Le français dans les médias

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Qualité du français : la responsabilité des médias Nous voulons tous, de nos racines et dans le coeur, aider les jeunes d'aujourd'hui à devenir les adultes qui demain consolideront les acquis de la francophonie au Canada. Et bien sûr que nous serons derrière eux, tout excités, drapeaux à la main et au vent, lorsqu'ils partiront chercher leur coin de paradis dans un monde francophone de l'Amérique à l'Afrique, en Asie et en Europe. Mission accomplie, dirons-nous avec raison, car une communauté francophone qui multiplie ses capacités de rayonnement a déjà rempli la condition première de sa continuité en terre canadienne et ailleurs. La question qui se pose cependant est de savoir quels outils, en plus des souvenirs, des fleurs et des becs, nous aurons mis dans leurs bagages avant leur départ. le le fricot fricot 30 août 2009 produit par [email protected] Commentaire

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Les médias d'information ont une responsabilité qui ne se limite pas à informer : ils doivent transmettre aux jeunes une langue correcte.

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Qualité du français : la responsabilitédes médias

Nous voulons tous, de nos racines et dans le coeur, aider les jeunes d'aujourd'hui à devenir les adultes qui demain consolideront les acquis de la francophonie au Canada. Et bien sûr que nous serons derrière eux, tout excités, drapeaux à la main et au vent, lorsqu'ils partiront chercher leur coin de paradis dans un monde francophone de l'Amérique à l'Afrique, en Asie et en Europe. Mission accomplie, dirons-nous avec raison, car une communauté francophone qui multiplie ses capacités de rayonnement a déjà rempli la condition première de sa continuité en terre canadienne et ailleurs.

La question qui se pose cependant est de savoir quels outils, en plus des souvenirs, des fleurs et des becs, nous aurons mis dans leurs

bagages avant leur départ.

le le fricotfricot 30 août 2009produit par

[email protected]

Commentaire

Car si parler français fait d'eux des francophones entendus par le monde, il s'accorde qu'ils puissent aussi être lus, et donc capables d'écrire la langue, de l'exercer, de la faire jaillir d'une plume, d'en tracer les contours, de lui donner des couleurs, d'en exalter les beautés ! Des portes infiniment petites et infiniment grandes leur seront alors ouvertes. Et parce qu'ils s'exprimeront clairement, dans un français respectueux des règles les plus élémentaires, le monde sera davantage ouvert à leurs idées. Leurs lettres, articles, journaux et projets n'iront pas sous la pile des « illisibles » ou « inintelligibles », et ils ne seront pas ignorés « parce que pleins de fautes ».

Mais il y a un os : hormis les cris qu'on est justifié de lancer aux oreilles du médecin qui vient de nous donner une bonne fessée, on ne vient pas au monde en criant soudainement un adjectif ou un adverbe à des parents éberlués. La langue française étant ce qu'elle est, c'est-à-dire qu'elle s'apprend à force de la lire et de l'entendre, il vaut mieux à cet âge attendre un peu et compter sur la communauté, parents, amis, école, pour nous l'enseigner plus tard. On pourra toujours alors leur écrire quelques mots bien tournés en guise de remerciements.

C'est donc dire que la communauté a une responsabilité fondamentale envers les enfants et les adolescents dans leur apprentissage du

français, parlé et écrit, surtout quand la langue est un îlot au beau milieu d'un océan anglophone.

Nous avons l'obligation de leur montrer correctement les beautés et les difficultés de cette langue, en ne nous limitant pas toujours au plus facile, et d'ouvrir toutes grandes les possibilités qui s'offriront à eux grâce à la maîtrise du français. N'avons-nous pas tous le désir de voir nos jeunes, lorsqu'ils rédigeront leur thèse, lorsqu'ils représenteront la francophonie dans le monde, le faire en se sentant confortables et tout à fait capables d'exprimer leur être ?

Or dans cette communauté, en dehors de l'école, se trouvent des organismes qui doivent être considérés à juste titre comme des services indispensables d'appui à l'éducation francophone. Au premier rang desquels se trouvent les médias d'information. C'est là que les jeunes francophones commencent à se mesurer à l'actualité, et c'est là, par l'essence même de la profession journalistique, qu'ils devraient aussi pouvoir obtenir le complément nécessaire à la bonne maîtrise de la langue française. Car on demande aux jeunes, et aux adolescents d'une manière plus insistante, de lire les journaux, de regarder des émissions de télévision et d'écouter la radio pour parfaire leur éducation en français, pour absorber les rudiments de la langue et en comprendre les règles et les détours. Des outils qu'ils mettront dans leurs bagages.

Les médias doivent donc être conscients de la qualité de la langue qu'ils transmettent à leurs lecteurs et aux adultes de demain. Mais il faut bien se rendre à l'évidence : ces médias n'offrent pas toujours aux jeunes francophones de quoi vouloir pousser plus loin leur apprentissage du français; parfois ils donnent même une idée plutôt limitée de la langue française. Ne sous-estimons surtout pas la facilité avec laquelle on peut prendre des « mauvais plis » quand on voit les mêmes erreurs et les mêmes fautes reproduites semaine après semaine, jour après jour, dans le journal qui accompagne les oeufs et le bacon.

Il est plus tard certainement justifié d'en vouloir un peu à ces tuteurs de jeunesse quand on se rend compte qu'ils nous ont transmis des

contours fautifs d'une langue pourtant si riche.

Plus sérieusement encore, cette incapacité, ce manque de temps ou de moyens chez des intervenants clés et chez des médias à transmettre correctement aux membres d'un groupe linguistique le caractère écrit de leur langue, dans les journaux et autres documents officiels par exemple, jouent un rôle majeur dans la détérioration à long terme du pouvoir linguistique et culturel d'une communauté, et ils mettent en danger sa continuité même, surtout lorsque cette communauté linguistique se trouve déjà en situation minoritaire et qu'elle n'a pas à sa disposition plusieurs journaux francophones se réclamant d'elle. Mais encore, cette incapacité, ce manque de temps et de moyens limitent sévèrement les horizons de ceux qui essaient de comprendre les difficultés d'une langue pour pouvoir plus tard l'utiliser dans toute sa splendeur, parce qu'ils leur lèguent un vocabulaire facile mais restreint, rempli de fautes comme la Lune est remplie de cratères, et ils courent le risque de produire des générations «linguistically challenged », qui seraient capables d'exprimer leur culture seulement jusqu'à un certain point et finiraient par être inconfortables dans le monde avec leur propre langue.

Les dangers de cette détérioration linguistique sont redoublés, et redoutables, lorsque les médias d'information y vont d'un français très à peu près dans leurs pages et trouvent ensuite des justifications pour

s'affranchir de leur obligation envers les lecteurs. Sont-ils alors questionnés sur le sujet, qu'ils finissent par vous proposer l'idée que ce

laisser-aller linguistique serait devenu une norme tout à fait acceptable, une turlutaine avec laquelle il faudrait vivre dans un

monde imparfait. C'est une notion aberrante qui fait bien l'affaire de la facilité, une notion qu'on ne peut combattre, soyez prévenus, que si l'on est un peu masochiste ou si l'ostracisme ne veut encore rien dire

pour soi.La langue française, quand on porte attention aux détails de sa forme écrite, est un outil formidable dans le monde d'aujourd'hui. Les médias ont la responsabilité non seulement de reconnaître leur rôle dans ce domaine, mais aussi d'y donner des formes correctes. Car connaître sa langue, la maîtriser, l'écrire comme cela se doit, élargir sa portée et partager ses beautés avec d'autres n'est pas du snobisme ou de l'arrogance, loin de là, c'est montrer du respect au lecteur et à sa langue maternelle. Le contraire, c'est-à-dire justifier constamment la qualité douteuse d'un français échevelé, transmis par les voies officielles et publiques, est de toute façon bien pire dans ses conséquences pour une communauté.

Nous sommes tous responsables, à des degrés divers, du « grand ouvrage » de la francophonie. Mais les artisans des médias, qui nous informent et nous divertissent, et qui sont appelés à jouer un rôle important dans une communauté, doivent être les premiers à reconnaître que si l'on veut aider les jeunes francophones à prendre leur place dans le monde de demain, on leur doit des outils qui ne sont pas déjà fêlés. C'est Voltaire qui disait : «Malheur aux détails, c'est une vermine qui tue les grands ouvrages! ».

(-- André R. Gignac, publié sur le site d'Impératif français, 14 mars 2004)

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