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LE PRÉDIT, L'INDIT, LE MÉDIT

LE DIT QUAND MÊME

Collection LE CORPS INEDIT dirigée par François AUBRAL et Kamal IBRAHIM

REMERCIEMENTS

Que ceux qui à différents titres ont contribué à faire exister cet ouvrage trouvent ici nos remerciements.

F.A.

Annie Beauvais, Geneviève Bonnefoi, Roger Borderie, Jacqueline Chaillet, Michel Camus, Françoise Cibiel, Gérard Calisti, Patrice Delbourg, Ghassan Fawaz, Rémy Galland, Dominique Gauthier, Paul Geuthner, Andrée Herdner, Pierre-Michel Klein, Bruno Leprince, Catherine Marquet, Cécile Renaut, Antonio Saura, Marc Selva, Bernard Souchière, Lucienne Sossountzov-Serpan, Rodolphe Stadler, Anik Vinay, Katia Vinot-Serpan, Pierre Vallaud.

Copyright Editions Le Sycomore, 1980

IAROSLAV SERPAN

LE PRÉDIT, L'INDIT, LE MÉDIT

LE DIT QUAND MÊME

REPERES BIOGRAPHIQUES DE GENEVIEVE BONNEFOI

PRESENTATION DE François AUBRAL

Ce livre a été publié avec le concours du Centre National des Lettres

LE S Y C O M O R E

102, Boulevard Beaumarchais, 75011 PARIS

PRESENTATION

Iaroslav Serpan : première pierre de la collection : « le Corps Inédit ». Loin dé moi l'audace de présenter ce grand aîné que je n'ai d'ailleurs jamais eu la chance de rencontrer et dont l'apport à la peinture contemporaine est évident pour tout le monde. Chacun connait ses toiles surréalistes, son passage à travers les courants de l'Infor- mel et de l'Abstraction lyrique, sa période rouge, ses oeuvres ensemblistes et mécaniques à tonalité froide. Les nombreuses toiles, fresques, lithographies et sculptures de Serpan n'ont pas cessé de toucher aussi profondément certains qu'elles en ont irrité d'autres par leurs permanen- tes remises en cause, leurs arrêts subits et la fulgurance de leurs démarrages, leur art du renouvellement et de la matérialisation des questions et angoisses qui ont traversé Serpan entre 1945 et 1976. Le public découvrira seulement aujourd'hui à la Galerie Obliques les derniers collages, nouvelle métamorphose imprévisible où triomphe le regard acide et désintégrateur que Serpan a porté sur les signes du monde de la consommation pulvérisé par son art qui a vécu

la fracture de 1968 selon ses rythmes propres de sensibilité et violence créatrice.

Mais venons au propos de ce livre : l'écriture de Serpan, beaucoup plus inconnue. Sa recherche littéraire prend les risques de l'exigence, elle a sa force spécifique et travaille dans l'espace du langage et de la page de façon autonome et unique en son genre. Pour un temps, je vous prie, laissons dormir la vieille séparation entre les arts et reconnaissons qu'un peintre peut aussi être un écrivain sans que son écriture soit là comme une illustration secon- daire de ses toiles qui pa r ailleurs n'en ont pas besoin : décloisonnons les domaines sans en nier les rapports et ouvrons nous aux pratiques multiples. Si les différentes démarches de Serpan se croisent, elles tracent aussi plu- sieurs chemins : à nous d'aimer les explorer tour à tour. Serpan qualifie Jurgen Claus d' « écripeintre » ou de « peintrécrivain » : comme ces mots le définissent mer- veilleusement lui-même.

Il y a mieux : n'en déplaise à ceux pour qui un peintre est nécessairement un irresponsable génialement incapable d'aligner trois idées tant son feu intérieur le consume et nous brûle, Serpan est aussi un intellectuel. Scientifique, biologiste, - le milieu de la peinture lui a rarement par- donné cette compétence au point de le considérer comme un amateur éclectique -, Serpan fut aussi un lecteur critique et particulièrement attentif des littérateurs et philosophes de son temps. Il s'intéressait de surcroît aux problèmes de la musique contemporaine et s'est toujours interrogé, la plume- à la main sur ses arts, peinture ou littérature. Doit- on lui en vouloir , ou plutôt le lire et prendre au sérieux ?

L'écriture de Serpan, rarement publiée, malgré de nombreuses démarches de son auteur, fut classée p a r les

grands éditeurs, dans la catégorie tabou des textes « illisi- bles », « impubliables » parce qu' « invendables », en un mot Serpan aurait commis le crime décrire des textes de recherche qui requièrent un véritable acte de lecture et ne s'identifient pas aux produits standards, bons pour la lecture calmante. Serpan dérange nos us et coutumes de lecture, c'est à dire, notre rapport au langage : on ne lui a pas pardonné. Sans faire de l'obscurité une valeur en soi, qui y songerait, il serait temps de s'interroger sur les clartés vaines et assimilantes et d'apprendre à voir ce qui dans une écriture comme celle de Serpan est beaucoup trop violemment clair pour passer inaperçu et ne pas faire mal. Serpan jette le trouble dans notre ordre mental, il brise le calme lénifiant de nos tranquillités. Si le train-train quoti- dien des petites phrases rangées et reposantes n'est pas le for t de Serpan, doit-on lui faire subir le sort des pionniers de l'e"criture : mépris bienveillant à peine nuancé d'une ignorance gonflée de suffisance ? C'est pour ne pas le pen- ser que f écris qu'à propos de Serpan, il y a tout simplement une injustice à réparer. Les grands éditeurs ne lui ont pas ouvert leurs portes, ils ont refusé ce passage à la limite de l'écriture qui d'ailleurs les remet en cause : ce n'est pas la première fois, l'écriture, en la circonstance, se passera aisément d'eux, avec de surcroît la caution de l'histoire.

Je dois aussi au lecteur une brève histoire de ce livre. Le projet initial était de publier les cinq textes écrits pa r Serpan entre 1968 et 1975 : « Tu f empares du feu et c'est ton nom qui brûle », « Séquestres d'écart et en écart », « Morte la révolution se théorise », « Accès majeure lisibilité d'adulte », « Estuaires ». Entre temps, Mme Sossountzov-Serpan a eu la gentillesse de me permettre de lire l'ensemble des inédits de Serpan qui est considérable :

un roman, de la poésie surréaliste, des textes critiques sur la peinture, des réflexions théoriques et politiques, de l'es- thétique, des présentations d'exposition, des conférences, des lettres et de la polémique. Ces textes mériteraient d'être publiés dans leur intégralité pour que le lecteur, outre les œuvres maîtresses, se sente associé à la vie de recherche intellectuelle quotidienne, aux crises et aux débats inté- rieurs et publics d'un artiste authentique qui cherche à parler à son temps sans lui faire la plus petite des conces- sions. Cette publication de l'oeuvre complète aurait été la meilleure explication des prétendues « difficultés » des textes de Serpan ; par delà le culte des chefs-d' œuvre, on aurait pu vivre au jour le jour la vie de la création. Notre plaisir aurait dépassé la contemplation sacralisante pour s 'approcher de l'action en complicité.

Des raisons purement économiques et commerciales font que cette publication est trop lourde pour cette collec- tion naissante et cela malgré l'avance que nous avons reçue du Centre National des Lettres que je remercie. Mes remer- ciements vont aussi à Mme Sossountzov-Serpan et à Anto- nio Saura, peintre et ami de Serpan qui, avec l'accord bienveillant de la Galerie Stadler, a bien voulu réaliser bénévolement l'édition de tête de cet ouvrage en acceptant de dessiner sur trente photographies de Serpan.

Devant cet état de fait, nous n'avons cependant pas voulu renoncer totalement. C'est pourquoi figurent au début du livre sous le titre : « Poésies et proses », quelques poèmes surréalistes, des textes politiques, des écrits sur la peinture et le texte « Mémoire destituée mémoire sans voisinage » dont l'édition originialefut com- posée de la main de Serpan en Letraset et tirée à 200 exemplaires à compte d'auteur : nous l'avons reproduit

dans sa mise en page originale réduite au format de notre livre. Conscient du caractère fragmentaire et arbitraire de ce choix, il nous a cependant paru qu'il constituait la meilleure des introductions à la lecture des derniers textes de Serpan. Afin que le lecteur ne se perde pas dans l'oeuvre de Serpan, il nous a semblé utile de reproduire les « Repè- res » biographiques écrits par Geneviève Bonnefoi dans son livre « Serpan » (Abbaye de Beaulieu) : qu'elle trouve ici nos remerciements pour cette collaboration aussi né- céssaire que bénévole.

Puisse ce livre rencontrer les lecteurs qu'il mérite, ceux qui, dans les textes, cherchent l'action et les risques de l'imaginaire plutôt que le sommeil.

François AUBRAL

V

I. Signatures de Iaroslav SERPAN, en russe et en français.

POÉSIES ET PROSES

ACIDE

Si le nombre est glacé là-bas, dans la montagne, seule, si la désinvolture se lamente... Il me faut pourtant, sans peine, réinventer ma propre mort dont est vivante ma fibrille.

Mon poitrail de feu renonce à la corolle ; ce riche sang veiné dont la teinte est lointaine, que trouverai-je dans tes offrandes bleutées, qu'irai-je rebâtir au sillon de ta chance ?

Que rien ne presse ton repos. Ton pas s'ordonne même en vain dans la plaine où flanait ta souplesse arche désapprouvée de mon heure identique au second cri lugubre, au seuil de ma tendresse.

Tu attendras mon rire ainsi qu'un gouffre d'eau. Je dois pointer mon sang dont est vêtue ma cible ; trop liquide vertu, peut-être même encore, il me faut scintiller d'un climat d'avant-veille !

Extrait du recueil inédit « Lisière du sang » (1944)

LINÉAMENT

Ce jour, le premier jour de mon irisation, nœud du soir, j 'ai soufflé à la quenouille oblongue, ô masque sans défense. Une simple tige, à mon lent effeuillement, vint ruisseler, à l'ombre entreclose de l'ongle, son paysage, plus fin que cheveu d'enfant.

J 'ai repris ma larme solitaire à l'octave des lèvres sans mesure. Ainsi ai-je glacé ce pleur vivace à l'auréole de l'amphore, ô dernier verger de mon linéament ! C'est pour cela qu'au deuil accompli de l'épave, diras-tu, j 'ai ravagé l'épi d'Epidaure et fécondé le visage de mon esclave. Hélas ! Quel sang pourrais-je lécher pour enrichir ma vieille sépulture, quand, muse de moi-même, au prisme de mon oeil, j 'aurai rejoint les miroirs de leur courbature, oublié de mon sommeil sur un frêle écueil ?

Extrait du recueil inédit « Lisière du sang » (1944)

SCIERIE

Seuls regards carilloneurs dans les beffrois coeur transfusé les chevaux de la ville piétinent l'éclipsé du soleil et les colombes injectent leurs nerfs colorés dans les trottoirs des avenues la mort laissez les scieries de la mer découper les rubans de vinaigre et le moustique bronzer le gazon bleu des rois la mort prostituée mère des staphylins sandale clouée sur le cerveau ô les fleurs qui écrasent les poèmes comestibles

Inédit (1945-46)

FONTAINE

Je songe ce soir à mon aïeule morte quand elle filait assise auprès du feu sa quenouille blonde sa quenouille qu'elle dévidait comme des cheveux d'enfant et le feu qui pétillait dans l'âtre souriait dans ses prunelles vertes pommier en fleurs pendant la saison des cieux décalcifiés je songe ce soir où le crépuscule vendait aux jeunes filles en friche des oreilles d'empereur coagulées dans le jardin où les loups marécageux bâtissaient encore les murailles de la maison qu'habita mon aïeule dans le jardin où les promeneurs s'attachent encore aux touffes d'horizons le silence refuse de décapiter les brebis lacrymogènes le silence allaite les cicatrices inexistantes du soleil afin que mon aïeule disperce les pommiers qui s'effeuillent dans ses paupières closes et mortes et que le coq des fermes qui chante le matin démêle les neiges enchevêtrées dans ma vertu ô ciel bleu par dessus le museau des femmes velues bleu bleu comme les mamelles des salives occidentales comme le sourire picore les graines que lui jettent des jeunes filles inépuisables poussières de l'univers tutoyer les sédiments des caresses féminines

Inédit (1945-46)

MÉDUSE MATINALE

Le ciel est désormais le toit de la justice les rivières sont une écluse où s'achète le sommeil hasard dont le sommeil nourrit le hasard chaque larme s'enchaine aux déserts collectifs puisque l'histoire est un creux de méduse telle qu'une herbe y naîtrait dans la souffrance velue méditation des cendres les fils de l'ennui lèchent leur cruauté en fleur pour recueillir le soir l'univers empaillé de l'homme belle méduse couleur de l'adolescence serait-ce le soleil qui se coucherait sur le dos des solitudes publiques ah qu'il serait beau de joindre les racines du monde au printemps qui cueille les fraises à l'abri des méduses cœur en cascade dont la tendresse est close ce n'est qu'une fleur vertueuse qui se prolonge par delà les horizons du cœur et les brises sont semblables aux hommes fertilisés par la mémoire toute femme est un abreuvoir où se taisent les douleurs toute femme est une méduse enceinte de rosée toute femme est un ventre d'où rampe l'insomnie éternité usuelle la pluie a des lèvres de sable douleur avant la couronne des nuits solitude solitude verser dans le dernier village le cerveau du désespoir cou- leur de l'amitié

la digestion des étoiles m'ouvre la souffrance la géographie s'habille devant la nuit en sagesse escalier angoisse du cheval à épisode le sentier solaire est un chêne obligatoire dont les cailloux sont fragiles comme des cœurs perpétuels le dernier village est franchi sapin cérébral douleur décortiquée oiseau

Inédit (1945-1946)

MÉMOIRE DESTITUÉE MÉMOIRE SANS VOISINAGE 53 TU T'EMPARES DU FEU ET C'EST TON NOM QUI BRÛLE 69 SÉQUESTRES, D'ÉCART EN ÉCART 93

DÉS APPROPRIATIONS 95 MÉRIDIENS 103 ÊTRE, DESTITUTION LIMINAIRE 109

MORTE, LA RÉVOLUTION SE THÉORISE 123 ACCÈS MAJEUR LISIBILITÉ D'ADULTE 137 ESTUAIRES 153 « Repères » biographiques de Geneviève Bonnefoi .. 173 ANNEXE : LA COLLECTION LE CORPS INÉDIT . 183

ILLUSTRATIONS

I. Signatures de Iaroslav SERPAN, en russe et en français 12

II. L'AMOURDUPROCHAIN 1. Texte de SERPAN en 3 pages. Manuscrit p. 1 . . . . 102

III. L'AMOURDUPROCHAIN 2. Manuscrit p.2 . . . . 108 IV. L'AMOURDUPROCHAIN 3. Manuscrit p.3 . . . . 1 2 2 V. ESTUAIRES. Manuscrit p. 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CETTE ÉDITION 80 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS SUR PAPIER INGRES ARCHES

85 GRAMMES DES PAPETERIES ARJOMARI. LES 30 PREMIERS DE CES EXEMPLAIRES

SONT ACCOMPAGNÉS D'UN DESSIN ORIGINAL DU PEINTRE ANTONIO SAURA

SUR UN PORTRAIT PHOTOGRAPHIQUE DE IAROSLAV S ERP AN.

Cet ouvrage a été composé par la Sécilia

51, rue Olivier Métra Paris

et tiré sur les presses de la Société nouvelle des

Imprimeries Delmas Artigues-près-Bordeaux

pour Les Éditions Le Sycomore

PARIS Dépôt légal : 1er trimestre 1980

ISBN : 2-86262-050-5