Le g i e f La L i «C - leconews.com€¦ · tion d’une industrie pharmaceutique performante n N....

16
35 L’éco n°41 / du 1 er au 15 mai 2012 L e s g r o s s i s t e s f o n t L a L o i «C e métier est un art qui nécessite des con- naissances spécifiques du marché.» Les professionnels et experts dans le domaine relèvent avec insistance les failles du système de distribution des médicaments en Algérie. Le traitement de la pénurie, qui devient récurrente, ne peut trouver écho si, au préalable, la réglementation n’est pas effi- ciente et le contrôle aléatoire. C’est à la source que «l’organ- isation de la distribution doit se faire». L’Eco s’est penché sur la question en enquêtant auprès des intervenants dans le circuit de la distribution afin de cerner les raisons de cette déréglementation du marché. Les conclusions sont sans appel : il faut situer les responsabilités. Quand les laboratoires fournissent au grossiste un médicament très demandé, il n’écoule qu’une partie de son stock, la plus grosse part n’est pas mise sur le marché ; le dis- tributeur va «négocier» avec. C'est-à-dire que le grossiste marchande le produit demandé en imposant au pharmacien de passer commande pour d’autres produits. Une sorte de vente concomitante qui alimente la spéculation sur des pro- duits sensibles, pénalisant ainsi la santé publique. Interrogés, les uns et les autres se renvoient la balle, constatant à l’unis- son qu’il y a problème. Les fabricants tentent de faire pression pour l’abandon de l’instruction les obligeant à assurer eux-mêmes la distribu- tion ; les détaillants expliquent les pénuries par le diktat imposé par les grossistes, alors que le malade attend la sortie de la longue convalescence d’un secteur devenu objet de toutes les prédations… n L’Eco Vente concomitante des médicaments Bimensuel de l’économie et de la finance ENQUETE Enquête

Transcript of Le g i e f La L i «C - leconews.com€¦ · tion d’une industrie pharmaceutique performante n N....

35

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Les grossistes font La Loi

«Ce métier est un art qui nécessite des con-

naissances spécifiques du marché.» Les

professionnels et experts dans le

domaine relèvent avec insistance les

failles du système de distribution des médicaments en Algérie.

Le traitement de la pénurie, qui devient récurrente, ne peut

trouver écho si, au préalable, la réglementation n’est pas effi-

ciente et le contrôle aléatoire. C’est à la source que «l’organ-

isation de la distribution doit se faire».

L’Eco s’est penché sur la question en enquêtant auprès

des intervenants dans le circuit de la distribution afin de

cerner les raisons de cette déréglementation du marché. Les

conclusions sont sans appel : il faut situer les responsabilités.

Quand les laboratoires fournissent au grossiste un

médicament très demandé, il n’écoule qu’une partie de son

stock, la plus grosse part n’est pas mise sur le marché ; le dis-

tributeur va «négocier» avec. C'est-à-dire que le grossiste

marchande le produit demandé en imposant au pharmacien

de passer commande pour d’autres produits. Une sorte de

vente concomitante qui alimente la spéculation sur des pro-

duits sensibles, pénalisant ainsi la santé publique. Interrogés,

les uns et les autres se renvoient la balle, constatant à l’unis-

son qu’il y a problème.

Les fabricants tentent de faire pression pour l’abandon de

l’instruction les obligeant à assurer eux-mêmes la distribu-

tion  ; les détaillants expliquent les pénuries par le diktat

imposé par les grossistes, alors que le malade attend la sortie

de la longue convalescence d’un secteur devenu objet de toutes

les prédations… n

L’Eco

Vente concomitante des médicaments

Bimensuel de l’économie et de la finance

ENQUET

EEn

quête

Ce n’est pas un hasard si l’Algériecompte plus de 400 distributeurs demédicaments, 13 fois plus que leMaroc, 9 fois plus que la Tunisie. Enplus des facilitations accordéesnotamment en matière d’agrément, cesecteur constitue une vraie mine d’orpour les affairistes. Un grossiste enmédicaments réalise en moyenne

250 millions de dinars de bénéfice netmensuellement. «Un petit grossistegagne au minimum 120 millions dedinars, alors les grosses boîtes dedistribution dépassent les 400 millionsde dinars par mois», nous a confié unresponsable des stocks dans uneentreprise de production demédicaments.

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Vente concomitante de médicaments

Un grossiste réalise près de 250 millions

de dinars de bénéfice net par mois

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

36

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Paradoxalement, malgré le

nombre important d’interve-

nants sur le marché, le phéno-

mène des pénuries semble s'installer

dans la durée au grand dam du gouver-

nement qui multiplie les mesures d’or-

ganisation. Notre interlocuteur, dont

les propos corroborent ceux avancés

par d’autres intervenants contactés

lors de notre enquête affirmant qu’il y

a plus d’une quarantaine de produits

très demandés et manquants dans les

armoires des pharmaciens. Ces médi-

caments concernent toutes les patholo-

gies et même les maladies chroniques.

Il donne l’exemple  de Digoxine, 1-

Alpha et Metoxam disponible, mais

pas à la vente. Cette situation, selon

lui, est engendrée par l’interdiction

d’importation de médicaments qui

visait à encourager la production loca-

le.  Les pouvoirs publics demandent à

privilégier les génériques pour des rai-

sons de coût. Et comme l’Algérie est

un petit marché, l’offre ne parvient pas

Par Nassima Benarab

Les pouvoirspublicsdemandent à

privilégier lesgénériques pour desraisons de coût. Etcomme l’Algérie estun petit marché,l’offre ne parvientpas toujours àrépondre à lademande.

“Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

37

“toujours à répondre à la demande. Mais la faiblesse de production

n’est pas la seule raison de ces ten-sions. Il y a aussi le système des quo-tas  : «Quand les laboratoires fournis-sent aux grossistes un médicament très

demandé, le distributeur utilise seule-ment une partie de ses stocks, la grossepartie il ne va pas la mettre sur le mar-ché mais il va négocier avec.» C'est-à-

dire que le grossiste marchan-de le produit demandé enimposant au pharmacien depasser commande pour

d’autres produits. Une sorte de venteconcomitante.

La spéculation s’exerce aussi par lemoyen de facturation. «Il arrive sou-vent que le grossiste impose un seuilde montant pour fournir les médica-ments demandés.» C'est-à-dire qu’ilexige de son client qu’il lui achètepour une certaine somme, la facturepeut atteindre jusqu’à 10  millions dedinars pour à peine 50  boîtes d’unmédicament très demandé et en ruptu-re dans le lot.

L’offre se négocieLes acteurs dans la chaîne de com-

mercialisation ont beau attribuer lesdysfonctionnements du circuit de dis-tribution à la réglementation nonconforme, aux décisions du gouverne-ment ou même à l’état du marché, ilsrestent acteurs de cet état de fait ens’infiltrant dans les failles réglemen-taires pour faire du business. Même lesfabricants y participent. Puisque lesprix dépendent d’une nomenclature,«tout se joue sur la négociation et lemeilleur gagne», explique ce distribu-teur qui affirme qu’il existe même desgens spécialisés dans la négociation.«On les trouve chez les fournisseurs,chez les grossistes comme chez lespharmaciens», insiste-t-il. Et si ungrossiste constate que son bénéfice n’apas atteint le niveau souhaité, il libèredeux à trois produits pour le faire aug-menter. Il faut savoir que seul le pre-mier responsable de l’entreprise a ledroit de débloquer les produits stoc-kés. «Aucun, mêmes les hauts respon-sables n’ont le droit de dévoiler l’exis-tence de ces stocks.»

Le secteur du médicament s’avère,à la lumière de tels procédés, fragilisécar victime du nombre de maillons quicomposent la chaîne, du producteur audétaillant ; il suffit qu’un maillon cassepour que toute la chaîne se brise etcompromette les efforts de construc-tion d’une industrie pharmaceutiqueperformante n N. B.

L’Algérie compte plus de400 distributeurs de médicaments

Des chiffres qui expliquent lesdysfonctionnements actuels dela chaîne de distribution du

médicament et mettent en péril l’effi-cience du système de santé publique.En effet, Yacine, un pharmacien acti-vant dans la wilaya de Jijel, rencontréen marge de la Journée nationale phar-maceutique tenue le mois dernier, afait savoir que «beaucoup de pharma-cies éloignées ne reçoivent pas demédicaments. C’est le pharmacien lui-même qui se déplace pour l’acheminervers ces malades». Il trouve anormalque seules 4 wilayas détiennent lemaximum de distributeurs. Ce phar-macien, qui pas n'a pas mâché sesmots sur l’absence totale des distribu-teurs dans 9 wilayas, trouve que c’est«illogique». Il dit que «l’Algérie dis-pose de réseaux routiers, et de savoirfaire. Alors, qu’est-ce qu’il manque ?Je crois qu’il nous manque de lavolonté». C’est pourquoi il est essen-tiel de réintroduire la notion de servicepublic à tous les niveaux dela chaîne du médicament etd’œuvrer à rétablir la pri-mauté du volet médical surle volet commercial en per-mettant une concurrence loyale etéthique entre tous les intervenants dusecteur, note-t-il.

Dans ce sens, le ministère de laSanté, de la Population et de la

Réforme hospitalière a déjà élaboré unprojet d’arrêté fixant les clauses d’uncahier des charges qui permettrait derégulariser ce métier et d’assurer unebonne pratique de la distribution. Ceprojet d’arrêté devrait être discuté pro-

chainement avec tous les acteurs dusecteur. La mise à niveau du cahier decharges est aujourd’hui primordialeafin d’amener les grossistes réparti-teurs à se mettre aux normes mondia-lement admises  : stock de 15  jours,disponibilité de 90% de la nomencla-ture médicale et livraison dans undélai de 48 heures. Cette décision estégalement prise pour «réduire lenombre» des distributeurs, a soulignéa plusieurs reprises le premier respon-sable du secteur. Pour information, lenombre des grossistes en médicamentau Maroc ne dépasse pas la trentainealors qu’en Tunisie, il existe 46 distri-buteurs n

N. B.

L’Algérie compte 623 grossistes en médicaments agréés,selon les chiffres du recensement de 2011 réalisé par leministère de la Santé. Plus de 67% d’entre eux sontimplantés dans 4 wilayas seulement, à savoir Alger,

Constantine, Sétif et Oran, alors que 9 wilayas,notamment du sud du pays, ne disposent d’aucun

distributeur.

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Par Nassima Benarab

Distributeurs de médicaments agréés

Quatre wilayas détiennent le monopole

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

38

Les dysfonctionnements de la chaîne dedistribution mettent en péril l’efficiencedu système de santé publique

Bimensuel de l’économie et de la finance39

Enqu

ête

ENQUET

E

Fayçal Abed, vice-président du Snapo (région Est)

«On veut gagner de l’argent,mais On ne veut pas le dépenser»

L’Eco : la décision du Premierministre, qui exige des producteurslocaux de médicaments de créerleur propre réseau de distribution,n’est toujours pas appliquée. Quellesont les raisons de ce retard ?Fayçal Abed  : la note émanant du

Premier ministre concernant la distri-bution directe aux pharmaciens d’offi-cine est effectivement gelée vu que cer-tains producteurs nationaux disentqu’ils ne sont pas prêts. Cette notedevrait être appliquée en juin 2012.D’ici là, on verra, nous espérons que leschoses vont s’améliorer.

En quoi cette note dérange-t-elle ? Certains producteurs jugent que la

distribution aux pharmaciens d’officinedemande un investissement important,c'est-à-dire de l’argent en plus pour êtreappliquée. A mon avis, c’est un fauxprétexte. Si l’on parle du point de vueéconomique, cela rapporterait plusqu’ils le pensent. Personne ne les obli-ge à avoir un parc roulant pour achemi-ner les médicaments vers les pharma-cies des régions éloignées. Cetteméthode existe déjà dans d’autres payset elle fonctionne bien. Nous sommesun pays en plein de développement ; je

pense que si une méthode marche

ailleurs, pourquoi ne marcherait-elle

pas en Algérie ? A mon avis, il faut que

les médicaments soient acheminés

directement vers l’officine afin de pou-

voir détecter l’anomalie de la rupture.

Le cahier des charges est une feuille de

route qui définit comment réagir, com-

ment les choses doivent se faire, etc. Le

problème est qu’on veut gagner plusd’argent, mais qu’on ne veut pas dépen-ser plus pour améliorer ce secteur. Cen’est pas normal. Lorsqu’on se lancedans le secteur du médicament, il fautle faire de A à Z.

Les grossistes en médicaments enAlgérie affirment que la grandedifficulté du secteur est laconcomitance imposée par lesproducteurs et les importateurs.Quel est votre avis ? Non, pas du tout. Nous, les pharma-

ciens, subissons cela, mais pas les gros-sistes. Le dernier maillon de la chaîneest le pharmacien auquel on impose lavente concomitante.

On ne veut pas avancer dans le sec-teur. Toute est devant nous. Il fautjuste voir plus clair et accepter undialogue ouvert afin de voir la

faisabilité de cette pratique. C’est faci-le, il suffit de copier ce qui se faitailleurs.

Nous avons besoin d’un systèmed’approvisionnement capable de four-nir des médicaments sûrs, efficaces, debonne qualité et au moindre coût auxpersonnes qui en ont besoin.Malheureusement, on ne veut pasdépenser plus pour améliorer la santédu citoyen algérien n N. B.

«Si l’on se lance dans le secteur du médicament, il faut allerjusqu’au bout. Et si l’on veut gagner plus, on doit dépenser plus.»

Tel est le message de Fayçal Abed, vice-président du Syndicatnational algérien des pharmaciens d'officine (Snapo), auxproducteurs, importateurs et distributeurs de médicaments.

Réalisé par Nassima Benarab

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Fayçal Abed

L’Eco : la chaîne de distribution dumédicament a connu en 2011 unesituation de dérèglement total. A votreavis, quelles sont les principalesraisons de cette situation ?Messaoud Belambri : effectivement le

marché du médicament a connu quelquesperturbations en 2011, et nous souhaitonsque l’année 2012 en soit épargnée.

De notre point de vue en tant que syndi-cat regroupant les pharmaciens d’officine,et en fonction des données dont nous dis-posons, nous avons pu relever,après plusieurs années d’observa-tions, un certain nombre d’ano-malies. Nous avons toujours souhaité quel’activité d’importation soit totalementséparée de la distribution, or, le marchéconnait un nombre important d’opérateursqui cumulent ces deux activités, ce quiinduit inévitablement des situations dedominance, de monopole et d’exclusivité.Il suffit alors d’une toute petite tension surn’importe quel produit pour que des pénu-ries apparaissent sur le marché.

Nous constatons aussi que dans un sec-teur aussi stratégique que celui du médica-ment, des opérateurs dépassent de loin leseuil fixé par la réglementation, on seretrouve alors face à des positions domi-nantes qui dérégulent totalement le mar-ché. Cela induit des pratiques qui doiventêtre totalement exclues du domaine du

L’avenir de la distribution du médicament en Algérie estprometteur, mais le secteur doit encore faire preuve d’unprofessionnalisme accru, d’une quête permanente de la

qualité et d’une capacité d’adaptation aux changementsdu marché, confirme dans cet entretien Messaoud

Belambri, président du Syndicat national algérien despharmaciens d'officine (Snapo).

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Réalisé par Nassima Benarab

Messaoud Belambri, président du Snapo

«des situations de dominance, de monopole et d’exclusivité»

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

40

Messaoud Belambri

médicament  : rétention de stocks, ventesconcomitantes, ségrégation entre les phar-macies en fonction de l’importance de leurchiffre d’affaires ou en fonction de leurimplantation sur le territoire national.

Faut-il aussi préciser que le pharmacienest pratiquement le seul dans toute la chaiî-ne du médicament à être soumis au code dedéontologie. Il fait face à un patient et doithonorer une prescription médicale. Or enamont, aucune règle de déontologie nesévit, c’est plutôt la loi du marché, de la

rentabilité, du profit, bref c’est comme unesphère financière où seules les règles éco-nomiques et du business dominent. Il estalors tout à fait naturel que les consé-quences se traduisent sur le terrain, audétriment du pharmacien d’officine et desmalades, par les pratiques citées ci-dessus.

Pensez-vous que le régime actuel deréglementation des médicaments enAlgérie fait défaut ? Il faut instaurer des instruments et outils

de suivi et de régulation. Le marché del’importation a été totalement libéralisé etprivatisé. Est-il normal qu’un secteur quipèse presque 2,5 milliard de dollars annuel-lement soit délaissé de la sorte ? De quelsoutils dispose l’Etat pour intervenir, régu-ler, rattraper les retards observés ? Pour lut-ter contre les ruptures, il faut des outils desuivi rigoureux et efficaces.

Le ministère de la Santé vient d’instal-ler un comité de veille, c’est une excellentechose à notre avis. Ce comité regroupe plu-sieurs acteurs du secteur, et nous souhai-tons qu’ils puissent se mettre au travail trèsrapidement afin d’apporter les résultatsespérés.

Il est question de préparer un cahier descharges régissant le secteur de la distribu-tion. Nous espérons que ce texte sera assezcomplet et qu’il puisse aborder tous lesaspects de l’activité dans ses moindresdétails et problèmes. Nous disposons déjàd’une législation consistante, mais toutelégislation a toujours besoin d’être réétu-dié, enrichie et réformée. C’est un travailcontinu. Car le terrain connait des change-ments et des évolutions, les textes doivents’adapter sinon, les lois deviennent dépas-sées et obsolètes, parfois même inappli-cables.

En tant que syndicaliste au fait dumarché du médicament en Algérie,quelles recommandations faites-vous ?Nous tenons à rappeler que le fait que le

gouvernement ait fait marche arrière par

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

rapport  à l’instruction portant approvision-nement direct des officines par les produc-teurs a donné un coup terrible à l’autoritépublique. Les groupes de pression ayantamené à l’ajournement de cette décision sesont sentis investis d’une grande capacitéd’influence sur les centres de décision, maisaussi sur l’équilibre du marché du médica-ment. Chose contre laquelle nous avons misimmédiatement en garde le gouvernementen annonçant que cela allait se traduire, àtrès court terme, par une profonde perturba-tion du marché et des pénuries à répétition.

Aussi, concernant l’instruction duPremier ministre, nous proposons de lareconduire et de permettre à tous les pro-ducteurs qui le souhaitent d’approvisionnerdirectement les officines et aux pharma-ciens d’officine d’accéder directement auxunités de production.

Ceci permettra de lever les barrièresempêchant que le produit local soit conve-nablement et régulièrement disponible auniveau des officines et assurera à coup sûrun meilleur écoulement de la productionnationale, ce qui la stimulera davantage.Nous proposons aussi  de créer officielle-ment le statut de groupements de pharma-ciens comme cela se fait dans le mondeentier.

C’est une décision simple à prendre,mais qui sur le terrain aura des résultatsextrêmement bénéfiques sur tous les plans,notamment en matière de régulation, de dis-ponibilité et de déontologie.

Enfin, nous devons signaler le manquede professionnalisme de certains importa-teurs qui n’ont tout simplement pas honoréleurs engagements inscrits dans leur pro-

gramme d’importation, ni en quantité ni envariété. De tout cela, nous devons retenirune chose principale : le règlement des pro-blèmes de disponibilité passe impérative-ment par une professionnalisation de cesecteur. Il y a des opérateurs qui ont faitleurs preuves sur le plan du professionnalis-me, de la régularité et du sérieux, mais quisouffrent face aux pratiques d’une concur-rence anarchique et déloyale. Et il y a, d’unautre côté, des opérateurs qui doivent êtrebannis du secteur du médicament, qui nesont là que pour le profit par n’importe quelmoyen.

A votre avis, les pharmaciesalgériennes sont-elles dotées des outilsnécessaires notamment pour protégerles médicaments sensibles comme lesvaccins ?Toute officine n’a le droit ni l’autorisa-

tion d’ouvrir qu’après avoir être équipépour ce genre de produits, il s’agit de réfri-gérateurs qui assurent la conservation desproduits entre 2° et 8°. Une circulaireministérielle précise même que ces réfrigé-rateurs doivent être équipés de thermo-mètres professionnels témoins. Cet équipe-ment sert à la conservation des sérums, vac-cins, différents types d’insuline et certainsmédicaments (collyres et hormones injec-tables). Les officines sont soumises à descontrôles périodiques et réguliers à ce sujetpar les pharmaciens inspecteurs et autrespraticiens inspecteurs de la santé.

Comment voyez-vous l’avenir de ladistribution du médicament en Algérie ?Nous tenons d’abord à rendre hommage

à tous les distributeurs qui ont toujours étéaux côtés des pharmaciens. Il existe desrelations très fortes avec la majorité des dis-tributeurs.

Certains ont fait preuve d’un grand pro-fessionnalisme et se sont développé demanière sérieuse, jusqu’à ne plus rienenvier aux sociétés des pays développées.D’autres ont développé, en parallèle à leuractivité, une industrie pharmaceutique dequalité, et ils sont parmi les 160 projetsapprouvés par le ministère de la Santé en2011.

Il y a malheureusement certaines socié-tés qui n’ont existé que sur le papier ou qui,par leurs pratiques, ont terni l’image decette profession.

Mais les choses sont en train de s’orga-niser et nous sommes persuadés que ladécantation est déjà en train de se faire. Enfin de parcours, seuls les professionnels lesplus réguliers et sérieux continueront àexercer car ils auront été les seuls à avoirinvesti ce secteur avec un réel esprit desanté publique.

L’avenir de la distribution en Algérie estprometteur car l’année 2011, avec ses per-turbations, a été décisive. Les évènementsvécus ont fait prendre conscience à tous quece secteur devait bénéficier d’une attentionparticulière, car dans la chaîne du médica-ment, tous les maillons doivent être stableset équilibrés.

Si la défaillance touche un seul maillon,toute la chaîne en souffrira. Le secteur de ladistribution est en train de s’organiser etnous comptons collaborer pleinement pourvenir à bout de tous les problèmes, et ce,dans l’intérêt de tous n N. B.

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

41

Pour lutter contre les ruptures, il faut des

outils de suivi rigoureux et efficaces

L’Eco : en votre qualité de conseillerauprès de plusieurs entreprisesalgériennes de production et dedistribution des produitspharmaceutiques, pouvez-vous nousdire combien coute la distributiond’un médicament ?Antoine Tokplo : tout d’abord, il faut

savoir que le marché du médicament esttrès régulé même si beaucoup decontraintes, surtout légales, le paralysentencore en Algérie.

Le passage du produit pharmaceutiquedu producteur jusqu’à l’officine estcontraint par plusieurs facteurs inoppor-tuns qui freinent le secteur. C’est tout unprocessus dont l’objectif devant être tracéest de faire arriver la bonne molé-cule à la bonne personne. Ceci enplus de l’implication des autresacteurs qui interviennent dans le proces-sus de cet acheminement, même s’ils nesont pas forcément des logisticiens.

En Algérie, je pense qu’il faut d’abordbien définir la demande pour pouvoir dis-tribuer en aval.

En effet, c’est la toute première étapepour réussir dans toute branche d’activi-té  : étudier le marché et définir sesvariantes et ses composantes. On ne peutdire qu’on peut satisfaire un marché si

La première étape – préalable à lacréation d’un réseau de distribution demédicament – est l’étude de marché etla définition de toutes ses composantes.Pour Antoine Tokplo, conseiller chezErnst et Young, il est d’abord

question de connaître un marché avantde le satisfaire. Cet expert appuieaussi l’idée de développer une véritableindustrie pharmaceutique en Algérie,permettra de réduire la facture del’importation de médicament.

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Réalisé par Fatima Bouhaci

Antoine Tokplo, expert en Supply Chain Management

«Il faut une étude de marché avant

de constItuer un réseau de dIstrIbutIon»

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

42

Antoine Tokplo

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

l’on ne connaît pas bien sa demande(besoins spécifiques, client cible, situationgéographique de ce client, etc.).

Justement, le secteur de ladistribution du médicament, dansnotre pays, en dépit des mesuresprises par l’Etat afin de l’assainir,demeure toujours fragile et, pourpreuve, les pénuries sont répétitives.Selon vous, où est exactement lafaille ? Le marché du médicament en Algérie

est à l’image de tout autre secteur dépen-dant de l’importation : on ne peut garantirla disponibilité totale et durable d’un pro-duit dans un pays où une véritable indus-trie n’existe pas parce que l’approvision-nement se fait de l’extérieur.

Et d’ailleurs, ce problème de distribu-tion et de pénuries touche même aux pro-duits fabriqués localement et ce, fauted’existence d’une véritable organisation etd’un réseau de distribution pertinent.

Il faut chercher donc à optimiser cettedistribution de façon à ce qu’on approvi-sionne en temps réel celui qu’il faut duproduit qu’il lui faut, c’est la seule façonde pallier les ruptures de stock des offi-cines.

Mais ceci n’est possible qu’une foisune étude de marché faite et une forte baseindustrielle développée ainsi qu’un réseaude distribution et de logistique incontes-table mis en place. C’est ainsi qu’on pour-ra réaliser un équilibre du marché.

Et si l’on vient à comparer le marchéalgérien au marché français, y a-t-illieu de prendre l’expérience de cedernier pour exemple en dépit desdifférences notées dans les deuxdemandes ? Certes, il a une différence entre les

marchés français et algérien. La fortedépendance de l’importation reste unecontrainte factuelle qui freine votre mar-ché. Mais cela n’exclut pas une possibilitéde prendre comme modèle économiquel’exemple français à partir duquel le mar-ché algérien peut s’inspirer, même si on necopie pas exactement ce qui a été fait dansce modèle-exemple.

Comment peut-on alors, à votre avis,instaurer une chaine de distributiondu médicament en Algérie ?Si l’on veut sérieusement aménager un

vrai réseau de distribution – de médica-ments ou autre – il faut que tous lesacteurs intervenant sur le marché s’impli-quent et coopèrent : producteurs, manu-facturiers, logisticiens, transporteurs,pharmaciens, etc. Il faudra que tous cesacteurs connaissent les éléments de lademande afin de pouvoir la satisfaire et ce,à travers l’adaptation de la chaîne del’offre aux besoins du marché. Si l’onprend, à titre d’exemple, la région du Sudalgérien dont la demande est moins impor-tante, son approvisionnement va être spé-cifique en termes de quantité, de périodi-cité et de type de produits vu la spécificité

des maladies qui affectent les habitants decette région.

Au niveau interne de l’entreprise,quelle est l’importance d’avoir cettechaîne de distribution et/ou deproduction ? C’est un facteur-clé du succès. Avoir sa

propre chaîne de production et de distribu-tion ou être un élément dans cette chaîneest devenu aujourd’hui nécessaire, celapermet une meilleure maîtrise des coûts,une meilleure traçabilité du produit et uneefficacité optimale dans toutes les fonc-tions sur le plan économique.

Vous recommandez souvent dans voscoachings aux entreprises le recours àla méthode du CTC (coût total de lachaîne) que vous dites être unélément-clé pour la performanced’une entreprise. Comment peut-onl’appliquer pour la maitrise du coûtde la distribution d’un médicament ?On peut le faire en regardant tous les

éléments de l’offre, jusqu’aux plusminimes. On doit établir un suivi perma-nent et rigoureux de tous les calculs à par-tir de la sortie du produit jusqu’à son arri-vée au consommateur final. Il faut suivreattentivement et rigoureusement la varia-tion des tous les éléments entrant tout aulong du processus d’acheminement duproduit pharmaceutique. C’est ainsi qu’onpeut maîtriser son coût et garantir sa dis-ponibilité n F. B.

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

43

Il faut d’abord définir la demandepour bien distribuer en aval

Le niveau de surstockage de ces produits vitaux est élevé, parrapport à d’autres économies comparables. Il a été constaté 10 à

15% de stockage en plus de médicaments en Algérie par rapport àd’autres économies similaires, nous a révélé Philippe Ausseur

associé et expert chez Ernest et Young.

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Philippe Ausseur, expert chez Ernest & Young 

«Le surstockage des médicaments

est trop éLevé en aLgérie»

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

44

Phillipe Ausseur

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

L’Eco : quelle lecture faites-vous de la gestion et du contrôledes stocks dans le secteur desmédicaments en Algérie ? Philippe Ausseur  : le domaine

des médications est un monde parti-culier qui doit être impérativementrégulé. On parle de santé publique,donc c’est une priorité. Dans cecadre-là, il est clair que lagestion des stocks est pri-mordiale. Même si on fait de lasanté publique, s’interroger sur lescoûts et leur optimisation est unenécessité pour les finances du parti-culier comme d’un Etat, parce quenous sommes dans une probléma-tique de politique publique. Sur lesmédicaments, il y a un angle parti-culier à prendre et une priorisationtrès claire. Il faut permettre que lachaine logistique, le contrôle descoûts et le coût total des médica-ments soient mieux pris en compte.

Par ailleurs, parmi les contraintesdu secteur des médicaments enAlgérie, il y a le surstockage. Il fautabsolument avoir le juste stock. Ona toujours dans ce secteur uneappréhension du risque plus impor-tante et c’est normal. Je crois quedans ce cadre aussi, énormémentd’efforts peuvent être menés.

Peut-on connaitre le coût, letaux et les raisons dusurstockage des médicaments enAlgérie ?On manque d’information et de

comparative dans ce sens. Mais cequ’on a vu dans des cas très particu-liers de nos clients, nous a permis deconstater que les problèmes delogistique, d’approvisionnement etde livraison sont les raisons du sur-stockage. Selon une étude du centred’excellence Ernest & YoungSupply Chain faite auprès de nosclients, il ressort 10 à 15% de stoc-kage en plus de médicaments ici parrapport à d’autres économies com-parables. Il faut savoir que lesdomaines qui ont des durées destockage plus courtes sont en géné-

ral plus matures dans leur gestion,donc plus performants.

Comment expliquez-vous alorsla répétition des pénuries demédicaments ? Ce n’est pas parce qu’on a un sur-

plus de stock qu’on n’est pas en rup-ture. Pour bien dimensionner cesstocks, on a besoin de beaucoupd’informations, notamment sur laconsommation. Et donc, c’est là queles progrès doivent être menés, pour

avoir une meilleure compréhensiondu marché, afin de déterminer lebon niveau de stock.

D’autre part, aujourd’hui, on estdans un contexte d’allongement etd’absence de visibilité des délais. Sij’ai un souhait à émettre, c’est de,bien entendu, donner les certitudesde délais, parce que ce volet est trèsimportant.

A votre avis, quelles sont lespriorités que les pouvoirs publicsdoivent mettre en avant pourrégulariser ce secteur ? Je pense que les pouvoirs publics

doivent rester sur leur devoir réga-lien et organiser le marché et lasanté publique. Il y a énormémentd’investissements à faire. A monavis, il faut aussi avoir des systèmesd’information étatiques qui ont pourobjet de collecter les données néces-saires pour mieux comprendre lesévolutions de consommation. Parexemple, il est important deconnaître comment le type de patho-logie évolue, quel type de médica-ments on va devoir mettre en œuvre,prévoir dans certains cas ce qu’onappelle les stocks correspondants.Et si on ne fait pas de comparatif dece dont on dispose, on aura du mal àtracer la bonne route n

N. B.

Réalisé par Nassima Benarab

Parmi lescontraintesdu secteur du

médicament enAlgérie, il y a lesurstockage. Ilfaut absolumentavoir le justestock.

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

45

Entrepôt de stockage

«La difficulté majeure de ladistribution de médica-ments en Algérie réside

dans la concomitance imposée parles importateurs et les producteurs»,regrette Nawel Bentayeb, directricegénérale adjointe de First DiagnosticAlgérie. Pour cette jeune respon-sable, le secteur de la distributiondans notre pays est appelé à êtreplus organisé et professionnel : «Cemétier est un art qui nécessite desconnaissances spécifiques du mar-ché.» Et d’ajouter que «l’organisationde la distribution doit se faire à lasource. Les fabricants et les importa-teurs doivent avoir une vision clairedu marché algérien».

Etayant ses propos,Mme Bentayeb fait savoir que cesopérateurs  imposent aux distribu-teurs «des produits qui ne marchentpas. On ne peut pas acheter cequ’on veut». Conséquence : «On seretrouve avec des stocks de produitsqui ne marchent pas. Ils représententsouvent un montant important.» Elleajoute que «ce n’est pas juste d’in-clure à chaque fois le distributeurdans la concomitance. Sachez bienque cette concomitance provientde la source, c'est-à-dire du produc-teur ou de l’importateur».

Créée en 2010, First DiagnosticAlgérie s’est spécialisée, pour sa pre-mière année d’existence, dans l’im-portation et, récemment, dans la dis-tribution de médicaments et de testsde diagnostic rapide. «La distributionde produits pharmaceutiques est unchoix stratégique pour notre entrepri-se», selon Nawel Bentayeb. «La distri-bution permet à court terme de sefaire connaitre dans le monde de

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Nawel Bentayeb, directrice générale adjointe de First Diagnostic Algérie

Certainsopérateursimposent auxdistributeurs desproduits qui nemarchent pas.On ne peut pasacheter ce qu’onveut.

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

46

«On ne peut pas acheter ce qu’On veut»La concomitance est imposée parle producteur ou l’importateur

médicaments et de préparer le ter-rain pour nous lancer dans la pro-duction à long terme. Nous visons unsegment bien précis», affirme-t-elle.« La distribution est un investissementobligatoire. Pour cela, nous avonsmis en place un budget a part pourl’approvisionnement et pour le parcroulant. Nous avons aussi une équi-pe commerciale experte, quiconnaît bien les exigences et lademande du marché algérien.»

First Diagnostic Algérie est unejeune entreprise qui a pour missionde satisfaire la demande de saclientèle, principalement des phar-maciens. Elle prévoit en 2012 unecroissance importante, tirée notam-ment par sa nouvelle activité, la dis-tribution n

Nassima Benarab

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Nawel Bentayeb, directrice générale adjointe de First Diagnostic Algérie

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

47

«On ne peut pas acheter ce qu’On veut» «La nOuveLLe décisiOn sur La distributiOnest actueLLement geLée»

La décision prise par lespouvoirs publics en instruisantles producteurs nationaux du

médicament, d’assurer ladistribution de leurs produitsdirectement auprès despharmaciens d’officine n’est pasencore en application. «Ladécision du premier ministre existe,mais pour le moment elle estgelée», souligne Ismail Merzeg,responsable commercial de lasociété algérienne El KendiPharmaceutical Manufacturing. Al’heure actuelle, «la distribution denos produits est assurée par nospartenaires, les distributeurs». Ceresponsable, qui ne trouve aucuninconvénient à faire appel auxdistributeurs pour écouler samarchandise, affirme : «Noussommes très satisfait de leurtravail. Nous avons pourpartenaires les grands distributeurs,

ce qui nous a permet d’occuperune très bonne place sur lemarché algérien.» La décision, pour rappelle à étérelayé par le ministère duCommerce en août 2010. Elledevrait, en outre, assurer unemeilleure disponibilité dumédicament et un meilleurécoulement du produit national.Le pharmacien pourras’approvisionner directementauprès du producteur. Lespharmaciens pourront constituerfacilement des stocks de sécuritésusceptibles de répondre à lademande des citoyens et de luttercontre les pénuries, ce quigarantira un meilleur écoulementde la production nationale, quisouffre face à la concurrencedéloyale du produit importé n

N. B.

Ismail Merzeg, responsable commercial d’El Kendi Hamel Samir, délégué commercial à Hydra Pharm

Usine El Kendi

«L’Algérie manque

d'études profondes

des besoins

du marché»

«Le marché algérien dumédicament accuseun manque flagrant

en matière d’étude desbesoins. On se retrouvequelquefois avec un excès parrapport à la demande, etd’autres fois, comme ce fut lecas l’année dernière, on assisteà des pénuries demédicaments très demandés,notamment pour les maladieschroniques», souligne HamelSamir, délégué commercial àHydra Pharm, une entreprisespécialisée dans la distributionde produits pharmaceutiques. A ses yeux, il est urgent de fairedes études profondes dumarché : «Il ne s’agit passeulement d’importer ou deproduire un produit qui marchebien en France. Il est importantd’abord de connaître lemarché algérien et sesbesoins.» Il ajoute que laproduction de médicamentsdoit être locale, sachantqu’actuellement elle ne couvreque 25% de nos besoins. Parmiles avantages de la productionlocale, il a cité, entre autres, ladisponibilité et la sécuritésanitaire, la valeur ajoutée pourl’économie nationale, lacréation d’emplois directs etindirects ainsi que le transfert etla maîtrise de la technologie n

N. B.

Nabil Melah est également directeur général des laboratoires Mérinal.Il nous parle des contraintes qui freinent les opérateurs du secteur etsurtout des failles qui laissent à la traîne la filière de la distribution

de médicaments.

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

Nabil Melah, président de l’Union nationale des o

«La régLementation pharmaceutique

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

48

L’Eco : le secteur de la distributionde médicaments dans notre paysrencontre des dysfonctionnements etce, en dépit des efforts consentis parles pouvoirs publics. Quelles en sontles raisons, selon vous ?  Nabil Melah  : l’UNOP n’a cessé,

depuis de nombreuses années, de dénon-cer ces dysfonctionnements. L’Algérieest un marché de «ruptures» ou souvent,des produits sont sous tension. Ceci n’estabsolument pas tolérable et va à l’en-contre de l’intérêt du malade algérien.Cette situation est due à une réglementa-tion obsolète ne prenant pas en compte laresponsabilité pharmaceutique qui doitêtre clairement déterminée. De plus,notre réglementation est quasimentdénuée de mécanismes d’alerte et d’anti-cipation visant à prévenir le manque demédicaments sur le marché.

Pour illustrer la situation, imaginezque le code de la route ne prenne pas enconsidération toutes les situations envisa-geables, il laissera la place à l’improvisa-tion et à l’approximatif, générant de cefait des accidents. En fait, le «code de laroute» du secteur pharmaceutique esttotalement défaillant, rendant ainsi soncontrôle très approximatif. Nous récla-mons depuis plusieurs années un cahierdes charges de la distribution pharmaceu-tique, mais rien n’a encore été fait ! Il fautsavoir que les textes régissant cette pro-fession se limitent actuellement au strictminimum.

Une instruction du Premier ministreoblige les producteurs demédicaments à constituer leurspropres réseaux de distribution. Entant que DG de MerinalLaboratoires, avez-vous envisagécette perspective ? Vous savez, dans notre métier, afin de

garantir la traçabilité et la qualité, nousconsidérons que «tout ce qui n’est pasécrit est rumeur». Nous n’avons pasconnaissance de cette instruction écriteattribuée au Premier ministre imposantaux industriels un métier qui n’est pas leleur. Je ne connais aucun pays au mondeoù l’industrie du médicament a pu sedévelopper tout en se consacrant à la dis-tribution aux pharmacies directement.Pour ce qui est des laboratoires Merinal,nous investissons chaque année des cen-taines de millions de dinars et nous conti-nuerons à le faire. Mais ces investisse-ments concernent notre métier, à savoir laproduction pharmaceutique. Je pense queles directives du Premier ministre ont étémal interprétées et qu’il s’agissaitavant tout de se donner lesmoyens d’assainir le métier dedistributeur en produits pharma-ceutiques à travers une réglemen-tation performante et une mise à niveaudes outils de contrôle.

Pharmaciens, grossistes etdistributeurs, tous se plaignent de lavente concomitante, selon eux,imposée par les importateurs. Qui estresponsable ?

Il est faux d’affirmer que ces pratiquesnon conformes à l’éthique soient impo-sées uniquement par les importateurs. Lapreuve en est que vous trouvez parfoisdes «packs» proposés par certains distri-buteurs dans lesquels figurent des pro-duits importés et d’autres de fabrication

Réalisé par Fatima Bouhaci

La solution est simple : éliminerla rupture mettra fin à la venteconcomitante

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

locale. En effet, la concomitance n’estpossible que lorsque pour certains pro-duits la demande est supérieure à l’offre.En situation de pénurie ou de manque, ilest clair que certains opérateurs profitentde la situation en essayant d’imposer desproduits en surstock en accompagnementaux produits manquants. Et je peux vousassurer que ces pratiques empoisonnent lavie des opérateurs sérieux qui en sont éga-lement victimes. La solution est simple :éliminer la rupture mettra fin aux ventesconcomitantes. Aujourd’hui, la réglemen-tation algérienne dilue la responsabilitéentre les importateurs et le laboratoire

fournisseur. Il est donc indispensable demettre à niveau notre réglementation ensituant la responsabilité telle qu’elle exis-te dans les pays développés  : le titulairede la décision d’enregistrement d’un pro-duit doit être unique et basé en Algérieafin d’assumer pleinement la responsabi-lité de la qualité et de la disponibilité duproduit. A partir de là, tout manquement àces obligations doit être sanctionné.

Le ministre de la Santé a déclarérécemment que 38 produits ont étésurfacturés durant l’année 2011, soitun surcoût de 94 millions de dollars.

Quel est votre réaction ? Tout d’abord, il y a lieu de signaler que

ce genre de déclarations généralistes ontfait beaucoup de mal à notre secteur.Maintenant pour ce qui est des 38 pro-duits surfacturés, nous n’avons aucuneidée de quels médicaments il s’agit. Ilparaît que les prix pratiqués par certainesmultinationales ont été jugés démesuréspar le ministère. Il faut dire qu’il y a aussiles prix qui varient selon la quantité : unecommande de 100  kg et une autre de10 tonnes chez le même fournisseur derenommée mondiale, avec d’excellentes

Nabil Melah, président de l’Union nationale des opérateurs de la pharmacie (UNOP)

«La régLementation pharmaceutique

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

49

est obsoLète»

} Suite en page 50

Bimensuel de l’économie et de la finance

Enqu

ête

ENQUET

E

50

L’éco n°41 / du 1er au 15 mai 2012

références, appliquera obligatoirementdes prix plus élevés qu’un fournisseursans aucune référence.

Une chose est sûre : nous croyons, ausein de l’UNOP, que le soutien àl’industrie pharmaceutique nationa-le est une nécessité non seulementpour des raisons stratégiques de santépublique, mais également pour réaliser laplus value en Algérie.

Combien coûte la distribution demédicaments ? Y a-t-il un contrôlerigoureux du marché ?Les textes régissant le métier de distri-

buteur se résument à leur strict minimumet les distributeurs eux-mêmes réclamentune mise à niveau de ces normes. Pour cequi est du coût de la distribution, il fautsavoir que les marges en Algérie sontréglementées et qu’à ma connaissance, iln’a pas été relevé de distributeurs ayantenfreint ce type d’obligation. C’est detoute façon impossible, parce que si celan’était pas le cas, le prix public du médi-cament étant mis sur la vignette par lefabricant ou l’importateur, toute augmen-tation de la marge du grossiste se tradui-rait par une diminution de celle du phar-macien qui ne le tolérerait absolumentpas. La majorité des médicaments aujour-d’hui ayant un prix sortie d’usine supé-rieur à 150 DA, la marge brute du gros-siste pour le produit fabriqué localementest de 10% et pour le produit importé de4,5%. Si cette différence encourage lesdistributeurs à favoriser le produit fabri-qué localement, il est à noter que pour les

produits importés, la marge brute réellen’est que de 2,5% étant donné que 2%sont captés par la taxe sur l’activité pro-fessionnelle (TAP). Ces 2,5% devantcouvrir tous les frais du distributeur, àsavoir les frais financiers, de personnel,de fonctionnement ainsi que sa margebénéficiaire. Il est donc clair qu’actuelle-ment, ce qui fait réellement vivre la dis-tribution, ce sont les marges sur les pro-duits fabriqués localement. Ceci pourvous dire qu’accuser les grossistes de nepas encourager la production nationaleest sans fondement. Pour ce qui est ducontrôle, il faudrait auparavant mettre àniveau notre réglementation pour se don-ner ensuite les moyens de veiller à soncontrôle.

Le ministre de tutelle a procédédernièrement au retrait d’agrément à230 distributeurs de médicaments et adéclaré que sur les 208 importateursqui opèrent sur le territoire national,seuls 50 respectent les normes.Comment trouvez-vous cettedécision ? Je dois vous avouer que lorsque j’ai lu

cette déclaration concernant le retraitd’agrément à 230 distributeurs, j’étaisassez amusé. En effet, sachez que les opé-rateurs de l’UNOP, qui représentent plusde 70% du marché, n’ont vu aucunemodification de leur fichier client depuiscette mesure. En effet, même si des agré-ments ont été délivrés à plusieurs cen-

taines de grossistes, il n’en existe pasautant en activité. La majorité des agré-ments retirés concernaient des grossistesqui n’exerçaient plus. il faut savoir quel’UNOP, qui représente 70% du secteur,compte en son sein seulement 25 produc-teurs ayant des activités d’importation,ces derniers faisant probablement partiedes 50 qui respectent les normes. Les 180autres importateurs qui restent ne repré-sentent donc pas plus de 30% du secteur,tout en sachant que sur ces 30% la PCHet l’IPA représentent plus des 2/3.

Il y a lieu également de noter certainsgraves dysfonctionnements. Par exemple,l’avis d’appel d’offres pour l’approvi-sionnement de la PCH pour l’année 2011n’a été validé qu’en janvier 2012  ! Ensachant que pour ces produits aucun four-nisseur ne pourra les importer tant qu’iln’aura pas obtenu de marché, étant donnéque les seuls clients pour les produits decancérologie par exemple sont exclusive-ment publics et qu’ils sont donc régis parle code des marchés ! Comment voulez-vous importer un produit pour lequelvous n’avez aucune certitude d’être rete-nu par avis d’appel d’offres ? Si les opé-rateurs le faisaient, ils ne feraient quecontribuer aux pertes de l’Algérie, étantdonné que ces produits ne trouvant pasd’acquéreur, ils finiraient par se périmeret donc augmenter la facture de l’impor-tation pour approvisionner les centresd’incinération ! n

F. B.

} Suite de la page 49

Les textesrégissant lemétier de

distributeur serésument à leurstrict minimum etles distributeurseux-mêmesréclament une miseà niveau de cesnormes.

Nabil Mellah