Le droit au respect de la vie privée et familiale

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Le droit au respect de la vie privée et familiale Un guide sur la mise en œuvre de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme Ursula Kilkelly Précis sur les droits de l’homme, nº 1

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Le droit au respectde la vie privée etfamiliale

Un guidesur la mise en œuvre

de l’article 8de la Convention européenne

des Droits de l’Homme

Ursula Kilkelly

Précis sur les droits de l’homme, nº 1

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irectorate General of H

uman Rights

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Précis sur les droits de l’homme, n° 1

Le droit au respectde la vie privée etfamiliale

Un guidesur la mise en œuvre

de l’article 8de la Convention européenne

des Droits de l’Homme

Ursula Kilkelly

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Photo de couverture:www.gdis.org/Fondacci

Direction générale des droits de l’hommeConseil de l’Europe

F-67075 Strasbourg Cedex

© Conseil de l’Europe, 2003Première impression, mars 2003

Imprimé en Allemagne

Les opinions qui sont exprimées dans cet ouvrage ne donnent, des instruments juridiques qu’il mentionne,aucune interprétation officielle pouvant lier les gouvernements des Etats membres, les organes statutaires duConseil de l’Europe ou tout organe institué en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Handbook No. 1: The right to respect for pri-vate and family life. A guide to the im-plementation of Article 8 of the EuropeanConvention on Human Rights (2001)

Handbook No. 2: Freedom of expression.A guide to the implementation of Arti-cle 10 of the European Convention onHuman Rights (2001)

Handbook No. 3: The right to a fair trial.A guide to the implementation of Arti-cle 6 of the European Convention on Hu-man Rights (2001)

Handbook No. 4: The right to property.A guide to the implementation of Article 1of Protocol No. 1 to the European Con-vention on Human Rights (2001)

Handbook No. 5: The right to liberty and secu-rity of the person. A guide to the imple-mentation of Article 5 of the EuropeanConvention on Human Rights (2002)

Handbook No. 6: The prohibition of torture.A guide to the implementation of Article 3of the European Convention on HumanRights (forthcoming)

Précis no 1: Le droit au respect de la vie privée

et familiale. Un guide sur la mise enœuvre de l’article 8 de la Convention euro-péenne des Droits de l’Homme (2003)

Précis no 2: La liberté d’expression. Un guide

sur la mise en œuvre de l’article 10 de laConvention européenne des Droits del’Homme (2003)

Précis no 3: Le droit à un procès équitable.

Un guide sur la mise en œuvre de l’ar-ticle 6 de la Convention européenne desDroits de l’Homme (2003)

Précis no 4: Le droit à la propriété. Un guide

sur la mise en œuvre de l’article 1 du Pro-tocole n

o 1 à la Convention européenne

des Droits de l’Homme (2003)Précis n

o 5: Le droit à la liberté et la sûreté de

la personne. Un guide sur la mise enœuvre de l’article 5 de la Convention euro-péenne des Droits de l’Homme (2003)

Précis no 6: La prohibition de la torture.

Un guide sur la mise en œuvre de l’ar-ticle 3 de la Convention européenne desDroits de l’Homme (à paraître)

Titres déjà parus dans la série des « Précis sur les droits de l’homme »

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Table des matières

Partie I : Introduction à l’article 8et à son critère d’application . . . . . . . . . . 5

Article 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Marge d’appréciation . . . . . . . . . . . . . . . . 5Article 8 – critères appliqués . . . . . . . . . . 7Phase I de l’examen de l’applicabilitéde l’article 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1.1 La plainte tombe-t-elle dans le champde l’un des droits protégés par l’article 8 (1) ? . . 9

A qui appartient-il d’identifier l’intérêt pertinentau titre de l’article 8 (1) ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9Quelle est l’approche de la Cour en matièred’applicabilité de l’article 8 (1) ? . . . . . . . . . . . . . . 91.1.1 Vie privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101.1.2 Vie familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151.1.3 Domicile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191.1.4 Correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

1.2 L’Etat assume-t-il une obligation positiveconcernant le respect des droits garantis parl’article 8 et s’en est-il acquitté ? . . . . . . . . . . . 21

Phase II de l’examen de l’applicabilité del’article 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

2.1 A-t-on constaté une ingérence dans le droitprotégé par l’article 8 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

2.2 En cas de constatation d’une ingérence . . . 252.2.1 L’ingérence est-elle prévue par la loi ? . . . . 252.2.2 L’ingérence poursuit-elle un but légitime ? . 302.2.3 L’ingérence est-elle nécessaire dans unesociété démocratique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

Partie II : Le droit positif . . . . . . . . . . . . 35

Vie privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Types des informations pouvant être collectéeset stockées par la police . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Dossiers relatifs à d’anciennes affaires pénales . . 36Informations relatives à des activités terroristes . . 36Collecte d’informations à caractère personnelen vue de protéger la sécurité nationale . . . . . . . 37Garanties procédurales requises . . . . . . . . . . . . . 38Accès aux données à caractère personneldétenues par l’Etat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39Divulgation de données à caractère personnelà des tiers ou au public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40Divulgation dans le cadre de l’enquêteet de l’instruction d’une affaire pénale . . . . . . . . 40

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Divulgation par la police à la presse . . . . . . . . . . 41Divulgation de données médicales et violationde leur caractère confidentiel . . . . . . . . . . . . . . . 41

Noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42Changement de prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Enregistrement des prénoms . . . . . . . . . . . . . . . . 43

Intégrité physique et morale . . . . . . . . . . 44Vie privée et correspondance . . . . . . . . . 47

Garanties requises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

Vie familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51La durée de la procédure familialeimporte-t-elle sous l’angle de l’article 8 ? . . . . . . . 59L’adoption d’un enfant sans le consentementde ses parents viole-t-elle l’article 8 ? . . . . . . . . . 59Le fait d’organiser l’adoption d’un enfantà l’insu d’un des parents viole-t-il l’article 8 ? . . . 60Quand une expulsion viole-t-elle l’article 8 ? . . . 62Protection contre les dommages délibérés . . . . . 63Protection contre les nuisances . . . . . . . . . . . . . . 64Protection contre lesnuisances environnementales . . . . . . . . . . . . . . . 64Réglementation du droit de propriété . . . . . . . . . 65L’article 8 inclut-il le droit pour quiconquede vivre dans son domicile ? . . . . . . . . . . . . . . . . 66Perquisition et saisie de biens . . . . . . . . . . . . . . . 67Une autorisation judiciaire préalable est-elleessentielle au titre de l’article 8 ? . . . . . . . . . . . . . 69Un mandat judiciaire suffit-il au titrede l’article 8 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70Fouilles et saisies opérées dans le cadred’enquêtes antiterroristes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70Fouilles et saisies dans le cadre d’enquêtespour fraude fiscale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

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Partie I : Introductionà l’article 8 et à son critèred’application

Article 8

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et fa-miliale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publiquedans l’exercice de ce droit que pour autant que cette in-gérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une me-sure qui, dans une société démocratique, est nécessaireà la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à laprévention des infractions pénales, à la protection de lasanté ou de la morale, ou à la protection des droits etlibertés d’autrui.

Introduction

Il ressort d’emblée que l’article 8 comprend deuxparties correspondant chacune à un paragraphe. Lapremière énumère précisément les droits que l’Etatdoit garantir à toute personne : respect de sa vie pri-vée et familiale, de son domicile et de sa correspon-dance. La seconde limite la portée de ces droits enpermettant l’ingérence, dans certaines circonstances,des autorités publiques dans leur exercice. L’ar-ticle 8 (2) précise d’ailleurs lesdites circonstances :seules les ingérences prévues par la loi et nécessaires,dans une société démocratique, à la poursuite d’unou plusieurs des buts légitimes énumérés, sont consi-dérées comme des dérogations acceptables à la pro-tection garantie par l’article 8 (1).

Marge d’appréciation

Pour déterminer si les mesures qu’il prend sontcompatibles avec l’article 8 l’Etat dispose d’une cer-taine marge d’appréciation, en vertu d’un principeétabli pour la première fois en l’affaire Handyside

1 à

propos de l’article 10 mais valable également pourl’article 8 :

Grâce à leurs contacts directs et constants avec les forcesvives de leur pays, les autorités de l’Etat se trouvent en

1 Handyside c/ Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre1976, paragraphes 48 et49.

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2 Rasmussen c/ Danemark,arrêt du 28 novembre1984, paragraphe 40.

3 Voir la section 1.2 consa-crée aux obligations posi-tives.

principe mieux placées que le juge international pour seprononcer sur le contenu précis de ces exigences commesur la « nécessité » d’une « restriction » ou « sanction »destinée à y répondre [...] Il n’en appartient pas moinsaux autorités nationales de juger, au premier chef, de laréalité du besoin social impérieux qu’implique en l’oc-currence le concept de « nécessité ».Par conséquent, l’article 10 (2) laisse aux Etatscontractants une marge d’appréciation dont peuventuser aussi bien le législateur national que les organes,notamment judiciaires, appelés à interpréter et à appli-quer les lois en vigueur.Toutefois, les Juges de Strasbourg ont tenu à

déclarer ne pas vouloir pour autant attribuer auxEtats contractants un pouvoir d’appréciation il-limité et à réitérer qu’ils étaient responsables durespect par chaque Etat des obligations nées de sonadhésion à la Convention. Concernant l’article 8, ladécision définitive concernant le caractère, justifiéou pas des ingérences à l’aune du paragraphe 2, re-vient à la Cour : par conséquent la marge d’appré-ciation nationale se double d’un contrôleeuropéen. La Cour est donc amenée à exercer cecontrôle dans deux séries de circonstances :1. lorsqu’elle doit déterminer si une ingérence

dans l’exercice d’un droit garanti par l’ar-ticle 8 est justifiable pour l’un des motifsd’intérêt public énumérés au paragraphe 2 ;

2. lorsqu’elle doit déterminer si un Etat a déployésuffisamment d’efforts pour s’acquitter des

obligations positives que cette dispositionmet à sa charge.La marge d’appréciation accordée aux autori-

tés nationales compétentes varie selon les cir-constances, les domaines et le contexte. Lesfacteurs pertinents dans la détermination de sonétendue incluent :➤ La présence ou l’absence d’un dénominateur

commun aux systèmes juridiques des Etatscontractants

2: la constatation d’une pratique

identique évidente réduit la marge d’apprécia-tion et rend toute déviation difficile à justifier.En revanche, lorsqu’elle ne discerne aucuneapproche commune largement répandue, laCour accorde un vaste pouvoir discrétionnaireaux Etats défendeurs

3.

➤ L’étendue de la marge variant selon lecontexte, les Juges de Strasbourg se montrent,par exemple, particulièrement compréhen-sifs dans les domaines touchant à la pro-tection des enfants. Sur ce point, la Courreconnaît la diversité des approches et desformes d’intervention des pouvoirs publicsdans la vie familiale au sein des Etats contrac-tants et en tient compte dans l’examen des af-faires de ce type en accordant une certainemarge d’appréciation aux pouvoirs publics. Enoutre, la Cour reconnaît qu’en raison de leurcontact direct et constant avec les réalitéspressantes du moment, les autorités na-

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4 Olsson (n° 2) c/ Suède,arrêt du 30 octobre 1992.

5 Dudgeon c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre1981.

6 Norris c/ Irlande, arrêt du26 octobre 1988.

tionales se trouvent en principe mieux pla-cées que le juge international pour évaluerles circonstances de chaque instance et lameilleure conduite à tenir. Dans les affairesde garde des enfants, par exemple, les autori-tés nationales sont en contact direct avec lespersonnes concernées dès le moment où desmesures de protection sont envisagées oujuste après leur mise en œuvre

4. L’Etat jouit

donc d’une certaine compétence discrétion-naire concernant la manière dont il entend res-pecter la vie privée et familiale au titre del’article 8 : une latitude qui se reflète dans lamanière dont les Juges de Strasbourg évaluentla proportionnalité entre l’ingérence et le butpoursuivi.

➤ La diversité considérable des coutumes, poli-tiques et pratiques d’un Etat contractant àl’autre est parfois invoquée pour justifier unemarge d’appréciation.

➤ La Cour a relevé dans son arrêt Handyside qu’iln’était pas possible de dégager une notioneuropéenne uniforme de la « morale » deslégislations internes respectives des diversEtats parties à la Convention, avant d’ajouter :L’idée que [les] lois respectives [des divers Etats contrac-tants] se font des exigences de cette dernière varie dansle temps et l’espace, spécialement à notre époque carac-térisée par une évolution rapide et profonde des opi-nions en la matière.

Cependant dans les affaires Dudgeon5 et Norris

6,

les Juges de Strasbourg estimèrent que la marged’appréciation n’était pas suffisamment large pourpermettre au Royaume-Uni et à l’Irlande, respective-ment, de prohiber certaines pratiques homo-sexuelles à l’aide d’une législation pénale. Dans ledomaine de la protection de la morale, la Cour re-fuse de conférer systématiquement aux Etats unemarge étendue.

Article 8 – critèresappliqués

L’évaluation d’une plainte déposée par un indivi-du au titre de l’article 8 de la Convention implique né-cessairement l’utilisation successive de deux critères.Le premier vise l’applicabilité de cette disposition : end’autres termes, le droit prétendument violé au diredu requérant est-il vraiment garanti par l’article 8 (1)de la Convention ? Il s’avère souvent nécessaire, pourrépondre à cette question, d’étudier la significationde certaines notions – telles que la vie privée ou ledomicile – dans le cadre de cette disposition. Si lejuge national estime, sur la base de la jurisprudencede Strasbourg, que le droit invoqué par une personne(par exemple le droit à un logement gratuit) n’est pascouvert par les garanties énoncées à l’article 8 (1),

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l’article 8 est inapplicable et la plainte irrecevable.Si, par contre, l’article 8 est jugé applicable en

l’espèce, la Cour est en mesure de passer à la se-conde phase de l’évaluation. Le cas le plus courantconcerne un requérant dénonçant une action éta-tique portant prétendument atteinte à l’un ou plu-sieurs de ses droits au titre de l’article 8. Dans cescirconstances, les Juges de Strasbourg vérifient si l’in-gérence dénoncée peut se justifier par l’un des motifsénumérés dans l’article 8 (2). Il arrive aussi, quoiqueplus rarement, que le requérant se plaigne de l’inac-tion de l’Etat, coupable à ses yeux de ne pas avoir prisles mesures nécessaires au « respect » de ses droitstels qu’ils sont protégés par l’article 8. Dans ce cas, laCour doit se demander si, dans les circonstances dela cause, une telle obligation positive incombait effec-tivement à l’Etat. Les paragraphes suivants examinentplus en détail ces deux approches de la secondephase de l’analyse de l’article 8.

Phase I – Article 8 (1) :

1.1 La plainte tombe-t-elle dans le champ de l’undes droits protégés par l’article 8 (1) ?

1.2 Le cas échéant, une obligation positive pèse-t-elle sur l’Etat en vue de faire respecter le droitinvoqué et, dans l’affirmative, celui-ci s’en est-ilacquitté ?

Phase II – Article 8 (2) :

2.1 A-t-on constaté une ingérence dans l’exercicedu droit protégé par l’article 8 ?

2.2 Le cas échéant, ladite ingérence :2.2.1 est-elle prévue par la loi ?2.2.2 poursuit-elle un but légitime ?2.2.3 est-elle nécessaire dans une so-

ciété démocratique ?La Cour a recours à ces critères chaque fois

qu’elle applique l’article 8. Certes, dans de nom-breuses instances il s’avère superflu de discuterchaque point en détail : il n’empêche que lesJuges appliquent successivement chacun des cri-tères avant de formuler leur conclusion. Les deuxchapitres suivants du présent dossier couvrentles questions soulevées au cours des deux phasesde cet examen. Quant au chapitre final, il portesur des questions de fond liées à la conformité àl’article 8.

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7 Gaskin c/ Royaume-Uni,arrêt du 7 juillet 1989,série A n° 160.

8 Klass c/ Allemagne, arrêtdu 22 septembre 1993,série A n° 269, para-graphe 41.

Phase I de l’examen del’applicabilité de l’article 8

1.1 La plainte tombe-t-elle dans lechamp de l’un des droitsprotégés par l’article 8 (1) ?

Pour mériter la garantie de l’article 8, la plaintedoit tomber dans le champ d’application de cettedisposition, à savoir concerner l’un ou plusieurs desintérêts personnels protégés par son paragraphe 1 :vie privée et familiale, domicile ou correspondance.

A qui appartient-il d’identifier l’intérêtpertinent au titre de l’article 8 (1) ?

C’est le requérant qui doit établir l’intérêtqu’il cherche à protéger et à le présenter à laCour comme relevant de l’article 8 (1). Parexemple, dans l’affaire Gaskin c/ Royaume-Uni, le re-quérant parvint à convaincre une majorité des Jugesde Strasbourg que son intérêt à obtenir des infor-mations (aux mains des services sociaux d’une mu-nicipalité et concernant ses années d’enfant placéchez des parents nourriciers) relevait de sa vie pri-vée et familiale et non d’un simple droit générald’accès à des données personnelles : un domaine

se situant en dehors du champ d’application de l’ar-ticle 8

7. En outre, lorsqu’une personne invoque dans

sa requête plus d’un droit protégé par l’article 8 etqu’ils sont tous applicables, les Juges de Strasbourgomettent parfois de préciser le droit spécifique im-pliqué. Par exemple, dans Klass c/ Allemagne

8, ils ont

estimé qu’une plainte visant l’interception de com-munications (courrier et téléphone) constituait uneingérence dans la vie privée, la vie familiale et la cor-respondance.

Quelle est l’approche de la Cour en matièred’applicabilité de l’article 8 (1) ?

La signification des quatre concepts protégéspar l’article 8 (1) n’est pas parfaitement explicite etla Cour a évité de définir des règles précises concer-nant leur interprétation. En particulier, son approcheconsiste à évaluer l’applicabilité de l’article 8 – etdonc si une requête individuelle tombe dans lechamp d’un des droits protégés – au cas par cas,tout en conférant aux concepts une significationautonome au niveau de la Convention. Si cette ap-proche souple permet à la Cour de tenir compte del’évolution sociale, juridique et technologique desdivers pays membres du Conseil de l’Europe, ellecomplique aussi la catégorisation de la vie privée etfamiliale, du domicile ou de la correspondance. Lessections suivantes du présent dossier exposent cer-taines orientations générales sur le contenu de ces

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9 Costello-Robertsc/ Royaume-Uni, arrêt du25 mars 1993, para-graphe 36.

10 Niemietz c/ Allemagne,arrêt du 16 décembre1992.

11 Requête n° 8257/78, 10juillet 1978, 13 DR 248.

12 Requête n° 15817/89,1 octobre 1990, 66 DR251.

13 Requête n° 15666/89,Kerkhoven c/ Pays-Bas,19 mai 1992, décisionnon publiée.

14 Requête n° 6825/75,4 mars 1976, 5 DR 86.

quatre intérêts. Il ne faut cependant pas perdre devue le caractère dynamique des concepts : leur si-gnification peut évoluer et ils embrassent potentiel-lement toute une série de sujets dont certains secomplètent et d’autres se recoupent.

1.1.1 Vie privée

Signification du concept de vieprivée

Pour les Juges de Strasbourg, la vie privée estun concept étendu qui ne se prête pas à une défi-nition exhaustive

9. Ce concept est notamment

plus large que celui de droit à l’intimité [privacy] etconcerne une sphère au sein de laquelle toute per-sonne peut librement s’efforcer de développer sapersonnalité et de s’épanouir. En 1992, la Cour aainsi déclaré :

Il serait toutefois trop restrictif de la limiter à un« cercle intime » où chacun peut mener sa vie person-nelle à sa guise et d’en écarter entièrement le mondeextérieur à ce cercle. Le respect de la vie privée doitaussi englober, dans une certaine mesure, le droit pourl’individu de nouer et développer des relations avec sessemblables.

10

De sorte que la vie privée inclut nécessairementle droit de développer des relations avecd’autres personnes et avec le monde extérieur.

Relations constitutives de la vieprivée

Relations ne relevant pas de la vie privée

Les relations placées hors du champ de la viefamiliale au sens de l’article 8 peuvent cependantmériter la protection conférée par cette disposition,pour peu qu’elles constituent des éléments de la vieprivée : une catégorie englobant plusieurs types derelations.➤ Relations entre des parents nourriciers et

les enfants qu’ils ont élevés11

.➤ Relations entre des parties non encore ma-

riées12

.➤ Relations entre des homosexuels et leurs

partenaires avec ou sans enfants13

.Le concept de vie privée ne s’étend pas aux re-

lations entre un animal domestique et son maître14

.

Mesure dans laquelle les activités sexuellesrelèvent de la vie privée

La vie sexuelle d’une personne fait partie desa vie privée et en constitue un aspect important.Le respect de la vie privée garantit par conséquentun cercle dans lequel une personne peut éta-blir divers types de relations, y comprissexuelles, de sorte que le choix et l’affirmation de

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15 Dudgeon c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre1981.

16 Laskey, Jaggard & Brownc/ Royaume-Uni, arrêt du19 février 1997.

17 Requête n° 8317/78,McFeeley & Orsc/ Royaume-Uni, 15 mai1980, 20 DR 44.

18 Voir également ci-dessousla section consacrée àl'immigration.

19 Niemietz c/ Allemagne,arrêt du 16 décembre1992.

son identité sexuelle tombent sous la protectionde l’article 8. Dans son arrêt Dudgeon c/ Royaume-Uni

15, la Cour a estimé qu’étant donné la personna-

lité du requérant, l’existence même desdispositions législatives érigeant certaines pra-tiques homosexuelles en infractions affectait di-rectement et de façon permanente sa vie privée.Elle a depuis confirmé, à plusieurs reprises, quel’orientation et l’activité sexuelles ressortissaientd’un aspect intime de la vie privée. Cependant,toute pratique sexuelle menée à huis clos ne relèvepas nécessairement du domaine de l’article 8.Dans l’affaire Laskey, Jaggard & Brown c/ Royaume-Uni

16, les requérants s’étaient livrés de leur plein

gré à des actes sadomasochistes dans un but dejouissance sexuelle. Bien que n’étant pas formelle-ment obligés de déterminer si le comportementdes requérants se rapportait à la vie privée, lesJuges de Strasbourg exprimèrent certaines ré-serves concernant l’extension de la protection del’article 8 à des activités impliquant un nombreconsidérable de personnes, la mise à dispositionde plusieurs chambres spécialement équipées, lerecrutement de nouveaux membres et l’enregistre-ment de nombreuses vidéocassettes distribuéesparmi les membres en question.

Mesure dans laquelle les activités socialesrelèvent de la vie privée

La jurisprudence de Strasbourg contient certainsindices laissant supposer une sphère de relations per-sonnelles dépassant le « cercle intime » mais proté-gées malgré tout par le concept de la vie privée.➤ Dans l’affaire McFeeley c/ Royaume-Uni

17, la Com-

mission suggéra que les relations avec d’autresétaient également importantes pour les déte-nus et que le respect de la vie privée requéraitdonc la possibilité d’avoir certains contactsavec la collectivité pénitentiaire. La liberté des’associer à d’autres personnes constitue parconséquent un aspect social de la vie privée.

➤ Selon certains Juges de la Cour, la vie privée en-globerait même la possibilité de mener effec-tivement une vie sociale, c’est-à-dire la faculté,de se lier à d’autres personnes avec lesquelleson partage des affinités culturelles et linguis-tiques : un facteur particulièrement importantdans les affaires d’immigration

18.

Mesure dans laquelle les relations professionnellesrelèvent de la vie privée

➤ Dans l’affaire Niemietz c/ Allemagne19

, la Cour ad-mit que certaines relations personnellesnouées dans le cadre professionnel pou-vaient relever de la notion de vie privée.

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20 A. c/ France, arrêt du23 novembre 1993.

21 Halford c/ Royaume-Uni,arrêt du 25 juin 1997.

22 Requête n° 21353/93,27 février 1985.

23 Requête n° 9072/82, X.c/ Royaume-Uni, 6 oc-tobre 1982, 30 DR 229.

24 Murray c/ Royaume-Uni,arrêt du 28 octobre 1994,série A n° 300-A.

25 Leander c/ Suède, arrêt du26 mars 1987, série An° 116.

26 Requête n° 14661/81,9 juillet 1991, 71 DR141.

27 Requête n° 9804/82,7 décembre 1982, 31 DR231.

Activités ou mesures relevant de lavie privée

L’interception de communications téléphoniquesest-elle toujours assimilée à une ingérence dans lavie privée ?

Le recours à des appareils de surveillanceélectronique pour intercepter des communica-tions privées a été jugé comme relevant duchamp de la vie privée, quelle que soit par ailleursla teneur de la conversation concernée.➤ Dans A. c/ France

20, le gouvernement défendeur

faisait valoir que la conversation interceptéeportait exclusivement sur les préparatifs d’unmeurtre et ne relevait pas de la vie privée. LaCommission rejeta cette thèse au motif qu’uneconversation téléphonique ne perd pas soncaractère privé du seul fait que son conte-nu concerne ou peut concerner l’intérêtpublic.

➤ Dans Halford c/ Royaume-Uni21

, des conversa-tions téléphoniques, à la fois d’ordre profes-sionnel et privé, avaient été mises sur tabled’écoute, de même que les téléphones situésdans les bureaux du requérant.

➤ Par contre, lorsqu’une personne utilise unebande de fréquences radio réservée à l’avia-tion civile, l’interception de ses messages ne

constitue pas une ingérence dans sa vie privée,la conversation étant menée sur une longueurd’onde accessible aux tiers et ne pouvantpas, par conséquent, être classée commeune communication privée

22.

La collecte par l’Etat de données à caractèrepersonnel est-elle toujours assimilée à uneingérence dans la vie privée ?

La collecte d’informations sur un individupar des fonctionnaires de l’Etat sans leconsentement de celui-ci affecte sa vie privée etrelève par conséquent du champ de l’article 8 (1).Entrent notamment dans cette catégorie d’activi-tés :➤ Un recensement officiel

23 comportant des

questions obligatoires sur le sexe, le statut ma-trimonial, le lieu de naissance et d’autres dé-tails personnels.

➤ La prise d’empreintes digitales et d’unephoto d’identité, ainsi que la consignationd’autres renseignements personnels par la po-lice

24, même dans un registre tenu secret

25.

➤ La collecte de données médicales et la tenuede dossiers médicaux

26.

➤ La tendance des services fiscaux à révéler desdétails sur les dépenses personnelles descontribuables (et donc des détails intimes deleur vie privée)

27.

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13

28 Gaskin c/ Royaume-Uni,arrêt du 7 juillet 1989,paragraphe 89.

29 Stjerna c/ Finlande, arrêtdu 25 novembre 1994,série A n° 299-B.

30 Guillot c/ France, arrêt du24 octobre 1996, RJD1996-V, n° 19.

31 Requête n° 18760/91,E. N. c/ Irlande, 1

er dé-

cembre 1993.32 Requêtes n° 28851/95 &

28852/95, Spencerc/ Royaume-Uni, 16 jan-vier 1998.

➤ Un système d’identification tel que ceux em-ployés en matière administrative et civile (ser-vices de santé, services sociaux, fisc, etc.).

Accès aux données à caractère personnel

L’impossibilité d’accéder aux dossiers del’Etat peut parfois être analysée en une ingérencedans la vie privée, en fonction du type des informa-tions détenues. Dans l’affaire Gaskin c/ Royaume-Uni

28, les Juges de Strasbourg estimèrent que le

dossier du requérant contenant des précisions surdes aspects éminemment personnels de son en-fance, de son évolution et de ses antécédents, il re-présentait sa « principale source d’information » surson passé et ses années de formation. Partant, l’im-possibilité de le consulter prêtait à discussion sousl’angle de l’article 8.

La réglementation de l’usage des noms peut-elleêtre assimilée à une ingérence dans la vie privée ?

Bien que l’article 8 ne contienne aucune réfé-rence explicite aux noms, le patronyme d’une per-sonne relève de sa vie privée et familiale, dans lamesure où il constitue un moyen d’identification.Que l’Etat ait intérêt à en réglementer l’usage nesuffit pas pour exclure la question du nom d’unepersonne du domaine de la vie privée et familiale

29.

Le même raisonnement vaut pour les prénoms qui

relèvent également de la vie privée et familiale, dansla mesure où ils constituent un moyen d’identifica-tion au sein de la famille et de la société

30.

L’invasion de la presse peut-elle être assimilée àune ingérence dans la vie privée ?

L’absence de protection contre les intrusionsde la presse ou la divulgation dans les médias de dé-tails très intimes mais non diffamatoires de la vie pri-vée n’ont jamais été examinées sur le fond par lesorganes de Strasbourg. Certaines requêtes – tellesque l’affaire irlandaise dans laquelle la requérante seplaignait de ce que sa compagnie d’assurance l’avaitphotographiée hors de sa maison, ce qui constituaitune ingérence dans sa vie privée

31 ou la demande in-

troduite par le comte et la comtesse de Spencerconcernant l’exposition de leur vie privée dans lapresse

32 – ont été déclarées irrecevables faute

d’épuisement des voies de recours internes. Il estprobable que pour trancher une telle question, lesJuges tiendraient compte de la mesure dans laquellele requérant aurait courtisé les médias, de la natureet du degré de l’intrusion dans sa sphère privée etde la capacité des divers remèdes prévus par le droitinterne pour obtenir une réparation effective et adé-quate.

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14

33 Rasmussen c/ Danemark,arrêt du 25 novembre1984, série A n° 87.

34 B. c/ France, arrêt du25 mars 1992, série An° 232-C.

35 X & Y c/ Pays-Bas, arrêt du26 mars 1985, para-graphe 22.

36 Costello-Robertsc/ Royaume-Uni, arrêt du25 mars 1993.

37 Ibidem, paragraphe 36.38 Ibidem, paragraphe 36.

Détermination de liens juridiques

Instances de contestation de paternité

La détermination des liens juridiques entre unpère et sa fille fut estimée relever de sa vie privée.Ceci, alors même que l’intéressé se proposait d’in-troduire une instance de contestation de paternitépour obtenir la dissolution légale des liens de familleexistants

33. Dans la plupart des affaires, ces liens ju-

ridiques constituent des composants importants dela vie familiale.

Transsexuels

Des affaires relatives au refus des autorités pu-bliques d’autoriser un transsexuel à changer de pré-nom et de pièces d’identité pour mieux refléter sonapparence physique ont été analysées comme uneviolation du droit au respect à la vie privée reconnupar l’article 8 (1)

34.

Intégrité physique et morale

Dans X & Y c/ Pays-Bas35

, la Cour a estimé que lavie privée est un concept recouvrant l’intégrité phy-sique et morale de la personne et comprenant la viesexuelle. Dans cette affaire, l’impossibilité pour unehandicapée mentale de seize ans de faire ouvrir despoursuites pénales contre la personne lui ayant infli-

gé des violences sexuelles fut analysée comme po-sant problème au titre de l’article 8 (1). Une attaqueimportune d’une personne contre une autre peutdonc constituer une ingérence dans la vie privée decette dernière.

Les atteintes à l’intégrité physique peuvent-ellesêtre assimilées à une ingérence dans la vieprivée ?

Bien que certaines atteintes à l’intégrité phy-sique d’une personne puissent affecter sa vie privée,l’ingérence n’est pas systématique. L’affaire Costello-Roberts c/ Royaume-Uni

36 concernait la compatibilité

avec l’article 8 du châtiment corporel d’un garçon-net. Les Juges de Strasbourg estimèrent que :

Des mesures adoptées dans le domaine de l’enseigne-ment peuvent, à l’occasion, toucher au droit au respectde la vie privée [...], mais les actes ou décisions que l’onpeut dire dommageables pour l’intégrité physique oumorale d’une personne n’entraînent pas nécessaire-ment une telle atteinte

37.

avant cependant de conclure que :[...] eu égard au but et à l’objet de la Convention prisedans son ensemble et à la circonstance que la fréquen-tation d’une école par un enfant implique inévitable-ment une certaine ingérence dans la vie privée decelui-ci, que le traitement incriminé n’a pas nui à l’in-tégrité physique ou morale du requérant au point de re-lever de l’interdiction de l’article 8

38.

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39 Requête n° 8278/78,13 décembre 1979, 18DR 154 (analyse desang) ; requêten° 21132/93, Petersc/ Pays-Bas, 6 avril 1994,77-A DR 75 (analysed'urine).

40 Requête n° 10435/83,12 juillet 1978, 14 DR31.

41 Herczegfalvy c/ Autriche,arrêt du 24 septembre1992.

42 L'article 12 de la Conven-tion garantit le droit de semarier et de fonder unefamille.

En l’occurrence, la légèreté de la punition et lefait qu’elle avait été infligée dans le cadre formeld’une école pesèrent lourd dans la décision de laCour.

Un traitement médical obligatoire peut-il êtreassimilé à une ingérence dans la vie privée ?

Un traitement médical obligatoire, fût-il mi-neur, relève du champ de l’article 8 (1), qu’ils’agisse :➤ d’analyses de sang et d’urine imposées aux dé-

tenus pour dépister les toxicomanes, auxconducteurs pour vérifier leur état d’ébriété ouaux parties à une procédure en paternité pourétablir les liens de sang

39;

➤ de la vaccination, de soins dentaires, de testsantituberculeux ou de radiographies obliga-toires pour des enfants

40;

➤ de l’alimentation forcée d’un gréviste de lafaim

41.

Des mesures de sécurité peuvent-elles êtreassimilées à une ingérence dans la vie privée ?

Les nombreuses mesures adoptées par l’Etatpour protéger le public contre divers dangers, tellesque le port de la ceinture de sécurité ou l’utilisationd’équipements de protection dans l’industrie, nesont jamais examinées sous l’angle de l’article 8 (1),

alors même qu’elles seraient presque certainementconsidérées comme justifiables en vertu du secondparagraphe.

1.1.2 Vie familiale

Le concept de vie familiale a constamment évo-lué depuis la rédaction de la Convention sous l’in-fluence de changements juridiques et sociaux. LaCour a donc adopté, en ce qui concerne son inter-prétation (comme celle du concept de vie privée),une approche souple tenant compte de la diversitédes formes de vie familiale, ainsi que des implica-tions du divorce et des progrès médicaux dans lemonde moderne. La formulation de l’article 8 placela vie familiale en plein cœur de la sphère privée oùelle est supposée s’exercer librement, à l’abri des in-gérences de l’Etat. Cependant, ledit article ne pré-voit pas de droit explicite à fonder une famille, parexemple en contractant un mariage ou en ayant desenfants

42.

Signification du concept de vie familiale

En règle générale, la Cour décide de l’existenced’une vie familiale en se basant sur les faits dechaque cause et le critère pertinent en la matière estl’existence de liens personnels étroits entre lesparties. Bien que l’approche au cas par cas adoptéepar les Juges de Strasbourg empêche parfois le

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43 Berrehab c/ Pays-Bas,arrêt du 21 juin 1988.

44 Marckx c/ Belgique, arrêtdu 13 juin 1979.

45 Johnston c/ Irlande, arrêtdu 18 décembre 1986.

46 Par exemple, voir Berre-hab c/ Pays-Bas, arrêt du21 juin 1988 (père divor-cé) et Kroon & Ors, arrêtdu 27 octobre 1994 (céli-bataire).

47 Boughanemi c/ France,arrêt du 24 avril 1996.

classement systématique des relations en distin-guant celles qui sont constitutives d’une vie familialedes autres, un nombre croissant de relations jouitaujourd’hui de la protection automatique de l’ar-ticle 8.

Famille fondée sur le mariage

➤ La protection de l’article 8 s’étend toujours auxmariages, pourvu que ces derniers s’avèrent lé-gaux et non fictifs. Les unions manquant desubstance ou purement formelles, telles queles mariages blancs contractés uniquementpour échapper à la législation sur l’immigrationou pour acquérir la nationalité, risquent doncd’être placées hors du champ de l’article 8.

➤ Un enfant né de parents ayant contractéun mariage légal et non fictif s’insère deplein droit dans cette relation, du seul faitde sa naissance

43. De sorte que la relation

entre des parents mariés et leurs enfants relèvetoujours du champ de l’article 8 (1).

Le mariage est-il indispensable pour jouir d’unevie familiale ?

➤ L’article 8 s’applique automatiquement à la re-lation entre une mère et son enfant, quelleque soit la situation matrimoniale de l’intéres-sée

44. Une telle relation bénéficie donc toujours

de la protection de l’article 8.➤ Les couples non mariés vivant avec leurs

enfants sont normalement considérés commeformant une famille. Ce principe a été énoncédans l’arrêt Johnston

45 dont les conclusions pré-

cisent que les Juges ont été influencés par lanature stable des relations entre les requérantset par le fait que lesdites relations ne diffèrentpas en pratique d’une vie familiale fondée surle mariage.

La cohabitation est-elle indispensable pour jouird’une vie familiale ?

La cohabitation n’est pas une condition sinequa non de la vie familiale, quel que soit le statut ma-trimonial des parents

46. Ainsi, les membres d’une fa-

mille ne vivant plus ensemble – à la suite d’undivorce, d’une séparation ou d’un arrangement –peuvent malgré tout bénéficier de la protection del’article 8.

Une vie familiale peut-elle exister en dehors de lacohabitation ou du mariage ?

Dans Boughanemi c/ France47

, la Cour a estiméque :

[...] la notion de famille sur laquelle repose l’article 8inclut, même en l’absence de cohabitation, le lien entreun individu et son enfant, que ce dernier soit légitime

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48 Boughanemi c/ France,arrêt du 24 avril 1996,paragraphe 35.

49 Voir C/ c. Belgique, arrêtdu 7 août 1996 et Ahmutc/ Pays-Bas, arrêt du 28novembre 1996.

50 Voir Söderbäck c/ Suède,arrêt du 28 octobre 1998.

51 Keegan c/ Irlande, arrêtdu 26 mai 1994.

52 X., Y. & Z. c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 avril1997.

[...] ou naturel. Si ledit lien peut être brisé par des évé-nements ultérieurs, il n’en va ainsi que dans des cir-constances exceptionnelles.

48

En vertu de ce principe, la relation du requé-rant avec son fils, né hors mariage et avec lequel ilentretenait peu de contacts, fut jugée constitutivede vie familiale au sens de cette disposition.

Dans cette optique, ni le retard avec lequel unpère reconnaît son enfant, ni son refus de l’aider fi-nancièrement, ni même sa décision de le confier àdes proches avant d’émigrer vers un Etat partie à laConvention n’ont été assimilés à des circonstancesexceptionnelles de ce point de vue

49. La présomp-

tion d’application automatique de l’article 8 à la re-lation (quelle que soit sa nature) entre un parent etson enfant a aussi été retenue dans l’arrêt Söderbäckqui portait sur une affaire d’adoption

50. En l’occur-

rence, les Juges de Strasbourg estimèrent qu’il exis-tait des liens familiaux de facto entre un père naturelet sa fille, bien qu’ils n’aient jamais habité ensembleet que leurs contacts aient été épisodiques.

L’article 8 s’applique-t-il lorsque la fondation dela vie familiale est privée d’effet ?

Même lorsqu’un parent a empêché le dévelop-pement de liens familiaux avec un enfant, le poten-tiel de vie familiale peut s’avérer suffisant pourmériter la protection de l’article 8. Ce point de vue

fut adopté par la Cour dans son arrêt Keeganc/ Irlande

51 qui concernait une affaire où la fille du re-

quérant avait été confiée, sans le consentement decelui-ci, par sa mère à un service d’adoption, privantainsi l’intéressé de la possibilité d’établir des lienspersonnels étroits avec elle. Cependant, en raisonde la nature des relations entre les parents de l’en-fant – ils avaient cohabité, planifié la grossesse etprévu de se marier – la Cour estima que, comptetenu de la vie familiale potentielle entre le père etl’enfant, leur relation se plaçait sous le sceau de lavie familiale aux fins de l’article 8, alors même qu’ilsne s’étaient rencontrés qu’une seule fois.

Une vie familiale peut-elle exister en dehors d’unlien de sang ?

Bien que les Juges de Strasbourg mettent claire-ment l’accent sur la réalité sociale plutôt que biolo-gique de la situation pour déterminer l’existenced’une vie familiale, ils ont estimé en une seule ins-tance que cette existence pouvait être constatéeen l’absence d’un lien de sang. Dans X, Y & Zc/ Royaume-Uni

52, ils conclurent que la relation entre

un transsexuel converti du sexe féminin au sexemasculin et son enfant né par insémination artifi-cielle avec donneur (« IAD ») équivalait à une vie fa-miliale. Ils fondèrent cette conclusion premièrementsur le fait que cette relation était sur tous les autrespoints semblables à celles d’une famille tradition-

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53 Requête n° 15666/89,Kerkhoven, Hinke &Hinke c/ Pays-Bas, 19 mai1992, décision non pu-bliée.

54 Requête n° 16944/90,G. c/ Pays-Bas, 8 février1993, 16 EHRR 38.

55 Marckx c/ Belgique, arrêtdu 13 juin 1979, para-graphe 45.

56 Olsson c/ Suède, arrêt du24 mars 1988.

57 Boughanemi c/ France,arrêt du 24 avril 1996.

58 Requête n° 16580/90,Boyle c/ Royaume-Uni,rapport de la Commis-sion, 9 février 1993.

nelle et deuxièmement sur le fait que le transsexuelavait participé au processus d’IAD en qualité de pèrede l’enfant.

La Cour n’a pas encore eu l’occasion de se pro-noncer sur la question de savoir si des relationsentre deux individus du même sexe constituaientune vie familiale. Dans Kerkhoven c/ Pays-Bas

53, la

Commission avait refusé d’assimiler une relationstable entre deux femmes et l’enfant mis au mondepar l’une d’elles à la suite d’une IAD à une vie fami-liale. Les Juges de Strasbourg estimèrent en effetque les requérants, malgré leur cohabitation de typefamilial et leur partage des tâches parentales, nepouvaient réclamer une reconnaissance juridiqueque sur le plan de la vie privée. A supposer que laCour doive se prononcer sur un cas semblable, ellepourrait décider de se conformer au précédent deson propre arrêt X, Y & Z et d’assimiler des relationsentre personnes du même sexe à une vie familialemalgré l’absence d’un lien de sang.

Un lien de sang est-il suffisant à lui seul ?

Même si l’absence d’un lien biologique n’em-pêche pas une relation de constituer une vie fami-liale, un simple lien de sang ou lien génétiquesemble insuffisant à cet égard. Ainsi, la relationentre un donneur de sperme et un enfant né de sasemence n’est généralement pas assimilée à une viefamiliale au sens de l’article 8, sauf en présence de

preuves suffisantes attestant de liens personnelsétroits en plus du lien de sang

54.

Quelles autres relations constituent une viefamiliale ?

Concernant les autres relations, la Cour déter-mine l’existence d’une vie familiale en examinant lesfaits de chaque cause. La jurisprudence relative à lafamille étendue et autres arrangements peut s’ana-lyser comme suit :➤ Une vie familiale peut exister entre des en-

fants et leurs grands-parents, ces derniers yjouant « un rôle considérable »

55.

➤ Les frères et sœurs, à la fois comme enfants56

et comme adultes57

, entrent également dans leconcept de vie familiale.

➤ La relation entre un oncle ou une tante etson neveu ou sa nièce entrent égalementdans le concept de vie familiale en présence depreuves détaillées de liens personnels étroits.Ainsi, dans Boyle c/ Royaume-Uni

58, les Juges de

Strasbourg estimèrent que les liens unissant unoncle à son neveu constituaient une vie fami-liale, dans la mesure où l’enfant passait lesweek-ends chez son oncle et où ce dernier in-carnait à ses yeux la « figure » du père.

➤ Une vie familiale peut exister entre des parentset des enfants adultérins, surtout lorsque leurpaternité a été reconnue et que les parties

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59 Requête n° 11418/85,Jolie & Lebrunc/ Belgique, 14 mai 1986,DR 47, p. 243.

60 Requête n° 9993/82, X.c/ France, 5 octobre1982, DR 31, p. 241, 5EHRR 302 ; Söderbäckc/ Suède, arrêt du 28octobre 1998.

61 Requête n° 8257/78, X.c/ Suisse 10.7.78, DR 13,p. 248.

62 Requête n° 8427/78,Hendriks c/ Pays-Bas,rapport de la Commis-sion, 8 mars 1982, DR29, p. 5, 5 EHRR 223.

63 Berrehab c/ Pays-Bas,arrêt du 21 juin 1988.

64 Andersson c/ Suède, arrêtdu 25 février 1992, para-graphe 72.

65 Requête n° 7626/76, X.c/ Royaume-Uni, 11juillet 1977, DR 11,p. 160.

66 Requête n° 14830/89,Yousef c/ Royaume-Uni,rapport de la Commis-sion, 30 juin 1992, para-graphe 43.

67 Boughanemi c/ France,arrêt du 24 avril 1996.

68 Gillow c/ Royaume-Uni,arrêt du 24 novembre1986, paragraphe 46.

jouissent de relations personnelles étroites59

.➤ La relation entre les parents adoptifs et leurs

enfants tombe en principe sous la protectionde l’article 8

60.

➤ La question de savoir si les liens entre un en-fant et ses parents adoptifs constituent unevie familiale dépend des faits de la cause, enparticulier de l’existence de relations person-nelles étroites entre l’enfant et ses parents na-turels et du temps qu’il a déjà passé auprès desa famille d’accueil

61. Plus le séjour dans la fa-

mille adoptive se prolonge, plus les chancessont grandes de voir les relations assimilées àune vie familiale.

La vie familiale peut-elle prendre fin ?

Une fois établi, le lien familial ne prend pas finavec le divorce

62 ou lorsque les parties décident de

ne plus cohabiter63

. Pas plus qu’elle ne se terminepar une décision de placer un enfant dans une fa-mille d’accueil

64. Bien que ledit lien puisse être brisé

par des événements ultérieurs, tels qu’une adop-tion

65 ou une expulsion

66, la Cour a établi qu’il n’en

va ainsi que dans des circonstances exception-nelles

67.

1.1.3 Domicile

Signification du concept de domicile

En général, le domicile au sens de l’article 8, estl’endroit où une personne vit sur une base stable, desorte que tout cadre de vie peut constituer undomicile au sens de l’article 8 (1), à l’exceptionéventuelle des maisons de week-end et des foyers-ateliers ou d’autres logements temporaires delongue durée.

La propriété d’un logement suffit-elle à constituerun domicile ?

Dans Gillow c/ Royaume-Uni68

, la Cour a estiméque les requérants qui possédaient leur maison maisn’y avaient pas résidé depuis dix-neuf ans pouvaienteffectivement la considérer comme leur domicile ausens de l’article 8. Ceci, parce qu’en dépit de leurlongue absence, ils avaient eu l’intention d’y reveniret ils avaient conservé avec elle assez de liens.

Des locaux professionnels peuvent-ils constituerun domicile ?

En 1992, la Cour étendit la notion de domicile,au sens de l’article 8, à des locaux à usage profes-sionnel dans le contexte de la justification de leurperquisition. Dans Niemietz c/ Allemagne

69, les Juges de

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69 Niemietz c/ Allemagne,arrêt du 16 décembre1992.

70 Klass c/ Allemagne, arrêtdu 6 septembre 1978,paragraphe 41.

71 Requête n° 21482/93,Campbell Christiec/ Royaume-Uni, 27 juin1994, DR 78A, p. 119.

72 A. c/ France, arrêt du 23novembre 1993.

73 Halford c/ Royaume-Uni,arrêt du 25 juin 1997.

Strasbourg décidèrent que le bureau d’un membred’une profession libérale, par exemple, pouvait êtreassimilé à un domicile. Étant donné que l’on peutmener de chez soi des activités liées à une profes-sion ou un commerce, et de son bureau ou d’un lo-cal commercial des activités d’ordre personnel, ilpeut se révéler malaisé d’établir des distinctionsprécises. Dans ce contexte, les Juges estimèrent queles locaux professionnels du requérant méritaient laprotection de l’article 8.

1.1.4 Correspondance

Le droit au respect de la correspondance se dé-finit comme la faculté de communiquer sans in-terruption et sans censure avec des tiers.

Signification du concept de correspondance

Si le concept de correspondance englobeclairement les objets distribués par la poste, la Courestime aussi qu’il s’étend aux communications télé-phoniques

70 et aux télex

71. De même que le sens du

domicile a été élargi, il est probable que celui de lacorrespondance continuera à être interprété defaçon extensive afin de conférer la protection del’article 8 aux nouvelles méthodes de communi-cation telles que le courrier électronique. Le niveauapproprié de protection peut cependant varier selonla méthode de communication utilisée.

Le contenu de la communication importe-t-il ?

La protection offerte par l’article 8 concerneles moyens ou la méthode de la communicationplutôt que son contenu, de sorte que l’Etat ne sau-rait objecter, par exemple, que des conversationstéléphoniques relatives à des activités crimi-nelles échappent à l’article 8 (1)

72. Dans Halford

c/ Royaume-Uni73

, en particulier, les Juges de Stras-bourg estimèrent que des conversations télépho-niques, d’ordre privé ou professionnel, demême que l’usage d’un téléphone de bureau,étaient protégés par cette disposition.

L’identité de l’expéditeur ou du destinataire est-elle déterminante ?

Cet aspect de la correspondance joue un cer-tain rôle dans la détermination des exigences del’article 8. La Cour a, par exemple, clairement indi-qué que la protection accordée aux lettres et autrescommunications entre un avocat et son client, sur-tout s’il s’agit d’un détenu, est très large.

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74 Kroon c/ Pays-Bas, arrêtdu 27 octobre 1994,paragraphe 31.

75 X. & Y. c/ Pays-Bas, arrêtdu 26 mars 1985, para-graphe 23.

1.2 L’Etat assume-t-il une obligationpositive concernant le respectdes droits garantis par l’ar-ticle 8 et s’en est-il acquitté ?

Si l’objet essentiel de l’article 8 est de « prémunirl’individu contre des ingérences arbitraires des pou-voirs publics », la Cour estime que cette dispositionpeut engendrer, de surcroît, des obligations positivesinhérentes à un respect effectif des valeurs qu’elle pro-tège

74. Ainsi, de même qu’il a l’obligation négative de

s’abstenir d’interférer arbitrairement avec la vie fami-liale et privée, le domicile et la correspondance d’unepersonne, l’Etat peut également être amené à agirconcrètement pour assurer le respect de touteune série d’intérêts personnels énoncés par cettedisposition. La base de cette interprétation de l’ar-ticle 8 repose sur la référence au droit de l’individu aurespect de sa vie privée et familiale etc., ce qui a per-mis aux Juges de Strasbourg d’étendre les obligationsde l’Etat au-delà de la simple non-ingérence. Dans leurarrêt X & Y c/ Pays-Bas

75, ils ont ainsi déclaré :

[L’article 8] ne se contente pas de commander à l’Etatde s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagementplutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations posi-tives inhérentes à un respect effectif de la vie privée oufamiliale [...]. Elles peuvent impliquer l’adoption demesures visant au respect de la vie privée jusque dansles relations des individus entre eux.

Dans certaines circonstances, par conséquent,la Convention exige de l’Etat qu’il prenne des me-sures actives pour permettre aux individus d’exercerles droits qui leur sont conférés par l’article 8. Cetteobligation positive peut parfois inclure la protectiondes intéressés contre les actions d’autres particuliersles privant de la jouissance effective de leurs droits.

Dans quelles circonstances, l’Etat doit-ils’acquitter d’obligations positives ?

Il est difficile d’identifier les circonstances danslesquelles le respect de l’article 8 impose une actionpositive. La Cour estime qu’étant donné les contoursimprécis de la notion de « respect » et la diversité desconditions et circonstances prévalant dans les Etatscontractants, les mesures requises pour assurer le res-pect de la vie familiale peuvent considérablement va-rier d’un cas à l’autre. Une large marge d’appréciationest donc accordée aux autorités nationales pour déci-der de ce que ledit « respect » commande en fonctionde certaines circonstances. Selon les Juges deStrasbourg, l’Etat, afin de déterminer l’existence éven-tuelle d’une obligation positive, doit se demander si unjuste équilibre a pu être établi entre l’intérêt gé-néral de la collectivité et les intérêts de l’individu.S’agissant de déterminer le contenu du droit protégé,ces Juges estiment que les buts mentionnés au secondparagraphe de l’article 8 peuvent être pertinents desorte que l’examen des critères d’applicabilité diffère

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76 Voir, par exemple, Gaskinc/ Royaume-Uni, arrêt du7 juillet 1989, paragraphe42.

77 Marckx c/ Belgique, arrêtdu 13 juin 1979.

78 STE n° 85.79 X., Y. & Z. c/ Royaume-

Uni, arrêt du 26 mars1985.

de celui pratiqué lorsqu’il s’agit de vérifier l’équilibreentre un droit déjà établi et les intérêts concurrentsque l’Etat cherche à protéger. En de nombreuses occa-sions, la différence entre l’adoption de l’approche re-posant sur des obligations positives et l’analyseordinaire de l’instance à l’aune de l’article 8 (2) ressortdans l’exposé des motifs des arrêts de la Cour mais pasdans leurs conclusions

76. Au niveau pratique, les inté-

rêts de la communauté dans son ensemble pèsentpeut-être plus lourd dans la balance et contraignent,dans une certaine mesure, l’individu à apporter lapreuve que ses intérêts personnels doivent clairementprédominer. Par exemple, selon la jurisprudence deStrasbourg, dès lors qu’un droit individuel importantest en jeu et que le requérant a subi un préjudice ma-jeur, une obligation positive risque de naître. Parcontre, lorsque le préjudice est minime ou lorsque l’en-jeu porte sur un intérêt important de l’Etat, les Jugessont moins enclins à adopter cette approche.

Par exemple, dans l’affaire Marckx c/ Belgique, laCour estima que le respect de la vie familiale entreune mère célibataire et son enfant imposait à l’Etatl’obligation positive d’adopter des mesures conçuespour assurer l’intégration de ce dernier dans sa fa-mille dès sa naissance

77. En l’occurrence, le préju-

dice subi par la mère et sa fille était important parrapport à l’intérêt moindre de l’Etat à protéger la fa-mille fondée sur le mariage. En outre, la marge d’ap-préciation accordée à l’Etat était étroite dans lamesure où les conditions juridiques et sociales des

Etats contractants reflétaient une tendance à l’éli-mination de tout traitement discriminatoire desmères célibataires et de leurs enfants : tendanceconfirmée notamment par l’adoption de la Conven-tion européenne sur le statut juridique des enfantsnés hors mariage

78. Les Juges de Strasbourg esti-

mèrent, par conséquent, que l’obligation positivede respecter la vie familiale nécessitait l’adoptionde mesures assurant l’intégration de l’enfant danssa famille.

La Cour parvint cependant à une conclusiondifférente en l’affaire X, Y & Z c/ Royaume-Uni. Pourcommencer, elle releva que l’absence d’approchecommune entre les Etats contractants conférait àl’Etat une ample marge d’appréciation concernantla manière d’assurer le respect de la vie familialedes parties concernées : une fillette née par IAD(insémination artificielle avec donneur) et son pèretranssexuel. Par conséquent, le contenu de l’obli-gation positive de respecter la vie familiale différaitde celui énoncé dans l’affaire Marckx et l’action re-quise de l’Etat pour se conformer pleinement àl’article 8 était moindre. Plus spécialement, lesJuges de Strasbourg rejetèrent la demande du re-quérant de voir son nom figurer, sous la rubrique« père », sur l’acte de naissance de l’enfant

79. Pour

eux, il n’avait pas été démontré que la reconnais-sance de la filiation d’un enfant né par IAD étaitcontraire aux intérêts de la société ou indispen-sable au bien-être de l’enfant.

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80 Olsson c/ Suède, arrêt du24 mars 1988.

81 Campbell & Fellc/ Royaume-Uni, arrêt du28 juin 1984.

82 Chappell c/ Royaume-Uni, arrêt du 30 mars1989.

83 Leander c/ Suède, arrêt du26 mars 1987.

84 Campbell c/ Royaume-Uni, arrêt du 25 mars1992.

Phase II de l’examen del’applicabilité de l’article 8

2.1 A-t-on constaté une ingérencedans le droit protégé parl’article 8 ?

Une fois établi que le litige porte sur la vie pri-vée ou familiale, le domicile ou la correspondance,la Cour procède à l’examen de la substance desgriefs invoqués au regard de l’article 8 (2) qui se litcomme suit :

Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publiquedans l’exercice de ce droit que pour autant que cette in-gérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une me-sure qui, dans une société démocratique, est nécessaireà la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à laprévention des infractions pénales, à la protection de lasanté ou de la morale, ou à la protection des droits etlibertés d’autrui.

Quels sont les éléments constitutifsd’une ingérence ?

Dès qu’il est établi que le litige concerne undroit protégé par l’article 8, la phase suivante de

l’examen consiste à se demander si la mesurecontestée interfère avec l’exercice dudit droit. Parmiles exemples d’ingérence, citons les actions sui-vantes :➤ enlever des enfants à leurs parents et les

confier à l’assistance publique80

,➤ interrompre la correspondance de détenus

81,

➤ perquisitionner un domicile82

,➤ collecter et consigner des renseignements dans

un dossier secret de la police83

.

Que doit établir le requérant ?

Il appartient au requérant d’établir la réalitéde l’ingérence. Par exemple, dans Campbellc/ Royaume-Uni

84, le gouvernement maintenait que le

requérant, un détenu, n’avait pas étayé l’allégationd’une ingérence dans le respect de sa correspon-dance, étant dans l’impossibilité de prouver qu’unede ses lettres ait jamais été ouverte. Les Juges deStrasbourg se déclarèrent néanmoins convaincus del’existence d’une ingérence, dans la mesure où le ré-gime carcéral en vigueur autorisait l’ouverture et lalecture des lettres : une condition qui avait été expli-citement portée à la connaissance du requérant etde son avocat. Dans de telles circonstances, le re-quérant pouvait se prétendre victime d’une ingé-rence dans son droit au respect de sacorrespondance au titre de l’article 8. Partant,lorsque le requérant s’avère incapable d’établir avec

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Page 26: Le droit au respect de la vie privée et familiale

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85 Dudgeon c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre1981.

86 Klass c/ Allemagne, arrêtdu 6 septembre 1978,paragraphe 34.

certitude les dommages matériels constitutifs del’ingérence, il lui suffit de démontrer que cetteingérence a probablement été commise.

La simple existence d’une législation suffit-elle àcréer l’ingérence ?

Dans l’affaire Dudgeon c/ Royaume-Uni85

, le re-quérant arguait qu’une législation faisant des rap-ports homosexuels entre des hommes adultesconsentants un délit pénal privé, constituait une at-teinte injustifiée à son droit au respect de sa vie pri-vée, tel qu’il est protégé par l’article 8. Aucune pour-suite contre des hommes adultes consentantsn’ayant été intentée depuis un certain temps en ver-tu de cette législation et le requérant lui-mêmen’ayant pas été condamné ou poursuivi, le gouver-nement contestait que l’existence même des dispo-sitions législatives en cause ait pu porter atteinte audroit du requérant au respect de sa vie privée. LaCour estima toutefois que la crainte ressentie par lerequérant, en raison de ses penchants, n’étant ni il-lusoire, ni théorique, l’existence même des dispo-sitions législatives en cause affectait directe-ment et en permanence sa vie privée.

Dans quelle mesure l’existence d’une législationautorisant une surveillance secrète constitue-t-elleune ingérence dans la vie privée ?

Par la force des choses, la plupart des per-sonnes faisant l’objet d’une surveillance secrèteignorent l’ingérence. D’autres la soupçonnent sanspourtant disposer de preuves suffisantes. La diffi-culté du requérant à démontrer que ses communi-cations ont été interceptées l’incite parfois àavancer que l’existence même de la législation porteatteinte à son droit au respect de sa vie privée et desa correspondance au titre de l’article 8. Pareille ar-gumentation n’est retenue par la Cour que dans cer-taines circonstances.➤ Dans Klass c/ Allemagne

86, la Cour accepta qu’un

individu puisse, sous certaines conditions, seprétendre victime d’une violation entraînéepar la simple existence de mesures se-crètes ou d’une législation permettant pa-reilles mesures, sans avoir besoin d’avancerqu’on les lui a réellement appliquées. Cepen-dant, les Juges de Strasbourg prirent soin depréciser que pareille argumentation ne peutêtre retenue que dans certaines conditions.Ces dernières doivent être définies danschaque cause selon le ou les droits de laConvention dont on allègue la violation, le ca-ractère secret des mesures incriminées et la re-lation entre l’intéressé et ces mesures.

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87 Malone c/ Royaume-Uni,arrêt du 2 août 1984.

88 Ibidem, paragraphe 64.

➤ Dans l’affaire Malone c/ Royaume-Uni87

, le litige sou-mis à la Cour portait sur la question de savoir si letéléphone du requérant avait été réellement pla-cé sur table d’écoute. En dehors de l’admissionpar la police de l’interception d’une seule conver-sation, le gouvernement refusait obstinément dedivulguer si et dans quelle mesure les appels et lecourrier de l’intéressé avaient fait l’objet d’unesurveillance, se bornant à concéder que :[...] parce que soupçonné de recel de biens volés, [le re-quérant] appartenait à une catégorie de personnes ex-posées à de telles mesures.

88

Les Juges de Strasbourg se fondèrent sur cetaveu pour conclure que l’existence de lois et pra-tiques autorisant et instaurant un système de sur-veillance secrète des communications constituaiten soi une ingérence dans l’exercice de droits quel’article 8 reconnaissait à l’intéressé, « en dehorsmême de toute application effective à celui-ci ».

2.2 En cas de constatation d’uneingérence, celle-ci :

2.2.1 – est-elle prévue par la loi ?2.2.2 – poursuit-elle un but légitime ?2.2.3 – est-elle nécessaire dans une société démocra-tique ?Pour être admise par la Convention, toute ingé-

rence dans les droits protégés par l’article 8 (1) doit

remplir l’ensemble des critères répertoriés dans leparagraphe 2 du même article. En particulier, l’ingé-rence doit être prévue par la loi, poursuivre l’un desbuts légitimes énumérés et apparaître comme né-cessaire dans une société démocratique ou propor-tionnée au but légitime poursuivi.

2.2.1 L’ingérence est-elle prévue par la loi ?

Une mesure constituant une ingérence dansl’exercice d’un droit protégé par l’article 8 ne serareconnue compatible avec ce dernier que si elle estprévue par la loi. Si la mesure contestée ne remplitpas ce critère de légalité, elle est assimilée à une vio-lation sans qu’il soit nécessaire d’examiner davan-tage l’affaire au fond. Certains domaines du droitapparaissent particulièrement vulnérables de cepoint de vue. C’est notamment le cas des législa-tions et réglementations visant la surveillance se-crète, la protection des enfants et l’interception dela correspondance des détenus.

Signification de l’expression « prévuepar la loi »

Pour être considérée comme « prévue par la loi »,l’ingérence contestée doit avoir une base légale. Enoutre, la loi concernée doit être suffisamment pré-cise et contenir des mesures de protection contrel’arbitraire des autorités publiques.

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89 Ibidem.90 Khan c/ Royaume-Uni,

arrêt du 12 mai 2000.91 Andersson c/ Suède, arrêt

du 25 février 1992, para-graphe 75.

92 Olsson c/ Suède, arrêt du24 mars 1988, para-graphe 62.

L’ingérence doit avoir une baselégale

Les mesures adoptées risquent d’être problé-matiques de ce point de vue si elles ne sont pas ex-plicitement autorisées par une loi et résultentsimplement de l’observation d’une pratique admi-nistrative ou autres directives non contraignantes.Par conséquent, une pratique administrative, fût-ellescrupuleusement respectée, ne répond pas à lacondition de légalité requise.➤ Dans l’affaire Malone c/ Royaume-Uni

89, la Cour se

demanda si le pouvoir d’intercepter desconversations téléphoniques reposait sur unebase légale. A l’époque, la mise sur tabled’écoute était réglementée par une pratiqueadministrative dont les détails n’avaient jamaisété publiés et qui ne reposait sur aucune habili-tation législative précise. Les Juges deStrasbourg déclarèrent que le droit applicablen’indiquait pas avec assez de clarté l’éten-due et les modalités d’exercice du pouvoird’appréciation des autorités dans le do-maine considéré : l’écoute secrète desconversations téléphoniques reposant sur unepratique administrative, ses modalités pou-vaient être modifiées à tout moment et elleconstituait par conséquent une violation del’article 8.

➤ Plus récemment, dans l’affaire Khan c/ Royaume-

Uni90

, la Cour a estimé que le recours à un ap-pareil d’interception des conversations télé-phoniques par les autorités britanniquesn’était pas prévu par la loi au sens de l’article 8.Ceci, en raison de l’absence de système légalrégissant l’emploi d’appareils d’écoute :les modalités de l’utilisation de ce matériel dé-pendaient en effet simplement de directives duministère de l’Intérieur qui n’étaient ni juri-diquement contraignantes, ni accessibles augrand public.

L’exigence de prévisibilité

Pour satisfaire à l’exigence de l’égalité de l’ar-ticle 8, la loi concernée doit être accessible auxpersonnes concernées et formulée de manièreassez précise pour leur permettre – en s’entou-rant, au besoin, de conseils éclairés – de pré-voir, à un degré raisonnable dans lescirconstances de la cause, les conséquencespouvant résulter d’un acte déterminé

91. Cette

condition est connue sous le nom d’exigence deprévisibilité. Elle signifie qu’une loi conférant unefaculté d’appréciation aux autorités publiques n’estpas en elle-même incompatible avec l’article 8 tantque l’étendue de ce pouvoir discrétionnaire et lesmodalités de son exercice sont fixés suffisammentclairement pour accorder à l’individu une protectionadéquate contre les ingérences arbitraires

92. De

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Page 29: Le droit au respect de la vie privée et familiale

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93 Ibidem. Voir aussi An-dersson c/ Suède, arrêt du25 février 1992, para-graphe 62.

94 Leander c/ Suède, arrêt du26 mars 1987.

plus, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire a debonnes chances de répondre aux conditions de l’ar-ticle 8 dès lors qu’il est soumis à un contrôle juridic-tionnel.

Certains domaines du droit accordent inévi-tablement une plus grande compétence discrétion-naire aux autorités publiques et la Cour a dû seprononcer sur la compatibilité des mesures législa-tives concernées avec l’article 8.

La législation en matière de protection de l’enfant

Dans l’affaire Olsson c/ Suède93

, les requérantsavançaient que la législation suédoise appliquée enl’espèce s’exprimait en termes trop généraux pourque ses effets soient prévisibles et conférait unpouvoir d’appréciation excessif aux services so-ciaux, en particulier pour la mise en œuvre des déci-sions de prise en charge des enfants. Tout enreconnaissant la formulation très générale de la lé-gislation, les Juges de Strasbourg estimèrent qu’elleremplissait les conditions juridiques posées par l’ar-ticle 8 (2). Ils firent notamment valoir que les cir-constances pouvant commander la prise encharge d’un enfant, ou présider à l’exécutionde pareille décision, sont si diverses qu’on nesaurait guère libeller une loi capable de parerà toute éventualité. De plus, limiter le pouvoird’intervention des autorités au cas où l’enfant adéjà subi un dommage risquerait bien d’affaiblir in-

dûment la protection dont il a besoin. Plus impor-tant encore, à propos de la compétence discrétion-naire exercée en vertu de cette législation, les Jugesde Strasbourg relevèrent que celle-ci prévoyait desgaranties contre les ingérences arbitraires : en effetl’usage de presque tous les pouvoirs légaux relèvede la compétence ou du contrôle des juridictionsadministratives, à plusieurs niveaux.

La législation en matière de surveillance secrète

Pour des raisons évidentes, cette législationpose des problèmes sous l’angle de sa prévisibilité.La question se pose donc de savoir comment appli-quer ce critère en l’espèce.

Dans son arrêt Malone c/ Royaume-Uni, la Cour areconnu que :

[...] les impératifs de la Convention, notamment quantà la prévisibilité, ne peuvent être tout à fait les mêmesdans le contexte spécial de l’interception de communica-tions pour les besoins d’enquêtes de police que quand laloi en cause a pour but d’assortir de restrictions laconduite d’individus. En particulier, l’exigence de prévi-sibilité ne saurait signifier qu’il faille permettre à quel-qu’un de prévoir si et quand ses communicationsrisquent d’être interceptées par les autorités, afin qu’ilpuisse régler son comportement en conséquence.De même, dans l’affaire Leander c/ Suède

94, les

Juges de Strasbourg ont estimé qu’un individu nesaurait exiger d’être en mesure d’escompter avec

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95 Kruslin c/ France, arrêt du24 avril 1990.

96 Huvig c/ France, arrêt du24 avril 1990.

97 Rotaru c/ Roumanie, arrêtdu 4 mai 2000.

98 Malone c/ Royaume-Uni,arrêt du 2 août 1984,paragraphe 67 et Rotaruc/ Roumanie, arrêt du4 mai 2000, para-graphe 55.

précision les vérifications auxquelles la police spé-ciale suédoise procédera à son sujet. Néanmoins,dans un système applicable à tous les citoyens...

[...] la loi doit user de termes assez clairs pour leur indi-quer [aux citoyens] de manière adéquate en quelles cir-constances et sous quelles conditions elle habilite lapuissance publique à se livrer à pareille ingérence se-crète, et virtuellement dangereuse, dans leur vie privéeet dans leur correspondance.

La législation en matière d’interceptiontéléphonique

Dans deux instances visant la France – l’affaireKruslin

95 et l’affaire Huvig

96 – la Cour dut se pronon-

cer sur la conformité de la législation française régis-sant les interceptions des entretiens téléphoniquespar la police à l’exigence de prévisibilité de l’ar-ticle 8 (2). Les Juges de Strasbourg estimèrent que :

Les écoutes et autres formes d’interception des entre-tiens téléphoniques représentent une atteinte grave aurespect de la vie privée et de la correspondance. Partant,elles doivent se fonder sur une « loi » d’une précisionparticulière. L’existence de règles claires et détaillées enla matière apparaît indispensable, d’autant que les pro-cédés techniques utilisables ne cessent de se perfection-ner.De ce point de vue, ils émirent l’opinion que le

droit français (écrit et non écrit) :[...] n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les

modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation desautorités dans le domaine considéré. Il en allait encoredavantage ainsi à l’époque des faits de la cause, desorte que M. Kruslin n’a pas joui du degré minimal deprotection voulu par la prééminence du droit dans unesociété démocratique.Dans l’affaire Rotaru c/ Roumanie

97, le requérant

se plaignait de la détention et de l’utilisation par leservice roumain de renseignements (SRI) d’unfichier contenant des données personnelles dontcertaines étaient fausses et diffamatoires. La ques-tion fondamentale était de savoir si la loi ayantautorisé l’ingérence était accessible au requérant etprévisible quant à ses résultats. La Cour relevad’emblée que le danger d’arbitraire apparaîtavec une netteté singulière là où un pouvoir del’exécutif s’exerce en secret avant de préciser :

Puisque l’application de mesures de surveillance secrètedes communications échappe au contrôle des intéresséscomme du public, la « loi » irait à l’encontre de la préé-minence du droit si le pouvoir d’appréciation accordé àl’exécutif ne connaissait pas de limites. En consé-quence, elle doit définir l’étendue et les modalitésd’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante –compte tenu du but légitime poursuivi – pour fournir àl’individu une protection adéquate contre l’arbitraire.

98

Il fallait donc déterminer si le droit interne dé-crit avec suffisamment de précision les circons-tances dans lesquelles le SRI peut détenir et utiliserdes informations relatives à la vie privée du requé-

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99 Rotaru c/ Roumanie, arrêtdu 4 mai 2000, para-graphe 57.

100 Herczegfalvy c/ Autriche,arrêt du 24 septembre1992.

101 Ibidem, arrêt du 24 sep-tembre 1992, para-graphe 91.

102 Silver c/ Royaume-Uni,arrêt du 25 mars 1983.

rant. Après avoir noté que la loi concernée prévoitla possibilité de recueillir, consigner et archiver desrenseignements touchant à la sécurité nationaledans des dossiers secrets, les Juges de Strasbourgrelevèrent qu’aucune disposition du droit interne nefixe les limites à respecter dans l’exercice de cesprérogatives et, en particulier ne précise :➤ le genre des informations pouvant être consi-

gnées ;➤ les catégories de personnes susceptibles de

faire l’objet des mesures de surveillance tellesque la collecte et la conservation de données ;

➤ les circonstances dans lesquelles peuvent êtreprises ces mesures ; ou

➤ la procédure à suivre.Le droit interne ne fixe pas non plus de limite

quant à l’ancienneté des informations détenues et ladurée de leur conservation

99. En outre, la Cour releva,

concernant les garanties nécessaires pour éviterl’usage arbitraire des prérogatives en matière de col-lecte et d’archivage d’informations, que le droit rou-main ne prévoit aucune procédure de contrôle, quece soit pendant que la mesure ordonnée est en vi-gueur ou après. Dès lors, les Juges de Strasbourg esti-mèrent que ce droit n’indiquait pas avec assez declarté l’étendue et les modalités d’exercice du pou-voir d’appréciation des autorités dans le domaineconsidéré, avant de conclure que la détention et l’uti-lisation par le SRI d’informations sur la vie privée durequérant n’étaient pas « prévues par la loi », ce qui

suffit à constituer une méconnaissance de l’article 8.

Les droits des détenus

Dans l’affaire Herczegfalvy c/ Autriche100

, l’exi-gence de prévisibilité fut considérée comme nonremplie par des décisions prises dans le cadre d’uneloi autrichienne autorisant le curateur d’un malademental à décider que la correspondance de ce der-nier devait lui être adressée. Les Juges de Strasbourgcommencèrent par relever que les prérogatives ducurateur étaient définies en termes très vagues,avant de dresser le constat suivant :

Il n’empêche qu’en l’absence de la moindre précisionquant au type de restrictions autorisées, à leur but, leurdurée, leur étendue et leur contrôle, les articles citésn’offrent pas, contre l’arbitraire, le degré minimal deprotection voulu par la prééminence du droit dans unesociété démocratique.

101

Partant, même si l’on peut admettre que destextes réglementaires, et non une loi, comble lesdétails relatifs au pouvoir légal, forcément étendu,d’interception des communications personnelles etprivées, cette pratique n’est tolérable que dans lamesure où les textes en question sont accessiblesaux personnes placées en détention. Ainsi, dansl’affaire Silver c/ Royaume-Uni

102, l’interruption de la

correspondance du requérant avait été décidéeconformément à des consignes diffusées aux direc-teurs de prison. Lesdites consignes n’ayant pas

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103 Niedbala c/ Pologne, arrêtdu 12 juillet 2000.

104 Ibidem, paragraphe 81.

force de loi et ne pouvant pas être consultées par lerequérant, l’ingérence au droit de ce dernier au res-pect de sa correspondance fut considérée commenon prévue par la loi et donc contraire à l’ar-ticle 8(2).

Les Juges de Strasbourg parvinrent plus récem-ment à une conclusion analogue en l’affaire Niedbalac/ Pologne

103. Le requérant, un détenu, se plaignait de

ce que sa lettre à l’Ombudsman avait été intercep-tée et bloquée pendant un certain temps, en viola-tion de l’article 8. Concernant le point de savoir sicette ingérence était prévue par la loi, comme l’exigel’article 8 (2), les Juges relevèrent un certain nombrede problèmes inhérents à la loi polonaise perti-nente :➤ L’absence de dispositions légales pouvant ser-

vir de base juridique au dépôt effectif d’une ré-clamation contre la censure de la correspon-dance de personnes placées en détentionpréventive.

➤ L’autorisation automatique de la censure de lacorrespondance des détenus par les autoritéschargées de conduire les procédures pénales.

➤ L’absence résultante de distinction entre lesdifférentes catégories de personnes avec les-quelles un détenu peut correspondre et, par-tant, la soumission de toutes les lettres, ycompris celles adressées à l’Ombudsman, à lacensure.

➤ L’absence dans les dispositions pertinentes

d’un énoncé des principes régissant l’exercicede cette censure et, en particulier, le fait quelesdites dispositions ne précisent ni les modali-tés, ni la durée de l’interception du courrier.

➤ Le fait que les autorités ne sont pas astreintesà révéler les motifs de l’interception du cour-rier, le pouvoir de censure leur étant automa-tiquement conféré

104.

Compte tenu de ce qui précède, la Courconclut donc que la loi polonaise n’indiquait pasavec une netteté raisonnable l’étendue et les moda-lités d’exercice du pouvoir d’appréciation accordéaux autorités publiques en matière de contrôle de lacorrespondance des détenus et constata, parconséquent, une violation de l’article 8 (2).

2.2.2 L’ingérence poursuit-elle un butlégitime ?

Dès lors qu’il est établi qu’une ingérence estprévue par la loi, la Cour poursuit son examen en sedemandant si elle poursuit un but légitime au sensde l’article 8 (2). Ce dernier énumère en effet uneliste des objectifs que l’Etat peut essayer d’invoquerpour se justifier. Par exemple, l’Etat peut avancerque :➤ la collecte et l’archivage d’informations sur des

personnes est « nécessaire à la sécurité natio-nale » ;

➤ l’interception de la correspondance des déte-

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31

105 Voir Open Door Counsel-ling c/ Irlande, arrêt du29 octobre 1992.

106 Handyside c/ Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre1976.

107 Olsson c/ Suède, arrêt du24 mars 1988.

nus concerne la « défense de l’ordre et à la pré-vention des infractions pénales » ;

➤ le retrait d’enfants d’un foyer violent ou le re-fus d’accorder la garde ou un droit de visite àl’un des parents s’inscrit dans le cadre de la« protection de la santé ou de la morale » ou dela « protection des droits et libertés d’autrui » ;

➤ l’expulsion ou la déportation d’une personne« est nécessaire au bien-être économique dupays ».Il incombe à l’Etat défendeur d’identifier le

ou les buts de l’ingérence et il est généralement enmesure d’invoquer un motif plausible, tant les justifi-cations potentielles énumérées dans le paragraphe 2sont formulées en termes vagues (les nécessités de lasécurité nationale, par exemple). Le requérant pré-tend d’ailleurs fréquemment que le motif invoqué parl’Etat n’est pas la « vraie raison » de l’ingérence,même si les Juges de Strasbourg n’acceptent pas faci-lement ce type d’arguments. En fait, ces Juges neprêtent généralement que peu d’attention aux motifsinvoqués par l’Etat pour justifier ses actions et re-groupe fréquemment les buts allégués – tels que laprotection de la santé ou de la morale ou la protec-tion des droits et libertés d’autrui – en un seul

105. Ain-

si, dans la plupart des affaires, la Cour accepte l’idéeque l’Etat agissait dans un but licite et rejette rare-ment le ou les buts légitimes identifiés, même lors-qu’ils sont contestés par le requérant.

2.2.3 L’ingérence est-elle nécessaire dansune société démocratique ?

La phase finale de l’examen à l’aune de l’ar-ticle 8 porte sur la détermination du caractère « né-cessaire » de l’ingérence dans une « sociétédémocratique ».

Signification de « nécessaire »

Il n’est certainement pas suffisant que l’Etat aitune raison de prendre les mesures constitutives del’ingérence. Concernant la signification du mot « né-cessaire », les Juges de Strasbourg ont expliqué,dans leur arrêt Handyside c/ Royaume-Uni

106, que cet

adjectif :[...] n’est pas synonyme d’« indispensable », mais n’apas non plus la souplesse de termes tels qu’« ad-missible », « normal », « utile », « raisonnable » ou« opportun ».La Cour a d’ailleurs eu l’occasion de préciser

son interprétation dans l’affaire Olsson c/ Suède107

:[...] la notion de nécessité implique une ingérence fon-dée sur un besoin social impérieux et notamment pro-portionnée au but légitime recherché.Toute interprétation excessivement étroite ou

large du terme « nécessaire » est donc rejetée par laCour qui applique plutôt une politique de propor-tionnalité.

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32

108 Dudgeon c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre1981, paragraphe 53.

109 Soering c/ Royaume-Uni,arrêt du 7 juillet 1989,paragraphe 87.

110 Soering c/ Royaume-Uni,arrêt du 7 juillet 1989.

111 Olsson c/ Suède, arrêt du24 mars 1988.

Caractère d’une société démocratique

Il peut paraître surprenant que les Juges deStrasbourg n’aient pas jusqu’à présent décrit dans ledétail ce qui constitue à leurs yeux les caractéris-tiques d’une société démocratique. Dans l’affaireDudgeon c/ Royaume-Uni

108, cependant, ils évoquent à

ce propos la tolérance et l’esprit d’ouverture. Dansle contexte de l’article 8, ils soulignent l’importancede la prééminence du droit dans une société démo-cratique et le besoin d’empêcher les ingérences ar-bitraires dans les droits reconnus par la Convention.En outre, d’après ces Juges, la Convention estconçue pour sauvegarder et promouvoir les idéauxet valeurs d’une société démocratique

109. Globale-

ment, cependant, l’action nécessaire dans une so-ciété démocratique se détermine, dans le contextede l’article 8, par rapport à l’équilibre atteint entreles droits de l’individu et l’intérêt public, en appli-quant le principe de proportionnalité.

Le principe de proportionnalité

Globalement, le principe de proportionnalitéreconnaît que les droits de l’homme ne sont pas ab-solus et que l’exercice des droits d’un individudoit toujours s’apprécier par rapport à l’intérêtpublic plus large. Il constitue l’un des moyens deparvenir à cet équilibre et son usage est désormaiscourant dans l’application de la Convention par les

Juges de Strasbourg. Ceux-ci ont notamment rappe-lé à plusieurs reprises que :

[...] le souci d’assurer un juste équilibre entre les exi-gences de l’intérêt général de la communauté et les im-pératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux del’individu est inhérent à l’ensemble de la Conven-tion.

110

Application du principe de proportionnalité àl’article 8

Dans son examen de la compatibilité des dé-cisions nationales avec l’article 8, la Cour appliquele critère de proportionnalité qui peut se résumercomme la vérification de l’équilibre entre lesdroits de l’individu et les intérêts de l’Etat. Iln’appartient cependant pas à la Cour de statuer enappel sur le fond des décisions rendues par les tri-bunaux nationaux. Son rôle consiste plutôt àexaminer l’ensemble de l’affaire afin de déter-miner si les autorités avaient des raisons« pertinentes » et des motifs « suffisants »pour prendre les mesures litigieuses

111.

L’évaluation de la proportionnalité de l’ingé-rence au but poursuivi est fréquemment un pro-cessus complexe impliquant la prise en comptede plusieurs facteurs, tels que : l’intérêt à proté-ger de l’ingérence, la gravité de l’ingérence et lebesoin social impérieux que l’Etat cherche à sa-tisfaire.

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112 Dudgeon c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre1981.

113 Voir plus haut.

➤ Concernant l’intérêt à protéger contre l’in-gérence, par exemple, la Cour a précisé, dansson arrêt Dudgeon c/ Royaume-Uni

112, qu’il fallait

des raisons particulièrement graves pourrendre légitime une ingérence dans le droitd’avoir des rapports sexuels en privé. Certainsdroits se voient donc inévitablement recon-naître une importance supérieure à d’autres, cequi complique singulièrement la justification detoute ingérence portant atteinte à leur exer-cice.

➤ Concernant la nature de l’ingérence, il estclair que plus sa portée et sa gravité sontgrandes, plus les raisons invoquées pour la jus-tifier doivent être impérieuses. Il faut notam-ment des motifs plus impérieux pour interdiretout contact entre un parent et un enfant placéque pour limiter simplement ce contact.

➤ Le besoin social impérieux auquel l’ingé-rence est censée répondre exige égalementune sérieuse évaluation et les mesures de pro-tection de la sécurité nationale se révèlent par-fois plus faciles à justifier que celles visant, parexemple, la défense de la morale. Il convient enoutre de noter que le caractère de la sociétédémocratique influe également sur cet exa-men, comme le prouvent les rappels constantsde la Cour de la nécessité de garanties proté-geant l’individu contre l’utilisation arbitraire dela puissance publique.

La marge d’appréciation

Il est clair que la Cour confère à l’Etat une cer-taine marge pour apprécier si une ingérence sousl’angle de l’article 8 est justifiée en vertu du para-graphe 2 de cette disposition. La marge ainsi concé-dée aux autorités nationales compétentes varie enfonction des circonstances, du sujet concernéet du contexte. Nous avons déjà vu que les facteurspris en compte pour déterminer l’étendue de cettemarge incluent : l’existence éventuelle d’une conver-gence entre les systèmes de droit respectifs desEtats contractants, la diversité de leurs coutumes,politiques et pratiques en la matière et le caractèreplus ou moins « sensible » des questions abor-dées

113.

En règle générale, par conséquent, l’étenduede la marge diffère selon le contexte. Elle est parti-culièrement ample concernant, par exemple,des domaines tels que la protection des mi-neurs ; la Cour a en effet relevé une diversité desapproches adoptées par les Etats contractants enmatière de prise en charge des enfants et d’inter-vention des autorités publiques dans la vie fami-liale, diversité qui l’incite à conférer une certainecompétence discrétionnaire à l’Etat dans ce do-maine. En outre, les Juges de Strasbourg sontégalement conscients de ce que, grâce à leurscontacts directs et constants avec les forcesvives de leurs pays, les autorités de l’État se

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114 Olsson (n° 2) c/ Suède,arrêt du 30 octobre 1992.

trouvent en principe mieux placées pour éva-luer les circonstances de chaque cas et déter-miner la meilleure conduite à tenir. Dans les affairesde placement d’enfant, notamment, les autoritésnationales bénéficient d’un contact direct avec lespersonnes concernées, dès le moment où des me-sures de protection sont envisagées ou juste après

leur mise en œuvre114

. L’Etat jouit donc d’une cer-taine compétence discrétionnaire concernant lamanière dont il entend respecter la vie privée et fa-miliale au titre de l’article 8 : une latitude qui se re-flète dans la manière dont les Juges de Strasbourgévaluent la proportionnalité entre l’ingérence et lebut poursuivi.

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115 Requête n° 5877/72,12 octobre 1972.

116 Friedl c/ Autriche, rapportde la Commission, 19 mai1994, p. 20.

Partie II : Le droit positif

La seconde partie de ce dossier décrit en détaille droit positif résultant de la jurisprudence des or-ganes de Strasbourg relative aux quatre droits pro-tégés par l’article 8 : respect de la vie privée etfamiliale, du domicile et de la correspondance. Plu-sieurs cas de figure n’ayant pas encore été exami-nés par ces organes, elle ne prétend pas àl’exhaustivité et se borne à indiquer si certaines me-sures et activités sont compatibles avec l’article 8.Les règles générales élaborées par la Cour dans sajurisprudence, telles qu’elles sont commentées ci-dessous, doivent être appliquées comme ilconvient.

Vie privée

La jurisprudence relative au droit au respect de lavie privée couvre tout un éventail de sujets allant durecueil et de la mémorisation d’informations, jusqu’àl’accès à des renseignements à caractère personnel,en passant par la réglementation de l’usage des nomspatronymiques et la protection de l’intégrité physiqueet morale. Les questions relatives à la correspondancedont certains aspects touchent la vie privée font l’ob-jet d’une section séparée à la fin de cette partie.

Réunion et stockage d’informations àcaractère personnel

La mesure dans laquelle l’Etat peut réunir, stoc-ker et utiliser des informations personnelles sur unindividu sans son consentement dépend de la com-patibilité des actions arrêtées avec l’article 8. Cesactions se répartissent généralement en deux caté-gories : réunion et stockage d’informations par lapolice dans le cadre de la prévention et de la répres-sion de la criminalité et constitution de dossiers parles services de sécurité en vue de protéger la sûretéde l’Etat.

Types des informations pouvant êtrecollectées et stockées par la police

Photographies

Pour savoir si des photographies d’individuspar la police constituent une intrusion dans leur vieprivée ou pas, il convient de se demander si ellesportent sur des scènes de la vie privée ou des inci-dents publics et si le service concerné comptait enfaire un usage limité ou, au contraire, les rendre ac-cessibles au grand public

115. L’affaire Friedl

c/ Autriche116

concernait des photographies prisespar la police de Vienne pendant et à la fin d’unemanifestation à laquelle le requérant avait partici-pé. Ces photographies permirent par la suite aux

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117 Requête n° 1307/61,4 octobre 1962, recueil 9,p. 53.

policiers d’établir l’identité du requérant et d’archi-ver ces données à caractère personnel dans undossier administratif relatif à ces événements. LaCommission refusa cependant de considérer cesactes comme portant atteinte au droit du requé-rant au respect de sa vie privée en faisant valoirtrois raisons :➤ Les autorités n’avaient pas pénétré dans le do-

micile du requérant pour y prendre les photo-graphies, de sorte qu’il n’y avait pas euintrusion dans le « cercle intime » de sa vieprivée.

➤ Les photographies avaient trait à un incidentpublic, à savoir une manifestation de plusieurspersonnes sur un lieu public à laquelle le requé-rant avait volontairement participé.

➤ Les photographies avaient été prises unique-ment dans le but d’enregistrer le caractère de lamanifestation et le comportement des partici-pants en vue de pouvoir éventuellementlancer plus tard des procédures d’enquêtepour des infractions commises par ces der-niers.Toutefois, dans sa conclusion finale, la Com-

mission attacha également une certaine importanceaux assurances du gouvernement selon lequel :

[...] la police n’a[vait] pas procédé à l’identification desmanifestants photographiés. De plus, les données per-sonnelles enregistrées et les photos ne furent introduitesdans aucun système informatique.

Dossiers relatifs à d’anciennes affaires pénales

La Commission a estimé que l’ingérencedans la vie privée d’un individu provoquée parla détention de dossiers relatifs à d’anciennesaffaires pénales est relativement légère et peutdonc être considérée comme nécessaire dans unesociété démocratique moderne en vue de luttercontre la criminalité

117. Dans l’affaire Friedl c/ Autriche,

les autorités avaient établi l’identité du requérant envue d’engager contre lui des poursuites pour infrac-tion au Code de la route, malgré l’abandon despoursuites en raison de la nature anodine des in-fractions commises. La Commission releva que lesinformations obtenues avaient uniquement été pla-cées dans un dossier administratif généralconsignant les événements en question etn’avaient pas été introduites dans un systèmeinformatique. Dans le cas contraire, la compatibili-té de l’ingérence avec l’article 8 aurait été remise enquestion.

Informations relatives à des activitésterroristes

Les informations que la police peut légitime-ment détenir dans ses dossiers portent à la fois surdes infractions commises dans le passé et sur desrenseignements obtenus à l’issue d’investigationsn’ayant donné lieu à aucune poursuite, ni fait naître

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118 McVeigh, O'Neill &Evans c/ Royaume-Uni,18 mars 1981, DR 24,p. 15.

119 Murray c/ Royaume-Uni,arrêt du 28 octobre 1994.

120 Leander c/ Suède, arrêt du26 mars 1987, para-graphe 59.

121 Leander c/ Suède, arrêt du26 mars 1987, para-graphe 60.

de soupçons raisonnables à l’égard de la perpétra-tion d’une infraction spécifique par l’individuconcerné. Ce deuxième type de mesures est autori-sé, en particulier, lorsque des considérations spé-ciales, telles que la lutte contre le terrorismeorganisé, peuvent justifier la conservation desdocuments concernés.➤ Dans l’affaire McVeigh c/ Royaume-Uni

118, les re-

quérants avaient été interrogés, fouillés, sou-mis à la dactyloscopie et photographiés dansle cadre de la législation antiterroriste. Ils pré-tendaient que la conservation ultérieure desdossiers concernés constituait une ingérencedans leur vie privée. Cependant, la Commis-sion accepta la thèse du gouvernement selonlaquelle ces informations s’inscrivaientdans le cadre des activités de renseigne-ment et la lutte contre le terrorisme corres-pondait à un besoin social impérieuxl’emportant sur les atteintes mineures auxdroits des requérants.

➤ Dans Murray c/ Royaume-Uni119

, les Juges deStrasbourg estimèrent que la consignation desrenseignements personnels du requérant et desa photographie (prise au moment de son ar-restation) pouvait être considérée commes’inscrivant dans les limites légitimes du pro-cessus d’enquête sur les crimes terroristes. Aleurs yeux, aucun renseignement personnelconsigné n’était hors de propos dans le cadre

des procédures d’arrestation et d’interrogation.Cet arrêt suggère que la Cour compte examinerla nature et l’étendue des informationsconsignées par la police et les forces desécurité, en tenant compte de l’ample marged’appréciation normalement conférée à l’Etatdans les affaires de ce genre.

Collecte d’informations à caractère person-nel en vue de protéger la sécurité nationale

La Cour accepte l’idée que, pour protéger la sé-curité nationale, les Etats aient besoin de lois autori-sant les autorités à recueillir et à mémoriser dansdes fichiers secrets des renseignements sur des per-sonnes

120. Il est en outre également acceptable que

les autorités puissent faire usage de ces informa-tions lors de l’évaluation des candidats à des postesimportants pour la sécurité nationale. Il incombenormalement à l’Etat d’identifier ces conditions ex-ceptionnelles et ces emplois spéciaux. Toutefois,dans des affaires de ce genre, la Cour a déclaréqu’elle devait se convaincre de l’existence de ga-ranties adéquates et suffisantes contre lesabus. Ceci, car un « système de surveillance secrètedestiné à protéger la sécurité nationale crée unrisque de saper, voire de détruire, la démocratie aumotif de la défendre »

121. Les Etats doivent donc

mettre en place un cadre adéquat de garanties of-frant un minimum de normes de protection afin

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122 Ibidem.123 Ibidem, paragraphe 62.

d’empêcher les abus de pouvoir des autoritéspubliques et la violation des droits protégés parl’article 8.

Garanties procédurales requises

Dans l’affaire Leander c/ Suède122

, la Cour évoquaen détail les caractéristiques des garanties procédu-rales requises pour protéger les droits détenus parun individu au titre de l’article 8. Le requérant seplaignait de n’avoir pu occuper un poste permanentet d’avoir été renvoyé d’un emploi provisoire àcause d’informations secrètes qui l’auraient présen-té comme dangereux pour la sécurité. Il alléguaitque tant la mémorisation que la communicationdesdites informations, assorties du refus de lui ac-corder la faculté de les réfuter, portaient atteinte àson droit au respect de sa vie privée, garanti par l’ar-ticle 8 (1). Tout en admettant que le système decontrôle du personnel constituait une ingérencedans la vie privée du requérant, les Juges deStrasbourg estimèrent – dans le cadre de leur ana-lyse des garanties mises en place pour protéger lespersonnes concernées contre des abus – qu’un telsystème était nécessaire dans une société démocra-tique.

Sur les douze garanties citées par le Gouverne-ment suédois comme de nature à assurer une pro-tection adéquate contre les abus, la Cour relevaplusieurs dispositions destinées à réduire au strict

minimum les effets de la procédure de contrôle dupersonnel :➤ Malgré la compétence discrétionnaire accor-

dée au Conseil national de la police concernantle type d’informations pouvant être entré dansle registre, cette fonction était réglementée parla loi et précisée par des circulaires.

➤ L’entrée des informations dans le registre depolice secret n’était possible que si celles-ciétaient nécessaires au service spécial de policeet destinées à prévenir et dépister les « infrac-tions contre la sécurité nationale ».

➤ Le texte législatif pertinent (une ordonnance)renfermait aussi des dispositions explicites etdétaillées sur la nature des renseignementspouvant être communiqués, les autorités des-tinataires, les circonstances de pareille com-munication et la procédure que le Conseilnational de la police devait suivre avant de s’ydécider.

➤ Enfin, l’usage des renseignements inscrits auregistre secret de la police dans d’autres do-maines que le contrôle du personnel se limitait,en pratique, à certains cas de poursuites pé-nales et à des affaires de naturalisation

123.

Dans cette affaire Leander c/ Suède, les Juges deStrasbourg attachèrent une grande importance aufait que le contrôle de la bonne marche du sys-tème incombait au Parlement et à des institu-tions indépendantes telles que le Chancelier de la

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Page 41: Le droit au respect de la vie privée et familiale

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124 Ibidem, paragraphe 65.125 Ibidem, paragraphe 65.126 Gaskin c/ Royaume-Uni,

arrêt du 7 juillet 1989.

Justice, le médiateur parlementaire et la Commis-sion parlementaire de la Justice

124.

En outre, concernant le fonctionnement duConseil national de la police, la Cour releva avec sa-tisfaction que les députés siégeant dans cet orga-nisme...

[...] participent à toute décision sur le point de sa-voir s’il faut ou non livrer des renseignements àl’autorité requérante. Spécialement, chacun d’euxpossède un droit de veto dont le jeu empêche auto-matiquement le Conseil de procéder à pareille com-munication. Seul le gouvernement peut alorsordonner celle-ci, mais uniquement s’il est saisi parle directeur de la police nationale ou à la demandede l’un des députés [...]. Ce contrôle direct et régu-lier sur l’aspect le plus important du registre – lacommunication d’informations – offre une garantieappréciable contre les abus.

125

L’application combinée des garanties atta-chées au système suédois de contrôle du personnelsuffisait donc, en l’occurrence, à satisfaire les exi-gences de l’article 8 (2). Globalement, les Juges deStrasbourg examinent les faits de chaque cause ets’abstiennent de faire référence aux systèmes insti-tués dans d’autres juridictions. Leur rôle en la ma-tière se borne à déterminer si le système examinémis en cause satisfait aux garanties minimales impo-sées par la Convention et instaure un certain équi-libre entre les exigences de la défense de la sociétédémocratique et les droits de l’individu.

Accès aux données à caractère personneldétenues par l’Etat

Il est fréquent que la requête porte davantagesur l’impossibilité pour la personne concernée d’ac-céder aux données la concernant, telles qu’ellessont détenues par l’Etat, que sur le principe de cettedétention. Dans Gaskin c/ Royaume-Uni

126, le requé-

rant, pris en charge à un très jeune âge et jusqu’à samajorité, désirait accéder à l’ensemble du dossierrelatif à la période où il avait vécu sous la responsa-bilité des services sociaux. Contrairement au requé-rant de l’affaire Leander, celui de l’affaire Gaskin nedénonçait certes pas le fait que des informationsaient été recueillies et mémorisées à son sujet : ilprotestait en revanche contre le défaut de lui don-ner libre accès aux dits renseignements qu’il assimi-lait à une violation de son droit au respect de sa vieprivée au titre de l’article 8. La Cour concéda bienvolontiers que les informations contenues dans ledossier concernaient la vie privée et familiale du re-quérant et que l’impossibilité d’y accéder soulevaitdes problèmes à l’aune de l’article 8. Elle se deman-da ensuite si un juste équilibre avait été atteint, enl’occurrence, entre d’une part l’intérêt général de lasociété (protection de la confidentialité des dossiersdes services sociaux) et les intérêts de l’individu (ac-cès aux informations concernant sa vie privée). Surce dernier point, les Juges de Strasbourg relevèrentque les personnes se trouvant dans la situation

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127 Ibidem, paragraphe 49.128 Doorson c/ Pays-Bas,

29 novembre 1993, DR75, p. 231.

du requérant ont un « intérêt primordial » à re-cevoir les renseignements qu’il leur faut pourconnaître et comprendre leur enfance et leursannées de formation. Concernant l’intérêt géné-ral, cependant, ils relevèrent également que le ca-ractère confidentiel des dossiers officiels revêtde l’importance si l’on souhaite recueillir desinformations objectives et dignes de foi. De cepoint de vue, ils estimèrent qu’un système subor-donnant l’accès aux dossiers à l’acceptation des in-formateurs peut en principe être tenu pour com-patible avec l’article 8, eu égard à la marged’appréciation de l’Etat. Des difficultés risquent ce-pendant de naître, concernant la protection des in-térêts de l’individu cherchant à consulter des piècesrelatives à sa vie privée et familiale, quand un infor-mateur n’est pas disponible ou refuse abusive-ment son accord. D’après les Juges de Strasbourg,un tel système ne cadre donc avec le principe deproportionnalité que...

[...] s’il charge un organe indépendant, au cas où uninformateur ne répond pas ou ne donne pas sonconsentement, de prendre la décision finale sur l’ac-cès.

127

En l’absence d’une telle procédure, il y a doncviolation de l’article 8.

Divulgation de données à caractèrepersonnel à des tiers ou au public

La protection des données à caractère person-nel revêt une importance fondamentale pour lajouissance du droit à une vie privée, de sorte que ladivulgation de ces renseignements au public ou àdes tiers constitue une ingérence moins difficile àjustifier que leur simple mémorisation. En général,l’intérêt public associé à la divulgation doitl’emporter sur le droit de l’individu au respectde sa vie privée, compte tenu du but poursuivi etdes garanties entourant les modalités de la révéla-tion.

Divulgation dans le cadre de l’enquête et del’instruction d’une affaire pénale

Dans l’affaire Doorson c/ Pays-Bas128

, la Com-mission devait décider si l’ingérence dans la vieprivée résultant de la présentation de la photogra-phie (extraite des dossiers de la police) du requé-rant à des tiers était justifiée sous l’angle del’article 8 (2). Les Juges de Strasbourg estimèrentque cette ingérence qui visait à prévenir la crimina-lité était proportionnée à ce but pour les raisonssuivantes :➤ la photographie ne fut utilisée que dans le

cadre de l’enquête ;➤ elle ne fut pas accessible au grand public ;

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129 Z. c/ Finlande, arrêt du25 février 1997.

130 Ibidem.

➤ elle avait été prise légalement par la police aucours d’une arrestation précédente et, parconséquent, sans intrusion dans la vie privéede l’intéressé.

Divulgation par la police à la presse

La révélation à la presse par la police des dé-tails d’une arrestation peut poser des problèmes enfonction des circonstances de la cause. En 1995, unrequérant se plaignit de ce que des détails apparusdans la presse, à la suite de son arrestation poursuspicion d’attentat à la pudeur sur la personned’un jeune garçon, et notamment l’allusion à laconfiscation à son domicile de nombreux docu-ments de pornographie juvénile, violaient son droitau respect de la vie privée. Il contestait la véracitédes détails divulgués à la presse par les policiers etse plaignait de ce que certains détails supplémen-taires révélés par ces derniers étaient de nature àpermettre à ses voisins de l’identifier. La Commis-sion estima qu’à supposer que pareil comporte-ment constituât une ingérence, celle-ci étaitjustifiée dans la mesure où les révélations résu-maient les événements survenus : elles s’inscri-vaient donc dans le cadre de la poursuite du butlégitime qu’est l’information du public concernantdes questions d’intérêt général.

Divulgation de données médicales etviolation de leur caractère confidentiel

Pour la Cour, le respect du caractère confi-dentiel des informations sur la santé constitueun principe essentiel du système juridique detoutes les Parties contractantes à la Conven-tion

129. Il est capital non seulement pour protéger la

vie privée des malades, mais également pour préser-ver leur confiance dans le corps médical et les ser-vices de santé en général. Faute d’une telleprotection, les personnes nécessitant des soins mé-dicaux pourraient en effet être dissuadées de fournirles informations à caractère personnel et intime né-cessaires à la prescription du traitement appropriéet même de consulter un médecin. Pareille réactionpourrait mettre en danger leur santé voire, dans lecas des maladies transmissibles, celle de la collecti-vité.

Dans quelles circonstances peut-on divulguer desdonnées médicales ?

Dans Z. c/ Finlande130

, la requérante se plaignaitde ce que des détails relatifs à son état de santé, ycompris sa séropositivité, avaient été divulgués dansle cadre d’un procès criminel devant une cour d’ap-pel. Elle arguait donc d’une violation de son droit aurespect de sa vie privée au titre de l’article 8. Les Jugesde Strasbourg, pour leur part, estimèrent que :

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131 Z. c/ Finlande, arrêt du25 février 1997, para-graphe 96.

132 MS c/ Suède, arrêt du27 août 1997.

Compte tenu du caractère extrêmement intime et sen-sible des informations se rapportant à la séropositivité,toute mesure prise par un Etat pour contraindre à com-muniquer ou à divulguer pareil renseignement sans leconsentement de la personne concernée appelle un exa-men des plus rigoureux de la part de la Cour, qui doitapprécier avec un soin égal les garanties visant à assu-rer une protection efficace.

131

La Cour admit parallèlement que la protectionde la confidentialité des données médicales,qui est dans l’intérêt du patient comme de lacollectivité dans son ensemble, peut parfois s’ef-facer devant la nécessité d’enquêter sur des infrac-tions pénales, d’en poursuivre les auteurs et deprotéger la publicité des procédures judiciaires.Chaque affaire doit donc être examinée séparémenten tenant compte de la marge d’appréciation confé-rée à l’Etat dans le domaine en cause.

Les Juges de Strasbourg conclurent dansZ. c/ Finlande que la divulgation du dossier médicalde la requérante était « nécessaire » au sens de l’ar-ticle 8 (2) dans le cadre du procès où elle intervenaiten qualité de témoin. Cependant, ils précisèrent quela publication du nom du témoin et de sa séro-positivité dans l’arrêt de la cour d’appel ne sejustifiait par aucun motif impérieux. Ils rele-vèrent également une violation de l’article 8 de laConvention dans la décision de rendre le dossier ju-diciaire – y compris les détails relatifs à l’état de san-té de la requérante et à sa séropositivité – accessible

au public au bout de dix ans : un délai au bout du-quel l’intéressée avait des chances d’être encore envie.

Divulgation de données médicales à unecompagnie d’assurance

Dans MS c/ Suède132

, les Juges de Strasbourg es-timèrent légitime la transmission par des servicesmédicaux étatiques à la Caisse de sécurité socialedes détails relatifs aux antécédents médicaux du re-quérant qui réclamait le versement d’une allocation.Cette mesure était en effet proportionnée, car lesdétails transmis étaient pertinents dans le cadre del’examen de la demande d’allocation, leur caractèreconfidentiel était protégé et le personnel informéétait passible de poursuites civiles et pénales en casd’abus.

NomsApproche de la Cour

Bien que les questions relatives à la réglemen-tation des noms patronymiques relèvent du champde la vie privée et familiale protégée par l’article 8, lefait que les Juges de Strasbourg n’aient jamais relevéde violation dans ce domaine suggère qu’ils n’at-tachent pas grande importance à cet aspect du

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133 Burghartz c/ Suisse, arrêtdu 22 février 1994.

droit protégé. Tout d’abord, étant donné la grandediversité entre les Etats contractants concernant lesrestrictions pesant sur le choix et le changementd’un nom, la Cour confère une ample marge d’ap-préciation aux autorités nationales. En outre, elle adéclaré que certaines considérations reconnuesd’intérêt public pouvaient justifier les restric-tions pesant sur le choix et le changement d’unnom. Il s’agit notamment de :➤ l’importance accordée à la stabilité des noms

de famille,➤ la nécessité d’un enregistrement exact de la

population,➤ la sauvegarde des moyens d’identification per-

sonnelle,➤ la possibilité de relier à une famille les porteurs

d’un nom donné.Cependant, bien que de telles restrictions

soient reconnues compatibles avec le respect de lavie privée, l’application de règles différentes auxhommes et aux femmes mariés est considéréecomme une discrimination fondée sur le sexe et in-compatible avec les articles 14 et 8 combinés

133.

Changement de prénom

Dans l’affaire Sterjna c/ Finlande, le requérant fin-landais se plaignait de ce que la législation finlan-daise lui interdisait de changer son prénom, portantainsi atteinte à ses droits au titre de l’article 8. En

particulier, il prétendait que ledit prénom, d’originesuédoise, était difficile à prononcer pour des Finlan-dais, ce qui entraînait du retard dans la remise deson courrier et lui valait un sobriquet. La Cour netrouva pas les sources de désagrément dénoncéespar le requérant suffisantes pour poser une questionde manquement au respect de la vie privée sousl’angle du paragraphe 1 et fit remarquer que denombreux patronymes se prêtent à des déforma-tions ou à un sobriquet.

Enregistrement des prénoms

Dans Guillot c/ France, la Cour estima que l’inter-diction par le service de l’état civil d’inscrire une en-fant sous le prénom « Fleur de Marie » étaitcompatible avec l’article 8. Ils furent influencés parle fait que l’enfant pourrait parfaitement utiliser leditprénom dans tous ses rapports privés ou comme si-gnature en dehors des actes officiels. Les Juges deStrasbourg estimèrent en outre que les désagré-ments éventuels inhérents à l’usage d’un prénomdifférent dans les actes officiels et la vie socialen’étaient pas suffisants pour poser une question demanquement au respect de la vie privée et familialesous l’angle de l’article 8 (1).

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134 X. & Y. c/ Pays-Bas, arrêtdu 26 mars 1985.

135 Voir plus haut.136 Herczegfalvy c/ Autriche,

arrêt du 24 septembre1992.

Intégrité physique etmorale

Dans quelles circonstances l’article 8génère-t-il des obligations positives ?

Il est bien établi que l’Etat peut assumer uneobligation positive de protection des personnescontre les atteintes à leur intégrité physique et mo-rale. L’affaire X. & Y. c/ Pays-Bas

134 concernait l’inca-

pacité juridique d’une handicapée mentale de seizeans de contester la décision du procureur public dene pas intenter de poursuites pénales contrel’homme soupçonné de l’avoir violé. La requérantesoutenait que ce refus portait atteinte à ses droitsreconnus par l’article 8. Dans leur réponse, les Jugesde Strasbourg relevèrent que les obligations posi-tives peuvent impliquer, pour l’Etat, l’adoption demesures visant au respect de la vie privée jusquedans les relations des individus entre eux. Sur lefond, ils estimèrent insuffisante la protection dudroit civil dans le cas de méfaits du type decelui dont Y se prétendait victime, étant donnéleur caractère grave et violent. De plus, en raisond’une lacune du droit pénal, la législation ne confé-rait aucune protection à la requérante : une situa-tion analysée comme un manquement de l’Etat àson obligation de protéger le droit de l’intéressée à

son intégrité physique et, partant, comme une vio-lation de l’article 8

135.

Un traitement médical peut-ilconstituer une violationde l’article 8 ?

La plupart des interventions médicales consti-tuent une ingérence dans l’intégrité physique consi-dérée comme un aspect de la vie privée, mais sontjustifiées par le besoin de protéger la santé et lesdroits de la société en général ou de l’individu sou-mis au traitement. Par exemple, concernant le pro-blème de l’alimentation forcée tel qu’il futsoulevé dans l’affaire Herczegfalvy c/ Autriche

136, les

Juges de Strasbourg estimèrent ce traitement liti-gieux compatible avec le respect de la vie privée durequérant car, d’après les principes psychiatriquescommunément admis à l’époque, il répondait à unimpératif médical.

Les fouilles corporelles sont-ellescompatibles avec le respect de la vieprivée ?

Les fouilles corporelles, y compris les examensrectaux, effectuées pour des raisons de sécuritésont généralement estimées compatibles avec l’ar-ticle 8, bien que de telles mesures constituent nor-malement une ingérence dans le droit au respect à

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45

137 Requête n° 8317/78,McFeeley c/ Royaume-Uni, 15 mai 1980.

138 Dudgeon c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre1981.

139 Norris c/ Irlande, arrêt du26 octobre 1988.

la vie privée. Néanmoins, les ingérences de ce typesont généralement admissibles, compte tenu desexigences raisonnables et ordinaires de la viecarcérale : un environnement pouvant justifier, aunom de la prévention de la criminalité et des dés-ordres, des ingérences plus graves que celles tolé-rées pour les personnes en liberté. Dans McFeeleyc/ Royaume-Uni

137, par exemple, des fouilles cor-

porelles fréquentes furent estimées néces-saires en raison des exigences de sécuritéexceptionnelles prévalant dans la prison deMaze située en Irlande du Nord. Ceci, parce quedes objets dangereux avaient été infiltrés à plusieursreprises dans l’établissement. La Commission esti-ma que, malgré le caractère particulièrement humi-liant de ces fouilles, elles n’étaient pas effectuéesdans l’intention d’abaisser délibérément les dé-tenus, surtout en raison de l’absence de contactphysique et de la présence d’un troisième fonction-naire en vue d’éviter les abus.

La pénalisation de l’homosexualitéest-elle compatible avec l’article 8 ?

L’arrêt Dudgeon c/ Royaume-Uni138

permit d’énon-cer un principe important : un comportementsexuel privé, qui est un élément essentiel de la vieprivée intime, ne peut pas être interdit au seul motifqu’il risque de choquer ou de blesser des tiers. Dansune sphère aussi intime de la vie privée, les ingé-

rences ne peuvent être justifiées que par desraisons particulièrement graves. Les Juges deStrasbourg ont souligné à plusieurs reprises, dans cecontexte, deux des caractéristiques essentielles dela société démocratique : la tolérance et l’espritd’ouverture. En l’occurrence, ils estimèrent parconséquent que la prohibition pénale de rapportshomosexuels auxquels se livreraient en privé deshommes adultes capables d’y consentir constituaitune atteinte injustifiée au droit du requérant au res-pect de sa vie privée.

Dans l’affaire Norris c/ Irlande139

, la Cour parvint àla même conclusion concernant la législation irlan-daise érigeant le comportement homosexuel en in-fraction pénale et rejeta l’argument tendant àconférer une compétence discrétionnaire étendueen matière de protection de la morale dans une so-ciété particulière. Néanmoins, les Juges deStrasbourg estimèrent nécessaire de laisser auxEtats contractants une marge d’appréciationconcernant les garanties appropriées à mettreen place, y compris l’âge du consentement, pourprotéger la jeunesse.

Un comportement sexuel privé peut-il être réglementé dans certains cas ?

La mesure dans laquelle un comportementsexuel privé peut être réglementé a été récemmentexaminée par la Cour. Les requérants dans l’affaire

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140 Laskey, Jaggard & Brownc/ Royaume-Uni, arrêt du19 février 1997.

141 ADT c/ Royaume-Uni,arrêt du 31 juillet 2000.

Laskey, Jaggard & Brown c/ Royaume-Uni140

avaient étépoursuivis pour s’être livrés à des activités sadomaso-chistes en groupe et se prétendaient par conséquentvictimes d’une violation de leur droit à une vie privéeau titre de l’article 8. Les Juges de Strasbourg se de-mandèrent si de telles actions pouvaient être consi-dérées comme un aspect de la vie privée au titre decette disposition et estimèrent superflu de trancher,dans la mesure où, en tout état de cause, la pour-suite d’agissements tels que des coups et bles-sures volontaires, en dépit du consentement desvictimes adultes, était justifiée dans le cadre dela protection de la santé, compte tenu de la natureextrême des actes concernés.

Dans l’affaire ADT c/ Royaume-Uni141

, les Juges deStrasbourg devaient déterminer si la poursuite durequérant pour enregistrement de ses activitéssexuelles sur des cassettes vidéo constituait une in-gérence injustifiée dans son droit au respect de savie privée. Bien que d’accord avec le gouvernementdéfendeur pour estimer que les activités sexuelles sedéroulent parfois d’une manière telle que l’interfé-rence de l’Etat peut se justifier, les Juges établirentque ce n’était pas le cas en l’espèce. En particulier,ils relevèrent que les activités sexuelles du requérantn’impliquaient qu’un nombre restreint d’amis dansdes circonstances telles que la découverte des faitspar des tiers demeurait extrêmement peu probable.Bien que les ébats aient été enregistrés sur des cas-settes vidéo, la Cour estima utile de relever que le

requérant avait été poursuivi pour les activités elles-mêmes et non pour leur enregistrement sur des cas-settes ou le risque de voir ces dernières entrer dansle domaine public. Les activités visées étaientdonc purement « privées », à savoir que l’Etat dis-posait en l’espèce d’une faible marge d’apprécia-tion comme c’est toujours le cas dans des affairesrelevant des aspects intimes de la vie privée.Compte tenu de ces facteurs, les Juges deStrasbourg conclurent que le maintien de la législa-tion en vigueur, tout comme la poursuite et l’incul-pation du requérant, étaient disproportionnés aubut de protection de la morale et des droits et liber-tés des tiers au titre de l’article 8 (2).

Refus de reconnaître la nouvelleidentité des transsexuels

Selon la Cour, le désir des transsexuels d’obtenirla reconnaissance de leur changement de sexe et dejouir d’autres droits conventionnels soulève des ques-tions juridiques, sociales, médicales et éthiques. Enl’absence d’un consensus clair au sein des Etatscontractants sur la faculté de changer leur état civilpour l’adapter à leur identité nouvellement acquise,les Juges de Strasbourg accordent une ample marged’appréciation dans ce domaine et se refusent inva-riablement à reconnaître que le respect de la vieprivée requiert la modification des certificats denaissance afin de tenir compte du changement

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142 Rees c/ Royaume-Uni,arrêt du 17 octobre 1986 ;Cossey c/ Royaume-Uni,arrêt du 27 septembre1990 ; Sheffield et Hors-ham c/ Royaume-Uni,arrêt du 30 juillet 1998.

143 Golder c/ Royaume-Uni,arrêt du 17 juin 1971.

de sexe d’un transsexuel142

. Ce faisant, ils acceptentl’argument faisant valoir que le système d’état civil re-pose sur l’enregistrement des faits au moment mêmeet que toute modification ultérieure équivaudrait à unefalsification. Ils reconnaissent aussi que les mesuresprotégeant les transsexuels de la divulgation de leurchangement de sexe risquent d’avoir des effets né-fastes, y compris le risque possible de confusion et decomplication des affaires relevant du droit de la familleou des successions. Et les Juges de Strasbourg deconclure que, dans la pondération de l’intérêt gé-néral de la société et des intérêts de l’individu, labalance penche en faveur de l’intérêt général.Ceci est particulièrement vrai dans les Etats où lestranssexuels peuvent modifier leur prénom et leursdocuments officiels. En dépit de sa jurisprudence, ce-pendant, la Cour admet la gravité des problèmes aux-quels les transsexuels sont confrontés dans cedomaine et reconnaît par conséquent la nécessité desuivre l’évolution de la situation.

Vie privée etcorrespondance

L’interception des communications, sous laforme de la mise sur écoute d’un téléphone ou del’interruption du courrier, est généralement assimi-

lée à une ingérence dans plusieurs intérêts protégéspar l’article 8 (1) et plus particulièrement le droit aurespect à la vie privée et à la correspondance. Lesquestions litigieuses inhérentes à ce type d’affaires,telles que nous en avons déjà examiné un certainnombre dans les pages précédentes, portent inva-riablement sur la capacité du requérant à prouverl’existence de l’ingérence contestée et/ou la confor-mité de cette dernière à la loi (l’une des conditionsposées par l’article 8 (2)). Les paragraphes suivantsexpliquent dans quelle mesure l’interception descommunications peut apparaître compatible avec lerespect de la vie privée et de la correspondance.

Interception d’un envoi postal

Les détenus sont-ils fondés à exiger le respect deleur correspondance au titre de l’article 8 ?

Alors que ses premiers arrêts semblaient ad-mettre l’existence de restrictions implicites à l’exer-cice des droits conventionnels par les détenus, laCour a rejeté cet argument dans l’affaire Golderc/ Royaume-Uni

143. Elle a cependant admis que la

« nécessité » de l’ingérence dans l’exercice dudroit d’un détenu condamné au respect de sacorrespondance doit s’apprécier en tenantcompte des exigences ordinaires et raison-nables de la vie carcérale. Néanmoins, concer-nant les faits, les Juges de Strasbourg considèrent

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144 Campbell c/ Royaume-Uni, arrêt du 25mars1992.

145 Campbell c/ Royaume-Uni, arrêt du25 mars1992, para-graphe 48.

146 Ibidem.147 Ibidem.

que la décision d’empêcher un détenu de corres-pondre avec son conseil constitue une violation del’article 8.

Quand et comment les autorités sont-ellesautorisées à intercepter la correspondance desdétenus ?

Dans Campbell c/ Royaume-Uni144

, le requérant seplaignait que les lettres qu’il envoyait à son avocatet à la Commission ou recevait de ceux-ci étaientouvertes et lues par les autorités de la prison. Cetarrêt fournit à la Cour l’occasion de préciser quandet comment les autorités sont autorisées à intercep-ter la correspondance des détenus. Les Juges deStrasbourg rappelèrent d’abord que la correspon-dance avec des avocats est privilégiée sous l’anglede l’article 8, surtout dans le cadre d’une prison où ilest parfois plus difficile pour un défenseur de rendrevisite à son client, notamment en raison de l’éloi-gnement géographique. Ils relevèrent ensuite l’in-compatibilité de l’objectif poursuivi, la confidentiali-té des relations avec l’avocat, avec le contrôleautomatique de ladite correspondance. Par consé-quent, toute ingérence de ce type requiert unesolide justification.

D’après la Cour, la protection spéciale ac-cordée par la Convention à la correspondanceentre un détenu et son avocat signifie que lesautorités pénitentiaires peuvent ouvrir la lettre d’un

avocat à un détenu uniquement :[...] si elles ont des motifs plausibles de penser qu’il yfigure un élément illicite non révélé par les moyens nor-maux de détection.

145

Même dans ce cas, la lettre doit être décache-tée et non lue et des garanties adéquates mises enplace pour empêcher sa lecture : ouverture en pré-sence du détenu, par exemple.

Concernant la lecture du courrier échangéentre un détenu et son avocat, la Cour estime quecette pratique ne devrait être autorisée quedans des cas exceptionnels, notamment...

[...] si les autorités ont lieu de croire à un abus du pri-vilège en ce que le contenu de la lettre menace la sécuri-té de l’établissement ou d’autrui ou revêt un caractèredélictueux d’une autre manière.

146

Pour les Juges de Strasbourg, la « plausibilité »des motifs dépendra de l’ensemble des circons-tances, mais elle présuppose...

des faits ou renseignements propres à persuader un ob-servateur objectif que l’on abuse de la voie privilégiée decommunication.

147

Alors que le gouvernement prétendait que l’oc-troi d’un statut spécial au courrier entre un détenuet son défenseur créerait un risque d’abus, la Courestima que le besoin de respecter la confidenti-alité qui s’attache aux relations avocat-clientprévaut sur la simple éventualité d’abus. Parconséquent, l’interception de la correspondanceentre un détenu et son avocat ressort clairement

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49

148 Schönenberger & Durmazc/ Suisse, arrêt du 20 Juin1998.

149 Golder c/ Royaume-Uni,arrêt du 17 juin 1971,paragraphe 45.

150 Silver c/ Royaume-Uni,arrêt du 25 mars 1983.

151 Boyle & Rice c/ Royaume-Uni, arrêt du 27 avril1988.

d’une ingérence dans les droits reconnus par l’ar-ticle 8, ingérence qui ne peut se justifier que dansdes circonstances exceptionnelles.

Les mêmes règles s’appliquent-elles à lacorrespondance des personnes en détentionpréventive ?

Selon l’arrêt Schönenberger & Durmaz c/ Suisse148

,les mêmes principes s’appliquent à la correspon-dance entre un avocat et une personne en déten-tion préventive. Dans cette affaire, les requérantsne reprochaient pas aux autorités suisses compé-tentes d’avoir pris connaissance du contenu de lalettre, mais de ne pas avoir transmis celle-ci à sondestinataire, en violation de l’article 8. La justifica-tion du gouvernement pour refuser l’acheminementtenait à ce que la lettre donnait à l’intéressé desconseils de nature à contrecarrer la bonne marched’une procédure pénale pendante. En effet, laditelettre informait M. Durmaz de son droit à se refuserà toute déclaration : une tactique, licite en elle-même puisque, d’après la jurisprudence du Tribunalfédéral suisse dont l’équivalent se rencontre dansd’autres Etats contractants, il est loisible à un incul-pé de garder le silence. L’interception de la corres-pondance fut donc jugée incompatible avecl’article 8.

La correspondance privée des détenus peut-elleêtre interceptée ?

L’admissibilité de l’interception de la corres-pondance privée de détenus dépend largement ducontenu de celle-ci. La défense de l’ordre et la pré-vention des infractions pénales au titre de l’ar-ticle 8 (2), par exemple, pouvant « justifier desingérences plus amples à l’égard d’un tel détenu qued’une personne en liberté »

149, un certain contrôle

de cette correspondance n’est pas fondamentale-ment incompatible avec la Convention. L’affaireSilver c/ Royaume-Uni

150, par exemple, illustre bien la

manière dont l’interception de lettres contenant desmenaces de recours à la violence ou commentantdes infractions commises par des tiers peut être es-timée nécessaire dans une société démocratique autitre de l’article 8 (2). D’un autre côté, il est injusti-fiable sous l’angle de l’article 8 d’intercepter deslettres privées « visant à attirer le mépris sur lesautorités » ou usant « de termes délibérément inju-rieux pour les autorités pénitentiaires ». Selon laCour, les mesures ne poursuivant pas ces buts outout autre but énoncé dans la disposition ne sontpas tolérables et l’interception d’une correspon-dance purement personnelle et privée est doncincompatible avec la Convention

151.

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50

152 Klass et autresc/ Allemagne, arrêt du6 septembre 1978, para-graphe 48.

153 Klass et autresc/ Allemagne, arrêt du6 septembre 1978, para-graphe 50.

154 Ibidem.

Opérations de surveillance secrète

Tout en reconnaissant que des services de ren-seignement puissent légitimement exister dans unesociété démocratique, la Cour a clairement fait sa-voir que la surveillance secrète des citoyens n’étaittolérable – sous l’angle de la Convention – quedans la mesure où elle apparaît strictement né-cessaire à la sauvegarde des institutions démo-cratiques. De ce point de vue, les Juges deStrasbourg admettent que les sociétés démocra-tiques sont menacées par des formes extrêmementperfectionnées d’espionnage et par le terrorisme :l’Etat doit donc être en mesure, pour parer effecti-vement à ces menaces, de procéder à la surveillancesecrète d’éléments subversifs opérant au sein de sajuridiction. Les Juges ont donc été tenus de concé-der que :

[...] l’existence de dispositions législatives accordant despouvoirs de surveillance secrète de la correspondance,des envois postaux et des télécommunications est, de-vant une situation exceptionnelle, nécessaire dans unesociété démocratique à la sécurité nationale et/ou à ladéfense de l’ordre et à la prévention des infractions pé-nales.

152

Garanties requises

L’Etat jouit d’une compétence discrétionnaireconcernant les modalités de fonctionnement de ce

système de surveillance, mais ses pouvoirs en lamatière ne sont pas illimités. Comme pour lesautres activités secrètes, par conséquent, et quelque soit le système retenu, la Cour doit seconvaincre de l’existence de garanties adé-quates et suffisantes contre les abus. Pour lesJuges de Strasbourg, cependant, cette appréciationne revêt qu’un caractère relatif :

[...] elle dépend de toutes les circonstances de la cause,par exemple la nature, l’étendue et la durée des me-sures éventuelles, les raisons requises pour les ordon-ner, les autorités compétentes pour les permettre,exécuter et contrôler, le type de recours fourni par ledroit interne.

153

Dans l’affaire Klass et autres c/ Allemagne154

, laCour devait trancher la question de savoir si l’ouver-ture des lettres et le placement de tables d’écoute(des pratiques autorisées par la législation alle-mande en vue de protéger la sécurité nationale etde prévenir les désordres et la criminalité) violaientles droits reconnus au requérant par l’article 8 (1),dans la mesure où elles n’étaient pas assorties degaranties adéquates contre les abus. Concernant laprotection requise, les Juges de Strasbourg rele-vèrent que, en principe, un contrôle juridiction-nel de la surveillance était souhaitable. Ilsapprouvèrent toutefois le système allemand, alorsque celui-ci confiait le contrôle des mesures nonpas aux tribunaux mais à un comité parlementaire età une commission, dite G 10, nommée par celui-ci.

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Page 53: Le droit au respect de la vie privée et familiale

51

155 Marckx c/ Belgique, arrêtdu 13 juin 1979.

156 Ibidem, paragraphe 31.157 Johnston c/ Irlande, arrêt

du 18 décembre 1986.

Ceci, parce qu’ils étaient convaincus de l’indépen-dance de ces deux organes à l’égard des autori-tés chargées de la surveillance et de l’octroi à leursmembres de pouvoirs et attributions suffisantspour exercer un contrôle efficace et perma-nent. Dans leur conclusion, les Juges estimèrent parconséquent que, compte tenu des progrès tech-niques réalisés en matière d’espionnage et parallè-lement de surveillance, ainsi que du développementdu terrorisme en Europe, le système allemand desurveillance secrète répondait aux exigences de l’ar-ticle 8 de la Convention.

Vie familiale

A partir du moment où la preuve est apportéede l’existence d’une vie familiale au sens de l’ar-ticle 8, celle-ci est protégée dans un certain nombrede domaines.

Reconnaissance juridique des liensde famille

Mère célibataire et son enfant

La Cour a établi dans son arrêt Marckxc/ Belgique

155 que la vie familiale entre une mère céli-

bataire et son enfant résultait de la naissance mêmede ce dernier et du lien biologique qu’elle engen-drait. Cela signifie que la transformation automa-tique et immédiate de ce lien biologique en unlien juridique est essentielle pour garantir lerespect de la vie familiale sous l’angle de l’ar-ticle 8. Le fait que les moyens de la reconnaissancevarient d’un Etat contractant à l’autre explique lamarge d’appréciation accordée aux autorités natio-nales concernant ses modalités pratiques. Cepen-dant, le « respect de la vie familiale implique enparticulier, aux yeux de la Cour, l’existence endroit national d’une protection juridique ren-dant possible dès la naissance l’intégration del’enfant dans sa famille »

156. Les Juges de

Strasbourg estiment aussi que le droit interne de lafamille doit permettre à toutes les parties concer-nées de « mener une vie familiale normale ».

Position de l’enfant né de parents non mariés

Dans l’affaire Johnston c/ Irlande157

, les Juges deStrasbourg relevèrent que le développement nor-mal des liens familiaux naturels entre des pa-rents non mariés et leur enfant exige que cedernier soit placé, juridiquement et sociale-ment, dans une position voisine de celle d’unenfant légitime. Traiter des enfants différemmenten vertu du statut matrimonial de leurs parents estdonc interdit en vertu de l’article 8 combiné avec

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158 X., Y. & Z. c/ Royaume-Uni, arrêt du 22 avril1997.

159 Ibidem, paragraphe 44.160 Ibidem, paragraphe 52.

l’article 14 (prohibant toute disposition discrimina-toire).

Position de l’enfant né par insémination artificielleavec donneur (« IAD »)

Tous les parents et leurs enfants ne sont pasfondés à obtenir la reconnaissance de leurs liens fa-miliaux naturels au titre de l’article 8, même si lesexceptions éventuelles doivent être justifiéespar l’intérêt supérieur de l’enfant en vertu du pa-ragraphe 2. Dans l’affaire X, Y & Z c/ Royaume-Uni

158,

la Cour refusa de reconnaître que le respect de la viefamiliale menée par un transsexuel converti du sexeféminin au sexe masculin, son partenaire et leur fillenée par insémination artificielle avec donneur(« IAD ») exigeait l’inscription du transsexuel à la ru-brique « père » sur le certificat de naissance de l’en-fant. Elle fonda sa décision sur l’absence de normeeuropéenne en matière d’octroi des droits paren-taux aux transsexuels et de traduction sur le plan ju-ridique de la réalité sociale de la relation unissant unenfant conçu par IAD et la personne assumant lerôle social du père

159. Ce manque de consensus ex-

plique que l’Etat jouisse d’une large marge d’appré-ciation lorsqu’il met en balance les droits del’individu, d’une part, et l’intérêt de la société dansson ensemble, d’autre part. La société ou l’intérêtpublic dépendent du maintien d’un système co-hérent de droit de la famille tenant compte avant

tout du bien de l’enfant. Concernant les droits desindividus, les Juges de Strasbourg estimèrent enoutre que les inconvénients sociaux et juri-diques subis par l’enfant et son père socialétaient peu susceptibles d’entraîner desépreuves excessives dans les circonstances del’espèce. Globalement, ils ne se déclarèrent pasconvaincus que l’enregistrement du requérantcomme père profiterait à la fillette concernée voireà d’autres enfants conçus par IAD. Les Juges refu-sèrent donc d’admettre que l’article 8 contient uneobligation implicite pour l’Etat défendeur de recon-naître officiellement comme le père de l’enfant unepersonne qui n’en est pas le père biologique

160.

Droits des pères célibataires

Certains Etats permettent aux mères decontrôler si le père célibataire de leur enfant est ins-crit sur le certificat de naissance de ce dernier. Laquestion de savoir si cette pratique viole l’article 8ou pas dépend de la possibilité de la justifier parl’intérêt supérieur de l’enfant. Une telle justificationn’est généralement établie qu’en cas de conflitentre les parents et d’objection par la mère à l’ins-cription du père sur le certificat, de crainte quecette formalité ne lui confère des droits automa-tiques de garde et d’accès.

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161 Requête n° 9519/81,c/ Allemagne, mars 1984,6 EHRR 599. Voir aussi lesrequêtes n° 7658/76 &7659/76, X c. Danemark,5 décembre 1978, DR 15,p. 128.

162 Requête n° 18535/91, K.,Z. & S. c/ Pays-Bas, rap-port de la Commission,7 avril 1993, série An° 297-C, p. 66.

163 Kroon & autres c/ Pays-Bas, arrêt du 27 octobre1994, paragraphe 40.

164 Requête n° 8427/78,Hendriks c/ Pays-Bas,rapport de la Commis-sion, 8 mars 1982.

Une responsabilité parentale conjointe est-ellenécessaire au respect de la vie familiale ?

La Commission a estimé que l’incapacité deparents non mariés de jouir de la garde conjointe deleur enfant répond aux circonstances prévalant encas de naissance d’un enfant hors du mariage etqu’un tel traitement est donc compatible avec laConvention. Ceci, même dans le cas où les deux pa-rents désirent obtenir la reconnaissance juridiquede leur situation de fait de responsabilité parta-gée

161. La Cour, quant à elle, n’a pas encore eu l’oc-

casion de se prononcer sur cette question.

La présomption de paternité du mari viole-t-ellel’article 8 ?

L’approche de la Convention en matière depaternité reflète la priorité accordée à la réali-té sociale et biologique par rapport à la si-tuation légale dans la reconnaissance desliens de famille. En 1993, une mère s’étaitplainte de ce que son incapacité à réfuter la pré-somption de paternité de son enfant dont jouis-sait son mari, malgré la disparition de ce dernierplusieurs années avant la naissance, constituaitune violation de son droit au respect de sa vie fa-miliale

162. Les Juges de Strasbourg concédèrent

que cette présomption irréfragable violait l’ar-ticle 8 et qu’en particulier :

[...] le « respect » de la « vie familiale » exige que la réa-lité biologique et sociale prévale sur une présomption lé-gale heurtant de front tant les faits établis que les vœuxdes personnes concernées, sans réellement profiter àpersonne.

163

Question touchant à la garde, auxvisites et au soin des enfants

Une attribution de la garde peut-elle violerl’article 8 ?

La vie familiale ne prenant pas fin avec le di-vorce, le droit à son respect au titre de l’article 8doit être reconnu aussi bien aux époux mariés queséparés et à leurs enfants

164. Lorsque, à la suite

d’une séparation, le droit à la garde et au soin del’enfant est accordé à un parent, l’autre parent peutprétendre que cette décision viole son droit au res-pect de sa vie familiale. Le contrôle par la Cour de lacompatibilité de la décision du tribunal nationalavec l’article 8 est lourdement influencé par l’amplemarge d’appréciation dont jouit l’Etat dans ce do-maine : les chances sont donc faibles de voir lesJuges de Strasbourg estimer qu’une décision accor-dant la garde à un parent viole l’article 8, à moinsque la procédure ne soit manifestement entachéed’arbitraire ou ignore par ailleurs les droits et inté-rêts des parties en cause.

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165 Hoffmann c/ Autriche,arrêt du 23 juin 1993.

166 Hokkanen c/ Finlande,arrêt du 23 septembre1994.

167 Ibidem, paragraphe 58.

Quand une attribution de la garde est-elleconsidérée comme discriminatoire ?

La Convention interdit aux autorités nationalesd’accorder ou de refuser la garde et le soin des en-fants à l’un des deux parents pour des motifs reli-gieux. Ce principe a été énoncé pour la première foisdans l’affaire Hoffmann c/ Autriche

165. La requérante en

l’espèce était une catholique romaine qui avaitépousé un coreligionnaire. Les deux conjointsavaient fait d’ailleurs baptiser leurs enfants et lesavaient élevés dans cette foi. Cependant, la requé-rante devint plus tard Témoin de Jéhovah et divorça,emportant ses enfants avec elle. Le couple se dis-puta la garde devant les tribunaux autrichiens et lesjuridictions inférieures octroyèrent l’autorité paren-tale à la mère. La Cour suprême cassa cependantcette décision, convaincue notamment des effetspotentiels néfastes de la religion de la mère sur lesenfants : opposition aux transfusions sanguines, re-jet des jours de fête traditionnels et, plus largement,situation de minorité sociale.

Les Juges de Strasbourg estimèrent que la déci-sion de la Cour suprême était incompatible avec laConvention, car constitutive d’une discriminationreposant sur la religion. Sans nier que, dans cer-taines circonstances, les données invoquées par laCour suprême d’Autriche concernant l’apparte-nance aux Témoins de Jéhovah puissent faire pen-cher la balance en faveur d’un parent plutôt que

l’autre – incidences possibles sur la vie sociale desenfants, fait de se trouver associés à une minoritéreligieuse particulière et dangers (sauf ordonnancejudiciaire) du refus par la requérante de toute trans-fusion sanguine – la Cour affirma que toute dis-tinction entre les parents dictée pourl’essentiel par des considérations de religionétait inacceptable.

L’incapacité de l’Etat à faire exécuter les droitsdes parents viole-t-elle l’article 8 ?

La Cour a établi, dans l’affaire Hokkanenc/ Finlande

166, que l’article 8 peut obliger l’Etat à

prendre des mesures actives en vue d’exécuter desordonnances rendues par les tribunaux en matièrede garde et de visite. Cependant, l’obligation desautorités nationales de veiller au respect de lavie familiale n’est pas absolue. Il arrive notam-ment, en effet, que la réunion d’un parent avec sonenfant qui a vécu depuis un certain temps avecd’autres personnes ne puisse avoir lieu immédiate-ment, et requière des préparatifs. Leur nature et leurétendue dépendent des circonstances de chaqueespèce. Ainsi, si les autorités nationales doivent...

[...] s’évertuer à faciliter pareille collaboration, leurobligation de recourir à la coercition en la matière doitêtre limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et desdroits et libertés de ces mêmes personnes, et notammentdes intérêts supérieurs de l’enfant [...].

167

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Page 57: Le droit au respect de la vie privée et familiale

55

168 Nuutinen c/ Finlande,arrêt du 27 juin 2000.

169 Hokkanen c/ Finlande,arrêt du 23 septembre1994.

Globalement, l’Etat doit prendre toutes lesmesures nécessaires que l’on pouvait raison-nablement exiger de lui pour faire exécuter ledroit de garde ou de visite d’un parent. Lorsqueles efforts déployés s’avèrent inadéquats ou infruc-tueux et que la responsabilité de l’échec ne sauraitêtre attribuée au parent réclamant l’exécution, il y aviolation de l’article 8. Lorsque, en revanche, lesautorités internes ont pris toutes les mesures né-cessaires pour exécuter le droit de visite que l’onétait raisonnablement en droit d’exiger d’elles dansun conflit difficile, il n’y a pas violation de l’ar-ticle 8

168.

L’obligation de faire exécuter des droits de visiteest-elle plus pressante que celle de faire exécuterdes droits de garde ?

Dans l’affaire Hokkanen c/ Finlande, les Juges deStrasbourg estimèrent que les autorités compé-tentes n’avaient pas pris des mesures adéquates etsuffisantes pour faire exécuter le droit du requérantà rendre visite à sa fille

169. Cependant, ils ne par-

vinrent pas à la même conclusion concernant lamise en œuvre des droits de garde du requérant etle transfert final de la garde aux grands-parents del’enfant : deux mesures compatibles avec l’article 8.En particulier, les Juges tinrent largement compte dece que la fillette en question avait été placée chezses grands-parents pendant près de six ans, avant

que sa garde légale ne soit finalement transférée àces derniers, le père n’ayant eu que peu de contactsavec elle pendant cette période. Pareille décision,aux yeux de la Cour, allait incontestablement dans lesens de l’intérêt supérieur de l’enfant : une considé-ration de nature à justifier la grave ingérence qu’elleprovoqua dans les droits du père au titre de l’ar-ticle 8. De même, l’inaction observée par les autori-tés concernant l’exécution de l’ordonnance attribu-tive de garde dès lors que celle-ci fit l’objet decontestations devant les tribunaux fut également ju-gée compatible avec la Convention.

Il apparaît donc clairement que l’obligationd’exécution pesant sur l’Etat est plus stricte s’agis-sant des droits de visite que des droits de garde.Cette approche reflète l’opinion des Juges quant aurisque de voir l’application d’une ordonnanceattributive de garde s’avérer préjudiciable àl’enfant (dont elle est supposée défendre les in-térêts) faute d’être précédée de préparatifs deretour de l’intéressé à son ou ses parents.

L’obligation positive de réunir les parents et leursenfants

Le respect pour la vie familiale au titre de l’ar-ticle 8 implique une obligation positive de réunir lesparents et leurs enfants. Cette obligation est géné-ralement invoquée lorsqu’une ordonnance provi-soire confiant l’enfant aux soins de l’Etat devient

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Page 58: Le droit au respect de la vie privée et familiale

56

170 Johansen c/ Norvège,arrêt du 7 août 1996,paragraphe 78.

171 Johansen c/ Norvège,arrêt du 7 août 1996.

172 Olsson c/ Suède, arrêt du24 mars 1988.

caduque. Concernant son contenu, la Cour a établila nécessité de ménager un juste équilibre entre lesintérêts de l’enfant à demeurer placé et ceux du pa-rent à vivre avec lui. Elle a notamment relevé que :

En procédant à cet exercice, la Cour attachera une im-portance particulière à l’intérêt supérieur de l’enfantqui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter surcelui du parent. Notamment, comme le suggère le Gou-vernement, l’article 8 de la Convention ne sauraitautoriser le parent à voir prendre des mesures préjudi-ciables à la santé et au développement de l’enfant.

170

Dans l’affaire Johansen c/ Norvège171

, la fille du re-quérant avait été placée dans un foyer d’accueil envue d’une adoption : une décision contestée par samère au titre de l’article 8. Les Juges de Strasbourgestimèrent que des mesures visant à priver tota-lement un parent de ses droits parentaux et deson droit de visite ne doivent être appliquéesque dans des circonstances exceptionnelles etne peuvent se justifier que si elles s’inspirentd’une exigence primordiale touchant à l’intérêtsupérieur de l’enfant. Concernant les faits de l’es-pèce, les mêmes Juges relevèrent que la mère ren-dait visite régulièrement à sa fille au foyer et que l’onconstatait des signes d’amélioration dans sa vie. Lepoint de vue des autorités que l’intéressée n’allaitpas se montrer coopérative et qu’elle risquait deperturber l’éducation de sa fille si on lui donnait ledroit de voir celle-ci dans le foyer d’accueil se fon-dait, par contre, sur les difficultés rencontrées lors

de l’exécution de la décision de placement de sonfils. La Cour estima, par conséquent, que ces diffi-cultés et ce risque n’étaient pas d’une nature etd’un degré tels qu’ils dispensaient les autorités del’obligation, normale au regard de l’article 8 de laConvention, de prendre des mesures pour réunirmère et enfant si la première devenait apte à éleverconvenablement sa fille. Partant, la décision de pri-ver la requérante de ses droits parentaux violait l’ar-ticle 8.

Approche adoptée par la Cour dans les affaires deplacement d’enfant

La Cour n’a pas pour vocation de statuer en ap-pel sur les décisions des tribunaux nationaux ets’abstient donc de substituer son opinion à cellesdes juridictions internes compétentes sur le fond detelle ou telle affaire. Dans ce domaine, par consé-quent, son rôle consiste à évaluer si la décision deplacer un enfant est compatible avec la Convention.De ce point de vue, sa fonction de surveillance nese borne pas à se demander si l’Etat défendeura usé de son pouvoir d’appréciation de bonnefoi, avec soin et de manière sensée : elle doitaussi déterminer si les motifs invoqués à l’appuides ingérences en cause sont « pertinents et suf-fisants ». Dans l’affaire Olsson c/ Suède

172, par

exemple, trois enfants avaient été placés parce queles autorités sociales considéraient leur développe-

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Page 59: Le droit au respect de la vie privée et familiale

57

173 K. & T. c/ Finlande, arrêtdu 27 avril 2000.

174 Olsson c/ Suède, arrêt du24 mars 1988, para-graphe 81.

175 Ibidem, paragraphe 82.

ment menacé pour diverses raisons, y compris l’inap-titude de leurs parents à répondre à leurs besoins af-fectifs et intellectuels. Ces raisons furent jugées« pertinentes » et « suffisantes » étant donné lapreuve, par exemple, d’un retard dans le développe-ment des intéressés et de l’échec d’autres mesures.Les Juges de Strasbourg purent donc se convaincreque l’ordonnance de placement était compatibleavec l’article 8. Il n’en est cependant pas toujoursainsi, malgré l’ample marge d’appréciation reconnueà l’Etat. Dans K & T c/ Finlande

173, la Cour estima, à l’is-

sue d’un examen des faits, que l’ordonnance deplacement n’était pas le seul moyen d’assurer la pro-tection d’un enfant. En particulier, les raisons invo-quées pour justifier l’ordonnance étaientinsuffisantes et les méthodes employées pourmettre les décisions en œuvre excessives, ce quigénéra une violation de l’article 8. Par consé-quent, lorsque les autorités ne font pas appel à l’or-donnance de placement comme à une mesure dedernier recours et fondent leur décision sur des mo-tifs arbitraires et injustifiés dans les circonstances del’espèce, l’article 8 peut être considéré comme violé.

Le but ultime de la réunion des familles

La Cour a établi que, compte tenu de la relationfondamentale, dans la vie familiale, entre les pa-rents et leurs enfants, il fallait considérer toute or-donnance de prise en charge comme une mesure

temporaire et tout acte d’exécution comme ayantun but ultime : unir à nouveau la famille

174. Il faut

donc des circonstances exceptionnelles pour agircomme si l’ordonnance ne devait jamais être levée etl’enfant rester longtemps loin de ses parents. Le butde la procédure de levée de l’ordonnance deprise en charge est d’informer toutes les partiessur l’ensemble des arrangements adoptés pen-dant cette période. Dans l’affaire Olsson, les troisenfants avaient été placés dans trois familles d’ac-cueil différentes à des centaines de kilomètres l’un del’autre et de leurs parents, compliquant ainsi considé-rablement le maintien d’un contact. Dans le cadre del’évaluation de cette situation sous l’angle du respectde la vie familiale des intéressés, les Juges deStrasbourg relevèrent que, si les autorités avaient agide bonne foi, il n’était pas moins inadmissible quedes difficultés administratives, telles que la pé-nurie de familles nourricières ou d’accueil oubien de centres de placement, déterminent l’en-droit où les enfants seraient placés

175. Pour les

Juges de Strasbourg, de telles considérations ne sau-raient jouer qu’un rôle secondaire dans la mise enœuvre et la levée de l’ordonnance de prise en charge,de sorte que, malgré le manque de coopération desparents, les dispositions arrêtées par les autorités pu-bliques ne se fondaient pas sur des raisons « suffi-santes » de nature à les justifier commeproportionnées au but légitime poursuivi. Partant, il yavait violation de l’article 8.

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Page 60: Le droit au respect de la vie privée et familiale

58

176 Andersson c/ Suède, arrêtdu 25 février 1992.

177 W. c/ Royaume-Uni, arrêtdu 8 juillet 1987.

L’importance du contact avec les enfants pris encharge

La Cour accorde une importance majeure aumaintien d’un contact entre parents et enfants pen-dant la prise en charge de ces derniers. Il lui arrivedonc fréquemment d’estimer une ordonnance deplacement compatible avec l’article 8, tout en assi-milant à une violation les restrictions ou le refus decontact que ladite ordonnance prévoit.

Toute limite imposée à la communication entreparent et enfant doit se fonder sur des raisons perti-nentes et suffisantes et tenir compte des intérêts del’enfant et de la possibilité de réunir ultérieurementla famille. En particulier, les restrictions imposéesaux contacts doivent être proportionnées aubut légitime poursuivi. Dans Andersson c/ Suède

176,

une mère et son fils se plaignaient d’une sévère limi-tation à leur droit de visite et à l’interdiction de toutcontact par lettre ou par téléphone pendant une pé-riode qui dura au moins dix-huit mois. Malgré la per-tinence des raisons avancées par les autorités –l’enfant risquait de s’enfuir du centre de traitementet de se soustraire au traitement requis – la Cour re-fusa de leur reconnaître un caractère suffisant pourjustifier les sévères mesures imposées et conclut àune violation de l’article 8.

Droits procéduraux

La Cour a établi l’existence de droits procédu-raux implicites applicables au respect de la vie pri-vée au titre de l’article 8. Dans W c/ Royaume-Uni

177,

l’autorité locale avait adopté une résolution sur lesdroits parentaux du requérant avant d’arrêter uncertain nombre de décisions – y compris le place-ment de longue durée de son enfant chez des pa-rents nourriciers en vue d’une adoption, ainsi que larestriction puis la suppression du droit de visite dupère – sans consulter au préalable le requérant.Dans leur examen de la compatibilité des mesuresprises avec l’article 8, les Juges de Strasbourg sou-lignèrent l’importance primordiale d’une pro-tection adéquate des parents contre lesingérences arbitraires dans un domaine où lesdécisions (telles que les liens noués par l’en-fant avec ses parents nourriciers) risquent fortde se révéler irréversibles. Dans les circons-tances de l’espèce, les Juges estimèrent que le re-quérant n’avait pas été informé ou consulté àl’avance concernant plusieurs décisions affectantses relations avec sa fille et que, par conséquent, ilavait été trop peu mêlé au processus décisionnel del’autorité locale. Ils conclurent donc que le requé-rant n’avait pas eu la possibilité de faire valoir sesvues ou de voir ses intérêts pris en compte et que,partant, l’article 8 avait été violé.

Le précédent ainsi établi exige par conséquent,

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178 Requête n° 12402/86,Price c/ Royaume-Uni,14 juillet 1988.

179 W. c/ Royaume-Uni, arrêtdu 8 juillet 1987, para-graphe 65.

180 H. c/ Royaume-Uni, arrêtdu 8 juillet 1987, para-graphe 85.

181 Johansen c/ Norvège,arrêt du 7 août 1996.

182 Soderback c/ Suède, arrêtdu 28 octobre 1998.

au titre de l’article 8, que les parents (et si néces-saire d’autres membres de la famille) participent àtout processus décisionnel visant leurs enfantsà un degré suffisant pour satisfaire l’exigencede protection de leurs intérêts. Il convient doncd’accorder une attention particulière à l’équité pro-cédurale de ce processus (qu’il soit administratif oujudiciaire), même si le niveau requis de consultationou de participation des intéressés peut varier en cequi concerne la famille proche autre que les pa-rents

178.

La durée de la procédure familialeimporte-t-elle sous l’angle de l’article 8 ?

L’incidence de la durée des procédures de droitde la famille sur leur issue revêt certaines implica-tions, sous l’angle de l’article 8, car le respect ef-fectif de la vie familiale commande que lesrelations futures entre parent et enfant serèglent sur la seule base de l’ensemble des élé-ments pertinents, et non par le simple écoule-ment du temps

179. Dans de pareilles affaires, tout

retard dans la procédure risquant de trancher enfait, avant les débats, la question dont le tribunal setrouve saisi, il incombe donc aux autorités de té-moigner d’une diligence exceptionnelle pour éviterdes effets irréversibles éventuels sur la vie familialedes parties

180.

L’adoption d’un enfant sans le consente-ment de ses parents viole-t-elle l’article 8 ?

Les parents dont les enfants sont placés en vued’une adoption peuvent invoquer une violation deleur droit à la vie familiale au titre de l’article 8 de laConvention. Il est incontestable qu’une adoptionporte atteinte à ce droit. Cependant, seul l’examendes circonstances de la cause permet de déter-miner si cette ingérence est justifiée par desraisons pertinentes et suffisantes au regard desdroits et des intérêts de l’enfant concerné. Dansl’affaire Johansen c/ Norvège

181, la décision d’autoriser

l’adoption de la fille de la requérante fut assimilée àune violation de l’article 8, car elle ne se fondait passur des raisons pertinentes et suffisantes. Cepen-dant, la conclusion opposée fut atteinte dans l’af-faire Söderback c/ Suède

182 qui portait sur la même

question mais dans un contexte différent. Le requé-rant contestait lui aussi la décision d’autoriserl’adoption de son enfant mais, contrairement à l’af-faire Johansen qui concernait la rupture des liensentre une mère et son enfant placé, celle-ci portaitsur celle des liens entre un père naturel et sa filleélevée par sa mère depuis sa naissance. Les Juges deStrasbourg prirent plusieurs facteurs importants enconsidération :➤ Premièrement, l’affaire ne concernait pas un

parent investi de la garde de l’enfant ou quis’en est occupé à un autre titre.

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Page 62: Le droit au respect de la vie privée et familiale

60

183 Keegan c/ Irlande, arrêtdu 26 mai 1994.

184 Ibidem, paragraphe 55.

➤ Deuxièmement, au cours de la période consi-dérée les contacts entre le requérant et l’enfantfurent peu fréquents et limités : lorsque l’adop-tion fut autorisée, père et fille ne s’étaient pasvus depuis un assez long moment.

➤ Enfin, le père adoptif de l’enfant s’était occupéde celle-ci, conjointement avec la mère, quasi-ment depuis sa naissance et la fillette le consi-dérait comme son père. L’adoption ne faisaitdonc que consolider et officialiser ces liens.Dans ces conditions et eu égard à la manière

dont les juridictions internes avaient apprécié l’inté-rêt supérieur de l’enfant, la Cour estima que l’ar-ticle 8 n’avait pas été violé.

Le fait d’organiser l’adoption d’un enfant àl’insu d’un des parents viole-t-il l’article 8 ?

Là où l’existence d’un lien familial entre un pa-rent et un enfant se trouve établie, le placement dusecond sans l’autorisation ou la notification du pre-mier constitue une ingérence très difficile à justifierdans leur vie familiale. Dans l’affaire Keeganc/ Irlande

183, la Cour estima que certains aspects du

système irlandais d’adoption violaient l’article 8. Enparticulier, le fait qu’aucune qualité pour interve-nir dans la procédure d’adoption n’avait été re-connue au père naturel avait entraîné le placementimmédiat de l’enfant chez des adoptants potentielsavec lesquels elle commença à tisser des liens : le

temps que la demande de contestation formée parle requérant soit examinée par les tribunaux, lafillette se sentait en sécurité et à l’aise dans sonnouveau foyer. Cet état de choses a non seule-ment...

[...] nui au bon développement des liens de M. Keegan[le requérant] avec sa fille, mais a mis en branle unprocessus risquant de devenir irréversible, désavanta-geant ainsi sensiblement le requérant dans sa lutteavec les candidats à l’adoption pour la garde de l’en-fant.

184

Pour les Juges de Strasbourg, par conséquent,l’abus de procédure inhérent au défaut deconsultation ou d’information du père céliba-taire à propos du placement de son enfantconstituait un manquement à l’obligation derespect de sa vie familiale au titre de l’ar-ticle 8, quelle que soit par ailleurs l’opportuni-té de l’autorisation de proposer l’enfant àl’adoption.

Immigration

Une ordonnance de déportation d’un Etatcontractant où l’intéressé a des enfants ou d’autrespersonnes avec lesquels il entretient des liens de fa-mille ou refusant d’autoriser un parent ou un autremembre de la famille à rejoindre les autres dans le-dit Etat est considérée comme une ingérence dansla vie familiale au sens de l’article 8. Une telle me-

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Page 63: Le droit au respect de la vie privée et familiale

61

185 Abdulaziz, Cabales etBalkandali c/ Royaume-Uni, arrêt du 28 mai1985.

186 Ahmut c/ Pays-Bas, arrêtdu 28 novembre 1996.

187 Gul c/ Suisse, arrêt du19 février 1996.

sure n’est considérée comme compatible avec laConvention que si elle remplit les conditions énon-cées au paragraphe 2 de cette disposition.

Les conjoints non nationaux jouissent-ils d’undroit de vivre ensemble dans un Etat contractant ?

Les principes régissant l’étendue de l’obliga-tion de l’Etat d’admettre les conjoints furent poséspar la Cour dans son arrêt Abdulaziz, Cabales etBalkandali c/ Royaume-Uni

185. Ils peuvent se résumer

comme suit :➤ L’Etat n’a pas l’obligation générale de respecter

le choix, par des couples mariés, de leur domi-cile commun.

➤ L’Etat jouit d’une ample marge d’appréciationdans ce domaine.

➤ Il importe de connaître l’existence d’obstaclesayant empêché le requérant ou son conjoint demener une vie familiale dans leur propre paysou de raisons spéciales de ne pas s’attendre àles voir opter pour une telle solution.

➤ Il importe de savoir si les conjoints au momentde leur mariage étaient conscients des pro-blèmes liés à leur entrée et à la durée de leurséjour.

Un enfant jouit-il d’un droit à rejoindre un parentdans un Etat contractant ?

L’article 8 ne garantit pas un droit à choisirl’endroit le plus approprié au renforcement dela vie familiale. Ainsi, dans l’affaire Ahmut c/ Pay-Bas

186, la Cour a estimé que le refus des autorités

néerlandaises d’autoriser le fils de M. Ahmut, âgé dequinze ans, à entrer dans le pays où celui-ci résidaitlui-même ne violait pas l’article 8. En particulier, lesJuges notèrent que le garçon avait vécu presquetoute sa vie au Maroc, qu’il avait des liens solidesavec l’environnement linguistique et culturel dece pays et qu’il y avait été pris en charge par d’autresmembres de la famille. Les Juges de Strasbourg nevirent donc aucune raison de ne pas maintenir le de-gré de vie familiale que les parties avaient elles-mêmes choisi jusque-là.

Le fait que la famille est capable de retour-ner dans son pays d’origine pour y rejoindrel’enfant constitue aussi un facteur décisif. Dansl’affaire Gul c/ Suisse

187, le père turc vivait en Suisse et

avait sans succès sollicité l’autorisation de faire ve-nir son fils âgé de douze ans. La Cour releva que lesparents eux-mêmes avaient été à l’origine de la sé-paration en venant s’installer en Suisse et que rienne s’opposait à leur retour en Turquie, même si cettesolution soulevait des difficultés en raison de l’étatde santé de la mère.

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Page 64: Le droit au respect de la vie privée et familiale

62

188 Moustaquim c/ Belgique,arrêt du 18 février 1991.

189 Mehmi c/ France, arrêt du26 septembre 1997.

190 Boughanemi c/ France,arrêt du 24 avril 1996.

Quand une expulsion viole-t-elle l’article 8 ?

Pour savoir si une décision de déportationd’une personne d’un Etat contractant est compa-tible avec le respect de sa vie privée et familiale, laCour évalue l’étendue des liens entre l’individuconcerné et les pays hôte et de destination (lepays d’origine). Pour ce faire, elle prend notam-ment en considération :➤ la durée du séjour et la connaissance de la

langue et de la culture de l’un ou l’autre Etat ;➤ l’existence de liens familiaux et d’un cercle so-

cial dans l’un ou l’autre Etat ;➤ l’incidence de la déportation sur leurs relations

avec les membres de la famille restés sur place ;➤ toute autre considération personnelle, telle

que l’état de santé ou des facteurs psycholo-giques, de nature à rendre la déportation parti-culièrement pénible pour l’individu concerné.Ces facteurs sont ensuite mis en balance avec

les raisons invoquées à l’appui de la déportation –prévention de la criminalité et des désordres en casd’infraction pénale ou bien-être économique dupays lorsque celui-ci dispose d’une politique stricted’immigration – pour déterminer si l’ingérence dansla vie familiale est proportionnée au besoin.

Quand une déportation viole-t-elle l’article 8 ?

Les Juges de Strasbourg ont à plusieurs reprises

estimé que l’effet sur les droits de l’intéressé au titrede l’article 8 serait disproportionné au but poursuivipar sa déportation. Les cas retenus concernent desrequérants ayant passé la plus grande partie de leurvie dans l’Etat expulseur, y ayant noué des liens fa-miliaux et sociaux profonds et n’ayant que peu decontacts avec le pays de destination (ou le connais-sant mal). Par exemple, dans l’affaire Moustaquimc/ Belgique

188, le requérant était arrivé en Belgique à

l’âge de deux ans, toute sa famille proche y résidait,il avait été naturalisé, suivi toute sa scolarité enfrançais et visité le Maroc à deux reprises seulementpendant les vacances. Plus récemment, dans l’af-faire Mehmi c/ France

189, le requérant était né en

France et y avait suivi sa scolarité ; la plus grandepartie de sa famille (dont sa femme et trois enfants)y résidait, il avait acquis la nationalité française etl’on ne pouvait donc raisonnablement s’attendre àce qu’il vive ailleurs.

Quand une déportation est-elle compatible avecl’article 8 ?

Par contre, lorsque le requérant a conservé cer-tains liens avec son pays d’origine, sa plainte autitre de l’article 8 a moins de chances d’aboutir. Parexemple, dans l’affaire Boughanemi c/ France

190, la

Cour estima probable que le requérant avait conser-vé des liens avec la Tunisie et releva qu’il ne préten-dait pas ignorer l’arabe ou avoir coupé tous les

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191 Berrehab c/ Pays-Bas,arrêt du 21 juin 1988.

192 Ciliz c/ Pays-Bas, arrêt du11 juillet 2000.

193 Akdivar & Ors c/ Turquie,arrêt du 16 septembre1996.

ponts avec ce pays. Les Juges de Strasbourg accor-dèrent également une grande importance aux in-fractions qu’il avait commises ainsi qu’au fait qu’ilavait vécu maritalement avec une Française etconçu un enfant avec elle uniquement après avoirfait l’objet d’un arrêté d’expulsion.

Importance des liens entre parents et enfants

Dans l’affaire Berrehab c/ Pays-Bas191

, les Juges deStrasbourg accordèrent une importance particulièreà l’effet potentiel de la déportation du requérant surses relations avec sa fille et relevèrent que la mesureétait disproportionnée au but légitime de la défensedu bien-être économique du pays. Ils tinrentcompte du fait que l’expulsion résultait du divorcedu requérant et non d’un comportement illicite oucriminel mais surtout du jeune âge de sa fille etdu besoin de cette dernière de rester encontact avec son père pour assimiler la déporta-tion à une violation de l’article 8.

En outre, dans Ciliz c/ Pays-Bas192

, la Cour estimaqu’en ne coordonnant pas les différentes procé-dures portant sur les droits familiaux du requé-rant, les autorités s’étaient conduites d’une manièrequi n’avait pas permis aux liens familiaux revendiquésde se développer après le divorce. Dès lors, ni pourl’expulsion, ni pour le droit de visite à son fils, le pro-cessus décisionnel ne protégeait de la manière vou-lue les intérêts du requérant garantis par l’article 8.

Domicile

La reconnaissance à un endroit de la qualité de« domicile » au sens de l’article 8 est assortie de l’oc-troi de diverses protections telles qu’elles sont dé-crites ci-dessous. Cependant, lorsqu’une personnedétient un droit de propriété sur cet endroit, touteingérence dans ledit droit est analysée sous l’anglede l’article 1 du premier protocole qui garantit ledroit au respect des biens.

Protection contre les dommages délibérés

Même selon les interprétations les plus res-trictives, l’article 8 inclut au minimum le droit devoir son domicile protégé contre les attaques del’Etat ou de ses agents. Ainsi, dans l’affaire Akdivaret autres c/ Turquie

193, les Juges de Strasbourg établi-

rent que les forces de sécurité étaient respon-sables de l’incendie des maisons des requérants :ayant perdu leur toit, ces derniers furent contraintsd’abandonner leur village. Estimant également qu’ilne saurait faire de doute que l’incendie délibérédes maisons des requérants et de leur contenuconstitue une grave ingérence dans le droit des in-téressés au respect de leur vie familiale et de leurdomicile au titre de l’article 8 et que le gouverne-ment défendeur n’avait avancé aucune justificationà ces actes, les Juges conclurent à une violation del’article 8.

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Page 66: Le droit au respect de la vie privée et familiale

64

194 Powell & Raynerc/ Royaume-Uni, arrêt du21 février 1990.

195 Ibidem, paragraphe 45.196 Lopez Ostra c/ Espagne,

arrêt du 9 décembre1994.

Protection contre les nuisances

D’après la Cour, le concept de domicile en-globe le respect des biens et de la résidencedans ceux-ci, de sorte que l’article 8 offre aussi uneprotection contre les ingérences dans la vie privée etle domicile résultant du bruit et autres nuisances.Dans l’affaire Powell & Rayner

194 qui concernait des

plaintes à propos du bruit excessif généré par le tra-fic aérien entrant et sortant de l’aéroport deHeathrow, il s’agissait de savoir si un juste équilibreavait été trouvé entre les intérêts concurrents del’individu et de la société dans son ensemble,compte tenu des mesures adoptées par les autoritéspour contrôler et réduire le bruit des avions, ainsique pour dédommager les riverains. Les Juges deStrasbourg estimèrent qu’un tel équilibre avait bienété atteint et relevèrent notamment que :

[...] il n’y a aucun motif sérieux de juger contraire àl’article 8, envisagé sous son aspect positif ou négatif, lamanière dont les autorités du Royaume-Uni ont abordéle problème ou le contenu des mesures réglementairesspécifiques choisies par elles.

195

Protection contre lesnuisances environnementales

Dans l’affaire Lopez Ostra c/ Espagne196

, la Courposa le principe de l’applicabilité directe de l’ar-ticle 8 aux questions relevant des nuisances en-

vironnementales. La requérante se plaignait desémanations de gaz, odeurs pestilentielles et conta-minations provoquées par une station d’épurationsituée à quelques mètres à peine de son domicile etde l’ingérence subséquente de son droit au respectde son domicile et de sa vie privée et familiale. Sefondant sur les faits de l’espèce, les Juges deStrasbourg relevèrent que la requérante et sa familleavaient été contraintes de vivre près de la stationpendant plusieurs années et se convainquirent deseffets néfastes pour la santé d’une telle proximitésur la base des rapports médicaux et d’expertisefournis tantôt par le gouvernement, tantôt par la re-quérante. Même en tenant compte de la marged’appréciation conférée à l’Etat en la matière, lesJuges relevèrent que celui-ci n’avait pas su ménagerun juste équilibre entre l’intérêt du bien-être écono-mique de la ville de Lorca – celui de disposer d’unestation d’épuration – et la jouissance effective par larequérante du droit au respect de son domicile etde sa vie privée et familiale.

Preuves médicales exigées pour démontrer uneingérence due à la pollution dans le droit aurespect du domicile et de la vie privée et familiale

Il est souvent difficile de prouver un lien decausalité entre une pollution et des problèmes desanté. La Cour a donc admis, dans son arrêt LopezOstra c/ Espagne, que l’article 8 pouvait être invoqué

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197 Ibidem, paragraphe 51.198 Guerra & autres c/ Italie,

arrêt du 19 février 1998.

même en l’absence d’un danger réel pour lasanté :

Il va pourtant de soi que des atteintes graves à l’envi-ronnement peuvent affecter le bien-être d’une personneet la priver de la jouissance de son domicile de manièreà nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autantmettre en grave danger la santé de l’intéressée.

197

Cette conclusion suggère donc que, s’il est né-cessaire de produire une preuve pour démontrerune ingérence dans le respect du domicile et de lavie familiale au titre de l’article 8, il n’est pas indis-pensable d’établir un lien de causalité clair et directentre la pollution dénoncée et les problèmes desanté du requérant.

Accès aux informations sur les risquesenvironnementaux

En présence de risques sanitaires inhérents àune grave pollution, il semble que les victimes po-tentielles puissent invoquer un droit d’accès auxinformations relatives aux risques encourus,telles qu’elles sont détenues par les autorités com-pétentes : droit qui découlerait de l’article 8 de laConvention. Certes l’article 10 de cet instrumenténonce le droit de recevoir des informations, maisla Cour estime qu’il s’agit uniquement des informa-tions que d’autres aspirent ou peuvent consentir àfournir. Dans l’affaire Guerra et autres c/ Italie

198, les re-

quérantes vivaient près d’une usine chimique où

s’était déjà produite une forte explosion dans le pas-sé : un incident attribué au non-respect de plusieursnormes. Elles prétendaient ne pas avoir reçu d’infor-mations sur les risques encourus par la populationet les mesures à prendre en cas d’accident majeur.Les Juges de Strasbourg estimèrent qu’en s’abste-nant de fournir aux requérantes des informa-tions essentielles qui leur auraient permisd’évaluer les risques pouvant résulter pourelles d’une grave pollution de l’environnement,l’Etat défendeur avait failli à son obligation degarantir le droit des requérantes au respect deleur vie privée et familiale.

Réglementation du droit de propriété

Le transfert obligatoire d’un bien immeubleentre personnes privées peut se justifier sous l’anglede la Convention lorsqu’il s’inscrit dans le cadred’une politique sociale et économique légitime. Enoutre, dans le domaine des expropriations, l’Etatjouit d’une grande latitude quant aux modalités durespect du domicile en fonction des questions poli-tiques, économiques et sociales soulevées. La Courrespecte en effet la manière dont le législateur na-tional conçoit les impératifs de l’utilité publique saufsi son jugement « se révèle manifestement dépourvude base raisonnable »

199.

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199 James c/ Royaume-Uni,arrêt du 21 février 1986,paragraphe 46.

200 Gillow c/ Royaume-Uni,arrêt du 24 novembre1986.

201 Velosa Barretoc/ Portugal, arrêt du 21novembre 1995.

202 Buckley c/ Royaume-Uni,arrêt du 25 septembre1996.

L’article 8 inclut-il le droit pour quiconquede vivre dans son domicile ?

Il ressort clairement de la jurisprudence de laCour que le droit au respect du domicile d’unepersonne au titre de l’article 8 n’inclut pas tou-jours le droit d’y vivre. Cette question fut soulevéedans l’affaire Gillow c/ Royaume-Uni

200: le contrôle

très strict du logement dans les îles anglo-nor-mandes fut contesté sous l’angle de l’article 8 de laConvention par M. et Mme Gillow qui avaientconstruit une maison à Guernesey et obtenu un per-mis les autorisant à vivre sur cette île. Après y avoirvécu pendant cinq ans, les Gillow habitèrent dansdifférents endroits outre-mer pendant dix-huit ansen raison de la nature du travail de M. Gillow. Lecouple conserva également une maison enAngleterre pendant cette période. De retour àGuernesey au bout de dix-huit ans, ils se virent refu-ser le permis de résidence indispensable et préten-dirent que ce refus violait leur droit au respect deleur domicile. Tout en admettant que la législationen question poursuivait le but légitime de contenir lapopulation dans des limites compatibles avec undéveloppement économique équilibré, les Juges deStrasbourg estimèrent que le refus de permis perma-nent ou temporaire aux requérants était dispropor-tionné à ce but. Ils critiquèrent en particulierl’importance insuffisante accordée par les servicesdu logement à la situation particulière des requé-

rants. Les Juges firent notamment valoir que cesderniers avaient fait construire cette maisonpour y résider avec leur famille, qu’en la louantpendant leur absence, ils avaient contribué au parcimmobilier de l’île, qu’à leur retour la maison étaitdépourvue de locataires potentiels et nécessitaitdes réparations et que, par ailleurs, ils n’avaientplus désormais d’autre domicile au Royaume-Uni ou ailleurs.

La Cour parvint à une conclusion différentedans l’affaire Velosa Barreto c/ Portugal

201 qui concer-

nait un requérant empêché de prendre possessionde la maison héritée de ses parents pour y habiterlui-même. Les Juges de Strasbourg considérèrent eneffet que la législation appliquée en l’espèce pour-suivait un but légitime, à savoir la protection socialedes locataires. En outre, les tribunaux nationauxayant établi que le requérant n’avait pas un besoinurgent d’occuper sa maison (dans la mesure où illogeait chez d’autres membres de sa famille), lesJuges estimèrent qu’un juste équilibre avait été at-teint entre l’intérêt de l’individu et de la collectivitésous l’angle de l’article 8.

L’affaire Buckley c/ Royaume-Uni202

concernait ledroit de la requérante, une Tsigane de nationalitébritannique, de vivre dans une caravane d’une pièceinstallée sur un terrain acheté dans ce but. La Courestima que le refus de lui accorder le permis d’amé-nagement foncier permanent qui lui aurait permisde mettre son projet à exécution constituait une in-

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gérence par une autorité publique dans l’exercicede son droit au respect de son domicile. Cepen-dant, à l’issue d’un examen de la justification de la-dite ingérence au regard de la nécessité de protégerle bien-être économique du pays, ainsi que lesdroits et la santé d’autrui (article 8, paragraphe 2),les Juges de Strasbourg parvinrent à la conclusionqu’un juste équilibre avait été atteint entre l’intérêtgénéral et le droit de la requérante au respect deson domicile : un droit concernant directement lasécurité et le bien-être de l’intéressée et de ses en-fants. Ils soulignèrent qu’en matière d’urbanismeles autorités jouissaient d’une grande latitudeen vertu de l’article 8 et qu’il ne leur appartenait pasde statuer en appel sur le fond de cette décision. Ilsse contentèrent donc de vérifier qu’il avait été tenucompte des différents intérêts antagonistes en pré-sence dans le cadre d’une procédure équitable.

Perquisition et saisie de biens

La Cour admet que les Etats contractantspuissent parfois estimer nécessaire de recourir àdes mesures telles que la perquisition de logementset la saisie de biens afin d’obtenir la preuve phy-sique de certaines infractions. Les mesures de cetype portant normalement atteinte à des droits pro-tégés par l’article 8 (1) – respect de la vie privée oudu domicile – elles doivent être justifiées par desraisons pertinentes et suffisantes et proportionnées

au but poursuivi. En outre, la Cour doit seconvaincre que la législation et la pratique en la ma-tière offrent aux individus des garanties adé-quates suffisantes contre les abus. La jurisprudences’est donc concentrée sur la condition de « légalité »de la procédure et de l’instauration de garanties pro-cédurales adéquates contre l’arbitraire et les abus.Malgré la latitude conférée aux Etats contractantsen la matière, les Juges de Strasbourg redoublent devigilance lorsque le droit national habilite l’adminis-tration à prescrire et à conduire une perquisition do-miciliaire sans mandat judiciaire

203. Pour eux, en

effet, la protection des individus contre des at-teintes arbitraires de la puissance publique auxdroits garantis par l’article 8 réclame un encadre-ment légal et une stricte limitation des pouvoirs ac-cordés. En outre, les Juges examinent lescirconstances particulières à chaque affaire afin dedéterminer si, in concreto, l’ingérence litigieuse étaitproportionnée au but recherché.

Garanties exigées

Dans l’affaire Camenzind c/ Suisse204

, il apparte-nait à la Cour de décider si le cadre légal régissantles perquisitions domiciliaires en Suisse conféraitune protection suffisante aux droits du requérant.De ce point de vue, les Juges de Strasbourg rele-vèrent plusieurs caractéristiques pertinentes de lalégislation concernée :

203 Camenzind c/ Suisse,arrêt du 16 décembre1997.

204 Ibidem.

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➤ La perquisition ne peut, sauf exception, avoirlieu qu’en vertu d’un mandat écrit de certainshauts fonctionnaires limitativement énuméréset ne peut être exécutée que par des fonction-naires spécialement formés à cet effet.

➤ Ces fonctionnaires sont tenus de se récuserlorsqu’il existe certaines circonstances de na-ture à affecter leur impartialité.

➤ La perquisition ne peut concerner des loge-ments et autres locaux que s’il est probable quele suspect s’y dissimule ou s’il s’y trouve desobjets ou valeurs soumis au séquestre ou destraces de l’infraction.

➤ La perquisition ne peut avoir lieu le dimanche,les jours de fêtes générales et de nuit que pourles « affaires importantes et en cas de dangerimminent ».

➤ Dès le début de la perquisition, le fonctionnaireenquêteur justifie de sa qualité et informe l’oc-cupant des locaux du motif de celle-ci. Ce der-nier, ou en son absence un parent ou unepersonne du ménage, doit être convié à y assis-ter.

➤ Un officier public est également en principeprésent avec mission de veiller à ce que l’opé-ration ne s’écarte pas de son but.

➤ Un procès-verbal est dressé immédiatement enprésence de ceux qui y ont assisté, lesquels, àleur demande, en reçoivent une copie ainsi quedu mandat.

➤ Par ailleurs, les perquisitions visant des papiersfont l’objet de restrictions spéciales.

➤ De plus, le suspect a droit, en tout état decause, à l’assistance d’un avocat.

➤ Quiconque est atteint par un « acte d’en-quête » et a « un intérêt digne de protection àce qu’il y ait annulation ou modification » decelui-ci, dispose d’un recours devant lachambre d’accusation du Tribunal fédéral.

➤ Enfin, en cas de non-lieu, le suspect a la facultéde demander une indemnité pour les préju-dices qu’il a subis

205.

Quant aux conditions dans lesquelles la per-quisition litigieuse se déroula, la Cour nota qu’ellefut effectuée par un seul fonctionnaire et qu’elle eutlieu en présence du requérant et après que celui-cieut pu consulter le dossier de son affaire et télépho-ner à un avocat. Elle dura certes près de deuxheures et porta sur toute la maison, mais le fonc-tionnaire enquêteur se borna à vérifier les télé-phones et téléviseurs ; il ne fouilla aucun meuble, neconsulta aucun document et ne procéda à aucunesaisie. En conséquence, les Juges de Strasbourg ad-mirent que l’ingérence dans le droit du requérant aurespect de son domicile pouvait passer pour pro-portionnée au but poursuivi et ne constituait pasune violation de l’article 8.

Bien qu’il soit clair qu’une perquisition de cetype – menée dans le cadre d’une législation pré-voyant autant de garanties – ne peut pas violer l’ar- 205 Ibidem, paragraphe 46.

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ticle 8, la question se pose de savoir si une loicontenant une ou deux garanties de moins pourraittoujours être considérée comme instaurant uneprotection suffisante. Les seules questionsconcrètes auxquelles les Juges de Strasbourg ont eujusqu’à présent l’occasion de répondre sont énu-mérées ci-dessous.

Un contrôle juridictionnel constitue-t-il une protection adéquate desdroits de l’article 8 ?

Lorsque les tribunaux rendent des ordon-nances prévoyant un certain contrôle juridic-tionnel, cette particularité suffit généralement àsatisfaire les exigences de protection de l’article 8.Par exemple, dans Chappell c/ Royaume-Uni

206, les

Juges de Strasbourg estimèrent qu’en confiantl’exécution d’une ordonnance Anton Piller aux avo-cats des demandeurs et non à un auxiliaire de la jus-tice indépendant, le tribunal avait instauré uneprotection suffisante, lesdits avocats encourant delourdes sanctions en cas de manquement à l’un desengagements figurant dans l’ordonnance.

Une autorisation judiciaire préalable est-elle essentielle au titre de l’article 8 ?

Dans le cadre de l’application du droit pénalordinaire, les mandats de perquisition requièrent

généralement une autorisation judiciaire préa-lable pour pouvoir être considérés comme propor-tionnés au but poursuivi sous l’angle de l’article 8.Dans le cas contraire – et à condition que le droit in-terne admette les perquisitions domiciliaires sansmandat – pareille perquisition ne sera compatibleavec l’article 8 que si les autres règles légales per-tinentes instituent une protection suffisante desdroits des requérants au titre de cette disposition.Ainsi, dans l’affaire Funke c/ France

207, des agents des

douanes avaient perquisitionné le domicile du re-quérant pour se procurer des précisions sur sesavoirs à l’étranger et saisi des documents concer-nant des comptes bancaires étrangers ouverts enviolation de la législation douanière : une infractionpénale en droit français. A l’époque, l’administrationdes douanes disposait de pouvoirs fort étendus ;elle avait notamment « compétence pour apprécierseule l’opportunité, le nombre, la durée et l’ampleurdes opérations de contrôle ». Les Juges deStrasbourg estimèrent avant tout que :

En l’absence surtout d’un mandat judiciaire, les res-trictions et conditions prévues par la loi et soulignéespar le Gouvernement apparaissaient trop lâches et la-cunaires pour que les ingérences dans les droits du re-quérant fussent étroitement proportionnées au butlégitime recherché.206 Chappell c/ Royaume-

Uni, arrêt du 30 mars1989.

207 Funke c/ France, arrêt du25 février 1993.

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Un mandat judiciaire suffit-il au titre del’article 8 ?

Même si dans son arrêt Funke la Cour a insistésur la nécessité d’une autorisation judiciaire préa-lable des visites domiciliaires et des saisies, la déli-vrance d’un mandat judiciaire ne suffit pastoujours à satisfaire les exigences de l’ar-ticle 8 (2). Dans l’affaire Niemietz c/ Allemagne

208, les

Juges de Strasbourg estimèrent par exemple que laperquisition au cabinet d’un avocat à la recherchede documents destinés à servir dans le cadre d’uneprocédure pénale était disproportionnée à son but(la prévention des infractions pénales et des dés-ordres et la protection des droits d’autrui), en dépitdu mandat de perquisition délivré au préalable parun juge. La Cour estima en effet que ce dernier avaitété rédigé en termes trop larges et que la fouilleavait empiété sur le secret professionnel entou-rant une partie des objets examinés. Par conséquentet dans la mesure où la perquisition opérée au cabi-net d’un avocat ne s’accompagne pas de garantiesspéciales de procédure en droit allemand, la perqui-sition fut jugée disproportionnée au but poursuivi etcontraire à l’article 8.

Fouilles et saisies opérées dans le cadred’enquêtes antiterroristes

Il est clair que, dans leurs efforts pour com-

battre le terrorisme, les Etats sont habilités àprendre des mesures qui risqueraient d’apparaîtreinjustifiées, à l’aune de l’article 8 (2), dans d’autrescontextes. L’affaire Murray c/ Royaume-Uni

209, par

exemple, concernait la situation en Irlande du Nord.Mme Murray et sa famille prétendaient que l’intru-sion de soldats dans leur demeure et la perquisitionde celle-ci, opération pendant laquelle cinqmembres de la famille furent séquestrés pendant unbref instant dans une pièce, étaient contraires à l’ar-ticle 8. Dans le cadre de son examen des circons-tances de l’espèce, la Cour fit référence à laresponsabilité d’un gouvernement élu, dans une so-ciété démocratique, en matière de protection du ci-toyen et de ses institutions contre les menacesposées par le terrorisme organisé, ainsi qu’aux pro-blèmes spéciaux associés à l’arrestation et à la dé-tention de personnes soupçonnées d’infractionsliées au terrorisme. Ces deux éléments influent surle juste équilibre qu’il y a lieu de ménager entrel’exercice par l’individu du droit que lui garantit l’ar-ticle 8 (1) et la nécessité pour l’Etat, au titre de l’ar-ticle 8 (2), de prendre des mesures efficaces pourprévenir la criminalité terroriste. Sur les faits, lesJuges de Strasbourg admirent l’opinion des tribu-naux internes selon laquelle Mme Murray avait étévéritablement et sincèrement soupçonnée d’une in-fraction liée au terrorisme et estimèrent, au vu deséléments dont ils disposaient, que lesdits soupçonspouvaient passer pour plausibles aux fins de l’ar-

208 Niemietz c/ Allemagne,arrêt du 16 décembre1992.

209 Murray c/ Royaume-Uni,arrêt du 28 octobre 1994.

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ticle 5 de la Convention. Les Juges admirent ainsiqu’il y avait, en principe, une nécessité de péné-trer dans le domicile de la famille Murray et d’yperquisitionner afin d’arrêter Mme Murray. De sur-croît, les Juges de Strasbourg estimèrent utile de re-connaître les « conditions de tension extrême »,pour reprendre les termes utilisés par Lord Griffithsdans son arrêt en Chambre des lords, dans les-quelles semblables arrestations doivent être effec-tuées en Irlande du Nord. Ils citèrent même, dans cecontexte, un extrait de l’analyse de Lord Griffiths :

La perquisition ne saurait se limiter exclusivement àla recherche de la personne à arrêter ; elle doit com-prendre également une fouille dont l’objet est deveiller à ce que l’arrestation se déroule pacifique-ment. J’estime [...] qu’il est tout à fait sage deprendre la précaution de prier tous les occupants dela maison de se rassembler dans une pièce. [...] Il estde l’intérêt de chacun que l’arrestation s’effectue pa-cifiquement et je suis convaincu que les procéduresadoptées par l’armée sont sensées, raisonnables etconçues de manière que l’arrestation soit réaliséeavec un minimum de risques et de détresse pourtoutes les personnes concernées.Et la Cour de confirmer qu’il s’agit là de consi-

dérations légitimes qui viennent expliquer et justi-fier la manière dont l’intrusion et la perquisitiondans le domicile des requérants se déroulèrent. LesJuges de Strasbourg estimèrent qu’à l’endroitd’aucun des requérants, les moyens employés par

les autorités à cet égard n’avaient été disproportion-nés au but poursuivi.

Fouilles et saisies dans le cadre d’enquêtespour fraude fiscale

Dans l’affaire Miailhe c/ France210

, la Cour a affir-mé que dans d’autres domaines également, l’Etatpouvait avoir recours à des mesures telles que desperquisitions et des saisies domiciliaires. Elle fit no-tamment valoir que dans le cadre de leur luttecontre l’évasion des capitaux et la fuite devant l’im-pôt, les Etats éprouvaient de sérieuses difficultés in-hérentes à l’ampleur des réseaux bancaires et descircuits financiers ainsi que des multiples possibili-tés de placements internationaux, facilitées par larelative perméabilité des frontières. Elle reconnutdonc que l’Etat peut estimer nécessaire de re-courir à certaines mesures, telles les visites do-miciliaires et les saisies, pour établir la preuvematérielle de délits de change et en poursuivre lecas échéant les auteurs. Les Juges de Strasbourgprirent cependant soin de préciser que la législationet la pratique en la matière doivent offrir des garan-ties adéquates et suffisantes contre les abus. Or, iln’en allait pas ainsi en l’occurrence. Les Juges rele-vèrent notamment qu’à l’époque l’administrationdes douanes disposait de pouvoirs fort larges etqu’en l’absence d’un mandat judiciaire, les restric-tions et conditions prévues par la loi apparais-

210 Miailhe c/ France, arrêtdu 25 juillet 1993. Voirles affaires similaires Fun-ke c/ France, arrêt du 25février 1993 et Cremieuxc/ France, arrêt du 25février 1993, qui exami-naient la même législa-tion douanière.

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saient trop lâches et lacunaires pour que les in-gérences dans les droits des requérants fussentétroitement proportionnées au but légitime recher-ché. Ils critiquèrent également le fait que les saisiessubies par les requérants avaient revêtu un carac-

tère massif et surtout indifférencié ; à telle enseigneque les douanes jugèrent sans intérêt pour l’en-quête plusieurs milliers de documents et les resti-tuèrent aux intéressés. Par conséquent, il y avait euviolation de l’article 8.

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Direction générale des droits de l’hommeConseil de l’EuropeF-67075 Strasbourg Cedex

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Cette série de précis sur les droits de l'homme a été créée afin deproposer des guides pratiques sur la manière dont la Cour euro-péenne des Droits de l'Homme, à Strasbourg, met en œuvre et inter-prète les différents articles de la Convention européenne des Droitsde l'Homme. Ils ont été conçus pour les praticiens du droit, et plusparticulièrement les juges, mais restent accessibles à tous ceux quis'y intéressent.

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