapour : « In the case of Singapore, the government, [...] has acquiesced

in accepting Sikh claims of distinctiveness to the point of recognizing Sikhs as distinct

« race » (as well as « religion ») and in granting support for Sikh-initiated projects in

language, education, welfare, and heritage in the grounds that they will provide Sikhs

with their own cultural ballast » (Dusenbery 1997, p.749). À partir de la péninsule,

l’éclatement du panth se poursuivit en Asie du Sud-Est, en Australie, en Nouvelle-

Zélande et même jusqu’aux Fidjis où ils trouvèrent de l’emploi dans les plantations de

canne à sucre (Matringe 2008, p. 267). Ballantyne reprend les propos de Mcleod (1986)

sur le cas de la Nouvelle-Zélande:

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« while some individuals were punctilious in the maintenance of the rahit

[code de conduite], in other cases the pressure of the new environment saw

them trimming their kes and abandoning their turban, accommodations that

were entirely understandable for a community living in a context where

maintaining all of the rahit-nama injunctions was extremely difficult. Some

descendants of the early migrants to New-Zealand described their ancestors

and predecessors as « Hindu-Sikh », an ambiguous religious identity »

(Ballantyne 2006, p. 75).

En ce qui a trait à l’Afrique, c’est majoritairement en Ouganda et au Kenya que se

concentra l’immigration des Punjabis. On y mobilisa une importante main-d’œuvre

sikhe pour la réalisation d'un projet ferroviaire cherchant à relier les deux pays.

Autrement, plusieurs d’entre eux se voyaient dispersés sur le continent pour participer

aux actions militaires menées par l'armée impériale. Des vagues migratoires

subséquentes, approchant la mi-20e siècle, portaient des Sikhs plus qualifiés et

permettaient ainsi aux communautés de mieux s’établir sur le plan professionnel et dans

le tissu urbain.

Selon Bhachu, les Sikhs chassés d’Afrique en direction du Royaume-Uni avaient un

succès considérable dans leur nouvel environnement national urbain, plus que leurs

confrères punjabis qui avaient plutôt la main agricole. Issus des secteurs publics des

capitales kenyanes et ougandaises, « east africans have pursued the types of jobs they

had in Africa, filling administrative civil service jobs as well as factory and professional

one, reflecting a cross-section of the community » (Bhachu 1990, p. 9). Les migrants

sikhs venus d’Afrique se sont rapidement constitués en communautés et établirent des

réseaux de solidarité profitables, déjà loin des considérations du retour à la mère-partie.

Qu'en est-il en Amérique du Nord?

2.4.4 Amérique du Nord et Canada

Le premier groupuscule sikh à poser pied au Canada participait au jubilée de la Reine

Victoria en 1887 (Singh Tatla 1999, Matringe 2008, Singh B. 2001). Toutefois,

l'immigration ne prit son envol qu'au début du 20e siècle. 1920 marque une année

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46

importante: le Canada acceptait d’accueillir les familles respectives des Sikhs

immigrés. Par contre, jusqu’à la moitié du 20e siècle, Indiens et Asiatiques étaient

victimes de politiques d’immigration et d’exclusion sociale strictes (Singh Tatla 1999,

Matringe 2008, Dusenbery 1997), notamment à cause de l’« asiatic exclusion league »

fondée en 1907. Durs moments, les agriculteurs sikhs de la vallée de l’Okanogan, entre

autres, étaient sujets à des émeutes et perdaient leurs emplois respectifs (Singh B. 2001,

p. 41-42). Fuyant ces conditions, plusieurs prirent des États-Unis, particulièrement vers

la Californie où ils trouvaient une industrie agricole féconde qui faisait écho à leurs

anciennes occupations, au Punjab (Gonzales 1986, p.42). La possibilité de se procurer

une terre avait pour avantage la formation de groupes de travail solidaires: « generally

all agricultural property and equipment were held in common ownership by five or ten

Sikhs, as they worked their farms in common and shared profits, which they quickly

reinvested in more agricultural property and equipment » (Ibid, p. 43). Mais le contexte

social États-Uniens n'était guère plus rose: d’abord le « alien land law » en 1913, ôtant

le droit à la terre, suivie de l’« Acte d’Immigration » en 1917, empêchant désormais les

Indiens d’immigrer aux États-Unis. La génération suivante héritait d’un isolement

social considérable. Mais les premiers migrants punjabis n'étaient pas sans stratégies: «

from 1916 over, 250 Punjabi men circumvented this restriction by marrying Mexican

women, who could be entered into marriage registers as being the same race as the

Punjabis: usually « brown ». As a result of this strategy, communities of mixed descent

grew in Arizona, Texas, the valleys of Central and Northern California, and especially

in the Imperial Valley along California's border with Mexico » (Ballantyne 2006, p.

78). La logique de l'innovation et la mixité, pour ne pas souffrir des politiques

d'exclusion, a produit une génération inconsciente de son héritage sikh (Ballantyne

2006, p. 78).

À l’aube de l’après-guerre et de l’indépendance de l’Inde, les politiques migratoires

s’assouplirent au Canada comme aux États-Unis. La citoyenneté américaine était

désormais accordée aux Indiens, d’autant plus que la troisième vague migratoire

amenait avec elle de jeunes Indiens qualifiés, anglophones et urbains. Des

communautés plus grandes se formèrent en Colombie-Britannique et en Californie,

certes, mais aussi dans les grands centres urbains tels que Toronto et Montréal. La crise

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politique des années quatre-vingt, au Punjab, a contribué à leur croissance par la venue

de nombreux réfugiés sikhs.

2.4.5 Opération Blue Star: l'État indien et les Sikhs...fuyants

« On 3 June 1984, in a meticulously calculated operation codenamed

"Bluestar", the Indian army stormed the Golden Temple, Amritsar, along

with 37 other Sikh shrines in the Punjab, with the specific aim to remove

terrorists, criminals and their weapons from sacred places of worship.

After three days of intensive fighting, hundreds lay dead on the sacred

walkabout surrounding the pool [...] whose bodies were unceremoniously

disposed of in rubbish trucks and cremated; their names perished among

the debris. All sacred buildings sustained extensive damage, while Akal

Takht facing the Harimandir [Golden Temple], almost crumbled due to

heavy shelling. [...] Almost every Sikh household in the Punjab, the rest of

India and overseas reacted with anger and shock. [...] From a self-

confident religious community, the Sikhs rapidly acquired many

characteristics of a persecuted minority » (Singh Tatla 1999, p. 1)

Il a brièvement été question, plus haut, du parti Akali Dal. Ce même parti, à l'aube de

l'indépendance de l'Inde, faisait pression pour une autonomie sikhe sur le Punjab. La

souveraineté indienne venue, les démêlés entre l'État et les Sikhs étaient grandissant et

les frontières du Punjab changeantes selon la volonté des protagonistes. En 1966, la

nouvelle carte du Punjab plaçait pour la première fois les Sikhs en nombre majoritaire

sur le territoire, mais c'était là un mince gain. C'est sur ce contexte géopolitique chaud

que s'est bâtie la grogne des Sikhs, et de l'Akali Dal plus particulièrement. À la tête du

mouvement sikh pour un État indépendant nommé Khalistan se dressait l'adulé Jarnail

Singh Bhindranwale, cible de l’opération Blue Star décrite ci-haut en citation11

. En fait,

« since the 1980s, the idea of Khalistan has been revitalized [...]. A cycle of violent

encounters between Sikh militants and the Indian government has to date left 100 000

people dead » (Axel 2002, p. 412). Selon Axel, les plus récalcitrants étaient soit

11

Cynthia Kepley-Mahmood demeure l'auteur qui a couvert avec le plus d'attention le mouvement

Khalistani. Voir son ouvrage Fighting for faith and nation (1996).

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torturés, soit carrément exécutés. Les Khalistanis étaient ciblés par l’armée et la police

indienne pour leur nuisance à la cohésion nationale. Suite à la déclaration du « Punjab

disturbed area act » de 1983, les forces de l’ordre étaient en droit d’ouvrir le feu sur

tout individu qui semblait entraver la loi indienne. On a vite associé l’accoutrement sikh

au mouvement nationaliste tout entier. Pour Axel, «these developments identify a

specific moment of subjectification pertaining to the history of the India nation-state -

this is a moment in which a masculinized Sikh subject is formed out of a subjection to

both the law and the extrajudicial procedures of the nation-state » (Axel 2004, p.35).

Dans ce cas particulier, Ortner a certainement raison de dire que l'agency ne peut jamais

être extraite du contexte qui forme le sujet, et ce, dans une contingence sociale et

historique particulière. Dans les termes de l'auteur, l'agent n'est jamais libre (Ortner

2006, p. 130). Cette période explosive a généré un important mouvement migratoire

punjabi pour les individus qui cherchaient asile. Ils ont en effet été accueillis, au

Canada, à titre de réfugiés.

Ici, en lien au mouvement Khalistani, plusieurs organisations naquirent. À ce titre,

notons la World Sikh Organisation, instituée le 28 Juillet 1984 à New-York, dotée

d’une branche canadienne en Colombie-Britannique (Singh Tatla 1999, p. 117). Le

mandat premier consistait à soutenir l’indépendance du Khalistan par moyens

pacifiques. Aujourd’hui, elle œuvre à défendre et représenter les intérêts des Sikhs dans

leurs pays respectifs. Long parcours, certes, la migration n’est pourtant que l’une des

conditions pour pouvoir parler de diaspora. Les deux prochains chapitres nous amènent

au cœur de la diaspora sikhe montréalaise et mettent en relief les relations intra-

communautaires qui font écho aux éléments placés dans ce chapitre, sur deux plans:

celui de l'identité sikhe et celui des vagues migratoires sikhes. Le chapitre qui suit

immédiatement fait le pari que la diaspora sikhe, de par les strates migratoires qui la

composent, ne peut se résumer qu'à un groupe orienté de manière homogène sur la

mère-patrie et dont le sentiment nationaliste est également partagé. Ces

questionnements émergent de réflexions théoriques autour de la notion de diaspora qui

seront d'abord exposées.

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49

Chapitre 3: La diaspora sikhe montréalaise: sous un vocable

unificateur, des voies/voix divergentes

Ce chapitre propose une réflexion sur l'utilité de la notion diaspora, plus qu'il ne tâche

de savoir ce qu'est une diaspora. Il traite des processus et de disjonctions à l'intérieur

de la diaspora, plus qu'il ne dicte les critères à respecter pour en être une. La première

section recadre les prémisses jusqu'alors reconnues du terme diaspora, et ce, pour

mieux ancrer la critique même du terme. Vient ensuite une réflexion sur le lieu de la

diaspora, c'est-à-dire la double réalité, globale et locale, de la diaspora sikhe. Une

approche de coresponsabilité est mise en relief. Par après, je distingue les perspectives

centrées et décentrées de diaspora. Me rangeant davantage dans la seconde, je remets

en question la survalorisation du lieu d'origine comme producteur de la diaspora

(version primordialiste), d'une part, et la réduction de « diaspora » aux grands

mouvements politiques comme le mouvement Khalistani, dans le cas sikh (version

instrumentaliste). Nous verrons d'abord que ce mouvement n'a pas grand écho chez les

immigrants récents, et que l'idée de la mère patrie se frotte à différentes interprétations

selon sa génération et son lieu de naissance. La perspective décentrée amène des

réponses à ces questions en traitant de l'imaginaire diasporique, un imaginaire entretenu

par une production culturelle soutenue et des processus éducationnels.

3.1 De nouvelles prémisses pour la notion « diaspora »

Depuis les années quatre-vingt, la notion de diaspora fait couler beaucoup d'encre dans

la communauté académique. Avant d'être un concept scientifique, diaspora a connu une

histoire sociosémantique éclectique. Stéphane Dufoix a retracé son itinéraire afin d’en

saisir ses implications, souvent politiques, contemporaines. Ce terme n'est ni simple ni

unidirectionnel dans ce qu'il évoque. Pour Dufoix, la quête d'une définition finale à

diaspora est vaine, raison pour laquelle il analyse plutôt ses usages cumulatifs. (Dufoix

2011, p. 25). Retraçons brièvement son parcours à travers cette lunette.

Il semble que diaspora, comme concept, se soit formalisé entre le début du 20ième

siècle et 1980, période pendant laquelle il échappe à ses jalons théologiques.

L'élargissement sémantique et géographique de diaspora provient de la redécouverte

des textes chrétiens grecs, c'est-à-dire la bible de la Septante, par le milieu protestant

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européen. Mais diaspora telle qu'on le connaît aujourd'hui n'a pas d'ancêtre unique, pas

de synonyme exact en une autre langue. Au contraire, il a différents ancêtres

sémantiques qui se sont retrouvés englobés en lui.

Jusqu'à Dispersion, l'ouvrage de Dufoix publié en 2011, c'est Robin Cohen (1997) qui

croyait détenir la vérité sur l'origine du terme. Pour lui, diaspora avait déjà été utilisé

dans l'antiquité grecque sous le verbe diaspeirô. Mais Cohen fait fausse route en

homologuant ce verbe au substantif contemporain. Diaspora est plutôt issue de la

traduction de la Bible de la Septante, de l'hébreu vers grec. Le substantif, et non le

verbe diaspeirô signifiant plus simplement « disperser », est un néologisme des

traducteurs de la bible de la Septante. Cohen suggère en outre que diaspora équivaut à

galouth, dans le cas juif, terme de la souffrance et de l'exil. Selon Dufoix, diaspora est

bel et bien le mot de la souffrance, mais s'enracine dans différents termes qui ne sont

pas non plus le simple galouth. Diaspora traduit plusieurs termes hébreux, aux sens

variés, orbitant tous autour de l'horreur et du bannissement. En ce sens, en plus d'avoir

rejeté la proposition d'une occurrence antique grecque :

« galouth et diaspora relèvent de deux lexiques complètement distincts.

Le premier fait référence à des épisodes historiques passés, précis et

datables de l’histoire du peuple d’Israël où ce dernier subit une occupation

étrangère […]. Le second […] n’est jamais utilisé pour parler du passé et

ne concerne pas Babylone. […] Diaspora est le mot du châtiment, mais la

dispersion en question n’a pas eu lieu : elle est potentielle, conditionnée au

fait que les Juifs ne respectent pas la Loi de Dieu. Si cela arrive, c’est

Dieu qui dispersera, mais c’est aussi lui qui rassemblera les dispersés. Il

s’ensuit que diaspora appartient non au domaine de l’histoire, mais à celui

de la théologie » (Dufoix 2011, p. 65).

Lors du schisme entre les Églises orientales et occidentales, la Septante, contenant

diaspora, alla du côté oriental. Après la chute de Byzance, la redécouverte des textes

anciens grecs fonde la Renaissance et l’humanisme, base de la réforme protestante

européenne. Dans la foulée, diaspora est devenu le terme des minorités protestantes au

sein de pays majoritairement catholiques. Son évolution dans les langues vernaculaires

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européennes est polysémique, c'est-à-dire que le terme en est venu à couvrir différentes

choses, notamment en français. En effet, Dufoix dénote quatre types de référence à

diaspora, sur deux axes, qui mettent en relief les multiples sens du terme après qu'il se

soit détaché du seul cas juif et accolé, en plus, au mouvement noir d'Amérique du Nord.

C'est ce dernier cas qui apparait comme exemple ici.

Exil Communauté

Horizon eschatologique

L'Éthiopie comme lieu de rédemption.

Vision messianique du temps.

Prophétisme

Liens trans-étatiques

La diaspora noire ou africaine comme site

de production culturelle de la relation à

l'Afrique.

Horizon historique

Organisation d'un retour vers l'Afrique.

Multiplicité des Afriques en question:

Libéria, Sierra Leone, Haïti, Éthiopie...

Lien centro-périphérique

La diaspora africaine comme sixième

région d'Afrique.

(Dufoix 2011, p. 381)

Ce schéma, à l'image de cette brève parenthèse sur l'histoire du terme,

« permet d'ôter à la simple étiquette diaspora une partie du pouvoir

unifiant qui est souvent celui de ses usages et d'ainsi tenter de mieux

distinguer les différentes formes d'économie du rapport à l'espace et au

temps qui peuvent s'y manifester. Ensuite, [...] il s'agit, après avoir

déconstruit l'unité illusoire du terme, de reconstruire les trajectoires

conceptuelles ainsi que les axes qui les sous-tendent » (Dufoix, 2011, p.

380).

Non seulement les arguments de Dufoix ébranlent-ils les fondements de ce champ

d'études, mais sa lecture renforce la nécessité d’un projet de recherche comme le mien

qui se donne comme tâche première de déconstruire (analytiquement) une diaspora

plutôt que de la réifier comme entité politique et s’avancer sur le chemin glissant qu’est

celui de l’inclusion ou de l’unité. D’ailleurs, en entrant dans les universités, « la

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52

nébuleuse diasporique »12

a connu un foisonnement qui rend floues ses frontières

analytiques. Quel est, d’abord, le lieu de la diaspora?

3.2 Diaspora comme célébration du sans-frontière?

La diaspora juive est un incontournable en raison des différentes balises qu’elle a mises

en place : dispersion forcée, identité délimitée, mémoire, maintien des frontières du

groupe, réseautage et loyauté à une mère patrie. Tölölyan (1996; 2007) soutient que

depuis les années soixante, le terme a connu une extension considérable. S'il y avait

antérieurement un prix à payer pour être membre d’une diaspora, un effort soutenu,

voire une souffrance (Dufoix 2011), plusieurs avancent qu’un certain laxisme plane

désormais au sein des disciplines qui l'aborde. Brubaker abonde en ce sens:

« In a further extension, the term has come to embrace labour migrants

who maintain (to some degree) emotional and social ties with a homeland.

Algerian, Bangladeshi, Filipino, Greek, Haitian, Indian, Italian, Korean,

Mexican, Pakistani, Puerto Rican, Polish, Salvadoran, Turkish,

Vietnameese and many other migrant populations have been

conceptualized as diasporas in this sense » (Brubaker 2005, p. 2).

Plusieurs s’entendent pour dire que la diaspora suit les fluctuations que connaît,

prétendument, l’État-Nation : « aujourd’hui, l’affaiblissement du pouvoir de l’État-

Nation et du patriotisme national ont donné un sens positif aux comportements et aux

identifications liées à l’existence des diasporas » (Schnapper 2001, p. 11).

Questionnant cette tendance humaniste, elle-même en réponse aux théories

assimilationnistes antérieures, Tölölyan suggère que la célébration du transnationalisme

et de la mobilité au détriment de l’État (Appadurai 1996) est un portrait exacerbé d’une

réalité plus stable. Autrement dit, sommes-nous entrain de voir une prolifération de

diasporas dans le monde? Ou voyons-nous plutôt une prolifération de discours sur la

diaspora, un changement dans l’idiome plutôt qu’un changement dans le monde

(Brubaker 2005, p. 7) ?

12

CENTLIVRES P., 2006, « La diaspora comme condition ordinaire », in William Berthomière et

Christine Chivallon (dir.), Les diasporas dans le monde contemporain, Paris, Karthala, pp. 33-37.

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3.3 La coresponsabilité

Pour s'y retrouver, l’approche de Werbner (2002) est salutaire. La diaspora y agit

comme communauté transnationale13

de « coresponsabilité » qui, à l’échelle locale, est

en constante quête de légitimité publique. Chaque tentacule de la diaspora a sa couleur

locale: « diasporic life require nodes in its network […] such nodes continue to enable

the production of the cultural work that sustains diasporas » (Tölölyan 2007, p. 654).

Werbner préfère le terme « coresponsabilité » à loyauté, ce dernier nous replongeant

sans cesse dans la logique de l’organe mère gestionnaire de ses membres dispersés,

perception dont je tâche de m’écarter. Une perspective de coresponsabilité prend pour

acquis que chaque nœud de la diaspora est autonome, certes, mais non moins tourné

vers ses pairs, outre-mer. Cette perspective est palpable dans le cas sikh. En voici

quelques exemples.

3.3.1 Le Punjab comme lieu des devoirs de la diaspora

Amandeep est un jeune père de famille torontois immigré du Punjab près d'une

décennie. Il est désormais enraciné dans son nouvel environnement, Brampton, où il

côtoie quotidiennement ses pairs sikhs; son quartier est largement punjabi. Propriétaire

d’une maison où il réside avec sa femme, son enfant, et ses parents, il ne dépend

nullement d’un ailleurs. Néanmoins, il s’investit dans un projet qu’il chérit : l’éducation

religieuse de jeunes punjabis peu nantis de son village natif. Amandeep est

régulièrement en contact avec un petit groupe de jeunes gens qu’il tâche d’éduquer du

mieux qu’il peut, comptant sur l’aide de quelques-uns de ses pairs qui demeurent

toujours au Punjab. Non seulement les contacte-t-il et met-il des fonds à leur

disposition, mais, autant que faire se peu, il va annuellement à leur rencontre. Chaque

fois, me dit-il, il amène ces jeunes dans les célèbres gurdwaras du Punjab pour les

introduire à l'histoire de leur religion et l'histoire de leurs gurus. C’est avec fierté qu’il

fait défiler pour moi les images de ces rencontres sur son appareil électronique.

13

Transnationale au sens où Tölölyan l’entend, c’est-à-dire un même projet ancré dans des centres

nationaux différents. À ne pas confondre avec supra-national.

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Par ailleurs, pour Jetvir, jeune homme montréalais très investi dans la pratique de sa

religion, le sikhisme, en Inde, semble s’écarter du droit chemin:

« I think it’s being lost over time and people are not caring as much

as…even the gurdwaras, some of the gurdwaras are like in the worst

condition ever and I think they built such nice buildings and they don’t

take care of it, they’re losing a big….It’s our duty again to go there and,

not just tell, but do it ourselves ».

Dans le même ordre d’idée, il ajoute :

« Right now I see and hear that a lot of people are into drugs back home

[Punjab], almost 70-80%. The young generation is into drugs and I think

as a Sikh it is our duty to go change that. I think only brave people can

step into that problem. I think it is our duty to go and step in and tell them

what is the right way ».

Que la jeunesse punjabie soit effectivement de plus en plus consommatrice de drogues

n'est pas notre propos ici, pas plus que de déterminer qui est un meilleur Sikh. Ce qui

nous intéresse, dans une perspective de coresponsabilité (ou de camaraderie

horizontale; Anderson, 1983), est le sentiment d’attache à des communautés d’outre-

mer et le besoin d’un engagement réciproque pour la bonne santé du « nous » sikh.

Qu'en est-il au point de vue local?

3.3.2 La part du local: l’enracinement religio-institutionnel

Ceci étant dit, qu'y a-t-il de local dans la notion de diaspora? En contexte religieux, le

culte ou l’activité rituelle agit comme force centripète majeure, au même titre que cet

exemple dans le cas de l’Islam:

« It may start with little more than a group which meets regularly to

perform zikr, the rhythmical chanting in unison of the name of Allah. It

may progress to holding monthly gyarvi sharif, ritual meetings in which

sacralised food is cooked and distributed in commemorations of the

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birth/death of Abdul Qadr Jilani, one of the founding saints of South

Asian Sufism. It may gain its own khalifa, vicegerent or deputy,

recognised by the Centre (or miraculously, by God). It may even distribute

langar (sacralised food, freely offered) on a daily, weekly, monthly or

annual basis » (Werbner 2002, p. 124)

Si cet extrait dépeint des communautés musulmanes, le modèle semble calqué sur la

communauté sikhe montréalaise qui s’est d’abord construite autour d’un petit groupe et

d’un premier temple, à Lachine. Plus tard, grâce à l'expansion de l'immigration punjabie

à Montréal, la communauté a donné naissance à différents groupes et temples (voir

chapitre 4). Même si l'activité religieuse en question est le reflet d’un modèle établi et

transnational14

, c'est l'enracinement très local qu'elle génère qui capte l'attention. La

floraison des temples sikhs dans la métropole québécoise en est la preuve. D'ailleurs,

sur l’importance du gurdwara, Ravina s’exprime ainsi:

I don’t know if I would know anything [sur la religion] without this.

When I came here I saw different kind of people and I started to go to the

gurdwara. I learnt a lot. We used to have history classes and punjabi

classes. I learnt to read and write punjabi because of the classes. I learnt

kirtan, history and everything that is to know. Well I don’t know

everything but I learnt a lot on Sikhism I doubt I would know anything »

En lien à cela, le gurdwara attire souvent des gens qui n’avaient pas été socialisés dans

un environnement familial religieux :

« I grew up in a very non-religious family. It was me that started everyone

in my whole family. I started my brother and he started my mother and

then it slowly progressed from there and then, just like Harsimran [sœur

de Ravina, baptisée récemment] she was exposed to the gurdwara and she

was exposed to gurbani and she started learning more about Sikhism and

that’s how it goes. I’m not educated like them but that’s how I was

exposed to it »

14

Particulièrement vrai dans le cas des Sikhs, à cause du Reht-Maradya.

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56

Manjit souligne, comme bien d’autres, que c’est en venant au temple que les gens

renforcent leurs sentiments religieux réciproques. Sans cela, il se pourrait très bien que

la pratique du Sikhisme ne soit pas aussi vigoureuse, opinion largement partagée. J’ai

demandé à plusieurs individus s’ils croyaient que les gens seraient moins pratiquants ou

moins tournés vers le Sikhisme sans les gurdwaras montréalais. Mukhbir me répondait

ainsi:

« Absolutely. Yeah. It’s very important to people here, especially the first

generation. It’s important to them to have this. You wouldn’t have as

many Sikhs if there weren’t gurdwaras. They guide you, they guide you

almost, that’s really what the goal is. [...] it’s not just where you pray, it’s

where you meet people. […] Especially when you don’t know the

language, when you don’t know the outside culture this is kind of a safe

almost. It has a lot more…I don’t want to say power but there’s a sense of

that. It has a lot of impact on people’s lives ».

Les nœuds autonomes et locaux dans le réseau diasporique (Tölölyan 2007) sont

représentés par ces différents temples. Ce sont eux qui permettent la reproduction du

modèle du sikhisme global.J'ai pris soin de débuter par la perspective de

coresponsabilité pour la part de ce lien global dans le phénomène diasporique. Mais ce

sentiment d’attache global n’est pas également partagé. Qui en sont les réels porteurs?

Les quelques propos ci-haut, particulièrement les réflexions de Jetvir au sujet de l'Inde,

m’amènent à exposer une nouvelle direction. Il s'agit de la perception chez les Sikhs

montréalais que le poumon du sikhisme, plutôt que le Punjab, soit la diaspora.

3.3.3 La diaspora comme poumon du sikhisme

Il y a un fort consensus autour de cette idée que le poumon du sikhisme ne soit plus son

foyer d’émergence, le Punjab. À l’international, dont Montréal, les gurdwaras sont

vigoureux et sont très fréquentés. On y éduque les nouvelles générations à la langue

punjabi et à la musique « traditionnelle », en passant par une histoire (mythifiée) de la

religion. Ces mêmes temples suivent de manière assez serrée le Reht-Maryada, le code

de conduite du Khalsa, qui décline tous les préceptes administratifs et religieux. Mes

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répondants attestent, d’ailleurs, que plusieurs immigrants sikhs montréalais s’engagent

dans leur religion avec plus de conviction après avoir fait l’expérience de la

communauté punjabie locale. Amandeep s'est tourné vers le sikhisme après être arrivé

au Canada. Pour lui,

« religion is more accessible here. In gurdwara they teach you kirtan,

classes. Back home you have to explore. Here in one small city you find

all these things, you can find gatka class [art martial sikh], you can find

the kirtan guy, you can find the person who's teaching you how to read.

Back home you have to go to certain places to do it ».

Son frère ajoute à propos de l'Inde: « there are more problems to think about, then you

jump into the religion.You have to resolve so many family problems, society,

education, and then you think about religion ». Un autre argument est lié à la perception

d'une potentielle assimilation si des efforts ne sont pas mis pour perpétuer le sikhisme

en contexte nord-américain. C'est l'interprétation qu'en fait Charanpreet: « here they try

to prevent it because they know if they let their child do the things they want, they

might never come to the religion. There are more teachings, more lessons, more things

organized to follow it here rather than in India ». Parmi ces efforts soutenus figurent les

gurmat camp (Figure 7).

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Figure 7. Horraire d'un gurmat camp tenu à Montréal, Internet,

http://sikhtemplelasalle.blogspot.ca/

Il s'agit de camps éducatifs (langue, histoire, musique), à temps plein, sur une durée

d'une dizaine de jours. Les deux principaux gurdwaras des Montréal les offrent et

réunissent annuellement plusieurs centaines de jeunes sikhs. Laissons deux d'entre eux

nous en informer:

« During the summer we put up a camp for the people who are not

avalaible to come during the school days during the year. This is why we

put every year a camp during two or three weeks. For little kids they

would learn the alphabet like the basis and there would be intermediate

classes where you will learn but not as fluently as the seniors who are

baptised. For the seniors, it would be learning new things in your prayers

»

Pour l'occasion, ajoute son collègue,

« they call people from India or even Toronto. We can invite those big

individuals because they have the experience and the knowledge, the

wisdom, to provide to us and the kids [...] Basically it's the same thing

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[que l'enseignement normal] but in the camp we come more often. In

camp these classes are more effective because they're emphasizing and

you spend more time on it. We usually come at 8 a.m. and leave at 6 p.m.

and we have everything like free time to play soccer or basketball ».

Pour ces raisons, Raminder, en évoquant ses souvenirs du Punjab, affirme que les

gurdwaras suivent plus strictement les prescriptions du code de conduite ici. Il les

préfère au temple de sa région native. Depuis sa jeunesse, affirme-t-il, les choses ont

bien changé dans son village :

« in my village, at my time, I was baptized because they were giving

classes and that's why we were all into baptism. We were like twenty to

thirty guys from my village all baptized. All of them did it on their own,

nobody was forced to do it. But right now if you go there's going to be

hardly five to six Sikhs [baptisés] in the younger generation in my village.

»

Il s'agit pour lui d’une carence en éducation. La dernière fois qu'il est allé au Punjab, il

a demandé à son neveu de dix-huit ans de lui nommer les noms des dix gurus, en vain.

Sur dix jeunes alors présents, seulement un ou deux y arrivèrent, à sa grande surprise et

déception:

« how can you think your people are gonna follow this if you don't know the

names, the basics, the stone, the base of the religion? They don't know. It's

declining at a very fast pace. I have no idea what should be done, what is

going to be done. I have no idea. Even here there is more sikhism. Those

who are in Sikh families, the parents are baptized, they're totally into

sikhism. »

Ces propos réunis nous laissent effectivement croire que le sikhisme est désormais bien

plus en santé en diaspora qu'en Inde. Comme facteurs explicatifs s'ajoutent les

contextes sociopolitiques respectifs qui teintent le niveau de liberté de religion. À ce

sujet, l'opinion est unanime chez mes répondants : l'État indien, depuis sa création en

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1947, mine le sikhisme. Pour Armanjeet, il est certainement plus facile d'être un(e) Sikh

au Canada. Par exemple, ce n'est que tout récemment que le mariage sikh s'est vu donné

une valeur légale, en Inde, avant quoi l'acte de mariage en était un uniquement hindou.

En fait, et Armanjeet se fera ici le porte-parole pour plusieurs,

« to live as a Sikh, in India, is much more difficult because every time the

government, the machinery of the government is going to stop you.

Although they say it's the biggest democracy in the world, it's the biggest

hypocrisy in the world. [...] In India they will handle you in every step,

they're always looking for things to dive the Sikhs and to create some Sant

on the so-called Deras15

just because Sikh as a nation would be too

powerful. »

Dans ces conditions, la politique multiculturelle canadienne apparait rédemptrice par

son insistance sur les droits de la personne et la liberté de religion. Voilà qui conclut la

parenthèse sur l'idée d'un sikhisme perpétué et porté par la diaspora et ses gurdwaras.

Maintenant, est-ce qu’être diasporique implique une manière par excellence, ou plutôt

des manières de faire partie de la diaspora ?

15

Cette interprétation est intéressante et je m'y suis également frotté au Punjab, à l'été 2012,

alors que je résidais chez un dénommé Baljeet. Les dera sont des centres religieux centrés sur

un baba ou un sant. Pour plusieurs Sikhs de tradition Khalsa, les dera sont des institutions

financées par l'État servant discrètement à détourner des fidèles et ainsi les éloigner du

Sikhisme proprement dit. Baljeet s'est intéressé, comme journaliste, à un dera en particulier qui

aurait exproprié nombre d'individus en s'appropriant leurs terres. Par ailleurs, ils auraient détruit

le gurdwara existant. Un jour, Baljeet et son caméraman sont allés sur place filmer les lieux et

les travailleurs. Lorsque ces derniers l'ont aperçu entrain de filmer (j'ai moi-même vu ces

images), certains l'ont pris en chasse. Baljeet a légèrement été agressé et s'est sorti d'affaire avec

ses images intactes. Je ne peux pas corroborer cette hypothèse, mais il semble que pour les

Sikhs du Khalsa, au Punjab, c'est la nouvelle stratégie de l'État, officiellement laïque, mais

hindou de fait, pour miner leur religion et leurs revendications. J'ai également résidé chez un

dénommé Upkar qui me disait ne plus fréquenter les temples parce qu'ils sont devenus

largement contrôlés par des babas corrompus. À chaque temple que j'ai visité avec lui, Upkar

me disait : « ce n'est pas un vrai gurdwara ».

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61

3.3.4 Incorporations de la diaspora : pratique religieuse et

citoyenneté

Pour revenir à mon propos initial, dans la lunette de Werbner et de la coresponsabilité,

l’adjectif diasporique est multidirectionnel. Cela signifie qu'on est diasporique par foi et

par pratique religieuse, comme on peut être diasporique par engagement politique, à

l’image des Khalistanis ou des membres d'organisations ethno-nationalistes à portée

globale comme World Sikh Organization. Gurbaj Singh Multani, jeune Sikh au centre

de la récente saga du kirpan (Karmis 2006), au Québec, s’est investi comme

représentant québécois de cette organisation. Comme personnalité publique, à son insu,

cette tâche lui était toute indiquée. Aujourd’hui, c'est Mukhbir, jeune étudiant

universitaire sikh né en sol montréalais, qui prend charge des relations publiques et des

sorties dans les médias québécois. Il est également investit auprès de World Sikh

Organization. Tout récemment, en juin 2013, il a fait la manchette concernant

l’interdiction par la fédération de Soccer du Québec du port du turban pendant les

matchs16

. Il comptait également parmi les quelques Sikhs qui se sont vu refuser l’entrée

à l’Assemblée Nationale du Québec dû au port du kirpan, en 2008, pour aller discuter

d’un potentiel bannissement du niqab :

« even before we could go in we weren’t allowed in and it’s a terrible

feeling. Cause when you’re born in Quebec you’re hoping that you can go

to the National Assembly, it’s terrible to be excluded. […] It should be

more of a right to go to the National Assembly or Ottawa parliament,

more of a right than a privilege you know. That’s how I look at it. It blew

up for some reasons like the cameras were there and they just picked up

on it. It wasn’t like a political message or anything. »

Comme le mentionne Dufoix,

« la distinction entre nationalité et citoyenneté est ici importante. […] Le

politique est réservé aux nationaux et le territoire est réservé à a seule

16

SIOUI M-M., 2013, « Pas turbans sur les terrains de soccer québécois ». Consulté sur internet

(http://www.lapresse.ca/sports/soccer/201306/02/01-4656877-pas-de-turban-sur-les-terrains-de-

soccer-quebecois.php), le 3 juin 2013.

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62

politique nationale. L’évolution historique de la citoyenneté montre que

ces deux logiques ont récemment été remises en cause, par la mise en

place de la citoyenneté […], mais aussi par l’officialisation de politiques

multiculturelles ouvrant la voie à des définitions plus ouvertes de la

nation. » (Dufoix 2011, p. 511)

En ce sens, sur le plan local, une diaspora investit normalement l’espace public. Elle

réitère son statut en le démontrant, raison de plus pour laquelle elle ne surplombe pas

l’État, mais plutôt, l’occupe. Parlant des religions transnationales, Van Der Veer (2002)

suggère que leur arrivée dans différents contextes d'accueil migratoires ne force pas un

repli sur soi, un conservatisme, comme il est souvent affirmé. Plusieurs membres des

diasporas religieuses, comme Gurbaj et Mukhbir, adoptent au contraire des stratégies

pour minimiser les zones-chocs et réussir à s’ancrer dans leur milieu national. Une

chose est certaine, toutes ces formules (l’investissement religieux, ou l’investissement

citoyen et politique) passent par l’incorporation très réelle de sa pratique : « what makes

these diasporas into communities is categorically not their unity. Like sufi cults, people

buy into their diaspora in quite different, materially embodied ways » (Werbner 2002,

p.125). Néanmoins, Werbner ne parle pas de la diaspora au pluriel (les diasporas sikhes,

par exemple), mais bien de la pluralité expérientielle de la diaspora, celle à l’intérieur

de laquelle l’un(e) vit.

En somme, cette section sur le lieu de la diaspora était nécessaire pour contrer l’attrait

de la notion dans une perspective totalement désancrée et supranationale, et surtout,

positivement connotée comme antithèse de l’État-Nation, comme incarnation d'un

monde désormais globalisé et résolument pluriel. À l’inverse, on ne peut non plus la

résumer à un groupe d’intérêt, ou une minorité, au sein de l’État. Elle est à la fois l’un

et l’autre. La perspective de coresponsabilité nous aide à saisir cette double réalité

imbriquée. Pour l'ancrer dans l'empirie, il a été question des devoirs ressentis des

membres de la diaspora sikhe envers leurs confrères et consœurs punjabi(e)s, à leurs

yeux moins bien outillés et sous-investis dans le sikhisme. Cela sous-entend un mieux-

vivre sikh, ici même. La contrepartie locale de la coresponsabilité globale se lit donc

dans l’enracinement et la floraison des communautés sikhes, ainsi que leurs lieux de

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cultes respectifs, qui nourrissent le « nous » transnational. Mais il s’agit aussi de se

tailler une place dans l’espace public, ce dans quoi la diaspora sikhe s’investit à l’aide

de représentants dans des organisations pancanadiennes ou internationales comme

World Sikh Organization.

Ce n'est pas tout. La prochaine section distingue deux perspectives de diaspora, centrée

et décentrée. Mon penchant pour la seconde perspective sera mis en relief à l'aide de

deux réflexions, l'une concernant les désaccords sur la question Khalistani et l'autre sur

les différentes interprétations du Punjab comme « mère patrie ». Pour cela, il faut

d'abord revenir sur des éléments de théories en présentant ces deux perspectives et les

auteurs qui les incarnent.

3.4 Au cœur de diaspora : efforts classificatoires et perspectives

(dé)centrées

Certains auteurs, en revue du champ d’études sur la diaspora, ont tâché de schématiser

les différentes approches au concept. Les propositions bien connues sont au nombre de

trois. Notons d’abord Vertovec (2000) avec son schéma en trois temps :

1) diaspora comme formation sociale

2) diaspora comme conscience

3) diaspora comme lieu de production culturelle.

S’en suit le schéma en deux temps de Anthias (1998) :

1) diaspora comme outil typologique

2) diaspora comme condition d’existence.

Finalement, Dufoix ramasse l’ensemble du champ d’études sur la diaspora entre

1) les approches centrées et

2) les approches décentrées.

Ce dernier schéma est certainement le plus surplombant :

« La principale originalité du succès contemporain de diaspora réside dans

la coexistence de deux acceptations principales totalement antagonistes :

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l’une dite centrée, ou encore moderne, envisageant la diaspora sous l’angle

de la continuité, obligatoirement liée à un territoire, souvent celui d’un

État, dans le rêve d’un retour à venir ou tout au moins d’une relation

privilégiée entre les deux entités; l’autre, dite décentrée, ou encore post-

moderne, envisageant la diaspora sous l’angle de la discontinuité et de

l’hybridation, plus culturelle que politique, où la référence à une origine est

toujours une (re)création, une (ré)invention et non la trace d’une essence ou

d’une identité fixe. » (Dufoix 2011, p. 34)

3.4.1 Perspective centrée: les pionniers d'une notion

Dans la première catégorie se classent les deux pionniers du champ d’études sur la

diaspora soit Gabriel Sheffer (1986; 2003) et Robin Cohen (1997). Ce dernier, dans son

schéma typologique des diasporas, range les Sikh dans « diasporas and their

homeland ». Dans le chapitre qu’il consacre à l’origine de la diaspora sikhe, il affirme

que ses fondements s’ancrent dans les violents affronts de 1919 et 1984, à Amritsar,

suite auxquels la conscience ethno-nationaliste sikhe se serait forgée. C’est à la

répression britannique et indienne que les Sikhs doivent leur candidature à l’appellation

diaspora. Sokëfëld se range aux côtés de Cohen; il traite de la diaspora comme entité

mobilisée autour d'un projet politique face à des évènements déclencheurs. Ce projet est

facilité par les opportunités politiques, les structures de mobilisations et les pratiques

d'encadrement (« framing »). Le premier se lit dans la nature du contexte politique local

(ex : multiculturalisme politique). Le second renvoie aux structures propres à la

diaspora, formelles ou non: « in the Sikh diaspora, transnationally organized

associations like the World Sikh Organisation, the Sikh Youth Federation and local

gurdwaras produce and reproduce the discourse of the Sikh nation » (Ibid, p. 275).

Finalement, le troisième élément répond à la normalisation des membres de la diaspora

par les grands discours dominants (Khalsa et Khalistan). Cohen et Sokëfëld sont

uniquement préoccupés par la dimension politique de la diaspora ainsi que par la

centralité du lieu d'origine. Mais le porte-parole par excellence de la perspective centrée

demeure William Safran (1991) avec ses six critères de qualification pour appartenir à

la catégorie diaspora:

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1) Dispersion contemporaine, ou ancienne, à partir d’un centre, vers au moins deux

destinations

2) Mémoire collective autour du lieu d’origine

3) Perception d’une impossible acceptation dans la société d’accueil

4) Maintien du lieu d’origine comme objectif de retour

5) Engagement collectif dans la perpétuation ou restauration de ce centre

6) Maintien de relations, individuelles ou collectives, avec des individus en ce

centre

La tâche du chercheur devient simple: confirmer ou infirmer ces critères,

empiriquement, dans le cas d’une formation sociale donnée17

. La perspective centrée

équivaut donc à la « diaspora comme formation sociale » (Vertovec 2000) et comme

« outil typologique » (Anthias 1998). C'est-à-dire que l'on classe des groupes (l'idée de

groupe pose déjà problème, voir chapitre suivant), en type de diasporas.

En 1999, dans la foulé de l’ouvrage de Cohen, Darshan Singh Tatla signe The Sikh

diaspora : the search for statehood: « the dynamics of overseas Sikhs’ ties to Punjab

and to Indian polity, the Sikh diaspora’s support for a Sikh homeland, and its role in

international arena post 1984, all form the subject of this book » (Singh Tatla 1999, p.

8). Plus loin:

« if the diaspora grows out of a painful propulsion or separation of people

from their homeland, Sikh migrant communities obviously fail to meet

this essential criterion, but this needs to be qualified for the post-1984

migrants who were forced to abandon their homes due to the political

situation in the Punjab. However, on an alternative definition, which

emphasizes migrants’ relationships with their homeland, overseas Sikhs

constitute a diaspora. And as will be seen later, in many ways the Sikh

diaspora is a microcosm of the Punjab’s Sikh society. » (Singh Tatla 1999,

p. 62)

17

Pour une analyse nuancée de cette perspective qui fait le « test » de diaspora sur le cas tibétain, voir

Dibyesh, 2003.

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Remarquons la tentative de répondre aux critères établis par Safran et Cohen, puis

l’essentialisation de la relation entre le Punjab et la diaspora. Tatla, à tout de moins,

nuance son propos. En conclusion, après avoir traité extensivement des organisations

sikhes d’outre-mer et leur implication dans le mouvement ethnonationaliste Khalistani,

voire sa création, l’auteur suggère que ce projet demeure néanmoins porté par une

frange de la diaspora sikhe. Trop peu trop tard, sa démonstration est largement centrée

sur les grandes orientations politiques et sur les organisations qui font la promotion

d’un lien étroit au « homeland » et au mouvement Khalistani. Qu'en est-il du reste?

3.4.1.2 Digression sur la question Khalistan

Dès le départ, je n'entendais pas traiter du mouvement nationaliste sikh. À vrai dire,

j’évitais d’y consacrer du temps en entrevue. Il s'est néanmoins avéré incontournable

pour mieux répondre à ma question de recherche. En réalité, puisque sa vigueur,

entretenue par une frange de la communauté montréalaise, stimule chez d’autres une

certaine rancœur, il alimente mon objectif, c'est-à-dire mettre en relief les relations

internes à la diaspora avant de poser le concept comme matrice unificatrice dans une

perspective centrée. C’est donc ce ressentiment, partagé par certains, que j’exposerai

brièvement ici. Le premier constat qui me vient à la suite des entretiens est le suivant: la

vigueur nationaliste provient d’outre-mer plus que du Punjab. Kuldeep, par exemple,

est un jeune étudiant récemment immigré à Montréal et dont le cœur et la tête sont au

Punjab, avec sa famille. Telle est sa réflexion sur le sujet:

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« I got to know about

this thing more when I

came here. One of my

uncle was so involved

in this kind of

activities, he’s also a

good activist in the X

gurdwara. In the

Nagar Kirtan18

there

was a truck of

Khalistan (Figure 8),

he was the driver of

that truck [rires]. […]

Refugees here they say

that they should have their own country, Khalistan. Sometimes we think

that we should have it. What’s gonna happen at that moment? Khalistan is

a good idea but not that much. […] There would be more problems. If you

make Khalistan then again there would be a situation like in 47 [partition

de l'Inde et du Pakistan], I think. When they made Pakistan, people from

all over India were going towards that and people were killed. It will be

similar if we make Punjab a country. All over Punjab you gonna screw

people »

Abhijeet partage un profil semblable à Kuldeep. Il poursuit des études à l’Université

Concordia depuis seulement quelques années, avant quoi il vivait au Punjab. Les

gurdwaras montréalais et nord-américains lui paraissent beaucoup plus orientés sur le

projet Khalistan que les gurdwaras de son Punjab natal: « they want to be Khalistani

but over there it’s no longer this important. To be a Khalistani is to be extremist ».

18

Parade annuelle pour commémorer la naissance du Khalsa. En mai 2013, on célébrait le 313ième

anniversaire du Khalsa, qui a vu le jour en 1699 sous Gobing Singh.

Figure 8. Camion décoré d'affiches et slogans décriant

la situation sikh au Punjab

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Baljeet partage cette opinion, et surtout, cela le gêne que des immigrants de longue date

suggèrent à leurs confrères et consœurs punjabis la manière d’orienter leur vie :

« What’s the use of talking here after 25-30 years? If you want to do it, if

you really think you are that kind of Sikh, go there and live a life that

people over there are living. If you want to view some changes over there

go and fight for that cause. Don’t talk over here and live a lazy life and

say « ok you people should do it like that over there »».

Selon ses dires, la création d’un État sikh indépendant n’aurait pas l’effet escompté.

Les facteurs à considérer sont de plusieurs ordres:

« Even if there’s a country named Khalistan, what will they do? How are

they going to manage the resources? You need an army. They only have

agriculture and they won’t survive with only agriculture. There should be

good relations with other countries because you’re importing and

exporting stuff. They don’t have any industry, they don’t have that kind of

thinking of professionalism in them ».

Ces opinions sont partagées par des jeunes adultes dont la majorité de la vie s’est

déroulée au Punjab, mais elles trouvent écho chez d'autres. M. Singh, pionnier de la

communauté sikhe montréalaise, ne s’entend pas avec ses confrères Khalistanis du

temple X:

« those people don’t understand. I explained to them that Punjab is

sandwiched between India and Pakistan. It’s a landlocked area and you

will have to depend on the good will of your neighbors to survive. And I

also said : « you know India is not going to be kind to you because you

broken away and Pakistan had this agenda of bringing India down so they

will create difficulties to infiltrate you ». I gave them the example of

Nepal. On one side there’s China and the other there’s China and they

have very limited flexibility. They don’t understand the geo-political

dimensions and I say to them the entire Punjab is only grain. Where are

they going to sell grain? India? They may not buy it so then what will they

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do? So be realistic, but they think I am « anti » because of the arguments

I’m presenting. Separating a country in two parts is not a child play, it has

tremendous impact on everybody’s lives and they don’t understand that ».

À la lumière de ces propos, la perspective centrée ne nous permet pas, ou peu, de

prendre en considération ces divergences d’opinions. On s’arrêtera peut-être à dire que

le mouvement Khalistani n’est pas celui d’une communauté entière, comme Singh

Tatla. Ce constat représente pourtant la prémisse analytique d'une réflexion en

profondeur des questions diasporiques, notamment au sujet des disjonctions internes sur

le plan de l'identité (chapitre suivant) et, pour ce qui nous intéresse maintenant, sur la

nature du lieu d'origine. La perspective décentrée est plus encline à traiter sérieusement

ces questions.

3.5 Perspective décentrée

La perspective décentrée vient porter une critique à l’essentialisation du « homeland »

par les auteurs présentés plus haut. De ce côté, on développe une conception moins

rigide de la notion de diaspora, plus hybride, selon laquelle l’autorité académique

voulant déterminer lesquelles des collectivités dispersées se qualifient pour

l’appellation diaspora est à bannir. Plusieurs noms et ouvragent promeuvent cette vision

dite post-structurale ou post-moderne19

. La « diaspora comme type de conscience »

(Vertovec 2000), comme « lieu de production culturelle » (Werbner 2000; Vertovec

2000), et plus largement comme « condition d’existence » (Anthias 1998) se rangent

tous davantage de cette perspective.

3.5.1 Type de conscience et production culturelle

Sous cette lunette, la plus fertile à mon avis, on considère les représentations et

symboles comme tisseurs de liens, générant un imaginaire collectif (Appadurai 1996) -

diasporique (Axel 2002) -). Autrement dit, il ne faut pas d'abord faire le postulat de la

collectivité, mais questionner les processus qui la créent et la reconduisent. Dans cette

19

Brah A. (1996); Hall S. (1994); Clifford (1994); Appadurai (1996), entre autres.

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lunette, la conscience - ou l'imaginaire - diasporique nourrit la diaspora comme

formation sociale, son produit.

Brian Keith Axel a remis en question l’importance antérieurement accordée au lieu

d’origine comme clé analytique de la diaspora. Il remplace cette conception

géographique et passéiste (centre-périphérie) par une conception temporelle (présent

diasporique). Pour l'auteur, la violence engendrée par l’État indien dans les dernières

décennies, ciblant les Sikhs, est productrice de sujets sikhs particuliers. Les martyrs et

leurs représentations artistiques occupent un rôle prépondérant dans la création et le

maintient d’un imaginaire diasporique (Figure 9). À cela, ajoutons toutes formes de

représentations artistiques

des gurus, des évènements

historiques majeurs et des

combats célèbres. La

consommation de ces

représentations à l’échelle

globale du panth agit comme

catalyseur de l’imaginaire

diasporique, imaginaire

constamment réitéré par le

rôle de l’image comme

substitut à la réalité vécue

(Axel 2002, p. 422; 2001).

L’imaginaire diasporique

n’est donc jamais à écarter de la production culturelle de la diaspora, thème traité par

Werbner (2000). Les subjectivités issues du travail de représentation visuelle ou

matérielle de la diaspora (DVD, journaux, œuvres littéraires, sites web, etc.) émergent

en relation avec le discours hégémonique de la diaspora (Khalsa). En ce sens, la

représentation ne se contente pas de représenter, elle forge, synchroniquement, ce

discours dominant. Comment passe-t-on des représentations aux politiques de la

Figure 9. Oeuvre qui dépeind le martyre d'un Sikh,

Gurdwara Y

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71

diaspora? Le glissement s'opère intuitivement, à travers l'incorporation qui, elle,

détermine l'action et la pratique.

Dans le cas des Sikhs, l'importante quantité de DVD (films de fiction ou prédicateurs)

et journaux en provenance de Toronto, ou d’Inde, ainsi que les chaînes de télévision en

direct du Punjab, ont un effet performatif, et ce, en étroite relation avec le discours

pédagogique et politique du Khalsa. Dans tous les gurdwaras que j’ai moi-même

visités, l'iconographie matérielle et artistique est omniprésent et conforme. Aux temples

X et Y de Montréal, les murs du langar (cuisines collectives) sont tapissés de tableaux

qui retracent l’histoire du sikhisme toute entière. Évidemment, les gurus y occupent une

place prépondérante, aux côtés des évènements contemporains tels que l’Opération

Blue Star. Par ailleurs, au sujet des journaux ethniques, Raymond Breton (1969)

s’exprimait ainsi :

« Newspapers have a role in promoting national ideology and keeping

alive the national symbols and values, national heroes, and their historical

achievements. Moreover, they interpret many of the events occurring in

the country of adoption in terms of the survival or interests of the ethnic

community. It is the very business of the national periodical or newspaper

to be concerned with the events and personalities of the ethnic group »

(Breton 1969, p. 201).

Dans cette optique, le temple X produit annuellement un calendrier destiné à sa

communauté. Chaque année y est développée une thématique particulière. L’édition de

2009 retrace l’histoire de chacun des gurus, de plusieurs autres grands personnages leur

étant contemporains et de leurs apports respectifs dans la composition des Écrits Sacrés.

Mais l’édition 2012 capte davantage l'attention. Elle se concentre sur les grandes

tragédies qui ont marqué l’histoire du sikhisme, en particulier la répression continue des

Sikhs par différents pouvoirs. Sur une page apparaissent deux grandes photos (Figure

10), l’une de Jarnail Singh Bindhrawale, figure de la résistance sikhe au Punjab, et

l’autre du Akal Takht (siège politique sikh qui fait face au temple d'or). Sous cette

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dernière on lit: « Planned attacks by the Indian government on Akal Takht and

Harimander Sahib complex. 6 june 1984 ». Puis vers la toute fin apparait une autre

page choc où figurent deux images (Figure 11). L’une met en scène un Sikh brûlé

vivant, dans la rue, en Inde, et l'autre témoigne d’un Sikh violenté par plusieurs

individus, en Inde également.

Figure 10. Bhindrawale, leader du mouvement Khalistani dans les années quatre-vingt, et le Akal

Takht, siège politique du sikhisme. Calendrier gurdwara X.

Figure 11. Assauts contre les Sikhs dans les années quatre-vingt, Calendrier gurdwara X.

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73

Pour Axel, ce ne sont pas les évènements à proprement parler qui forgent la conscience

diasporique, mais bien le support représentationnel qui les véhicule et qui reconstruit

toujours au présent ce « type de conscience » (Vertovec 2000). Au-delà des discours,

chacune des représentations imagées ancrent toujours un peu plus la réalité du propos.

En somme, « in established diaspora communities, representational regimes are

produced dialectically by diasporic elites composed of artists, intellectuals, clergyman,

and wealthy philanthropists » (Werbner 2000, p. 16). Il importe surtout de retenir la

centralité de la production culturelle comme mode de socialisation et d'incorporation de

la diaspora, en échange continuel avec la conscience qu'elle forge ou de laquelle elle

émerge ; leur potentiel se développe en relation. Plus encore, cet particularité matérielle

et discursive laisse peu de place à un contre-discours. J'entends par là, dans le cas des

Sikhs, qu'il ne semble pas y avoir de questionnements autour de ces tragédies et bribes

d'histoire. Que l’on soit beaucoup ou peu pratiquant, fréquentant beaucoup ou très peu

les temples, on adhère en large majorité à ces récits, en plus de porter un grand respect

aux martyrs, qu’ils soient contemporains ou anciens :

« Those people were martyrs because they gave their life away for their

own religion or someone else’s religion because the government of that

time was oppressing them. If you make the parallel with today’s

government, the Mughals were the same. I don’t think there are much

difference cause at that time, the authority was oppressing and this is what

our kirpan stands for. That’s what gurus had taken oath to defend, they

fought for justice and that’s exactly what the Sikhs in 1984 did »

(Harsimran)

Pour Harpreet, le sikhisme origine du sacrifice, il est primordial. Les dix gurus ont

appris aux Sikhs à lutter contre l'injustice. Pour Pritpal, les martyrs sont morts au nom

de leur foi, et guère pour l'argent ou la vanité. Ils sont morts pour défendre des

principes d'humilité et de protection de l'autre. Si on regarde derrière, poursuit-il,

chaque martyr est décédé pour autrui, pour la protection de ses droits. Parmi mes

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répondants Navdeep semble être l'un des seuls à garder une réserve sur l'appellation «

martyr » dans les cas des évènements de 1984:

« when they call martyrs during 1984, that does not insight, what insights

me more is the martyrdom of Gurus. Guru Thegh bahadur, he went there

for saving kashmiri people, a group of hindu people. He went there to

sacrifice his life for that community. [...] But people over here, I feel they

more point it out to recent events, to these people. As you've seen in the

langar hall, they got pictures »

En rétrospective, la dispersion passée à partir d'un lieu d'origine comme élément

producteur de la diaspora est en perte de vitesse (centre-périphérie). L’inverse est plus

réaliste : à travers des procédés, la diaspora se forge, au présent, un imaginaire

diasporique autour d'évènements qui concerne le lieu d'origine. Attardons-nous

maintenant à voir ce que cette mère patrie évoque chez les Sikhs de Montréal en

fonction de certaines variables comme le lieu de socialisation et la vague migratoire.

3.5.2 Une mère patrie commune?

Toujours dans une perspective décentrée de la notion de diaspora, gardons ceci à

l’esprit : « memories of home are no factual reproductions of a fixed past. Rather, they

are fluid reconstructions set against the backdrop of the remembering subject's current

positioning and conceptualizations of home » (Stock, dans Knott et Mcloughlin 2010,

p. 24). Approchée sous cet angle, la mère patrie ne peut être conçue qu'en autant de

manières qu’il existe de sujets sikhs en diaspora. Peut-être n’a-t-elle même aucune

importance pour certains: « the South Asian diaspora - which […] is not so much

oriented to roots in a specific place and a desire for return as around an ability to

recreate a culture in diverse locations - falls outside the strict definition » (Clifford

1994, p. 306). Stock et Clifford ouvrent la porte, entre autres, à une analyse sur l’axe

vertical des générations. Les plus jeunes d’entre-elles, les deuxièmes et troisièmes, sont

les héritières des mémoires diasporiques qui sont dites et redites, réappropriées et

réinterprétées à la lumière de l’ici et maintenant (Stock, dans Knott et Mcloughlin 2010,

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p. 27). À cet effet, Tölölyan suggère le « re-turn », au lieu du « return ». L’auteur

exprime ainsi cette idée que le retour physique et définitif à la mère patrie n’est que peu

désiré, la plupart du temps. Toutefois, les membres de diasporas gravitent constamment

autour d’elle de manière symbolique et physique (Tölölyan 1996, p. 14). On y retourne

pour visiter la famille, ou pour cause de pèlerinage, au même titre que l'on éduque les

jeunes Sikhs montréalais sur le Punjab de leurs parents. Dans la contingence historique

actuelle, ce lien est de plus en plus accentué par les médias (Appadurai 1996).

Pour Appadurai, la médiation de masse qui met entre parenthèses l’espace qui sépare

les « communautés de sentiments » est un phénomène récent. Il contribue à nourrir un

imaginaire collectif dans lequel les possibilités sont multiples (Appadurai 1996, p. 6).

D'ailleurs, selon mon échantillon, le Punjab a des échos diverses; on constate

d'importantes variations selon la vague migratoire et la génération.

Je suggérais dans le premier chapitre, à l'image de Van Hear (1998; 2010 dans Stock &

Mclgouhlin) que les différentes vagues migratoires sikhes ne portent pas en elles les

mêmes sujets. Au gré de la collecte de données, mon échantillon s’est scindé en deux

réseaux. Le premier est constitué d’adolescents et jeunes adultes qui ont

majoritairement vu le jour à Montréal, ou y sont arrivés en bas âge, et qui fréquentent le

temple X, dont les parents semblent avoir migré dans les années quatre-vingts. L’autre

réseau, développé avec l’aide précieuse d’un répondant et ami, comprend plutôt des

étudiants récemment immigrés du Punjab. Pour la plupart d’entre eux et elles, l’avenir

est encore incertain. Le Punjab comme lieu de vie demeure une option désirable,

surtout pour ceux et celles dont la famille y est encore.

Dans le premier cas, le symbole qu'est le Punjab n’a pas la même résonance chez les

jeunes que chez leurs parents, notamment lorsque la génération née en sol montréalais

en fait l’expérience réelle. Pendant leur éducation, particulièrement au temple, on

associe le Punjab aux exploits ou au martyr de leurs gurus, à la persécution des leurs et

aux célèbres gurdwaras, lieux de hauts faits historiques. On lui attribue un caractère

hautement spirituel et c’est cette image que les jeunes mettent dans leur baluchon, en

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route vers leurs origines. Pour plusieurs, dirais-je, c’est un choc culturel, une

expérience qui laisse un goût amer. Le Punjab qu'ils se sont mentalement construit est

profondément religieux; le sikhisme y est à son état le plus pur. Alors, tout ce qui est

périphérique au sikhisme à proprement dit leur apparait dissonant. Pour certaines jeunes

filles, par exemple, l’interdit de sortir seules du domicile est perçu comme rétrograde et

machiste :

« Je déteste y aller en fait. Comme fille, je n’ai pas le droit de sortir de

chez nous, pas le droit parce que je suis canadienne. Je reste chez moi ou,

si je sors, c’est avec la famille. Je ne peux même pas faire le tour du bloc.

Quand on va au temple, c’est moi et ma mère, si on pose une question,

personne ne vient nous parler parce qu’il n’y a pas un homme avec nous.

Je déteste y aller »

Ravina a également fait l’expérience de ces restrictions et elle en retire de bien mauvais

souvenirs. Alors qu’elle résidait au village, chez sa famille élargie, son petit cousin ne

la laissait pas sortir de la maison seule sous prétexte que tous les hommes allaient la

regarder. Il refusait de l’accompagner. Elle était outrée de telles restrictions et s’entêtait

à vouloir se promener au village comme bon lui semblait. Comme bien d’autres, elle

rationalise la situation:

« the thing that makes the whole contradiction is culture cause religion is

completely different and then culture is completely different and when

you put them together…that’s how it is. Culture is so important and it’s so

intertwined in the religion, sometimes you can’t tell them apart but it’s

mostly culture. Even in gurdwara and everything it’s mostly like the

Indian culture. That’s how it is like women roles, you can’t do this you

can’t do that, it’s always been like that »

Pour ces jeunes adultes et adolescent(e)s, donc, l’importance accordée au Punjab est

d’ordre religieux et symbolique :

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« For me, the most important would be the religious side of things. I think

all those gurdwaras, all that history that took place over there and to

actually go there and see that this is the exact place, the exact ground that

like my gurus stood upon, it kinda gives you shivers. You can’t do

anything but value that. I don’t think there’s anyone, even someone that

doesn’t practice, knows how much value this has right? I think that’s

Punjab. But on another level, Punjab on a political level is kinda

something I don’t really want to be associated with » (Harsimran)

Non seulement sur le plan politique, son amie Tanvir rétorque-t-elle, mais également

social. Elle ajoute que la jeune génération, à l’image de ce que Jetvir suggérait plus

haut, plonge dans la drogue. S'y comparant, elle est soulagée de résider au Canada et

d’y être née. Elle adore aller visiter, mais elle est d’autant plus heureuse d’avoir été

éduquée au « sikhi » ici. Même que l’éloignement du Punjab semble le rendre plus

spécial, comme si la perspective équivalait à un gain en importance : « you appreciate it

more. Our history we have to look for it, to work for it but in Punjab […] they’re like

« okay whatever… » ».

En allant à la rencontre de sa famille, au Punjab, Harsimran a connu des déceptions.

Considérant que c’est là où le « sikhi » a germé, le voyage promettait quelque chose de

grandiose. Pourtant, en entendant des prières qui sont diffusées haut et fort dans les

villages au petit matin, les gens continuent de dormir et n’y accordent qu’une mince

importance. Harsimran aurait cru à un « sikhi » plus vigoureux: « I expected everyone

was gonna be like so much more religious and like it was gonna be that amazing

motivational and inspirational journey that I was gonna have there but it kinda wasn’t

right. It kinda sucked not to see that, what I expected ».

Fort heureusement, pour combler ses attentes, elle pouvait encore se rabattre sur les

nombreux gurdwaras historiques et lieux saints. C’est à ces endroits qu’Harsimran s’est

trouvé la plus engagée au niveau émotionnel. À chaque endroit, elle se répétait que

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Guru Ji y avait probablement posé les pieds. Elle ajoute: « this is where we derive

from, this is our origins and it was kinda surreal thing for me ».

Tous n’en reviennent pas amers. Certains ont un tel attachement à la valeur spirituelle

du Punjab que le reste n’importe que très peu. Tout récemment, l’un des jeunes garçons

du groupe y a fait un séjour de plusieurs semaines. Dans une conversation très

informelle sur internet, je le questionnai sur son appréciation du voyage. Il me répondit

avec aplomb: « OMG [oh my God], AMAZING! ». Son identification aux lieux saints,

particulièrement Amristar et le temple d’or, est palpable. À son retour, il a modifié son

image de profil Facebook pour la suivante (Figure 12) :

Figure 12. Jeune sikh montréalais visitant le temple d'or, Punjab

Cette autoreprésentation n’est pas anodine. Elle témoigne d’un sentiment

d’appartenance, il va sans dire, mais également d’une mise en scène qui va dans le sens

des « origines ». Ce n’est pas là son vêtement quotidien, mais plutôt celui d’un jeune

Sikh qui se laisse aller au jeu du local, ou à sa propre projection du local, pourrait-on

argumenter. Dans le mémoire de maîtrise qu'il consacre à la négociation ethnique et

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identitaire en ligne, Mathieu Poulin-Lamarre aborde, entres autres, la relation entre les

Hmongs de Chine et les Hmongs américains, issus de la diaspora, par l'entremise de la

production culturelle des seconds. Pour lui, les Hmongs en sol américain véhiculent

dans leurs productions une vision particulière, mythifiée et essentialiste, de ce que

devrait être un Hmong sur sa terre natale. À vrai dire,

« le même genre d’images dépeignant un homeland empreint de nostalgie

rythmé par la vie bucolique des villages revient systématiquement. La

Chine, considérée comme la terre originelle du peuple Hmong, est érigée

en mythe […] renfermant une essence cachée. […] Le traitement du

homeland par les vidéos américains […] est néanmoins indiscutablement

ancré dans un imaginaire qui est celui de la diaspora américaine, avec ses

propres représentations, du sujet Hmong, ses propres codes, idiomes et

conventions » (Poulin-Lamarre 2012, p.110-111).

L’image du jeune sikh, ci-haut, témoigne en effet d’un désir d’authenticité et suggère

son idéalisation du vrai sikh sur sa terre « originelle ». D’autant plus intéressant ici, ce

n'est pas de cette manière que se dépeindrait la seconde portion de mon échantillon,

celle constituée de jeunes étudiants récemment arrivés au Canada, à partir du Punjab.

Je n'entends pas par là que le Punjab est dépourvu de toute valeur religieuse pour ces

derniers, mais que la connotation hautement sacrée et symbolique entretenue dans le

premier groupe n’est pas au rendez-vous.

Pour Amandeep, « it’s not religion wise, it’s more about being connected there cause

my childhood was there, few family members are there. I mean you’re always happy

when you see your own people ». L'approche est plus pragmatique, bien qu’ils

reconnaissent tous une attache émotionnelle à leur lieu d’origine. Mais cette attache

semble plus relationnelle et sociale: « I have many friends there, I have been brought up

from my childhood, I’ve studied in schools there so I definitely like to go over there

and stay with the people » (Jatinder). Je demande alors à Jatinder si l’importance qu’il

accorde au Punjab est d’ordre religieux, avec pour réponse un « no » expéditif. Pour

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Navdeep, l'unique élément d’ordre religieux qui lui manque du Punjab consiste à aller

visiter le complexe du temple d’or : « I miss that feeling, sitting there, sometimes I miss

that. But other than that… ». Pourtant, Navdeep se dit très émotionnel quand il s’agit

du Punjab. D’ailleurs, quand l’occasion se présente, il se voit mal résister à l’idée d’y

aller. Dans les cinq à six dernières années, Navdeep a fait le voyage annuellement.

Dans ses termes, « I feel very emotional about the place. When someone is talking

about Punjab, what’s happening in Punjab, what’s going on, politics and people and

society, my village and the city where I grew up, my friends…. ». Pour lui, donc, et

sans surprises, ce ne sont pas les images d'Épinal transmises par la communauté

diasporique de longue date qui dominent, mais l'expérience personnelle et directe.

En somme, le Punjab est interprétable et interprété de diverses façons en fonction de la

position que l'on occupe au sein de la diaspora sikhe montréalaise. La perspective

décentrée de la notion de diaspora permet de mettre en évidence ces réalités et, du coup,

de diversifier l'analyse d'une diaspora en évitant de la réduire à la seule dispersion à

partir d'un centre qui agirait, métaphoriquement, comme un aimant.

Si l'on récapitule, le terme diaspora, trop ancien pour espérer lui trouver une origine qui

puisse capturer parfaitement les réalités multiples d’aujourd’hui, n’a jamais été

monosémique. William Safran et Robin Cohen ont proposé ce que Dufoix nomme le

modèle centré de la diaspora : différents groupes sociaux transnationaux qui respectent

des critères stricts, notamment celui d’un lien (politique ou sentimental) très fort à une

« mère patrie ». On peut effectivement aborder la diaspora sikhe montréalaise par le

mouvement Khalistani, porté par une frange de la communauté, et il n'est pas faux de

suggérer que le Punjab occupe une importance notable dans le quotidien de ces gens.

Mais ces approches ne suffisent pas pour deux raisons. Premièrement, il faut traiter des

processus qui mènent certains Sikhs à s'identifier au Punjab, plutôt que placer le Punjab

comme producteur de la diaspora (proposition inversée). À cet égard, il a été question

de la production culturelle de la diaspora et des représentations de l'histoire sikhe,

notamment dans les temples, dont l'effet est la construction d'un imaginaire et d'une

conscience diasporique. Deuxièmement, en lien à cela, il ne faudrait pas croire la nature

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et l'intensité du lien à la mère patrie sont également partagées par les membres de la

diaspora. Pour vérifier cet argument, j'ai mis en relief deux principales approches à la

mère patrie : le Punjab symbolique et mythifié des jeunes Sikhs nés en sol montréalais

(construction mentale liée à leur éducation), et le Punjab rappelant davantage les

relations sociales et l'entourage pour les jeunes adultes récemment immigrés.

L’autre problème de la notion de diaspora concerne la trop grande élasticité accordée au

concept, toutes formations sociales dites dispersées devenant candidate à cette

appellation qui devient « le nom du global » (Dufoix 2011) comme condition positive

d’existence dans un monde sans frontières. Le concept perd de sa valeur analytique, ce

pourquoi j'ai insisté sur la double réalité, globale et locale, d'une diaspora. La

coresponsabilité transnationale, d'une part, et l'engagement citoyen dans l'espace public

national, d'autre part, recadrent la notion plus justement.

Pour poursuivre, Brubaker (2005) suggère d’investiguer l’intérieur de la diaspora et ses

tensions pour éviter de réifier son rôle typologique et unifiant. Mieux encore, une

approche de la diaspora dépourvue du relief empirique dont elle peut faire preuve

« effaces what we might term the politics of everyday – that is, how Sikhs relate to each

others and to non-Sikhs; the reproduction of Sikh identities through gurdwaras,

community groups, and the family » (Ballantyne 2006, p. 22). C’est précisément ce

dont il sera question dans le chapitre suivant. J'y aborde la notion d'ethnicité et

l'applique au cas de la communauté sikhe montréalaise. Pour répondre à cette critique

soulevée par Ballantyne, j'aborderai les relations intracommunautaires, notamment sur

le plan de l'identité, des sous-groupes, ainsi que des politiques religieuses impliquant

les multiples gurdwaras montréalais

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Chapitre 4: Un cas d'ethnicité: cohésion et divisions au sein

du groupe ethnique sikh

Si les guillemets sont devenus fréquents autour du « groupe ethnique », c’est que la

critique interactionnelle et subjectiviste de l’ethnicité entamée par Barth (1969) a fait

bonne route:

« Arguing against those anthropologists who identify ethnic groups with

cultural units, […] Barth suggests, a distinct, shared culture may profitably

be seen as an implication or result of a long-term social process, rather than

as a primordial feature of group. […] Barth argues, the main task for the

anthropological study of ethnicity consists in accounting for the

maintenance and consequences of ethnic boundaries » (Eriksen 2010, p. 44)

Pour Jenkins (1994), Barth se posait à l’époque contre le structuralisme fonctionnaliste

dominant. De plus en plus, la notion s’ouvrait vers une définition à la fois interne et

externe. Non plus possédée par un groupe, comme l’anthropologie classique la pensait

jadis, l’ethnicité glisse désormais dans l’interstice entre la construction interne et les

pressions extérieures : « à l’ethnicité acquise par la socialisation s’ajoute celle qui se

construit dans le rapport à l’Autre […]. C’est dans le rapport aux autres que la culture et

l’histoire d’un groupe acquièrent un sens spécifique pour les acteurs et donnent lieu à la

communalisation ethnique » (Juteau 1999, p. 22). Le premier chapitre a mis en relief le

travail en deux temps (Khalsa et Tat Khalsa) des Sikhs pour s’écarter de l’hindouisme.

Le présent chapitre traitera d’une perspective interne de l’ethnicité, c’est-à-dire les

processus ethniques à l’intérieur des frontières de groupe, à Montréal. Il se présente en

deux moments. Le premier détaille les éléments de cohésion chez les Sikhs montréalais

(primordialisme et symbolisme) alors que le second aborder les éléments de contre-

cohésion (instrumentalisme et politiques religieuses). Cette division rappelle l’objectif

de ma démonstration: apporter une critique aux notions de diaspora et d'ethnicité

comme outils (sur)inclusifs. Concentrons-nous d’abord sur les facteurs de cohésion.

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4.1 Primordialisme: affiliation familiale et affiliation historico-

mythique

La présente section détaille les lieux de cohésion au sein de la diaspora sikhe

montréalaise, le tout recadré dans les théories de l’ethnicité, notamment dans le débat

entre les hypothèses primordialiste et instrumentaliste. Nous verrons que le

symbolisme et les institutions propres au groupe contribuent à l’établissement d’une

trame ethnique partagée.

Le débat qui a longtemps occupé les théories de l’ethnicité se résume dans une

dialectique entre les hypothèses primordialiste et instrumentaliste. L’approche

primordiale est largement attribuée à Sihls (1957) et Geertz (1973), alors que Barth

(1969) pose les fondements de la seconde. Jenkins ne cautionne toutefois pas le débat

qui les oppose. Selon lui, chacun de ces auteurs a été enfermé dans une position par les

commentateurs subséquents. En d’autres termes, « there is no necessary contradiction

between instrumental manipulation, on the one hand, and powerful ethnic sentiment, on

the other » (Jenkins 2008, p. 48).

Dans tous les cas, la première approche postule un attachement naturel entre les

membres du groupe, sentiment réciproque qui ne saurait être issu d’un raisonnement,

mais bien des liens consanguins et de voisinage. On ne se rabat plus beaucoup, de nos

jours, sur cette appréciation culturaliste et naturaliste de l’ethnicité, observée de

l’extérieur. Les plus récents commentateurs nous guident vers de nouvelles perceptions.

Jenkins (2008) parle d’identification: « identification is an aspect of the emotional,

psychological and cognitive constitution of individuality; it is, correspondingly, bound

up with the maintenance of personal integrity and security, and may be extremely

resistant to change » (Jenkins 2008, p. 49). Fenton (2010), pour sa part, suggère que les

individus « have real ties of a first-order type within their networks of kin, they have

binding ties and sentiments of loyalty within small groups […]. And beyond this, they

have and intermittent sense of obligation to high-order values » (Fenton 2010, p. 76).

Les liens de premier ordre forgent l’identité de base de l’individu, placé ici comme

sujet plutôt qu'acteur. Fenton ajoute que ce sont des traits sur lesquels on ne réfléchit

pas et desquels on peut difficilement s’extraire par le sentiment d'obligation qu’ils

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engendrent (Fenton 2010, p. 80). Ce véhicule de socialisation « représente par

excellence le « refuge » d’où l’on ne peut être rejeté et où l’on est jamais seul »

(Poutignat et Streiff-Fenart 2008, p. 99). Bien que les chercheurs aient largement

critiqué le primordialisme comme hypothèse explicative totale, il demeure central dans

une perspective d’autodéfinition par les acteurs : « our ethnographic subjects, as well as

ourselves, most frequently experience identity in essential and emotionally-fulfilling

primordial ways » (Mooney 2011, p. 22). Nicola Mooney est éloquente; elle insiste sur

la perspective émique de l’ethnicité, dans le cas sikh, perspective qui appelle à des

frontières claires de l’identité et surtout à l’attachement émotionnel des sujets. Pour

paraphraser Jenkins, les liens du sang, de la langue et de la culture sont vus par les

acteurs comme ineffables et obligatoires; ils sont naturels (Jenkins 2008, p. 47).

Chez les Sikhs que j'ai interrogés, on discerne deux types de primordialisme, l’un basé

sur l’affiliation familiale, l’autre sur l'affiliation symbolique. Le lien entre ces deux

perspectives se lit dans l’absence de choix pour expliquer son autodéfinition comme

Sikh. Elles s'incarnent dans ces types d’affirmations :

1) Je suis Sikh parce je suis né de famille Sikh

2) Je suis Sikh parce que Guru Ji (Dieu) en a voulu ainsi

Il n’y a pas grande élaboration à faire dans le premier cas; on naît de famille sikhe et le

lien est biologique, donc vérifiable. À ce sujet, Mooney affirme que

« these families, across both generations, largely considered themselves

Sikh as a result of having been born in a Sikh family, and thus socialized

into what was often described to me as the Sikh dharm (faith or way of

life), rather than owing to any overtly expressed beliefs or patterns of

religious practice » (Mooney 2011, p. 80).

Ultimement, cette autodéfinition s’accompagne d’une origine primordiale liée au

Punjab. Jusqu’à preuve du contraire, un ou une sikh(e) ne sera jamais tamoul(e), ni

gujarati(e), par exemple. Évidemment, l’un ou l’une peut naître à l'extérieur du Punjab,

mais l’on se dira punjabi(e) par affiliation, ce qui s’accompagne également d’une

filiation biologique/phénotypique, jusqu’à un certain point. Je n'affirme pas que le

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métissage et l'exogamie sont inexistants chez les Sikhs, bien au contraire, mais plutôt

qu'être sikh renvoie nécessairement à une filiation punjabie, dans le cas des Indiens du

moins. Il existe aujourd’hui des Sikhs blancs (gora Sikhs)20

mais c’est là une toute

autre question que je n'aborde pas ici faute d'espace. Ceci étant dit, même les plus

séculiers des Sikhs, du moins ceux que j’ai connus, se réclament du sikhisme par

affiliation, souvent avec fierté. Le nœud familial est effectivement un lien de premier

ordre duquel on peut difficilement s’échapper. Au gurdwara, nombreux sont les jeunes

enfants qui portent une première forme de turban à la tête. Le choix de le porter plus

tard leur reviendra, mais on n’y échappe pas en jeune âge. L’été dernier, de passage à

Toronto dans la famille de Navdeep, je fus exposé à la socialisation du jeune fils

d’Amandeep, frère de Navdeep. Le jeune garçon est quotidiennement en contact avec

« son » histoire, comme Sikh, par l’intermédiaire de jeux ou de capsules éducatives

qu’il consulte sur un appareil électronique. Par ailleurs, j'ai vu défiler sur Facebook

plusieurs images du jeune garçon, turban à la tête. C’est là le désir de sa famille.

Comme nous l’indique ce répondant :

« Basically, our parents, they never taught about that because my brother

and I…it’s all a Sikh family that we have. I don’t see my parents do

something which is not religious, which is not related over religion, so it’s

kind of a common thing. We didn’t even talk about that, once you are

born, you follow the same path. We’re not so much intended to think

« okay we should practice », we’re just practicing ».

Gursharan partage cette réflexion. Depuis qu’elle est toute jeune, la pratique religieuse

est une portion naturelle de la vie familiale, comme partie prenante d’un tout

indissociable. C’était intrinsèque à l’éducation parentale, au même titre que son

obligation de fréquenter le temple de Lachine, autour duquel se rassemblait jadis la

majorité de la communauté montréalaise. Gursharan, sa sœur et son frère étaient

naturellement amenés, enfants, à prier. Que ce soit collectivement avant le souper,

individuellement à l’aube, ou pour précéder le petit déjeuner du samedi, il allait de soi

20

Pour une analyse des relations entre les Sikhs blancs et Sikhs Punjabis, voir Dusenbery 2008, chapitre

1.

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de se recueillir. Pour ces jeunes, être Sikh n’était pas le résultat d’un choix individuel,

mais un héritage à chérir. Les propos de Harpreet sont particulièrement éloquents:

« Actually for sikhism, we didn’t need to learn anything, cause it was in

our culture, in our customs, it was in the family. […] We did not need to

« learn » Sikhism. So I mean these were things that we did not learn from

somewhere, it was within, as you go in your family you just watch the

different customs and then it becomes like natural. But still if you are to

get the higher education for Sikhism, then you have to learn throughout

your life. […] I think it was just imitating them [parents]. Whatever they

were doing, that’s what we were doing actually. Sometimes when you

bow you don’t have any questions, you have to bow, you have to bow,

you need to take prasad [pâte sacrée, sucrée, desservie dans les temples à

la fin du culte], you have to take it with your two hands, you have to cover

your head, we don’t ask them why we’re doing it. If someone asks me

why I like white color, I don’t have any reasons. We can’t give all the

logics to everything ».

Voilà en ce qui a trait à l'affirmation 1. La deuxième, et seconde version du

primordialisme, est basée sur la conviction des acteurs d'appartenir à un chemin déjà

tracé, mais appartenir également à tout un lignage symbolique. Dans le premier cas,

c'est le contenu propre de certains discours qui nous en informe. L’un de mes jeunes

répondants, montréalais de naissance, prétend qu'avant même de naître, il était voué à

s’engager sur le chemin du sikhisme. Dès la sortie de l’hôpital, me dit-il, le premier des

chemins empruntés est celui vers Dieu. Si l'un ou l'une commence à ressentir la

présence de Dieu, le succès s'en suivra. Selon cette perspective, l’absence de choix est

assumée. La seconde illustration est celle de Jetvir lorsque s'est posé le choix de

prendre le baptême sikh (amrit):

« At first I was scared. I was wondering what my friends were going to

say. What are my other people at school going to say? I'll have to keep

the kirpan it's very hard, what if I drop it someday? Then I was thinking if

I'm so scared I should ask to Guru Ji « oh help me out ». You keep on

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asking and of course one day He'll say something like « oh my son is

asking me to do this for him, shouldn't I give him? ». A dad always wants

the best for his kids so why wouldn't He give me? So I actually got it. »

On est non seulement Sikh par naissance dans un nid familial Sikh, mais, dans une

perspective émique, on est Sikh par une volonté supérieure, celle de Guru Ji : « I guess

it’s what I was destined for. It’s all Guru Ji right? It’s because of Him that I was

brought here [gurdwara] and that I was introduced to all this ». Cela expliquerait que,

dans la théologie sikhe, prendre le baptême efface (en théorie) les liens biologiques:

« your spiritual father is now Guru Gobind Singh. [...] You being the sons

of one father, are, inter-se yourselves and other baptized Sikhs, spiritual

brothers. You have become the pure Khalsa, having renounced your

previous lineage [...] that is, having given up all connections with your

cast, descent, birth » (Reht- Maryada, p. 37).

Dans le second cas, toujours discutant le primordialisme comme affiliation symbolique,

ce n'est pas tant au contenu du message qu'il faut s'attarder, mais au choix des termes

qui en disent long sur l'appartenance assumée d'un ou d'une Sikh(e). Les quelques

extraits que je présente ici renvoient à la notion d’identification, suggérée plus haut par

Jenkins.

a. The then gurus they taught us to fight against injustice

b. Our fifth guru, guru Arjan Dev Ji, started martyrdom in sikhism

c. We have ten gurus

d. Khalsa uniform, why this uniform was given to us? Why we are wearing this

kara? If he had told us to wear bangles we would have wore the bangles.

Dans ces termes-là, la descendance symbolique avouée. Il semble, dans les théories de

l'ethnicité, que l’on n’ait pas souvent rapproché l'affiliation mythique et le

primordialisme, ce que je me risquerais à faire pour, je le répète, la perception de faits

donnés dès la naissance, comme si la table avait déjà été dressée pour les individus qui

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parlent ainsi. Autrement dit, aucun Sikh nie son rapport aux gurus. C'est par leurs

actions passées qu'il/elle peut se dire Sikh(e). Il y a, dans la l'imaginaire collectif, une

corrélation nette entre le soi sikh contemporain et les personnages historico-mythiques

des siècles précédents. Effectivement, « notions of shared origins are usually crucial for

ethnic identity, and interpretation of history are therefore important to ideologies

seeking to justify, strengthen and maintain particular ethnic identity » (Eriksen 2010, p.

70). Eriksen capture cette réalité dans la notion de « religion kinship » (Ibid, p. 81).

Dans tous les cas, (affiliation familial, affiliation symbolique) « the emotional power of

primordialism appeals to an eternity of ethnicity, identity spanning continuously the

remembrance and reinvention of ancient pasts to the inspirational longings towards

collective futures that can be glimpsed in and guaranteed through present-day

constructions of primordial identity » (Mooney 2011, p. 23). C'est un primordialisme

émique, une primordialisation du « nous » (Jenkins 2008, p. 47). Le constat qui

s’impose ici est celui de la cohésion. Au-delà des différents degrés d’investissement

dans la religion, on n’échappe pas à la catégorie Sikh, par le poids de la socialisation

familiale, d’une part, et par le poids d'une histoire mythique, d’autre part. D'ailleurs,

ayant traité de l’affiliation symbolique comme forme de primordialisme, ôtant toute

forme de choix, je poursuivrai en présentant le contenu de ce symbolisme comme

matrice à penser commune.

4.1.2 Les symboles comme toile de sens commune

« In focusing on the symbolic dimension of community, Dr. Cohen offers

a way out of the impasse created by the search for a structurally-based

definition, one which has created the impression that community is a

uniquely “traditional” social relationship, to be contrasted with the social

forms of the “modern” […] As Dr. Cohen concludes, the issue to be faced

in the study of community is not whether its structural limits have

withstood the onslaught of social change, but whether its members are

able to infuse its culture with vitality, and to construct a symbolic

community which provides meaning and identity » (Peter Hamilton;

préface à Cohen A., the symbolic construction of community 1985, p. 9)

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90

L’ouvrage d'Anthony Cohen, publié en 1985, aborde l'idée de « communauté », mais il

a été systématiquement repris dans les théories de l’ethnicité pour le parallèle évident,

voire la fusion, avec l’idée du groupe ethnique. Le petit ouvrage de Cohen est salutaire

en ce qu'il tâche de rompre, lui aussi, avec un structuro-fonctionnalisme ambiant pour

donner quelques lettres de noblesse au sens. Autrement dit, la communauté comme

structure sociale devait laisser place, ou du moins laisser de la place, à la communauté

comme entité de sens, issue de processus émiques. Là où l’on traite de religion, cette

approche est inévitable:

« The centrality to religion of symbolism also contributes in an important

and particular fashion to its role in the unification or collectivization of

diversity. Anthony Cohen has argued convincingly […] that communal

identities are, in his words “symbolically constructed”: symbols can be

shared without necessarily meaning the same thing to community

members. This allows considerable diversity to shelter, and to knit

together, behind a symbolic mask of collective religious identity »

(Jenkins 2008, p. 120)

C'est le cœur du propos de Cohen. Les symboles ont un certain degré d’élasticité sur le

signifié qu’ils incarnent. Néanmoins, ils suggèrent une palette limitée de sens à la

portée de l’acteur. C’est d’abord leur enveloppe, pas nécessairement leur substance, qui

se partage. C’est précisément dans cette illusion que la conscience communautaire naît,

se cimente et se maintient. Bien sûr, cela génère un sentiment d’appartenance à une

entité moins abstraite que la société et plus large que la cellule familiale. C’est plus ou

moins dans ses limites, à travers son corps symbolique que l’on devient un être social.

Gardons-nous de croire que l’un ou l'une le fait passivement; il ou elle est constamment

occupée à faire l’expérience des symboles, à les manipuler pour répondre aux

contingences de son parcours personnel. Ainsi dépeinte, la communauté est un outil à

penser: l’un ou l'une pense par la communauté, non comme la communauté.

Précisément, « we propose that rather than thinking of community as an integrating

mechanism, it should be regarded instead as an aggregative device » (Cohen 1985, p.

20). Cohen substitue ainsi l’uniformité par la communalité. En abordant le mythe de

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l’égalitarisme communautaire, l’auteur suggère qu’il se présente souvent comme

idéologie ou rhétorique21

. Il faut donc traiter de l’égalitarisme comme manière de se

présenter publiquement, non comme fait. Quelle est donc la trame symbolique qui sert

la cause de la cohésion ethnique et d'image publique chez les Sikhs montréalais?

4.1.2.1 Le (Tat) Khalsa comme matrice symbolique

Dans le premier chapitre, il a été question de la réforme religieuse du Tat Khalsa, au

Punjab. J’en suis venu à la conclusion, alignée sur celle soumise par Harjot Oberoi

(1994), que cette élite urbaine est parvenue à assoir son hégémonie au sein du sikhisme

et à en définir assez clairement les frontières théologiques et pratiques. Cela ne s’est

guère transformé depuis. Au contraire, depuis le milieu du vingtième siècle, le sikhisme

s’est considérablement recentré et développé autour du Khalsa. Pour faire ce constat, à

Montréal, il faut questionner les Sikhs sur leur interprétation de l’histoire du sikhisme et

sur les grands principes qu'il véhicule. Rapidement, on constate un imaginaire institué

(Strauss 2006)22

traversé par l’apport respectif des gurus, avec une insistance

particulière sur Gobind Singh, par la martyrologie, par des principes de charité et de

don de soi ainsi que par le statut particulier attribué aux Sikhs amritdharis. Appelons

cela la trame historico-symbolique du sikhisme. Elle sert de ciment social au sein de la

diaspora sikhe montréalaise, au-delà des tensions qui seront présentées plus bas. C’est

donc dire qu’il existe parallèlement une charge positive et une charge négative au

phénomène de l’ethnicité. Le premier chapitre nous sert de fondations pour illustrer la

première.

En premier lieu, il semble n'exister pratiquement aucune mésentente sur l’apport des

gurus dans l’imaginaire collectif, et surtout, aucune contradiction dans leurs apports

respectifs. Aucune mésentente, dis-je, peu importe le niveau d’investissement dans la

religion, l’âge, le sexe ou le lieu de naissance des personnes que j'ai interviewées. Par

21

Dans le cas des Sikhs, on peut soulever l’insistance sur le rejet de la caste et le statut égal de sexes.

Qu’en est-il en réalité? 22

Claudia Strauss, en parlant des écrits de Castoriadis, relève l’importance qu’il accorde à la

différenciation entre l’imaginaire individuel et l’imaginaire collectif, le second devant être

institutionnalisé. En fait, « this implies that social imaginaries have a concrete location in material

objects, institutions and practices » (Strauss 2006, p. 325). Voir le chapitre deux du présent mémoire.

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conséquent, j'en déduis un grand succès dans la transmission de cette trame historico-

symbolique. Pour Gursharan, née en sol montréalais:

« chacun des gurus a enseigné la même chose. L’un a dit ça, puis l’autre

ajoutait quelque chose. Quelque chose de différent peut-être, mais il ne

changeait en rien ce que le dernier avait proposé. Ils voulaient améliorer

les choses chaque fois. Aussi, ils savaient ce qu’ils voulaient faire eux-

mêmes. Ils ne répétaient pas les apports des autres gurus. Oui je

comprends qu’ils étaient guru donc un statut plus élevé, mais quand

même. Et la meilleure chose c’est qu’ils aient donné l’égalité

homme/femme à cent pour cent. Il n’y avait pas de distinction ».

Ce type de portrait léché est également partagé par des individus nés au Punjab,

récemment immigrés:

« Guru Nanak took us human kind from slavery to freedom, from all the

respects, psychologically, physically. That’s why he lived 239 years and

took his time to create the ideal man. Then he started baptism and created

Khalsa. First he started daramshalas, gurdwaras, where all pray to God

and can sing God’s songs. Then the second guru started the langar which

means everybody should be on the same level, no casts and no clans.

(Kuldeep)

L’idée n’est pas de répéter le contenu du premier chapitre, mais de constater que ces

symboles, cette « invention de la tradition », depuis la réforme du Tat Khalsa, ont fait

leur chemin jusqu’à aujourd’hui et agissent comme charge cohésive au sein de la

diaspora sikhe. Par contre, toujours dans la perspective de Cohen, les symboles ne sont

pas du prêt-à-penser. L'analyse nécessite la mise en relief de la touche d’interprétation

individuelle, l'infusion du soi. Par exemple, discutant avec Ravina, jeune montréalaise

non baptisée, mais fortement encline à fréquenter le temple chaque semaine pour y

prier, elle avoue ne pas prendre à la lettre les histoires sur l’époque des gurus. En contre

partie, elle en conserve pour elle-même les éléments clés, les principes qu’ils incarnent,

et elle porte un énorme respect pour les personnages impliqués. Elle s’exprime ainsi :

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« we learn a lot on everything that happened. Every story, there’s a

teaching that comes with it. That’s the thing…sometime maybe I don’t

necessarily believe in the stories even though it’s supposedly happened. I

understand gurus have power but still, to me, living in a modern world

where you don’t see that, it’s very hard for me to believe but I respect it in

a way. I just take out the teaching. There are main values that every

human should live for, that’s what I try to take out like humbleness,

always standing up for justice, all those things I just try to concentrate

more on that rather than if it happened or not »

Ces symboles, pour être effectifs, doivent s’incarner quelque part. À cet effet, Richard

Jenkins et Raymond Breton parlent de l’ordre ethnique institutionnel (Jenkins 2008,

p.63; Breton 1964). Dans le cas qui nous intéresse, c’est vers le gurdwara, le temple,

qu’il faut regarder. Pour Jenkins, les institutions sont des aspects de la réalité sociale

locale auxquelles on fait référence pour la prise de décision et pour orienter les

comportements (Jenkins 2008, p. 63). Cette définition colle au cas sikh pour différentes

raisons. Concernant l’inculcation des symboles, il n’y a pas lieu de s’étendre.

Comprenons simplement que les différents temples ont le même cursus d’éducation

pour leurs jeunes gens, soit celui que dicte le Reht Maryada et, par la bande, le Khalsa.

En ce qui concerne le contenu, je renvoie au premier chapitre et à l’historiographie

émique du sikhisme pour en saisir l’essentiel. J’ai également fait un clin d’œil aux

« gurmat camps » dans le second chapitre, renforçant cette idée de la catégorisation par

la socialisation (ce chapitre, section « catégorisation »), c’est-à-dire apprendre aux

jeunes générations qui ils sont et qui ils devraient être. Pour l’instant, c’est plutôt à

l’orientation du comportement qu’il est intéressant de s’attarder.

D’abord, les gurdwaras sont régis par le code de conduite du Khalsa qui fait office de

règlementation de l’activité rituelle, collective comme individuelle. Comme l’indique

Tanvir, « le code de conduite couvre de la plus petite chose à la plus garde, tout y est

inclus. Par exemple, quand on attache notre turban…je connais plein de gens qui font

juste enlever leur turban sans le détacher, et ils le remettent. Personne n’est censé faire

comme ça. On doit le rattacher tour par tour ». Nous verrons plus bas que tous les

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temples ne s’entendent pas sur les manières de faire. Malgré tout, sur le plan des

comportements individuels, il suffit d’entrer dans le hall principal de n’importe quel

temple sikh pour constater l'absence de variantes dans les gestes posés par les membres

de la congrégation. L’itinéraire est clair et conforme. Chez les Sikhs, à la question

« que fais-tu quand tu vas au temple? », une vaste majorité d’individus, sinon tous, me

répondaient ceci: « je vais « saluer » le livre, je m’assoie dans la salle et j’écoute les

kirtan (chants dévotionnels) et les gurbani (mots du Guru). Ensuite je descends à la

cuisine manger un peu si j’ai faim et je fais le seva (service volontaire), puis je quitte ».

De surcoît, le sikhisme insiste particulièrement sur la notion de sangat, ou

congrégation. Le rassemblement dans une congrégation est le gage d’une disposition

spirituelle plus élevée qu'au moment de la pratique individuelle :

« The important thing is that in our teachings it says that congregation

with fellow Sikhs is always spiritually enriching. People have different

levels of knowledge so when you go there you get to meet people,

especially those who have more knowledge than you and in conversation

you learn something. That is one objective of going there, to be able to

interact with people. […] Gurdwara is the only place where you can

experience hymn singing and so you go there, you sit and you listen.

You’re supposed to listen to the words and reflect on them and the music

plays the role of easing your mind and puts you in a reflexive mood »

(Manjit)

La théologie qui propulse la pratique ne nous intéresse pas pour la présente

démonstration. En contrepartie, le fait qu’elle soit partagée de manière transversale

dans la communauté témoigne de processus éducationnels efficaces et d’un certain

niveau de cohésion au sein de la communauté. C’était bien là le but de cette première

section de chapitre, c’est-à-dire mettre en relief les facteurs cohésifs au sein de la

diaspora sikhe montréalaise. Il a été question de l’approche primordialiste de l’ethnicité

dans une perspective émique. À ce titre, j’ai mentionné deux types de primordialisme

soit l’affiliation familiale et l’affiliation symbolique. J’ai ensuite suggéré que la trame

historico-symbolique, instaurée par le Tat Khalsa (chapitre premier), est aujourd’hui

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hégémonique, d’une part, et largement partagée, si ce n’est parfaitement partagée, au

sein de la communauté montréalaise. Pour expliquer cela, j'ai glissé un mot sur

l’institution ethnique principale, le gurdwara, qui fait vivre ces symboles. Mais

s’arrêter là, à la simple cohésion, réitèrerait l’erreur que je tâche plutôt de corriger, soit

de traiter du « groupe ethnique » comme entité uniquement inclusive. La prochaine

section mettra en relief les processus ethniques qui vont à contresens de la cohésion, à

débuter par l’approche instrumentale de l’ethnicité.

4.2 Instrumentalisme: perception émique sur un motif au

baptême

Inversement au primordialisme, « the instrumentalist approach tends to regard it

[ethnicité] either as a position or outlook that is adopted to achieve some specific end

[...] [it is] by far the most common » (Banks 1996, p.186). Ce modèle de l’ethnicité

suppose une plasticité dans la composition des groupes ethniques. Dans ces termes-là,

les individus peuvent changer, cacher, ou encore insister sur leurs identifications

ethniques à la lumière de la situation ou du contexte dans lequel ils se trouvent à un

moment donné (Jenkins 2008, p. 46). Les théories instrumentales et situationnelles

répondent directement au statisme culturel qui a caractérisé le primordialisme (observé

de l'extérieur). Eriksen met en relief les travaux d’Abner Cohen qui définissent le

groupe ethnique comme formation politique se forgeant dans le double rapport entre

l’utilitarisme et le symbolisme identitaire. D’autres, plus radicaux (Banton 1983), ceux

que Poutignat et Streiff-Fenart place dans les théories du choix rationnel, « propose[nt]

d’analyser les interactions ethniques comme des échanges compétitifs dans une

situation de marché où les individus évaluent constamment les coûts/bénéfices »

(Poutignat et Streiff-Fenart 1995, p. 111). Néanmoins, « both depict ehtnicity as an

instrument for competition over scarce resources, which is nevertheless circumscribed

by ideologies of shared culture, shared origins and metaphoric kinship » (Eriksen

2010, p. 53).

Dans le cas que nous intéresse, cette phrase est particulièrement juste. Pourquoi?

D'abord, les arguments de ce mémoire ne tournent en rien autour d’une compétition

pour des ressources économiques ou matérielles (ce serait un tout autre volet, qui existe

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en parallèle), mais plutôt autour de tensions de nature symboliques, c’est-à-dire pour un

certain contrôle sur des éléments de théologie ou de pratique de la religion sikhe.

Ensuite, découlant du premier constat, même les manœuvres ou les comportements les

plus instrumentaux chez les Sikhs me semblent basés sur un fondement primordial

solide, c’est-à-dire que le sentiment d’appartenance ineffable à sa communauté

(incluant la famille), d’une part, et à un lignage symbolique d’autre part, n’est pas remis

en questions. C’est plutôt la prémisse des comportements instrumentaux. Il ne s’agit

pas de raccrocher les récalcitrants à la communauté des croyants, mais plutôt de définir

le bon chemin pour aiguiller tous les membres qui s’en réclament. C’est précisément là

où se jouent les tensions internes. On ne se demande pas « sommes-nous tous Sikhs? »,

on se demande « sommes-nous tous Sikhs de la bonne manière? ». La base primordiale,

elle-même engendrée largement par la trame symbolique du sikhisme et les institutions

qui les inculquent (section précédente) est non questionnée. Ceci étant dit, j'aborde ici

la perspective instrumentale de l’ethnicité sikhe dans une perspective émique, c’est-à-

dire que les comportements instrumentaux soulevés sont perçus par des

coreligionnaires Sikhs. Cette approche a pour avantage de renforcer l’idée que le

« groupe ethnique » ou « la diaspora » sont toujours traversés de contradictions à mettre

en relief avant s’avancer trop vite sur le chemin de la cohésion.

Dans le premier chapitre, j’ai mis en relief l’importance accordée au Sikh amritdhari

suite à la réforme religieuse de la Singh Sabah et du Tat Khalsa, au Punjab. Soulignons

encore une fois que l’hégémonie du Khalsa n’a jamais cessé de croître depuis,

tellement que le sikhisme contemporain, à l’international comme au Punjab, est

compris dans les seuls frontières imposées par le Khalsa depuis le début du vingtième

siècle. C’est donc dire que le modèle amritdhari est, à Montréal aussi, la locomotive du

sikhisme. Pourquoi insister sur ce fait dans une section concernant l’ethnicité

instrumentalisée? Le statut d’amritdhari, quand on en extrait tout le contenu

théologique et la discipline qui en découle, semble aussi servir des intérêts individuels.

C’est ce qu’en pensent plusieurs répondants. Selon eux, plusieurs Sikhs baptisés

bafouent leur engagement et, du coup, salissent l’image d’un réel guru Sikh :

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« I would say that an amritdhari strive to be a guru Sikh, that’s how I view

it. A guru Sikh for me is somebody that has taken the teachings of the

guru and applied it. I don’t know how much, how diverse groups of

people you’ve talked to but sometimes, even amritdharis are not always

prestigious. Some people say they just wear kirpan and turbans and they

think they’re better than us. And it does come across like that sometimes.

And I think that leads to conflicts also in a lot of different places. « I’m

amritdhari you should listen to what I’m saying, I’m amritdhari I should

be on the committee [d’un gurdwara], I’m amritdhari I should be able to

do that you this I should be able to do that ». I guess it’s part of….I

consider to be egoisitic almost. That’s why I divide the two to be honest.

We can be amritdhari and have that attitude around you and that

something you definitely don’t want to have. Ultimately you want to get

rid of that » (Mukhbir)

On distingue ainsi les « bons » amritdharis des « mauvais », les premiers étant des

icônes, alors que les seconds utilisent l’image associée à ce statut pour en faire un gain

personnel. J’insiste sur le fait que je n’ai pas moi-même fait le test empirique du

« bon » baptisé et du « mauvais » baptisé. C’est un effort vain qui tiendrait davantage

du réflexe maladroit, voire du jugement de valeur, que du rôle de l’anthropologue. Il

faut plutôt corroborer cette opinion dans le propos des répondants, en cherchant sa

récurrence. Je l'ai trouvé.

Pour Raminder, par exemple, les Sikhs qui se disent baptisés mais qui ne semblent pas

suivre le reht-maryada, qu'on attribue à Gobind Singh, ne devraient pas être considérés

comme Sikhs. Puisqu’une idéologie suppose de la respecter pour qu’elle soit effective,

on ne peut tourner le dos à ses prédicats et, du même coup, réclamer le statut qu’elle

prescrit. Raminder m’avoue éprouver plus de respect envers les Sikhs non baptisés qui

s’efforcent de reconduire les principes et pratiques véhiculés par le code de conduite

que l’inverse. Dans ses termes, « being born in a Sikh family, you should try to go to

this path. If you can’t do it, don’t do it. It’s better to be away than being into it and

doing things wrong ». Si les deux derniers exemples illustrent la pensée de jeunes gens,

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elle ne leur est pas réservée. Certains ainés partagent ce sentiment. J’ai eu la chance de

m’entretenir avec un pionnier de la communauté sikhe montréalaise, un homme

immigré dans les années soixante et fondateur d’un des deux temples les plus

importants de la ville. Pour lui,

« lots of people get baptized and even though their behavior is not a part,

they think just because they’re baptized they have a license to do anything

and that is because they don’t understand. They have mistaken notions […]

I can think of, on top of my head, thirty of forty people from another

gurdwara, who are baptized but their behavior is opposing. [..] You know

they tell lies right in center and baptized are not supposed to, you’re

supposed to be honest and straight-forward. They treat woman not as equals.

And again there is a very clear direction in the scripture about this. But

when you talk to these guys… » (M. Singh).

Comme anthropologue, nul mon intention de trouver des liens causaux. Ce serait de

prendre un parti plutôt qu'un autre. Je soulève toutefois les causes que mes répondants

donnent à ce phénomène, leur perception. Cela semble faire parti d’un tout.

L’hypothèse de l’appât du gain et de l’aura qui entoure le statut d’amritdhari semble

être la réponse la plus souvent évoquée; ce serait une question de réputation et

d'autorité, ni plus ni moins. L’un ou l’une, baptisé(e), gagne automatiquement un

respect de la part de ses pairs :

« If I see an amritdhari…I don’t disrespect other non-amritdharis but

there is a special kind of…a bliss, you understand what I mean? There’s a

bliss when we see a Sikh with its fine turban, fine glowing beard and

beautiful blue turban and its kirpan and his traditional clothes. It sweetens

our thoughts. You fold your hand and you bown down ».

Certains répondants ont donc été très prudents en faisant une distinction claire entre

ceux qu’ils croient honnêtement engagés dans le baptême sikh, et ceux qui semblent s’y

engager dans le but d'obtenir pouvoir ou reconnaissance. Pour Navdeep, il existe deux

categories:

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« one is baptized but they’re more personally into it, it’s more personal for

them and they don’t want to persuade me to do that. Probably they’ll show

me the good things about that by their personality and I might be

impressed, but they’re not worried about how do I look and wether this is

bad. They’re not showing an opinion about who I am. And there is the

other big category who would say that this is bad, you should do that,

you’re not following properly, some of them would say that I’m not a Sikh

at all. That’s how I see them and the way they see me »

4.2.1 Catégorisation ethnique : amritdharis et non amritdharis

Ces propos nous guident vers la présente section, de très près liée à la dernière. En plus

de jeter un regard méfiant vers ces Sikhs amritdharis mal intentionnés, à leurs yeux,

plusieurs ressentent également les effets d'un certain prosélytisme interne. Pour

approcher cette réalité, la notion de catégorisation apportée par Jenkins (1994; 2008),

est fondamentale. Je propose d'abord un retour sur les arguments de l’auteur.

4.2.1.1 Catégorisation

Critiquant une tendance lourde à traiter l'ethnicité de manière horizontale, Jenkins

suggère d’insister sur l'axe vertical du pouvoir. Mais commençons par le début.

L’ethnicité est un phénomène relationnel entre un « nous » et un « eux ». Du point de

vue interne, on témoigne de ce que l’on est ou de ce que l’on veut publiquement être.

De l’autre côté de la frontière, on projette sur nous une catégorie, une définition

externe. Je m’arrête déjà pour placer l’argument qui sous-tend toute la présente section.

L’ethnicité se joue entre groupes distincts, certes, mais la définition interne est elle-

même problématique. Autrement dit, des définitions externes existent aussi à l’interne

lorsqu’une portion du groupe projette sur une autre portion du même groupe une

identité ou exerce une pression pour qu’ils se joignent à une catégorie souhaitée. La

catégorisation opère au sein même d’un groupe: « at the conflictual end of the spectrum

of possibilites […] there is the imposition, by one set of actors on another, of a name

and/or characterization that categorized do not recognize, which affects in significant

ways their social experience(s) » (Jenkins 2008, p. 55). Notre échelle n'est plus celle du

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100

groupe entier mais plutôt des sous-groupes et des individus: « the basis for this

framework is what I have called, elsewehere, pragmatic individualism, the recognition

that the human world is constituted in and by embodied individuals […] The individual

order23

is the human world considered as made of embodied individuals and « what-

goes-on-in-their-heads » » (Jenkins 2008, p. 59)24

. Les arguments que je développe sont

à comprendre dans cette définition interne, elle-même problématique. Le pouvoir s'y

joue.

Cependant, la catégorie peut évidemment faire l’objet d’une acceptation et d’une

incorporation du côté du catégorisé. Pour Jenkins, la catégorie passe alors du pouvoir

nominal au pouvoir virtuel, c’est-à-dire qu’elle prend alors sens. Dépendamment du

pouvoir à l’œuvre dans un contexte donné, être « x » peut s’apprendre en fonction de ce

que l’autorité veut que « x » soit. Mais de quelle autorité s’agit-il dans le cas qui nous

intéresse? Jenkins propose un schéma (2008, p.66) relativement simple des contextes

de la catégorisation:

23

Un ordre de trois qui comprend également l’ordre interactionnel et l’ordre institutionnel, pour parler

des phénomènes ethniques: « Each is irredeemably implicated in each of the others, and none make sens

without the others. The word « order » also indicates that these are classificatory devices that should not

be confused with the actual phenomena and localities in the human world to which they refer » 24

Jenkins détaille cette perspective dans : Jenkins R., 2008, Social identity, 2ième

édition. Voir plus

précisément le chapitre « Embodied selves ».

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101

Most informal

Most formal

Dans le cas qui nous intéresse, soit le statut d’amritdhari comme catégorie idéale, et

comme objet de catégorisation, je nous situe dans la première moitié du schéma. J’ai

mis en gras et marqué d’un astérisque les contextes potentiels de catégorisation. Cela

nous éclaire sur la limite des contextes où cette catégorisation est pertinente. Par

exemple, en quittant les contextes informels vers les plus formels, à l’école publique

par exemple (« secondary socialization »), où les jeunes entrent en relation avec des

individus externes au groupe, la catégorie amritdhari devient obsolète et risque d’être

subsumée complètement dans la vaste catégorie Sikh. Toute la pertinence de la

catégorie (et catégorisation) amritdhari est interne. Je réitère donc ma question : quelle

autorité? Les amritdharis, d’abord, mais tous ceux et celles qui, dans ces contextes de

catégorisation, font la promotion de cette catégorie et, du coup, opèrent sur leurs pairs

une certaine pression. Il peut s’agir de parents, d’amis, d’oncles, de tantes, des membres

des comités des temples, du granthi (gardien des écritures, souvent traduit par prêtre),

etc. Bref, de l’entourage relativement immédiat des individus qui participent à la vie

communautaire. Précisons une dernière chose:

Primary socialization*

Routine public interaction*

Sexual relationships

Communal relationships*

Membership of informal groups*

Kinship relationships*

Life-course transitions*

Healing and medicine

Secondary socialization

Market relationships

Marketing

Employment

Administrative allocation

Social control

Organized politics

Social policy

Official classification

Science

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« although it may be defensible to assume […] that ethnic categorization

is disproportionately likely to be negative in its consequences (and

possibly intent) there is no necessary equation between stigmatization or

oppression and categorization in general. Categorization can be neutral,

and it can be positive and valorizing » (Jenkins 2008, p. 73).

Dans les cas où la catégorie semble valorisante pour un ou des individus, il faudra parler

d’internalisation (Ibid, p. 74). Jenkins suggère cinq scénarios de motifs à

l’internalisation, trois d’entre-deux particulièrement vrais dans le cas des Sikhs.

1) La catégorisation est de prime à bord en harmonie avec la définition interne

d’un individu ou d’un groupe d’individus. Il n’y a pas de distorsion entre la

proposition et la réception.

Dans notre perspective interne25

, cette affirmation est tautologique dans la mesure où la

catégorisation, à travers la socialisation primaire, par exemple, inculque elle-même la

catégorie. Parlons ici de socialisation et d’éducation.

2) La catégorie externe est produite de ceux qui possèdent, dans les yeux du

groupe catégorisé, la légitimité et l’autorité de les catégoriser, et ce, grâce à leur

statut rituel supérieur, leur connaissance, ou autre. Cette réalité demande une

différenciation plus sociale que culturelle dans la mesure où une autorité

légitime demande un degré minimum de partage au niveau des valeurs et de la

cosmologie (Jenkins 2008, p. 74).

3) Il y aussi ceux qui, en résistant à la catégorie, en ne la croyant pas valable pour

eux, la réifie. Le seul fait de défier la catégorisation est bien sûr un effet de la

catégorisation en première instance. La définition extérieure, rejetée, est

internalisée, mais, de manière paradoxale, par son déni (Ibid, p. 75).

25

Jenkins écrit ceci en fonction d’une relation entre groupes distincts. Dans ce cas, cette proposition

cesse d’être tautologique puisqu’elle implique une définition réellement externe et des acteurs qui ne

participent pas à la socialisation du groupe qu’ils catégorisent.

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Récapitulons à l'aide du cas sikh. Au sein de la communauté montréalaise existe la

catégorie amritdhari, portée par les Sikhs baptisés, d’une part, et tous ceux et celles qui

en font la promotion plus ou moins active. La catégorisation, cette idée de faire pression

pour imposer une catégorie « externe », suggère d'y adhérer. Si cela est effectif, on

parlera, pour ceux et celles qui prennent le baptême, d’internalisation (qui passe par la

socialisation et l’éducation; proposition 1 ci haut). Pour ceux et celles qui s’y opposent,

la pression exercée sur eux, bien qu’elle ne soit pas toujours maligne, teinte leur

expérience quotidienne au sein de la communauté. Souvenons-nous qu’en section

précédente, au sujet de l’instrumentalisme, des répondants ont distingué les « bons »

amritdharis des « mauvais ». L’argument va donc comme suit : le désir de se joindre

aux amritdharis (on peut également dire de se joindre au Khalsa), l’internalisation de la

catégorie, se base strictement sur le modèle idéalisé, c’est-à-dire les Sikhs baptisés,

hommes ou femmes, qui respectent à la lettre les principes et pratiques du reht-maryada

envers lesquels ils se sont engagés. Le revers de la médaille se lit ainsi : si l’un ou l’une

refuse de prendre le baptême, c’est, la plupart du temps, pour ne pas répéter les erreurs

qu’ils croient voir chez les « mauvais » amritdharis. Et c’est exactement là où la

proposition numéro 3 (réification de la catégorie par son refus), ci-haut, entre en scène.

Le modèle amritdhari n’est jamais intégralement remis en question. Il est constamment

reconduit par l'affirmation suivante, souvent entendue : « je deviendrai amritdhari si je

suis en mesure d’être fidèle à mon engagement ». Ainsi, l’autorité légitime (proposition

2 ci-haut) est constamment réifiée, c’est-à-dire qu’existe bel et bien cette autorité

légitime ayant l’aval de la communauté pour les guider, et ce, par leur statut rituel et

symbolique. Regardons maintenant comment cela se déploie, d’abord du côté des

catégorisés et ensuite du côté de ceux qui mettent en œuvre la catégorisation.

4.2.1.2 Catégorisé(e)s

En entrevue, une jeune sikhe montréalaise non baptisée, ne portant aucun symbole sikh,

me dresse le portrait de sa famille sur le plan religieux. Heureusement pour elle, dit-

elle, sa famille est parfaitement séparée entre amritdharis et non amritdharis. Chacun

semble respecter les choix des autres. D’ailleurs, sa sœur vient tout juste, l’été même,

de prendre le baptême (amrit). Les deux sœurs se supportent l’une et l’autre dans les

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épreuves qu’elles traversent, l’une parce qu’elle doit se soumettre aux disciplines

physiques et spirituelles qu’amène le baptême, et l’autre parce qu’elle subit une certaine

pression de membres de la communauté face à son refus de joindre le Khalsa :

« you know, people in the gurdwara sometimes they’ll talk to me and

they’ll say « oh you should stop cutting your hair ». […] I know many

parents, my friend’s parents that are baptized, they’ll be like « oh why

isn’t she baptized? ». They’ll tell my friends « tell her to get baptized ».

There are many parents that are like « just take it ». But being baptized

isn’t enough, you have to actually follow the teachings. But there are so

many people that are hypocrites ».

Cette réalité, elle la perçoit chez d’autres:

« I know a girl who just took amrit and she was forced by her dad. She’s

young. She’s used to cut her hair and everything turned. Out of the blue he

just completely changed and forced the entire family to get baptized.

She’s forced. She even said she didn’t want to and he said that that she

had to. Right now she’s amrit but she says she’s not going to follow it ».

Dans cette optique, j’ai questionné deux jeunes garçons nés en sol montréalais : « how

do baptized Sikhs look at non amritdharis? ». La réponse de Pritpal était révélatrice:

« in real life situation or what we think about it? ». Il poursuivit en avouant que

plusieurs amritdharis sont très stricts et qu’en présence de non amritdharis, ils les

traitent avec peu de considération. Son ami, non baptisé, avoue que c’est une réalité

quotidienne : « I experience it everyday. If I see a Punjabi, man or woman, they’d look

at me differently as if I was a baptized person. It’s kinda like if I was baptized they’d

give me more love and respect as if I wasn’t ».

Dans ces cas, la catégorisation est franche, non dissimulée. D’autres fois, une subtilité

s'impose. Pour l'illustrer, je livre une brève histoire de Navdeep, non baptisé dans une

famille entièrement baptisée. Son frère, Amandeep, fut le premier à poser pied au

Canada, en banlieue de Toronto, suivi de toute sa famille en 2006. Il suivait à l'époque

certains cours d’enseignement religieux dans l’un des gurdwaras avoisinant. Déjà

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amritdhari, il encouragea son frère à le suivre aux cours, ce que Navdeep fit.

L’enseignant aidait les étudiants à lire correctement les écritures sacrées (Guru Granth

Sahib) et Navdeep en tirait un bénéfice. Il prenait plaisir à ces découvertes et en

ressentait l’apport spirituel. Dans ses termes, il devenait un meilleur être humain. Son

frère l’encourageait dans ce processus, sans toutefois lui mettre une pression trop

grande, car il savait que cela aurait l’effet inverse à ce qu’il souhaitait pour lui.

L’enseignant, pour sa part, retenait toujours Navdeep quelques instants après les cours

pour l'instruire d'histoires concernant le sikhisme. L’une d'elles, concernant guru

Gobind Singh, l’avait beaucoup marqué. Mais une interrogation demeurait pour lui.

Cette histoire était-elle moralisatrice à son égard? Heureusement, l’enseignant savait

l’amener à un niveau supérieur où les choses s’éclairaient. Tout allait donc pour le

mieux, jusqu’à ce jour précis:

« one day he said: « everyone go home and do one prayer for Navdeep, so

that he can come back to the good path in his life ». And I was so shocked.

Am I really on the wrong path? I’ve never done anything bad to anyone,

and people will be praying for me, like if I was a villain and I have to be a

better person. I stood up during the class and went out and I never came

back to the class » (Navdeep).

Aujourd’hui, Navdeep n’a toujours pas choisi de prendre le baptême et se questionne

sur la réelle importance que ce choix revêt pour lui. Pour Amandeep, le port des

symboles religieux et une pratique plus assidue de la religion bénéficieraient à son

frère: « when I say more into it I mean you can be a better person and help others, work

hard and he would never get depressed from his life, he’d be more energetic and stuff

like that ». Il souhaite que Navdeep franchisse cette étape, mais puisque la pression

exercée au sein de la famille n’est pas maligne et d’un degré insoutenable, Navdeep

garde la direction qui lui convient. La toute première fois que je m’étais entretenu avec

lui, au temple, il s’était exprimé, avec émotion, en ces termes :

« All my family is baptised, I’m the only one who’s not. But if you ask

them if I am a good human being...Okay you can ask them [rires]. I don’t

feel myself out of the family. I’m not baptised, I cut my hair, I cut my

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beard and I’m not part of them. It’s just that they feel that if they follow

those rules, they feel satisfied and I feel satisfied not following those rules.

I can manage my own track or my own way of life […] I consider myself

as a Sikh. I feel proud to be a Sikh. » (Navdeep)

4.2.1.3 Émetteurs de la catégorisation

De l’autre côté, il y a ceux qui opèrent la catégorisation. Évidemment, ne soyons point

naïf au point de croire que les gens nous confirmeront leur prosélytisme. Mais, et

j’insiste encore sur cette dimension, il ne me semble pas y avoir d’intention maligne

dans la catégorisation, plutôt une croyance sincère dans les bienfaits du statut

d’amritdhari. Il serait profitable à l’échelle de l’individu, certes, mais de la collectivité

également : « logiquement, on veut encourager les gens, c’est ma pensée, à être

baptisés » (Gursharan). Les mots clés sont les suivants : encourager, guider, éduquer,

rassembler. C’est le vernis qui recouvre l’idée de catégorisation appliquée à la relation

entre Sikhs amridharis et non amritdharis. Il y a différents motifs, souvent d'ordre

moraux, derrière cette réalité:

« the majority of people who really follow always help others and tell

them to be baptised, they’ll feel the difference and life will be much

easier. Those things [alcool] end up hurting them, they’re fighting with

their families, they’ don’t grow up their kids well. Not all amritdharis do it

good but a majority of them are away from these things. If you see, there

are less divorces in the amritdharis because they understand each other,

they don’t waste money on stupid things like drinking. Their life is much

easier, they live a simple life and they concentrate on what they’re

supposed to do » (Amandeep)

Pour Pritpal, comme plusieurs autres, il faut donc attirer ces confrères et consœurs, ne

pas les repousser et ainsi encourager la ségrégation au sein de la communauté:

« as a Sikh, you should understand the responsibility of bringing people

into the religion, not breaking them apart. My opinion is that we contact

those non-baptized people and we provide information to them about the

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religion, about how the community is so we can bring them into the

religion. And I think basically the core of that is love. If you spread hatred

you gonna get hatred, if you spread love you gonna get love. By love, we

can attract people and they can easily get into the religion ». (Pritpal).

Chez mes répondants, plusieurs partagent cette opinion. Mais il existe une autre forme

de catégorisation que l’on pourrait résumer par le dicton « prêcher par l’exemple ».

Tous les gurdwaras ne fonctionnent pas ainsi, mais certaines administrations ne

choisissent d’élire que des amritdharis sous prétexte que seul eux ont l’autorité

légitime pour guider la communauté dans ses orientations rituelles, politiques,

théologiques, etc. Appelons cela une catégorisation indirecte, c’est-à-dire qu’elle

n’implique pas nécessairement une relation face à face ou interactionnelle, mais que les

seules figures d’autorité suggèrent une orientation idéale. En effet, pour plusieurs,

« you’re running a religious establishment, you have to set the exemple » (Gursharan).

Raminder, amritdhari lui-même, résume bien la logique que plusieurs partagent :

« They have to be amritdharis, because that’s the reason why they can

preach and also tell others that they should go for it [baptême]. They

should also follow the rules in regulations [Reht Maryada] so I can imitate

them. Being administrator, you want your religion to spread, you want the

well-being of the religion so you should yourself know about it.

Sometimes people say « I know everything about sikhism », but they’re

not baptized. That’s not the point because from guru Gobind Singh Ji,

they said that you have to be baptized. If not, you’re opposing him. So

holding a position, being administrator, you should be baptized so that

other can imitate what they’re doing. How can I say « go for baptism » if

I’m not? I should be an example for them. For the people of high rank,

they should be baptized » (Raminder)

Bien sûr, les amritdharis eux-mêmes promeuvent cette perspective. Mais même

certain(s) non amritdharis, parfois sujets du prosélytisme, abondent en ce sens, comme

quoi ce statut, quand respecté, est synonyme d’autorité légitime. L’inverse est aussi

vrai, c’est-à-dire que certains individus et gurdwaras promeuvent l’ouverture des postes

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à des personnes issues de différents horizons sociaux, peu importe le bagage religieux

dont ils disposent. Voilà qui me servira de tremplin vers la section suivante qui

concerne les politiques religieuses (« religious politics »; Jenkins 2008, p. 114).

Mais d’abord, pour récapituler la présente section, je l’ai abordé dans une perspective

instrumentale de l’ethnicité, c’est-à-dire que l’affiliation ethnique est mouvante et

situationnelle et qu’elle peut servir des intérêts individuels. Dans une perspective

émique, j’ai soumis comme résultat que plusieurs Sikhs voient chez certains de leurs

confrères et consœurs amritdharis une stratégie pour un gain personnel, cela étant

d’autant plus déplorable, à leurs yeux, quand ces derniers ne respectent pas leurs

engagements, ceux que dicte le Reht-Maryada. Ensuite, j’ai traité de la catégorisation

que certains Sikhs baptisés peuvent opérer sur leurs collègues non baptisés, suggérant

que ceux et celles qui font le choix de se joindre au Khalsa le font sur la base du

modèle idéal (autorité rituelle légitime) soit le ou la Sikh(e) qui respecte à la lettre ses

engagements. Le contraire, donc, veut que ceux et celles qui rejettent l’idée du baptême

(momentanément ou définitivement) le font par crainte de ne pas respecter le code de

conduite et ainsi suivre les traces de ces amritdharis dont ils déplorent le

comportement. Comme autre moyen de catégorisation, certains temples obligent leurs

élus à être baptisés, ce qui nous mène aux politiques religieuses au sein de la

communauté montréalaise.

4.3 Les politiques religieuses: différents gurdwaras, différentes

orientations

« The very existence of different […] communities of worship

presupposes that there will be differences of opinions – which would be

fundamental and total – between them, and bodies of belief, with respect

to their corporate world views, religious and moral doctrines and ritual

practices » (Jenkins 2008, p. 112-113).

Dans le cas qui nous intéresse, l’existence de plusieurs communautés de croyants sikhs

dans la seule ville de Montréal ne présuppose par si clairement des divergences

cosmologiques ou cérémonielles. Comme nous l’avons vu plus haut, la trame historico-

symbolique du sikhisme et les institutions qui l’inculquent sont plutôt sur la même

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longueur d’onde à ce niveau. Nous pourrions donc croire à l’unité. Mais il faut creuser

un peu plus en dessous pour cerner les disjonctions dans la communauté. Elles se

jouent au niveau institutionnel et concernent, au moins, la doctrine et les pratiques.

C'est l'objet de la présente section.

Pour débuter, Jenkins pose cinq types de conflits d’ordre religieux. Les quatre premiers

(« missionary conflict »; « holy war »; « religious persecution » et « religious

competition ») ne nous intéressent pas ici car ils supposent une relation entre deux

groupes distincts. Le cinquième conflit, toutefois, attire notre attention:

« there is a particular kind of situation of conflict that is about religious

politics; that is to say, struggles for power and influence within religious

institutions or groups. Religious organizations are probably no more and

no less vulnerable to conflicts of this kind than their secular counterparts »

(Jenkins 2008, p. 114).

Il existe effectivement des conflits de pouvoir et d’influence à l’intérieur même de la

diaspora sikhe montréalaise. Mais une réserve s'impose. Aucune administration de tel

ou tel gurdwara a un tel désir d’expansionnisme qu’elle veuille écraser son voisin. Il

n’existe rien de tel, mais plutôt des mécontentements réciproques, assez pointus, sur des

manières de faire et des pratiques. Cela ne se limite pas qu’à la sphère décisionnelle des

temples. Pour les individus qui fréquentent un seul temple depuis maintes années,

depuis l’enfance pour les deuxième et troisième générations, il y a visiblement une

incorporation de l’orientation de son centre de culte. Il existe donc deux étages

parallèles, soit la mise en place de politiques internes ou de pratiques courantes, et

l’impact de celles-ci sur les individus qui participent activement à la vie

communautaire.

Dans le second cas, Jenkins parle de la sphère éducationnelle (interne au temple ici)

comme lieu de reproduction de ces disjonctions. Pour éviter les contradictions, je

précise qu'il ne s’agit pas ici de l’éducation officielle, symbolique, à la religion

(chapitre deux), mais plutôt de l’éducation officieuse aux pratiques et aux manières de

faire dans chacun des gurdwaras. Parlons d’« informal primary socialization » (Ibid, p.

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117). Avec une autre pièce au casse-tête, l’habitus en l’occurrence, « ce qui est

communément interprété comme comportement rationnel […] est souvent largement

habituel » (Bentley 1987, p. 28)26

. Selon Bentley, « we need to investigate how habitual

responses to environmental constraints evolve and are inculcated in members of a group

» (p. 40). Cette inculcation est d'abord entre les mains des décideurs politiques internes.

Jonglant avec le religieux, « we must identify dimensions of common experience and

habitus that underlie the ability of ethnic leaders to mobilize their followers » (p.47).

Illustrons ces disjonctions dans les propos de mes interlocuteurs.

4.3.1 Conflits politiques…

Quand je parle de disjonctions, de quoi s’agit-il? Elles se lisent dans les positions de

chaque gurdwara par rapport au code de conduite (Reht Maryada). Chacun des temples

occupe une position sur le continuum politique conservateur/progressiste, dans des

termes qui nous conviennent, entendons-nous. Discutant avec un Sikh sexagénaire, il

m’avoue désapprouver bon nombre de positions du temple le plus influent à Montréal.

Les débats sont mineurs en apparence mais ils agissent comme symptômes clairs des

clivages. Dans l’un des gurdwaras sont aménagés des chaises ou des bancs dans les

salles de culte. Pour cet homme, ce geste sert à accommoder les ainés qui, sans cela, ne

trouveraient pas le courage de venir assister aux sessions de kirtan (chants dévotionnels

accompagnés d’instruments « traditionnels ») :

« at the X gurdwara, in the prayer hall and also down in the langar hall,

you have to sit to the ground but at the Y gurdwara, what we did when I

was responsible for putting up the building, at the back of the prayer hall,

we dropped the floor about two and a half feet and we put up some

benches so that older people who can’t sit on the floor because of their

knees can sit there. […] The idea is that if somebody wants to come and

take part in the spiritual services, we should facilitate, we should not make

it difficult. But gurdwara X doesn’t believe in that, so they consider we

26

Effectivement, chacun et chacune rationalisent à sa manière les différences qu’ils perçoivent entre les

différents gurdwaras, tenant en quelque sorte pour acquis que la manière dont son gurdwara fonctionne

est un idéal. Bentley dirait donc que cette rationalisation n’est possible que parce que l’individu a été

socialisé selon cette pratique.

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111

are ultra-modern and we’re not really true to the tradition. But the

tradition has to evolve. There’s no such thing as a fixed tradition for

eternity. Same in the langar hall, we have a couple of tables and benches.

There are about ten to fifteen people, regulars, who would sit there.

Otherwise everybody sits on the floor. By doing this, we just facilitate it

so that people are not prevented from participating in the community »

La situation est identique pour un troisième temple, plus petit cette fois, qui semble être

au diapason du temple Y. Ils y aménagent également des chaises, des tables et des

bancs dans les salles de culte et dans les cuisines. Selon l’un des jeunes adultes du

temple Y, très engagé dans sa communauté et particulièrement dans l’éducation aux

jeunes, les nouveaux gurdwaras bâtis dans un nouvel environnement social sont

rassembleurs. Il en fut ainsi pour le temple X qui ouvrit ses portes au début des années

2000. À son avis, la communauté sikhe n’aurait pu bâtir un tel centre dans le tumulte.

Les conflits apparaissent ultérieurement, dit-il, quand les rivalités pour le contrôle de

l'établissement apparaissent. À son avis, les guerres intestines ne se situent guère dans

des postures philosophiques ou théologiques, mais plutôt dans des rivalités

quotidiennes sur l’idée d’être plus ou moins traditionaliste ou plus ou moins libéral :

« I would say there are slight differences, and that would explain maybe

some reasons why the gurdwaras separate a little bit. I'd say X gurdwara

is very traditional, very traditional [insistance]. And then Z gurdwara is

very opposite, they’re always very opposite to each other, and then Y

gurdwara is more of a liberal gurdwara, some say it’s progressive. What

I mean by liberal is like anybody can do kirtan for exemple. Basically you

can be part of any philosophy you wouldn’t be judged […] It doesn’t

really mean we’re progressive, it means anybody, we have more

traditional people coming here also, do kirtan. I wouldn’t say it’s unique

but in Montreal we have this place where anybody can come and do their

things. Say if you want to have some discussions groups, anybody can

come. I don’t think you can do that at X without meeting some sort of

requirements. That’s it, that’s how we try to be different here. Some

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people wear socks, some people don’t wear socks, some people wear

sandals downstairs, some people don’t. The goal is to have everyone

comfortable. That’s what characterizes this gurdwara, follow Sikhi but

not being pressured like « you have to follow this type of Sikhi ».

Ce jeune adulte résume avec clarté les orientations des différents temples de l’ile de

Montréal. Mais ces grandes orientations, où puisent-elles leur source?

4.3.2…sur fond de strates sociales?

Si le sikhisme se targue d’avoir toujours promu l’égalité entre tous et toutes, autant du

point de vue du genre que du point de vue de la stratification sociale, les distorsions

demeurent. Les temples ne semblent pas échapper à ces phénomènes sociaux qui

alimentent les tensions qui les opposent : « the Z gurdwara is a bit different because we

usually called that gurdwara the much-educated-people gurdwara. The thing over there

is they speak hindi. They know punjabi, they know english, they are Sikh people, but

they easily switch to hindi ». Et son collègue de rajouter: « In X gurdwara you’ll find

more people with rural background and over there maybe people from the cities ».

Évidemment, cela réfère au statut social tel que défini en Inde. Harpreet renchérit en

mentionnant qu’au temple X, où les gens proviennent davantage des villages,

l’éducation est faible. Dans ce cas, selon lui, les femmes ont moins de possibilités de

grimper dans l’échelle sociale, leur passé étant celui de femmes au foyer. Au contraire,

les femmes issues des grandes métropoles indiennes, plus enclines à fréquenter le

temple Z, ou Y, peuvent participer plus activement aux affaires internes. Selon un ainé,

commentant les orientations d’un certain gurdwara, « it purely refletcs the socio-

economis status ». Plus encore, les gens qui proviennent du milieu rural, plus centrés

autour du temple X, semblent avoir un penchant pour la cause nationaliste sikhe

(chapitre deux). Attention toutefois, ce n’est là qu’une seule cause, citée à maintes

reprises, pour expliquer les différentes orientations des temples. Ne versons pas dans un

déterminisme de classe, mais l’on peut croire, en effet, que la stratification sociale, dans

le cas des Sikhs montréalais, a son rôle à jouer dans les mésententes internes à la

communauté. Voyons maintenant comment s'incorporent ces conflits et ces orientations

multiples.

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113

4.3.3 Conflits incorporés

D’abord, notons que les passages retenus ici proviennent majoritairement d’un groupe

de jeunes sikh(e)s qui fréquentent assidument le temple X depuis leur plus jeune âge, ce

temple que l’on dit plus traditionaliste et dont les membres influents proviennent de

milieux ruraux selon les répondants cités plus haut. On le constate rapidement,

l’institution détermine certains

« patterns of social practice identifying persons that have become

established over time as the « way things are done » in a particular local

context, and of which people in that context are conscious » (Jenkins

2008, p. 63).

L’exemple suivant est révélateur. Affichant une déception évidente, une jeune fille

commente ses quelques passages au gurdwara Y. Elle m’explique avoir une difficulté

aigüe à le fréquenter dû aux manières de faire qui seraient trop « culturelles », faisant

référence aux traditions indiennes et punjabis et en opposition à la religion sikhe à

proprement dit27

. Par exemple, lors d’un mariage à ce temple,

« ils ont dansé dans le stationnement. Moi j’étais avec ma famille et on

était...[regard suspicieux]. On entre à l’intérieur et quand la dame [mariée]

s'est approchée ils se sont mis à crier dans la salle principale. J’tais

comme « tu me niases tu? ». Je n’étais pas capable. Au temple Z, je trouve

que c’est trop « ouvert », ils font n’importe quoi, personne ne se plaint,

personne ne dit rien. Il y a quelqu’un qui est entré avec des souliers. Je

me suis demandé si quelqu'un allait lui dire? Non. Quelqu’un est entré

sans se couvrir la tête, personne n’a rien dit. J’ai fait « ah okay…. ».

Elle est une parmi plusieurs à partager ce genre de réflexion. Plus intéressant encore,

même certain(e)s non baptisés(e)s, dont une jeune adulte citée plus haut qui faisait

l’objet de catégorisation dans ce même temple X, la partagent. C’est-à-dire que même

27

Voir le mémoire de Julie Vig (2009). Les Sikhs, particulièrement les jeunes, font une séparation nette

entre la culture et la religion. Cela leur permet, quand ils perçoivent de mauvaises habitudes chez leurs

confrères et consœurs, de purger le Sikhisme de tout défaut en reléguant le tout du côté culturel.

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les plus séculiers, chez les traditionalistes, acceptent la ligne de conduite interne et

regardent avec suspicion le laxisme de leurs coreligionnaires montréalais. Cette jeune

fille en question doute de l’idée d'aménager sièges et tables au temple Z puisque ça

brime le principe d’égalité auquel l'habitude de tous s'assoir au sol fait référence. Elle

s’en est également étonnée en visitant un gurdwara à Ottawa. L’une de ses amies,

fréquentant à la fois les temples X et Y, s’exprime ainsi:

« There [Y], one of the big difference I think is they don’t teach kirtan

right. I think they used to but they stopped because of politics and stuff. I

think that’s one thing we can compare cause there they’re more into

politics than the actual sangat [communauté de croyants] and gurbani

[mots du Guru]. So I think one main difference is that here [X] you can sit

down and listen ».

Selon deux autres jeunes hommes, le sectarisme traverse malheureusement le sikhisme

contemporain. Pour eux, la division est synonyme d’un écart dans la religion, d’une

dérive suivant laquelle chacun opère ses propres choix et s’écarte des prescriptions

premières, issues des gurus. L’on comprend dans leurs propos que leur établissement

d'appartenance devrait servir d'exemple :

« well you know, our religion nowadays is dividing in so many groups.

There are so many groups that are making their own rules. Our first guru,

guru Nanak, he wanted us all together as one right. But nowadays our

religion is separating against into so many groups that we’re going against

what the founder of sikhism wanted. It makes it difficult for the kids living

in Canada. What would I recommend is not to follow these different

groups and follow the core of the religion, the basics. These people are

making sikhism so complicated. »

Son collègue précise:

« Our first gurdwara was in Lachine. Lachine everyone was together and

there were no different groups. As we grew, this gurdwara [X] was built

and there were meetings, they began to have lots of fights. Their mind

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changed and they’ve chosen to do something else. So there are people

who built gudwara Y and Z. They chose their own path cause they don’t

really see, they just go with what happens. They don’t see the meaning of

why they’re doing it. They just want to be on top you know. Nowadays

everyone’s greedy for money, it’s like a business, so that’s why they’re

doing it. If everyone came back [gurdwara X] it would be a peaceful

place. But they chose their own path, their own rules and they just follow

that ».

Suivant ces propos, et pour conclure, la cohésion au sein de la diaspora sikhe

montréalaise est contrecarrée par les tensions ici soulevées, cadrant toutes dans ce que

Jenkins a nommé les politiques religieuses. Si, pour lui, l’existence même de différentes

communautés de croyants supposait des différences théologiques ou pratiques, l’on

peut vite se faire prendre dans la rhétorique communautariste chez les Sikhs, elle-même

issue d’une trame historico-symbolique partagée et très souvent à l’avant-plan quand

les Sikhs se racontent à l’Autre. Il fallait donc creuser plus loin pour trouver ces

divergences et ainsi mettre en relief les relations conflictuelles entretenues entre

certains centres de cultes. Si les tensions demeuraient dans les sphères décisionnelles,

les Sikhs pourraient encore nous laisser croire à la cohésion et blâmer les seuls

entrepreneurs ethniques. Mais il y a lieu de croire, comme je l’ai illustré, que

l’incorporation des manières de faire de son centre de culte amène plusieurs à s’auto-

distancier de ses coreligionnaires montréalais, la plupart prenant pour acquis que

l’établissement dans lequel il ou elle a été socialisé(e) est quelque part un peu mieux

que les autres. Existe-t-il donc, le groupe ethnique?

4.4 Le groupe ethnique: réel ou pas?

J'écrivais dans les premières lignes de ce chapitre que la critique subjectiviste de

l’ethnicité avait laissé sa marque de manière importante, tellement que Brubaker (2004)

suggère de regarder l’ « ethnicité sans le groupe », comme perspective cognitive sur le

monde et non comme entité dans le monde. Il insiste sur l'idée que le danger qui guette

le chercheur consiste à réifier les catégories socio-politiques: « Reifying groups is

precisely what ethno-political entrepreneurs are in the business of doing. When they are

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successful, the political fiction of the unified group can be momentarily yet powerfully

realized in practice » (Brubaker 2004, p.10). L’auteur suggère le terme « groupness »

pour illustrer des moments de plus ou moins grande cohésion. Brubaker propose de

reconnaitre la cohésion ethnique, selon cette notion, comme évènement, comme

moment particulier dans un large continuum historique: « its keeps us alert to the

possibility that high level of groupness may not happen, that the groupness may fail to

crystalize, despite the group-making effort of ethno-political entrepreneurs » (Ibid, p.

12). Cette critique est légitime, et certainement utile. Mais des nuances s’imposent.

Richard Jenkins (2008) lui rappelle que le groupe ethnique existe bel et bien, tant que

ses membres lui donnent forme:

« there is another, more minimal definition, which simply says that a

group is a human collectivity the members of which recognize its

existence and their mempbership of it. […] His [Brubaker] distinction

between apparently non-existent groups and real « group-ness » doesn’t

make much sense, in that groups are constituted in and by their « group-

ness ». […] He is attempting to impose conceptual order on a human

world that is not a straight-forward place » (Jenkins 2008, p. 25).

Autrement dit, un « groupness » relativement faible dans une contingence donnée

n’élimine pas le groupe tant que ses membres reconnaissent y appartenir. L’ethnicité,

donc, ne m’apparait pas comme une création essentiellement académique, comme

certains le soutiennent (Banks 1999), ni ne doit être subsumée dans une analyse des

seuls contextes de ses manifestations (Fenton 2010). C’est ce que Fenton suggère,

prenant pour acquis qu’une théorie englobante de l’ethnicité n’est pas valable :

« There is not a single unitary phenomenon « ethnicity » but rather an

array of private and public identities which coalesce around ideas of

descent and culture. But the contexts in which theses identities are found

are multifold and multiform. This does not mean simply that there is

« ethnicities » rather than « ethnicity », that it is the « same » phenomenon

in different situations. Rather, it means that the contexts are sufficiently

different so as to give an entirely different sense […]. […] in the

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« contexts of ethnicity », it is the context that matters more than the

ethnicity » (Fenton 2010, p. 187-188).

Mais Fenton, par le fait même, fait erreur en ce qu’il nous ramène un demi-siècle en

arrière en parlant d’ethnicités. En divisant l’ethnicité en plusieurs ethnicités, Fenton

transforme un phénomène en groupes culturels. Le « groupe ethnique », aujourd’hui,

doit déjà être flanqué de guillemets pour ne pas laisser croire au lecteur qu’on le

considère comme tel. Parler d’ « une ethnicité sikhe », par exemple, nous replonge dans

le même problème. En effet, « a further probem […] is the perpetual need to struggle

against our tendency to reify ethnicity […]. […] Neither ethnicity nor culture is

« something » that people « have », or, indeed, to wich they « belong ». […] Ethnicity,

in particular, is best thought of as an ongoing process of ethnic identification ». (Jenkins

2008, p. 15)

Par ailleurs, je n'adhère guère à la prémisse de Fenton voulant qu’une théorie de

l’ethnicité soit illégitime, bien au contraire. Pour imager, serait-il donc également

obligatoire d’oublier toute tentative de proposer une théorie de la stratification sociale

qui se veuille le moindrement transversale à différentes collectivités? La nature des

particularismes locaux contredirait-elle la notion même de stratification sociale?

Certainement pas. C’est pourtant ce que Fenton suggère dans le cas de l’ethnicité, et

c’est pourquoi j’en reviens encore à Jenkins qui, pour sa part, fait preuve d’une lucidité

analytique que je salue :

« we should strike a balanced view of the authenticity of ethnic

attachments. Somewhere between irresistible emotion and utter cynicism,

neither blindly primordial nor completely manipulable, ethnicity and its

allotropes are principles of collective identification and social organization

in terms of « culture » and history, similarity and difference, that show

little sign of withering away. In itself, this is neither a “good thing” nor a

“bad thing”. It is probably just very human. It is hard to imagine the social

world in their absence » (Jenkins 2008, p. 173).

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Ma position est que l’ethnicité est bel et bien un phénomène existant. Elle met en scène

des relations sociales dans lesquels les acteurs se définissent eux-mêmes en projetant

sur l’autre une vision qu’ils s’en font, et vice-versa. S’il est une chose principale que

j’ai tenté d’apporter ici, c’est qu’à échelle réduite, à l’intérieur même d’un seul groupe,

les Sikhs ici, cette réalité de la « catégorisation » (Jenkins 1994; 2008), le fait de

projeter une identité sur autrui, avec succès ou non (et toute l’échelle qui se trouve entre

ces deux pôles), opère. Comme quoi l’ethnicité n’est pas qu’une relation dialectique et

horizontale entre groupes distincts, mais également (synchroniquement) un jeu vertical

interne. Que ce soit dans la relation parfois tumultueuse entre Sikhs amritdharis et non

amritdharis, ou encore dans les politiques religieuses qui séparent les différents

gurdwaras et leurs membres les plus assidus, la différenciation ethnique, le jeu entre

le « nous » et le « eux » est tout aussi vivant, parfois aussi virulent, au sein même du

groupe qu’entre des collectivités d’origines différentes. Mais la toile de fond du

sikhisme, avec ses symboles fédérateurs bien ancrés et des institutions (les gurdwaras)

qui se chargent de les inculquer, porte une charge assez lourde pour garder un niveau

élevé de « groupness ».

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Conclusion

Permettez-moi, en ouverture de cette conclusion, d'illustrer mon point de vue au moyen

d'un élément ethnographique additionnel très parlant, pour synthétiser mon propos dans

ce mémoire. Il s'agit d'un événement religieux, le Nagar Kirtan, qui met en évidence la

fracture entre cohésion et contre-cohésion ethnique.

Le 20 mai 2012, à Montréal, je quitte mon logement et prends le transport en commun

en direction du gurdwara X. En cette journée particulière, les Sikhs de la région de

Montréal s'y rassemblent pour commémorer le 313e anniversaire de la naissance du

Khalsa sous guru Gobind Singh. Cet évènement annuel, qu'on appelle Nagar Kirtan,

n'est pas unique à la métropole québécoise. Navdeep m'informe qu'à Toronto on bloque

de grandes artères principales, au centre-ville, pour laisser libre cours à cette éclatante

parade. J'arrive sur les lieux en fin de matinée. Il est à noter que le temple dispose d'un

vaste terrain où se trouvent un terrain de soccer ainsi qu'un terrain de volleyball où les

jeunes jouent et s'entraînent régulièrement. La foule couvre toute cette étendue. Elle est

imposante et colorée (Figure 13). Pour l'occasion, on sort les plus beaux habits et les

plus belles couleurs de turban. La parade, elle, ne débutera pas avant le début de l'après

midi. Je déambule donc, les yeux grands ouverts, mon cahier de notes à la main.

Figure 13. La communauté réunie lors du Nargar Kirtan

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Je reconnais enfin des gens. Harsimran, jeune adulte tout récemment baptisée, fait

signer une pétition qui traite du « génocide sikh » en Inde. Elle est accompagnée de sa

sœur et d'une amie. Sur les abords du terrain de soccer sont dressées des tentes où l'on

sert de la nourriture et des breuvages en grande quantité. Mais ce qui retient davantage

l'attention, ce sont les organisations sikhes présentes sur les lieux. Certaines

promeuvent l'idée du Khalistan. D'autres, comme la Sikh woman association of

Montreal, semble se préoccuper davantage du rôle des femmes au sein des

communautés sikhes. Ses membres distribuent des dépliants entièrement rédigés en

punjabi. Plus loin, je passe devant un kiosque où l'on vend des t-shirts du célèbre

Jarnail Singh Bhindranwale, d'autres avec l'inscription « Courage », « Proud to be a

Sikh », ou encore « Kesri revolution » (les kes sont les poils longs, non-coupés). On

m'informe que tous ne viennent pas de Montréal, certains groupes arrivant de Toronto.

Certains profitent de l'occasion pour mousser les revendications sikhes,

particulièrement au sujet de l'Inde. En plus des kiosques, on trouve au centre du

stationnement, en plein cœur de l'action, une sorte de char allégorique décoré de

slogans qui dénoncent la situation sikhe au Punjab. Ce camion sera de la parade (Figure

14). Lors du Nagar Kirtan, le Guru Granth Shahib, Livre Saint, ne peut rester seul au

gurdwara.

Personne ne

pouvant en

prendre soin, on

l'amène à bord

d'un autobus

entièrement

aménagé pour ce

type de procession

(Figure 15).

Figure 14. Camion décoré faisant la promotion du Khalistan

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Figure 15. Véhicule aménagé pour le Guru Grant sahib

Vers les treize heures, la procession débute. Les hommes qui s'occupent des tâches

religieuses dans le temple, le granthi en l'occurrence, sortent le Livre. Parmi eux

figurent les « Five beloved Ones », cinq hommes choisis pour symboliser, comme dans

la cérémonie de baptême, les cinq premiers Sikhs à avoir été baptisés, les premiers

Sikhs du Khalsa. Ils revêtent le traditionnel mauve foncé et sont précédés de jeunes

hommes portant tous un drapeau sikh orange sur lequel se trouve l'enseigne propre au

Khalsa (Figure 16). Tous ensemble, accompagnés par la foule, ils répètent: « Satnam

Waheguru » [Satnam signifie « His name is true »; Waheguru réfère au Dieu Suprême].

À certains moments précis, la foule se prosterne d'un seul mouvement. Finalement, le

Livre prend place auprès du granthi et de ses cinq acolytes dans le véhicule lui étant

réservé. Les prières sont amplifiées à l'aide d'un haut-parleur pour que tous et toutes les

entendent et en bénéficient.

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Figure 16. Procession pour la sortie du Guru Granth Sahib

La parade prend doucement son envol, à l'écart du centre-ville de Montréal. À l'avant,

tout en progressant, plusieurs font des prouesses d'art martial sikh, le gatka. Des duels

s'improvisent et se lancent au milieu d'un cercle laissé vide dans la rue (Figure 17). J'y

reconnais plusieurs figures. Ces jeunes, éduqués à cet art martial au gurdwara, exposent

leur talent et leurs progrès

à la communauté.

Derrière eux, on traîne

une large bannière qui

annonce le 313e

anniversaire du Khalsa.

La foule s'étend plus loin

derrière, déambulant dans

les rues pendant quelques

heures jusqu'au retour au

temple.

Figure 17. Démonstration de Gatka

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Quelle est la pertinence de cette observation? Au premier regard, on verrait en cette

journée la manifestation d'une communauté diasporique très unie, politiquement

orientée sur le Khalistan et profondément religieuse. On y verrait l'harmonie interne, la

célébration d'un « nous » aux frontières identitaires fortes et clairement délimitées. On

y verrait difficilement du prosélytisme interne, de relations de pouvoir et de querelles

politico-religieuses. Surtout, on y verrait un évènement auquel tous s'empressent d'aller,

avec conviction que c'est chaque année une manière de se promouvoir dans l'espace

public. L'évènement est effectivement central pour plusieurs. Ravina s'exprime ainsi:

« I find it is very important for me. I just love the entire atmosphere. You

see it's a very different gurdwara when there's Nagar Kirtan. Everyone is

doing whatever they can to help out. [...] I love the atmosphere and I

guess it is also religious ».

Toutefois, d'autres se positionnent différemment:

« these kind of events are just to keep to community together, we can

appoint and we can remember good things about sikhism. That's a good

thing but I didn't like the environment inside the gurdwara that day. [...]

That's completely politics. [...] It should be completely religious kind of

thing, not politics. [...] That was the first Nagar Kirtan I saw here and I

was really excited to see that... [avant de faire le constat précédent]»

(Kuldeep).

Kuldeep compte parmi les jeunes étudiants récemment immigrés à Montréal. Mais

même pour certains jeunes montréalais, cet évènement n'est peut-être pas si

représentatif et si fondamental qu'on pourrait le croire:

« I don't think it's a spiritual thing to be honest. It's more of a ...

[hésitation] to get the word of Sikhi out there, for me. If they think it's

anything more, I would say they're probably making too much out of it.

[...] It's basically that you're teaching the community about the Sikh

culture. You're teaching that to your people and to your community

outside » (Jilpreet).

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Certains questionnent l’importance du Nagar Kirtan, ou si cela constitue un moyen

efficace pour la promotion du sikhisme et des Sikhs dans l'espace public. Mais au-delà

de ces remises en question, le sentiment d'appartenance ne s'efface guère. Les propos de

Navdeep méritent d'être entièrement retranscris. Ils sont évocateurs :

« On the day of the Nagar Kirtan, my mind was kind of thinking ...

[hésitation] I had two feelings. One was a strong feeling and one was ...

[long silence] not that strong. The stronger one was: what's the purpose? Is

it a waste of resources? Is this a good way to portray our religion in some

other place? [...] There are good people from this country, they were

present but they were there for their own interests, politicians. What's the

fruit of this? What's the result of this? What people would be thinking the

next day or the day after? What was the outcome? A lot of garbage on

the ground or, I don't know... [hésitation] I think it satisfied some people, I

would say, it satisfied their [ne conclue pas sa phrase]. It's not on a

spiritual level. I didn't find anything spiritual in Nagar Kirtan. That's my

personal view. Maybe because the way I see religion. Some people see it

like « we have to show this to other people, this is us, this is our religion »,

and for some...[débute une autre phrase]. I know some people who were

in Nagar Kirtan, whenever there's a big event in a city, they go from

Toronto to that city and they show their posters and slogans. I personally

feel that it was not that impacting. This was my strong feeling and the

other weak feeling was that I'm a Sikh. So I was questioning myself, why

am I going in the negative direction? Why am I thinking this is a waste of

food, you know? The next day people will forget all this and we'll have

the same kind of thing next year. [...] You can see this at a bigger level in

Toronto. They'll have a big gathering and many people, for their interests,

like politicians and gurdwara committees, they'll just speak on the

microphone for hours saying « we have done this, our religion has done

that ». There are so many programs going on to help people, that are not

that ... [voulait dire « flamboyant »] you know. So the feeling was that I'm

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not on the same page, I was not thinking the same way. But again this is

my personal opinion. » (Navdeep)

Navdeep incarne la tension latente entre la cohésion et la contre-cohésion ethnique au

sein de la communauté sikhe de Montréal. Même s'il ne porte pas les cinq K et qu'il se

coupe les cheveux, contrairement à l'idéal amritdhari, Navdeep s'avoue fier d'être Sikh.

Il est en double position d'identification par rapport à un idéal et de détachement par

rapport à certains indésirables personnels.

Ce retour sur le Nagar Kirtan et sur les réflexions qu'il déclenche chez Navdeep, en

conclusion, me sert de métaphore pour souligner l’argumentaire du mémoire: la trame

historico-symbolique du sikhisme, partagée de manière particulièrement conforme

indépendamment des certaines variables tels que l'âge, le sexe ou le lieu de naissance,

sert la cause de la cohésion diasporique. C'est ce qui nous apparaît à première vue et

c'est également ce qui amène une distorsion entre notre regard sur la communauté et la

réalité empirique. Sous ce vernis symbolique se jouent des relations sociales intra-

communautaires qui lui font contrepoids. Ces relations se jouent entre différents sous-

groupes ou sous-catégories au sein de la communauté. J'ai placé dans le second chapitre

les éléments nécessaires pour que les chapitres d'analyse subséquents prennent sens.

J'ai insisté sur les types de migrations que les Sikhs ont traversées pour souligner la

distinction, dans le chapitre trois, entre les punjabis réfugiés des années quatre-vingts,

leurs enfants nés à Montréal et les nouveaux immigrants, jeunes adultes étudiants. J’ai

soulevé l’idée qu'ils n'entretiennent pas la même relation par rapport au sikhisme, au

Punjab, et au mouvement ethno-nationaliste Khalistani. Ces distinctions sont les lieux

de mésententes au sein de la communauté ou des incompréhensions des uns par

rapports aux autres.

Toujours dans le second chapitre, j'ai mis en relief l'évolution de l'identité sikhe au fil

des siècles pour en arriver à la conclusion suivante: le sikhisme de tradition Khalsa est

aujourd'hui la norme, au Punjab comme à l'étranger, plaçant ainsi le/la Sikh

amritdhari(e) comme archétype de la religion. Le chapitre quatre mettait donc en relief

la relation parfois tumultueuse qu'entretiennent les Sikhs amrithdaris avec les non

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amritdharis, les premiers opérant sur les seconds une forme de catégorisation. La réalité

de la diaspora sikhe montréalaise m'a obligé à traiter des politiques religieuses, c'est-à-

dire des joutes de pouvoir ou les mésententes sur le contrôle des temples, ou sur leurs

orientations soit plus libérales soit plus conservatrices. Si le sikhisme promeut

l'abolition des classes sociales, comme il promouvait dès sa naissance le

démembrement des castes hindoues, ces classes ne sont pourtant pas à négliger dans

ces joutes religio-institutionnelles.

Ces résultats renvoient à ma problématisation des notions de diaspora et d'ethnicité

lorsqu'elles sont utilisées à des fins essentiellement inclusives, occultant ainsi les «

intra-group divisions » (Anthias 1998). Puisque l'ethnicité est bien un phénomène, et

non une propriété, l'analyse d'une communauté doit passer par l'analyse des relations

sociales en son sein, et non faire la déclinaison des éléments clés de « leur ethnicité ».

De cette manière apparaissent, certes, des éléments cohésifs et largement partagés, mais

également des éléments de tensions. J’ai ainsi répondu à la question de recherche

initiale:

Me basant sur la critique interactionnelle de l'ethnicité, ainsi que sur la remise en

question de diaspora comme concept inclusif, quels sont les éléments de cohésion et

quels sont les éléments de tension qui nous permettent d'avoir un portrait précis de la

diaspora sikhe montréalaise au-delà de ses symboles fédérateurs et de son récit collectif

?

Mais je ne prétends pas avoir fait le point définitif sur la question. En filigrane des

résultats que je présente se lisent deux autres éléments qui mériteraient d'être creusés

davantage: les clivages fondés dans les générations et le genre.

Dans le premier cas, contrairement à un lieu commun voulant que les jeunes s'écartent

progressivement de la religion jusqu'à ce qu'elle s'essouffle, (anciennes théories

assimilationnistes) il semble plutôt évident qu'il existe un important investissement des

jeunes dans le sikhisme, mais un investissement plus strictement religieux, spirituel,

moins entremêlé à des questions politiques. Les tensions présentées plus haut au sujet

des gurdwaras sont contrebalancées par les jeunes adultes sikhs qui prêchent pour

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l'unité au sein de la communauté. Le MASS, Montreal association of Sikh students, au

terme d’une cette rencontre à l'été 2013, a suggéré de rassembler les différents

gurdwaras de la région montréalaise autour d'activités communes pour favoriser leur

coopération. Par ailleurs, lors d'un entretien, Pritpal me raconte avec fierté le cas d'un

gurdwara, à Vancouver, (là où la radicalisation politique nationaliste khalistani est plus

importante qu'à Montréal) où la nouvelle génération, arrivée en âge adulte, a

complètement évincé leurs parents et grands-parents du comité administratif de manière

à rompre avec les politiques religieuses. Dans les termes de Mukhbir, parlant des

conflits internes à son temple, « that's not the way to run a place of worship ».

Pour la question du genre, plusieurs considèrent que l’égalité promue dans le sikhisme

n’est pas à jour dans la pratique. Dans l'un des temples, des jeunes filles désiraient

récemment prendre des cours de gatka, l’art martial sikh, au même titre que les garçons

de leur âge - une situation de tension normative qui rappelle exactement la scène du

film néo-zélandais «Whale Rider» où la jeune fille maorie tente de mimer les

chorégraphies martiales des garçons et se fait sévèrement réprimander par son grand-

père. L'enseignant invité a craint la réaction de la communauté à enseigner à de jeunes

filles et s'est désisté. Elles se sont donc tournées vers leurs confrères pour que ces

derniers leur transmettent leur nouveau savoir, reçu de ce même enseignant. Il n'était

toutefois pas question que ce rapprochement puisse s'opérer dans les murs du

gurdwara, qui maintient l'importance d'éviter la proximité entre les jeunes des deux

sexes. Pour elles, on néglige leur propre (bon) sens critique et ce sont là des reliquats de

« culture » punjabie, bien en marge de ce que devrait être le sikhisme au Canada, celui

qui a depuis longtemps promu l'égalité. Devant ces réalités quotidiennes, ces jeunes ne

sont pas sans ressources, ils ont bien d'autres canaux pour partager leur savoir en dehors

de l'institution. Et quand cette génération prendra le relais dans les gurdwaras, il sera

intéressant de porter attention à la fois aux changements dans chacun d'eux, mais

également aux relations qu'ils entretiendront entres eux et avec le grand public de leur

société d'accueil.

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Annexes

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Annexes 1:

Tableau 1. Première page de l'arbre thématique

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Annexe 1 (suite)

Tableau 2. Seconde page de l'arbre thématique