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LE GRAND RAID DE LA RÉUNION LA DIAGONALE DES FOUS 17/10/2019 "l’AVENTURE"

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LE GRAND RAID DE LA RÉUNION

LA DIAGONALE DES FOUS

17/10/2019

"l’AVENTURE"

166 km – 9611m D+

« …10 , 9 , 8 , … » A l’unisson du speaker, les coureurs du Grand Raid et les spectateurs

scandent le compte à rebours du départ.

Il est 22h, ce jeudi 17 Octobre 2019, date cochée

sur le calendrier depuis plus d’un an, et avec Jean-Luc,

nous sommes sur la ligne de départ de cette course

mythique. Au programme cette année: 166 km et 9611 m

de dénivelé. De quoi faire peur ou rendre nerveux, stressé

une bonne partie du peloton qui se masse derrière les

‘élites’.

Nous sommes sur la zone de départ depuis 19h environ.

Après avoir déposé nos 3 sacs de ravitaillement (Cilaos

km65, Savannah Km128, et arrivée) et fait vérifier le

contenu obligatoire de notre sac de départ, nous nous sommes allongés sur l’herbe en attendant

l’heure H. Je profite de ce petit temps d’attente pour me reposer, comme cet après-midi où je me

suis allongé en essayant de dormir avant les nuits qui m’attendent où, probablement, les périodes

de sommeil seront courtes et espacées.

« …7, 6 , 5 , … » Par un heureux hasard,

Jean-Luc et moi sommes sur la ligne de

départ au même niveau que Christine,

Alain et Nathalie (mon équipe logistique).

Les derniers mots d’encouragement,

quelques photos, … Je ne suis pas stressé;

je suis concentré, déjà dans ma bulle de

course depuis quelques jours. Je ne sais

pas, je ne m’imagine pas ce qui m’attend.

Je me suis mis quelques balises : Cilaos

en milieu de journée demain ; Sommet du

Maïdo au petit matin de samedi si

possible après la traversée de Mafate de

nuit. Est-ce réalisable ? Suis-je capable

physiquement de tenir ce rythme? Dans

quel état physique serai-je à Cilaos ? au Maïdo? … Frais ou déjà explosé? Comment sont les

sentiers? roulants? Caillouteux ? Ombragés ?

« …4, 3 , … » Cette fois, ça y est ! Tous ces mois d’entraînement vont trouver leur conclusion

dans quelques secondes. La semaine a été consacrée à la récupération ; uniquement une sortie de

1h15 vendredi dernier – Sympa cette discussion sur le chemin avec un Réunionnais qui lui aussi

est sur la ligne de départ, quelque part parmi les 2700 autres 'fous'- puis une petite balade lundi le

long de la ravine St Gilles avec Jean-Luc et Alain. Alimentation sous surveillance du coach

(n’oublie pas les protéines…!) pâtes et riz complets, poulet, œufs, …

« …2, 1 , 0 ! » Sous les cris du public massé le long des barrières de chaque côté de la route,

nous passons le portail de départ quelques secondes après le départ officiel. Je regarde ou je mets

les pieds pour éviter la chute idiote au départ ; juste un coup d’œil au feu d’artifice tiré au-dessus

du port de St Pierre. Il n’y a pas de bousculade, seulement tous ces gens agglutinés qui nous font

une haie d’honneur et nous encouragent. Quels frissons ! Quelle énergie, ils nous donnent ! j’en

suis ému et même un peu perturbé tellement c’est fort ! En 2009, le départ des Templiers était un

moment très fort émotionnellement, mais en sortant du village de départ, le silence nous a

rapidement entourés.

A St Pierre, au départ de la ‘Diag’ après plus d’une ½ h de course, c'est une foule toujours aussi

dense qui nous encourage, les enfants qui tendent la main pour un Check.

Encore quelques virages, quelques bosses ou certains continuent de courir puis, les champs de

canne à sucre succèdent au public sur le bord de la route. Les frontales dessinent un serpent

lumineux devant et derrière moi. J’ai perdu Jean-Luc depuis un moment. Nous avons convenu de

faire chacun notre course à notre rythme. J’espère le retrouver à l’arrivée, douché, en forme.

Le silence s’installe. Parfois, nous arrivons sur un groupe de spectateurs qui nous encouragent,

rassemblés autour d’un grand feu de bois. Enfin le premier ravito : « Domaine Vidot ». Je refais

le plein de mes gourdes d’eau, je bois un verre de coca et quelques bouts de banane et quartiers

d’orange. Il y a foule et un peu de bousculade, je ne m’attarde pas.

Quelques minutes plus loin, c’est le fameux bouchon tant redouté dont tout le monde parle. Je

regarde ma montre : 15 mn d’arrêt. Puis le peloton reprend sa marche en file indienne sur ce

chemin en monotrace.

Je ne m’attendais pas, à ce que les 3 heures suivantes soient une succession de course sur

quelques mètres, de marche à la queue leu leu, et d’arrêt lorsque certains obstacles sont à

franchir (ruisseau, barrière, rocher, …). Certains coureurs sont probablement partis trop vite par

rapport à leurs capacités pour éviter d’être retardés, mais ce sont eux qui, au final, créent ce

bouchon. Je ne sais pas si je prends du retard sur mon programme. Peu importe! Je patiente, la

course est encore longue. Mais un peu plus loin, une gêne intestinale commence à se faire sentir.

Est-ce la poche banane que je porte qui appuie sur mes intestins ou plutôt le mélange amandes-

raisins que j’ai avalé il y a quelques instants qui en est à l’origine ?

Notre Dame la Paix (km 25). Il est 3h du matin,

il fait frisquet ; je change mon maillot

« Diagonale » (obligatoire au départ à l’arrivée)

contre un maillot plus chaud et mon coupe-vent

léger. Heureusement, j’ai pensé aux gants ;

j’ajuste mon buff et c’est reparti pour terminer

la montée qui nous mène au ravito de « Nez de

Bœuf » à 2000 m d’altitude.

7h de course, le soleil se lève et éclaire le

paysage d’une magnifique lumière jaune, en

même temps qu’il nous réchauffe

progressivement. Nous marchons toujours sur

ces sentiers où alternent bois, forêts, roches,

plaines herbeuses. Le décor change en

permanence. C'est superbe! C'est Magnifique aurait dit Vanessa !

Chacun court à son rythme maintenant, de petits groupes se forment, certains doublent, d'autres

se font doubler.

Nez de Bœuf (km 38) Le soleil s’est levé sur une

jolie plaine où les gouttes de rosée perlent et brillent

sur l’herbe verte.

On a beau être un trailer fou, on peut aussi être un

peu poète ! mais, pas le temps d’admirer trop

longtemps le paysage dans cette descente vers Mare

à Boue parce que, sur ce sentier, on peut courir un

peu ; le sol est sec, il n’a pas plu ces derniers jours,

sinon, comme son nom l’indique les chemins

seraient identiques à ceux d’un trail breton en hiver.

Mare à Boue (km 48 – 10h30 de course) Ma douleur au ventre n’a pas empiré, mais est toujours

présente. Je ne mange presque plus d’aliments solides entre les pointages. Je rajoute

systématiquement des poudres énergétiques dans mes 2 gourdes, et remplis la poche à eau de

mon sac avec d’eau claire. Combien de temps puis-je tenir dans ces conditions ? Je ne pourrais

jamais atteindre l’arrivée sans ravitaillement solide. Premiers doutes.

Au ravito de Mare à boue, en guise

d’apéritif, je commence par une

soupe aux vermicelles, comme à

chaque ravitaillement. C’est

liquide, ça passe bien. Je prends le

temps de m’asseoir pour essayer de

manger du riz accompagné de

lentilles, j’ai demandé un peu plus

de jus de cuisson des lentilles pour

avoir un plat moins sec. Excellent,

ce plat passe bien ; ce n’est pas

bourratif, mais comment mon

estomac et mes intestins vont-ils

réagir? Je repars avec cette sorte

d’épée de Damoclès au-dessus de

la tête. Alors que jusqu’ici la

course se déroulait comme je

l’avais envisagée, ce grain de sable

me déstabilise. J’en parlerai avec

Christine à Cilaos.

Le côteau Kerveguen – petite bosse de 800m d+ commence à affaiblir les organismes. Certains

coureurs s’arrêtent déjà. Heureusement, cette zone est ombragée (il est 10h) car en plein soleil,

ce serait différent ! ! Je gère mon rythme de montée en essayant d’être le plus économe possible,

de ne pas puiser dans mes réserves, de m’alimenter le mieux possible et de boire régulièrement

(à chaque fois, je pense à Christine qui m’a rabâché : « n’oublie pas de boire régulièrement, par

petites gorgées pour éviter tes soucis d’estomac » … Raté ! ). Ça me fait du bien moralement de

penser à elle, de me souvenir des mots d’encouragement de Lee-Wann et Siloé, des vidéos et

messages drôles et affectueux d’Alexandre et Pierre-Antoine, à de tous ceux qui m’encouragent

via un, sms, un mail, ou autre…

Nous basculons dans la descente vers Cilaos. C’est une étape

importante, non seulement parce qu’elle est synonyme de la

fin du premier tiers de la course, de longue pause, d’un gros

ravitaillement, de changement de vêtements, mais aussi et

surtout parce que je vais revoir des visages connus et faire

avec eux le point de cette première partie de course.

Mais avant, ça descend fort ! marches, échelles, lacets très

courts, étroits et pentus. Attention à ne pas glisser ! Des

coureurs du Zembrocal nous dépassent (c’est la course en

relais à 4, et la fin de la première étape de 40km ; chacun

défend sa position au classement). Ils sont deux ou trois fois

plus rapides que moi! Comment font-ils sur ce type de

sentier, avec ces cailloux, ces racines partout?

Cilaos (km 65 – 14h30 de course) Quelques km de

bitume où le drapeau breton de mon sac permet

d’échanger quelques mots avec un coureur de

Vannes et un autre de Perros-Guirec.

Alain vient à ma rencontre avant le ravito, et les

mots que nous échangeons sont moins

impersonnels que ceux échangés avec des coureurs

inconnus. Plus loin, je retrouve Christine et

Nathalie; ma team d’assistance est au complet.

La zone de ravitaillement étant autorisée

uniquement aux coureurs, je demande à Christine

de trouver, en sortie de ravito, un endroit avec de

l’herbe pour me reposer (dormir si possible) 20mn.

Je récupère mon 1er

sac laissé à l’organisation au départ, et me change entièrement dans les

vestiaires du stade. Un peu d’eau sur le corps pour enlever les restes de sueur et me rafraichir ;

passage au stand repas pour un poulet pâtes … que je ne peux pas avaler (les pâtes sont froides et

ultra cuites, et le poulet est trop sec). Je ressors du ravito et suis Christine qui m’installe sur

l’herbe en plein milieu d’une fête foraine : idéal pour refaire mon sac, vérifier ma frontale et ma

montre, et me faire masser les pieds ! Quant à dormir, …c’est compliqué !Je m’allonge 10 mn.

Christine est inquiète de mon mal de ventre et de mes difficultés à avaler du solide. Si la course

était terminée, cela ne poserait pas de problème, mais il reste encore beaucoup de temps à passer

sur les chemins ; beaucoup d’énergie à dépenser dans les ascensions! Ou vais-je trouver cette

énergie si je ne me ravitaille pas suffisamment ?

Je décide de repartir. 1heure déjà que je suis arrivé à Cilaos ! Alain m’accompagne. Au bout de

quelques mètres, je m’aperçois qu’il me manque 2 équipements essentiels : mon dossard et ma

casquette ! Mon sherpa pique un sprint pour me rapporter tout cela ! Ouf !

Un autre gros morceau s’annonce : le Taïbit (col à presque 2000m) chemin d’accès au cirque de

Mafate. Après une descente agréable et le franchissement d’un cours d’eau sur des troncs

d’arbre, Alain me laisse continuer seul. On a prévu de se retrouver samedi matin au sommet du

Maïdo. Je ne le sais pas encore, mais ce sera dans 20h !

La montée est entrecoupée d’un ravito bienvenu pour refaire le plein d’eau. Il fait chaud en ce

milieu d’après-midi. Un autre ravito improvisé dans une tisanerie privée, avec des musiciens et

… le père Noël ! Vision incongrue que ce spectateur qui nous encourage dans son déguisement.

Il me faudra 5h30 depuis Cilaos pour, après avoir contourné les 3 Salazes, passer le col du

Taïbit, basculer dans le cirque de Mafate et atteindre Marla en contrebas. J’ai allumé ma frontale;

le soleil s’est couché.

Marla (km77 – 21h de course) Enfin un ravitaillement qui me convient (mon estomac me laisse

tranquille depuis Cilaos): rougail saucisse lentilles et soupe + bananes et oranges [Petite musique

de Jean-Luc dans ma tête : « important la vitamine C Prends en régulièrement ! » Bien compris

Coach !].Je m’assois à une table en prenant le temps de déguster, et je décide de dormir 20mn.

De nombreux coureurs sont déjà allongés à même le sol ; certains dans leur couverture de survie.

Je trouve un endroit un peu à l’écart, je mets sur moi tous les vêtements disponibles de mon sac

et m’allonge sur l’herbe. Je règle mon téléphone en compte à rebours à 30 mn. Le sol est dur, je

me retourne plusieurs fois pour trouver la bonne position qui me permettra de m’endormir. Le

froid me gagne. Je regarde mon téléphone : il reste 10 minutes. J’ai dû m’assoupir 10 ou 15 mn.

Je repars après avoir avalé un bol de soupe et vérifié le plein de mes gourdes.

Un rapide check-up physique : un point sensible en haut du mollet droit et mon genou gauche

douloureux, probablement la conséquence d’une rencontre de trop près avec un rocher sans

doute dans la montée de Nez de Bœuf à moins que ce soit celle du Taïbit.

Rien d’inquiétant si ça n’empire pas, mais l’arrivée est encore loin, très loin !

J’envoie un petit message à Christine pour lui demander d’apporter de l’huile de massage au

ravito du Maïdo (elle l’oubliera…).

La nuit entoure les coureurs maintenant. Contrairement au début de course ou les frontales des

uns éclairaient les pieds des autres, ici, chacun éclaire son chemin. J’accompagne un groupe de 4

ou 5 coureurs qui discutent (ils doivent courir ensemble) … mais après un arrêt pour éliminer la

soupe (…), je les perds de vue. Je me retrouve seul, sans aucun bruit dans ces forêts et prairies en

sortie de Marla. J’aime ce silence, il me permet de me concentrer sur le chemin, sur mes pas, de

bien gérer mon allure et mon effort ; et en même temps de penser à ceux qui me suivent sur

Internet. Je n’ai pas souhaité que Christine me lise les messages ou me montre les vidéos reçus

depuis le début de la course. Ils m’encouragent tellement à aller au bout, que je ne veux pas, je

ne dois pas décevoir. Je crois que les messages m’auraient mis encore plus de pression, j’ai

besoin de me concentrer sur la gestion de ma course. Je ne sais même pas si je suis en avance ou

en retard sur mon tableau de marche, je ferai le point au Maïdo, quand le jour sera levé.

De plus en plus de coureurs sont endormis sur les côtés du sentier. Contrairement à la nuit

précédente, il ne fait pas froid dans Mafate. Je n’ai pas sommeil, je continue la montée en

direction du Col des Bœufs et du Sentier Scout qui se fait sur de gros rondins de bois ; c’est

épuisant, le pied ne porte pas entièrement et la cheville doit toujours compenser. Heureusement,

quelques passerelles en bois viennent reposer les articulations.

Les 10 km qui suivent sont en légère descente jusqu’à Grand Place. Je traverse une forêt de

tamarins et de filaos dont les aiguilles sèches tombées des arbres tapissent le sol et renvoient un

reflet blanchâtre à la lueur de la frontale. Il est environ 2h samedi matin, je m’arrête en plein

milieu de cette forêt et aménage mon lit douillet pour dormir. Je me couvre et règle mon

téléphone comme à Marla. Il n’y a pas de bruit, tout est paisible; je m’endors rapidement, … et

me réveille, mon téléphone indiquant « reste 12 sec. ». J’ai dormi 20 mn d’un très bon sommeil.

Je refais mon sac et reprends la course ; je me sens bien, les douleurs de mon genou gauche et de

mon mollet droit sont toujours là, n’empirent pas, mais ne passent pas non plus.

Grand Place (km 98, 29h de course), Descente, traversée de la rivière et ravitaillement.

La sieste m’a vraiment fait du bien, physiquement et mentalement (je dépense beaucoup

d’énergie à me concentrer sur mes pas). Mais le programme à venir a de quoi effrayer. La rivière

doit être à environ 600m d’altitude et le Maïdo … à 2000m. Après un rapide calcul, je me dis

que je pourrais atteindre ce passage avant les grosses chaleurs de la mi-journée, car là, il n’y a

pas d’ombre ! Le soleil se lève lors de l’ascension vers Roche Plate. Magnifique vue sur le

‘rempart’ de Mafate, depuis Roche Ecrite jusqu'au Grand Bénare. D’en bas, on dirait une paroi

infranchissable, une muraille naturelle ! C’est pourtant là qu’est la sortie du cirque de Mafate.

Les marches sont hautes pour se hisser à Roche Plate, j’appuie fort sur les cuisses, ça remplace

les bâtons. Mon rythme est bon, je pense à boire à ne pas me mettre dans le rouge. Plusieurs

coureurs ‘coincent’ dans l’ascension ; ils s’arrêtent et s’assoient pour reprendre des forces.

Roche Plate (km 106, 32h30 de course - 6h30 samedi matin) Ravitaillement, oui ! mais où ? Le

plateau où est situé le village est très vaste; ce petit replat fait du bien aux muscles des jambes.

Enfin l’école et le ravitaillement tout au bout, à la sortie du village ! Le plein d’eau, soupe

banane orange, le menu habituel, mais je ne m’en lasse pas. Je m’accorde un petit plus avec du

Coca. « C’est autorisé, Coach ? du sucre rapide avant le gros effort de la montée ! ». Je range

ma frontale, échange buff contre casquette

saharienne et garde uniquement un maillot sur

moi. Mon coupe-vent est prêt à prendre au cas

où. Je reprends mon ascension sensiblement au

même rythme qu’avant le ravitaillement. Un

sentier abrupt a remplacé les marches de Roche

Plate. Des concurrents du Trail Bourbon me

dépassent à des allures soutenues ; ils ont moins

de km dans les jambes, ça se voit ! L’un d’eux

m’indique qu’à la croix, on sera au milieu de la

montée.

La voici, cette croix ! Le souffle est plus fort,

plus court, les cuisses souffrent, les mollets

aussi, tous les muscles sollicités souffrent. Je bois, il fait chaud ! Cette montée est interminable,

ça n’en finit pas ! Depuis combien de temps ai-je franchi la Rivière des Galets tout en bas ? Je ne

sais pas ; je ne compte pas. Au détour d’un lacet, je me rends compte que c’est loin, très loin,

mais surtout que ce paysage est d’une beauté indescriptible. Elle est là, en partie la récompense

de tant d’efforts !

De plus en plus de personnes descendent le sentier pour aller à la rencontre d’un copain, d’un

collègue, d’un parent et l’encourager. Chacun d’eux m’adresse un petit mot, souvent en utilisant

mon prénom. Super sympa et motivant. J’entends maintenant des cris en provenance du sommet.

Alain m’a rejoint et m’encourage… à profiter des acclamations de la foule. C’est impressionnant

tous ces gens massés au sommet. J’ai l’impression d’être un coureur du Tour de France au

sommet du Tourmalet ou de l’Alpe d’Huez ! Quel bruit ils font ! J’en ai des frissons !

Enfin le sommet du Maïdo (km

112, 35h de course, 9h samedi

matin) Christine et Nathalie nous

rejoignent et nous trouvent un coin

à l’ombre pour une pause bien

méritée avant le ravitaillement

officiel quelques centaines de

mètres plus loin. Je récupère de

l’effort ; Christine me lit quelques

SMS. Je suis surpris du nombre de

gens qui me suivent et

m’encouragent via Internet.

Coup de boost supplémentaire.

Je prends quelques secondes pour

admirer le paysage; la vue sur le

cirque de Mafate tout en bas et

entièrement dégagé est absolument

magique.

On se donne rendez-vous à Savannah.

Cool ! 13 km de descente. Bon, ce n’est pas le GR3 de Savenay non plus ! Il y a toujours ces

blocs de rochers tombés on ne sait d’où qui vous font faire des enjambées énormes, mais le

chemin est partiellement à l’ombre, et par cette chaleur, ce n’est pas négligeable.

1700m d- ; pendant la descente, mon genou me fait de plus en plus mal ; j’envisage de profiter

du ravito de Savannah pour aller voir un kiné.

J’oublie l’heure ou plus exactement, je ne me positionne plus dans la journée. Regarder ma

montre me sert à m’alimenter et boire régulièrement. Un regard sur mon pense-bête horaire (mon

timing) me sert à savoir combien de temps il me reste jusqu’au prochain ravitaillement.

Je reconnais les rues de Sans Soucis, bientôt Savannah, j’aperçois la rivière tout en bas! Il est

prévu qu’on la traverse sur les rochers que je devine. Une dernière descente très glissante, les

petits gravillons roulent sous les chaussures; facile d’y laisser une cheville! Mon staff au complet

m’accueille avec de beaux sourires. C’est un grand plaisir et un réconfort de voir ces visages

connus. Quelques informations des ‘suiveurs’ à distance, de plus en plus nombreux derrières

leurs écrans. J’apprends que je remonte en permanence au classement.

Savannah (km 128, 38h50 de course) Au programme: kiné + repas + changement de vêtements.

Une table kiné est libre; François et sa collègue s’occupent chacun d’une de mes jambes ; le

genou pour François qui masse très en profondeur. Je ne suis pas très douillet, mais à certains

endroits c’est douloureux. Sa collègue masse plus doucement mon mollet.

Un repas bien complet encore une fois

avalé, je ressors de la zone de

ravitaillement et me change entre 2

voitures. Je repars en oubliant mon

dossard … une habitude ! Comme à

Cilaos, cette pause aura duré 1h. je n’ai

pas calculé, je ne me suis pas précipité.

Il est probable que sans le kiné, je

serais reparti au bout d’1/2h. Il est

12h30 quand j’aborde l’étape suivante.

Je calcule souvent tout et n’importe

quoi, mais là, je m’aperçois qu’il me

reste un marathon à faire avec 2000m

d+. Une bagatelle !

Le chemin Ratineau dont beaucoup de

coureurs parlent sur les blogs

m’inquiète. Beaucoup ont souffert.

J’effectue une partie de ce chemin avec

un coureur du Temple de Bretagne. Il a

joué au foot avec mon cousin Frédo. Le

monde est petit! On se perdra de vue à

mi montée environ. Ma jambe gauche me fait mal au niveau du tibia péroné. Je me demande si

François n’a pas aggravé ma blessure au genou. Je suis inquiet. Le mot ‘abandon’ s’immisce

dans mon cerveau qui lui, ne demande que ça. Je me concentre sur le chemin, les rochers, les

racines. Je bois, je m’alimente, je pense à tous ceux qui m’ont dit « jusqu’au bout ! » (merci

Cathy). Je m’oblige à penser positivement: la ligne d’arrivée, les paysages magnifiques au

sommet du Maïdo, ceux de mes chemins d’entrainement cet été, la chance d’être à la Réunion, la

chance de pouvoir courir …

Mon cerveau se focalise sur ces images, le mot ‘Finisher’ remplace progressivement l’autre mot.

Après quelques km, mes douleurs genou et mollet, après m’avoir fait craindre le pire, ont

beaucoup diminué. Je les oublie presque! Quelle est la part du physique et celle du

psychologique?

La descente vers Possession est à l’image de la montée précédente. Le chemin est techniquement

difficile, beaucoup de gros blocs de rochers freinent ma progression.

Possession (km 143, 43h de course – samedi 17h00) Nous sommes au niveau de la mer. Il ne fait

pas trop chaud à cette heure de fin de journée.

Alain m’accompagnera jusqu’à

l’arrivée sur les 23 derniers km. Il

reste encore le «chemin des Anglais»

et ses pavés de roche de lave. Pour

beaucoup de coureurs, c’est un

chemin de croix.

Je repars avec encore beaucoup

d’énergie. Dans 5-6 h, je ne devrais

pas être loin de toucher au but.

Le début du sentier monte régulièrement. Un groupe de coureurs me dépasse en discutant. Je ne

sais pas si ils sont sur le Grand Raid, le Bourbon ou le relais, Peu importe! La nuit tombe; un

arrêt pour s’équiper de la frontale et du buff, et c’est reparti … Que c'est dur! Je mets maintenant

mes pas dans ceux d’Alain devant moi; de plus en plus mécaniquement, comme un robot.

J’avance parce qu’il faut avancer, un pied après l’autre. L’énergie au départ de Possession

ressemble à un chant du cygne; le moment redouté arrive, je suis «dans le dur» alors qu’il reste

encore beaucoup de km! Conserver le même rythme, avancer, avancer toujours!

Les pavés succèdent aux pavés, souvent inégaux, mal posés. Ah, ces Anglais ! ! Ma frontale

n’éclaire que quelques mètres devant moi; je l’ai réglée pour avoir un faisceau réduit. J’ai

l’impression que l’on tourne à droite, puis à gauche, puis on descend… Je demande à Alain

comment il reconnait le chemin à prendre. «Je me repère aux balises fluo accrochées » me

répond-il. La tête baissée, je n’en vois aucune. Je lui fais confiance. Sur le chemin, un gros

rocher (il doit peser plusieurs tonnes) que je contourne en mettant la main dessus. La lumière de

ma frontale illumine les petites taches blanches de mousse qui se sont incrustées sur le rocher,

l’effet psychédélique me donne l’illusion que le rocher bouge. Je le retiens de mes 2 mains,…

avant de constater que mon geste est inutile. J’en souris, la fatigue, le manque de sommeil.

J’espère ne pas avoir trop d’hallucinations de ce genre dans les heures qui viennent.

Grande Chaloupe (km 152, 46h de course – Samedi 20h) Après une montée dans le village sur

la route bétonnée, nous redescendons au ravitaillement. Bizarre ces rails à la Réunion. Il n’y a

pas de trains. Ils datent d’une époque révolue. Alain se ravitaille en même temps que moi et nous

redescendons vers l’arrivée à La Redoute. Mais, pourquoi remonte-t-on? Ça ne correspond pas

au parcours que j’ai mémorisé. Je suis pressé de basculer vers la descente et d’entendre la sono

du stade. Ce n’est qu'au ravito du «Colorado» 3h plus tard, que je me rends compte que j’ai

oublié la dernière bosse de 600m D+.

L’endroit porte bien son nom "Colorado".

La lumière de la frontale se reflète sur un

sol blanc / rouge / ocre qui donne une

réverbération très particulière, agressive

parfois. Enfin, le parc de loisirs, synonyme

de fin des ascensions et début de la

descente finale vers St Denis. Il nous

faudra encore plus d’1h à sauter de

cailloux en cailloux, de racines en racines,

de cailloux en racines pour apercevoir en

contrebas La Redoute et ses lumières. Mais

à chaque fois que je pense à l’arrivée, que

je vois les lumières, je pense arriver … à

Brest! Il me faut faire un effort de

concentration pour me dire: «Tu es à la

Réunion, C’est Saint Denis en bas !» … et

ça recommence quelques minutes plus

tard… encore Brest !

Toujours en poisson-pilote, Alain est devant moi. Heureusement qu’il est là ! Je le suis en toute

confiance, je n’ai pas besoin de chercher le chemin à prendre, les obstacles à franchir, je mets

mes pas dans les siens. Il est toujours au bon rythme, et ne parle ni trop ni trop peu. Je sais déjà

que je lui dois beaucoup. Je l’aperçois parfois prendre son téléphone (appel ou photos ? je ne sais

pas.)

Beaucoup plus de bruit, beaucoup de

lumière, et Alain, excité qui crie: «Ca y

est ! On a fini ! »

On est sous le pont qui marque la fin de la

descente. Il ne reste que quelques

centaines de mètres jusqu’à l’arrivée.

Christine est là, bien évidemment! Tous

les 2 sont surexcités. Je suis encore dans

ma bulle de course, Je n’ai pas conscience

de ce que je suis en train de vivre et faire

vivre à tous ceux qui m’ont suivi. Nous

courons tous les 3, la main dans la main

sur le chemin d’accès au stade, puis dans

l’entrée du stade, puis sur la piste du stade

et enfin, je franchis l’arche d’arrivée qui marque la fin de ce parcours magnifique et si difficile,

la fin d'une aventure hors du commun, presque hors du temps.

Photo de Nathalie le dimanche

St Denis (166 km 49 heures et 48 minutes). Il est 23h50 ce samedi 19 octobre.

Je tombe dans les bras d'Alain et de Christine. Nous restons longtemps enlacés au milieu de la

piste, à savourer cet instant. Elle est à nous cette piste ! Elle est pour nous cette arche ! Il est à

nous ce moment ! Je n’ai pas envie qu’il s’arrête. Qu’il est fort cet instant ! Un des organisateurs

me remet la médaille ‘Finisher’, et je récupère mon maillot floqué du titre «J’ai survécu».

Je rejoins Jean-Luc (arrivé 5 heures

plus tôt) pour l’associer à ma réussite. Il

y est pour beaucoup aussi, avec tous les

conseils qu’il m’a prodigués, les mots

de motivation lors des entrainements :

« Allez, Dom, on refait encore une fois

la côte »

Je n’exulte pas, je suis serein, comme après avoir accompli une tâche compliquée.

Je ne suis pas épuisé musculairement, mais fatigué, usé mentalement à force de concentration

tant le parcours nécessite d’être attentif à chaque pas, du début à la fin.

Un rougail partagé avec Alain comme repas du soir (il est minuit passé)

Quelques mots échangés avec un coureur rencontré sur le parcours… et nous rentrons à St Gilles

pour une nuit qui promet d’être réparatrice, dans un vrai lit.

Comme un retour sur le lieu d’un exploit, nous retournerons le lendemain au stade de La

Redoute pour accueillir les derniers finishers (moins de 66h) … ainsi que Nathalie qui aura

parcouru les 22 derniers km avec son groupe de marche, accompagnant les derniers coureurs du

Grand Raid de la Réunion 2019.

Epilogue : L’engouement autour du GRR à la Réunion est à l’image du Tour de France en

métropole. C’est une vraie fête populaire; les coureurs sont encouragés par le public, et les

bénévoles souriants toujours attentifs aux besoins des trailers. C’est une ambiance très festive.

Amis trailers, aurez-vous envie de la connaître un jour ?

A la lecture des tous les messages à la fin de la course, j’ai mesuré avec incrédulité le nombre de

personne qui ont suivi ma progression parfois tôt le matin, tard le soir, au bureau, à la maison, ou

ailleurs. Merci à vous connus ou inconnus d’avoir partagé avec moi ce moment, le plus souvent

via Christine.

Enfin, un immense ‘Merci’ à ma team rapprochée pour le soutien logistique mais surtout l’apport

moral pendant cette aventure.

Dominique

20 Octobre 2019

Merci à Jean-Luc pour l’emprunt des images