Le Journal du TNS #13 / Mars-Avril

4
OURNAL J Théâtre National de Strasbourg MARS-AVRIL 2012 / n°13 La Commission centrale de l'enfance David Lescot > page 2 Têtes rondes et Têtes pointues Entretien avec Christophe Rauck > pages 2 et 3 Nunzio et Pali Compagnie Scimone/Sframeli > page 3 Le spectateur émancipé Jacques Rancière (extrait) • Colloque « Penser le spectateur » Université de Strasbourg/TNS > Stammtisch « Le système de Ponzi, après tout, c’est le nôtre » Le Système de Ponzi © Pascal Victor ArtcomArt La première fois que j’ai entendu le nom de Ponzi, c’était dans la bouche de Ber- nard Madoff, l’escroc qui possède sans doute le plus beau palmarès de tous les temps (50 milliards de dollars détour- nés et 150 années de prison). « Mon système, c’était une Chaîne de Ponzi », disait Madoff. Alors je me suis rensei- gné sur Ponzi. Charles Ponzi était un Italien immigré aux États-Unis au début du XX e siècle, et qui, après quinze années de galères inimaginables, monta à Boston une es- croquerie financière, garantissant 50 % d’intérêts en 45 jours, qui le rendit mil- lionnaire pendant un an. Surtout, à travers lui, c’est le siècle à venir qui se raconte, d’un point de vue qui n’est ni celui des utopies, ni celui des régimes politiques, ni celui des guerres, mais celui de l’argent. Ponzi ne croit en rien, sinon qu’il est destiné à faire de l’argent, ce qui est relativement vrai. Après la crise de 2008 (les crises sont fatales aux escrocs, 2008 a fait tom- ber Madoff), on se mit à parler plus que jamais de capitalisme sauvage, de moralisation des banques. Alors re- montons à l’âge du far-west financier, 1920, l’époque de Ponzi, figure tutélaire de Madoff et peut-être aussi créature à l’image du système lui-même, et en- gendrée par lui. Durant l’aventure de Ponzi, on assiste à une crise financière diagnostiquée dans des termes qui annoncent déjà celle qui aura lieu cent ans plus tard, un ouragan dévaste la Nouvelle-Orléans, les devises européennes encaissent des dévaluations record… Hasard ou bégaiement de l’histoire ? Élément de comparaison en tout cas, non pour constater que tout est toujours iden- tique, mais pour mesurer ce qui nous sépare de notre passé, et mieux nous voir à travers cette lentille-là. Je crois en un théâtre qui soit conscient de son histoire, et qui soit conscient de l’Histoire. Et qui sache inventer les formes nouvelles propres à l’exprimer. Le Système de Ponzi n’est pas une re- constitution. C’est une pièce musicale, un opéra parlé, et pas seulement parlé, un récit épique qui convoque tous les moyens propices au récit. Du Chœur jaillissent les personnages, une kyrielle, qui rejoignent à nouveau le Chœur, d’où jaillissent d’autres personnages. Seul moyen de couvrir un temps, un espace, une foule, une action si épique car si étendue. J’ai fait appel pour ce projet à des ac- teurs musiciens, chanteurs, caméléons, et à mon équipe pour créer un espace et une esthétique de la dislocation et du réagencement permanents. Un espace modulable, sans construction massive, fait d’éléments mobiles, manipulés dans le temps de la représentation par les acteurs, qui se scinde, se défait et se réagence à vue, à l’image d’un monde- champignon qui s’érige, s’écroule, re- naît sans relâche. La musique et la création sonore y tiennent, comme dans toutes mes créa- tions précédentes, une part prépondé- rante, non pas accompagnement mais structure même du récit théâtral. J’avoue que j’aime bien les escrocs. Ils sont nécessaires, comme les croche- teurs au monde de la serrure. À travers eux, le système apparaît plus distinct. On peut l’améliorer. Encore que je me soucie peu d’améliorer le système ca- pitaliste. Mais les escrocs, les usurpa- teurs, les affabulateurs, les charlatans réussissent bien au théâtre (Le Menteur de Corneille, Le Révizor de Gogol, Le Ba- ladin du monde occidental de Synge, et même Peer Gynt d’Ibsen). Condamnons- les (dans la vie), mais rendons-leur grâce (sur la scène) de savoir gripper la machine, d’introduire une brèche poé- tique dans le réel. Et rappelons-nous que le système de Ponzi, après tout, c’est le nôtre. David Lescot, auteur et metteur en scène SCHOOL STREET INSTALLATION import-export LE CHŒUR – Alors avec le petit pécule tu vas louer deux petits bureaux Au cinquième étage d'un immeuble sur School Street, numéro 27 Tu te paies trois cent cinquante dollars de meubles chez un certain Daniels À rembourser par tranches mensuelles Ton idée et elle t'exalte c'est de faire fructifier ton expérience Dans le domaine de l'import-export Tu seras agent tu seras courtier Toi qui connais bien les frontières (Ponzi aménage ses bureaux du 27, School Street.) Mais pour ça il faut se faire connaître Et tu n’as pas de connaissance Parmi ceux qui doivent te connaître Tu as besoin de publicité La publicité ça coûte cher Faut imprimer des circulaires Ça monte à cinq cents l’exemplaire Et beaucoup plus pour l’étranger Tu seras mort avant de commencer. PONZI – Quand on n’a pas les moyens d’acheter ce que les autres vous vendent, il faut s’arranger pour le vendre soi-même. Extrait du Système de Ponzi de David Lescot, Actes Sud-Papiers, 2012 Les tournées du TNS > page 3

description

Journal du Théâtre national de Strasbourg, toutes les actus, les spectacles, entretien, stammtisch

Transcript of Le Journal du TNS #13 / Mars-Avril

Page 1: Le Journal du TNS #13 / Mars-Avril

OURNALJ Théâtre National de StrasbourgMars-avril 2012 / n°13

La Commission centralede l'enfance

David Lescot> page 2

Têtes rondes etTêtes pointuesEntretien avec

Christophe Rauck> pages 2 et 3

Nunzio et PaliCompagnie

Scimone/Sframeli> page 3

• Le spectateur émancipéJacques Rancière (extrait)

• Colloque « Penser le spectateur »Université de Strasbourg/TNS

> Stammtisch

« Le système de Ponzi, après tout,c’est le nôtre »

Le Système de Ponzi

© P

asca

l Vic

tor

Art

com

Art

La première fois que j’ai entendu le nom de Ponzi, c’était dans la bouche de Ber-nard Madoff, l’escroc qui possède sans doute le plus beau palmarès de tous les temps (50 milliards de dollars détour-nés et 150 années de prison). «  Mon système, c’était une Chaîne de Ponzi », disait Madoff. Alors je me suis rensei-gné sur Ponzi.

Charles Ponzi était un Italien immigré aux États-Unis au début du XXe siècle, et qui, après quinze années de galères inimaginables, monta à Boston une es-croquerie financière, garantissant 50 % d’intérêts en 45 jours, qui le rendit mil-lionnaire pendant un an.Surtout, à travers lui, c’est le siècle à venir qui se raconte, d’un point de vue qui n’est ni celui des utopies, ni celui des régimes politiques, ni celui des guerres, mais celui de l’argent. Ponzi ne croit en rien, sinon qu’il est destiné à faire de l’argent, ce qui est relativement vrai.Après la crise de 2008 (les crises sont fatales aux escrocs, 2008 a fait tom-ber Madoff), on se mit à parler plus que jamais de capitalisme sauvage, de moralisation des banques. Alors re-montons à l’âge du far-west financier, 1920, l’époque de Ponzi, figure tutélaire de Madoff et peut-être aussi créature à l’image du système lui-même, et en-gendrée par lui.

Durant l’aventure de Ponzi, on assiste à une crise financière diagnostiquée dans des termes qui annoncent déjà celle qui aura lieu cent ans plus tard, un ouragan dévaste la Nouvelle-Orléans, les devises européennes encaissent des dévaluations record… Hasard ou bégaiement de l’histoire  ? Élément de comparaison en tout cas, non pour constater que tout est toujours iden-tique, mais pour mesurer ce qui nous sépare de notre passé, et mieux nous voir à travers cette lentille-là.

Je crois en un théâtre qui soit conscient de son histoire, et qui soit conscient de l’Histoire. Et qui sache inventer les formes nouvelles propres à l’exprimer. Le Système de Ponzi n’est pas une re-constitution. C’est une pièce musicale, un opéra parlé, et pas seulement parlé, un récit épique qui convoque tous les moyens propices au récit. Du Chœur jaillissent les personnages, une kyrielle, qui rejoignent à nouveau le Chœur, d’où jaillissent d’autres personnages. Seul moyen de couvrir un temps, un espace, une foule, une action si épique car si étendue.J’ai fait appel pour ce projet à des ac-teurs musiciens, chanteurs, caméléons, et à mon équipe pour créer un espace et une esthétique de la dislocation et du réagencement permanents. Un espace

modulable, sans construction massive, fait d’éléments mobiles, manipulés dans le temps de la représentation par les acteurs, qui se scinde, se défait et se réagence à vue, à l’image d’un monde-champignon qui s’érige, s’écroule, re-naît sans relâche.

La musique et la création sonore y tiennent, comme dans toutes mes créa-tions précédentes, une part prépondé-rante, non pas accompagnement mais structure même du récit théâtral.

J’avoue que j’aime bien les escrocs. Ils sont nécessaires, comme les croche-teurs au monde de la serrure. À travers eux, le système apparaît plus distinct. On peut l’améliorer. Encore que je me soucie peu d’améliorer le système ca-pitaliste. Mais les escrocs, les usurpa-teurs, les affabulateurs, les charlatans réussissent bien au théâtre (Le Menteur de Corneille, Le Révizor de Gogol, Le Ba-ladin du monde occidental de Synge, et même Peer Gynt d’Ibsen). Condamnons-les (dans la vie), mais rendons-leur grâce (sur la scène) de savoir gripper la machine, d’introduire une brèche poé-tique dans le réel. Et rappelons-nous que le système de Ponzi, après tout, c’est le nôtre.

David Lescot,auteur et metteur en scène

SCHOOL STREET INSTALLATIONimport-export

LE CHŒUR – Alors avec le petit pécule tu vas louer deux petits bureauxAu cinquième étage d'un immeuble sur School Street, numéro 27Tu te paies trois cent cinquante dollars de meubles chez un certain DanielsÀ rembourser par tranches mensuellesTon idée et elle t'exalte c'est de faire fructifier ton expérienceDans le domaine de l'import-exportTu seras agent tu seras courtierToi qui connais bien les frontières(Ponzi aménage ses bureaux du27, School Street.)

Mais pour ça il faut se faire connaîtreEt tu n’as pas de connaissanceParmi ceux qui doivent te connaîtreTu as besoin de publicitéLa publicité ça coûte cherFaut imprimer des circulairesÇa monte à cinq cents l’exemplaireEt beaucoup plus pour l’étrangerTu seras mort avant de commencer.PONZI – Quand on n’a pas les moyens d’acheter ce que les autres vous vendent,il faut s’arranger pour le vendre soi-même.

Extrait du Système de Ponzi de David Lescot, Actes Sud-Papiers, 2012

Les tournéesdu TNS

> page 3

Page 2: Le Journal du TNS #13 / Mars-Avril

Têtes rondes et Têtes pointuesEntretien avec Christophe Rauck, metteur en scène

Enfant, je passais mes vacances d’été dans les colonies de vacances de la Com-mission centrale de l’enfance (CCE), cette association créée par les Juifs Commu-nistes français après la Seconde Guerre mondiale, à l’origine pour les enfants des disparus. Elles existèrent jusqu’à la fin des années 80. Mon père y était allé aussi.

J'ai voulu m'en souvenir, sans nostal-gie, et raconter par bribes cette histoire, qui me revient par flashes de souvenirs inconscients, parfois confus, parfois éton-namment distincts  : il y est question de conscience politique, de l’usure d’un es-poir, de règles strictes, d’idéologie tenace, de transgressions en tous genres, d’éveil des sens. J’en ai fait une sorte de petit poème épique, scandé, chanté, qui fait le va-et-vient entre les temps de l’origine et ceux de l’extinction, entre la petite et la grande histoire. Lorsque la SACD et France Culture m’ont commandé un texte en 2005 pour le Fes-tival Nîmes Culture, et qu’ils m’ont averti que l’auteur le lirait lui-même, en pu-blic, j’ai pensé que le moment était venu d’écrire à la première personne, à tous les sens du terme, ce que je n’avais jamais fait auparavant. J’ai vite ressenti le regard des anciens par-dessus mon épaule, une sorte

de responsabilité intimidante. Puis des voix se sont mêlées à la mienne, le texte se faisait tantôt subjectif, tantôt choral, tantôt dialogique. La vérité des sensations et des souvenirs ne devait rien céder à la justesse historique. Et je n’avais qu’une heure. Il m’a semblé que seule la musique pourrait donner à ce texte son unité, et comme j’étais seul, j’ai décidé de m’accom-pagner. Je suis tombé sur une magnifique guitare électrique tchécoslovaque rouge des années 60 (autant dire rare), et je me suis dit qu’elle ferait l’affaire.Aujourd’hui, invité dans d’autres lieux, je ne veux pas multiplier davantage les moyens techniques ou scéniques. Un pro-jecteur ou deux, dans les teintes chaudes du music-hall, une bascule pour passer à la nuit (on verra que les nuits étaient très animées à la CCE), et l’atmosphère d’une belle cave voûtée.Ce sera donc un cabaret minimaliste. Pour une voix, porteuse d’autres voix. Une sorte de ballade, ou de rhapsodie, de revue par-lée-chantée. Parce qu'on chantait beau-coup à la Commission centrale de l'en-fance. Des choses comme « nous bâtirons des lendemains qui chantent », ou « nous voulons chasser la guerre pour toujours », ou encore «  nous marchons dans la nuit profonde… ».

page 2©

Béa

tric

e Lo

geai

s

Au pays du Yahoo règne une situation politique difficile. Pour y remédier le tyran Iberin imagine de diviser le peuple en deux : les bons Tchouques, aux têtes rondes et les malfaisants Tchiches, aux têtes pointues, devenus les boucs émissaires de toute la société. Pour donner toute sa force universelle et poé-tique à ce « conte d’horreur » de Brecht, Christophe Rauck a imaginé une mise en scène alerte, joyeuse, légère et carnava-lesque. Car pour lui les « personnages sont des clowns noirs qui dansent et chantent un monde où la fin ne fait que justifier les moyens au prix du sacrifice des plus nombreux pour les intérêts des plus riches ».

DES CLOwNS AUx NEZ NOIRSAprès avoir monté Le Cercle de craie caucasien et La Vie de Galilée, vous revenez à Brecht avec Têtes rondes et Têtes pointues. Qu'est-ce qui vous a déterminé dans ce choix ?Christophe Rauck : Un premier spectacle inscrit un parcours. C'est avec Brecht que les choses ont su sortir de moi. J'arrive à dialo-guer avec lui. J'ai découvert Brecht et monté Le Cercle de craie caucasien sans aucune référence. Ma seule référence à l'époque, c'était l'Inde et le kathakali. J'en ai fait un spectacle coloré et mas-qué. Je ne crois pas que l'on choisit une pièce mais plutôt qu'une pièce vous tombe dessus. J'ai lu Têtes rondes et Têtes pointues juste après avoir mis en scène Le Cercle de craie caucasien. Jusqu'à aujourd'hui, je ne me sentais pas prêt. Maintenant, je suis en me-sure de le faire. Pourquoi ? C'est un mystère, et tant mieux. Ce que je sais, c'est qu'avec le Théâtre Gérard Philipe que je dirige, j'ai pu réunir l'équipe artistique et les maîtres d'œuvre nécessaires pour m'accompagner dans ce travail.

Comment vous confrontez-vous à l'Histoire dans votre mise en scène, sachant que cette pièce dé-nonce l'ascension du nazisme et laisse voir aussi l'espoir que représentait le communisme  ? Com-ment résonne aujourd'hui la pièce ?C. R. : Même si elle part d'un contexte politique pré-cis, la pièce est plus grande que ces deux références idéologiques. Sinon, elle ne tiendrait pas l'écriture de plateau. Têtes rondes et Têtes pointues est une pièce de combat qui a été écrite comme on monte sur un ring à partir de Mesure pour Mesure de William Sha-kespeare. C'est aussi pour ça qu'elle garde cette puissance, car elle s'est créée à l'ombre de la pièce de Shakespeare.Elle dissèque un odieux projet politique, la machi-nation d'une classe riche et dominante qui, pour dé-truire une révolution naissante, va remplacer la lutte des classes par la lutte des races. Pour cela, elle va s'appuyer sur un homme providentiel venant de la

classe moyenne, qui va mettre en acte un discours de culpabilité mettant en opposition les têtes rondes et les têtes pointues.Une fois cet objectif atteint, une fois la résistance broyée, il suf-fira de remettre en place l'ancien système, à nouveau solide et bien portant. L'argent, et le pouvoir qu'il accorde, sont au cœur de la pièce. C'est ce qui est à mon sens très actuel.Cela résonne aujourd'hui bien plus que le combat des « noirs » contre les « rouges ».

La fable très noire est en quelque sorte compensée par le gro-tesque et la musique. Est-ce selon vous l'un des aspects les plus intéressants de cette pièce ? Comment avez-vous abordé la musique ?C. R. : II faut rire de Têtes rondes et Têtes pointues comme on rit lorsque l'on se rend au Palais des glaces et que l'on se découvre dans les miroirs déformants. Avec le titre, Brecht inscrit le gro-tesque au fronton de sa fable et l'on rit de la férocité de ses per-sonnages, comme devant des clowns aux nez noirs. Avec Eisler, Brecht voulait faire de Têtes rondes et Têtes pointues une comé-die musicale. Puis le projet a changé, c'est devenu une pièce avec des chansons. La musique suscite de l'émotion, de l'inat-tendu, elle met du spectacle dans le théâtre, et Brecht l'utilise pour élargir son audience, atteindre le plus grand nombre. La musique participe à la compréhension de la fable. Elle amène l'émotion, ouvre les sens, mais aussi le sens. Avec Kurt Weill, Hanns Eisler, et Paul Dessau, Brecht s'est entouré de compo-siteurs porteurs d'un mouvement musical allemand très fort. Leurs compositions sont très référencées à une époque, un pays, une culture. Je voulais désincrire la pièce de son contexte

originel. J'ai donc demandé à Arthur Besson, qui m'accompagne depuis plusieurs années sur les spectacles, de composer une nouvelle partition. Et puis j'aime notre collaboration.

Quelle scénogra-phie avez-vous ima-ginée ?C. R. : C'est Jean-MarcStehlé qui a conçu la scénographie. Je ne voulais pas d'un dé-cor réaliste, il fallait imaginer quelque chose de léger, mo-bile, simple. J'avais l'idée du carton, du dessin, de la carte à gratter. J'avais envie qu'on se pro-mène dans un autre monde, poét ique. Jean-Marc a réa-lisé des silhouettes de villes en carton, qui permettent une grande fluidité dans les passages d'un tableau à l'autre. Et puis, pour moi, j'associe Jean-Marc Stehlé à Matthias Langhoff mais surtout aux grands spectacles de Benno Besson qui ont su à l'époque me faire aimer et comprendre le théâtre.

Propos recueillis par Agnès Santipour La Terrasse, janvier 2011

© A

nne

Nor

dman

n

LA COMMISSION CENTRALE DE L’ENFANCE et LE SYSTÈME DE PONZI de David Lescot

Du 27 mars au 26 avril 2012 • Salle Gignoux

LA COMMISSION CENTRALE DE L’ENFANCEDu mardi 27 mars au mercredi 4 avril

Mise en scène David Lescot

Du mardi au samedi à 20h,le dimanche 1er avril à 16hRelâche lundi 2 avril

Avec David Lescot

LE SYSTèME DE PONZIDu mercredi 11 au jeudi 26 avril

Mise en scène David LescotDu mardi au samedi à 20h, les dimanches à 16hRelâche les lundisAvec Scali Delpeyrat, Marie Dompnier, Clément Landais, David Lescot, Odja Llorca, Elizabeth Mazev, Céline Milliat-Baumgartner, Charlie Nelson, Jean-Christophe Quenon, Virgile Vaugelade, François Gauthier-Lafaye

Coproduction du TNS> Séance spéciale :Audiodescription Mardi 3 avril

> Séance spéciale :Surtitrage français Mercredi 18 avril

CAbARET ThéâTRE EN PENSéES bORD DE PLATEAu À L’éCOLE

Les acteurs du spectacle rejoints par ceux de la troupe du TNS improvisent un cabaret sur le thème de l’ArgentSamedi 14 avrilà 22h45, Café du TNSEntrée libre dans la limite des places disponibles.

« Dire le monde, ni plus ni moins »Rencontre avec David Lescot animée par Olivier Neveux (département des Arts du spectacle/Université de Strasbourg)Lundi 16 avril à 20hSalle Gignouxp détails dans les brèves

à l’issue de la représentation du Système de Ponzi.Mercredi 18 avril

David Lescot dirigera un atelier avecles élèves du Groupe 41(1ère année)Du 2 au 28 avril

3 vIDéO : www.tns.fr

La Commission centrale de l'enfanceun autre spectacle de David Lescot, auteur, metteur en scène et interprète

TÊTES RONDES ET TÊTES POINTuES de bertolt brecht

Du 13 mars au 1er avril 2012 > Séances spéciales • AudiodescriptionDimanche 25 mars• Surtitrage français Vendredi 30 mars• Surtitrage allemand Samedi 31 mars

Mise en scène Christophe Rauck

Du mardi au samedi à 20hDimanches 25 mars et 1er avril à 16hRelâche les lundis et dimanche 18 mars

Salle KoltèsAvec Myriam Azencot, Emeline Bayart, Marc Chouppart, Philippe Hottier, Jean-Philippe Meyer, Juliette Plumecocq-Mech, Camille Schnebelen, Marc Susini, Alain Trétout

© A

nne

Nor

dman

n

Page 3: Le Journal du TNS #13 / Mars-Avril

PROJECTION et RENCONTRE

Due amiCi de Spiro Scimoneet Francesco Sframeli d’après Nunzio(2002 - VOSTFR - 90 min.)

suivie d’une rencontre avec les auteurs

Samedi 17 mars à 16hCinéma Le Star • 27 rue du Jeu des enfantsTarif spécial 4.50€ sur présentation de la carte d’abonnement du TNS ou d’un billet Nunzio ou Pali

3 vIDéO : www.tns.fr

page 3

w w w . t n s . f r+33 (0)3 88 24 88 00

Théâtre en pensées

TêTES RONDES ET TêTES POINTUES

Rencontre avec Christophe Rauck, metteur en scène, animée par Emmanuel Behague, ensei-gnant du département d’Études allemandes/UdS

« UNE PARABOLE D’HIER POUR AUJOURD’HUI ? »Pièce écrite en 1934, mise en scène pour la première fois en Suède, Têtes rondes et Têtes pointues devait rendre compte dans l’urgence de l’arrivée au pouvoir d’Hitler et de la montée de l’antisémitisme en Allemagne. Une lecture marxiste des bouleversements politiques la sous-tend  : le capitalisme donne naissance au fascisme, dans sa volonté de conserver intact un (des)équilibre de l’exploitation, un «  état des choses » auquel Brecht opposera toujours l’idée d’une intervention possible dans l’Histoire.Sur la scène, Christophe Rauck évite les réfé-rences trop explicites à l’Allemagne pour propo-ser une lecture riche en possibilités d’associa-tions de la part du spectateur, dans laquelle la musique est plus présente encore que dans la pièce, et qui renoue – peut-être – avec le principe brechtien de la distanciation.

> Lundi 26 mars à 20h au TNSRéservation recommandée

LE SYSTèME DE PONZI

Rencontre avec David Lescot, auteur et metteur en scène, animée par Olivier Neveux, directeur du département des Arts du spectacle/UdS

« DIRE LE MONDE, NI PLUS NI MOINS »Un article publié il y a quelques années, par David Lescot s’intitulait : « Dire le monde, ni plus ni moins  ». Cela semble bien définir le théâtre qu’il écrit, met en scène, joue. Mais la formule est intrigante : pourquoi ne pas dire moins que le monde, autre chose que celui-ci ? Ou, à l’inverse, de quoi la représentation théâtrale du monde ne devrait-elle pas s’encombrer ?Interroger David Lescot sur ce que son théâtre dit du monde et sur la façon dont il le dit, c’est aussi, nécessairement, croiser en chemin la grande histoire, celle de la résistance, celle de l’Europe et une foule de personnages drôles, émouvants, à la dérive, des hommes en faillite, traqués, et désormais un escroc : Ponzi.

> Lundi 16 avril à 20h, salle GignouxRéservation recommandée

Colloque

« PENSER LE SPECTATEUR »p Détails dans la Stammtisch> Mercredi 28, jeudi 29 et vendredi 30 marsà l’UdS et au TNS

Atelier de jeu

« GRAND wEEk-END THÉâTRE »> Du 29 mars au 1er avril Animé par David Martins, acteur de la troupe du TNS, à partir de textes de Valère Novarina.Renseignements auprès deAnne-Claire Duperrier 03 88 24 88 03 • [email protected] • Tarif 40 €

L’école du TNS

THÉâTRE ICI–BOUxwILLER, MARS 1956-2012Sous la direction de Catherine Marnas, les élèves du Groupe 41 participeront aux manifes-tations organisées par Le Théâtre du Marché aux grains qui rendra hommage aux cadets du Centre Dramatique de l’Est venus le 12 mars 1956 à Bouxwiller pour la première représenta-tion des tournées tréteaux. Ils liront des textes issus d’une réflexion sur la décentralisation et ce qu’elle évoque pour eux aujourd’hui. > Lundi 12 mars à 20h30Au Théâtre Christiane Stroë à BouxwillerRenseignements : 03 88 70 94 08 • [email protected]

Traduire l’Europe

7es RENCONTRES EUROPÉENNES DE LITTÉRATUREà Strasbourg > du 23 au 31 marsFred Cacheux, comédien de la troupe du TNS, participera à l’hommage rendu à Drago Jančar, à la littérature slovène et à sa traductrice Andrée Lück-Gaye, par une lecture de textes. La séance sera animée par Vladimir Fisera.> Samedi 24 mars à 15h • Au Palais du Rhin Plus d’informations sur le sitewww.prixeuropeendelitterature.eu

Festival Premières

7e ÉDITIONLe programme de la 7e édition du Festival Premières sera disponible en avril.

« Nunzio et Pali, comme tous mes autres textes, sont nés à partir du besoin et de la nécessité de réciter. Mon écriture théâtrale possède un fort lien avec mes études et ma formation d’acteur. Le point de départ de ma dramaturgie est la recherche du corps des personnages. Si je trouve leur corps, je trouverai leurs mots, leurs silences, leurs actions. Le corps des personnages n’est ni abstrait ni réel. Le corps des personnages est théâtral et vit uniquement pendant la représentation, à travers le corps de l’acteur, avec la présence, indispensable, du spectateur. La relation entre l’auteur, l’acteur, le spectateur, se trouve à la base de mon théâtre et de celui de mon ami, partenaire et metteur en scène, Francesco Sframeli. On ne peut pas acquérir cette relation d’avance, mais elle devra être créée soirée après soirée, moment après moment. Et pour la créer, il est important qu’il y ait toujours, entre les trois éléments, une réelle écoute. Le théâtre nous éduque à l’écoute ; parce qu’il s’agit d’un lieu de confronta-tion, d’échange, d’ouverture, de liberté... Pour cette raison il est magique. » Spiro Scimone (trad. Guiseppe Cavaleri)

NunzioCe soir, Nunzio est heureux : son ami Pipo est de retour. Mais ce dernier repartira dans quelques heures, pour une mysté-rieuse mission au Brésil. Cette pièce raconte l’amitié pleine de pudeur de deux hommes en marge de la vie. Liens étranges que ceux qui unissent Pipo (un tueur à gages ?) et Nunzio (un grand naïf ?). L’écriture, épurée, laisse deviner toute l’intensité de ce qui n’est pas dit. Un duo improbable, à la fois tendre et comique, qui trinque aux femmes, aux pâtes « à la manière de Pipo », à toutes les violences et les douceurs. Un théâtre qui fait la part belle au jeu, aux rapports subtils, à ce qui se dit ou se tait.

NuNZIO et PALI de Spiro Scimone

Du 13 au 25 mars 2012Spectacles italiens surtitrés en français

Salle Gignoux

NUNZIO : du mardi 13 au dimanche 18 mars PALI : du mardi 20 au dimanche 25 mars

Mise en scène Carlo Cecchi Mise en scène Francesco Sframeli

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16hAvec Francesco Sframeli et Spiro Scimone Avec Francesco Sframeli, Spiro Scimone, Salvatore Arena,

Gianluca Cesale

MARS

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13s TêTES RONDES...

s NUNzIO

14

15

16

17

18

19

20 s PALI

21

22

23

24

25

26

27 s LA COMISSION...

28

29

30

31

AVRIL

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11 s LE SySTèME...

12

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

28

29

30

Pali (Les Poteaux)D’en bas, c'est un bourbier infâme, à perte d'horizon. Alors La Brûlée et Sans-mains ont décidé de se percher sur des poteaux. Arrivent Le Noir et L'Autre, deux compères qui ont «  besoin d'entrer  », sans trop savoir ni où ni comment ni pourquoi. Comment entre-t-on en contact avec l'autre  ? Et pourquoi ? Que reste-t-il à partager ? Les quatre personnages de comédie explorent, sous des allures farfelues, l'essentiel. Le rire est un refuge opposé à l'injustice et l'égoïsme du monde environnant. Le quotidien absurde qu'ils évoquent n'est pas sans résonance avec le nôtre. Le jeu des acteurs est vif, l'expression des corps se met au service des dialogues acérés.

© C

anon

e U

lisse

© G

iann

i Fio

rito

Deux spectaclesde la compagnie Scimone/Sframeli

LE DIRECTEUR DU THÉâTRE – Tout dépend du crâne dont l’homme est doté.C’est pourquoi, là où le grand distributeur est passéOn regarde chez les hommes leur peau, leurs cheveux et leur nezEt on frappe, jusqu’à ce qu’ils soient perclus, paralysés,Tous ceux qu’il a dotés du mauvais crâne.Et partout on sollicite notre dramaturgeLui demandant si la différence des crânesne le dérange pasS’il ne voit pas de différences entre les hommes.Alors il dit : je vois une différence.Mais la différence que je vois,Elle est plus grande que celle entre les crânesEt elle laisse une trace bien plus profondeEt elle décide du bien-être ou de la souffranceen ce monde.Et je vais vous la nommer sans triche :C’est la différence entre les pauvres et les riches.

Extrait du prologue de Têtes rondes et Têtes pointues

de Bertolt Brecht, L'Arche Éditeur, 2011

Trad. Ruth Orthmann et Éloi Recoing

Les tournées du TNS Mars/Avril

CRÉATION DU TNSDom Juan de Molière

Mise en scène de Julie BrochenCréé au TNS le 8 mars 2011

• Besançon, Nouveau Théâtre, 13 > 16 mars• Colmar, Théâtre Municipal-Comédie de l’Est, 21 > 23 mars

• Caen, Théâtre, 27 > 29 mars

COPRODUCTIONS 2011-2012Du fond des gorges

Projet de Pierre MeunierCréé au Théâtre Dijon-Bourgogne le 8 novembre 2011

• Paris, Théâtre de la Bastille, 29 février > 30 mars

Le Système de PonziTexte et mise en scène de David Lescot

Créé au Théâtre de l’Union de Limoges le 17 janvier 2012• Nancy, La Manufacture, 13 > 17 mars

• Saint-Étienne, La Comédie, 21 > 23 mars

COPRODUCTION 2009-2010The wooster Group – VIEUx CARRÉ d'après Tennessee Williams

Mise en scène Elizabeth LeCompteCréé au TNS le 6 novembre 2009

• Toronto, Harbourfront Centre, 28 > 31 mars (sous réserve)

ThéâTRE EN PENSéES

« Une parabole d’hier pour aujourd’hui ? »Rencontre avec Christophe Rauck animée par Emmanuel Behague (département d’Études allemandes/Université de Strasbourg) Lundi 26 mars à 20h au TNSp détails dans les brèves

3 vIDéO : www.tns.fr

Page 4: Le Journal du TNS #13 / Mars-Avril

Stammtisch

Édité par le Théâtre National de Strasbourg • Directrice de la publication Julie Brochen • Responsables de la publication Éric de La Cruz, Fanny Mentré, Chantal Regairaz • En collaboration avec Lorédane Besnier, Anne-Claire Duperrier, Tania Giemza, Chrystèle Guillembert, Fabienne Meyer et Lorraine Wiess • Graphisme Tania Giemza • Remerciements à Emmanuel Béhague, Armelle Talbot, Olivier Neveux, La fabrique éditions, La Terrasse et Agnès Santi • Impression Roto Offset – Rixheim

Renseignements/Location : 03 88 24 88 24

Tarifs saison 2011-2012 : de 5,50 € à 27 €

Où et comment acheter vos billets ?(hors abonnement)

• Au guichet du TNS : Place de la RépubliqueHoraires d’ouverture : le lundi de 14h à 18h,du mardi au samedi de 10h à 18h.

Informations pratiques • Par téléphone : 03 88 24 88 24et par Internet http://billetterie.tns.fr(à moins de 2 jours avant la date choisie,les réservations ne peuvent plus être acceptées).

• À la caisse du soir  (uniquement le spectacle du jour)  : ouverte 45 min. avant le début de la représentation.

• Autres points de vente : Boutique Culture (place de la Cathédrale), au Kiosque Culture - réservé aux détenteurs de la carte Culture (L’Agora - bâtiment Le Platane), et dans le réseau « FNAC, Carrefour, Géant, Système U, Intermarché » (www.fnac.com –www.carrefour.fr – www.francebil let .com0892 68 36 22 : 0.34€/mn)

Où se jouent les spectacles ?

TNS : 1 avenue de la Marseillaise- Salle Koltès, placement numéroté- Salle Gignoux, placement libre

ESPACE KLAUS MICHAEL GRüBER :18 rue Jacques Kablé, placement libre

Toutes les salles sont accessiblesaux personnes à mobilité réduite.

Où trouver le Journal du TNS Au TNS et dans de nombreux lieux de dépôts : Boutique culture, bibliothèques, FNAC, théâtres, musées, bars… (liste consultable sur le site du TNS) •Sur le site du TNS www.tns.fr (téléchargeable dès les 1er Septembre, Novembre, Janvier, Mars, Mai) • Sur le blog du TNS : www.tns.fr/blog > catégorie Le Journal du TNS.

LE SPECTATEUR éMANCIPé (extrait)

Qu’est-ce qui permet de déclarer inactif le spectateur assis à sa place, sinon l’opposition radicale préalablement posée entre l’actif et le passif ? Pourquoi identifier regard et passivité, sinon par la présupposition que regarder veut dire se complaire à l’image et à l’apparence en ignorant la vérité qui est derrière l’image et la réalité à l’extérieur du théâtre ? Pourquoi assimiler écoute et passivité sinon par le préjugé que la parole est le contraire de l’action  ? Ces oppositions – regarder/savoir, apparence/réalité, activité/passivité – sont tout autre chose que des oppositions logiques entre termes bien définis. Elles définissent proprement un partage du sensible, une distribution a priori des positions et des capacités et incapacités attachées à ces positions. Elles sont des allégories incarnées de l’inégalité. C’est pourquoi l’on peut changer la valeur des termes, transformer le «  bon  » terme en mauvais et réciproquement sans changer le fonctionnement de l’opposition elle-même. Ainsi on disqualifie le spectateur parce qu’il ne fait rien, alors que les acteurs sur la scène ou les travailleurs à l’extérieur mettent leurs corps en action. Mais l’opposition du voir au faire se retourne aussitôt quand on oppose à l’aveuglement des travailleurs manuels et des praticiens empiriques, enfoncés dans l’immédiat et le terre à terre, la large perspective de ceux qui contemplent les idées, prévoient le futur ou prennent une vue globale de notre monde. On appelait naguère citoyens actifs, capables d’élire et d’être élus, les propriétaires qui vivaient de leurs rentes et citoyens passifs, indignes de ces fonctions, ceux qui travaillaient pour gagner leur vie. Les termes peuvent changer de sens, les positions peuvent s’échanger, l’essentiel est que demeure la structure opposant deux catégories, ceux qui possèdent une capacité et ceux qui ne la possèdent pas.L’émancipation, elle, commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les

évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent elles-mêmes à la structure de la domi-nation et de la sujétion. Elle commence quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme ou transforme cette distribution des positions. Le spectateur aussi agit, comme l’élève ou le savant. Il observe, il sélectionne, il compare, il inter-prète. Il lie ce qu’il voit à bien d’autres choses qu’il a vues sur d’autres scènes, en d’autres sortes de lieux. Il compose son propre poème avec les éléments du poème en face de lui. Elle participe à la performance en la refaisant à sa manière, en se

dérobant par exemple à l’énergie vitale que celle-ci est censée transmettre pour en faire une pure image et associer cette pure image à une histoire qu’elle a lue ou rêvée, vécue ou inventée. Ils sont à la fois ainsi des spectateurs distants et des interprètes actifs du spectacle qui leur est proposé.C’est là un point essentiel  : les spectateurs voient, ressentent et comprennent quelque chose pour autant qu’ils composent leur propre poème, comme le font à leur manière acteurs ou dramaturges, metteurs en scène, danseurs ou performers. Observons seulement la mobilité du regard et des expressions des spectateurs d’un drame religieux chiite traditionnel commémorant la mort de l’imam Hussein, saisis par la caméra d’Abbas Kiarostami (Tazieh). Le dramaturge ou le metteur en scène voudrait que les spectateurs voient ceci et qu’ils ressentent cela, qu’ils comprennent telle chose et qu’ils en tirent

telle conséquence. C’est la logique du pédagogue abrutissant, la logique de la transmission droite à l’identique  : il y a quelque chose, un savoir, une capacité, une énergie qui est d’un côté – dans un corps ou un esprit – et qui doit passer dans un autre. Ce que l’élève doit apprendre est ce que le maître lui apprend. Ce que le spectateur doit voir est ce que le metteur en scène lui fait voir. Ce qu’il doit ressentir est l’énergie qu’il lui communique. À cette identité de la cause et de l’effet qui est au cœur de la logique abrutissante, l’émancipation oppose leur dissociation. C’est le sens du paradoxe du maître ignorant : l’élève apprend du maître quelque chose que le maître ne sait pas lui-même. Il l’apprend comme effet de la maîtrise qui l’oblige à chercher et vérifie cette recherche. Mais il n’apprend pas le savoir du maître.[…]Je suis conscient que de tout ceci il est possible de dire  : des mots, encore et seulement des mots. Je ne l’entendrai pas comme une insulte. Nous avons entendu tant d’orateurs faisant passer leurs mots pour plus que des mots, pour la formule de l’entrée dans une vie nouvelle ; nous avons vu tant de représen-tations théâtrales prétendant être non plus des spectacles mais des cérémonies communautaires  ; et même aujourd’hui, en dépit de tout le scepticisme « postmoderne » à l’égard du désir de changer la vie, nous voyons tant d’installations et de spec-tacles transformés en mystères religieux qu’il n’est pas néces-sairement scandaleux d’entendre dire que des mots sont seule-ment des mots. Congédier les fantasmes du verbe fait chair et du spectateur rendu actif, savoir que les mots sont seulement des mots et les spectacles seulement des spectacles peut nous aider à mieux comprendre comment les mots et les images, les histoires et les performances peuvent changer quelque chose au monde où nous vivons.

La fabrique éditions, 2008. Extraits pages 18-29.

de Jacques Rancière, philosophe

b l oRéagir sur le

www.tns.fr/blogS’exprimer, publier, partager sur le

Mercredi 28 mars Jeudi 29 mars vendredi 30 mars

À L'UNIVERSITÉ, SALLE DE CONFÉRENCE DE LA MISHA10H-13HOuverture du colloque par Alain Beretz et Julie Brochen ;Olivier Neveux et Armelle TalbotTable ronde avec • Jean Jourdheuil (metteur en scène, écrivain, traducteur, Université Paris Ouest)• Benoît Lambert (metteur en scène)• David Lescot (auteur, metteur en scène, Université Paris Ouest)• Marie-José Malis (metteure en scène)

14H30-18HRetour sur Le spectateur émancipéde Jacques Rancière• Christophe Triau (Université Paris VII) :« De la ‘‘représentation émancipée’’ au ‘‘spectateur émancipé’’ » • Jean-Marc Lachaud (Université de Strasbourg) :« La question de l’émancipation (esthétique et politique) » • Bérénice Hamidi-Kim (Université Lyon II) : « Le spectateur émancipé ou la mort du théâtre critique »• Christian Ruby : « Critique de la raison spectatrice »

19HEntretien avec JACQUES RANCIèRE

À L'UNIVERSITÉ, SALLE DE CONFÉRENCE DE LA MISHA, 5 allée du Général Rouvillois9H-13HEspaces du spectateur• Sandrine Dubouilh (Université Bordeaux III) : « L’analyse scénographique des lieux de spectacle. Un outil pour ‘‘penser le spectateur’’ »• Anne Gonon (HorsLesMurs) : « Le spectateur chahuté : les arts de la rue comme prisme d’observation »La séance du spectateur : théâtre et cinéma• David Faroult (Université Paris Est) : « Daney : le spectateur pensant »• Entretien autour de La Loi du marcheur avec le comédien Nicolas Bouchaud et le metteur en scène Éric Didry

14H30-18H30Politiques du spectateur• Diane Scott (Université d’Amiens) : « Public »• Thomas Voltzenlogel (Université de Strasbourg) : « ‘‘Puisse chacun être son propre historien’’. Le spectateur comme producteur »• Klaas Tindemans (RITS, Bruxelles) : « Regard et réalité. Le spectateur du théâtre documentaire »• Laetitia Dumont-Lewi (Université Paris Ouest) : « Public émancipé, spectateur apprivoisé : les paradoxes de Dario Fo »• Marion Boudier (ENS-LSH) : « Des dramaturges ‘‘ignorants’’ : théorie et poétique de l’émancipation du spectateur chez M. Vinaver, O. Hirata et J. Pommerat »

AU CINÉMA STAR ST-EXUPÉRy20H30Le Théâtre de l’Opprimé : figures du spect/acteur, d’Augusto Boal à aujourd’hui• Projection de Jana Sanskriti. Un théâtre en campagne de Jeanne Dosse (2005)• Discussion avec Montse Forcadas (Forn de Teatre Pa’tothom de Barcelone), Muriel Naessens (Groupe du Théâtre de l’Opprimé de Paris) et Jacqueline Martin (codirectrice du Théâtre du Potimarron)

À L'UNIVERSITÉ, SALLE DE CONFÉRENCE DE LA MISHA9H-12H30Pratiques spectatrices• Thomas Cepitelli (Université Lyon III) : « La parole du spectateur : enjeux méthodologiques »• Sophie Lucet (Université Rennes II) : « Les mémoires du spectateur »• Frédéric Maurin (Université Paris III) : « Le spectateur a posteriori »• Christian Biet (IUF – Université Paris Ouest) :« Le spectateur / les spectateurs. Pour une posture critique de l’hétérogénéité »

AU TNS14H-15H Entretien avec JULIE BROCHEN

15h30-18hNouvelles expériences spectatrices• Catherine Bouko (Université Libre de Bruxelles) :«  Le spectateur postdramatique et la théorie des Keyingsd’E. Goffman »• Leila Adham (Université de Poitiers) : « Regarder l’invisible »• Anyssa Kapelusz (Université Paris III) : « Quitter la communauté ? Dispositifs d’écoute au casque pour spectateur-auditeur »

COLLOQUE « PENSER LE SPECTATEUR » organisé par l’Université de Strasbourg et le Théâtre National de StrasbourgSous la responsabilité de Olivier Neveux et Armelle Talbot (Département des Arts du spectacle/UFR des Arts/Université de Strasbourg). En présence de Jacques Rancière et Julie Brochen.Faisant dialoguer universitaires et artistes, ce colloque se concentrera sur les scènes du XXe et du XXIe siècles pour examiner la place qu’y occupe le spectateur et en explorer les enjeux esthétiques et politiques, à la lumière de la réflexion menée par Jacques Rancière dans Le spectateur émancipé (La fabrique éditions). Renseignements au TNS : Chrystèle Guillembert 03 88 24 88 34 ou [email protected] • à l’UdS : [email protected]

C’est là un point essentiel : les specta-teurs voient, ressentent et comprennent quelque chose pour autant qu’ils com-posent leur propre poème.

© A

lfre

d Ei

sens

taed

t • T

ime

& L

ife P

ictu

res/

Get

ty Im

ages

Avec le soutien de l'EA 4414 « Histoire des arts et des représentations » (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) et de l'Institut Universitaire de France.Remerciements à Christian Biet, Jeanne Dosse, le-maillon, théâtre de Strasbourg - scène européenne, Mémoire magnétique production, Théâtre/Public.

Enfants à un spectacle de Guignol au Parc Montsouris, Paris, 1963