La portée du droit au respect de la vie privée et le droit...

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Doctrine 153 Revue Générale du Contentieux Fiscal 2015/3 Mai Juin La portée du droit au respect de la vie privée et le droit de visite de l’administration fiscale – L’importance de l’arrêt Bernh Larsen nuancée SYLVIE DE RAEDT (1) I. Introduction Bien que le droit de visite domiciliaire en matière fiscale figure déjà depuis un demi-siècle dans les codes fiscaux (en ce qui concerne les impôts sur les revenus et la T.V.A.) et que la loi n’ait pas subi de modifications significatives (2) , il a fait l’objet de nombreuses discussions ces dernières années et tout particulièrement ces derniers mois dans la littérature juridique (3) . Le point de départ est la manière dont l’administration interprète le droit de visite domici- liaire en pratique. Ce sont essentiellement les « as- sauts » de l’administration fiscale à l’occasion des- quels des fichiers informatiques du contribuable sont copiés (que ce soit par les fonctionnaires du fisc ou non) et emportés, qui font l’objet de critiques et qui suscitent de plus en plus de questions en doctrine quant à la compatibilité de pareilles pratiques avec le droit au respect de la vie privée (4) . Lorsque la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, la Cour) a rendu un arrêt en date du 14 mars 2013, qui traite précisément de la duplica- tion d’un serveur complet d’un contribuable norvé- gien (5) , il s’est véritablement agi pour le juriste à l’af- fût de ces questions d’une breaking news. La Cour a conclu dans cette affaire concernant la Norvège qu’il n’y avait pas de violation du droit au respect de la vie privée tel que formulé dans l’article 8 de la Conven- tion européenne des droits de l’homme (ci-après, la Convention). De prime abord, cela apparaît comme du pain béni pour l’administration fiscale, qui consi- dère ces pratiques comme légales. Après un examen plus approfondi, cette conclusion doit cependant être fondamentalement nuancée. Ceci ne signifie pas que l’on ne peut pas tirer de conclusions perti- nentes de cet arrêt en ce qui concerne la portée du droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention et la portée du droit belge de visite domiciliaire en matière fiscale. L’ar- rêt nous permet, en réalité, d’affiner et de préciser les conclusions qui pouvaient déjà être retirées de la jurisprudence antérieure. Les lignes qui suivent visent à faire une analyse de la jurisprudence de la Cour à propos de l’article 8 de la Convention, dans la mesure où cela s’avère pertinent dans le cadre du droit belge de visite domiciliaire en matière fiscale et à exposer dans quelle mesure l’ar- rêt du 14 mars 2013 de la Cour ( Bernh Larsen) contribue à affiner les conclusions existantes. II. L’article 8 de la Convention – Généralités L’article 8 de la Convention affirme dans son pre- mier paragraphe que toute personne a droit au res- pect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Le second paragraphe précise (1) Assistante UGent (unité de droit fiscal) et avocat. (2) Pour un examen de ces modifications : J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 9-12. (3) K. HEYRMAN, « Het huiszoekingsrecht van de fiscale administratie inzake BTW en inkomstenbelasting », T.F.R., 2004, 448 ; J. PIETERS, « Is de fiscus bevoegd tot huiszoeking ? », A.F.T., 2004, p. 26 ; T. JANSEN, « Cassatie over artikel 319 WIB 1992 - Impliceert het bezoekrecht toch een onderzoeksrecht ? », Fisc. Act., 2008, n o  37, 1-5 ; K. JANSSEN et J. VAN- DEN BRANDEN, « Fiscus mag alle gegevens van computer halen », Fisc. Act. 2011, n o  43/15 ; A. BOUWEN, « Omtrent de onderzoeksbevoegdheid van AOIF en BBI, in het algemeen, en hun bevoegdheid om kopieën te maken – zonder toelating – van gegevens van een computersysteem, in het bijzonder », T.F.R., 2012, 214 ; S. DE RAEDT, « Repliek : de limieten van de controle van computerbestanden », T.F.R., 2012, 222 ; S. DE RAEDT et M. MAUS, « Ook volgens Mensenrechtenhof mag fiscus computerbestanden kopiëren », Fisc. Act., 2013, n o  13, 1-4 ; A. BOUWEN, « Fiscale visitatie kan ver gaan maar is niet willekeurig », Fisc. Act., 2013, n o  15, pp. 6-10 ; M. MAUS, « De draagwijdte van het fiscaal visitatierecht. Is de grens bereikt ? », Fisc. Act., 2013, n o  23, pp. 1-4 ; S. DE RAEDT, « Het fiscale visitatierecht : de geschiedenis herschreven », T.F.R., 2013, 571 et s. ; J. BOSSUYT, « Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, n os  8-9, pp. 8 et s. ; J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s. ; V. DAUGINET et V. VERCAUTEREN, « Fiscale huiszoekingen », T.F.R., 2014, 453-454, p. 76. (4) E.a. J. BOSSUYT, « Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, n os  8-9, 8 et s. ; J. BONNE et W. VET- TERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s. ; V. DAUGINET et V. VERCAUTEREN, « Fis- cale huiszoekingen », T.F.R., 2014, 453-545, p. 76. (5) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, TFR-Net, 2014/N2.

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La portée du droit au respect de la vie privée et le droit de visite de l’administration fiscale – L’importance de l’arrêt Bernh Larsen nuancée

SYLVIE DE RAEDT (1)

I. IntroductionBien que le droit de visite domiciliaire en matièrefiscale figure déjà depuis un demi-siècle dans lescodes fiscaux (en ce qui concerne les impôts sur lesrevenus et la T.V.A.) et que la loi n’ait pas subi demodifications significatives (2), il a fait l’objet denombreuses discussions ces dernières années et toutparticulièrement ces derniers mois dans la littératurejuridique (3). Le point de départ est la manière dontl’administration interprète le droit de visite domici-liaire en pratique. Ce sont essentiellement les « as-sauts » de l’administration fiscale à l’occasion des-quels des fichiers informatiques du contribuablesont copiés (que ce soit par les fonctionnaires du fiscou non) et emportés, qui font l’objet de critiques etqui suscitent de plus en plus de questions en doctrinequant à la compatibilité de pareilles pratiques avec ledroit au respect de la vie privée (4).

Lorsque la Cour européenne des droits de l’homme(ci-après, la Cour) a rendu un arrêt en date du14 mars 2013, qui traite précisément de la duplica-tion d’un serveur complet d’un contribuable norvé-gien (5), il s’est véritablement agi pour le juriste à l’af-fût de ces questions d’une breaking news. La Cour aconclu dans cette affaire concernant la Norvège qu’iln’y avait pas de violation du droit au respect de la vieprivée tel que formulé dans l’article 8 de la Conven-tion européenne des droits de l’homme (ci-après, la

Convention). De prime abord, cela apparaît commedu pain béni pour l’administration fiscale, qui consi-dère ces pratiques comme légales. Après un examenplus approfondi, cette conclusion doit cependantêtre fondamentalement nuancée. Ceci ne signifiepas que l’on ne peut pas tirer de conclusions perti-nentes de cet arrêt en ce qui concerne la portée dudroit au respect de la vie privée tel que garanti parl’article 8 de la Convention et la portée du droitbelge de visite domiciliaire en matière fiscale. L’ar-rêt nous permet, en réalité, d’affiner et de préciserles conclusions qui pouvaient déjà être retirées de lajurisprudence antérieure.

Les lignes qui suivent visent à faire une analyse de lajurisprudence de la Cour à propos de l’article 8 de laConvention, dans la mesure où cela s’avère pertinentdans le cadre du droit belge de visite domiciliaire enmatière fiscale et à exposer dans quelle mesure l’ar-rêt du 14 mars 2013 de la Cour (Bernh Larsen)contribue à affiner les conclusions existantes.

II. L’article 8 de la Convention – Généralités

L’article 8 de la Convention affirme dans son pre-mier paragraphe que toute personne a droit au res-pect de sa vie privée et familiale, de son domicile etde sa correspondance. Le second paragraphe précise

(1) Assistante UGent (unité de droit fiscal) et avocat.(2) Pour un examen de ces modifications : J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014,

453-454, pp. 9-12.(3) K. HEYRMAN, « Het huiszoekingsrecht van de fiscale administratie inzake BTW en inkomstenbelasting », T.F.R., 2004,

448 ; J. PIETERS, « Is de fiscus bevoegd tot huiszoeking ? », A.F.T., 2004, p. 26 ; T. JANSEN, « Cassatie over artikel 319WIB 1992 - Impliceert het bezoekrecht toch een onderzoeksrecht ? », Fisc. Act., 2008, no 37, 1-5 ; K. JANSSEN et J. VAN-DEN BRANDEN, « Fiscus mag alle gegevens van computer halen », Fisc. Act. 2011, no 43/15 ; A. BOUWEN, « Omtrent deonderzoeksbevoegdheid van AOIF en BBI, in het algemeen, en hun bevoegdheid om kopieën te maken – zonder toelating– van gegevens van een computersysteem, in het bijzonder », T.F.R., 2012, 214 ; S. DE RAEDT, « Repliek : de limieten vande controle van computerbestanden », T.F.R., 2012, 222 ; S. DE RAEDT et M. MAUS, « Ook volgens Mensenrechtenhofmag fiscus computerbestanden kopiëren », Fisc. Act., 2013, no 13, 1-4 ; A. BOUWEN, « Fiscale visitatie kan ver gaan maaris niet willekeurig », Fisc. Act., 2013, no 15, pp. 6-10 ; M. MAUS, « De draagwijdte van het fiscaal visitatierecht. Is de grensbereikt ? », Fisc. Act., 2013, no 23, pp. 1-4 ; S. DE RAEDT, « Het fiscale visitatierecht : de geschiedenis herschreven »,T.F.R., 2013, 571 et s. ; J. BOSSUYT, « Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, nos 8-9, pp. 8 et s. ;J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s. ; V. DAUGINET et V.VERCAUTEREN, « Fiscale huiszoekingen », T.F.R., 2014, 453-454, p. 76.

(4) E.a. J. BOSSUYT, « Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, nos 8-9, 8 et s. ; J. BONNE et W. VET-TERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s. ; V. DAUGINET et V. VERCAUTEREN, « Fis-cale huiszoekingen », T.F.R., 2014, 453-545, p. 76.

(5) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, TFR-Net, 2014/N2.

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à quelles conditions une ingérence est possible de lapart d’une autorité publique dans l’exercice de cedroit, à savoir que cette ingérence doit être prévuepar la loi et qu’elle doit constituer une mesure qui,dans une société démocratique, est nécessaire à cer-tains buts légitimes (6).

Ci-dessous, nous expliquerons la manière dont la ju-risprudence de la Cour donne sens aux deux para-graphes de l’article 8 de la Convention, dans la me-sure où ceci est utile à l’appréciation des pouvoirsd’investigation de l’administration fiscale en généralet le droit de visite domiciliaire en matière fiscale enparticulier.

III. Les droits protégésL’article 8 de la Convention protège le droit au res-pect de la vie privée, le domicile, la vie familiale et lacorrespondance.

A. La vie privée

1. GénéralitésEn doctrine, le droit au respect de la vie privée estsouvent considéré comme un ensemble, dont ledroit à l’inviolabilité du domicile, de la correspon-dance et à la vie familiale constituent des subdivi-sions (7).

Pourtant, la Cour considère parfois le droit au res-pect de la vie privée également comme un droit spé-cifique qui se distingue des trois autres droits. LaCour s’abstient cependant de donner une définitionprécise de ce droit au respect de la vie privée. Enoutre, la Cour ne fait souvent pas de différence claireentre les quatre droits protégés à l’article 8, pas plusqu’elle n’opère un choix précis. C’est ainsi que laprotection des conversations téléphoniques est aussibien considérée comme une subdivision du droit aurespect de la correspondance que comme le droit à

la vie privée (8). Une perquisition est également aussibien analysée comme une ingérence dans le droit aurespect de la vie privée que comme une ingérencedans le droit à l’inviolabilité du domicile (9).

C’est pourquoi il nous semble justifié dans le cadrede cette étude d’utiliser simplement la notion « droità la vie privée », sans autre précision.

2. La protection du droit à la vie privée pendant les visites domiciliaires en matière fiscaleIl n’est pas impensable que pendant une visite fis-cale, une violation du droit à la vie privée inter-vienne, sans que cette violation puisse être catalo-guée comme une violation au droit à l’inviolabilitédu domicile ou au droit à la correspondance (10).Nous pensons, par exemple, à la situation qui verraitl’administration fiscale faire appel pendant la visitefiscale à son droit général d’adresser une demandede renseignements (par exemple, en matière d’im-pôts sur les revenus sur la base de l’article 316 duC.I.R. 1992). Dans la mesure où les renseignementsdemandés ne sont pas de nature à ce qu’une forme decommunication (« correspondance ») soit sacrifiée,il est possible que les renseignements touchent audroit au respect de la vie privée en général (11) (12).

B. Le domicile

1. GénéralitésLorsqu’on examine la visite domiciliaire en matièrefiscale, le droit au respect du domicile est évidem-ment important. Puisque le droit au respect du do-micile constitue, dans le contexte de l’article 8 de laConvention, une subdivision du droit au respect dela vie privée, il ne vise pas la protection du droit depropriété se rapportant au domicile, mais bien la li-berté individuelle, la sécurité et le bien-être des ha-bitants (13). Le droit fondamental ne peut, par consé-

(6) Ces objectifs légitimes sont la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordreet la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, la protection des droits et libertésd’autrui.

(7) P. DE HERT, « Het recht op privacy », in J. VANDE LANOTTE et Y. HAECK, Handboek EVRM - Deel II - Artikelsgewijze com-mentaar, Anvers, Intersentia, 2005, p. 711, avec renvoi à différents auteurs. Dans la littérature néerlandaise :L.F.M. VERHEY, Horizontale werking van grondrechten in het bijzonder het recht op privacy, Zwolle, Tjeenk-Willink, 1992,p. 200 ; H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN et H. KRABBE, HetEVRM en het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, p. 149.

(8) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 6 septembre 1978, Klass c. Allemagne ; Cour eur. D.H., 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Kruslin c. France.

(9) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 30 mars 1989, Chappell c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne.(10) Voy. pour ce qui concerne une description du droit à l’inviolabilité du domicile et du droit à la correspondance, les

points III.B. et III.C.(11) Cour eur. D.H., 7 décembre 1982, Hardy-Spirlet c. Belgique.(12) En ce qui concerne la notion d’« ingérence » même, voy. le point V.(13) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 24 novembre 1986, Gillow c. Royaume-Uni, § 55 et Cour eur. D.H., 25 septembre 1996,

Buckley c. Royaume-Uni, § 76.

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quent, être invoqué que par l’habitant, pas par lepropriétaire qui n’occupe pas les lieux (14).

a) Le domicile entendu comme le domicile privé

Dans la jurisprudence de la Cour, la notion de domicileest interprétée de façon large et ne recouvre pas uni-quement le domicile à proprement parler, mais aussitoute la surface qui définit l’essence même du droit dejouissance, telle que le jardin et les garages (15). Il en vade même des chambres d’hôtel, des chambres d’hôteset des résidences temporaires qui tombent égalementdans le champ d’application de cette notion (16).

Des cellules de prison et un terrain sur lequel on al’intention de bâtir une maison ne tombent, en re-vanche, pas, sur la base du même raisonnement, dansle champ d’application de la notion de domicile (17).

b) Les locaux professionnels également

C’est dans l’affaire Chappell c. Royaume-Uni du30 mars 1989 (18), qu’il fut, pour la première fois, im-plicitement reconnu que des locaux professionnelstombent dans le champ d’application de l’article 8 dela Convention. Dans cette affaire, un contrôle avaitété diligenté dans un bâtiment qui était utilisécomme domicile par le requérant, mais égalementcomme bureau de l’entreprise que le requérant ex-ploitait au travers d’une société. L’entreprise avaitpour objet social la location de vidéos et était soup-çonnée de louer du matériel obscène et, en outre, devioler la législation en matière de protection du droitd’auteur. Le contrôle était exercé de concert par lapolice dans le cadre d’une procédure pénale et pardes représentants d’une association représentant lesdroits des auteurs qui avaient obtenu d’un tribunalun « Anton Pillar order ». Cet « Anton Pillar or-der » conférait à l’association de défense des intérêtsdes auteurs le droit de saisir les preuves d’infractionsà la législation relative au droit d’auteur. Dans cetteaffaire, le gouvernement anglais admettait qu’il yavait bien eu une ingérence dans le droit au respectde la vie privée et le droit au domicile du requérant(personne physique), de sorte que la Cour n’avaitplus à examiner cet aspect de l’affaire. La Cour se li-mite, dès lors, à examiner ce qui opposait encore lesparties, à savoir la question de savoir si l’ingérence

était bien légale et nécessaire dans un État démocra-tique. La Cour va, par la suite, régulièrement ren-voyer à l’affaire Chappell pour affirmer que les locauxprofessionnels bénéficient bien de la protection del’article 8 de la Convention. Dans l’arrêt Niemietz du16 décembre 1992, la Cour adopte pour la premièrefois explicitement l’affirmation selon laquelle les lo-caux professionnels bénéficient également de la pro-tection de l’article 8 de la Convention (19). Dans cetteaffaire, il était question d’une perquisition dans uncabinet d’avocat exploité par une personne physique.La Cour livre immédiatement la justification de sonpoint de vue, ce qui autorise à tirer un certainnombre de conclusions intéressantes sur la questionde savoir quels locaux professionnels tombent sousla protection de l’article 8 de la Convention et quelslocaux professionnels en sont exclus. Dans l’arrêtNiemietz, la Cour se pose d’abord la question de sa-voir si la vie professionnelle peut également formerune subdivision de la notion de « vie privée » telleque visée à l’article 8 de la Convention. La Cour af-firme à cet égard que la notion de vie privée ne peutêtre limitée à un cercle restreint dans lequel un indi-vidu mène sa vie personnelle. Le droit de nouer desrelations doit, également, d’une certaine façon, êtreconsidéré comme une subdivision du droit au res-pect de la vie privée. En tenant compte du fait quebeaucoup de gens bénéficient essentiellement dansle cadre de leur vie professionnelle de la possibilitéde nouer des contacts avec d’autres personnes, iln’existe, selon la Cour, aucune bonne raison d’ex-clure la vie professionnelle de la notion de « vie pri-vée ». En outre, selon la Cour, il n’est pas toujourspossible de faire une distinction nette entre des acti-vités qui font partie de la vie professionnelle d’unepersonne et celles qui n’en relèvent pas, ce qui serasurtout le cas des personnes qui exercent une profes-sion libérale. Le droit à la protection de la vie privéede l’article 8 de la Convention ne peut, dès lors, êtreexclu sur la base du fait que la mesure ne viserait queles activités professionnelles et pas des activités pri-vées. Dans le cas contraire, on créerait, en effet, unediscrimination injustifiée entre les personnes dontles activités professionnelles sont clairement dis-tinctes de leur vie privée et celles chez qui les activi-tés sont plus difficilement dissociables (20).

(14) Cour eur. D.H., 24 novembre 1986, Gillow c. Royaume-Uni.(15) P. DE HERT, « Het recht op privacy », in J. VANDE LANOTTE et Y. HAECK, Handboek EVRM - Deel II - Artikelsgewijze com-

mentaar, Anvers, Intersentia, 2005, p. 760.(16) P. DE HERT, « Het recht op privacy », in J. VANDE LANOTTE et Y. HAECK, Handboek EVRM - Deel II - Artikelsgewijze com-

mentaar, Anvers, Intersentia, 2005, p. 761, avec renvoi à Cour eur. D.H., 24 novembre 1986, Gillow c. Royaume-Uni.(17) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, NIemietz c. Allemagne.(18) Cour eur. D.H., 30 mars 1989, Chappell c. Royaume-Uni.(19) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne.(20) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 29.

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La Cour se pose ensuite la question de savoir si leslocaux professionnels peuvent tomber sous le coupde la notion de « domicile » telle que visée à l’ar-ticle 8 de la Convention. S’agissant de cette ques-tion, la Cour relève que certains États membres (21),comme l’Allemagne, interprètent déjà la notion dedomicile, de telle manière que les locaux profession-nels y répondent bien (22). La Cour affirme que ceciest conforme à la traduction française de la notionde home, qui parle de « domicile ». « Domicile » aune connotation plus large que la notion de homedans la version anglaise du texte de l’article 8 de laConvention, et un bureau peut, par exemple, égale-ment tomber dans le champ d’application de la no-tion de « domicile ». Une interprétation étroite dela notion de home risquerait, en outre, de conduire àun traitement discriminatoire de certaines per-sonnes, dès lors que certaines activités profession-nelles peuvent être exercées depuis le domicile etinversement (23).

La Cour décide, dès lors, que l’interprétation destermes « vie privée » et « domicile », en y intégrantrespectivement les activités professionnelles et leslocaux professionnels, est en conformité avec l’ob-jectif poursuivi par l’article 8 de la Convention, quiconsiste à protéger un individu contre l’ingérencearbitraire de l’autorité publique. Sur la base de ceraisonnement, les locaux professionnels dans les-quels a priori il n’y a pas de contacts sociaux, tels quedes entrepôts, ne bénéficient pas de la protection del’article 8 de la Convention (24).

C’est ainsi que la Cour a décidé dans l’affaire Leveauet Fillon c. France du 6 septembre 2005 que certainesrestrictions devaient être posées à une interprétationdynamique de la notion de home, afin d’éviter qu’endépit du bon sens, l’esprit de la Convention ne soitviolé. L’affaire en question concernait une entre-prise spécialisée dans l’élevage de porcs et le bâti-ment qui abritait plusieurs centaines de porcs n’a pasbénéficié de la protection de l’article 8 de laConvention. Il en a été de même dans l’affaire Kha-midov du 15 novembre 2007, où le moulin, la bou-langerie et le local d’entreposage d’une entrepriseont été exclus pour la même raison de la protection

du droit au domicile tel que prévu à l’article 8 de laConvention. Le terrain appartenant à cette entre-prise n’a pas non plus été protégé par le droit au do-micile visé à l’article 8 de la Convention (25). Moinsévident est le fait que la Cour semble également ex-clure de la protection du droit au domicile les locauxprofessionnels dans lesquels une activité illégale estexercée. En l’espèce, il peut être renvoyé à l’affaireLee Davies du 28 juillet 2009, dans laquelle le requé-rant utilisait certains bâtiments dans le cadre de sontrafic de stupéfiants. Ces bâtiments ne bénéficientpas, selon la Cour, de la protection de l’article 8 dela Convention (26).

Cette décision de la Cour est critiquable. Ce ne sera,en effet, qu’après que les actes d’investigation ontété posés (et éventuellement après que la violationde l’article 8 de la Convention a été consommée)qu’il pourra être constaté si l’activité exercée dans lebâtiment est légale ou non. Il est important de rele-ver, à propos de la protection des locaux profession-nels par l’article 8 de la Convention, qu’à plusieursreprises et, entre autres, dans l’affaire Niemietz, laCour a affirmé que l’ingérence de l’autorité publiquepeut être plus radicale lorsqu’il s’agit de locaux pro-fessionnels que lorsqu’il s’agit de domiciles. Dans lajurisprudence ultérieure, la Cour accordera égale-ment la protection des locaux professionnels à deslocaux dans lesquels d’autres activités sont exercéesque celles du titulaire d’une profession libérale, etreconnaître expressément que des locaux profes-sionnels de personnes morales peuvent tout autantbénéficier de la protection de l’article 8 de laConvention (voy. ci-après l’affaire Sociétés Colas Estdu 16 avril 2002).

c) Fichiers informatiques trouvés dans les domiciles et locaux professionnels

Les données électroniques trouvées dans les systèmesinformatiques d’une personne physique ou d’unepersonne morale sont, selon la jurisprudence de laCour, également protégées au titre de l’article 8 de laConvention. Dans certains cas, la Cour y applique laprotection du droit au domicile, alors que dansd’autres cas, elle considère qu’il est question du droit

(21) Par États membres, on entend les États membres du Conseil de l’Europe.(22) L’article 13, § 1er, de la Constitution garantit l’inviolabilité du domicile ; cette disposition a été interprétée de manière

étendue par la Cour constitutionnelle allemande et comprend également les locaux professionnels (voy. par exemple Courconstitutionnelle allemande, 13 octobre 1971, Entscheidungssammlung des Bundesverfassungsgerichts, vol. 32, p. 54).

(23) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 30.(24) Voy. également H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN et H.

KRABBE, Het EVRM en het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, p. 157.(25) Cour eur. D.H., 15 novembre 2007, Khamidov c. Russie.(26) La Cour affirme plus généralement : « Or cette dernière activité délictueuse (un trafic de stupéfiants) ne peut être consi-

dérée comme une activité professionnelle et/ou commerciale protégée par la notion de domicile au sens de l’article 8 ».

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à la correspondance (27), et ce indépendamment du faitqu’il soit établi qu’il est question d’une quelconqueforme de communication dans les fichiers électro-niques visés par la mesure ou non. Tant la personnephysique que la personne morale qui fait l’objet d’unemesure d’investigation relative à des données électro-niques que les tiers dont les données électroniquessont visées peuvent d’ailleurs bénéficier de la protec-tion des données électroniques sur la base de l’ar-ticle 8 de la Convention, à condition cependant depouvoir démontrer qu’ils sont préjudiciés. C’est ainsique dans l’affaire Bernh Larsen du 14 mars 2013, laCour devait se prononcer sur les mesures d’investiga-tion (fiscale) dans le cadre desquelles des donnéesélectroniques (un back-up complet du serveur) avaientété saisies. Le serveur ne contenait toutefois pas seu-lement des données propres au contribuablecontrôlé, mais également d’autres sociétés (liées). Il aété admis que cette mesure constituait à la fois une in-gérence dans le droit au domicile et à la correspon-dance de la société contribuable concernée mais éga-lement dans celui des autres sociétés (qui étaientégalement requérantes dans l’affaire concernée) dontles données électroniques étaient également conser-vées dans ce serveur.

d) Domicile et locaux professionnels de personnes tenues au secret professionnel

Tant le domicile que les locaux professionnels depersonnes qui sont tenues au secret professionneljouissent d’une protection particulière sur la base del’article 8 de la Convention. C’est surtout dans lecadre du contrôle de la conformité d’actes d’investi-gation visant des avocats, à l’article 8 de la Conven-tion que la Cour a affirmé, à plusieurs reprises, cetteprotection particulière (28). Cette protection particu-lière se justifie par la nécessité de disposer de garan-ties procédurales supplémentaires contre l’abus (29).

L’exigence de garanties procédurales contre l’abusest une exigence qui est posée par la Cour dans lecadre de la condition de nécessité de l’article 8.2 de laConvention, qui sera développée sous le point VI, C,ci-après. La justification de cette exigence de garan-ties supplémentaires contre l’abus dans le cadre, parexemple, de perquisitions chez des avocats, peut êtretrouvée dans le fait que les avocats jouent un rôle fon-damental dans une société démocratique, à savoir ce-lui de défendre des personnes. Cette tâche ne sauraitêtre exercée de manière satisfaisante si l’avocat nepouvait garantir à son client que ce qu’il confie à sonconseil reste confidentiel. Le secret professionnel del’avocat, qui constitue la base de sa relation deconfiance avec le client, constitue, selon la Cour, unaspect fondamental pour un bon fonctionnement dela justice dans une société démocratique (30). Aux finsde cette protection particulière, il ne peut, selon laCour, par ailleurs, pas être fait de distinction entre,d’une part, un avocat inscrit au barreau du pays oùl’ingérence litigieuse dans le droit au respect de la vieprivée est intervenue, d’autre part, un avocat qui estinscrit à un barreau d’un autre pays de l’Union euro-péenne et qui exerce occasionnellement sa professiondans le pays où l’ingérence dans le droit au respect àla vie privée litigieuse se produit. Les mêmes garan-ties procédurales doivent valoir pour une perquisi-tion chez un avocat dans sa seconde résidence dansun pays où il n’est pas inscrit au barreau (31).

2. La notion de domicile en cas de visite fiscaleÀ l’occasion d’une visite domiciliaire en matière fis-cale également, tant le domicile que le local profes-sionnel (dans la mesure où des contacts sociaux peu-vent s’y dérouler) vont bénéficier de la protection del’article 8 de la Convention, même si ces locaux ap-partiennent à une personne morale (voy. infra). Des

(27) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 106 ; Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wiese randBicos Beteiligungen c. Autriche, § 45, dans lequel la Cour affirme d’ailleurs clairement qu’il n’y a pas lieu de distinguer selonque le requérant est une personne physique (Wieser) ou une personne morale (Bicos) pour ce qui concerne l’appréciationde la question de savoir si les données électroniques bénéficient de la protection de l’article 8.1 de la Convention et, enparticulier, le droit à la correspondance ; Cour eur. D.H., 27 septembre 2005, Sallinen c. Finlande, § 71.

(28) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne ; Cour eur. D.H., 25 février 2003, Roemen et Schmit c. Luxem-bourg ; Cour eur. D.H., 27 décembre 2005, Sallinen e.a. c. Finlande ; Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wieser et BicosBeteiligungen GmbH c. Autriche ; Cour eur. D.H., 24 juillet 2008, André e.a. c. France ; Cour eur. D.H., 21 janvier 2010,Xavier da Silveira c. France ; Cour eur. D.H., 5 juillet 2012, Golovan c. Ukraine.

(29) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 37.(30) Cour eur. D.H., 25 février 2003, Roemen et Schmit c. Luxembourg, § 69 ; Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wieser et Bicos c.

Autriche, §§ 65 et 66 ; Cour eur. D.H., 24 juillet 2008, André e.a. c. France, §§ 36-37 et § 41 ; Cour eur. D.H., 21 janvier2010, Xavier da Silveira c. France, §§ 36-37 ; Cour eur. D.H., 5 juillet 2012, Golovan c. Ukraine, § 62 ; Cour eur. D.H.,6 décembre 2012, Michaud c. France, §§ 117-118.

(31) Cour eur. D.H., 21 janvier 2010, Xavier da Silveira c. France, § 41 (dans cette affaire, la perquisition avait été menée dansla seconde résidence d’un avocat portugais établie dans un château en France. La législation française prévoit le contrôledu bâtonnier en cas de semblable perquisition, ce qui fut refusé par les services de police en raison du fait que le requérantn’était pas inscrit à un barreau en France, ce que la législation n’exigeait pas pour des avocats d’un autre pays de l’Unioneuropéenne qui exerce occasionnellement leur profession en France).

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locaux à usage mixte (privé et professionnel) tom-bent également a priori sous la protection de l’ar-ticle 8 de la Convention. Des locaux dans lesquelss’exerce une activité illégale ne bénéficient, en re-vanche, pas de la protection de l’article 8 de laConvention. Les fichiers électroniques trouvés dansle domicile ou le local professionnel jouissent égale-ment de la protection de l’article 8 de la Conventionet dans certains cas la Cour va y voir une composantede la protection du droit au domicile. En cas de vi-sites en matière fiscale de domiciles ou locaux pro-fessionnels appartenant à des personnes qui sont te-nues au secret professionnel, des garantiessupplémentaires contre l’abus s’imposent, car cesdomiciles et locaux jouissent d’une protection parti-culière. Ces garanties supplémentaires seront discu-tées plus loin dans le cadre de la condition de néces-sité.

C. La correspondance

1. GénéralitésDans la version belge du texte de l’article 8 de laConvention, il est question du droit à la correspon-dance qui est la traduction littérale du terme corres-pondence en anglais (32). En raison de la portée largequi est donnée en jurisprudence à ce terme, on parlesouvent en doctrine du droit à la communication (33).De façon très schématique, le droit à la communica-tion englobe toute forme de communication entreles personnes et les organisations (34).

a) La forme de la communication est indifférente

La correspondance au sens classique du termetombe sous la protection de l’article 8 de la Conven-

tion. Tant les courriers fermés qu’ouverts sont vi-sés (35), dès lors qu’ils jouent tous les deux un rôledans la communication entre les personnes. La por-tée étroite du secret des lettres, tel que prévu dans laConstitution belge (article 29), qui ne confère laprotection qu’aux lettres confiées à la poste (36), nejoue donc ici pas complètement. Des conversationstéléphoniques, des télécopies (fax), courriels oud’autres moyens de communication tombent sous laprotection de ce droit. Des agendas ne bénéficientpas de la protection du droit à la communicationparce qu’ils ne jouent aucun rôle dans le contexte descontacts entre les personnes (37), ce qui ne signifie pasqu’ils ne peuvent pas être protégés en tant que com-posante du droit au respect de la vie privée.

b) La protection vise tant le droit à communiquer que le contenu

Il n’y a pas que le caractère confidentiel du contenude la communication qui est protégé. La protectionvise également le droit à communiquer. C’est ainsique les données d’identification de conversations té-léphoniques sont également protégées (38).

c) Tant le contenu privé que professionnel

Étant donné que c’est la confidentialité de la com-munication qui est protégée par l’article 8 de laConvention, il importe peu que la communicationsoit de nature professionnelle (39).

d) Communication avec des personnes tenues au secret professionnel

La communication avec une personne tenue au se-cret professionnel bénéficie – à l’instar de ce qui pré-vaut pour le domicile ou le local professionnel de

(32) On relèvera que dans la version néerlandaise de l’article 8 de la Convention, il est question du droit à la correspondance ;H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN et H. KRABBE, Het EVRMen het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, p. 156.

(33) P. DE HERT, Artikel 8 EVRM en het Belgisch recht - De bescherming van privacy, gezin, woonst en communicatie, Gand, Mys &Breesch, 1998, 367, 322, no 383 ; P. DE HERT, « Het recht op privacy », in J. VANDE LANOTTE et Y. HAECK, HandboekEVRM - Deel II - Artikelsgewijze commentaar, Anvers, Intersentia, 2005, p. 710.

(34) H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN et H. KRABBE, Het EVRMen het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, 156.

(35) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne ; P. DE HERT, « Artikel 8 recht op privacy », in J. VANDELANOTTE et Y. HAECK (éd.), Handboek EVRM. Artikelsgewijze commentaar, Anvers, Intersentia, 2004-2005, p. 770 ;T. FREYNE, « De bewaking van privécommunicatie en -telecommunicatie in strafonderzoeken : een stand van zaken »,T. Straf., 2008, no 3, pp. 165-182 ; P. DE HERT, Artikel 8 EVRM en het Belgisch recht - De bescherming van privacy, gezin,woonst en communicatie, Gand, Mys & Breesch, 1998, 323, no 385.

(36) Cass., 21 octobre 2009, www.cass.be.(37) H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN et H. KRABBE, Het EVRM

en het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, p. 156.(38) Cour eur. D.H., 6 septembre 1978, Klass c. Allemagne, § 41 ; Cour eur. D.H., 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni, § 64 ;

Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Kruslin c. France ; Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Huvig c. France ; Cour eur. D.H., 25 juin1997, Halford c. Royaume-Uni, § 48 ; Cour eur. D.H., 30 juillet 1998, Valenzuela Contreras c. Espagne, § 42 ; Cour eur.D.H., 25 septembre 2001, PG et JH c. Royaume-Uni, § 42.

(39) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 32 ; Cour eur. D.H., 25 juin 1997, Halford c. Royaume-Uni,§ 44.

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cette personne – d’une protection particulière (40).Ceci s’explique également par le besoin de garantiesprocédurales supplémentaires contre l’abus et seraexaminé ci-après sous la condition de nécessité.

2. Notion de droit à la communication pendant une visite fiscalePendant une visite domiciliaire en matière fiscale,l’administration fiscale peut, dans une large mesure,entrer en contact avec la communication protégéepar l’article 8 de la Convention.

En premier lieu, on pense, en effet, à l’examen dedocuments, qui peut intervenir à l’occasion d’une vi-site domiciliaire en matière fiscale. Tant l’article 319du C.I.R. 1992 que l’article 63 du Code de la T.V.A.prévoient, en effet, que la visite peut viser, entreautres, l’examen des livres et documents. Chaquedocument qui peut être considéré comme le résultatd’une communication entre deux ou plusieurs per-sonnes tombe dans le champ d’application de la pro-tection de l’article 8 de la Convention. Il importepeu à cet égard que la communication n’interviennepas entre des personnes physiques, mais entre despersonnes morales, pas plus que n’a d’importance lefait que la communication ne concerne pas un sujetd’ordre privé. La correspondance du contribuableavec sa maîtresse est donc aussi bien protégée que lescourriers du contribuable à son comptable (ayant unobjet de nature non privée). Lorsque l’administra-tion fiscale entre en contact, pendant une visite do-miciliaire en matière fiscale, avec des fichiers élec-troniques, ceux-ci sont en grande partie protégés.Comme nous l’avons déjà vu, la Cour considère queles fichiers électroniques trouvés à l’occasion d’unacte d’investigation dans un domicile ou un localprofessionnel sont protégés tant au titre du droit audomicile qu’au titre du droit à la correspondance,sans qu’il ne faille démontrer que le fichier contientdes communications.

IV. Qui peut invoquer le droit au respect de la vie privée ?

A. Les personnes morales

À côté des personnes physiques, les personnes mo-rales jouissent aussi de la protection du droit au res-pect de la vie privée, en l’espèce le droit au domicileet le droit à la communication. Reconnaître que lespersonnes morales bénéficient aussi de la protectionde ces droits ne signifie toutefois pas que la Cour re-connaîtrait, que les personnes morales ont aussi unevie privée (41). Déjà, lors de la rédaction de laConvention, il semble qu’il n’était pas dans les in-tentions de réserver la protection des droits fonda-mentaux aux personnes physiques. Dans le préam-bule de la Convention, il est souligné que les droitsde l’homme doivent être protégés pour la préserva-tion et le développement de l’État de droit, maisaussi de la paix, de l’unité et de la justice en Europe,plutôt que d’être protégés en raison des idéaux d’hu-manité et de la valeur des êtres humains et du genrehumain. La Convention laisse donc la porte ouverteà ce qu’à côté des personnes physiques, toute orga-nisation (autre que l’État) ou tout groupe de per-sonnes, qui prétend être victime d’un des droits ga-rantis par la Convention, puisse déposer une requêterecevable (article 34 de la Convention). Enfin, l’ar-ticle 1er de la Convention affirme que les partiescontractantes garantissent les droits et libertés défi-nis au titre Ier de la Convention à toute personne re-levant de leur juridiction. C’est dans ce contexte quedepuis longtemps la protection d’autres droits fon-damentaux que le droit au respect de la vie privée estreconnue aux personnes morales, par exemple ledroit à la liberté d’expression (42).

En ce qui concerne le droit au respect de la vie pri-vée, il a fallu attendre jusqu’à 2002 pour avoir laconfirmation explicite que les personnes moralespouvaient également bénéficier de certains aspectsdu droit à la vie privée (en l’espèce, le droit au domi-cile). Dans l’affaire Sociétés Colas Est du 16 avril2002 (43), les autorités françaises avaient procédé à uncontrôle d’entreprises de construction (sociétés)

(40) On notera que le secret professionnel connaît également une protection sous l’angle de l’article 6 de la Convention, quine concerne cependant pas l’objet de cette étude.

(41) Dans l’affaire Association for European Integratie and Human Rights & Ekimdzhiev c. Bulgarie du 28 juin 2007, la Couraffirme que l’on peut douter du fait qu’une personne morale (en l’espèce une association) jouisse d’un droit au respect desa vie privée (voy. Cour eur. D.H., 28 juin 2007, Association for European Integration and Human Rights & Ekimdzhiev c. Bul-garie, § 60 : « The applicant association is therefore, contrary to what the Government suggest, not wholly deprived ofthe protection of Article 8 provision, it can be said that its mail and other communications, which are in issue in the pre-sent case, are covered by the notion of “correspondance” which applies equally to communications originating from pri-vate and business premises ».

(42) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 3 octobre 1968, NV Televisier c. Pays-Bas ; Cour eur. D.H., 21 mars 1975, Times News-paper Ltd, The Sunday Times, Harold Evans c. Royaume-Uni.

(43) Cour eur. D.H., 16 avril 2002, Sociétés Colas Est c. France.

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dans le cadre de pratiques illégales à l’occasion del’attribution de marchés publics pour des travaux devoirie. Il s’agissait d’une enquête menée par la direc-tion générale de la concurrence, de la consommationet de la répression des fraudes, à l’occasion de la-quelle des locaux professionnels de différentes en-treprises furent visités, dont ceux de la requérante,qui est une société. Ces contrôles dans les locauxprofessionnels intervinrent sans autorisation d’untribunal et sans le consentement des entreprisesconcernées. Des milliers de documents furent saisis.Ce type de contrôles était possible sur la base de lalégislation française alors applicable à la poursuited’infractions à la législation économique (44). Danscette affaire, c’est pour la première fois la sociétéelle-même qui se fondait sur l’article 8 de laConvention (45). La Cour affirme que la Conventionest un instrument vivant qui doit être interprété à lalumière des circonstances actuelles (46). Elle renvoieégalement à une décision antérieure dans laquelle ledroit à obtenir une compensation fut reconnu à dessociétés en raison de la violation de l’article 6 de laConvention (47). Poursuivant sur la lancée de cette in-terprétation dynamique de la Convention, la Courestime que le temps est venu d’interpréter, dans cer-taines circonstances, les droits garantis par l’article 8de la Convention comme impliquant également ledroit au respect du siège social d’une société, de sesagences ou de ses autres locaux professionnels. Tou-tefois, bien que les personnes morales puissent béné-ficier de la protection du droit au domicile (48), laCour eur. D.H. a affirmé à de nombreuses reprisesque la protection offerte aux personnes morales étaitd’un niveau moins élevé que pour les personnes phy-siques (49). Les personnes morales bénéficient égale-ment de la protection du droit aux communica-tions (50). Le niveau de protection semble à cet égardêtre le même pour les personnes physiques que pourles personnes morales, ce qui semble logique dès lors

que le droit à la correspondance protège la confiden-tialité de toute correspondance, quel qu’en soit lecontenu ou la forme qu’adopte cette correspon-dance (51).

B. Groupements sans personnalité juridique

Des groupements sans personnalité juridique ontdéjà pu introduire des requêtes recevables à proposd’autres droits fondamentaux que le droit au respectde la vie privée (52). Il nous semble que – par analogieavec la jurisprudence relative au droit au respect dela vie privée des personnes physiques – il peut êtreadmis qu’un groupement sans personnalité juridiquepourrait également invoquer la protection du droitau respect de la vie privée (droit au domicile, droitaux communications) dans la mesure où ce groupe-ment peut démontrer qu’il est – en tant que groupe-ment – affecté par la mesure critiquée sur le plan deses droits propres au respect de la vie privée (pas seu-lement de ses membres individuels).

V. Notion d’ingérence de l’autorité publique

A. Généralités

La protection des droits mentionnés au para-graphe 1er de l’article 8 de la Convention n’est pasabsolue. En effet, au paragraphe 2, il est précisé àquelles conditions une ingérence de l’autorité pu-blique dans l’exercice de ce droit, est possible. Ici sepose en premier lieu la question de savoir ce qu’ilconvient de comprendre par ingérence de l’autoritépublique. Il est important de mentionner d’abordque la Cour examine in concreto s’il est questiond’une ingérence et donc ne se contente pas de ce queprévoit la loi interne, mais examine si cette loi a

(44) Articles 15 et 16 de l’ordonnance no 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, à la poursuite et à la répression desinfractions à la législation économique.

(45) Dans l’affaire Chappell (Cour eur. D.H., 30 mars 1989, Chappell c. Royaume-Uni), c’était sans doute les locaux profession-nels d’une société qui furent l’objet d’une mesure d’investigation, mais c’était uniquement la personne physique qui invo-quait devant la Cour son droit au respect de sa vie privée et au respect de son domicile.

(46) Cour eur. D.H., 16 avril 2002, Sociétés Colas Est c. France, § 41 : la Cour renvoie pour la cause à sa jurisprudence dansl’affaire Cossey, dans laquelle elle adopte le même raisonnement (Cour eur. D.H., 27 septembre 1990, Cossey c. Royaume-Uni, § 35, in fine).

(47) Cour eur. D.H., 6 avril 2000, Comingersoll c. Portugal, §§ 33-35.(48) Ceci a été répété dans la jurisprudence ultérieure : voy. e.a. Cour eur. D.H., 27 septembre 2005, Sallinen e.a. c. Finlande.(49) Voy. e.a. Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne ; Cour eur. D.H., 16 avril 2002, Sociétés Colas Est c.

France.(50) Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wieser et Bicos Beteiligungen c. Autriche ; Cour eur. D.H., 28 juin 2007, Association for

European Integration and Human Rights & Ekimdzhiev c. Bulgarie ; Cour eur. D.H., 1er juillet 2008, Liberty c. Royaume-Uni.(51) Cour eur. D.H., 18 mai 2010, Kennedy c. Royaume-Uni, § 118 ; Cour eur. D.H., 6 décembre 2012, Michaud c. France, § 90.(52) Cour eur. D.H., 5 mai 1979, Église de scientologie c. Suède (à propos d’une Église) ; Cour eur. D.H., 8 février 1972, Syndicat

national de la police belge c. Belgique (syndicat) ; Cour eur. D.H., 18 décembre 1980, Liberal Party c. Royaume-Uni (parti poli-tique).

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rendu une ingérence par l’autorité publique dans lavie privée possible (53).

L’abstention d’une autorité publique peut égale-ment constituer une ingérence dans le droit au res-pect de la vie privée (54), même si ceci semble demoindre importance dans le cadre de l’examen despouvoirs d’investigation de l’État belge.

B. Est-il question d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée

lorsque l’administration pose des actes d’investigation ?

En matière d’actes d’investigation de l’administra-tion fiscale, on considère assez facilement qu’il estbien question d’une ingérence. À la suite de la déci-sion de la Cour dans l’affaire Hardy-Spirlet du 7 dé-cembre 1982, il peut être considéré que l’obligationpour un contribuable de collaborer à l’enquête fis-cale, suffit pour parler d’une ingérence de l’autoritépublique dans l’un des droits protégés par l’article 8de la Convention (dans la mesure où il est questionde l’un de ceux-ci, ce qui ainsi que cela a déjà été dé-montré plus haut, est très souvent le cas).

Dans cette affaire concernant la Belgique, la Com-mission devait se prononcer sur une demande derenseignements dans laquelle le contribuable s’étaitvu demander, sous peine de taxation d’office, decommuniquer un aperçu de ses dépenses privées. Se-lon la Commission, cette demande de renseigne-ments constitue en soi une ingérence dans le droit aurespect de la vie privée. La Commission a toutefoisconsidéré que dans le cas concret qui lui était sou-mis, l’ingérence était autorisée sur la base de l’ar-ticle 8.2 de la Convention, dès lors que l’ingérencesatisfaisait aux exigences de la base légale, de légiti-mité et de nécessité (cfr infra). Nous retrouvons lemême raisonnement dans l’affaire Bernh Larsen du14 mars 2013. La Cour a considéré que cette mesure(dupliquer le back-up du serveur dans le cadre d’uncontrôle fiscal) n’était peut-être pas équivalente à

une saisie dans le cadre d’un dossier pénal, ni nepouvait être réalisée sous la menace de sanctions pé-nales. La Cour a cependant vu dans cet acte d’inves-tigation une ingérence dans l’exercice du droit audomicile et à la correspondance au sens de l’article 8de la Convention, parce que le contribuable visé estlégalement tenu de consentir à la requête de l’admi-nistration fiscale (55).

Une obligation semblable existe également pour lescontribuables qui sont soumis en Belgique à une vi-site domiciliaire en matière fiscale (56). Le point de vueselon lequel il y a une ingérence dans le droit au res-pect de la vie privée dès l’instant où il est question, enmatière fiscale, d’une obligation légale de collabora-tion s’inscrit dans la jurisprudence qui a vu la Cour seprononcer sur l’accès à des locaux professionnels dansle cadre d’autres enquêtes à caractère non pénal (57).

VI. Ingérence autorisée de l’autorité publique

dans les différentes composantes du droit au respect de la vie privéeUne fois qu’est posé de manière claire le constatqu’il est question d’une ingérence par l’autorité pu-blique dans un droit protégé par l’article 8 de laConvention (ce qui à la lumière de ce qui a été vu ci-dessus sera rapidement le cas dans le cadre d’actesd’investigation en matière fiscale, comme la visite delocaux professionnels et d’habitations privées), ilfaut examiner si la Convention autorise cette ingé-rence. À cet effet, il faut que trois conditions soientremplies : il faut, en premier lieu, une base légale(condition de légalité), cette ingérence doit en outrepoursuivre un but légitime (condition de légitimité)et, enfin, l’ingérence doit être nécessaire dans unesociété démocratique (condition de nécessité).

En doctrine, cette exception au profit de l’ingérenceautorisée est décrite comme une cause de limitation

(53) Pourtant la seule existence d’une disposition légale peut également constituer une ingérence dans la vie privée, même àdéfaut d’actes posés par l’autorité publique. Voy. par exemple Klass c. Allemagne de 1978 (Cour eur. D.H., 6 septembre1978, Klass c. Allemagne, § 41). Dans cette affaire la critique visait une mesure nationale qui autorisait des mesures de sur-veillance (possibilité de contrôle du courrier et des télécommunications). La simple menace peut donc constituer uneatteinte à la vie privée sans qu’il ne soit question d’une mesure de surveillance effective à l'égard du requérant.

(54) Voy. e.a. l’affaire Marckx c. Belgique ; Cour eur. D.H., 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, dans laquelle l’impossibilité pour lerequérant de divorcer fut dénoncée ; Cour eur. D.H., 7 juillet 1989, Gaskin c. Royaume-Uni, dans le cadre de laquelle lerefus d’octroyer l’accès à un dossier portant sur l’époque où l’intéressé était mineur a été considéré comme une ingérencedans le droit à la vie privée.

(55) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding As c. Norvège, § 106.(56) Voy. par exemple l’entame de l’article 319 du C.I.R. 1992 : « Les personnes physiques ou morales sont tenues… » ;

voy. en ce qui concerne le droit de visite comme constitutif d’une obligation du contribuable : V. DAUGINET et V. VER-CAUTEREN, « Fiscale huiszoekingen », T.F.R., 2014, 453-454, p. 76.

(57) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 16 avril 2002, Sociétés Colas Est c. France, dans le cadre de cette affaire, une enquêteadministrative à grande échelle avait eu lieu dans les locaux professionnels de différentes entreprises suspectées de fraudesen matière de marchés publics portant sur des travaux de voirie.

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qui exprime la pensée selon laquelle le droit au res-pect de la vie privée, à l’instar de l’essentiel des droitsfondamentaux, n’est pas absolu, mais trouve ses li-mites dans les droits des autres et l’intérêt général.Entre les droits des autres et l’intérêt général, d’unepart, le droit fondamental en question, d’autre part, ily a place pour une balance des intérêts (58). Partant del’idée qu’un droit fondamental doit, en principe, re-vêtir une importance particulière dans la balance desintérêts par rapport à l’intérêt légitime poursuivi, laCour a rappelé dans sa jurisprudence à plusieurs re-prises que les causes d’exception de l’article 8.2 de laConvention appelaient une interprétation étroite (59).

A. Première condition : exigence de légalité

1. GénéralitésLa première condition à laquelle une ingérence del’autorité publique doit répondre pour être autoriséeest la présence d’une base légale. La notion de « loi »doit être examinée dans son sens matériel et non demanière formelle (60). La Cour n’exige donc pas que labase de l’ingérence dans la vie privée se trouve néces-sairement dans une loi votée par le Parlement (61). Larègle de droit qui constitue la base de l’ingérencedans la vie privée peut découler d’autres sources dedroit, comme des directives ou même du droit nonécrit, et ceci tant en ce qui concerne le système decommon law (62) que pour les systèmes juridiquescontinentaux (63). Dans les systèmes juridiques conti-nentaux, c’est, à cet égard, fort logiquement, essen-tiellement la mise en œuvre jurisprudentielle de la loiqui présente une importance particulière lors de

l’examen du respect de la condition de légalité (64). Laloi est, en d’autres termes, la règle de droit en vigueurtelle qu’interprétée par les juridictions (65).

Lorsque, en d’autres termes, les juridictions natio-nales ont considéré que la mesure était conforme à laloi nationale, la Cour se satisfait de cette conclu-sion (66). Il s’agira concrètement de la décision de lajuridiction suprême dans le cadre de la condition del’épuisement des voies de recours internes avantd’introduire une requête devant la Cour (67). Au casoù cette juridiction suprême n’est pas unanime, laCour semble prête à se rallier à l’opinion majori-taire (68). Ceci apparaît surtout important en ce quiconcerne les systèmes juridiques dans lesquels l’opi-nion dissidente d’un juge auprès d’une juridictionsuprême est publiée. Dans la mesure où il y a bienune base légale à l’ingérence par les pouvoirs publicsdans la vie privée, la Cour exige également que cettebase légale satisfasse à certaines exigences de qualité.

2. Exigences de qualité de la base légale : généralitésLa base légale doit, en effet, selon la jurisprudencede la Cour être accessible pour les justiciables et elledoit être, en outre, suffisamment précise afin que ledestinataire puisse être raisonnablement en mesurede déterminer les conséquences de celle-ci (exigencede prévisibilité). Ceci fut pour la première fois af-firmé dans l’arrêt Silver c. Royaume-Uni (69) dans lecadre duquel la jurisprudence relative à la même exi-gence de légalité examinée à propos de l’article 10 dela Convention fut transposée (70).

(58) P. DE HERT, « Het recht op privacy », in J. VANDE LANOTTE et Y. HAECK, Handboek EVRM - Deel II - Artikelsgewijze com-mentaar, p. 712.

(59) Cour eur. D.H., 6 septembre 1978, Klass c. Allemagne, § 42 ; Cour eur. D.H., 25 mars 1983, Silver c. Royaume-Uni, § 97 ;Cour eur. D.H., 4 mai 2000, Rotaru c. Roumanie, § 47.

(60) Voy. aussi K. RIMANQUE, « De noodzakelijkheid in een democratische samenleving - Een begrenzing van beperkingenvan grondrechten », in Liber Amicorum Frédéric Dumon, Anvers, Kluwer, 1983, partie II, p. 1218.

(61) C’est-à-dire que la Cour ne désire pas que la norme soit limitée à une loi nationale ; des restrictions au droit à la vie privéepeuvent par conséquent déroger à l’exigence de légalité lorsqu’elles trouvent leur fondement dans des normes régionalesou locales ; voy. K. RIMANQUE, « De noodzakelijkheid in een democratische samenleving - Een begrenzing van beperkin-gen van grondrechten », in Liber Amicorum Frédéric Dumon, Anvers, Kluwer, 1983, partie II, p. 1218.

(62) Voy. Cour eur. D.H., 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni, §§ 46-53.(63) Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Kruslin c. France, § 28 et Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Huvig c. France, § 28.(64) Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Kruslin c. France, § 28 et Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Huvig c. France, § 28.(65) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 16 avril 2002, Sociétés Colas Est c. France, § 43 ; Cour eur. D.H., 15 février 2011, Heino

c. Finlande, § 37 ; Cour eur. D.H., 3 juillet 2012, Robathin c. Autriche, § 40.(66) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 15 février 2011, Heino c. Finlande, § 37 ; Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen

SA c. Norvège, §§ 126-127 ; H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULENet H. KRABBE, Het EVRM en het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, p. 163.

(67) Article 35 de la Convention.(68) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding SA c. Norvège, §§ 126-127. La Cour suprême avait décidé que la

mesure était en conformité avec la législation norvégienne, avec cependant une opinion dissidente. La Cour suit toutefoisla thèse majoritaire.

(69) Cour eur. D.H., 25 mars 1983, Silver c. Royaume-Uni.(70) Cour eur. D.H., 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni.

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Dans l’affaire Malone, la Cour affirme expressémentque le droit national, qui constitue la base légale dela mesure qualifiée d’ingérence dans la vie privée,doit être compatible avec l’État de droit tel qu’il estmentionné dans le préambule de la Convention (71).Cette exigence de qualité revêt donc deux aspects :d’une part, l’accessibilité de la loi, d’autre part, laprévisibilité de celle-ci.

3. Première exigence de qualité de la base légale : l’accessibilité

a) Généralités

En ce qui concerne l’accessibilité du droit, la juris-prudence de la Cour exige que le citoyen puisse êtreau courant des règles. Cela signifie que la règle dedroit doit, au moins, avoir été rendue publique. Siune règle de droit doit, au moins en partie, pouvoirêtre déduite de la jurisprudence, cette dernière doitalors avoir été publiée, de sorte que tout le monde,éventuellement en ayant recours aux conseils d’unprofessionnel, puisse prendre connaissance de cettejurisprudence (72). Des règles non publiées qui se-raient reprises, par exemple, dans des instructions in-ternes, ne satisfont pas à l’exigence d’accessibilité (73).

b) Accessibilité des règles belges en matière de pouvoirs d’investigation de l’administration fiscale

En ce qui concerne l’accessibilité des règles belgesrelatives aux actes d’investigation comme le droit devisite domiciliaire, il n’existe pas ou peu de pro-blèmes. Les dispositions légales qui octroient à l’ad-ministration la compétence de pénétrer dans des ha-bitations ou des locaux professionnels sont publiéeset la jurisprudence qui précise la portée de ces dispo-sitions (74) est également normalement accessible aupublic. Dans la mesure où l’administration fiscale fe-rait appel à des instructions internes qui n’auraient

pas été rendues publiques et qui donneraient une in-terprétation au droit de visite domiciliaire qui per-mettrait une ingérence dans le droit au respect de lavie privée qui dépasserait les textes, il est probableque la Cour de cassation déciderait que la mesure estillégale. Par conséquent, il ne serait pas satisfait àl’exigence de la base légale, de sorte qu’il serait aussiquestion, par définition, d’une violation de l’article 8de la Convention, sans qu’il faille se poser la ques-tion de l’accessibilité de la source de droit.

4. Deuxième exigence de qualité de la base légale : la prévisibilité

a) Généralités

La base légale doit, sur la base de cette exigence dequalité, être suffisamment claire et précise afin queson destinataire puisse savoir, avec l’aide de profes-sionnels, quels sont ses effets. Si la loi octroie aux pou-voirs publics la compétence de s’ingérer dans l’exer-cice du droit au respect de la vie privée tel que garantipar l’article 8 de la Convention, la jurisprudence de laCour exige dans ce cas que la loi définisse suffisam-ment elle-même la portée de cette ingérence (75).

L’exigence de la prévisibilité de la base légale est tou-tefois examinée par la Cour sous l’angle du raison-nable. Le fait que le citoyen doit pouvoir prévoir l’in-gérence doit donc selon la Cour être examiné entenant compte de ce qui est raisonnable dans les cir-constances concrètes. La Cour confirme en la ma-tière sa jurisprudence selon laquelle même s’il esthautement souhaitable d’offrir le plus de sécurité ju-ridique possible à propos des mesures qui constituentune ingérence dans le droit de l’homme concerné,une sécurité absolue n’est cependant pas possible etaboutirait, en tout état de cause, à une rigidité exces-sive ; beaucoup de lois se servent, inévitablement, deformules plus ou moins vagues dont l’interprétationet l’application dépendent de la pratique (76).

(71) Cour eur. D.H., 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni.(72) Voy. e.a. Cour eur. D.H., 26 avril 1979, The Sunday Times c. Royaume-Uni, § 49 ; Cour eur. D.H., 4 mai 2000, Rotaru

c. Roumanie, § 52 ; Cour eur. D.H., 1er juillet 2008, Liberty c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 4 décembre 2008, S. andMarper c. Royaume-Uni, § 95 ; Cour eur. D.H., 6 décembre 2012, Michaud c. France, § 96 ; Cour eur. D.H., 3 juillet 2012,Robathin c. Autriche, § 40.

(73) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 25 mars 1983, Silver c. Royaume-Uni. Dans cette affaire, la mesure reposait sur des ins-tructions non publiées applicables aux détenus.

(74) Plus particulièrement, la jurisprudence de la Cour de cassation.(75) Voy. par exemple Cour eur. D.H., 20 août 1984, Malone c. Royaume-Uni.(76) Cour eur. D.H., 26 avril 1979, The Sunday Times c. Royaume-Uni, § 49, à propos de l’article 10 de la Convention, dans

lequel la Cour affirme que « le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de lacause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une “loi”qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoinde conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les consé-quences de nature à dériver d’un acte déterminé. Elles n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue :l’expérience la révèle hors d’atteinte. En outre la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’unerigidité excessive ; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi, beaucoup de lois se servent-elles,

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La Cour a ainsi – s’agissant la question de savoir si laloi est suffisamment prévisible – déjà affirmé, dans dif-férentes affaires, que lorsque la loi ne contient pas dedispositions spécifiques pour la recherche (et la saisie)de données électroniques, mais bien des dispositionssuffisamment claires pour la recherche et la saisied’« objets » en général, il existe une base légale suffi-samment prévisible pour la recherche et la saisie dedonnées électroniques, étant entendu que la jurispru-dence interne interprète également la loi, en ce sensqu’elle s’applique aussi à des données électroniques (77).

Dès lors, bien que le caractère relativement vague destermes utilisés dans la base légale soit autorisé selon laCour, celle-ci doit toutefois être suffisamment claireen ce qui concerne le champ d’application de la me-sure qui constitue une ingérence dans l’exercice d’undroit fondamental, de même que la Cour attendqu’existe une clarté suffisante en ce qui concerne lamanière dont la mesure concernée est appliquée.Lorsque ces éléments ne sont pas suffisamment clairsdans la base légale et qu’il en résulte une compétencediscrétionnaire dans le chef de l’administration, la baselégale ne satisfait pas aux exigences de prévisibilité (78).

Une mesure satisfait cependant à l’exigence de prévi-sibilité si l’intéressé doit préalablement demanderconseil à un professionnel du droit pour déterminerses conséquences (79). La Cour considère qu’une telleexigence trouvera principalement à s’appliquerlorsque la mesure vise l’exercice d’une activité profes-sionnelle. Dans le contexte professionnel, en effet, laCour attend des intéressés qu’ils fassent preuve d’uneprudence accrue et accordent une attention particu-lière aux risques que comporte leur activité (80). À côtéd’une loi suffisamment claire, la Cour exige égale-ment dans le cadre de l’exigence de prévisibilité qu’ily ait dans la loi des garanties minimales contre l’exer-cice arbitraire des compétences de l’administra-

tion (81). Plus grand est le caractère discrétionnaire dela compétence de l’administration, plus grand est lebesoin de garanties contre les abus (82). On relèveratoutefois que l’exigence des garanties contre les abusdépend aussi de l’exigence de nécessité qui sera abor-dée dans la suite de l’exposé. Dans le cadre de cetteexigence de nécessité, la Cour désire, en effet, de ma-nière de plus en plus claire et dans un nombre crois-sant d’affaires que des garanties soient introduites – sipossible dans la loi elle-même – afin de protéger l’in-téressé contre l’arbitraire (voy. infra dans le cadre dela discussion relative à l’exigence de nécessité).

b) La prévisibilité de la loi fiscale belge en matière de droit de visite domiciliaire en général

La visite de domiciles et locaux professionnels a unebase légale dans de nombreux codes fiscaux. Iln’existe à ce sujet aucune discussion. La questionconsiste dès lors uniquement à savoir si ces disposi-tions légales sont suffisamment claires pour satisfaireà l’exigence de prévisibilité et si, en d’autres termes,elles définissent de manière suffisamment claire lechamp d’application et la manière dont cet acte d’in-vestigation va être exercé, afin de permettre à l’inté-ressé de savoir ce qui l’attend. Les dispositions fis-cales belges en matière de droit de visite domiciliairesont, en ce qui concerne le champ d’application et lesmodalités d’exécution de la mesure formulées de ma-nière fort large, donnant à l’administration fiscaleune compétence discrétionnaire importante, de sorteque la question mérite d’être soulevée de savoir si cesdispositions, tout au moins quant à certains aspects,sont suffisamment prévisibles.

Lorsqu’on examine, par exemple, la disposition lé-gale sur le droit de visite en matière d’impôts sur lesrevenus aux fins d’établissement de l’impôt, à savoirl’article 319 du C.I.R 1992 (83), on constate à propos

(77) Cour eur. D.H., 3 juillet 2012, Robathin c. Autriche, § 41, avec renvoi à Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wieser et BicosBeteiligungen c. Autriche, § 54.

(78) Cour eur. D.H., 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni, §§ 66-68 ; Cour eur. D.H., 12 janvier 2010, Gillan et Quintonc. Royaume-Uni, § 77, dans le cadre duquel la Cour affirme : « Pour répondre à ces exigences, le droit interne doit offrirune certaine protection contre les atteintes arbitraires des pouvoirs publics aux droits garantis par la Convention.Lorsqu’il s’agit de questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit, l’undes principes fondamentaux d’une société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir d’appréciation accordéà l’exécutif ne connaissait pas de limite. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un telpouvoir avec une netteté suffisante ».

(79) Cour eur. D.H., 25 mars 1983, Silver c. Royaume-Uni, 13 juillet 1994, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, § 37.(80) Cour eur. D.H., 15 novembre 1996, Cantoni c. France, § 35 : « … Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à

devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent unsoin particulier à évaluer les risques qu’il comporte ».

par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique » ;voy. aussi Cour eur. D.H., 6 décembre 2012, Michaud c. France, § 96.

(81) Cour eur. D.H., 24 avril 1990, Kruslin c. France.(82) Cour eur. D.H., 25 mars 1983, Silver c. Royaume-Uni.(83) À l’exclusion du droit de visite applicable à l’établissement du revenu cadastral, prévu à l’article 476 du C.I.R. 1992, et de

la visite aux fins du recouvrement de l’impôt, qui est prévue à l’article 319bis du C.I.R. 1992.

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du champ d’application et de la manière dont les vi-sites doivent être effectuées :

– qu’un groupe très large de personnes peut êtresoumis à une visite domiciliaire en matière fiscale, àsavoir toutes les personnes physiques et morales, aveccette précision cependant que dans la mesure où l’ar-ticle 319 du C.I.R. 1992 figure dans la section « obli-gations du contribuable » et non dans la section« obligations des tiers », ce qui laisse à penser que lavisite ne peut être effectuée que chez le contribuableen ce qui concerne le contrôle de sa propre situationfiscale, et non chez des tiers (84). Cette interprétationn’a cependant pas encore été confirmée dans l’ordrejuridique belge par la Cour de cassation ;

– qu’une visite domiciliaire est possible en toutescirconstances et n’est donc pas limitée à la situationdans laquelle il est question, par exemple, d’un in-dice d’infraction à la loi fiscale, en d’autres termesqu’il devrait y avoir un indice de fraude (violationintentionnelle de la législation fiscale) ;

– que le nombre de visites domiciliaires n’est pas li-mité (une visite hebdomadaire (85) n’est donc pas in-terdite par la loi) et qu’il n’y a pas non plus de limi-tation à la durée de la visite domiciliaire (la loin’empêche pas que la visite domiciliaire dure, parexemple, plusieurs mois), avec la précision toutefoisque la visite domiciliaire ne peut être effectuée quependant les heures au cours desquelles une activitéest exercée dans les locaux professionnels (à l’excep-tion de la visite de domiciles qui ne peut intervenirque de 5 heures du matin à 9 heures du soir) ;

– que la visite domiciliaire ne peut être effectuéeque dans un but bien précis, à savoir :

• permettre aux fonctionnaires du fisc de vérifierles activités professionnelles (86) ;

• permettre aux fonctionnaires du fisc d’examinerl’ensemble des livres et documents qui se trouventdans les locaux ;

• permettre aux fonctionnaires du fisc d’examinerla fiabilité des informations, données et traite-ments informatiques (87) ;

– que la visite domiciliaire doit être effectuée pardes « agents de l’administration en charge de l’éta-blissement des impôts sur les revenus » ;

– que ces fonctionnaires doivent être munis de leurcommission, même si cette condition n’est pas exa-minée de manière sévère par la jurisprudence belgeet que la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 fé-vrier 2005 (88), a décidé que n’est pas irrégulière la vi-site des locaux professionnels par des agents de l’ad-ministration des contributions directes non munisde leur commission lorsque le contribuable y donneson consentement formel. Dans la jurisprudence decassation ultérieure (89), il est toutefois affirmé que laloi n’exige pas que les fonctionnaires doivent présen-ter leur commission spontanément, ni qu’ils doiventen faire état dans un procès-verbal ;

– que la visite domiciliaire peut être effectuée tantdans des locaux professionnels que dans des locaux pri-vés, et qu’à cet effet, une portée large est conférée à lanotion de local professionnel (pas seulement les locauxdans lesquels des activités professionnelles sont exer-cées, allant de bureaux à des entrepôts, mais aussi toutautre local ou même un terrain sur lequel des activitéssont exercées ou sont présumées être exercées) ;

– que l’autorisation préalable du juge de policen’est exigée que pour la visite domiciliaire d’un lo-cal habité, avec cette précision toutefois que s’agis-sant de cette autorisation, la loi fiscale n’apporteaucune précision (par exemple à propos du pouvoirde contrôle du juge).

La loi apparaît dès lors particulièrement vagues’agissant du champ d’application et de la manièred’exécuter le droit de visite domiciliaire, en manièretelle que l’administration fiscale, dispose d’une com-pétence discrétionnaire très large pour mettre cettemesure à exécution. La loi n’offre dès lors pas aucontribuable toute la clarté souhaitable à propos dedifférents aspects du droit de visite domiciliaire obli-

(84) Une indication de cette thèse peut être trouvée dans le jugement Optima du 11 juin 2013, T.F.R., 2014, 453-454, p. 88,qui a considéré que le contrôle chez Optima constituait un détournement de pouvoir, dès lors qu’il visait clairement lesclients (des tiers donc) d’Optima afin de les inciter à régulariser des revenus dissimulés.

(85) Exemple issu de la pratique : visite quotidienne d’un restaurant pendant les fêtes gantoises afin de vérifier le stock de moules.(86) Les termes exacts de l’article 319 du C.I.R. 1992 sont : « constater la nature et l’importance de ladite activité et de vérifier

l’existence, la nature et la quantité de marchandises et objets de toute espèce que ces personnes y posseèdent ou y détien-nent à quelque titre que ce soit, en ce compris les moyens de production et de transport ».

(87) Selon les termes exacts de l’article 319 du C.I.R. 1992 : « vérifier, au moyen du matériel utilisé et avec l’assistance des per-sonnes visées à l’article 315bis, alinéa 3, la fiabilité des informations, données et traitements informatiques, en exigeantnotamment la communication de documents spécialement établis en vue de présenter les données enregistrées sur lessupports informatiques sous une forme lisible et intelligible ».

(88) Cass., 17 février 2005, T.F.R., 2005, 550, note A. KIEKENS, Fisc. Koer., 2005/06, pp. 315-318.(89) Cass., 12 septembre 2008, T.F.R., 2009, 301, note J. VANDEN BRANDEN ; Cass., 15 décembre 2011, www.cass.be.

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geant celui-ci à attendre de voir comment l’adminis-tration interprète et applique sa compétence. La lé-gislation belge relative au droit de visite domiciliaireen matière fiscale pose, par conséquent, de nom-breuses questions à propos de sa prévisibilité, princi-palement en ce qui concerne des aspects comme ladurée et la fréquence.

c) La prévisibilité de certains actes d’investigation posés pendant la visite domiciliaire en particulier (droit de recherche actif et droit de rétention (90))

À propos de la manière dont l’administration fiscaledoit se comporter pendant un contrôle fiscal et de cequ’elle peut ou ne peut pas faire, la loi est, pour ainsidire, muette. L’administration peut-elle ouvrir desarmoires et des portes, peut-elle prendre des photosde ce qu’elle rencontre à l’occasion de la visite domi-ciliaire, peut-elle emporter des objets, en ce comprisdes supports d’information de fichiers digitaux, oudes copies de ceux-ci afin de les examiner ?

Lorsque nous examinons deux des actes d’investiga-tion les plus controversés dans le cadre de la visitedomiciliaire en matière fiscale, c’est-à-dire le droitde recherche actif et le droit de saisie de fichiersélectroniques, par exemple, nous arrivons auxconstats suivants en ce qui concerne la prévisibilitéde ces ingérences dans le droit à la vie privée.

1) Première question : y a-t-il bien une base légale ?

Avant de poser la question de la prévisibilité de labase légale, il faut en effet d’abord examiner si unebase légale existe bien pour cet acte d’investigation.

Droit de recherche actifS’agissant du droit de recherche actif, on ne retrouverien que ce soit dans le C.I.R. 1992 ou dans le Codede la T.V.A. Il y a bien un auteur (91) qui, selon nous,

avec beaucoup de difficultés, pense pouvoir trouverun point d’accroche au droit de recherche actif dansle texte même des dispositions fiscales. Il est suivi ence sens par une certaine jurisprudence de premièreinstance (92). En l’espèce, A. Bouwen pense que celapeut être déduit des termes « libre accès », quis’étendraient également aux « objets de toute na-ture » qui sont rencontrés pendant la visite domici-liaire en matière fiscale (93). Cette thèse ne sembletoutefois pas correcte sur le plan grammatical, tandisque les mots « libre accès » ne se rapportent qu’àl’accès aux locaux (94). Le mot « assistance » (qui n’estcependant utilisé dans la loi que dans le contexte ducontrôle de la fiabilité des données informatisées)impliquerait une assistance passive, comme la mise àdispositions de mots de passe, ce qui serait une indi-cation du fait que l’administration peut examiner demanière active les fichiers électroniques du contri-buable. Ce raisonnement est considéré comme ex-cessif par de nombreux auteurs (95). Le droit de re-cherche actif n’est dès lors pas seulement nonexpressément prévu dans la loi, il n’est, en outre, pasjustifié au regard de la volonté du législateur (96).

Enfin, il y a la Cour de cassation qui s’est prononcéedans un arrêt du 16 décembre 2003 (97) duquel cer-tains auteurs et certaines juridictions pensent pou-voir déduire qu’il existe bien une base légale pour undroit de recherche actif. Dans cet arrêt, qui portaitsur le droit de visite domiciliaire en matière deT.V.A., la Cour de cassation a affirmé que les agentscompétents ont le droit d’examiner quels livres etdocuments se trouvent dans les locaux où s’exercel’activité ainsi que d’examiner les livres et documentsqui s’y trouvent sans devoir requérir au préalable laremise de ces livres et documents comme prévu àl’article 61 du Code de la T.V.A. La Cour de cassa-tion ne précise cependant pas jusqu’où s’étend ledroit de l’administration « d’examiner les livres etdocuments qui s’y trouvent ». Bien que certains au-

(90) Les notions « droit de saisie » et « droit d’emporter » sont utilisées sans distinction dans la présente étude dès lors quedans le contexte fiscal, cela revient en pratique à parler de la même chose, et ce même si dans un contexte pénal, ilsauraient un sens différent.

(91) A. BOUWEN, « Omtrent de onderzoeksbevoegdheid van AOIF en BBI, in het algemeen, en hun bevoegdheid om kopieënte maken – zonder toelating – van gegevens van een computersysteem, in het bijzonder », T.F.R., 2012, 214.

(92) Civ. Bruxelles, 17 janvier 2012, T.F.R., 2012, 238 ; Fisc. Koer., 2012/04, 259-265, note M. VAN KEIRSBILCK (dans ce juge-ment, le raisonnement de l’auteur Bouwen est même repris textuellement) ; Civ. Bruges, 26 octobre 2011, T.F.R., 2012,499.

(93) A. BOUWEN, « Omtrent de onderzoeksbevoegdheid van AOIF en BBI, in het algemeen, en hun bevoegdheid om kopieënte maken – zonder toelating – van gegevens van een computersysteem, in het bijzonder », T.F.R., 2012, 214.

(94) S. DE RAEDT, « Repliek : de limieten van de controle van computerbestanden », T.F.R., 2012, 222.(95) S. DE RAEDT, « Repliek : de limieten van de controle van computerbestanden », T.F.R., 2012, 222 ; J. BOSSUYT, « Hoog

bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, nos 8-9, p. 18 ; J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huisvol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(96) Pour un examen des intentions du législateur lors de l’introduction du droit de visite en matière d’impôts sur les revenuset de T.V.A : S. DE RAEDT, « Het fiscale visitatierecht : de geschiedenis herschreven », T.F.R., 2013, 571 ainsi que J.BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(97) Cass., 16 décembre 2003, R.G. no P. 03.1087.N, www.cass.be.

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teurs (98) et une certaine jurisprudence (99) pensentpouvoir déduire de cet arrêt que l’administration fis-cale peut ouvrir les armoires à la recherche de lacomptabilité (100), il y a également des auteurs et de lajurisprudence qui refusent de suivre cette thèse (101).

L’interprétation des mots « examiner les livres etdocuments qui s’y trouvent » en ce sens que l’admi-nistration pourrait ouvrir les armoires et les portes àla recherche des livres et documents ne trouve aucunsoutien dans les travaux parlementaires (102).

On n’aperçoit, en outre, pas bien la raison pour la-quelle les mots « examiner les livres et documentsqui s’y trouvent », que la Cour de cassation utilisepour interpréter l’article 63, alinéa 1er, 1°, du Codede la T.V.A. (« la visite a pour but de permettre auxagents de l’administration, 1° d’examiner les livres etdocuments qui s’y trouvent ») ne devraient pas êtrecompris de la même manière que dans l’article 63,alinéa 1er, 2° et 3°, du Code de la T.V.A. Il y est, eneffet, précisé que la visite a aussi pour but de per-mettre aux agents de l’administration fiscale « de vé-rifier, au moyen du matériel utilisé et avec l’assis-tance de la personne requise, la fiabilité desinformations, données et traitements informatiques(…) » (2°). Le législateur utilise ici le verbe « véri-fier » dans une signification passive ; il s’agit en effetde contrôler la fiabilité des données informatiquesavec l’assistance de l’intéressé. À l’article 63, ali-néa 1er, 3°, du Code de la T.V.A., il est encore pré-cisé que la visite domiciliaire a également pour butde « constater la nature et l’importance de l’activitéqui s’y exerce et le personnel qui y est affecté, ainsique des marchandises et tous les biens qui s’y trou-vent, y compris les moyens de production et detransport ». Ici aussi, on observe que le législateurvise un contrôle passif : effectuer des constatationsrelatives à l’activité n’implique pas que l’administra-tion fiscale pourrait aussi, par exemple, manipuler

certains moyens de production pour effectuer sesconstatations (103).

Quoi qu’il en soit, étant donné qu’un droit de re-cherche actif ne découle pas clairement du texte, lelégislateur ne semble pas avoir eu l’intention d’in-troduire un droit de recherche actif. Enfin, dès lorsque la jurisprudence de cassation sur cette questiondonne lieu à des interprétations divergentes, on peuts’interroger, avant même d’aborder la question de laprévisibilité, quant à savoir si ce droit de rechercheactif dispose bien d’une base légale. Nous ne le pen-sons pas. La Cour de cassation devra se prononcer àce sujet afin de créer davantage de clarté. Si la Courde cassation décide qu’il n’y a pas de base légale, ilest, par définition, question d’une violation de l’ar-ticle 8 de la Convention, tout en sachant que la Course rallie, ainsi que nous l’avons relevé, à ce propos àla conclusion de la juridiction suprême de l’Étatmembre concerné. C’est uniquement dans l’hypo-thèse où la Cour de cassation déciderait qu’il existebien en Belgique une base légale pour un droit de re-cherche actif de l’administration fiscale et que cedroit de recherche actif trouverait son fondementdans les dispositions légales en matière de visite do-miciliaire fiscale, que se poserait alors ensuite laquestion de savoir si cette base légale satisfait auxexigences de prévisibilité dont il a été question ci-dessus.

Droit de rétention

En ce qui concerne la possibilité d’emporter des do-cuments pendant une visite domiciliaire fiscale, laquestion est différente. Jusqu’il y a peu, il n’était pasquestion explicitement dans la législation en matièred’impôts sur les revenus d’un droit d’emporter desdocuments. Il n’y avait que l’article 315bis du C.I.R.1992 qui prévoyait à propos des fichiers informa-tiques, que l’administration fiscale pouvait deman-

(98) A. BOUWEN, « Omtrent de onderzoeksbevoegdheid van AOIF en BBI, in het algemeen, en hun bevoegdheid om kopieënte maken – zonder toelating – van gegevens van een computersysteem, in het bijzonder », T.F.R., 2012, 214 ; L. CAP-PELLE, Fiscale procedure inkomstenbelastingen, Anvers, Kluwer, 2012, p. 63.

(99) Civ. Bruxelles, 17 janvier 2012, T.F.R., 2012, 238 ; Fisc. Koer., 2012/04, pp. 259-265, note M. VAN KEIRSBILCK ;Civ. Bruges, 26 octobre 2011, T.F.R., 2012, 499.

(100) On relèvera que depuis qu’a été inséré dans le C.I.R. que la visite fiscale (tout comme c’est le cas en matière de T.V.A.) aégalement comme finalité l’examen des livres, les mêmes auteurs et la même jurisprudence défendent l’opinion selonlaquelle l’arrêt de la Cour de cassation en matière de visite T.V.A. peut également être transposé aux impôts sur les reve-nus et, partant, qu’il existe aussi un droit de recherche actif en matière d’impôts sur les revenus.

(101) K. HEYRMAN, « Het huiszoekingsrecht van de fiscale administratie inzake BTW en inkomstenbelastingen », T.F.R.,2004, 448, note sous Cass., 16 décembre 2003 ; J. PIETERS, « Is de fiscus bevoegd tot huiszoeking ? », A.F.T., 2004, 26 etM. VAN KEIRSBILCK, note sous Civ. Bruxelles, 17 janvier 2012, Fisc. Koer., 2012/4, pp. 259-265 ; S. DE RAEDT, « Repliek :de limieten van de controle van computerbestanden », T.F.R., 2012, 222 ; J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, eenhuis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s. ; Anvers, 4 décembre 2012, Fisc. Act., 2013, no 10, 2, T.F.R., 2014,453-454, p. 96 ; Civ. Gand, 11 juin 2013, T.F.R., 2014, 453-454, p. 88 ; Fisc. Koer., 2013/9, pp. 455-461, note M. VANKEIRSBILCK, et Fisc. Act., 2013, no 23, 1-4, note M. MAUS.

(102) Pour un examen des intentions du législateur : S. DE RAEDT, « Het fiscale visitatierecht : de geschiedenis herschreven »,T.F.R., 2013, 571 et s. ; J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(103) Voy. les travaux préparatoires.

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der que le contribuable communique des copies desdonnées informatiques. Bien que cela ne soit pasmentionné explicitement, on pourrait en déduireque l’administration est habilitée à emporter ces co-pies pour examen complémentaire (104). De la réfé-rence qui est faite dans l’article 315bis du C.I.R 1992à l’article 315 du C.I.R. 1992 (dans lequel il est sti-pulé que seuls des documents nécessaires à la déter-mination du montant de ses revenus imposables doi-vent être communiqués) on peut déduire que seule lacopie doit être communiquée des données électro-niques nécessaires à la détermination du montantdes revenus imposables du contribuable (105) (106).

Mise à part la possibilité de saisir des copies des don-nées électroniques, il n’était, jusqu’il y a peu, ques-tion d’aucune autre possibilité d’emporter des docu-ments dans le C.I.R. Un changement est intervenurécemment. L’article 24 de la loi du 21 décembre2013 (107) a introduit la possibilité d’emporter des do-cuments pour examen complémentaire en matièred’impôts sur les revenus, en insérant un nouvel ar-ticle 315ter dans le Code. Le droit de rétention (108)

vaut pour les livres et documents, qui doivent êtrecommuniqués conformément à l’article 315 (il s’agitdonc des livres et documents pertinents sur le planfiscal), « chaque fois qu’ils estiment que ces livres etdocuments sont nécessaires pour déterminer lemontant des revenus imposables du contribuable oudes tiers ». Le droit de rétention n’existe cependantpas à l’égard des livres qui ne sont pas clôturés. Larétention des documents doit faire l’objet d’un pro-cès-verbal de rétention qui fait foi jusqu’à preuve ducontraire. Une copie de ce procès-verbal doit êtredélivrée à la personne concernée dans les cinq jours

ouvrables qui suivent celui de la rétention (109). Ilexiste donc une base légale pour la rétention de do-cuments en matière d’impôts sur les revenus. Il fautcependant encore que cette base légale soit suffisam-ment prévisible. En matière de T.V.A., il est prévude longue date dans l’article 61, § 2, du Code de laT.V.A. que l’administration a le droit d’emportercertains documents, moyennant la délivrance d’unaccusé de réception (110). Il s’agit des documentsqu’une personne est obligée de conserver « chaquefois qu’elle (l’administration) estime que ces livres,documents ou copies établissent ou concourent àétablir la débition d’une taxe ou d’une amende à sacharge ou à la charge de tiers ». Le droit de réten-tion n’existe pas à l’égard de livres qui ne sont pasclôturés. Le droit de rétention vise également desdonnées électroniques (111). La loi du 21 décembre2013 (article 35), a reformulé l’article 61, § 2, duCode de la T.V.A., en ce sens que l’obligation de dé-livrer un accusé de réception a été remplacée parl’obligation de dresser procès-verbal de la rétentionde documents, dont une copie est délivrée dans lescinq jours à l’intéressé. De cette manière, le droit derétention en matière de T.V.A. a été mis en confor-mité totale avec ce qui existe en matière d’impôts surles revenus. La question de savoir s’il existe une baselégale au droit de rétention en matière de T.V.A.doit donc recevoir une réponse affirmative. La ques-tion demeure toutefois de savoir si cette base légaleest suffisamment prévisible.

(104) L’administration déduisait en tout cas ce droit de rétention de l’article 351bis du C.I.R. 1992 : Ci. RH. 81/470.318, Bull.contr., 1998, no 783, p. 1246 ; Contra : J. BOSSUYT, « Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, nos 8-9,23, qui observe à ce propos à bon escient que si un droit de rétention de la copie des fichiers électroniques d’un contri-buable devait exister, alors que ceci n’est pas prévu pour la copie des documents papier du contribuable, cela serait consti-tutif d’une violation du principe d’égalité.

(105) L’article 315bis du C.I.R. 1992 dispose : « Toute personne physique ou morale qui recourt à un système informatisé pourtenir, établir, adresser ou conserver, en tout ou en partie, les livres et documents dont la communication est prescrite parl’article 315 a également l’obligation, lorsqu’elle en est requise par l’administration, de communiquer, sans déplacement,les dossiers d’analyse, de programmation et d’exploitation du système utilisé, ainsi que les supports d’information ettoutes les données qu’ils contiennent (…) ».

(106) J. Bossuyt pense que la limitation aux données fiscales pertinentes est la conséquence du contrôle de proportionnalitédécoulant de l’article 8 de la Convention ; nous pensons cependant que cela découle directement du texte de la loi(voy. J. BOSSUYT, « Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, nos 8-9, 20).

(107) M.B., 31 décembre 2013.(108) Dans la loi, il est question d’un droit de rétention.(109) Si la Cour de cassation devait décider qu’il existe une base légale pour la rétention de copies de données électroniques, et

que cette base légale n’existe pas pour la rétention de (copies) de données autres qu’électroniques, se pose la question desavoir si une telle interprétation résiste au contrôle du respect du principe constitutionnel d’égalité, voy. J. BOSSUYT,« Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, nos 8-9, 23.

(110) Pour un examen de ce droit de rétention en matière de T.V.A., voy. J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huisvol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(111) Depuis le 1er janvier 2013, voy. l’examen de la modification législative dans J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, eenhuis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

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2) Si une base légale existe : est-elle suffisamment prévisible ?

Bernh Larsen

Dans l’arrêt Bernh Larsen, la Cour s’est prononcéesur la prévisibilité d’une mesure d’investigation dé-terminée qui fut utilisée pendant une visite domici-liaire fiscale. Il s’impose dès lors d’examiner si desconclusions utiles peuvent être retirées de cet arrêtsur le plan de la prévisibilité de certains actes d’in-vestigation posés à l’occasion de visites domiciliairesfiscales belges. Avant de retirer des conclusions decet arrêt, il convient de souligner deux points. Enpremier lieu et avant toute autre chose, il faut souli-gner le fait que la Cour s’est uniquement prononcéesur la question de savoir si la loi fiscale norvégienneétait suffisamment prévisible s’agissant de la réten-tion d’un back-up complet d’un serveur. La Cour nes’est donc pas prononcée à propos de la prévisibilitéde la loi fiscale norvégienne relative à la visite elle-même, ni sur la question du droit de recherche actifde l’administration fiscale norvégienne. Le contri-buable avait, en effet, consenti à donner le libre accèsaux locaux professionnels et avait communiqué lesmots de passe à l’administration fiscale afin qu’ellepuisse accéder elle-même aux données électro-niques. Le contribuable norvégien avait toutefoisprotesté à propos de la rétention du back-up du ser-veur complet parce que ce serveur contenait outredes données privées de salariés, également des don-nées relatives à d’autres contribuables.

Ensuite, il est important de remarquer que la légis-lation fiscale norvégienne est fondamentalementdifférente de la législation belge en ce qui concerneles compétences de l’administration fiscale pendantune visite domiciliaire, de sorte qu’il convient defaire preuve de prudence en tirant des conclusions.Une première différence (limitée) avec la législationnorvégienne est le fait que la loi norvégienne ne pré-voit pas un droit de rétention clair. La loi prévoituniquement que le contribuable est obligé de don-ner accès à l’administration fiscale, entre autres auxarchives, aux fins de contrôle des documents perti-nents sur le plan fiscal (112). La législation belge enmatière de T.V.A. connaît, elle, aujourd’hui bien undroit de rétention explicite. Une seconde différence(plus nette) avec la législation norvégienne reposedans la finalité du droit de visite domiciliaire norvé-gien. La mesure qui permet au fisc norvégien d’em-

porter le back-up du serveur pour examen complé-mentaire reposait sur la section 4-10 (1) (b) du TaxAssessment Act norvégien qui traite du droit de vi-site domiciliaire. Cette disposition complète la sec-tion 4-10 (1) (a) qui oblige le contribuable norvégienà communiquer à l’administration fiscale norvé-gienne les données pertinentes sur le plan fiscal dontcette dernière lui a demandé la production (analogieavec l’article 315 du C.I.R. 1992 et l’article 61 duCode de la T.V.A.). Cette disposition (section 4-10(1) (b)) relative au droit de visite domiciliaire fiscale,entre autres, des archives du contribuable, devait se-lon la jurisprudence nationale norvégienne être in-terprété en manière telle qu’elle conférait à l’admi-nistration fiscale un droit de recherche actif dans lesarchives du contribuable afin de permettre à l’admi-nistration d’examiner les documents pertinents surle plan fiscal détenus par le contribuable. Dès lorsque le but est de vérifier quels documents sont per-tinents au niveau fiscal et ceux qui ne le sont pas, lajurisprudence norvégienne – renforcée par les tra-vaux préparatoires – part du principe que l’adminis-tration fiscale ne doit pas se laisser influencer par lecontribuable et, partant, qu’elle peut chercher elle-même quels sont les documents pertinents sur leplan fiscal. Une fois qu’elle a déterminé les docu-ments qui sont pertinents, elle peut demander demanière ciblée la communication de ces données surla base de la section 4-10 (1) (a) du même Tax Asses-sement Act. En d’autres termes, la jurisprudencenorvégienne considérait donc le pouvoir d’investiga-tion de la section 4-10 (1) (b) du Tax Assessment Act(la visite, entre autres, des archives) comme unesorte de préparation de la mesure d’investigation àl’occasion de laquelle la communication de certainsdocuments était exigée.

Une telle mesure d’investigation n’est pas prévuepar la législation belge. Le droit de visite domici-liaire fiscale belge (ni l’article 319 du C.I.R. 1992 nil’article 63 du Code de la T.V.A.) n’est pas conçucomme une sorte de préparation de l’examen deslivres et documents par l’administration fiscale (ar-ticle 315 du C.I.R. 1992, article 61du Code de laT.V.A.), qui permettrait à l’administration d’allerregarder dans les locaux professionnels du contri-buable (ou les habitations privées) quels sont les do-cuments pertinents sur le plan fiscal qui s’y trouventet dont la communication pourrait être demandéerespectivement sur la base de l’article 315 du C.I.R.

(112) La section 4-10 (1) du Tax Assessment Act norvégien autorisait l’administration à demander au contribuable : « (a) Topresent, hand out or dispatch its books of account, vouchers, contracts, correspondence, governing board minutes,accountancy minutes and other documents of significants with respect to the taks assessment of the taxpayer an the auditthereof (…) (b) To grant access for on-site inspection, survey, review of the companies, archives, estimation etc. of pro-perty, constructions, devices with accessories, counting of livestock, stock of goods and raw materials, etc. ».

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1992 ou de l’article 61 du Code de la T.V.A. Le droitde visite domiciliaire fiscale belge est à l’origine uni-quement prévu afin de permettre à l’administrationfiscale de se rendre compte de la nature et de l’impor-tance des activités professionnelles exercées (113). Ilressort, par ailleurs, des travaux préparatoires decette disposition que l’intention du législateur n’étaitpas d’octroyer au fisc un droit de perquisition etdonc, en d’autres termes, d’aller activement à la re-cherche de documents pertinents sur le plan fis-cal (114). Lorsque la législation en matière de T.V.A. aété modifiée afin que la visite domiciliaire fiscale aitpour finalité outre l’examen de l’activité exercée,l’examen des livres et documents, il fut uniquementaffirmé dans les travaux préparatoires que cette mo-dification visait à clarifier le texte (115). Il n’était dèslors aucunement question d’instaurer un droit de re-cherche actif des livres. La même chose peut être af-firmée en ce qui concerne les impôts sur les revenus.Lorsqu’il fut ajouté à l’article 319 du C.I.R. 1992 quele droit de visite domiciliaire en matière d’impôts surles revenus a également pour finalité l’examen deslivres (116), il apparaît à la lecture des travaux prépara-toires que ce fut uniquement dans le but d’harmoni-ser les pouvoirs de l’administration en matière deT.V.A. et en matière d’impôts sur les revenus (117) etpas d’instaurer un droit de recherche actif des livreset documents (pertinents sur le plan fiscal).

Une fois ces différences avec la législation norvé-gienne précisées, et sachant que l’arrêt Bernh Larsentraite uniquement de la question de la rétention duback-up du serveur, se pose la question de savoir quela été le raisonnement de la Cour pour arriver à laconclusion que la mesure d’investigation litigieuse (àsavoir la rétention du back-up) qui constitue pour-tant, à n’en point douter, une ingérence dans la vieprivée au sens de l’article 8 de la Convention, étaitsuffisamment prévisible.

La Cour ne devait, du reste, répondre à la questionde la prévisibilité de cette mesure d’investigationnorvégienne que parce qu’elle avait préalablementconsidéré qu’il y avait bien une base légale dans le

droit norvégien pour une telle mesure d’investiga-tion.

Cette conclusion était pourtant peu évidente. Ainsique nous l’avons vu, en effet, il n’existait pas de droitde rétention explicitement prévu dans le texte de loinorvégien. La Cour s’est toutefois ralliée comme decoutume à la décision de la juridiction suprême na-tionale. L’opinion majoritaire au sein de celle-ciavait considéré que le droit de visite norvégien ren-fermait bien la possibilité d’effectuer et d’emporterun back-up. Dans son opinion dissidente, un juge dela juridiction suprême norvégienne avait cependantconsidéré qu’il n’existait pas de droit d’emporter descopies. Ce juge renvoyait à cette fin, entre autres, àla décision expresse du Parlement norvégien de nepas introduire de droit de saisie dans le cadre d’uncontrôle fiscal (118). Admettre que l’administrationpeut emporter des copies de documents (électro-niques) reviendrait, selon ce juge, à violer la volontédu législateur. L’ingérence dans le droit à la vie pri-vée de l’intéressé est également beaucoup plus im-portante lorsque l’administration peut emporter enses bureaux des (copies de) documents (dans lesquelsdes informations non pertinentes sur le plan fiscalpeuvent potentiellement figurer), que lorsque lesopérations s’effectuent sur place chez le contri-buable. Ce sont, entre autres, ces raisons que l’on re-trouve dans l’opinion dissidente des juges Berro-Le-fèvre et Laffranque de la Cour, qui étaientégalement d’avis que la législation norvégienne étaitinsuffisamment prévisible en ce qui concerne unemesure qui vise à permettre d’emporter le back-upd’un serveur complet pour examen complémentaire.

Qu’est-ce qui justifie alors que la Cour ait décidéque la législation norvégienne était suffisammentprévisible en ce qui concerne la rétention du back-up,alors que la législation ne le prévoyait même pas (ex-pressément) ?

Ce sont, en réalité, deux considérations qui, prisescumulativement, servent de fondement à la décisionde la Cour.

(113) Voy. pour un examen des travaux préparatoires qui font apparaître la volonté du législateur : J. BONNE et W. VETTERS,« Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(114) S. DE RAEDT, « Het fiscale visitatierecht : de geschiedenis herschreven », T.F.R., 2013, 571 et J. BONNE et W. VETTERS,« Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(115) « Par la même occasion, elle vise à mieux préciser la légalité des contrôles et investigations réalisés par les fonctionnaireset agents de l’administration de la T.V.A., de l’enregistrement et des domaines » (Doc. parl., Sénat, sess. 1989-1990,806/1, p. 21).

(116) Loi du 19 mai 2010 (M.B., 28 mai 2010, 2e éd., err. M.B., 1er juillet 2010).(117) Doc. parl., Chambre, sess. 2009-2010, 2521/001, p. 8 ; la modification trouve également son origine dans l’arrêt de la

Cour de cassation du 16 décembre 2003 dans lequel la Cour a affirmé expressément que la compétence de l’administra-tion de la T.V.A. sur la base de l’article 63 du Code de la T.V.A. à propos de l’examen des livres doit être distinguée del’article 319 du C.I.R. 1992.

(118) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 118.

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Tout d’abord, il faut observer que cette décision vade pair avec la prémisse adoptée par la Cour, selonlaquelle il existe bien dans la législation norvégienneun droit de recherche actif qui vise à séparer les do-cuments pertinents sur le plan fiscal de ceux qui nele sont pas (il existe à ce sujet une certaine unanimitédans les travaux préparatoires de la législation nor-végienne et dans la jurisprudence nationale). C’estprécisément parce qu’il existe un droit de rechercheactif en droit norvégien que le contribuable pouvaitselon la Cour s’attendre à ce que l’administration fis-cale demande à avoir accès à l’ensemble du serveuret emporterait une copie de ces données afin de luipermettre d’examiner en ses bureaux quels étaientles documents pertinents sur le plan fiscal (119). Rejoi-gnant l’opinion dissidente des juges Berro-Lefèvreet Laffranque, il peut, du reste, être affirmé que leraisonnement de la Cour manque ici de cohérence :ce n’est pas parce qu’un droit de recherche actifexiste en droit norvégien (et que la visite des archivesvise à préparer l’examen des livres) que ceci a néces-sairement pour conséquence que l’intéressé doitpour autant s’attendre à ce qu’un back-up completpuisse être emporté par l’administration pour exa-men. Ce travail préparatoire peut également être ef-fectué sur place, avec l’avantage que le contribuablepeut s’assurer du fait que des données non fiscales nesoient pas consultées par l’administration fiscale.

Une autre considération qui guide la Cour à aboutirà sa conclusion que la mesure litigieuse est suffisam-ment prévisible est que le champ d’application de lamesure est, certes, très large, mais était cependantsuffisamment délimité de sorte qu’il n’est pas ques-tion d’une compétence illimitée conférée à l’admi-nistration fiscale.

La délimitation du champ d’application tenait, ce-pendant, en l’espèce, au seul fait que seules les ar-chives du contribuable pouvaient être examinées etpas celles d’un autre contribuable et que s’agissantdes archives du contribuable, l’accès à des docu-ments concernant un autre contribuable ne pouvaitêtre exigé afin d’obtenir des informations relatives àcet autre contribuable, à moins que ces documentsconcernant d’autres contribuables contiennent desinformations pertinentes pour l’établissement del’impôt du contribuable lui-même (120). Dès lors tou-tefois que les archives du contribuable concerné seconfondaient en l’espèce avec les archives d’autres

sociétés, la Cour a estimé que la mesure à l’occasionde laquelle l’entièreté des archives mélangées a étécopiée et emportée était prévisible.

La Cour précise encore qu’une mesure à l’occasionde laquelle l’accès aux archives d’un autre contri-buable qui se distinguent clairement des archives ducontribuable qui fait l’objet du contrôle est exigén’est pas prévisible dans la législation norvégienne.On peut, par conséquent, conclure qu’une telle me-sure serait déclarée non compatible avec l’article 8de la Convention.

Enseignements en ce qui concerne la prévisibilité du droit de recherche actif belge

Il ne peut malheureusement être retiré aucuneconclusion du raisonnement adopté par la Cour ence qui concerne la prévisibilité du droit de rechercheactif belge (dans la mesure où la Cour de cassationviendrait à décider qu’un tel droit de recherche actifdispose d’une base légale, cfr supra).

Le seul constat que nous pouvons faire est que la lé-gislation norvégienne ne connaissait aucune réfé-rence à une quelconque possibilité d’emporter descopies (de fichiers électroniques) (tout comme la lé-gislation belge ne connaît aucune référence à la pos-sibilité de rechercher activement pendant une vi-site), ce qui n’a pas empêché la Cour d’arriver toutde même à la conclusion que la mesure était prévi-sible.

Pourtant, les considérations qui conduisent la Courà la conclusion que la mesure norvégienne était pré-visible sont à ce point spécifiques (cfr supra), qu’ellesne permettent pas d’émettre des prédictions concer-nant le caractère prévisible du droit de recherche ac-tif belge.

On retombe alors sur la jurisprudence déjà connuede la Cour relative aux critères pour rechercher laprévisibilité de la base légale, à savoir la clarté de laloi quant à son champ d’application et à ses modali-tés d’application, afin que l’intéressé puisse savoir àquoi s’attendre.

La Cour va, à cette occasion, examiner la loi dansson sens matériel et va, dès lors, également tenircompte de l’application jurisprudentielle de la baselégale. À cet égard, on ne peut que constater que lalégislation belge ne contient aucune référence à undroit de l’administration fiscale d’effectuer active-

(119) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding SA c. Norvège, § 130.(120) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding SA c. Norvège, § 131 : « Thus the authorities could not require access

to archives belonging entirely to other taks subjects. Where the archive belonged to the taks subject concerned, acesscould not be demanded to documents belonging to other taks subjects in order to obtain information about them, unlessthe documents contained information relevant to the taks assessment of the taks subject in question ».

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ment des recherches à l’occasion d’une visite domi-ciliaire fiscale, qu’en outre les travaux préparatoiresde la législation en matière de visites domiciliairesfiscales n’indiquent pas que le législateur a jamais eul’intention d’instaurer un droit de recherche actif (aucontraire) et, enfin, que la jurisprudence actuelle estdivisée quant à l’existence d’un droit de rechercheactif (121) et que la jurisprudence de la juridiction su-prême se révèle à tout le moins peu claire (122). Onpeut, selon nous, par conséquent, affirmer que ledroit belge n’offre pas suffisamment de points d’ac-croche afin de permettre à l’intéressé de savoir quel’administration fiscale peut aussi rechercher de ma-nière active dans ses locaux professionnels ou privés(comprenez que l’intéressé pourrait savoir quel est lechamp d’application de la mesure et la manière dontelle est appliquée). Le droit de recherche actif, dansla mesure où la Cour de cassation belge devraitconsidérer qu’il existe une base légale en ce sens endroit belge, n’est dès lors, selon nous, pas suffisam-ment prévisible au sens de l’article 8 de la Conven-tion.

Enseignements en ce qui concerne la prévisibilité du droit de rétention belge

En ce qui concerne le droit de rétention en matièrede T.V.A., il existe bel et bien une base légale (art.61, § 2, du Code de la T.V.A.). La question est tou-tefois de savoir si cette base légale est suffisammentprévisible. En ce qui concerne le champ d’applica-tion du droit de rétention en matière de T.V.A., laloi apporte en tout état de cause quelques précisions.L’article 61, § 2, du Code de la T.V.A. dispose en ef-fet que l’administration fiscale a le droit de retenirles documents dont la conservation est obligatoire« chaque fois qu’elle estime que ces livres, docu-ments ou copies établissent ou concourent à établirla débition d’une taxe ou d’une amende à sa chargeou à la charge de tiers ». Ce droit n’existe pas àl’égard des livres qui ne sont pas clôturés. Les livres

qui sont conservés sous un format électronique peu-vent également être retenus (123).

Bien que le champ d’application de ce droit de réten-tion soit donc relativement étendu (124), le contri-buable sait à peu près ce qui l’attend (tous les docu-ments pour lesquels existe une obligation deconservation et qui sont pertinents sur le plan fiscalpeuvent être retenus).

On constate encore dans l’arrêt Bernh Larsen, en cequi concerne la délimitation du champ d’applica-tion, que la Cour se satisfait du fait que la législationnorvégienne autorisait uniquement d’examiner lesarchives du contribuable (et pas celles de tiers) et dene prendre connaissance que des documents concer-nant le contribuable (dans la mesure où ceux-ci sontclairement séparés de ceux d’autres personnes).Dans ce contexte, on peut admettre que la Courconsidérerait également que la délimitation duchamp d’application du droit de rétention belge enmatière de T.V.A. est suffisamment prévisible.

S’agissant de la manière dont ce droit de rétentionpeut être exécuté, il faut bien admettre que la légis-lation actuelle est moins claire. Mis à part le faitqu’un procès-verbal de rétention (autrefois accuséde réception) doit être délivré, on ne retrouve au-cune disposition légale spécifique relative, parexemple, au délai de restitution, à l’obligation de ré-diger un rapport de contrôle…

Nous considérons cependant que la Cour jugerait ledispositif actuel de rétention en matière de T.V.A.comme étant suffisamment prévisible. Dans l’affaireBernh Larsen, concernant la prévisibilité de la réten-tion du back-up du serveur, la Cour n’attendait pasnon plus de précision supplémentaire dans la loi quecelle examinée supra à propos du champ d’applica-tion (125).

En ce qui concerne les impôts sur les revenus, lamême conclusion peut, selon nous, être faite, dèslors que les dispositifs relatifs au droit de rétention

(121) Voy. également à propos de la base légale à un droit de recherche actif : Anvers, 13 mars 2001, T.F.R., 2001, 485, note D.JAECQUES ; Civ. Liège, 3 décembre 2001, F.J.F., no 2002/168 ; contra : Civ. Bruxelles, 17 janvier 2012, T.F.R., 2012, 238 ;Fisc. Koer., 2012/04, pp. 259-265, note M. VAN KEIRSBILCK ; Civ. Bruges, 26 octobre 2011, T.F.R., 2012, 499 ; voy. la pré-sentation de la controverse jurisprudentielle dans l’article de J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis volvisite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(122) Voy. aussi supra concernant la base légale d’un droit de recherche actif et les interprétations divergentes de l’arrêt de laCour de cassation du 16 décembre 2003 (Cass., 16 décembre 2003, F.J.F., no 2004/117. Dans cet arrêt, la Cour de cassa-tion a affirmé que les fonctionnaires de la T.V.A. es agents compétents « ont le droit d’examiner quels livres et documentsse trouvent dans les locaux où s’exerce l’activité ainsi que d’examiner les livres et documents qui s’y trouvent sans devoirrequérir au préalable la remise de ces livres et documents »).

(123) Depuis le 1er janvier 2013 : voy. l’examen de la modification législative dans J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, eenhuis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454, pp. 6 et s.

(124) Voy. également son examen dans J. BONNE et W. VETTERS, « Visite, visite, een huis vol visite… », T.F.R., 2014, 453-454,pp. 6 et s.

(125) Autre chose est l’examen de la condition de nécessité dans le cadre duquel la Cour examine l’exigence de garantiesconcrètes contre d’éventuels abus (qui étaient, en l’espèce, apparemment présentes, voy. infra).

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sont similaires depuis la loi du 21 décembre 2013.Avant l’entrée en vigueur du nouvel article 315ter duC.I.R. 1992, les choses étaient différentes. Il n’était,en effet, aucunement question d’un droit général derétention. Seul l’article 315bis du C.I.R. 1992 pré-voyait l’obligation dans le chef du contribuable deremettre des copies des fichiers électroniques.

Même si la Cour de cassation devait décider qu’il yavait une base légale pour la rétention de documentset objets en général et la copie de fichiers électro-niques, en particulier, se pose encore la question dela prévisibilité de cette disposition légale.

La raison pour laquelle la Cour, dans l’affaire BernhLarsen, a décidé que la rétention du back-up du ser-veur était suffisamment prévisible en droit norvé-gien (quand bien même il n’existait pas de base lé-gale), peut être trouvée dans la reconnaissance del’existence d’un droit de recherche actif en droit nor-végien pendant la phase préparatoire de l’examendes livres pendant laquelle le fisc peut lui-même exa-miner quels documents sont pertinents sur le planfiscal.

C’est uniquement parce que la législation norvé-gienne connaît l’existence de cet examen actif prépa-ratoire que la Cour estime que l’intéressé pouvaits’attendre à ce que l’administration veuille examinerle back-up complet (et l’emporter).

Puisque le droit de visite domiciliaire belge ne peutêtre considéré comme une enquête préliminaire àl’examen des livres, à l’occasion de laquelle l’admi-nistration fiscale pourrait trier activement les docu-ments, ce raisonnement ne nous semble pas pouvoirêtre transposé au droit de rétention belge.

Ici aussi, nous retombons, par conséquent, sur la ju-risprudence existante de la Cour dans laquelle, àpropos de la prévisibilité, elle souhaite que la loi soitsuffisamment claire en ce qui concerne son champd’application et la manière dont l’ingérence est miseen pratique, afin que l’intéressé puisse savoir à quois’attendre.

À l’instar de ce que nous avons vu concernant ledroit de recherche actif, nous pensons ici aussi pou-voir affirmer que l’ancienne législation belge (dansson sens matériel) n’offrait pas suffisamment declarté concernant la possibilité pour l’administrationfiscale de retenir des documents ou objets divers.

Uniquement en ce qui concerne la rétention de lacopie de fichiers électroniques, il pourrait être af-firmé que l’intéressé – compte tenu de l’obligationde remettre des copies – pouvait s’attendre à ce queces copies soient emportées.

B. Deuxième condition : la légitimité

Une ingérence des pouvoirs publics dans la vie pri-vée n’est également possible que lorsque cette ingé-rence poursuit un but légitime.

Les buts légitimes qui entrent en ligne de compte, sonténoncés limitativement à l’article 8 de la Convention,mais sont exprimés de manière à ce point large quetout but avancé pour justifier une ingérence dans la vieprivée, pourrait y correspondre. Des actes d’investiga-tion en matière fiscale servent le bien-être écono-mique du pays et ont dès lors un but légitime.

Dans les affaires Funke, Crémieux et Miailhe, la Couravait à examiner des perquisitions effectuées par ladouane française. La Cour a confirmé ce point devue (126). Dans l’affaire Bernh Larsen il a également étédécidé que la mesure à l’occasion de laquelle le fiscnorvégien a emporté le back-up du serveur completdu contribuable s’inscrit dans le cadre du bien-êtreéconomique de l’État concerné (127).

C. Troisième condition : la nécessité

1. Généralités

a) Évolution des critères

Enfin, une ingérence dans la vie privée est seulementpossible dans la mesure où cette ingérence est néces-saire dans une société démocratique. L’ingérence nepeut donc pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.

Ici aussi il s’agit d’un examen in concreto. En réalité,la Cour procède à une mise en balance entre le butlégitime que l’on souhaite atteindre et l’intérêt pro-tégé par l’article 8.1 de la Convention.

Afin de permettre le contrôle de la condition de né-cessité, la Cour a développé différents critères, quiont évolué au fil du temps. Parmi les critères qui ap-paraissent dans la jurisprudence de la Cour, on re-trouve le critère de la pertinence (qui consiste à dé-terminer si une mesure qui constitue une ingérencedans la vie privée est pertinente et suffisante afind’atteindre l’objectif recherché) (128) et le critère de la

(126) Cour eur. D.H., 25 février 1993, Funke c. France ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Crémieux c. France ; Cour eur. D.H.,25 février 1993, Miailhe c. France.

(127) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding SA c. Norvège, § 135.(128) K. RIMANQUE, « De noodzakelijkheid in een democratische samenleving - Een begrenzing van beperkingen van

grondrechten », in Liber Amicorum Frédéric Dumon, Anvers, Kluwer, 1983, partie II, pp. 1228-1229, qui renvoie, entreautres, à Cour eur. D.H., 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni.

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proportionnalité (qui consiste à examiner qu’il existeun rapport raisonnable entre l’atteinte portée à undroit fondamental, d’une part, le but légitime pour-suivi, d’autre part) (129). Un autre critère parfois uti-lisé est celui de la subsidiarité. Au regard de ce prin-cipe, un État membre est supposé avoir comparédifférentes solutions à un même problème et avoirchoisi la solution qui porte le moins atteinte au droità la vie privée (130).

On observe pourtant qu’il est de plus en plus fré-quemment souligné dans la jurisprudence de la Courque les États membres disposent d’une marge d’ap-préciation concernant la possibilité de prévoir uneingérence dans le droit au respect de la vie privée (131).Cette marge d’appréciation est déterminée par la na-ture et l’importance des intérêts en jeu et la gravitéde l’ingérence (132).

Un des éléments qui jouent un rôle en la matière estle fait que la mesure s’adresse à des personnes mo-rales et non à des personnes physiques. Une mesurequi constitue une ingérence dans la vie privée ets’adresse à des personnes morales laisse aux autoritésnationales une marge d’appréciation plus large (133).La même affirmation est d’application lorsque lamesure vise la vie professionnelle de l’intéressé etnon sa vie privée. Un autre élément qui joue un rôledans l’examen de la marge d’appréciation des Étatsmembres est le fait que la mesure vise des donnéespersonnelles. La Cour octroie, dès lors, une marged’appréciation plus étroite lorsque la mesure, quiconstitue une ingérence dans la vie privée, concernedes données personnelles. La Cour considère, en ef-fet, que la marge d’appréciation des États membresdoit être limitée chaque fois que des aspects du droitau respect de la vie privée sont en jeu à propos des-

quelles les États membres sont unanimement d’ac-cord qu’il s’agit d’aspects cruciaux. Les données per-sonnelles sont précisément un aspect fondamentaldu droit au respect de la vie privée dont la Courconsidère qu’il n’est pas seulement crucial, mais enmême temps un aspect au sujet duquel les Étatsmembres ont atteint un consensus quant à la ma-nière dont cet aspect du droit à la vie privée doit êtreprotégé. C’est, en effet, sous l’égide du Conseil del’Europe qu’a été adoptée le 28 janvier 1981 laConvention no 108 pour la protection des personnesà l’égard du traitement automatisé des données à ca-ractère personnel, dans laquelle figurent un certainnombre d’engagements sur la manière dont les don-nées personnelles doivent être protégées (134). Cetteconvention constituait la base des différentes législa-tions nationales en matière de protection des don-nées personnelles ainsi que de la directive 95/46/CEdu Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre1995, relative à la protection des personnes phy-siques à l’égard du traitement des données à carac-tère personnel et à la libre circulation de ces don-nées (135). Ces engagements limitent la marged’appréciation des États membres lorsqu’ils exami-nent la nécessité de la mesure adoptée.

L’examen de la gravité de l’ingérence intervient tou-jours in concreto. Ceci signifie que la Cour se mon-trera vraisemblablement plus sévère si l’ingérencedans la vie privée concerne des données person-nelles, mais aussi que la mesure de la sévérité dépen-dra du type de données personnelles. Ainsi, dans l’af-faire Bernh Larsen, des fichiers informatiques furentsaisis contenant un grand nombre de données per-sonnelles (136). Un grand nombre de données person-nelles auront vraisemblablement été pertinentes surle plan fiscal (par exemple, une facture délivrée à une

(129) K. RIMANQUE, « De noodzakelijkheid in een democratische samenleving - Een begrenzing van beperkingen vangrondrechten », in Liber Amicorum Frédéric Dumon, Anvers, Kluwer, 1983, partie II, pp. 1229-1230, avec renvoi à diffé-rentes décisions comme Cour eur. D.H., 26 avril 1978, Sunday Times c. Royaume-Uni, § 67.

(130) P. DE HERT, « Het recht op privacy », in J. VANDE LANOTTE et Y. HAECK, Handboek EVRM - Deel II - Artikelsgewijze com-mentaar, Anvers, Intersentia, 2005, p. 720, avec renvoi à Cour eur. D.H., 2 octobre 2001, Hatton c. Royaume-Uni, § 97 ;Cour eur. D.H., 28 janvier 2003, Peck c. Royaume-Uni.

(131) Pour la première fois : Cour eur. D.H., 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni (à propos de l’article 10 de laConvention).

(132) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 158, avec renvoi à Cour eur. D.H., 25 février 1997,Z. c. Finlande, §§ 94 et 99 ; Cour eur. D.H., 26 mars 1987, Leander c. Suède, § 58.

(133) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS, § 158 ; Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Alle-magne, § 31.

(134) L’État membre doit ainsi, conformément à la Convention, s’assurer en tout état de cause qu’existent des garanties suffi-santes afin que des données personnelles ne puissent être collectées que dans la mesure où elles sont pertinentes et nonexcessives au regard de l’objectif pour lequel elles sont collectées. L’État membre doit, en outre, s’assurer que les donnéespersonnelles ne sont pas conservées plus longtemps que nécessaire au regard de l’objectif pour lequel elles sont collectées.L’État membre doit aussi veiller à ce que soient prévues des garanties pour protéger les données personnelles collectéesd’un abus.

(135) Un règlement est actuellement en préparation en matière de protection des données personnelles, lequel abrogera ladirective.

(136) Il est question de données personnelles au sens de la convention no 108 chaque fois qu’on est en présence d’informationsportant sur une personne physique identifiée ou identifiable.

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personne physique, ce qui est un document perti-nent sur le plan fiscal, est une donnée personnelle ausens de la Convention), mais en même temps, on ob-serve que dans la présente affaire il est apparu qu’ungrand nombre de données électroniques saisiesconcernaient des données personnelles non perti-nentes sur le plan fiscal (comme des courriers élec-troniques entre salariés et d’autres personnes privéesconcernant des sujets d’ordre privé). Cette constata-tion requiert selon la Cour un examen in concreto da-vantage critique de la condition de nécessité (137).

Le fait que des données soient collectées chez unepersonne qui est tenue au secret professionnel rendl’appréciation des États membres également plusétroite (voy. infra).

C’est précisément en raison de cette marge d’appré-ciation octroyée aux États membres que les intérêtsavancés par l’État membre pèsent en pratique (etdans la mesure où ils sont légitimes au sens de l’ar-ticle 8 de la Convention) souvent lourd par rapportaux intérêts fondamentaux de l’intéressé.

En pratique, la Cour se satisfait souvent – en parti-culier en ce qui concerne l’examen de moyens d’in-vestigation – de la présence de garanties contre lesabus. Dans la mesure où la marge d’appréciation del’État membre est relativement étendue (parexemple, parce que les moyens d’investigationconcernent une personne morale), la Cour se mon-trera plus souple vis-à-vis des garanties exigées pourprévenir les abus.

Là où la présence de garanties contre les abus étaitsouvent contrôlée dans le cadre de la présence d’unebase légale prévisible (cfr supra), on constate que ceciintervient à présent de plus en plus souvent unique-ment dans le cadre du contrôle de la condition denécessité (138) (139).

b) Autorisation judiciaire

La garantie la plus évidente contre d’éventuels abusdes autorités publiques en matière d’actes d’investi-gation est bien évidemment l’existence d’un contrôlejudiciaire préalable.

Il ne s’agit cependant pas de l’unique garantie pourla Cour. Moins la mesure est intrusive, moins se faitsentir le besoin d’un contrôle judiciaire.

Si on opte pour une autorisation judiciaire, la Courexige que ce contrôle judiciaire soit basé sur des pré-somptions graves (reasonable suspicion) et que l’objetde l’injonction judiciaire soit limité de manière rai-sonnable (reasonably limited) (140). Cela signifie, entreautres, qu’il soit statué sur la portée du mandat deperquisition, notamment quant à sa durée et à sonobjet (141).

En l’absence de contrôle judiciaire, d’autres garan-ties devront être prévues. Bien que la Cour en aitdéjà mentionné plusieurs, il n’apparaît pas possiblede dresser une liste exhaustive de garanties mini-males à remplir pour chaque type de mesure. Krabbeaffirme également que tout manquement ne sera pasautomatiquement fatal (142).

c) Garanties supplémentaires contre l’abus lorsque les mesures visent des personnes tenues au secret professionnel

Lorsque l’ingérence dans le droit à la vie privée visele domicile ou le local professionnel d’une personnequi est tenue au secret professionnel, ou lorsque l’in-gérence vise une communication avec une personnetenue au secret professionnel, une protection spéci-fique s’applique qui se traduit par la nécessité de ga-ranties supplémentaires contre l’abus (143). À côté desgaranties usuelles contre l’abus que la Cour voits’appliquer en cas de perquisitions dans des locaux(professionnels), il doit donc y avoir des garantiessupplémentaires en cas de perquisition, par exemple,

(137) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 158.(138) P. De Hert pense que ce faisant il n’existe plus de balance des intérêts à proprement parler en manière telle qu’il n’est plus

vraiment question d’un test de proportionnalité (P. DE HERT, Artikel 8 EVRM en het Belgisch recht - De bescherming vanprivacy, gezin, woonst en communicatie, Gand, Mys & Breesch, 1998, p. 40, no 41).

(139) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 37 ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Funke c. France ; Coureur. D.H., 25 février 1993, Crémieux c. France ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Miailhe c. France ; Cour eur. D.H.,5 juillet 2012, Robathin c. Autriche, § 44 ; Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 163.

(140) Voy. Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 37 ; Cour eur. D.H., 5 juillet 2012, Robathin c. Autriche,§ 44.

(141) H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN en H. KRABBE, Het EVRMen het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, p. 168, avec renvoi à Cour eur. D.H., 30 mars1989, Chappell c. Royaume-Uni.

(142) H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN en H. KRABBE, Het EVRMen het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, p. 169.

(143) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 37 ; Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wieser et Bicos Beteili-gungen c. Autriche, § 57 ; Cour eur. D.H., 21 janvier 2010, Xavier Da Silveira c. France, § 34, avec renvoi e.a. aux décisionsCour eur. D.H., 25 février 1993, Funke, Crémieux et Miailhe c. France, respectivement §§ 56, 39 et 37.

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chez un avocat en raison de la protection du secretprofessionnel.

À cet égard, dans sa jurisprudence actuelle, la Courrecherche la présence d’une autorité de contrôle in-dépendante (comme le bâtonnier de l’Ordre desavocats dont l’avocat concerné dépend) qui doitveiller à ce que le matériel protégé par le secret pro-fessionnel ne soit pas examiné ou saisi (144). Cette au-torité de contrôle doit également pouvoir exercerson rôle de manière effective. Dans l’affaire Andrée.a. c. France, la Cour a constaté que le bâtonnierétait peut-être présent lors de la visite domiciliaireeffectuée par l’administration fiscale, mais que ni saprésence, ni les objections qu’il avait émises lors dela consultation et de la saisie de certains documentsn’ont pu empêcher que ces documents, dont iln’était pas contesté que certains, tels que des notesmanuscrites de l’avocat, tombaient dans le champ dusecret professionnel, furent tout de même consultéset saisis (145). Dans l’affaire Wieser et Bicos Beteiligun-gen, la Cour a également constaté que la législationprescrivait, certes, la présence d’un représentant del’Ordre, mais qu’en pratique, ce membre du barreaun’avait été présent que très peu de temps lors de lasaisie des données électroniques de l’avocat chez quila visite domiciliaire avait lieu (146). Enfin, l’autoritéde contrôle doit elle-même être soumise au secretprofessionnel, de sorte que la protection du matérielconfidentiel rencontré au cours de la perquisitionsoit garantie (147).

Il apparaît clairement à l’examen de la jurisprudenceprécitée que la Cour est d’avis qu’en cas de perquisi-tion chez un avocat, seul le représentant du barreauqui est présent lors de la perquisition peut prendreconnaissance des documents que les enquêteurs en-tendent examiner et saisir, pour ensuite juger s’ilssont couverts par le secret professionnel ou pas.C’est uniquement si les données ne sont pas cou-vertes par le secret professionnel qu’elles peuventêtre transmises aux enquêteurs.

2. Le test de nécessité en cas de visite fiscale

a) Généralités

La question centrale dans le cadre de l’examen de laportée du droit au respect de la vie privée en matièrede visites fiscales, revient donc à se demander si lesvisites domiciliaires fiscales belges sont entourées degaranties suffisantes afin de passer avec succès le testde l’article 8 de la Convention.

Les autres critères auxquels la Cour a recours (perti-nence, proportionnalité, subsidiarité) semblent eneffet revêtir moins d’importance et s’effacer au profitde l’examen des garanties nécessaires afin de préve-nir l’abus. La Cour accepte, en effet, également enmatière de moyens d’investigation en général et demoyens d’investigation en matière fiscale en particu-lier, que le moyen d’investigation soit, par exemplepertinent et, partant, qu’il soit nécessaire afin d’at-teindre l’objectif légitime.

Dans les affaires Funke, Crémieux et Miailhe c. France,du 25 février 1993 (148), où la Cour avait à se pronon-cer sur une visite domiciliaire dans le cadre d’un dos-sier douanier, celle-ci a affirmé de manière généralequ’« Assurément, dans le domaine considéré – lalutte contre l’évasion des capitaux et contre la fuitedevant l’impôt – les États rencontrent de sérieusesdifficultés résultant de l’étendue et de la complexitédes réseaux bancaires et des circuits financiers ainsique des multiples possibilités de placements interna-tionaux, facilitées par la relative perméabilité desfrontières ». Ceci justifie selon la Cour que les Étatsmembres aient recours à certaines mesures, telles lesvisites domiciliaires et les saisies, pour établir lapreuve matérielle de certaines infractions fiscales.

La Cour est d’avis qu’une mesure telle qu’une visitedomiciliaire est pertinente et adéquate dans le cadrede la lutte contre la fraude en matière de douanes etaccises.

C’est également le cas en matière d’impôts sur les re-venus, domaine dans lequel la Cour accepte assez fa-cilement qu’une mesure d’investigation soit perti-nente.

Dans l’affaire Bernh Larsen, la Cour a décidé que lasaisie du back-up d’un serveur par l’administration

(144) Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 37 ; Cour eur. D.H., 25 février 2003, Roemen et Schmit c.Luxembourg, § 69 ; Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wieser et Bicos Beteiligungen c. Autriche, § 57 ; Cour eur. D.H.,24 juillet 2008, André e.a. c. France, §§ 42, 43 et 44 ; Cour eur. D.H., 21 janvier 2010, Xavier Da Silveira c. France.

(145) Cour eur. D.H., 24 juillet 2008, André e.a. c. France, § 44.(146) Cour eur. D.H., 16 octobre 2007, Wieser et Bicos Beteiligungen c. Autriche, § 63.(147) Cour eur. D.H., 5 juillet 2012, Golovan c. Ukraine, § 6.(148) Cour eur. D.H., 25 février 1993, Funke c. France ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Crémieux c. France ; Cour eur. D.H.,

25 février 1993, Miailhe c. France.

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fiscale, constitue une mesure qui est pertinente etadéquate en vue d’atteindre un contrôle fiscal effi-cace in concreto (149).

En tenant compte de cette dernière décision, il ap-paraît qu’une simple visite domiciliaire fiscale seraconsidérée par la Cour comme pertinente et adé-quate au regard de l’objectif d’un contrôle fiscal effi-cace.

Même l’argument qu’une infraction déterminée à laloi fiscale a déjà été constatée d’une autre manière et,partant, qu’une visite domiciliaire fiscale n’apparais-sait plus nécessaire (lisez pertinente et adéquate)pour rencontrer l’objectif d’un contrôle efficace,sera, selon nous, également examinée par la Couravec sévérité et prudence.

C’est ainsi que dans l’affaire Camenzind, la Cour ajugé que la visite domiciliaire satisfaisait bien à l’exi-gence de nécessité même si la preuve de l’infraction(détention prohibée d’un téléphone) avait déjà étérapportée autrement (à savoir au moyen de l’inter-ception de conversations téléphoniques au moyendudit téléphone). La Cour accepte que les autoritéscompétentes exécutent la visite domiciliaire en vuede la saisie de l’objet de l’infraction, en manière telleque la visite domiciliaire était bien pertinente en vuede récolter les preuves (150).

b) Une autorisation judiciaire n’est, en principe, pas exigée

S’agissant d’actes d’investigation en matière fiscale,la Cour a déjà affirmé dans plusieurs décisionsqu’une autorisation judiciaire n’est pas nécessaire, àcondition que d’autres garanties suffisantes existentcontre d’éventuels abus.

Dans les affaires Funke, Crémieux et Miailhe c. France,du 25 février 1993 (151), les visites domiciliaires réali-sées par l’administration des douanes et accises

n’avaient pas été précédées par une autorisation ju-diciaire. La Cour a considéré qu’en l’absence d’uneautorisation judiciaire préalable, des garanties pro-cédurales suffisantes devaient exister contre l’abus.Les actes d’investigation n’ont, en d’autres termes,pas été critiqués en soi en raison de l’absence d’auto-risation judiciaire préalable (152).

Au vu de la jurisprudence précitée de la Cour rela-tive à l’absence d’autorisation judiciaire en cas de vi-sites domiciliaires en matière douanière, il n’est pasétonnant de constater que la Cour ne s’est pas offus-quée non plus dans l’affaire Bernh Larsen (en ma-tière d’impôts sur les revenus) de l’absence d’autori-sation judiciaire préalable à la saisie de fichiersnumériques appartenant à un contrôle lors de la vi-site.

Il est toutefois intéressant de relever que dans l’af-faire Bernh Larsen, la Cour explique dans quels cas ilest question d’une visite fiscale pour laquelle une au-torisation préalable n’est pas exigée, dans la mesureoù il existe des garanties procédurales suffisantespour prévenir les abus.

Un acte d’investigation est, selon la Cour, purementfiscal lorsque les conséquences d’un refus de colla-borer à l’enquête de la part de l’intéressé sont de na-ture exclusivement administrative (153), tandis qu’unacte d’investigation dans le cadre d’une instructionpénale peut être contraint (au besoin par laforce) (154). Lorsque la loi prévoit qu’un refus de col-laboration à l’enquête fiscale peut être sanctionné,mais qu’une telle sanction est purement théorique,la Cour est également d’avis qu’il est question d’uneenquête purement administrative pour laquelle uneautorisation judiciaire préalable n’est pas néces-saire (155).

La Cour semble faire le lien entre l’absence d’exi-gence d’une autorisation judiciaire préalable etl’obligation de déclarer des informations à l’admi-

(149) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 161.(150) Cour eur. D.H., 16 décembre 1997, Camenzind c. Suisse, § 46.(151) Cour eur. D.H., 25 février 1993, Funke c. France ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Crémieux c. France et Cour eur. D.H.,

25 février 1993, Miailhe c. France.(152) On observera que la Cour constitutionnelle belge devait se prononcer sur le fait que le droit de perquisition en matière de

douanes et accises déroge au droit de perquisition en droit pénal commun, dans la mesure où en matière douanière iln’existe pas d’autorisation judiciaire préalable (et l’éventuelle violation du principe d’égalité qui en découlerait). Dans lesarrêts du 16 mars 2001 (no 16/2001) et 28 mars 2002 (no 60/2002), la Cour constitutionnelle a affirmé – dans le prolonge-ment de la jurisprudence citée de la Cour – que la dérogation à la règle de droit commun en matière de perquisition estlimité à ce qui est strictement nécessaire en vue de rechercher et de poursuivre efficacement les infractions en matière dedouanes et accises, cependant que l’exercice du droit de visite est entouré lui aussi de garanties suffisantes pour prévenirles abus (arrêt no 16/2001, B.13.7, et arrêt no 60/2002, B.3.8). En ce qui concerne les garanties, la Cour constitutionnellerelève le fait que la législation elle-même prévoit un certain nombre de restrictions et de garanties, comme le fait qu’enprincipe la visite ne peut intervenir que le jour, sauf si on travaille dans les lieux la nuit, le fait que l’intéressé doit être pré-sent… (C. const., 14 février 2001, no 16/2001, B.13.7).

(153) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 173.(154) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 43.(155) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 153.

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nistration fiscale (156). Une telle obligation de décla-ration à l’administration n’existe pas en droit pénal(où s’applique le droit à ne pas s’auto-incriminer).Des actes d’investigation sont nécessaires afin decontrôler l’information fournie à l’administrationfiscale.

c) La loi doit elle-même octroyer des garanties suffisantes contre l’abus

S’agissant de la question de savoir quelles garantiessont nécessaires, en l’absence de décision judiciairepréalable à un acte d’investigation, la Cour a affirmédans les affaires précitées Funke, Crémieux et Miailhec. France (157) que la loi doit alors définir avec suffi-samment de précision le champ d’application de cetacte d’investigation.

Lorsque comme cela a été le cas dans les affairesdouanières précitées, la loi autorise que les fonction-naires déterminent eux-mêmes l’adéquation del’acte d’investigation, sa durée, sa fréquence et sonimportance, il faut conclure à l’absence de garantiescontre l’abus (158).

Le critère des garanties contre l’abus qui doit êtreprévu dans la loi même, rejoint le critère de la prévi-sibilité de la loi, qui exige aussi que la loi procure uneclarté suffisante quant à son champ d’application.Alors que sous l’angle de la prévisibilité de la loi, ils’agit de la mesure dans laquelle l’intéressé est àmême de déterminer ses droits et obligations, sousl’angle de la nécessité, il s’agit de rechercher si lesgaranties dont l’intéressé dispose sont suffisantescontre des abus par les autorités qui disposeraientd’une compétence excessivement discrétionnaireparce que la loi est trop large ou trop vague.

Cette jurisprudence revient sur une position adoptéede longue date par la Cour selon laquelle des dispo-sitions législatives qui s’appliquent à un groupe troplarge de personnes et qui confèrent à l’autorité unecompétence discrétionnaire emportant une ingé-rence dans le droit à la vie privée, n’octroient pas desgaranties suffisantes et, partant, ne satisfont pas autest de nécessité (159).

Dans de nombreux cas, la Cour ne se satisfait cepen-dant pas de précisions dans la loi sur le champ d’ap-plication de la mesure afin d’aboutir à la conclusionqu’il y a suffisamment de garanties contre d’éven-tuels abus.

Dans les cas où la législation interne ne prévoit pasd’autorisation judiciaire préalable, la Cour exigesouvent qu’un contrôle a posteriori soit possible tanten ce qui concerne la légalité que la justification dela visite domiciliaire (160).

Dans l’affaire Camenzind c. Suisse du 16 décembre1997, il s’agissait également d’examiner une perqui-sition (dans le cadre d’une enquête pénale) quin’avait pas été précédée d’une autorisation judi-ciaire. Ici aussi, la Cour rappelle qu’en ce cas des ga-ranties procédurales suffisantes doivent existercontre l’abus (161), ce qui était bien le cas en l’espèce.

Lorsqu’on relève les éléments qui emportent laconviction de la Cour qu’existent bien des garantiesprocédurales suffisantes, il apparaît qu’il ne s’agit passimplement d’une délimitation légale du champd’application de la mesure, mais également de l’en-cadrement procédural de la mesure qui assure, parexemple, un contrôle judiciaire a posteriori (parexemple en imposant la rédaction de rapports pen-dant le contrôle) ou qui limite les risques d’abus parles autorités publiques (en exigeant, par exemple, laprésence de l’intéressé).

La loi suisse ne prévoyait pas d’autorisation judi-ciaire préalable pour la perquisition concernée, maisbien :

– que la perquisition ne pouvait intervenirqu’après autorisation d’un magistrat du ministèrepublic spécialement mandaté à cette fin ;

– que la perquisition ne pouvait être effectuée quepar des fonctionnaires spécialement formés à cettefin et qui doivent se déporter dans les cas où leurimpartialité pourrait être mise à mal ;

– que les perquisitions concernées ne peuventavoir lieu qu’au cas où des indices existent qu’unsuspect se cache dans les lieux ou s’il existe des in-

(156) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 43.(157) Cour eur. D.H., 25 février 1993, Funke c. France ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Crémieux c. France et Cour eur. D.H.,

25 février 1993, Miailhe c. France.(158) Cour eur. D.H., 25 février 1993, Funke c. France, § 57 ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Miailhe c. France, § 38 et Cour

eur. D.H., 25 février 1993, Crémieux c. France, § 40 ; voy. aussi Cour eur. D.H., 16 avril 2002, Sociétés Colas Est c. France,§ 49.

(159) Cour eur. D.H., 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni.(160) Cour eur. D.H., 15 février 2011, Heino c. Finlande, § 45 ; il s’agit ici de la législation finlandaise qui autorise dans certains

cas des perquisitions sans autorisation judiciaire préalable : « The Court notes that the absence of a prior judicial warrantmay be counterbalanced by the availability of an ex post factum judicial review ».

(161) Cour eur. D.H., 16 décembre 1997, Camenzind c. Suisse, § 45.

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dices que des objets nécessaires à l’établissementd’un crime s’y trouvent ;

– que des perquisitions ne peuvent avoir lieu un di-manche, un jour férié ou la nuit ;

– que le fonctionnaire qui effectue la perquisitiondoit décliner son identité et sa qualité dès le débutde la perquisition ;

– que la présence de l’occupant des lieux doit êtrerequise pendant la perquisition ;

– qu’un deuxième fonctionnaire public doit êtreprésent afin d’éviter que la perquisition ne soit dé-tournée de son but ;

– que dès la fin de la perquisition un rapport doitêtre dressé en présence des personnes présentespendant la perquisition, et qu’une copie doit êtreremise à l’intéressé en même tant que l’autorisationde perquisition (délivrée par un fonctionnaire spé-cial du ministère public) ;

– que les intéressés ont toujours le droit de se faireassister ;

– qu’une procédure de recours à l’encontre de cetacte d’investigation est possible devant un tribunal.

Ces garanties procédurales prévues dans la loi ontété considérées comme suffisantes par la Cour, maiss’inscrivent dans le cadre d’une enquête pénale, desorte qu’on est droit de se poser la question de leurtransposition à une visite domiciliaire fiscale. Entout état de cause, ces garanties procédurales sem-blent fournir une indication sur la position de laCour à propos des garanties procédurales contre lesabus qui doivent être prévues par la loi.

Afin d’être complet, il faut encore observer que laCour ne se limite pas à juger les garanties procédu-rales définies dans la loi à l’occasion de l’examen dela condition de nécessité, mais examine égalementtoujours de manière concrète si la mesure satisfait àla condition de nécessité. En ce qui concerne l’af-faire Camenzind, par exemple, la Cour a considéréque la mesure satisfaisait à la condition de nécessité,notamment, parce qu’elle avait été décidée à la lu-mière d’indices concrets que l’objet du délit se trou-vait dans l’habitation perquisitionnée (162).

L’importance de l’arrêt Bernh Larsen repose incon-testablement, entre autres, dans le fait que la Courénumère quelles sont les garanties procéduralesqu’elle estime importantes au cas où un acte d’inves-tigation est posé pendant une visite fiscale réalisée enl’absence d’autorisation judiciaire préalable.

La Cour a décidé que les garanties suivantes étaientimportantes (163) :

– les limitations légales au champ d’application dela mesure. Il s’agit plus précisément du fait que laloi autorisait uniquement à contrôler les archivesdu contribuable et des données (numériques) trou-vées sur place concernant le contribuable (et doncpas des tiers) ; par extension, la Cour considère quecette limitation concerne également la saisie duback-up du serveur (164) ;

– le droit pour le contribuable d’introduire un re-cours, dont le contribuable a d’ailleurs fait usage.Cette procédure de recours était applicable au droitde visite en général et donc, par extension, à la sai-sie du back-up. Il s’agissait concrètement d’une pro-cédure de recours auprès de l’administration cen-trale norvégienne, qui pouvait être suivie d’unappel auprès d’un juge indépendant, dont le contri-buable a également fait usage, en vain ;

– le caractère suspensif de ce recours (dans l’at-tente d’une décision, la copie des données électro-niques avait été scellée dans une enveloppe) ;

– le droit pour le contribuable d’être présent aumoment où l’enveloppe scellée a été ouverte (la loinorvégienne prévoit le droit d’être présent pendantla visite) (165) ;

– l’obligation des enquêteurs de l’administrationfiscale de dresser un rapport de l’examen des docu-ments et le droit du contribuable d’obtenir une co-pie de ce rapport (ceci découle également d’uneobligation générale faite à l’administration de dres-ser un rapport de ses actes d’investigation, en cecompris une visite fiscale) ;

– l’obligation des autorités fiscales de restituerdans les meilleurs délais les données non perti-nentes sur le plan fiscal.

Comme souvent, la Cour examine non seulement lesgaranties fournies par la loi, mais aussi les circons-

(162) Cour eur. D.H., 16 décembre 1997, Camenzind c. Suisse, § 46.(163) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, §§ 164-166, 170, 171.(164) Qui, ainsi que nous l’avons mentionné plus haut était partagé, de sorte que l’administration était, selon la Cour,

contrainte de prendre connaissance de données relatives à d’autres personnes que le contribuable.(165) Le fait qu’en outre les représentants des sociétés concernées n’aient pas pu observer l’écran du fonctionnaire pendant le

contrôle des fichiers ne constitue pas, selon la Cour, un motif de préoccupation dès lors que ceci s’explique par lademande de confidentialité exprimée par les sociétés concernées elles-mêmes et compte tenu du fait que les documentsont été imprimés et montrés au représentant de la société concernée par le document.

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tances factuelles dont des garanties supplémentairespeuvent éventuellement être déduites. Dans l’affaireBernh Larsen, la Cour a considéré qu’étaient égale-ment importants les éléments suivants :

– si les données électroniques ont été copiées sur ledisque dur de l’administration (ce qui s’est révélénécessaire pour pouvoir ouvrir les fichiers), lecontribuable en a été averti et les données copiéessur le disque dur ont été sécurisées pendant la du-rée de la contestation devant les juridictions in-ternes. Après l’examen des fichiers, la copie du ser-veur a été détruite et toutes les traces de ces fichiersont été effacées sur les ordinateurs de l’administra-tion fiscale ;

– le contrôle fiscal à l’occasion duquel cette me-sure a été prise avait été annoncé un an à l’avance.À cet égard, la Cour semble suggérer que le contri-buable a eu l’occasion de s’organiser pendant cetemps et aurait pu s’organiser afin que ses bases dedonnées ne soient pas partagées avec celles d’entre-prises liées qui ne faisaient pas l’objet du contrôle,de même qu’il aurait pu séparer les données privées(par exemple de travailleurs) des données perti-nentes sur le plan fiscal.

Les garanties précitées peuvent également être re-trouvées dans des décisions de la Cour portant surdes perquisitions et saisies (pénales) de données élec-troniques (166). Dans cette jurisprudence, on retrouveles garanties contre les abus suivants : 1) la présencede l’occupant des bâtiments dans lesquels la perqui-sition est effectuée, 2) la rédaction d’un rapport àl’issue de la perquisition dans lequel les objets quisont saisis, sont énumérés, 3) la possibilité d’intro-duire un recours à l’encontre de la saisie de certainsdocuments ou données électroniques, permettant àun juge de juger si les données peuvent être utiliséespour la suite de l’enquête et 4) la mise sous scellés deces données pendant la durée du recours.

En ce qui concerne le contrôle judiciaire de l’utilisa-tion de documents ou de données électroniques sai-sis, la Cour décide in concreto si le tribunal concernéa pu exercer sa mission de manière effective. Dansl’affaire Robathin, la Cour a considéré qu’il y avait,certes, un contrôle judiciaire de l’utilisation de docu-ments ou données électroniques saisis (dans le cadrede l’enquête pénale), mais que le tribunal concerné

n’a fourni que des motifs très généraux à l’appui desa décision autorisant l’examen de tous les docu-ments et données électroniques saisis. En raison dela manière dont les juridictions internes ont exercéleur contrôle sur la saisie, la Cour a considéré quel’examen des données électroniques saisies ne satis-faisait pas à l’exigence de nécessité (167).

d) Conclusions en ce qui concerne les visites fiscales belges sans autorisation judiciaire

En ce qui concerne les visites fiscales belges qui nesont pas soumises à une autorisation judiciaire préa-lable (il s’agit concrètement des visites dans des lo-caux autres que les locaux qui peuvent être considé-rés comme des habitations privées), il faut constaterque la législation prévoit très peu de garanties contrel’abus, alors que le champ d’application se révèle àcertains égards très large et confère à l’administra-tion fiscale une compétence discrétionnaire trèsétendue (voy. supra à propos de la prévisibilité), surle plan, entre autres, de l’opportunité des moyensd’investigation, leur durée, leur fréquence…

Si nous prenons la visite en matière d’impôts sur lesrevenus comme exemple, il apparaît que les seulesgaranties contre l’abus qui figurent dans la loi mêmesont :

– que la visite ne semble pouvoir concerner que lasituation fiscale de la personne visitée dès lors quela mesure figure dans les dispositions relatives auxobligations du contribuable et pas dans celles rela-tives aux obligations des tiers (168). Cette thèse n’acependant pas encore été confirmée dans l’ordrejuridique belge par la Cour de cassation ;

– que la visite d’un local professionnel n’est pos-sible (en ce qui concerne les impôts sur les revenus)que pendant les heures où une activité y est exer-cée ;

– que la visite doit répondre à une finalité bien dé-limitée et n’est donc possible qu’aux fins mention-nées dans la loi, en l’espèce le contrôle des activités,l’examen des livres et le contrôle de la fiabilité desdonnées informatiques ;

– que la visite doit être réalisée par des fonction-naires de l’administration des contributions di-rectes chargéés d’effectuer un contrôle ou une en-quête se rapportant à l’application de l’impôt sur

(166) Cour eur. D.H., 5 juillet 2012, Robathin c. Autriche, § 48, avec renvoi à Cour eur. D.H., Wieser et Bicos Beteiligungen GmbHc. Autriche, § 60.

(167) Cour eur. D.H., 5 juillet 2012, Robathin c. Autriche, § 51.(168) Une indication en faveur de cette thèse peut être retrouvée dans le jugement Optima du 11 juin 2013 (Civ. Gand, 11 juin

2013, T.F.R., 2014, 453-454, p. 88) dans lequel le contrôle chez Optima a été considéré comme un cas de détournementde pouvoirs, dans la mesure où il visait clairement à inciter les clients (des tiers donc) d’Optima à introduire une demandede régularisation de revenus dissimulés.

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les revenus et que ceux-ci doivent – à la demandedu contribuable – présenter leur commission (169).

La législation fiscale belge n’exige pas qu’existentdes indices d’infraction à la loi fiscale, ni qu’il soitdemandé à l’occupant du bâtiment de rester présentpendant la visite domiciliaire, ni qu’un rapport soitimmédiatement rédigé à l’issue de la visite en pré-sence des personnes qui ont assisté à la visite, niqu’une procédure de recours soit possible devant letribunal à l’encontre de la mesure d’investigation…

Ces garanties ont, certes, été exigées par la Courdans le cadre de perquisitions pénales sans autorisa-tion judiciaire. Des garanties comme la présence del’intéressé, la rédaction d’un rapport (qui doit per-mettre un contrôle a posteriori), où le fait de prévoirune procédure de recours devant un tribunal à pro-pos des mesures d’investigation mêmes nous sembleêtre des garanties qui ne trouvent pas leur justifica-tion uniquement dans la nature pénale d’une perqui-sition. On les retrouve, en outre, dans les garantiesqui ont été considérées comme suffisantes dans lecadre de l’examen de la visite qui a fait l’objet de l’ar-rêt Bernh Larsen.

L’exigence d’indices d’infractions semble effective-ment renvoyer davantage à la sphère pénale. Là oùexiste une obligation de déclaration en matière fis-cale, l’administration doit avoir le droit de contrôlerces informations, en dehors de tout indice d’infrac-tion. La Cour rapproche cette obligation déclarativeen matière fiscale au fait qu’une autorisation judi-ciaire préalable n’est pas nécessaire (170).

Aucune des garanties précitées n’est prévue dans laloi belge en matière de visite domiciliaire fiscale, desorte qu’il est permis de douter que celle-ci offre desgaranties suffisantes contre l’abus comme préconisépar la Cour.

Spécifiquement, en ce qui concerne la procédure derecours à l’encontre de la mesure d’investigationmême, il faut, selon nous, souligner, que la possibi-lité en droit belge d’introduire – à condition de dis-poser d’un intérêt né et actuel – un litige préalable-ment à l’établissement de l’impôt devant le tribunalà propos d’un acte d’investigation est une garantieinsuffisante contre l’abus, étant donné que cette pro-

cédure n’a pas d’effet suspensif et ne permet pas demettre fin à l’ingérence dans le droit au respect de lavie privée.

d) Conclusions en ce qui concerne les visites fiscales belges moyennant une autorisation judiciaire

Des visites dans des habitations privées sont sou-mises aux mêmes garanties procédurales (limitées)que celles qui sont prévues pour des visites dans leslocaux non privés (voy. supra), à cette différence prèsque le contrôle n’est, en tout état de cause, possiblequ’entre 5 heures du matin et 21 heures et qu’uneautorisation du juge de police est exigée.

La question se pose de savoir si ces garanties procé-durales supplémentaires suffisent pour satisfaire àl’exigence de disposer de garanties suffisantes contrel’abus, dès lors que nous avons constaté que les ga-ranties procédurales applicables aux visites sans au-torisation judiciaire sont très probablement insuffi-santes pour passer avec succès le contrôle de la Cour.

Premièrement, il semble que la Cour n’exige pasnon plus pour des visites dans des habitations qu’il yait une autorisation judiciaire préalable, dès lorsqu’existent d’autres garanties procédurales suffi-santes pour prévenir les abus.

Dans les affaires Funke et Crémieux c. France (171), lavisite domiciliaire douanière a été effectuée dansl’habitation de MM. Funke et Crémieux, sans avoirété autorisée préalablement par une décision judi-ciaire. Dans les deux affaires, la Cour n’y a pas vu deproblème, dans la mesure où il existait suffisammentde garanties dans la loi, ce qui limitait la compétencediscrétionnaire de l’administration dans le cadre desvisites.

Cela ne signifie pas, selon nous, que lorsqu’une au-torisation judiciaire est prévue dans des cas où laCour ne l’exige pas, il est, par définition, satisfait à lacondition de nécessité.

La Cour va, en effet, selon nous, au moins exigerqu’une autorisation judiciaire repose sur une base,même si celle-ci est ténue. En matière de perquisi-tions pénales, la Cour exige que l’autorisation judi-ciaire repose sur les présomptions graves (reasonablesuspicion) et que l’objet du mandat soit raisonnable-

(169) Une présentation spontanée n’est donc pas obligatoire : Cass., 12 septembre 2008, T.F.R., 2009, 301, note J. VANDENBRANDEN et Cass., 15 décembre 2011, www.cass.be ; cette condition ne fait pas l’objet d’un contrôle strict de la part de lajurisprudence belge ; voy. aussi l’arrêt de la Cour de cassation du 17 février 2005 (Cass., 17 février 2005, T.F.R., 2005,550, note A. KIEKENS, Fisc. Koer., 2005/06, pp. 315-318) qui décide que, lorsque les fonctionnaires de l’administration descontributions directes ne sont pas en possession de leur commission, la visite des lieux n’est pas irrégulière si le contri-buable consent formellement à la visite.

(170) Cour eur. D.H., 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS c. Norvège, § 43.(171) Cour eur. D.H., 25 février 1993, Funke c. France ; Cour eur. D.H., 25 février 1993, Crémieux c. France et Cour eur. D.H.,

25 février 1993, Miailhe c. France.

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ment limité (reasonably limited) (172), ce qui signifie,entre autres, que la décision judiciaire se prononcesur la portée du mandat de perquisition, entreautres, dans le temps et quant à son objet (173).

La condition qu’existe « une reasonable suspicion »pour autoriser la visite domiciliaire semble à nou-veau de prime abord davantage relever de la sphèrepénale (où n’existe pas d’obligation de collaborationà la différence du droit fiscal où l’administration doitêtre en mesure de contrôler les informations four-nies par le contribuable, en dehors de présomptionsde fraude). L’exigence que l’autorisation judiciairedoit aussi être reasonably limited, semble toutefois nepas dépendre exclusivement de la sphère pénale, desorte que la question mérite d’être posée de savoir siune autorisation judiciaire en matière fiscale ne doitpas aussi déterminer au moins les limites à la visiteautorisée (par exemple en ce qui concerne son objet,sa durée, les locaux…) afin de satisfaire à l’obligationdes garanties suffisantes contre l’abus.

À l’heure actuelle, le législateur belge n’a pas définidans la loi les limites de l’autorisation donnée par lejuge de police, de sorte qu’il n’est pas clair de savoir siet dans quelle mesure cette autorisation peut consti-tuer une garantie supplémentaire contre l’abus.

La comparaison peut être faite avec le droit pénal so-cial. En effet, avant l’entrée en vigueur du Code dedroit pénal social, l’inspection sociale devait égale-ment demander l’autorisation du juge de policeavant de pénétrer dans des locaux habités (174). Lorsde l’introduction du Code de droit pénal social, cetteautorisation du juge de police a été remplacée parune autorisation du juge d’instruction (175), de mêmequ’un grand nombre de prescriptions procéduralesont été ajoutées, précisément afin de rencontrer lesexigences de la jurisprudence de la Cour (176). L’ar-

ticle 24 du Code de droit pénal social définit les don-nées qui doivent impérativement se trouver dans larequête adressée au juge d’instruction (notammenttous les documents et renseignements desquels ilressort que l’utilisation de ce moyen est nécessaire).La décision du juge d’instruction doit être motivée,ce qui signifie d’après J.-C. Heirman et G. Van DeMosselaer que l’autorisation devrait au moins fairemention 1) de l’identification des espaces habités quifont l’objet de la visite, 2) d’une brève descriptiondes faits qui justifient le recours à la mesure, 3) et desinfractions qui font l’objet du contrôle (177). L’ar-ticle 24, § 3, alinéa 5, du Code de droit pénal socialdispose en outre, qu’en règle, tous les documentsjustificatifs en vue d’obtenir une autorisation de vi-site doivent être joints au dossier répressif ou au dos-sier dans le cadre duquel une amende administrativepeut être infligée (178). Il s’agit de garantir l’effectivitédu contrôle a posteriori de l’autorisation de visite.

La Cour constitutionnelle belge s’est égalementdéjà prononcée à propos des visites domiciliaires enmatière de douane et accises et de leur autorisationpar le tribunal de police (articles 197 et 198 de la loigénérale sur les douanes et accises). Dans un arrêtdu 27 janvier 2011, la Cour a considéré par le tru-chement de l’article 6 de la Convention (179) quecette autorisation, lorsque des interprétations res-trictives lui sont données, ne résiste pas à l’examende la Convention. La Cour constitutionnelleconstate d’abord que les articles 197 et 198, § 3, dela loi générale sur les douanes et accises, coordon-née par l’arrêté royal du 18 juillet 1977, interprétésen ce sens qu’ils excluent tout contrôle juridiction-nel de la légalité de l’autorisation du juge de policed’accéder à des locaux habités, ne respectent pas lesexigences de l’article 6.1 de la Convention euro-péenne des droits de l’homme. Cette disposition

(172) Voy. Cour eur. D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, § 37 ; Cour eur. D.H., 5 juillet 2012, Robathin c. Autriche,§ 44.

(173) H. KRABBE, « Artikel 8 - De eerbiediging van het privéleven », in A. HARTEVELD, B. KEULEN et H. KRABBE, Het EVRMen het Nederlandse strafprocesrecht, Groningen, Wolters-Noordhoff, 1996, 168, avec renvoi à Cour eur. D.H., 30 mars1989, Chappell c. Royaume-Uni.

(174) Loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail.(175) La décision de remplacer le juge de police par le juge d’instruction est motivée dans les travaux préparatoires par plusieurs

considérations, à savoir que le juge d’instruction serait plus habitué à connaître des questions liées à la protection de la vieprivée et du domicile. Il est de garde 24 h/24 h et distingue bien la différence entre une autorisation de visite et la perqui-sition (Doc. parl., Chambre, no 52-1666/001, pp. 116-117).

(176) J.-C. HEIRMAN et G. VAN DE MOSSELAER, De bevoegdheden van de sociaal inspecteurs in het licht van het Sociaal Strafwetboek,Anvers, Kluwer, 2012, p. 114.

(177) J.-C. HEIRMAN et G. VAN DE MOSSELAER, De bevoegdheden van de sociaal inspecteurs in het licht van het Sociaal Strafwetboek,Anvers, Kluwer, 2012, p. 116, avec renvoi à Cass., 11 janvier 2006, J.L.M.B., 2006, 590, note A. JACOBS, « Les mentionsdu mandat de perquisition comme protection des droits de la défense ».

(178) Afin de rencontrer les exigences de la Cour constitutionnelle. C. const., 3 décembre 2008, no 171/2008, R.W., 2008-09,942, Dr. pén. entr., 2009, 59, note C.-E. CLESSE et R.A.B.G., 197, note B. LIETAERT.

(179) Au considérant B.4.2., la Cour constitutionnelle affirme que le droit au respect du domicile a un caractère civil au sens del’article 6.1 de la Convention. Étant donné que l’exercice du droit d’accès à des locaux habités constitue une ingérencedans la jouissance de ce droit, les contestations y relatives doivent être tranchées dans le respect des garanties offertes parcette disposition.

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impose, en effet, entre autres, le droit à un contrôlejuridictionnel effectif, aussi bien en droit qu’en fait,de la régularité de la décision par laquelle l’accès àdes locaux habités est autorisé. Ensuite, la Courconstitutionnelle affirme que le principe de lacontradiction doit être respecté. Ce principe im-plique, en règle, le droit pour les parties en litige deprendre connaissance de toute pièce ou de toute ob-servation déposée devant le juge et de la discuter.En d’autres termes, si les dispositions relatives auxvisites domiciliaires en matière de douane et accisessont interprétées en ce sens que les documents etdéclarations sur lesquels est basée l’autorisation dujuge de police de pénétrer dans les locaux habitéséchappent totalement au principe de la contradic-tion, ces dispositions ne satisfont pas aux exigencesde l’article 6.1 de la Convention et conduisent, se-lon la Cour constitutionnelle, à une ingérence arbi-traire dans le droit à l’inviolabilité du domicile, ga-ranti par l’article 15 de la Constitution et l’article 8de la Convention. Enfin, la Cour constitutionnellea encore considéré que les considérations du juge depolice et les modalités qu’il définit doivent êtrementionnées dans la motivation de l’autorisation. Siune autorisation n’est pas motivée en ce sens, celle-ci ne satisferait pas non plus aux exigences de l’ar-ticle 6 de la Convention.

En conclusion, on retiendra que l’autorisation judi-ciaire du tribunal de police constitue une garantieinsuffisante contre l’abus au sens de l’article 8 de laConvention, même si cette autorisation est exami-née en combinaison avec les garanties (limitées) queconfère le droit de visite en général.

e) Conclusions en ce qui concerne certains actes d’investigation posés au cours d’une visite domiciliaire fiscale : la rétention du back-up

On peut affirmer que la législation belge n’offre pasde garanties suffisantes contre l’abus tant en ce quiconcerne les visites fiscales en général qu’en ce quiconcerne certains actes d’investigation qui sont po-sés pendant une visite fiscale.

Si nous prenons, par exemple, l’acte d’investigationconcerné par l’arrêt Bernh Larsen, à savoir la saisie duback-up d’un serveur, il faut constater que :

– il existe en Belgique des limitations au champd’application de la mesure (à savoir que seules desdonnées pertinentes sur le plan fiscal peuvent êtreemportées), mais pour le surplus ;

– il n’existe pas de droit de recours (à l’exceptiond’un contentieux préalable à l’établissement del’impôt non suspensif) ;

– il n’existe pas d’obligation dans l’attente d’unedécision relative à ce recours de placer la copie desdonnées électroniques dans une enveloppe scellée ;

– il n’existe pas de droit pour le contribuable d’êtreprésent au moment où l’enveloppe est ouverte ;

– il n’existe pas d’obligation pour les agents de l’ad-ministration de dresser un rapport de l’examen desdocuments, ni un droit du contribuable d’obtenirune copie de ce rapport ; la loi introduisant le droitde rétention en matière d’impôts sur les revenus etreformulant le droit de rétention existant en matièrede T.V.A. prévoit uniquement l’obligation de dres-ser un procès-verbal lors de la saisie elle-même. Iln’est pas prévu que l’administration fiscale doiveégalement dresser rapport des opérations d’examenqu’elle a posées concernant les documents/donnéesélectroniques qu’elle a saisis ;

– il n’existe pas d’obligation pour les autorités fis-cales de restituer dans les meilleurs délais les don-nées non pertinentes sur le plan fiscal.

Toutefois, une telle mesure pourrait résister aucontrôle au regard de l’article 8 de la Convention,dans la mesure où l’administration octroirait inconcreto des garanties contre l’abus, sans que celles-cine doivent nécessairement être prévues par la loi.Rien n’empêche, en effet, que l’administration, afind’être en conformité avec la jurisprudence de laCour, confère au litige antérieur à la taxation, defacto, un effet suspensif, en plaçant les données élec-troniques dans une enveloppe scellée dans l’attented’une décision du juge (en espérant que le juge sta-tue avant l’expiration des délais d’imposition et deprescription).

f) Conclusions concernant des mesures d’investigation visant des personnes tenues au secret professionnel

La jurisprudence de la Cour impose également quedes garanties supplémentaires contre l’abus soientprévues en cas de visites domiciliaires fiscales visantdes personnes tenues au secret professionnel.

Peu importe à cet égard que la visite ait lieu dans unlocal professionnel ou dans un local privé apparte-nant à la personne concernée (cfr supra).

La présence d’une autorité disciplinaire indépen-dante qui veille à ce que le matériel visé par le secretprofessionnel ne soit pas consulté ou saisi est une ga-rantie procédurale supplémentaire admise par laCour dans la mesure où cette personne peut exercerson rôle de manière effective (cfr supra).

Dans le C.I.R. 1992, l’article 334 prévoit une procé-dure spécifique. Celle-ci ne vaut, certes, que lorsque

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l’administration fiscale demande à une personne quiest tenue au secret professionnel de communiquerdes livres ou documents (électroniques), ou de ré-pondre à des questions, tant en ce qui le concernelui-même qu’en ce qui concerne des tiers (détermi-nés ou non) (180). Lorsqu’une personne qui est sou-mise au secret professionnel est visée par un tel acted’investigation et invoque le secret vis-à-vis de l’ad-ministration, cette dernière doit solliciter l’interven-tion de l’autorité disciplinaire territorialement com-pétente, afin que celle-ci juge si, et dans quellemesure, la demande d’informations ou de communi-cation de livres et documents est compatible avec lesecret professionnel.

Au sens strict, l’administration fiscale ne doit passuivre cette procédure lorsqu’elle procède à une vi-site domiciliaire. L’article 334 ne renvoie en effetpas à l’article 319 du C.I.R. 1992 (mais bien aux ar-ticles 315 et 315bis C.I.R. 1992 (181) et à l’article 316du C.I.R. 1992).

La question se pose toutefois de savoir si l’adminis-tration fiscale doit suivre cette procédure lorsqu’àl’occasion d’une visite domiciliaire, elle procède à unexamen des livres ou pose des questions ou demandedes renseignements.

J. Bossuyt affirme en tous les cas que l’administra-tion n’est pas obligée à strictement parler d’appelerl’autorité disciplinaire ou, en d’autres termes, qu’ellene serait pas liée par un avis de l’autorité discipli-naire et que le législateur a oublié de prévoir un ren-voi à l’article 334 du C.I.R. 1992 lorsqu’en 2010,l’examen des livres a été ajouté comme finalité sup-plémentaire de la visite (182).

Nous ne sommes pas convaincus par cette affirma-tion. Le législateur a, certes, en 2010, ajouté l’exa-men des livres comme étant une des raisons pour les-quelles la visite peut avoir lieu (à côté du contrôle desactivités et du contrôle de la fiabilité des fichiers in-formatisés). Toutefois, l’ajout de la finalité de la vi-site ne signifie pas automatiquement que lorsquel’administration fiscale effectue un examen des livrespendant une visite, cet examen des livres n’intervien-drait pas en exécution de l’article 315 du C.I.R.

1992. Toutes les prescriptions de l’article 315 doi-vent, dès lors, être respectées pendant un tel examendes livres (en ce compris en ce qui concerne le secretprofessionnel) (183). Cette affirmation trouve un cer-tain soutien dans un arrêt de la cour d’appel d’An-vers du 4 décembre 2012 (184). Dans cette décision, lacour d’appel décide que lorsque l’examen des livresest effectué à l’occasion d’une visite fiscale, lesconditions restrictives applicables à cette visite fis-cale (en l’espèce, l’autorisation du juge de police,parce qu’il s’agit pour partie d’un local privé) doi-vent être respectées. Il n’en demeure pas moins quela réglementation n’est pas claire, ce qui signifie quedans un premier temps, la Cour de cassation devra sepencher sur la question. Si la Cour de cassation es-time qu’il ne doit pas être fait appel à l’autorité dis-ciplinaire à l’occasion de l’examen des livres (oud’une demande de renseignements) pendant une vi-site fiscale, alors l’acte d’investigation fiscaleconcerné à l’occasion duquel des documents sontconsultés ou des questions posées à une personne te-nue au secret professionnel, sans qu’à cette occasionne soit respectée la garantie d’un contrôle du respectdu secret professionnel par une autorité ordinale in-dépendante, ne satisfera pas au test de l’article 8 dela Convention, à moins que l’administration fiscalen’ait suivi sur une base volontaire la procédure del’article 334 du C.I.R. 1992.

Si la Cour de cassation devait, au contraire, estimerque la procédure de l’article 334 du C.I.R. 1992 doitbien être suivie à l’occasion de l’examen des livres oulorsqu’une demande de renseignements est formu-lée pendant une visite fiscale, il n’y aura, selon nous,aucun problème au regard de l’exigence d’une ga-rantie procédurale supplémentaire contre l’abuscomme prévu dans la jurisprudence de la Cour rela-tive à l’article 8 de la Convention.

La manière dont l’article 334 du C.I.R. 1992 est in-terprété par la jurisprudence conduit, en outre, éga-lement à cette conclusion. La Cour de cassation a, àcet égard, dans un arrêt du 19 octobre 2012 affirméque la décision de l’autorité disciplinaire ne peut êtrecontestée devant le juge fiscal, de sorte que l’autorité

(180) Dans la version actuelle de la loi, il n’est pas prévu que la procédure de l’article 334 du C.I.R. 1992 doit être suivie si desdocuments sont saisi sur la base du nouvel article 315ter du C.I.R. 1992. Cela ne devrait cependant pas poser de difficulté,dès lors que seuls peuvent être emportés des documents qui doivent être communiqués sur la base de l’article 315 duC.I.R. 1992 et que l’article 334 du C.I.R. 1992 s’applique bien à l’occasion de cette communication.

(181) Et l’article 315ter du C.I.R. 1992 dans le projet de nouvel article 334 du C.I.R. 1992.(182) J. BOSSUYT, « Hoog bezoek : de fiscale visitatie doorgelicht », A.F.T., 2013, nos 8-9, p. 17.(183) Pour la même raison, lorsqu’à l’occasion d’une visite fiscale des documents sont emportés en exécution du nouvel

article 315ter du C.I.R. 1992 toutes les obligations découlant de l’article 315ter doivent être respectées (en ce compris larédaction d’un procès-verbal) ; une autre interprétation rendrait l’ajout de l’article 315ter du C.I.R. 1992 totalement inu-tile, puisque le droit de rétention trouvera essentiellement place à l’occasion d’une visite fiscale.

(184) Anvers, 4 décembre 2012, Fisc. Koer., 2013/08, pp. 440-447, T.F.R., 2014, 453-454, p. 96.

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disciplinaire dispose, en d’autres termes, du derniermot (185) (186) (187).

Indépendamment de la question de savoir si l’exa-men des livres et la demande de renseignementslorsqu’ils interviennent pendant une visite fiscalesont ou non soumis à l’article 334 du C.I.R. 1992, ilfaut constater que l’article 334 du C.I.R. 1992 nerenvoie, en tout état de cause, pas à l’article 319 duC.I.R. 1992 et que, dès lors, l’administration fiscalen’est pas tenue de faire appel à l’autorité disciplinaireen cas de visite chez une personne qui est tenue ausecret professionnel (et à l’occasion de laquelle, parhypothèse, aucune demande de renseignements etaucun examen des livres n’a lieu pour lesquels l’inté-ressé invoquerait son secret professionnel).

Ceci ne nous apparaît pourtant pas, en l’état actuelde la jurisprudence de la Cour, constituer un pro-blème. Dans la jurisprudence de la Cour, l’exigenced’une garantie spéciale semble, en effet, essentielle-ment viser l’information couverte par le secret pro-fessionnel, dans le sens de documents ou de fichiersélectroniques. La visite effectuée chez une personnequi est tenue au secret professionnel (aussi bien à sondomicile que dans ses locaux professionnels) neconduit, en effet, pas toujours à ce que l’administra-tion fiscale puisse prendre connaissance d’informa-tions couvertes par le secret professionnel. Cela neserait le cas que si l’administration pouvait, parexemple, voir pendant une visite fiscale qui sont lesclients de cet avocat chez qui la visite a lieu, ou sil’administration pouvait intercepter une communi-cation entre le client et son avocat. Ce constat com-biné au fait qu’en droit belge il ne semble pas y avoirde base légale pour un droit de recherche actif,conduit à ce que la personne qui est tenue au secretprofessionnel puisse éviter lors d’une visite domici-liaire que l’administration fiscale prenne connais-sance d’informations couvertes par le secret profes-sionnel. Le contribuable pourrait ainsi refuserl’accès à ses locaux professionnels dès lors que desclients se trouvent dans une salle d’attente ou tout aumoins pourrait refuser l’accès à l’espace de consulta-tion où un entretien est en cours avec des clients.

On ne retrouve pas dans la version actuelle du Codede la T.V.A. de disposition similaire. Dès lors que leCode de la T.V.A. ne prévoit pas d’intervention de

l’autorité disciplinaire en cas de contrôle T.V.A., desactes d’investigation de l’administration de la T.V.A.effectués à l’occasion du contrôle d’une personne te-nue au secret professionnel pourraient être déclaréscontraires à l’article 8 de la Convention. Une condam-nation par la Cour pourrait cependant être évitée, dansla mesure où l’administration fiscale requiert bien l’in-tervention de l’autorité disciplinaire et permet à cettedernière de jouer son rôle comme l’attend la Cour.

VII. ConclusionsLa manière extrême avec laquelle l’administrationfiscale a exercé ces dernières années sa compétencede procéder à des visites fiscales conduit spontané-ment à se poser la question de la compatibilité de cesmesures avec le droit au respect de la vie privée.

Pourtant, il faut se poser, en premier lieu, la questionde la présence d’une base légale pour certains actesd’investigation qui sont posés dans le cadre d’une vi-site domiciliaire fiscale. C’est ainsi, par exemple,qu’un droit de recherche actif au profit de l’adminis-tration fiscale ne semble pas disposer de base légaleen Belgique. La Cour de cassation devra se pronon-cer sur cette question. Dans la mesure où une visitefiscale est effectuée et qu’à cette occasion l’adminis-tration s’attribue un droit de recherche actif, il est –à défaut de base légale – par définition question d’uneviolation de l’article 8 de la Convention.

Même si la Cour de cassation devait juger que ledroit de recherche actif a bien une base légale enBelgique, nous ne pensons pas que ce droit de re-cherche actif survivrait à un contrôle au regard del’article 8 de la Convention, à défaut de prévisibilitéd’un tel droit de « perquisition ». Dans la mesure oùle droit de recherche actif reposerait implicitementsur les dispositions légales, un justiciable ne pourraità défaut de jurisprudence claire et uniforme, savoir àquoi il doit s’attendre.

Un problème similaire de prévisibilité se pose à pro-pos du droit de visite même. La manière dont ledroit de visite pourra être appliqué par l’administra-tion n’est pas définie avec suffisamment de préci-sions par la loi ; l’administration fiscale reçoit souscertains aspects une compétence discrétionnaireétendue (quels lieux, quelle fréquence, durée…).

(185) Cass., 19 octobre 2012, T.F.R., 2013, 139.(186) L’autorité disciplinaire devra effectivement pouvoir jouer son rôle in concreto afin d’éviter que l’information couverte par

le secret professionnel ne parvienne à la connaissance de l’administration fiscale.(187) Dans un avant-projet de loi portant des dispositions fiscales du 24 octobre 2013, il était à l’origine prévu la possibilité de

contester la décision de l’autorité disciplinaire soit devant un conseil d’appel, soit devant le tribunal de première instance.Il était également prévu de modifier la procédure de l’article 334 du C.I.R. 1992 sur d’autres aspects. Dans le projet de loidéfinitif, on ne trouve toutefois plus la trace de ces modifications et il est affirmé que cette procédure ferait l’objet d’unprojet de loi distinct (Doc. parl., Chambre, sess. 53, no 3236/003, p. 12).

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La portée du droit au respect de la vie privée et le droit de visite de l’administration fiscale

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Un autre problème réside dans l’absence des garan-ties nécessaires contre l’abus, aussi bien concernantla visite elle-même que certains actes d’investigationqui sont effectués pendant la visite (comme la saisied’une copie de l’ensemble des fichiers électro-niques). Des garanties contre l’abus doivent, selon lajurisprudence de la Cour être prévues pour satisfaireà l’exigence de nécessité. C’est seulement lorsqu’uneingérence dans la vie privée (ce qui sera très souvent

le cas d’une visite) est nécessaire dans une société dé-mocratique afin de rendre possible un contrôle fiscalefficace et qu’elle sert le bien-être économique del’État qu’elle sera autorisée sur la base de l’article 8de la Convention.

Une intervention législative, ou à tout le moins unrecadrage de certaines pratiques administrativessemblent plus qu’indispensables.

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