Le Droit Comme Structure Synthese de Travaux

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Theorie du droit

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    MMOIRE DE SYNTHSE : LE DROIT COMME STRUCTURE, ESSAI DE

    MTHODE POUR COMPRENDRE LA PLACE DU DROIT PNAL DANS LE DROIT

    POSITIF

    Jacques Amar

    Matre de confrences en droit priv,

    Docteur en sociologie

    Le besoin de philosophie nexiste pas chez tous, certains dentre nous [les

    professeurs] ont le sentiment quil manque notre enseignement [du droit] quelque

    chose de fondamental

    M. Villey, Philosophie du droit, 1. Dfinition et fins du droit, Dalloz, 1985, p. 1

    Il semble bien quil y ait dans la pense humaine une tendance inhrente

    rechercher la systmatisation et la plnitude .

    E. Fromm, Vous serez comme des dieux, Complexe, 1975, p. 24.

    Le prsent mmoire de synthse accompagne toute une srie de travaux mens au

    cours de ces quinze dernires annes en vue de lobtention de lhabilitation diriger des

    recherches. Il a la particularit de rendre compte de deux thses soutenues dans deux

    disciplines distinctes et den exposer les lignes directrices.

    Dans louvrage quil a consacr au Sicle des Lumires, le philosophe E. Cassirer

    dfinit le droit de la faon suivante : Le droit possde, comme la mathmatique, sa

    structure objective que larbitraire ne saurait changer1 .

    Cette dfinition, lue rcemment, peut rtrospectivement servir de fil conducteur

    pour rendre compte de mon travail universitaire qui, dfaut de disposer dune

    cohrence intrinsque partir dun champ disciplinaire nettement identifiable, se veut

    1 Cf E. Cassirer, La philosophie des Lumires, Fayard, 1976, p. 247.

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    une tentative de comprhension du phnomne juridique dans ses manifestations les

    plus diverses. Lecteur assidu du philosophe M. Foucault, deux traits mont toujours

    fascin dans son uvre : sur sa mthode, cet auteur accorde un tel crdit la rgle de

    droit dans lanalyse des phnomnes sociaux quil en est venu estimer quun dit royal

    adopt lpoque de Descartes permettait de mieux comprendre cette priode que le

    discours de la mthode ; sur son enseignement, M. Foucault stait fix comme

    principe dcrire sur des matires quil nenseignait pas et de ne pas enseigner sur ce sur

    quoi il crivait. Il y a ici une posture intellectuelle saisissante qui constitue une

    rfrence intellectuelle dautant plus importante quelle est lune des rares uvres

    affirmer la centralit de la rgle de droit, soit sa dimension structurale.

    La rfrence la rgle de droit constitue en effet notre poque un lment central

    de toute argumentation dans des configurations indites qui remettent en cause les

    schmas traditionnels de division des sexes, de distinctions plus acadmiques comme

    celles entre droit public et droit priv ou plus politiques linstar de celle entre

    nationaux et trangers. Nous sommes ici confronts un vritable tournant juridique,

    semblable sur le plan conceptuel au tournant linguistique qua connu la philosophie

    durant les annes 19802. A titre dillustration, il suffit de se reporter la rception

    mdiatique des rformes de la saisine du Conseil constitutionnel : en 1974, lextension

    de la saisine de cette juridiction des parlementaires est dnonce comme une

    manuvre politicienne ; en 2010, ladmission du mcanisme de la question prioritaire

    de constitutionnalit simpose comme une vidence3. Ds lors, si notre poque est

    marque par une re-composition permanente des champs de largumentation, la manire

    dapprhender le phnomne juridique joue un rle central ; elle conditionne notre

    capacit de comprhension des mutations contemporaines soit lorsque celles-ci sont

    engendres par les textes eux-mmes, soit par des volutions sociales qui sarticulent

    essentiellement autour de revendications en termes juridiques.

    Cest le dcryptage tant sociologique que juridique de ces mutations qui est au

    cur de mes travaux. Si, lorigine, ma rflexion commence par ma thse de doctorat

    en droit priv obtenue avec les flicitations du jury intitule De lusager au

    2 Le rapprochement entre linguistique et droit ne doit pas surprendre, cf G. Tarde, Les

    transformations du droit, tude sociologique, Berg international, 1993, p. 188 : le Droit, parmi les

    autres sciences sociales, a ce caractre distinctif d'tre, comme la langue, non seulement partie

    intgrante mais miroir intgral de la vie sociale .

    3 Cf D. Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, 2010, p. 309 : Tout se

    passe finalement comme si luvre jurisprudentielle avait acquis sa propre dynamique, qui droulait ses

    effets indpendamment de la volont des acteurs.

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    consommateur de service public 4, elle sest prolonge par un croisement constant des

    disciplines afin daffiner notre tentative de comprhension des mutations

    contemporaines. Plus largement, jai aussi soutenu une thse de doctorat en sociologie

    en 2012 intitule Les identits religieuses contemporaines dans le miroir des droits de

    lhomme, contribution une sociologie des droits de lhomme 5 lUniversit Paris-

    Ouest Nanterre qui a obtenu la plus haute mention. Elle se prolonge aujourdhui au sein

    de lassociation Schibboleth-Actualits Freud travers notamment une rflexion sur les

    symboles en droit.

    La synthse ici expose ne saurait masquer le fait que les croisements plus ou

    moins volontaires ont souvent t initis par les matires que jai t amen enseigner

    lUniversit. Mes cours ont port sur des matires comme le droit du travail, le droit

    fiscal et le droit pnal dont le rapprochement peut paratre htrodoxe au regard des

    spcialisations classiques. Jai aussi profit pleinement dun public htrogne compos

    des populations suivantes : des tudiants de formation initiale aussi bien lUniversit

    que dans un Institut Universitaire de Technologie ; des tudiants de formation continue

    tant lors de formations ponctuelles que lors de cours sinscrivant dans un cursus de

    reprise dtudes ; des tudiants dorigines diverses qui font le choix dune formation

    distance, tant dans le cadre dun programme classique de licence de gestion au sein de

    lUniversit Paris-Dauphine que dans celui trs novateur de Master II Recherche Droit

    international et europen des Droits Fondamentaux de lUniversit de Nantes. Sans

    compter lopportunit denseigner ltranger un cours ayant pour objet une

    prsentation synthtique des volutions des diffrents systmes juridiques. Jai pu

    constater quel point le mode de transmission conditionne la manire dexposer les

    rgles de droit. Jai ainsi t confront en permanence la question fondamentale de la

    manire de transmettre un savoir dans lequel les aspects thoriques ne doivent jamais se

    dpartir des consquences pratiques6.

    4 J. Amar, De lusager au consommateur de service public, PUAM, 2001, prf. A. Ghozi.

    5 J. Amar, Les identits religieuses contemporaines dans le miroir des droits de lhomme,

    contribution une sociologie des droits de lhomme, Presses Acadmiques Francophones, 2013.

    6 Je prcise que je refuse de prendre pour comptant lopposition fausse entre thorie et pratique que

    luniversit continue implicitement de cultiver lorsquelle confie des enseignements des praticiens .

    Comp. E. Kant, lments mtaphysiques de la doctrine du droit, 1853 (pp. 339-380) disponible

    Wikisource On appelle thorie un ensemble mme de rgles pratiques, lorsque ces rgles sont conues

    comme des principes ayant une certaine gnralit, et que l'on y fait abstraction d'une foule de conditions

    qui pourtant exercent ncessairement de l'influence sur leur application. Rciproquement on ne donne

    pas le nom de pratique toute espce d'uvre, mais seulement la poursuite d'un but, quand on le

    considre comme l'observation de certains principes de conduite conue d'une manire gnrale.

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    Cest pourquoi le point commun se situe davantage dans une mthode qui sest

    affine au fur et mesure des recherches et des cours dispenss que dans une ide

    cardinale susceptible dtablir artificiellement lillusion de lunit. Cette mthode, je

    peux schmatiquement la rsumer de la manire suivante : dans une approche

    positiviste, si les textes disposent dune dynamique propre en fonction de leur

    interprtation, que signifient et surtout quimpliquent ladoption lgislative dun

    nouveau texte ou dune nouvelle interprtation par les juges ? Le droit pnal, pour des

    raisons qui seront expliques par la suite, a constitu le terreau dexprimentation du

    principe prcdemment expos : larbitraire ne saurait, de prime abord, changer la

    structure objective. Dans une approche plus conceptuelle, mes travaux portent sur la

    consistance mme de la structure : si la rfrence la rgle de droit devient

    omniprsente, quid des mutations intrinsques de la structure elle-mme ? Jai ainsi, au

    fil des recherches, esquiss une rflexion sur deux manifestations antinomiques :

    - la violence, soit prcisment lantithse du phnomne juridique ;

    - la rfrence aux droits de lhomme dans le discours contemporain.

    Afin dillustrer cette dynamique, je partirai prcisment des diffrentes acceptions

    du mot structure. Je distinguerai cet effet la structure comme systme juridique (I) et

    la structure au sens du courant structuraliste (II) auquel je rattacherai la conception de la

    rgle de droit qua dvelopp le sociologue C. Bougl. Je montrerai alors comment

    jarticule ces deux tendances problme de la cohrence de la structure, problme de la

    permanence mme de la structure tant dans mes recherches actuelles que dans celles

    que jai diriges notamment dans le cadre du Master Recherche Droit de lentreprise de

    lUniversit Paris-Dauphine dirig par le professeur F. Pasqualini. Je prciserai

    toutefois que la distinction ici propose partir des acceptions du mot structure ne vaut

    que dans une perspective didactique et non conceptuelle : le tiraillement entre les deux

    facettes est une dimension inhrente toute tentative de prsenter une mthode

    danalyse des mutations contemporaines.

    Il serait peu utile de discuter si lapproche systmatique initialement retenue relve

    ou non du structuralisme ou si, finalement, nombre de juristes font du structuralisme

    sans le savoir. Lhermneutique juridique, en tant que mthode dinterprtation visant

    communiquer le sens, par opposition lexgse, technique de cration du sens, peut,

    par exemple, lgitimement tre rapproche du structuralisme7. Je ne prtends donc

    nullement loriginalit et cherche seulement exposer une rflexion sur le positivisme

    7 Le philosophe P. Ricoeur parle de complmentarit entre les deux disciplines.

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    juridique avec pour fil conducteur le droit pnal, corps de rgles dont les volutions

    permettent de distinguer les priodes de lhistoire et les socits les unes des autres.

    I LA STRUCTURE COMME SYSTME JURIDIQUE : LE DROIT PNAL COMME

    POINT DQUILIBRE AVEC LES RGLES CIVILES

    Concevoir le droit comme une structure ne prsente apparemment pas de relle

    originalit : il suffit de remplacer le mot structure par celui de systme juridique pour

    finalement retrouver la base mme du travail doctrinal. Tout au moins, l o le terme

    systme peut recouvrir un sens neutre pour rendre compte de corps de rgles disparates

    sur la base de distinctions techniques comme celle par exemple entre droit commun et

    droit spcial, lide de structure veut introduire un angle diffrent, une perspective plus

    large. Comme lexplique un auteur, L'essentiel dans un droit parat bien tre... la

    structure mme de ce droit, les classifications qu'il admet, les concepts dont il fait

    usage, le type de rgles de droit sur lequel il est fond... Au dessus des rgles qui

    changent, il existe des cadres qui sont relativement stables8 . Cest la mise lpreuve

    de cette stabilit qui constitue le fil conducteur de mes travaux. Jai ds le dbut de mes

    recherches privilgi linteraction entre les composantes du systme afin chaque fois

    de montrer quen raison de sa structure mme ou de sa systmaticit au sens

    mathmatique du terme, la compltude du systme loblige gnrer des consquences

    plus ou moins anticipes pour se maintenir lquilibre et viter de perdre son identit.

    Un peu comme si, pour filer schmatiquement la mtaphore mathmatique, les rgles

    sarticulaient comme des paramtres avec les inconnues dune quation reprsentes par

    les modifications du texte ou les interprtations donnes par les juges. Il y a ainsi

    simplement retour sur des points acquis de la science juridique et des diffrentes

    facettes du positivisme que jai essay de reformuler avec un vocabulaire qui me

    convient mieux.

    Pour autant, ma dmarche ne saurait se confondre avec celle propre lconomie

    du droit dont la conceptualisation repose galement sur une logique de paramtrage

    avec toutefois une forte dimension cynique. Pour sy tre un peu essay, je refuse

    prsent de faon catgorique le postulat fondamental de lindividualisme

    mthodologique en vertu duquel le comportement de lindividu repose sur la recherche

    de sa plus grande satisfaction. Quand bien mme existeraient dautres courants, ceux-ci

    ne sont que des expressions minoritaires au regard de linfluence quexercent encore

    aujourdhui les travaux du prix Nobel dconomie G. Becker. Quitte grossir le trait, je

    privilgie autant que faire se peut, en tant quhypothse de travail, la dynamique

    8 R. David cit par C. Jauffret-Spinosi, La structure du droit franais, Revue internationale de droit

    compar. Vol. 54 N2, Avril-juin 2002, pp. 265-275, spec. p. 265.

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    systmatique par del le rle de lindividu, par del mme sa volont. Le rle de celui-ci

    ne saurait sabstraire des conditions sociales dans laquelle elle intervient9.

    Enfin, parce que cette signification a jou historiquement un rle majeur, je prcise

    que lemploi du terme structure ne renvoie en rien la distinction propre la thorie

    marxiste entre infrastructure et superstructure. Le droit, loin dtre rductible une

    superstructure dpendant des contraintes de production, transcende cette articulation

    simpliste qui ignore la concidence irrductible entre lexistence dune socit et celle

    dun corps de rgles articul. Paradoxalement, en dpit de leffondrement du

    communisme, la prsentation des rgles auprs des tudiants seffectue bien souvent

    partir de lide selon laquelle les changements des rgles procdent de leur ncessaire

    adaptation aux contraintes imposes par le champ conomique, comme si effectivement

    le juriste devait jouer le rle dauxiliaire, voire de servant de lconomie. Plus

    contestable encore, le projet Doing Business se veut le comparateur des rgles laune

    de leurs performances conomiques, indpendamment de la structure et de lhistoire des

    corpus juridiques nationaux10

    . Il y a ici un tropisme dformant extrmement critiquable

    destructeur du politique contre lequel jessaye dopposer une analyse structurale,

    linstar par exemple des travaux du professeur A. Supiot qui privilgie de son ct la

    dimension anthropologique de la rgle.

    Aprs avoir prcis comment je me suis concentr sur cette approche du

    phnomne juridique somme toute classique et rductible tout simplement la

    dmarche positiviste (1), jen donnerai quelques illustrations partir de mes diffrents

    travaux, notre thse (2), nos articles en droit pnal (3) et en droit fiscal (4) pour dcliner

    les diffrentes facettes du positivisme.

    1) FONDEMENTS ET INTRTS DUNE ANALYSE EN TERME DE STRUCTURE : SAISIR

    LES DIFFRENTES FACETTES DU POSITIVISME

    Je clarifie a postriori ce qui, lorigine, trouve son fondement dans des lectures

    diverses. La dmarche prsente peut-tre une originalit dans lintroduction de concepts

    9 Cf N. Luhmann, La lgitimation par la procdure, Cerf, 2001, p. 25-26 : Nous voulons dire par

    l que les personnes concernes adoptent la dcision titre de prmisses de leur propre comportement et

    restructurent en consquence leurs attentes, quelles que soient leurs raisons. () Quoiquil en soit, au

    fondement de la reconnaissance se trouve un processus dapprentissage, cest--dire une modification

    des prmisses daprs lesquelles lindividu traitera par la suite ses expriences, choisira ses actions et se

    reprsentera lui-mme .

    10 Cf pour une prsentation plus synthtique et srement plus nuance des dbats sur lconomie du

    droit, Revue de droit H. Capitant, n1, dcembre 2010.

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    issus de la philosophie politique ou du droit pour dfinir un cadre danalyse susceptible

    de fournir une grille de lecture oprationnelle pour dcrypter les mutations en cours.

    De faon gnrale, lhypothse du systme juridique sous-tend par principe le

    travail doctrinal, limage de lexpression aujourdhui classique de faiseurs de

    systme11

    . Ce point qui peut paratre acquis, voire vident, reste dterminant lorsque

    des tudiants de troisime cycle me sollicitent pour tre leur matre de mmoire de

    recherche en troisime cycle. Cest parce que ltudiant comprend larticulation des

    rgles objet de son tude quil est mme de soutenir une interprtation forte qui ne va

    pas se rsumer lexpression dun point de vue moral, voire moralisateur sur la

    question quil a choisie de traiter. Cette orientation mthodologique me parat dautant

    plus centrale que lmergence de problmatiques transversales en droit travers par

    exemple la responsabilit sociale des entreprises ou lextension de la contestation des

    rgles sur le fondement des droits de lhomme toutes les disciplines brouille les

    frontires entre droit et morale, entre analyse juridique et discours sur le droit. La

    structure comme systme juridique, cest ce que je considre comme tant au fondement

    du positivisme.

    Jai, que ce soit en tant quenseignant au sein du Master Recherche Droit de

    lentreprise de lUniversit Paris-Dauphine ou du Master Recherche distance de

    lUniversit de Nantes, pu constater la difficult que rencontrent les tudiants manier

    ces notions amphibologiques qui vhiculent tout la fois un contenu positif et une

    dimension normative. Je prendrai pour un exemple un mmoire dont jai assur la

    direction intitul le respect des droits de lhomme par les entreprises : les principes de

    John Ruggie 12 dont lun des auteurs poursuit aujourdhui son travail en thse13 : sen

    tenir lide elle-mme, la critique est difficile formuler : qui en effet ne voudrait pas

    dun monde meilleur dans lequel les entreprises seraient des parangons de vertu ? Il y a

    toutefois ncessit de maintenir un quilibre entre le souhait, le droit positif et la

    manire dont pratiquement lobjectif fix peut tre atteint14. Cest en cela que jintroduis

    une nuance lassimilation du systme juridique la structure. Une approche

    11 J. RIVERO, Apologie pour les faiseurs de systmes, D., 1951, Chronique, p. 99.

    12 J. Bellaiche, B. Gourvet, Le respect des droits de lhomme par les entreprises, le rapport J.

    Ruggie, Mmoire DEA, Universit Paris-Dauphine, 2011.

    13 B. Gourvez, sujet dpos en 2011 : L'engagement de la responsabilit des entreprises

    transnationales pour violation des droits de l'Homme.

    14 Les cabinets anglo-saxons ont en somme lud la difficult en privilgiant ce quils appellent une

    approche corporate qui intgre les problmatiques juridiques dans celle du management dont le

    programme Doing Business en est la systmatisation la plus aboutie.

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    systmatique classique trouve sa cohrence dans la thorie pure du droit telle quelle a

    pu tre dfinie par H. Kelsen avec pour pivot la hirarchie des normes et le caractre

    relatif mais nanmoins effectif des distinctions traditionnelles entre droit public et droit

    priv ou entre droit rel et droit personnel. Plus que jamais dailleurs la cohrence

    densemble du droit positif oblige bien comprendre larticulation entre les textes pour

    mesurer la place que peuvent y occuper des textes pour lesquels il est devenu usuel de

    parler de soft law et de sinterroger sur leur valeur normative. Autrement dit, les

    mutations juridiques contemporaines obligent en permanence reprendre des

    problmatiques classiques pour les confronter ces volutions.

    Si nuance il y a, elle procde prcisment du brouillage des frontires

    traditionnelles prcdemment rappeles en raison de la dimension politique que

    vhicule par nature linvocation, par exemple des droits de lhomme, dans un

    contentieux de quelle que nature que ce soit ou la rfrence aujourdhui permanente la

    responsabilit sociale des entreprises en matire de droit des affaires. A titre

    dillustration, le simple fait de se prvaloir des droits de lhomme change la perception

    du conflit pouvant exister entre deux parties : dune question technique propre par

    exemple lapplication dune disposition du Livre des procdures fiscales, nous

    passons une question de principe : lEtat aurait viol les droits de lhomme du

    contribuable, ce qui renvoie en filigrane toute une conception de lEtat.

    Comparativement, jusqu ces dernires annes, seul le droit pnal faisait lobjet dune

    telle prsentation en raison du principe de prsomption dinnocence.

    Aussi, de faon bien diffrencier les questions, viter un appauvrissement de

    largumentation juridique sous lempire dune version moralisatrice des droits de

    lhomme, jai estim utile dintroduire dans la mthode danalyse pour les sujets de

    mmoire qui portent sur ce type de notions les propositions relatives lessence du

    politique et du droit telles quelles ont pu tre formules par les philosophes juristes J.

    Freund et A. Kojve. Le premier met laccent sur la difficult didentifier une essence

    du phnomne juridique en raison de la tension permanente que cre lexistence dune

    rgle entre morale et politique ; le second, au contraire, rige lintervention dun tiers en

    critre du phnomne juridique. En cela, il y a structure et non plus systme : lanalyse

    nest pas dissociable dune rflexion constante sur les frontires entre droit et politique

    et entre droit et morale ; llment stable de la structure, ce ne sont pas les distinctions

    propres au systme mais lquilibre entre les champs danalyse15 ; la difficult de saisir

    15 Lors de notre thse, nous avions envisag cette dynamique sans lapprofondir. Nous nous tions

    fonds pour cela sur louvrage de M. Walzer intitule Les sphres de justice. La lecture dauteurs comme

    J. Freund, C. Schmitt ou A. Kojve permet de re-centrer davantage lanalyse sur le champ juridique et sa

    relation avec les autres composantes sociales.

  • 9

    la force normative dun texte oblige repenser la place de linstitution judiciaire dans

    les phnomnes contemporains.

    De faon plus particulire, je reste redevable des nombreuses discussions que jai

    eu avec mon directeur de thse, le professeur A. Ghozi, qui ma en permanence oblig

    tre prcis pour tre compris de tous. Je renvoye galement aux diffrents travaux du

    professeur R. Gassin dont notamment le manuel de Criminologie ainsi que son

    article relatif la mthode pour rdiger une thse en droit16

    ont eu une influence

    dterminante sur les orientations de me recherches. Cet auteur a particulirement mis

    laccent sur la ncessit dadopter une approche systmatique pour mener une rflexion

    en droit ainsi que sur la dimension structurale des rgles, et plus particulirement du

    droit pnal, dans la socit. En mme temps, son ouvrage sur la criminologie ma

    montr lintrt de situer socialement un phnomne juridique pour en amliorer la

    comprhension.

    Le droit pnal sest en somme impos car il implique en permanence cette rflexion

    sur les champs politiques et juridiques, rflexion que la transversalit des droits de

    lhomme tend gnraliser toutes les branches du droit. Le droit pnal, cest

    lexpression positive de la socit commune tout individu dont lanalyse permet

    dalterner toutes les mthodes danalyse. Bien videmment, le constat pourrait paratre

    rducteur au regard des autres disciplines. Restent toutefois deux traits distinctifs du

    droit pnal par rapport aux autres branches du droit : la conscience commune identifie le

    phnomne juridique la possibilit dune sanction, terme qui renvoie la terminologie

    pnale ; seul le droit pnal donne un tableau complet des valeurs quune socit dcide

    de respecter un moment donn.

    La dmarche initiale relative aux interactions au sein du systme juridique rsultant

    des changements lgislatifs fonde aussi bien notre thse en droit de la consommation

    que nos articles en droit pnal. Les articles en droit pnal comme en droit fiscal

    permettent de retracer ce parcours car, la diffrence de ceux en droit de la

    consommation, ils jalonnent ma rflexion avec en prime pour le droit fiscal, la prsence

    dun thme commun : labus de droit. Dans tous les cas, mon analyse juridique, quelle

    ait oscille entre un positivisme systmatique, cynique ou technique, ne sest jamais

    dpartie dune rflexion, initie par ma thse en droit de la consommation, sur la nature

    des relations entre lindividu et lEtat, sur la conception sous-jacente du lien social qui

    en dcoule.

    16 R. Gassin, Une mthode de la thse de doctorat en droit, Revue de la recherche juridique, 1996,

    p. 1167-1171.

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    2) PREMIRE ILLUSTRATION : NOTRE THSE, DE LUSAGER AU CONSOMMATEUR

    DE SERVICE PUBLIC : LE DROIT PNAL COMME FONDEMENT DUNE APPROCHE

    POSITIVISTE SYSTMATIQUE

    Par son titre mme, cette thse pose comme hypothse que le changement des

    comportements des individus lgard des services publics en parallle la

    promulgation dun Code de la consommation justifie de sinterroger sur la consistance

    du lien de droit existant entre le bnficiaire dune prestation de service public et le

    service prestataire. Cest chronologiquement comme intellectuellement ce travail qui

    ma conduit privilgier une approche systmatique partir dune mise en perspective

    des rgles consumristes laune dun ensemble dautres rgles plutt que de rflchir

    uniquement sur le champ dapplication du Code de la consommation partir de la seule

    rdaction et interprtation des textes qui le composent.

    Cette approche systmatique repose dabord sur le contexte historique dans lequel a

    t codifi le droit de la consommation. En un espace de temps rduit, cest tout la fois

    le Code pnal, le cadre global des relations juridiques avec ladoption du Trait de

    Maastricht et, bien videmment, le Code de la consommation qui ont t modifis,

    situation historique indite qui ne trouve dquivalent dans lhistoire de France que dans

    la priode post rvolutionnaire marque par ladoption du Code civil, du Code pnal et

    du Code de commerce. Compte tenu de limportance du Code pnal pour identifier les

    valeurs dune socit, les changements intervenus dans le Code pnal promulgu en

    1993 me sont ainsi apparus indissociables des volutions sociales ayant galement

    conduit la codification du droit de la consommation.

    Le droit pnal nest pas simplement considr comme un corps de rgles autonome

    bnficiant en outre dune procdure spcifique ; il est le contrepoint des rgles civiles,

    voire leur corollaire ou vice-versa la logique systmique repose sur des interactions

    sans quil soit ncessaire didentifier la causalit premire. Indirectement, jai retrouv

    lorigine premire du droit de la consommation : la loi sur les fraudes de 1905. Jai, de

    cette manire, extrapol cet aspect du droit pnal dj soulign par le professeur R.

    Ottenhoff17

    savoir la complmentarit entre les corps de rgles pour justifier

    lextension du droit de la consommation aux services publics. Par exemple,

    lintroduction lpoque du principe de responsabilit pnale des personnes morales,

    vritable bouleversement anthropomorphique sur lequel je reviendrai, abstraction faite

    du mode de gestion de celles-ci, revient assimiler les activits publiques et prives

    17 R. Ottenhof, Le droit pnal et la formation du contrat civil, LGDJ, 1970.

  • 11

    avec pour limite la notion dactivit non dlgable. Ds lors, sil y a identit au niveau

    dun corps de rgles, la cohrence densemble du systme implique que cette identit se

    rpercute sur le champ dapplication des autres rgles.

    Un raisonnement similaire peut tre tenu avec le droit de lenvironnement, voire les

    droits de lhomme. A chaque fois en effet, par del la diversit des statuts simpose

    lide que cest lhomme en tant que titulaire de droits qui doit tre respect. Que cet

    homme trouve dans le droit de la consommation le moyen dexprimer ses prtentions

    correspond au changement induit par la socit moderne : le droit de la consommation

    nest pas seulement la nouvelle manifestation de la ncessit rcurrente dun corps de

    rgles de protger la suppose partie faible ; cest surtout lmergence dun corps de

    rgles structures qui tient compte de la nouveaut radicale de notre poque souligne

    trs tt par le sociologue J. Baudrillard pour la premire fois dans lhistoire de

    lhumanit, la dure de vie des objets est devenue infrieure celle des individus qui les

    utilise18

    .

    Dans ce cadre, le droit de la concurrence, dont le texte cardinal est codifi dans le

    Code de la consommation a particulirement retenu mon attention. Non seulement nous

    disposions dans le Code de la consommation dun corps de rgles propres aux relations

    individuelles mais en plus, ce Code se trouve expressment corrl avec un choix

    dorganisation de lconomie, corrlation, sauf erreur de ma part, historique indite dont

    jai essay de mesurer les implications. Sur ce fondement textuel, jai pu faire uvre de

    positiviste systmatique et interprter le droit de la consommation comme le vecteur de

    la ralisation du droit de la concurrence : cest parce que les consommateurs disposent

    de la possibilit de contester les clauses abusives et de faire jouer la concurrence par le

    biais des dlais de rtractation quils participent la fluidit du march, tant en outre

    entendu que lintrt des consommateurs constitue la boussole pour apprcier si une

    entente est justifie ou non. Bref, plutt que de lire le droit de la consommation comme

    un corps de rgles visant confirmer le consentement des individus et devant ce titre

    faire lobjet dune interprtation stricte, jai au contraire considr que tous les

    contractants, quelle que soit leur qualit, professionnel ou non, devaient bnficier du

    droit de la consommation.

    Je nai pas vritablement prolong la rflexion en la matire. Ma contribution au

    dbat doctrinal sest limite trois articles crits partir des dveloppements contenus

    dans la thse : deux dentre eux ont repris largumentation technique justifiant

    18 J. Baudrillard, La socit de consommation, Denol, 1967.

  • 12

    lextension du droit de la consommation aux services publics administratifs19, le dernier

    justifie la possibilit pour les professionnels quels quils soient dinvoquer les

    dispositions consumristes afin dviter les discussions arbitraires sur le consentement

    plus ou moins clair selon la nature de lactivit du professionnel20.

    Cest donc de loin que jai continu suivre les dveloppements lgislatifs et

    jurisprudentiels. Je ne peux que constater les points suivants :

    - les discussions la limite de la scolastique continuent de porter sur la distinction

    entre consommateur, professionnel et non-professionnel21

    ;

    - la corrlation entre le cadre dexercice des droits des consommateurs et une

    rglementation visant en amliorer leffectivit permet dexpliquer pourquoi chaque

    lgislature complte, modifie ou rajoute des dispositions consumristes nous sommes

    clairement dans un phnomne dauto-engendrement, selon une expression du

    sociologue N. Luhmann, dans lequel les rgles produisent les rgles au point quil

    devient toujours plus difficile de retrouver lunit du systme.

    - commence tre acquise en droit positif lide quil devient ncessaire de prendre

    en compte le pouvoir pour rduire la prolifration des droits spciaux ainsi que le

    principe dune contestation des clauses abusives afin de dvelopper la concurrence entre

    professionnels22

    . Quant aux services publics, le jeu dquilibre entre les corps de rgles

    prsents dans le systme juridique sexprime dans toute sa force : faute davoir achev

    la mutation densemble des rgles applicables aux usagers-consommateurs, ceux-ci

    intentent des actions en responsabilit pnale. Cest un peu comme des vases

    communicants : lindividu, usager de lAssistance publique, devant les tribunaux

    19 J. Amar, De lapplication de la rglementation des clauses abusives aux services publics,

    propos de l'arrt Socit des eaux du Nord rendu par le Conseil d'Etat le 11 juillet 2001, Dalloz, octobre

    2001, p. 2810 ; Plaidoyer en faveur de la soumission des services publics administratifs au droit de la

    consommation, Contrat, Concurrence, Consommation, 01/2002.

    20 J. Amar, Une cause perdue : la protection des personnes morales par le droit de la consommation

    ?, Contrat, Concurrence, Consommation, 04/2003.

    21 Pour un exemple qui aboutit faire varier la protection selon que le mode dacquisition dun bien

    immobilier seffectue en direct ou par lentremise dune socit civile, Cass. 3e civ., 24 oct. 2012, n 11-

    18.774, FS P+B+R : JurisData n 2012-024056

    22 Cf Article L442-6 alina 2 du Code de commerce introduit par la loi LME de 2008 : Engage la

    responsabilit de son auteur et l'oblige rparer le prjudice caus le fait, par tout producteur,

    commerant, industriel ou personne immatricule au rpertoire des mtiers : De soumettre ou de tenter

    de soumettre un partenaire commercial des obligations crant un dsquilibre significatif dans les

    droits et obligations des parties.

  • 13

    administratifs, se mue en victime devant les juridictions pnales et porte plainte en

    invoquant la mise en danger dautrui rsultant de la violation manifestement dlibre

    dune obligation lgislative ou rglementaire de scurit23. Le juge pnal ne peut

    pondrer les intrts en prsence comme le juge administratif. Le droit pnal agit ainsi,

    en raison de la reconnaissance de la responsabilit pnale des personnes morales comme

    un mode de rquilibrage des relations sociales en raison du sentiment darbitraire que

    ressentent les individus lorsquils constatent des diffrences de traitement en fonction

    des diffrents corps de rgles.

    Si la thse a ainsi permis de poser les bases dun cadre conceptuel danalyse pour

    apprhender les mutations lgislatives ou les revirements de jurisprudence, les articles

    qui ont suivi en droit pnal constituent des illustrations de cette tentative, partir dune

    nouveaut lgislative afin den dgager les implications de manire systmatique.

    3) DEUXIME ILLUSTRATION : LES ARTICLES EN DROIT PNAL ET LES

    CONTRIBUTIONS AU JURISCLASSEUR : POSITIVISME SYSTMATIQUE, CYNIQUE ET

    TECHNICISTE

    Jai accord une place importante au droit pnal dans mes recherches pour trois

    raisons :

    - premirement, marqu par le travail du professeur Gassin, jai trouv dans le droit

    pnal un terreau danalyse dans lequel il est indispensable de concilier lanalyse

    technique avec ses rpercussions sociales ;

    - deuximement, comme indiqu, la promulgation du Code pnal en 1993 constitue

    un tel vnement historique, quil ma sembl pertinent dy lire une configuration

    nouvelle des relations entre lEtat et les individus ;

    - troisimement, mais cette approche ne sexprimera vritablement que dans ma

    thse en sociologie, lvolution du droit pnal est au cur de lvolution des socits - .

    Cest partir de son analyse que le sociologue E. Durkheim, dans son ouvrage De la

    division du travail a montr comment les socits modernes procdent prsent dune

    solidarit organique et non plus mcanique. Paradoxalement, cette dimension juridique

    de luvre de lun des pres fondateurs de la sociologie est relativement peu prsente

    dans la sociologie franaise. Jai ainsi essay de rhabiliter cette dimension en tenant

    compte, surtout par la suite, de louvrage capital de P. Fauconnet sur la responsabilit,

    23 Pour une illustration, A. Levy, L'tat de la jurisprudence sur la responsabilit pnale des

    personnes publiques dix ans aprs l'entre en vigueur du Code pnal de 1994, Droit Administratif n 7,

    2004, tude 14.

  • 14

    ouvrage dont lanalyse aboutissait ds 1922 promouvoir le principe de responsabilit

    pnale des personnes morales, principe qui, comme je lai rappel, na t introduit en

    droit positif quen 1993.

    Les contributions en droit pnal sont ici de deux ordres des articles publis

    essentiellement dans la revue Droit pnal et des commentaires pour le Jurisclasseur

    pnal, soit lexpression dun ct dun positivisme systmatique, voire cynique et, de

    lautre, dun positivisme techniciste.

    A) Les articles en droit pnal, entre positivisme systmatique et positivisme

    cynique

    Les articles rdigs en droit pnal se veulent une analyse positiviste dun texte avec

    pour arrire fond une interprtation qui tient compte des implications concrtes sur la

    nature des relations que les individus entretiennent avec lEtat. A chaque fois, la

    dmarche prend pour point de dpart une volution lgislative qui constitue une

    vritable rupture dans lordre positif pour envisager ses interactions avec les rgles

    relevant dautres disciplines.

    Dans cette perspective, ltude du texte relatif lerreur sur le droit en droit pnal

    sest impose delle-mme24. Rupture avec la fiction selon laquelle nul nest cens

    ignorer la loi, lerreur sur le droit, cause dirresponsabilit pnale, signifie expressment

    dun ct que les individus ne peuvent plus se fier par principe ladministration en tant

    quincarnation de lintrt gnral et, de lautre que lEtat doit tenir compte dune

    population qui ne comprend plus forcment les mesures quil adopte. Par ricochet, cest

    donc ladministration, voire toutes institutions ou ouvrages de rfrence25 qui se

    trouvent impliqus dans le procs. Jai soutenu alors que le vecteur dinformation du

    comportement ayant provoqu une erreur sur le droit, notamment ladministration,

    devait tre tenue pour responsable civilement de sa faute. La jurisprudence a toujours

    maintenu une interprtation stricte de cette cause dexonration de la responsabilit

    pnale dun prvenu. Elle a donc, de jure, cart cette possibilit contentieuse. En mme

    temps, travers cet article, jai introduit comme hypothse quune modification aussi

    importante des principes ne peut que dplacer en permanence les contentieux.

    Je me suis ensuite consacr une autre rforme dimportance : lintroduction du

    pacte civil de solidarit. Jai tudi les implications pnales de ce texte travers la

    24 J. Amar, Erreur sur le droit et parties au procs pnal, Dr. pnal 1999, chron. 15.

    25 M. Veron, Erreur provenant d'un ouvrage de rfrence , Droit pnal n 12, Dcembre 2011,

    comm. 146.

  • 15

    rglementation des immunits familiales26

    . Jai montr que les ressemblances

    manifestes, lpoque entre le PACS et le mariage craient une dissonance entre les

    rgimes matrimoniaux, rempart la pnalisation de la vie conjugale et la logique

    contractuelle du PACS qui pouvait, au contraire, lgitimer lintroduction du droit pnal

    dans des relations de couples. Lintroduction du mariage pour tous a, de ce point de vue,

    le mrite dunifier les rgles indpendamment du sexe des personnes en prsence, tout

    en laissant cependant en suspens la situation des personnes qui continueraient dopter

    pour le PACS.

    En mme temps, si le mariage devient aujourdhui le seul rsultat de lamour

    comme cela a pu tre proclam et non une manire dont on acquiert la proprit, pour

    reprendre lexpression du Code civil, il nest peut-tre plus lgitime de conserver un

    rgime dimmunits familiales. Le rgime des immunits familiales ne serait ainsi pas

    dissociable dune conception de la famille qui sarticule pleinement autour de la notion

    de patrimoine. Changer le paradigme dinterprtation, cest donc changer lintgralit

    des rgles tant civiles que pnales. Cette conclusion formule propos du Pacs reste

    dactualit27. La consquence peut tre formule de la faon suivante : plus le systme

    juridique accorde de liberts aux individus, plus il tend un renforcement de la

    lgislation pnale. Cette recomposition de lordre public traduirait ainsi une mutation

    sociale profonde : le droit pnal peut se transformer en instrument de rgulation des

    conflits faute pour les parties de trouver dans le droit civil les protections suffisantes.

    Dernire rforme dimportance tudie sous langle des interactions rsultant de la

    confrontation avec les autres corps de rgles : la responsabilit pnale des personnes

    morales. Si, dun point de vue sociologique, cette volution a pu simposer trs tt

    comme une vidence, elle nen constitue pas moins un changement profond concernant

    la caractrisation de llment intentionnel, tape indispensable la qualification dun

    comportement infractionnel. Les oscillations de la jurisprudence de la Chambre

    criminelle depuis lintroduction de cette rforme sont ici symptomatiques28.

    Lintroduction en droit positif de la responsabilit pnale des personnes morales

    sest faite en deux temps : une premire fois, avec la promulgation du nouveau Code

    pnal, elle tait circonscrite quelques infractions ; une deuxime fois, lorsque le

    26 J. Amar, Pacs et immunits familiales, Droit pnal n 10, Octobre 2000, chron. 32

    27 En matire de vol, la rglementation a dj fait lobjet dune attnuation article 311-12 du Code

    pnal : Les dispositions du prsent article ne sont pas applicables lorsque le vol porte sur des objets ou

    documents indispensables la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d'identit, relatifs au

    titre de sjour ou de rsidence d'un tranger, ou des moyens de paiement.

    28 En dernier lieu, Cass. crim., 11 avr. 2012, n 10-86.974 : JurisData n 2012-007035

  • 16

    lgislateur a estim quil tait plus simple de reconnatre ce principe de responsabilit

    pour toutes les infractions. Ma premire contribution est intervenue aprs la publication

    des 100 premires dcisions en la matire et se voulait complmentaire la rflexion

    propose par une partie de la doctrine sur la gestion du risque pnal dans lentreprise29,

    rflexion qui depuis est devenu un thme rcurrent dans les formations en

    management30

    . De faon gnrale, jai aussi t attir par une analyse positiviste que je

    qualifierai de cynique : seules comptent les consquences directes pratiques des

    dispositions tudies, non leurs significations et leurs implications sociales. Ce mme

    positivisme cynique trouve dans la mdiation pnale31

    et le plaider-coupable

    laboutissement de la procdure pnale. De faon particulire, jai alors envisag un

    point qui reste ignor par les tenants de cette perspective : les consquences fiscales

    dune condamnation pnale prononce la suite dune infraction commise par une

    personne morale en fonction du mode dimposition de celle-ci, transparence ou opacit

    fiscale32

    . Un point peut-tre moins cynique conserve toutefois sa pertinence au regard

    des dbats aujourdhui sur le cumul des peines et sur le respect du principe dgalit en

    matire de sanctions33

    : partant du principe aujourdhui consacr que la responsabilit

    pnale de la personne morale ne peut tre condamne que si est dmontre de faon

    expresse une faute de son dirigeant, celui-ci pouvant dailleurs galement faire lobjet

    dune condamnation, le grant dune socit en nom collectif transparente fiscalement

    peut avoir supporter financirement aussi bien sa propre condamnation quune partie

    de celle de la socit ; la situation dun grant dune socit responsabilit limite

    fiscalement opaque serait diffrente.

    29 D. Mayer, L'influence du droit pnal sur l'organisation de la scurit dans l'entreprise, D. 1998,

    chron., p. 255.

    30 E. Daoud, B. Dinh, J. Ferrari, C. Gambette, Grer le risque pnal en entreprise, Lamy, 2011.

    31 Cf en dernier lieu, Cass. Civ. 1re, 10 avril 2013, pourvoi n12-13672, Attendu que le procs-

    verbal tabli et sign l'occasion d'une mdiation pnale, qui contient les engagements de l'auteur des

    faits incrimins, pris envers sa victime en contrepartie de la renonciation de celle-ci sa plainte et, le cas

    chant, une indemnisation intgrale, afin d'assurer la rparation des consquences dommageables de

    l'infraction et d'en prvenir la ritration par le rglement des dsaccords entre les parties, constitue une

    transaction qui, en dehors de toute procdure pnale, tend rgler tous les diffrends s'y trouvant

    compris et laisse au procureur de la Rpublique la libre apprciation des poursuites en considration du

    comportement du mis en cause.

    32 J. Amar, Contribution lanalyse conomique de la responsabilit pnale des personnes morales,

    Droit pnal n 10, Octobre 2001, 37

    33 En dernier lieu, C. Teitgen-Colly, Sanction et Constitution, La Semaine Juridique Administrations

    et Collectivits territoriales n 11, 11 Mars 2013, 2076

  • 17

    Le deuxime article rdig aprs labandon par le lgislateur du principe de

    spcialisation de responsabilit pnale des personnes morales met cette fois en

    perspective la rglementation pnale avec le droit du travail et la procdure pnale.

    Cest une illustration de lhypothse suivante : les modifications lgislatives ont

    principalement pour corollaire dtendre les possibilits dagir en justice. Dune part, il

    est dsormais possible de mener des actions aussi bien devant les juridictions civiles que

    pnales sans que le conflit prsente une identit de cause, de personnes et dobjet ;

    dautre part, les salaris ne peuvent plus se voir opposer lexistence dun lien indirect

    sils intentent leur action pour sanctionner un abus de biens sociaux contre la personne

    morale et non contre le dirigeant lui-mme. La jurisprudence na pas eu se prononcer

    sur ce point qui laurait peut-tre forc revenir indirectement au principe de spcialit

    de la responsabilit pnale. Indpendamment de cela, lmergence de la figure du salari

    actionnaire ouvre lindividu des perspectives contentieuses indites, illustration sil en

    fallait du danger de lhybridation dans un systme juridique. Pour reprendre grands

    traits une nouvelle fois la conception densemble du sociologue N. Luhmann, nous

    sommes entrs dans une re procdurale disjointe de toute finalit de justice, une socit

    contentieuse. Celle-ci ne dcoule pas uniquement dun recours plus massif

    linstitution judiciaire. En soi, cela ne saurait dailleurs tre critiquable sauf adopter

    une conception litiste et anti-dmocratique du recours en justice. La socit devient

    contentieuse en raison de la multiplication des corps de rgles susceptibles de

    sappliquer une mme situation : ainsi, pour un salari, le droit commun, le droit du

    travail, le droit pnal, le droit des socits, les droits de lhomme.

    Et plus que jamais le droit pnal devient le contrepoint de la drglementation que

    connat le droit du travail. Il est logique de constater que lextension lgislative des

    pouvoirs de lemployeur en matire dorganisation des conditions de travail, voire de

    contrats de travail, va renforcer les sentiments de harclement et de discrimination au

    niveau des salaris. Nous ne pouvons ici que relever que la dernire rdaction des

    articles du Code pnal relatif au champ dapplication des discriminations et du

    harclement introduit des termes flous qui sont autant dinvites se constituer partie

    civile34

    .

    34 Cf par exemple en matire de discrimination, larticle 225-1 du Code pnal : Constitue

    galement une discrimination toute distinction opre entre les personnes morales raison de l'origine,

    du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'tat de sant, du

    handicap, des caractristiques gntiques, des moeurs, de l'orientation ou identit sexuelle, de l'ge, des

    opinions politiques, des activits syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou

    suppose, une ethnie, une nation, une race ou une religion dtermine des membres ou de certains

    membres de ces personnes morales. (cest nous qui soulignons).

  • 18

    Paralllement ces diverses contributions de porte gnrale entre approche

    systmatique et positivisme cynique, jai rdig diffrents commentaires pour le

    Jurisclasseur pnal, soit un apprentissage redoutable du positivisme technique.

    B) Les commentaires au Jurisclasseur Pnal ou le positivisme techniciste

    Les commentaires de textes publis dans le Jurisclasseur Pnal sont des articles de

    commande. Dans mon cas, le professeur Jacques-Henri Robert qui tait membre de mon

    jury de thse, a fait en sorte que les textes commenter concident avec des thmes plus

    ou moins prsents dans ce premier travail. Surtout, en plus de prolonger mon champ

    dtudes initial, la rdaction de ces textes implique de respecter diffrentes exigences

    formelles. Je ne peux que souligner combien nous jai appris des remarques formules

    par le professeur Jacques-Henri Robert dans la tentative de matrise dun positivisme

    technique, soit lobligation, passe la rdaction de lintroduction du commentaire du

    texte objet du fascicule, de ne pas sortir du cadre fix par les mots employs par le

    lgislateur.

    Les diffrentes formes de positivisme identifies peuvent tre synthtises ainsi : la

    dmarche systmatique pose au pralable la question de la cohrence du systme

    juridique, voire celle de la structure ; la dmarche cynique raisonne uniquement partir

    da priori financier mais peut nanmoins dboucher sur des interrogations lgitimes sur

    la cohrence du systme juridique ; la dmarche techniciste, surtout en droit pnal en

    raison du principe dinterprtation stricte, cherche prciser la porte dun texte. Les

    notions de conflits de qualification ou de cumul dinfractions donnent systmatiquement

    une cohrence la lgislation en vigueur, chaque texte ayant pour objet la dfense dun

    intrt prcis. Enfin, si un texte connat un dfaut de rdaction, il reviendra son

    interprte den rendre impossible lapplication en mettant laccent sur la difficult

    didentifier llment matriel constitutif de linfraction. Bref, lanalyse du droit pnal

    connat moins que les autres branches du droit de problme de cohrence ; elle

    rencontre en revanche plus souvent des questions dinterprtation que linstruction

    pnale peut dailleurs ventuellement combler. Cest pourquoi la critique acerbe et

    notre sens justifie du positivisme porte quasi-exclusivement sur le droit pnal35. Cest

    35 cf D. Lochak, La doctrine sous Vichy ou les msaventures du positivisme in Les usages sociaux

    du droit, CURAPP-PUF, 1989, p. 252 qui reproduit un commentaire de J. Carbonnier, lun des fondateurs

    de la sociologie du droit en France : Si le prfet voulait, pour assurer l'application de la lgislation

    relative aux juifs, tre mme de suivre leurs dplacements dans les htels, l'obligation gnrale faite

    aux voyageurs d'indiquer leur religion n'tait, cette fin, ni suffisante, ni ncessaire. Elle n'tait pas

    suffisante car on pouvait tre juif (...) sans professer la religion isralite. Surtout, elle n'tait pas

    ncessaire ; sa gnralit imposait la trs grande majorit des voyageurs un trouble inutile. C'tait

    assez de la question prcise : Etes-vous de race juive ? . D. Lochak de poursuivre : Et finalement, le

  • 19

    aussi la raison pour laquelle jai tendance estimer que lexcroissance contemporaine

    du droit pnal ne procde pas simplement dun regain scuritaire dont elle serait la

    superstructure, autre manifestation indirecte de la distinction marxiste entre

    superstructure et infrastructure ; elle sinscrit au cur mme de la structure qui trouve

    dans ce corps de rgles une faon de retrouver lquilibre altr par la mutation des

    rgles civiles et, comme en tmoigne notamment en droit du travail, laffaissement de

    lordre public36.

    Dans cette perspective, certains textes comments donnent un versant pnaliste

    plusieurs aspects de la socit de consommation. En termes dapplication des peines,

    linterdiction dmettre des chques se prsente comme une peine complmentaire

    dapplication difficile37 ; si lusager devient un consommateur de service public et donc

    du systme ducatif, la facult de choix qui en rsulte pour lindividu se double dun

    contrle renforc pour viter les dangers sectaires ou labsentisme ; plus le phnomne

    consumriste tend le domaine contractuel, plus surgissent de nouvelles situations

    linstar de la rglementation de lactivit de mercenaires. Dautres caractrisent un

    mouvement dont jai essay de prendre la mesure davantage en sociologie : plus les

    revendications des individus sexpriment par le biais des droits de lhomme, plus se

    multiplient les textes en droit pnal pour renforcer leffectivit des droits de lhomme. Il

    en va ainsi de la protection des mineurs en matire de mendicit38

    ou de la traite des

    tres humains39. Le droit pnal, plus que les droits de lhomme, permet de prendre

    seul regret de l'auteur, c'est que le Conseil d'Etat n'ait pas profit de l'occasion pour raffirmer plus

    nettement que le principe de la libert de conscience demeurait intangible nonobstant les vicissitudes

    politiques, en rappelant que, lors de l'laboration de la lgislation touchant les juifs, ses auteurs avaient

    pris soin d'affirmer plusieurs reprises que cette lgislation avait une porte purement raciale (sic) et

    qu'elle ne devait aucunement tre interprte comme une atteinte la libert religieuse .

    36 On pourrait dailleurs faire un constat inverse en droit des socits : le regain de lordre public

    dans la jurisprudence de la Cour de cassation propos par exemple des conflits lis linterprtation des

    statuts de socit par actions simplifie ou des prrogatives de lassoci permet de limiter les effets de la

    dpnalisation de ce corps de rgles tout en confirmant aux parties quelles peuvent trouver une solution

    civile leurs problmes. Sil est courant de dnoncer la sauvagerie du droit des affaires, tout au moins

    peut-on se satisfaire en droit des socits dun quilibre plus satisfaisant entre droit pnal et droit civil

    quen droit du travail ou en droit des contrats. Lquilibre est nanmoins fragile partir du moment o la

    Cour de cassation valide le principe de clause dexclusion indpendamment de toute procdure de vote.

    37 J. Amar, Linterdiction dmettre des chques, Art. 131-19 et 131-20, Fasc. 20, Jurisclasseur

    Pnal 2005 ;

    38 J. Amar, La mise en danger de mineurs, Jurisclasseur Pnal, Art. 227-15 et 227-16, Fasc. 20,

    2005.

    39 J. Amar, La traite des tres humains, Jurisclasseur Pnal, Art. 225-4-1 225-4-9, Fasc. 20, 2006

  • 20

    lhumanit tel quel et de ne sombrer ni dans la dnonciation du droits de

    lhommisme - pourquoi une telle critique alors quau contraire la lgislation pnale

    na jamais t si florissante ? ni dans la batitude face la rfrence juridico-politico-

    morale des droits de lhomme pourquoi se rfugier derrire lapanage des droits de

    lhomme si cela a pour rsultat un renforcement des prrogatives pnales de lEtat ?

    Autrement dit, la matrise technique, si elle peut servir masquer les horreurs que

    peuvent contenir certains textes, est aussi un rempart aux ides gnrales, qui ne sont

    ni vraies ni fausses, mais creuses40

    .

    Le lgislateur ne cesse de rdiger des infractions comportant un nombre toujours

    plus grand dalinas, linstar par exemple de la rpression de la traite des tres

    humains. Ce style semble avoir pour origine le droit international, voire plus largement

    la tradition pnale anglo-saxonne. Il est lune des raisons qui ma conduit tudier le

    droit pnal international41. Jai pu constater quil devenait difficile, par del la

    rpartition formelle de distinguer entre linfraction et les circonstances aggravantes qui

    peuvent lui tre attaches. Plus encore, la multiplication des textes favorise les concours

    dinfractions en raison de la multiplicit des intrts aujourdhui protgs par la

    lgislation pnale au point que lon peut lgitimement se demander si linteraction des

    textes entre eux ne favoriserait pas labandon du principe de non-cumul des peines

    identiques. Les dbats sur la rcidive ou sur les peines planchers ne seraient ainsi que

    lexpression procdurale de la difficult dadmettre la fin des principes issus de la

    Rvolution franaise en la matire.

    Ltude des textes mentionns accentue en outre le paradoxe de la figure de lEtat

    notre poque. Dtenteur du monopole de la violence lgitime selon lexpression

    classique de M. Weber, le lgislateur ne cesse dtendre sa capacit rpressive. Dans le

    mme mouvement, ce monopole consacre des drogations au bnfice de socits de

    scurit prive. Il y a ici un dcentrement du pouvoir dont il est difficile de mesurer

    toutes les implications. Car si la scurit extrieure peut tre assure par des socits

    prives, pourquoi nen serait-il pas de mme de la scurit intrieure ? Et si des

    infractions sont commises dans ce genre de configuration, quelles conditions

    procdurales peut-on envisager une rpression qui garantirait le respect dimpartialit ?

    A la limite, linfraction commise devient la consquence de linexcution dun contrat

    et non la violation dun intrt protg. Les pistes ici traces constituent des axes de

    40 Expression utilise par lhistorien P. Veyne afin dinciter le chercheur ne pas se contenter

    dintgrer dans ses recherches des a priori idologiques.

    41 J. Amar, Crimes de guerre et crimes contre lhumanit dans le rapport Goldstone, Controverses,

    n13, mars 2010 (co-auteur).

  • 21

    recherche non plus sur la structure comme systme juridique mais comme rflexion sur

    la consistance mme de celui-ci.

    En somme, cest par le droit pnal que je me suis confront, depuis ma thse en

    droit de la consommation, aux diffrentes facettes du positivisme. Le droit fiscal permet

    de synthtiser toutes ces facettes travers le thme rcurrent de labus de droit.

    4) ESSAI DE SYNTHSE : LE DROIT FISCAL ET LA THORIE DE LABUS DE DROIT

    Jenseigne le droit fiscal depuis que jai t nomm matre de confrences en droit

    priv lInstitut Universitaire de Technologie de Mantes-la-Jolie. Compte tenu de ma

    formation, comme de mes centres dintrts, ce nest pas forcment la matire que

    jaurai naturellement choisi. Pourtant, il et t difficile de faire abstraction de cette

    discipline pour comprendre la texture des liens que lindividu entretient avec lEtat. En

    cela, faire du droit fiscal, cest viter de sombrer dans la contradiction releve par le

    professeur R. Hertzog dans sa thse sur la gratuit du service public42

    propos de ce qui

    est dnomm en droit public lcole du service public : un auteur comme G. Jze

    dveloppait une thorie du service public fonde sur linterventionnisme tatique sans

    se soucier des implications sur les finances publiques quil enseignait par ailleurs.

    A notre poque, la scission entre droit public et droit priv se ddouble avec la

    sparation plus marque entre droit fiscal et finances publiques. Sincarnent

    schmatiquement deux formes de positivisme distinctes : les privatistes oscillent entre le

    technicisme et le cynisme, les publicistes privilgient le systmatisme ; les premiers

    sopposent lide dune autonomie du droit fiscal ; les seconds conservent en filigrane

    lide dune spcificit irrductible de ce corps de rgles. La question de limpact

    financier dune dcision de justice apparat propos de quelques contentieux

    notamment sur le plan communautaire. On mesure alors que linterprtation retenue par

    les juges dpasse de loin la simple discussion technique. Le droit fiscal soumis des

    influences diverses comme le droit communautaire ou la Convention europenne des

    droits de lhomme nest plus seulement le vecteur de la politique conomique mise en

    uvre par un gouvernement ; il est le terrain daffrontements majeur entre lintrt

    particulier du contribuable celui du de lEtat. Cest pourquoi, trs rapidement,

    contrairement dailleurs mes premires impressions, le droit fiscal est devenu un

    lment essentiel de notre rflexion. Son tude est lorigine de lune des hypothses

    qui structure mes recherches : un corps de rgles ne se comprend qu travers lquilibre

    quil tablit entre les dispositions pnales et civiles quil contient, soit le contentieux de

    42 R. Herzog, Recherches sur la gratuit des services publics, th. Strasbourg, 1971.

  • 22

    labus de droit par opposition celui de la fraude fiscale alors mme que le mme

    comportement pourrait faire lobjet de deux procdures distinctes.

    Ma rflexion a port sur deux techniques cls du contrle fiscal : lacte anormal de

    gestion et surtout la thorie de labus de droit. Dans un cas comme dans lautre, je me

    suis tonn de la terminologie employe en la matire, pdagogiquement sympathique

    mais, mon sens problmatique, pour qualifier ces comportements. Doit-on vraiment

    parler dvasion fiscale et signifier par l-mme que lEtat est une prison et que le

    contribuable doit rechercher le paradis, soit la zone sans impt ? Au passage, cette

    expression est dautant plus dnue de sens que la dfinition large de la fraude fiscale

    aboutit des distinctions tnues en ce domaine. De mme, pourquoi qualifier dhabile le

    contribuable dont le comportement chappe la sanction de labus de droit ? Bref, si les

    mots ont un sens, il faut se rendre lvidence : ceux utiliss de faon rcurrente depuis

    maintenant une trentaine dannes vhiculent une conception perverse des relations

    entre administration et contribuable , ils anticipent ce que conceptualise lconomie du

    droit au risque de caricaturer les situations ; comme pour ceux qui voient les origines du

    droit consommation dans le Code Hammourabi43, ils ignorent quun comportement

    apparemment identique ne prend sa signification que dans le contexte juridico-politique

    dans lequel il sexprime.

    Peut-tre ne faut-il pas stonner que dans un tel champ linguistique, les positions

    respectives de lEtat et des contribuables se soient radicalises. Il devient alors superflu

    dessayer de dvelopper lide de responsabilit sociale des entreprises et de postuler

    que ladministration fiscale serait une partie prenante lactivit conomique. Mes

    articles ont essay dattnuer cette opposition partir dune approche globale du droit

    fiscal. Ainsi, en matire dacte anormal de gestion, ma rflexion a port sur les

    discussions concernant la dduction des amendes toujours le tropisme pnal - de

    quelle que nature que ce soit en droit fiscal44. Jai dmontr lintrt de fonder, par souci

    de cohrence, ce mode de contrle sur le principe dgalit devant les charges publiques

    et dapprcier la conformit de lacte en fonction de la lgitimit de la dduction de la

    dpense et non plus sur le seul critre de lintrt de lentreprise. Car, en toute logique,

    une entreprise a toujours intrt dduire un maximum de charges. La sanction de

    43 Cf Y. Picod, H. Davo, Droit de la consommation, A. Colin, 2005, n1, p. 1 : Le droit de la

    consommation puise sans doute certaines sources dinspiration dans lhistoire lointaine : Tables

    dHammourabi, Bible, droit romain ou police mdivale des foires et marchs Cest toutefois au cours

    de la seconde moiti du XXme sicle avec le dveloppement des formes et techniques de distribution, que

    le droit de la consommation sest impos en tant que tel . Bref, le droit comme superstructure !

    44 J. Amar, De la non-dductibilit des amendes prononces par le Conseil de la Concurrence :

    retour sur la thorie de lacte anormal de gestion, Les Petites Affiches, 2 novembre 2001.

  • 23

    lexcs favorise les discussions byzantines entre positivisme cynique et positivisme

    techniciste. A cet effet, le refus dadmettre la dduction des astreintes prononces la

    suite dune dcision de justice lencontre dune entreprise implique peut-tre

    dinflchir le critre dapprciation de la dductibilit des charges fond sur le seul

    intrt de lentreprise afin de mesurer limpact de la dcision en fonction des autres

    intrts en prsence45

    .

    En matire dabus de droit, jai essay de rompre avec la rhtorique de lhabilet

    fiscale propre aux surdous de la fiscalit car contraire au principe dgalit et

    susceptible dengendrer des contentieux rptition sur des critres peu stables. Cest

    pourquoi, dans un premier temps, jai suggr de justifier nombre doprations en

    fonction des incohrences du systme quil ne revenait pas au contribuable dassumer.

    Cela explique par exemple pourquoi le changement de forme sociale en vue de rduire

    les droits denregistrement lors dune cession de titres ne peut tre constitutif dun abus

    de droit. Bref, plutt que de glorifier des comportements douteux, jai propos de

    distinguer entre les oprations dont le gain fiscal pour le contribuable provient dune

    incohrence du systme des oprations ayant rellement pour objet dluder limpt46.

    Dans un second temps, jai particip47 au dbat doctrinal sur la qualification des

    oprations dapport-cession en soulignant que le contrle de ladministration trouverait

    sa cohrence dans la sanction de la fictivit des socits, quitte pour cela ce que le

    juge administratif assouplisse les critres retenus par la Cour de cassation en la

    matire48. Jai alors propos que les solutions sarticulent davantage sur le droit des

    socits que sur linterprtation des rgles fiscales, preuve sil en fallait que le postulat

    mthodologique dun positivisme systmatique nimplique pas forcment une adhsion

    45 CE, 3e et 8e ss-sect., 20 juin 2012, n 342714, St Sosaca, concl. E. Cortot-Boucher : JurisData n

    2012-014808 : En raison de sa finalit qui est de contraindre la personne qui s'y refuse excuter les

    obligations qui lui ont t assignes par une dcision de justice et ainsi respecter l'autorit de la chose

    juge, les dpenses relatives au paiement de l'astreinte ne sont pas au nombre des frais gnraux

    susceptibles d'tre dduits du rsultat imposable.

    46 J. Amar, Labus de droit en fiscalit, un premier aperu, Revue des socits 2002 p. 457 actes

    dun colloque en date du 16 mai 2002.

    47 J. Amar, Labus de droit ou la sanction des mauvais lves en droit des socits ?, Les Petites

    Affiches, aot 2009, p. 6 (co-auteur).

    48 Il ny aurait pas forcment incohrence entre les deux ordres de juridiction : il nest en effet pas

    certain que la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation sur la fictivit soit compatible avec le

    principe dune responsabilit sociale des entreprises, bref, dune responsabilit quil ne devrait pas tre

    possible dluder en jouant sur lautonomie des personnes morales alors que lapprciation des conditions

    de sa mise en uvre implique au contraire une apprciation globale du comportement de lentreprise

    entendue comme entit compose de plusieurs socits.

  • 24

    sans condition la thse de lautonomie du droit fiscal compte tenu du risque

    darbitraire quelle porte en elle.

    La dernire tape de ma rflexion porte sur la signification de ce contentieux et

    surtout de son explosion au cours des 10 dernires annes. Destin un public

    gnraliste et pluri-disciplinaire49, larticle part dune quantification du contentieux tant

    en matire dabus de droit que de fraude fiscale pour rendre compte des mutations des

    comportements en la matire, viter le ct simpliste dune opposition irrductible entre

    intrts du contribuable et intrt de ladministration. Pour cela, jai mis laccent sur la

    multiplication des normes applicables une situation. En effet, plus il y a de normes

    concernes, plus les hypothses dincohrence se multiplient. De plus, linvocation

    systmatique des droits de lhomme au fondement des prtentions confre une lgitimit

    indite aux revendications du contribuable. Il en rsulte un brouillage permanent

    susceptible daboutir une dstabilisation du systme juridique.

    Paralllement la rdaction de ces articles, jai consacr une partie de mon cours

    de Master II Recherche en droit du travail lintrt de mener une rflexion de fond sur

    les interactions existant entre droit du travail et droit fiscal. Ou pour sinspirer de

    lexpression image de louvrage classique de Droit des socits rdig par M. Cozian,

    A. Viandier et F. Deboissy, sil est commun dacheter un costume complet et de traiter

    conjointement droit des socits et droit fiscal, il devient peut-tre aujourdhui utile

    denvisager la dimension fiscale du droit du travail. Jai en 2003 dirig un mmoire de

    recherche intitul Intgration fiscale et droits des salaris50

    la suite de quoi,

    ltudiante stait inscrite en thse51 mais na pas achev son travail. En 2011, une autre

    tudiante qui a suivi le cours du Master a dpos un sujet de thse relatif aux

    interactions existant entre ces deux disciplines52

    . Les dveloppements lgislatifs rcents

    sur le crdit-impt comptitivit tendent confirmer cette intuition originelle.

    Dans un cas comme dans lautre, que ce soit au niveau de mes crits ou du cours

    que je dispense en troisime cycle, il mest chaque fois paru difficile de maintenir une

    49 J. Amar, La manipulation par interprtation, le cas de la fiscalit in sous la direction de L.

    Faggion, Manipulation : droit, justice, socit de l'Ancien Rgime nos jours, ed CNRS, 2013.

    50 A. Desbois, Intgration fiscale et droits des salaris, Mmoire DEA 122, Universit Paris-

    Dauphine, 2003.

    51 Sujet dpos en 2004 par A. Desbois, La personne morale et l'autonomie patrimoniale en droit

    fiscal.

    52 Sujet dpos par G. Motoulou en 2011, L'incidence du droit fiscal sur la politique sociale de

    l'entreprise sous la direction de J.-P. Gastaud.

  • 25

    simple analyse contentieuse bilatrale ayant pour seul fondement un conflit

    dinterprtations sur les rgles en prsence. Ce conflit sinscrit notre poque dans une

    recomposition complte des prrogatives de lEtat : en matire de lutte contre la fraude

    au sens gnral, partir dun croisement nouveau des prrogatives fiscales et pnales

    susceptible de modifier les droits des contribuables ; en matire de politique sociale,

    partir dun changement de la conception mme de limpt o par le mcanisme du

    crdit dimpt, la cration de richesse a vocation conduire un remboursement dune

    partie des sommes dpenses par lentreprise. Bref, la systmaticit revient ne pas

    disjoindre les solutions individuelles de leur impact social, ce qui favorise une meilleure

    perception de la dtermination des comportements individuels par le cadre dans lequel

    ils agissent.

    En cela, avec la fiscalit pour arrire fond et le droit pnal comme fil conducteur,

    jai en permanence oscill entre une conception de la structure, version peut-tre plus

    sophistique du systme juridique et une approche structuraliste au sein de laquelle la

    solution rendue pose en permanence la question de lquilibre ou du renouvellement du

    systme.

    Les textes prsents mont dj permis dvoquer plusieurs ramifications des

    interactions quils engendrent linstar du caractre dcal du principe de non-cumul

    des peines identiques dans un ensemble de rgles pnales dont les intrts protgs se

    chevauchent en permanence. Surtout, sest petit petit dessine une logique de

    dveloppement du droit pnal distincte des explications habituellement avances

    fondes entre autres sur le climat scuritaire. Le droit pnal se dveloppe car il devient

    le palliatif dvolutions des rgles dont leffectivit est insuffisante pour assurer les

    droits des individus.

    En cela, choisir de mettre laccent sur les relations entre les rgles plus que sur les

    mots employs renvoie une autre face : lapprhension du systme juridique dans une

    optique structurale.

    II LE SYSTME JURIDIQUE DANS UNE OPTIQUE STRUCTURALE : LE DROIT

    PNAL, COMME DROIT DE RSOLUTIONS DES CONFLITS QUOTIDIENS

    Le structuralisme renvoie un courant de pense propre aux sciences sociales et

    non, de prime abord, au droit. Dans une version simplifie, le structuralisme consiste

    privilgier ltude des dterminants sociaux pour expliquer les situations sociales avec

    comme point dancrage, le langage considr comme la structure fondamentale : le sens

    du mot nest plus envisag au regard de lobjet concern mais des relations quil

    entretient avec dautres mots de la langue ; ltude de ces relations prime sur les

    lments eux-mmes. Par exemple, le psychanalyste J. Lacan tablit une relation entre

    Kant et Sade pour rendre compte du lien entre libert, morale et perversit lpoque

  • 26

    moderne. Toutes choses tant gales par ailleurs, la concomitance des revendications

    sur le mariage pour tous avec les discours sur la responsabilit sociale des entreprises

    est peut-tre symptomatique dune nouvelle conception du patrimoine en droit franais.

    Cest le paradoxe : les auteurs les plus clbres considrs comme structuralistes ny

    parlent que de lois et de rgles mais les juristes ne seraient pas concerns alors que les

    mots et le sens qui leur est attribu conditionnent la mthode structurale.

    Il y a ici un oubli ou une ignorance majeure du corpus juridique au fondement

    mme du structuralisme que jai essay de rectifier dans ma thse en sociologie. Plus

    largement, une partie de me recherches a t publie dans des revues gnralistes. Il y a

    ici une inflexion dans la prsentation des thmes abords afin de maintenir un propos

    forte teneur juridique sans pour autant dissuader un lecteur profane par un positivisme

    techniciste. Pour reprendre la distinction entre langue et langage issue de la linguistique,

    le droit participe du langage commun ; il nen repose pas moins sur une langue

    particulire. Do la tentative mene tant en cours, particulirement face des non-

    juristes, que dans mes travaux dessayer de rintgrer cette langue dans le langage pour

    faciliter sa comprhension. Jai alors davantage mis laccent sur les relations que les

    rgles entretiennent les unes avec les autres que sur les qualifications quelles

    contiennent. Cette analyse des relations ma amen considrer que les mutations de

    rgles importantes portent en elle un risque de basculement vers la violence en raison

    dune double interaction, celle rsultant de lattnuation de lordre public (1), celle

    rsultant de lexpression des revendications des individus par le biais des droits de

    lhomme (2). Compte tenu de cette volution, le droit pnal sert rsoudre les conflits

    quotidiens et non plus rgir les situations pathologiques.

    PRLIMINAIRE : POUR UN STRUCTURALISME DOMINANTE JURIDIQUE

    Linflexion dans la perception et lanalyse des rgles a abouti privilgier une

    perspective plus sociologique que juridique au point de mamener rdiger une thse de

    doctorat en sociologie. Ma thse en sociologie aujourdhui publie53 a en effet essay de

    montrer en quoi le structuralisme procde du champ juridique afin dexpliquer le

    caractre structurant des rgles sur le comportement de lindividu. Pour citer les propos

    du philosophe A. Kojve, il est impossible dtudier la ralit humaine sans se

    heurter tt ou tard au phnomne du droit 54

    On comprend mieux pourquoi ltirement

    53 J. Amar, Les identits religieuses contemporaines dans le miroir des droits de lhomme,

    contribution une sociologie des droits de lhomme, Presses Acadmiques Francophones, 2013.

    54 A. Kojve, Esquisse dune phnomnologie du droit, Tel Gallimard, 2005, p. 10. Et lauteur de

    poursuivre, Notamment si lon considre laspect politique de cette ralit , ce qui rejoint lanalyse

    propose par M. Weber. A. Kojve est cependant le grand absent des ouvrages de sociologie du droit.

  • 27

    de notions cls la suite des bouleversements juridiques contemporains aboutit non

    seulement les vider de leur substance mais questionner les possibilits mmes du

    vivre ensemble.

    Au pralable, prcisons ici lapport de notre dmarche compare celle mene par

    dautres auteurs qui se revendiquent du structuralisme : jai dmontr que, loin dtre un

    courant propre aux sciences sociales auquel les juristes pourraient se rfrer, cette

    mthode a pour fondement le caractre essentiel dune rgle de droit dans une socit.

    Cest dailleurs la raison pour laquelle un juriste rencontre moins de difficults lire M.

    Foucault quun philosophe. Lanthropologue C. Levi-Strauss considr unanimement

    comme le pre fondateur de lanthropologie structurale, est en effet, lorigine un

    disciple de C. Bougl, sociologue pour qui ltude dune socit nest pas dissociable de

    son corps de rgles55

    . Dire quil existe des rgles universelles comme la prohibition de

    linceste, cest dire quavant toute chose, la rgle prime sur lindividu.

    Comparativement, un auteur a expressment fait rfrence cette mthode pour

    tudier le Code civil56. Ltude propose reste cependant imprgne du schma

    marxiste, lauteur confondant la mthode structurale avec la mise jour dune idologie

    dominante57. A linverse du marxisme, la mthode structurale accentue la dtermination

    du comportement de lindividu par la rgle ; lindividu ne peut esprer sen librer par

    une quelconque rvolution. Il sagit donc de sen tenir au maximum aux rgles, tant

    entendu que le terme rgle couvre gnriquement les rgles de droit. Reconnatre

    quelles sont indpendantes de la nature des partenaires (individus ou groupes) dont

    elles commandent le jeu , cest poser comme principe quun changement ne peut tre

    dtach du systme dans lequel il sinsre58.

    55 C. Bougl, Bilan de la sociologie franaise contemporaine, 1935, p. 66. Ed. disponible sur le site

    de lUniversit du Quebec, uqac. la rflexion sur le systme des lois demeure l'initiatrice ncessaire :

    par lui sont prcises et sanctionnes les obligations essentielles, celles qui fournissent des garanties aux

    prtentions reconnues lgitimes, celles qui permettent la vie sociale de durer dans la paix, celles qui

    constituent comme l'armature d'une socit () le fait juridique est l'aspect rglement de toutes les

    choses sociales, que l'esprit des lois est le rapport que les lois soutiennent avec la mentalit collective

    tout entire, et qu'en un sens, la sociologie juridique est toute la sociologie .

    56 A.-J. Arnaud, Essai danalyse structurale du Code civil, LGDJ, 1974, prf. M. Villey.

    57 Pour citer encore une fois P. Veyne, Le pain et le cirque, sociologie historique dun pluralisme

    politique, Seuil 1995, p. 615. Lidologie rpond, chez les uns, au besoin incoercible de justifier et, chez

    lautre, celui de se justifier .

    58 C. Levi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, Agora, 1974, pp. 328-378.

  • 28

    Pour retranscrire cela dans une terminologie juridique, la qualification ne dpend

    pas de la situation en litige mais de sa relation avec les autres termes prsents dans le

    corps de rgles. Il devient possible dapprcier plus largement la cohrence densemble

    et de tracer des interactions indites. La comprhension de ces relations fait basculer la

    langue juridique vers le langage commun et tend viter que la rgle ne soit rduite

    lexpression dun paramtre extrinsque comme lconomie, les murs ou la scurit.

    Prcisons galement que cette dimension sociologique du droit nest pas rductible

    ce que dsigne traditionnellement lexpression sociologie juridique. Son principal

    reprsentant a en effet assign comme tche cette discipline de justifier de son

    utilit59

    . Elle repose sur une conception utilitariste des rgles au sein de laquelle la

    rgle est apprhende dans sa seule dimension technique et non normative. Cest une

    version littraire de lconomie du droit dans laquelle les enqutes font office des

    calculs qui vont faciliter le processus dadaptation du droit au fait. Il nest ainsi pas tenu

    compte de la dynamique des normes elles-mmes. Certes, pourrions-nous dire, les

    murs voluent. Mais si elles ne disposent pas dun cadre juridico-politique adquat

    pour engendrer un changement lgislatif, cette volution se fera difficilement sentir.

    Plus encore, peut-tre mme que si ce cadre navait pas exist, lvolution naurait pas

    forcment abouti. Pour prendre un exemple rcent, la revendication du mariage pour

    tous ne prend sens que parce que les principes de non-discrimination et dgalit,

    principes de porte juridique sont entrs dans les murs. A rduire linfluence des

    rgles sur les comportements, le juriste qui se pique de sociologie peut viter de

    sombrer dans le positivisme cynique inhrent des adeptes de lconomie du droit ; il

    rside alors dans sa tour divoire pour dispenser un positivisme ironiste, vritable

    dcalage entre le discours et la ralit pour mieux lgitimer sa posture et se lamenter des

    dangers de ladaptation du droit au fait60.

    Ma dmarche se veut autre. A partir du moment o le public auquel est destin le

    travail change, elle part du droit pour dessiner les caractristiques dune socit de faon

    maintenir la spcificit du champ juridique tout en essayant de conserver un quilibre

    avec le contexte social dans lequel il se dploie. Pour cela, elle re-contextualise sans

    pour autant faire uvre relativiste l o la logique juridique a-temporalise en

    59 J. Carbonnier, Sociologie juridique, Puf, 1996, p. 227.

    60 Le juriste comme le sociologue aime les typologies, si ce nest que le premier classe gnralement

    des actes et le second les individus en fonction de leur comportement. Peut-tre pourrions nous laborer

    partir de la distinction entre rglementation et rgulation deux figures type de positivistes : lironiste et le

    cynique. La rgulation correspond une attnuation de la force normative de la rgle dont lune des

    origines se situe dans la difficult pour les juristes de soutenir lautonomie du champ juridique par rapport

    lconomie. Lexpression droit conomique prsente ici davantage de contresens que de sens.

  • 29

    considrant les comportements et lemploi de termes identiques en droit comme

    lexpression dune nature humaine irrductible. Un peu comme si, finalement, lanalyse

    positiviste ne pouvait se dpartir, par del ses prtentions scientifiques et son opposition

    au droit naturel, dune conception pessimiste de la nature humaine et de lorganisation

    politique dont on trouve en doctrine lexpression la plus frappante dans la critique,

    parfois dune rare violence, du travail parlementaire et du travail dmocratique sous

    prtexte quil dnaturerait lordre juridique.

    Or, la rmanence dun mot nimplique nullement une permanence du sens. Les

    contrats ont beau tre supposs tre excuts de bonne foi depuis plus de 200 ans, il

    serait difficile de soutenir que notre conception du contrat comme celle de la bonne foi

    reste semblable celles du dbut du XIXme sicle. A lidentique, pour un thme

    longuement trait dans ma thse en sociologie, les droits de lhomme. Nous sommes

    passs dune conception politique une conception juridique, soit un bouleversement

    complet de la conception originelle ; nous sommes passs dun texte qui tablit un lien

    entre nationalit et citoyennet un texte qui en proclame luniversalit. Envisager un

    structuralisme dominante juridique cherche prendre en compte ces changements

    partir de linteraction mme des paramtres qui composent la structure.

    Toute la difficult consiste identifier ces paramtres afin dexpliquer lautonomie

    de la structure, sa capacit sauto-engendrer ou sauto-rgler par elle-mme. Ds ma

    thse en droit de la consommation, jai tent de mettre jour ces invariants. A lpoque,

    je ne disposais pas de tous les outils conceptuels pour prsenter un schma complet ; je

    mtais content de distinguer les enjeux en droit de la consommation lis la matrise

    du temps les dlais de rflexion - et ceux lis la matrise du pouvoir la

    rglementation ponyme des clauses abusives, enjeux que javais dclins pour rendre

    compte du contentieux relatif lapplication de la Convention europenne des droits de

    lhomme : le procs quitable est le versant procdural de la question du pouvoir, le

    dlai raisonnable de celle du temps.

    A prsent, je considre quun systme juridique repose sur la manire dont il

    articule le temps, le pouvoir et largent. Schmatiquement car la mthode structurale se

    veut une tentative de simplifier la complexit apparente rsultant du constat de la

    multiplicit des rgles, le droit commun est marqu par le principe dgalit des

    contractants et le nominalisme montaire. Lgalit ignore la problmatique du

    pouvoir tandis que le nominalisme fait abstraction des effets du temps sur les contrats

    passs. Les dbats doctrinaux sur limprvision comme sur lindtermination du prix

    traduisent ces limites du droit commun. La demande dun droit spcial nat quand se

    cre une situation de pouvoir ou de dure rendant pour le moins difficile le recours

    permanent au droit commun. Quant la question traditionnelle des contours de lordre

    public, elle peut tre reformule dans une logique socio-juridique de la manire

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    suivante : partir de quel moment, une socit peut-elle admettre que celui qui a

    largent dispose du pouvoir, dbat rcurrent concernant par exemple le principe de

    ladoption des mres de substitution ou des ventes dorganes.

    A cette distinction classique, je rajouterai aujourdhui les droits autonomes qui se

    caractrisent par la prise en compte dans linterprtation des rgles lors dun conflit

    entre