LE DEVENIR DU LIBÉRALISME · 2019. 11. 24. · 2 1. Introduction La crise sociale et politique...

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LE DEVENIR DU LIBÉRALISME Documents de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series Jean-Luc Gaffard GREDEG WP No. 2019-35 https://ideas.repec.org/s/gre/wpaper.html Les opinions exprimées dans la série des Documents de travail GREDEG sont celles des auteurs et ne reflèlent pas nécessairement celles de l’institution. Les documents n’ont pas été soumis à un rapport formel et sont donc inclus dans cette série pour obtenir des commentaires et encourager la discussion. Les droits sur les documents appartiennent aux auteurs. The views expressed in the GREDEG Working Paper Series are those of the author(s) and do not necessarily reflect those of the institution. The Working Papers have not undergone formal review and approval. Such papers are included in this series to elicit feedback and to encourage debate. Copyright belongs to the author(s).

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LE DEVENIR DU LIBÉRALISME

Documents de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series

Jean-Luc Gaffard

GREDEG WP No. 2019-35https://ideas.repec.org/s/gre/wpaper.html

Les opinions exprimées dans la série des Documents de travail GREDEG sont celles des auteurs et ne reflèlent pas nécessairement celles de l’institution. Les documents n’ont pas été soumis à un rapport formel et sont donc inclus dans cette série pour obtenir des commentaires et encourager la discussion. Les droits sur les documents appartiennent aux auteurs.

The views expressed in the GREDEG Working Paper Series are those of the author(s) and do not necessarily reflect those of the institution. The Working Papers have not undergone formal review and approval. Such papers are included in this series to elicit feedback and to encourage debate. Copyright belongs to the author(s).

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Ledevenirdulibéralisme1Jean-LucGaffard

OFCESciencesPo,UniversitéCôted’Azur,InstitutUniversitairedeFrance

GREDEGWorkingPaperNo.2019-35

Résumé. Le néo-libéralisme actuel fait figure de résurgence de l’utopie du marchéautorégulé.Seseffetsdestructeurs,aujourd’huicommehier,sontàl’origined’unretourdupolitique oscillant entre nationalisme et autoritarisme, d’un côté, libéralisme social del’autre. Cedéfi, identifié parPolanyi en son temps, nous rappelle qu’aucune sociétén’estpossible sanspouvoirni obligation. Suivant lesnéo-libéraux, pourqui le but souhaitablereste une économie de marché mondialisée censée être débarrassée de tout pouvoir, ilappartientaupouvoirpolitiquedemettreenœuvrelesréformesnécessairespourquelesindividuss’adaptentaussivitequepossibleàcettedonne.Cetterecherchedeflexibilitéetd’adaptabilité tranche avec un libéralisme social qui fait dépendre la viabilité deschangements inhérents au capitalisme de l’existence de mécanismes de stabilisationrendantlesadaptationslentesetprogressives:unlibéralismequin’exclutnilepouvoir,nilacontrainte.

Abstract. Current neo-liberalism is a resurgence of the utopia of the self-regulatingmarket.Itsdestructiveeffects,todayasyesterday,areattheoriginofareturntopoliticsoscillatingbetweennationalismandauthoritarianism,on theonehand, social liberalismontheother.Thischallenge, identifiedbyPolanyi inhistime,recallsusthatnosociety ispossible in which power and compulsion are absent. According to the neo-liberals, forwhomthedesirablegoalremainsaglobalizedmarketeconomysupposedtoberidofanypower,itisuptothepoliticalpowertoimplementthereformsnecessaryforindividualstoadapt as quickly as possible to this deal. This search for flexibility and adaptabilitycontrastswithasocialliberalismaccordingtowhichtheviabilityofthechangesinherentin capitalism depends on the existence of stabilizationmechanismsmaking adaptationsslowandprogressive:aliberalismthatexcludesneitherpowernorconstraint.

CodesJEL:A12;B15;B25;P16Motsclés:autoritarisme,communauté,grandetransformation,laissez-faire,libéralismesocial,néo-libéralisme,pouvoir,utopiedumarchéKey words: authoritarianism, community, great transformation; laissez-faire, neo-liberalism,socialliberalism,power,marketutopia.

1Cetexteaétéécritaudépartenvued’unecommunicationpourL’ÉconomieauxRendez-vousdel’Histoiredans la sessionorganiséeparPierreDockès«Lacrisede2008etsesprolongementsinaugurent-ilsune‘Grandetransformation’oularevanchedeKarlPolanyi?»Blois10octobre2019.IltirepartidesouvragesdeAmendolaetGaffard(2012,2018,2019),Amendola,GaffardetSaraceno(2020).JeremerciePierreDockèspoursescommentairesetréflexionsquiontpermisd’enaméliorerlespremièresversionssansqu’ilaitderesponsabilitédans lamanièredont je lesai interprétés. JeremercieégalementMarionGasparddontlacommunicationàlamêmesessionm’apermisdemieuxappréhenderl’œuvredePolanyi.

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1.IntroductionLacrisesocialeetpolitiquenéedelacrisefinancièrede2008-9faitresurgirlaquestiondudevenirdu libéralisme.Autoritarismeetpopulisme reviennent sur ledevantd’unescène dont l’on pensait qu’ils en avaient disparu. Alors que l’économie de marchésemblaitl’avoiremportépartout,lesdésordresrencontréssuscitentdesrevendicationsdeprotectionen contraventionavec les règles établies sous l’influenced’unedoctrinequi avait fait et continue de faire consensus dans les cercles de pouvoir, politiquescommeacadémiques.La situationcréée faitpenserà cellequi s’étaitdéveloppéedanslesannées1920et1930quand l’idéologie libéralea reculépour laisser laplaceàdesidéesdirigistessinonmêmeàdespouvoirsdictatoriauxredonnantàl’Étatunepositionde force face aumarché. À cette époque, il était question de ‘Grande Transformation’(Polanyi1944),de‘Findulaissez-faire’(Keynes1926),de‘RoutedelaServitude’(Hayek1944),denouveaulibéralisme(Dewey1935,Lippmann1937).Lelibéralismel’acertesemporté dans les années 1950 et 1960, mais il s’est agi d’un libéralismeinterventionniste(ousocial),avantqueneréinstalleuneidéologienéo-libéraledont lavictoirepourraitn’êtrequ’éphémèresansquel’onsachebiendequoilefuturserafait.

Polanyi(1944)dénoncelecaractèredestructeurdel’utopied’unmarchéautoréguléetannonce un retour inévitable du politique oscillant entre un nationalisme autoritaireantilibéraletunlibéralismesocial.Hayek(1944)réduitl’uneetl’autrealternativeàcequ’ildénommelaroutedelaservitudepourassumerunedéfensesansconcessiond’uneéconomie de marché qu’il entend débarrasser de toute intervention publiqueintempestive. Keynes (1926, 1936, 1939) dénonce le laissez-faire et annonce ques’ouvre une ère de socialisation que nous qualifierons plutôt de libéralisme social.Dewey (1935)etLippmann(1937)prennentactede ladisqualificationdu libéralismeclassique, partagent le point de vue selon lequel le marché n’est pas régi par desmécanismesnaturels,maisilss’opposentsurcequedevraitêtrelenouveaulibéralismebasé, pour l’un sur l’intelligence des individus socialement organisés en différentescommunautés, pour l’autre sur le primat reconnu de la connaissance détenueexclusivementparlesexpertsdela‘bonnesociété’.Le chemin suivi par les économies de marché semble avoir donné raison à Keynespendant quelque trente décennies, puis à Hayek au cours des trente décenniessuivantes,avantqueneserepose,aucoursdeladernièredécennie,ledilemmeénoncéparPolanyietqueresurgissentlesquestionsposéesparcedernierconcernantlestatutdelamonnaie,dutravail,delanature,maisaussidelanation.Ledébatopposant,dansles années 1930, Dewey à Lippmann sur le nouveau libéralisme retrouve une réelleactualitédèslorsqu’ilfautrépondreàlatensionquiexisteentrelebesoindestabilitéetla nécessité du changement, dès lors qu’un gouvernement par les experts estmis enbalance avec la médiation et l’intelligence collective des différentes communautésconstitutivesdelasociétélibérale(Collier2018,Stiegler2019).La thèse que nous entendons défendre est que le libéralisme ne pourra survivre quesoussaformedelibéralismesocial2dontletraitdistinctifestcertesdefaireplaceàune

2Il y a sans doute une ambiguïté à utiliser ce vocable qui a pu signifier que l’on accepte les règles dumarchéenveillantsimplementàenamortirlecoûtsocial.Lequalificatifdesociala,toutefois,uneportéeplus largedès lorsque l’onromptavec l’atomisme individualiste,que l’onreconnaît laprimautédu faitsocial.Sansdouteaurait-onpuaussiutiliserlevocabledesocialismelibéralpourdésigneruneformedesocialisation(nonautoritaire)del’économie.Nonpourassocieràunsocialismescientifiqueunedéfensedelalibertéindividuelleàlafaçondontl’envisageWalras(Dockès1996pp.71-74),maispoursoulignerladépendancedeschoixindividuelsàl’égarddufaitsocialetvoirdanslesocialismel’accomplissementdu

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régulationmacroéconomique,mais aussi, et plus généralement, de faire prévaloir desformes de coopération ou d’interaction sociale conciliant efficacité et équitéconformément à la pensée de Rawls (1971), stabilité ou inertie et évolutionconformémentàlapenséedeDewey(1935).La dénonciation de la dangerosité de l’utopie du marché autorégulé n’emporte pasannonce d’une chute inéluctable de l’économie de marché (du capitalisme), maisreconnaissance de la nécessité de sa régulation. Renouer ainsi avec l’argumentationdéveloppéeparKeynesconcernantlasocialisationdel’économieviseà luidonneruneplus largeampleuren s’intéressant au fonctionnement certesde l’État,mais aussidesdifférentescommunautésauxquellesl’individuappartient,àcommencerparl’entrepriseenvisagée,noncommelapropriétédesesseulsactionnaires,maiscommeunecoalitionpolitique entre ses différentes parties prenantes (March 1962). Comme le soulignaitPolanyi (1944), l’existence de ces médiations fait que la liberté individuelle estinévitablement limitée par le pouvoir, un pouvoir que les néo-libéraux entendentignorer en théorie alors qu’ils n’écartent pas de devoir y recourir pour imposer leurvision téléologique du monde, un pouvoir qui peut relever de l’interventionnismelibéral, mais qui pourrait tout autant basculer vers l’autoritarisme dans le contexteactuel de mondialisation où se lèvent des vents contraires annonciateurs demorcellementdescommunautésetdeconflitsentreelles.

Danscequisuit,nousrappellerons,dansunpremiertemps,lecaractèredestructeurdel’utopie d’unmarché autorégulé, tel qu’il s’est manifesté au tournant des XIXe et XXesiècle,ainsiquelestermesdudébatengagé,danslesannées1930,surcequepourraitêtrel’alternativeaumythedumarchéparfait(sections2et3).Dansundeuxièmetemps,nousferonsétatdescaractéristiquesdulibéralismesocialtelqu’ils’estimposéaprèslaDeuxièmeGuerremondialeavantdecéderdevantlarésurgencedel’utopiedumarchéautorégulé sous l’appellationdenéo-libéralisme (section4).Dansun troisième temps,nousreviendronssurcequinoussembleêtrelesracinesdecelibéralismesocialavantd’en signaler l’actualité (sections 5 et 6) et de traiter des réponses à donner auxquestionsrelativesaustatutdelamonnaie,dutravail,del’Étatetdelanation(sections7,8,9et10).Nousconcluronssurledéfipolitiquedumoment(section11)

2.Lelaissez-faire:uneutopiedemarchédestructrice.Polanyi (1944) n’est ni le premier, ni le seul à expliquer qu’une économie demarchéconçue comme système autorégulé est éloignée de la réalité sociale. Des penseurslibérauxfont,àlamêmeépoque,lemêmediagnostic.AinsiDewey(1935)ouLippmann(1937)quil’unetl’autrevontmettreencauselescroyancesetlesméthodesdupremierlibéralisme. Mais Polanyi, en anthropologue et en historien, élargit le débat et nousrappellequel’économiea,detouttemps,étésubordonnéeàl’environnementpolitiqueetsocial.Ilnousavertitqueleprojet,unmomentetenpartieexécuté,desubordonnerlasociététoutentièreàlalogiquedumarchéestaussidangereuxqu’utopique.D’unpoint de vue théorique, cette utopie semble correspondre à la société idéale enforme d’équilibre général desmarchés théorisée parWalras (1874): unmonde sansmonnaie autre que neutre, sans gouvernement, atemporel, apolitique, dénué de touteformederelationscontractuellesàmoyenoulongterme,sanspouvoirsnicontraintes.Walrasentend,nonpasconcevoirunethéoriedufonctionnementdusystèmecapitaliste

libéralisme (Canto-Sperber 2003). De fait, la réflexion présente ne porte pas tant sur le devenir ducapitalisme que sur celui du libéralisme, l’alternative étant, vraisemblablement, entre un capitalismeautoritaireetuncapitalismelibéralausensaméricaindecedernierterme.

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réel,maisanalyserunsystème idéal imaginaire, indépendantdu tempsetdu lieu,quel’onnetrouvenullepartdanslemonderéel(Jaffé1980p.530).Nonsansenvisagerlapossibilité de sa réalisation qui passe par desmesures telles que la nationalisation etl’affermagedesterresouencorelacréationdecoopératives,quirelèventd’uneformedesocialisme libéral (Dockès 1996). La position de Polanyi est bien différente. Niantl’existence d’un ordre naturel, son propos est de décrire en historien cette premièregrande transformation que constitue l’avènement d’une société qui procède del’unificationetdel’extensiond’unmarchéquiladominedanstoutessesdimensions.Ilentend analyser les conséquences de lamise enœuvre concrète de ce qu’il considèrecomme une utopie à travers la marchandisation effective du travail, de la nature (laterre)etdelamonnaieenlesquelsilvoitlaréponseauxexigencesnonmoinsconcrètesde laproductioncapitaliste.L’utopiedontPolanyidénonce ladangerositéestdevenueune réalité concrètequandWalras cherche lesmoyensdeparvenir à la société idéalenonsanss’inquiéterdeseffetsdestructeursdemesuresconcrètesquisembleenrelevertellequeletraitédelibre-échangefranco-britanniqueCobden-Chevalier.Lamarchandisationdu travail, telquePolanyi ladécrit, s’entendcommeunesituationdans laquelle il existe une totalemobilité du travail assortie d’une complète élasticitédes salaires. De fait, le marché dont il est question est dénué de toute relationcontractuelle autre qu’un contrat précaire de louage, impliquant, en principe, que laflexibilité des salaires garantisse le plein emploi. La marchandisation de la monnaieprocède essentiellement du jeu de l’étalon-or placé au cœur de l’autorégulationimpliquant un prix constant de l’or, une circulationmonétaire fondée sur la variationdesréservesd’oretlalibertédestransactionsinternationales.Larègleestqu’unesortied’or,entraîneunehaussedutauxd’intérêt,labaissedesprixetdessalaires,ledéclindesimportations et la stimulation des exportations (et vice-versa). Il existe ainsi un seulmarché mondial sans besoin d’un gouvernement mondial ni d’autorité financièreglobale. «La tâche aveugle de l’espritmarchand était insensible au phénomène de lanation et, aussi bien, à celui de la monnaie. Le libre-échangisme était nominaliste àl’égarddel’uncommedel’autre»(Polanyip.266).L’économiedu laissez-fairequia sembléainsi triompheraumilieuduXIXe siècle s’estheurtéeauxdésordresquelamiseenœuvredesesprincipesaprovoqués.Ainsi, l’étalon-or a-t-il produit des résultats opposés à ceux attendus. Il a imposé descoûts insupportables en termes de revenus et d’emploi. Il a appelé l’intervention del’Étatquia introduitdes tarifsprotectionnisteseteurecoursà lacolonisationpourseconstituer un vaste marché protégé. Il s’en est suivi une consolidation des nations àl’abrideleursfrontières,soucieusesdeseconstituerdesempires.Lesécartsdeperformanceetlesdifférencesdestatutentrelespayssesontapprofondis.Notamment, «il était oiseux d’attendre qu’à tout coup le pays dont la monnaies’effondreraitaugmentâtautomatiquementsesexportationsetrétablîtainsisabalancedes paiements, ou que son besoin de capitaux étrangers l’obligeât à indemniserl’étrangeretàreprendre leservicedesadette.» (Polanyi1944p.272).Fauted’untelmécanisme,larépudiationdeladettepouvaitsemblerunepossibilitémaisellemenaçaitl’ordre dumarchémondial de sorte que «le gouvernement en faillite, frauduleuse ounon,étaitplacédevantl’alternatived’êtrebombardéouderéglersesdettes»(ibid.).L’États’esttrouvéainsiêtreaucentredesrégulationsexigéess’agissantdutravail,delaterreetdelamonnaiequi,selonPolanyi,sontdesmarchandisesfictivesausensoùellesnesontpas(ounedevraientpasêtre)produitespourêtrevenduessurunmarché.Des

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classesetdesgroupessociaux,heurtésparlesdésordresnésdelamarchandisationdelamonnaie, de la terre et du travail, ont demandé à être protégés (Polanyi p. 218). Leprotectionnisme n’a pas été le résultat d’une conspiration des intérêts,mais bien desperturbations qui ont affecté l’homme, la nature et l’organisation de la production,autrementdit d’une rupturedes relations sociales.Dans lemondeétudiéparPolanyi,celuidelafinduXIXesiècle,unlienétroitestétablientrelapremièrelégislationsocialepour protéger les travailleurs, les tarifs douaniers pour protéger les agriculteurs, lesmesures monétaires pour protéger la nation, conçus pour faire face aux désordresobservés(Polanyi1944pp.267-8).La ‘GrandeTransformation’dontparlealorsPolanyi(1944),n’estautrequelafind’unlibéralisme économique vu comme une tentative de concrétiser l’utopie du marchéautorégulé, la fin d’une économie de marché que l’on voulait débarrassée de touteinfluence politique ou sociale, d’une économie dont on imaginait qu’elle pouvait être‘désencastrée’dusocialpourlapremièrefoisdansl’histoiredel’humanité.Lesdésordrescréésontsuscitéretourdesforcespolitiquesetsocialessurledevantdela scènedont lebutaété contrarier les forcesdumarché. «En réalité, s’attendreà cequ’une collectivité restât indifférente au fléau du chômage, aux mutations de sesindustries et de sesmétiers avec leur cortège de torturesmorales et psychologiquessimplementparcequ’à longterme, leseffetséconomiquesseraientnégligeables,c’étaitsupposeruneabsurdité»(Polanyi1944p.280).Lacrisegénéraledulibéralismeclassiqueàpartirdesannées1880s’esttraduiteparunretournementtouchantaucomportementsinonàlanaturedesgrandsÉtatseuropéensqui se sont préoccupés de répondre aux difficultés rencontrées en développant desformesnouvellesdecolonisationetd’impérialisme.«L’ouverturemondialesuscitéeparle dynamisme occidental change de signe. Elle était d’abord civile et marchande, elleparaissaitenpassedecréerun‘étatéconomique’planétaire,elleprenduntourmilitaireet politique. Elle relance l’expansion coloniale. Elle se traduit par une course à ladominationentrelesnationseuropéennes.Elleressuscitedesempires»(Gauchet2007p.208).3.Lelibéralismeenquestion:ledébatdesannées1930Ledébatquis’est,alors,engagéposelaquestiondel’alternativeaumarchégénéraliséettout puissant, une question à laquelle vont répondre les défenseurs du libéralismecommeceuxquis’yopposent,lestenantsdulibéralismedesoriginesetceuxquitententde concevoir un nouveau libéralisme, une question qui relève du politique et del’économique,desrelationsentrelesdeux.Avant d’y venir, il n’est pas inutile de se remémorer la façon dont Walras (1898)envisageait lapossiblemarchevers la sociétédemarché idéaleet se faisait le chantred’un socialisme libéral. Walras croît, certes, en l’existence de cet idéal qu’il entendcomme une vérité économique pure et il préconise de réformer la société pour yparvenir (Dockès, 1996, 2006). Mais il prend soin d’alerter sur la confusion entre lasciencesocialeetlapratiquepolitique.«Cetteconfusion,lacroyancedanslapossibilitédeplierimmédiatement,autoritairementles‘faitstêtus’àunevolontéidéaliste,conduitfatalement à la révolution, cette funeste maladie sociale que les peuples contractentfatalement lorsqu’ilsnesontpasguidésversun idéalscientifiquementélaboré,parunréformisme rationnel, mais soucieux de laisser les mentalités s’adapter librement ettenantcomptedesrésistancesdumilieu,endonnant‘letempsautemps’,enacceptantladiversité des solutions» (Dockès 1996 pp. 162-3). Ainsi sont posées, au moins

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implicitement, à la fois laquestiondupouvoir, celledes conditionsde sonexercice etcelledutempsrequispourqu’ils’exerceefficacement.Lelaissez-fairen’estpasdemise,la réforme sociale est l’alternative. «Walras est un réformiste. Son libéralisme récusel’évolutionspontanéedanslamesureoùlesactionscollectives,lesréformes,s’inscriventelles-mêmesdanslamarcheversl’idéal.Unepolitique«rationnelle»,c’est-à-direfondéescientifiquement, permettra cet aboutissement» (Dockès 2006 p. 1778). À sa façontoutesingulière,ilsefaitledéfenseurd’unsocialismelibéral.Onpeutcomprendrequ’àsa suite ait pu se développer un courant de pensée qui, tout en défendant lemarchécomme lieu efficace d’allocation des ressources, reconnaît à l’État de pouvoir sesubstituer au marché quand celui-ci est défaillant, mais pour concevoir les règlespermettantdemimerunétatdeconcurrenceparfaite.3

Cen’est, toutefois,pasen ces termesque ledébat apris formedans les années1930.Polanyi(1944),quirécuseunidéalqu’ilassimileàuneutopie,pense‘l’encastrement’del’économie dans les faits politiques et sociaux comme la réponse incontournable auxeffets destructeurs de l’utopiemise en pratique. Si alternative il y a, c’est entre deuxformesd’interventiondupolitiqueetdusocialdansl’économie:l’autoritarismevoireladictature ou le libéralisme social voire «un socialisme associationiste». Il maintient,cependant,quelesocialismeest«latendanceinhérented’unecivilisationindustrielleàtranscenderlemarchéautorégulateurenlesubordonnantconsciemmentàunesociétédémocratique»(Polanyi1944p.302).Reconnaissant dans la liberté une valeur première, il conteste qu’elle puisse être unevaleur unique, considérant que l’économie ne se guérit pas d’elle même.«Inévitablement,nousarrivonsàlaconclusionquelapossibilitémêmedelalibertéestenquestion.Silaréglementationestleseulmoyenderépandreetderenforcerlalibertédansunesociétécomplexe,etquepourtant faireusagedecemoyenestcontraireà lalibertéensoi,alorsunetellesociéténepeutpasêtrelibre»(Polanyi1944p.330-1).Enfait, le constatdePolanyi est qu’ «aucune sociétén’estpossible, dont lepouvoir et lacontraintesoientabsents,niunmondeoùlaforcen’aitpasdefonction»(Polanyi1944p.271).IlrestequeleconstatfaitparPolanyiestceluid’unhistorienetnond’unéconomiste,leprivantd’uneanalyse approfondiedes fonctionsde lamonnaie etdu statutdu travaildans une économie de marché. Aussi ne dit-il rien des formes que peut prendre cesocialisme associationniste au risque d’interprétations ultérieures conduisant àenvisagerl’abolitiondelafinanceetdusalariat.Pour Hayek (1944), au contraire de Polanyi, non seulement le marché de libreconcurrenceestimmunisécontretouteformedepouvoir,maisiln’yapasd’alternativeau marché autre que la servitude, celle imposée par la planification centralisée et àlaquelleconduitlesocialismeditlibéralincarnédansledirigisme.Hayek dénonce, ainsi, cette autre grande utopie que constituerait le socialisme, uneutopieimposéeparunÉtatquinesecontentepasdeveilleraubonfonctionnementdumarché. La liberté estmenacée par cette utopie au contraire de ce que prédisent lestenantsdeladoctrinesocialiste.LelibéralismequedéfendHayekn’estpourtantpaslelaissez-faire. L’intervention de l’État n’est pas exclue. La concurrence n’est pas jugée

3Cetteapproche,d’inspirationwalrasienne,neprendravéritablementformequ’àpartirdesannées1980en réponseà la foisaukeynésianismeetaunéo-libéralisme.L’ouvragedeTirole (2016)en fournituneexcellentesynthèse.

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incompatibleavecdesmesuresdecontrôledesméthodesdeproductionoudelimitationdu nombre des heures de travail y compris quand elles augmentent les prix. «Lapréservationdelaconcurrencen’estpasdavantageincompatibleavecunvastesystèmedeservicessociauxtantquel’organisationdecesservicesn’estpasconçuepourrendrelaconcurrenceinopérante»(1944/2007p.34).L’efficacitédumécanismedumarchérepose, non sur l’existencedeprixoptimauxobtenus instantanément (le tâtonnementwalrasien),maissurunecapacitésanségaled’acquisitionde l’informationgrâceàdesajustements lents et graduels (Hayek 1948). Il n’en demeure pas moins que lacoordination recherchée est assurée par le système des prix. «(Celui-ci) permet auxchefs d’entreprise, en surveillant le mouvement de quelques prix comme le pilotesurveillequelquescadrans,d’ajusterleursactivitésàcellesdeleursconfrères»(Hayek1944/2007p.42).Silaflexibilitédesprixestainsirequise,elleestjugéelimitée,nonpasparcoercition,maisduseulfaitdescomportementsd’individusrationnels,libresdeleurs mouvements. Ce qui explique, d’ailleurs, que Hayek attribue les désordres del’économiedemarchéàuneorganisationinappropriéedusystèmebancairequiautorisedesvariationsfortesetinconsidéréesdestauxd’intérêt.

Laquestiondemeuretoutefoisdesavoiràquellesconditionsunetellesociétédemarchéprendplaceetdansquellesconditionsellecèdelaplace.A lasecondequestion,Hayek(1944)semblerépondreeninsistantsurlabatailleengagéeentrelesidéeslibéralesetlesidéessocialistes.Commesil’histoireétaitaccomplieetquel’onétaitenprésencedelatentatived’enremettreencausel’issueauprixdelaservitude.Àlapremièrequestion,Hayek,répondenfaisantvaloirquel’institutiondumarchéestfaitederèglesgénéralesissuesd’unprocessusdesélectionculturellequ’ildénommel’ordrespontané.Savisionde l’État apparaît alors comme «purement fonctionnelle, instrumentale etépiphénoménale» (Égé 1992, p. 1027-8). Or, les dispositifs juridiques qui assurentl’émergencedumarchélibreenmêmetempsquedel’Étatdedroitnepeuventêtrequele fruit d’une rupture. «La liberté au sens juridique et politiquedu terme, n’est ni unattributhumainuniversel,niunepropriétésubstantiellemaisunedispositionformellequi est proprement inventée dans un contexte social particulier» (Égé 1992 p.1024).Unemédiationnéedecette inventionestnécessairequiempêchedes’entenirauseuljeu des essais et erreurs d’individus indépendants les uns des autres et de toutestructuresocialepréétablie.

Ce qui est vrai de l’État de droit en général l’est aussi des dispositifs juridiquesconstitutifs de l’État social tel qu’il va émerger de la Grande Dépression. Il estintéressant, à ce propos, de noter l’appréciation formulée par Keynes sur l’essai deHayek (1944) ‘La route de la servitude’. Il en partage explicitement la positionphilosophique etmorale. En revanche, il plaide en faveurd’une interventionpubliquejugée nécessaire pour faire face à l’incertitude radicale. «Keynes ne croyaitcertainement pas que le gouvernement savait ou pouvait savoir, plus que la ‘société’.Mais il pensaitqu'il était enmesuredeprendredesmesures contre les conséquencesd'uneincertitudequedesparticuliersoumêmedesarrangementssociauxinformelsnepourraientpasprendre.Les‘conventions’qu’unesociétéérigepoursegarderdeseffetsdel’incertitudesebrisentdanslesmomentsdegrandetension.Parsuiteunepolitiquedepleinemploin’étaitpaslaporteouverteàlaservitude,maisunemesuredeprudencefaceàunesituationdontledéveloppementdétruiraitlesvaleursqu’il(Keynes)partageavecHayek» (Skidelsky2009p.160).Keynesn’étaitpas aveuglequant auxpossiblesdérivestotalitaires,maisentendaityfairefaceendéveloppantl’Étatsocialdevenul’utilecomplémentdumarchéetnonsonsubstitut.

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À cette même période, Lippmann (1937) constate ce qu’il dénomme la débâcle dulaissez-faire,n’adhèreplusàl’idéequelemarchéobéiraitàunordrenaturel,seséparantainsideHayek,etluisubstitueunordrelégalquisupposeuneinterventionjuridiquedel’État.Cefaisant,ildénoncelesrèglesédictéesparlepremierlibéralismequiont,selonlui, préservé les avantages des classes dominantes et plaide en faveur de nouvellesrègles conçues pour libérer le marché des monopoles afin de restaurer l’atomismelibéralcurieusemententenducommelaconcurrenceentrelesindividuslesplusdoués.Laconcurrencen’estplusunfaitdenatureetdevientunenormedontlamiseenœuvreexige des règles qui en garantisse la loyauté. Ainsi que le souligne Stiegler (2019),Lippmann attribue à l’État une mission essentiellement politique et sociale, qu’ilassimileàunpouvoircentralconfiéàdesexpertsencharged’unevéritableréformedelasociétépourfairepièceàl’ignorancesupposéedesmasses.Cettemissionestdestinéenonseulementàperfectionnerlesrèglesdedroit,maisaussiàaméliorerl’éducationetles capacités cognitives des individus. L’objectif demeure, fondamentalement, deparvenir à l’établissement d’une économie de marché mondialisée procédant de ladivisionsanscesseplusétenduedeladivisiondutravail,maissousl’égidedequenousappellerionsaujourd’huiunetechnocratieéclairée.Cenouveaulibéralismerecèleunparadoxesurlequelilfaudrarevenir:l’avènementdumarché global est subordonné à la verticalité d’un pouvoir essentiellement public, untravers, si l’on s’en rapporte à l’étude de Stiegler (2019), dans lequel ne tombe pasDewey (1937) qui, tout en partageant le même diagnostic sur les effets pervers dulaissez-faire, se démarque de Lippmann en reconnaissant un rôle éminent auxdifférentes associations ou communautés qui structurent la société en même tempsqu’ellesfontexisterl’individucommeêtresocial.

Keynes(1926,1933)faitunconstatenbiendespointssimilaireàceluifaitparPolanyi(1944).Dansdestermesextrêmementclairs,ildénoncelelaissez-faire,metencauselescomportements dictés par des critères exclusivement financiers, s’interroge sur laréalitédesavantagesdeladivisioninternationaledutravail,reconnaîtlanécessitéd’uncertainprotectionnisme,plaidantenfaveurd’uneplusgrandeautonomiedeséconomiesnationalesquecelleprévalantavant1914.LapositiondeKeynesestqu’ilconvientd’opérerunenouvelleexpérimentationquisansremettreencause l’économiedemarchéen transforme lemodede fonctionnement. Ilplaidepourdesajustementsquidoiventêtregraduelsetconsistent,entoutpremierlieu,à faire une place au rôle régulateur de l’État. L’une des dimensions importantes del’actionde l’Étatestdepréserver les intérêtsde lanation.«Lessacrificeset lespertesliéesàunetransitionserontconsidérablementplusimportantssil’onforcel’allure.Jenecroispasenl'inévitabilitédelagradualité,maisjecroisenlagradualité.C’estavanttoutlecasd’unetransitionversuneplusgrandeautosuffisancenationaleouuneéconomienationale planifiée. Car il est de la nature des processus économiques de s’enracinerdans le temps. Une transition rapide impliquera une destruction si drastique de larichesse que le nouvel état de choses sera, au début, bien pire que l’ancien etl’expérienceseradiscréditée.Carleshommes,jugentimpitoyablementlesrésultats,lespremiersrésultatsaussi»(Keynes1933p.769).Dudébatnouédanslesannéetrente,maissurtoutdesconditionspolitiquesetsocialesnées de la Grande Dépression et de la Deuxième Guerre mondiale, résultera unerenaissance du libéralisme sous la forme largement initiée par Keynes: le libéralismesocial dont les principes et les pratiques sont largement partagées par les forces enprésence, démocrates chrétiens et sociaux démocrates en Europe, républicains et

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démocrates aux États-Unis. Pourtant se développe simultanément, en opposition aukeynésianismedevenu,untemps,penséedominante,unecontroffensivealimentéeparuncourantdepenséequiseveutauthentiquementlibéral,initiéparHayeketorganiséen lobby intellectuel, qui se traduit, dès 1948, par la création de la Société du MontPèlerin dont les thèses vont irriguer le néo-libéralisme qui va l’emporter à partir desannées1980.

4.Dulibéralismekeynésienàlarésurrectiondel’utopiedumarché.L’économie libérale a repris le dessus au cours des trois décennies qui suivent laDeuxième Guerre mondiale sous la forme de ce libéralisme social inspiré des thèsesdéfenduesparKeynes.Ceseraituneerreurqued’attribuersonsuccèsauseulactivismebudgétaire des gouvernements sans se soucier des changements structurels profondsintervenus dans l’organisation de la société. De même que ce serait une erreur qued’attribuersonéchecultérieurauseulfaitquelapolitiqueéconomiqueauraitintroduitunbiaisinflationnistesystématiquedanslefonctionnementdel’économiesansprendreen considération, pour en expliquer la survenue tardive, les ruptures politiques etsocialesintervenuesdansl’ordreinternational.

Denouvellesinstitutionsetformesd’organisationontvulejourausortirdelaGrandeDépressiondontleprincipalatoutestd’avoirfavorisélamaîtrisedutempslongparlesacteurspublicsetprivés(Shonfield1965).Ilenestainsidesstabilisateursautomatiquessystématisésgrâceauxrégimesd’assurancechômage,santéetretraite.Ilenestainsidela gouvernance des entreprises devenues de véritables coalitions politiques (March1962),impliquant,auxÉtats-UniscommeenEuropeoccidentale,indexationdessalairessur les gains de productivité, distribution régulière mais limitée de dividendes,développement de la planification dans les entreprises, fixation de prix à long terme(Shonfield 1965)4. Il en est ainsi des institutions internationales nées des accords deBrettonWoodsdont l’objectif estdeconcourirà la stabilitédeséconomiesnationales.Dans ce contexte, les tensions inflationnistes ont longtemps été contenues. Le nouvelenvironnement institutionnel a permis une meilleure coordination entre l’offre et lademande sur le long terme soit bien plus qu’une simple stimulation de la demandeglobale.Fondamentalementlaréciprocitéetlacoopérationpropresauxrelationssocialesaprislepas,danscettepériode,surunstrictindividualisme.«Lesavantagesdelaréciprocitéauseind'unecommunautéontétéamplifiésàmesureque lacommunautédevenait lanation»(Collier2019p.8).Ilsontaussiconcernécesautresimportantescommunautésque sont les entreprises dans le cadre d’arrangements institutionnels qui ont garantisalairesetavantagessociauxenmatièredesantéetderetraite5.

4Cette vision du ‘nouveau’ monde peut sembler idyllique et ne pas rendre compte de l’importance, àl’époque,deconflitssociaux‘traditionnels’danslespayseuropéensouauxÉtats-UnisdecequeKrugman(2007)appelleuneprospéritéagitée.Elleest,cependant,fidèleàl’évolutionencoursquis’esttraduitepardenouveauxcompromissociaux,unreculdesinégalitésetl’émergenced’uneclassemoyennetrèslarge,notammentauxÉtats-Unis(Krugman2007).Cetteévolutionnes’estpasfaitesansquele‘nouveau’mondene se heurte à ‘l’ancien’, que de vieux antagonismes persistent et qu’une bataille idéologique ne sedéveloppe(Mallet1969).Nousverronsplus loinquecet ‘ancien’mondeaprissarevancheàpartirdesannées1980etquelesvieuxconflitsentresalariésetcapitalistessontderetour5Il est important de noter ici que ces arrangements ont été de nature différente de part et d’autre del’Atlantiquetoutenconcourantaumêmeobjectif.IlenestainsidescaractèrespropresdecequeLevyetTemin (2007) appelle le Traité de Detroit pour désigner la généralisation d’un accord passé entrepatronatetsyndicatdel’automobileauxEtats-Unis(Krugman2007).

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La dérive inflationniste est intervenue tardivement quand un surcroît massif dedépenses publiques a été décidé aux États-Unis: des dépenses sociales voulues pouréradiquerlapauvretédespopulationsdiscriminéesetdesdépensesmilitairesdestinéesaufinancementdelaguerreduVietnam.LaruptureaveclesaccordsdeBrettonWoodsest la conséquence de ces choix politiques et militaires et du refus de États-Unis decontrôler l’émission de dollars qui s’en est suivi, gonflant les réserves des banquescentralesenEuropeetauJapon(Skidelski2009).L’échecdestentativesderéglageconjoncturel,auquelestabusivementréduitlapenséede Keynes devenue une politique sans théorie et, en contrepoint, les performancesréaliséesparcertaineséconomies,surfondderévolutionnéo-libérale,danslesannées1990 ont suscité une nouvelle croyance qui devait faire consensus : il suffirait decontrôler l’inflation par lemoyen d’une politiquemonétaire entièrement dédiée à cetobjectif, de rechercher l’équilibre des comptes publics et de procéder à unelibéralisationdesmarchéspourretrouverunecroissanceuntempsperturbée.L’utopiedumarchéautorégulérevientenforce.L’individualismeprenddenouveaulepassurlescommunautésquisedélitentenpartie(Collier2019).

Privatisations, libéralisations,stabilisationsmacroéconomiquessont jugéesà l’aunedecritères(denombres)quireflètentlerespectderèglesintangiblessansquesoitjamaisconsidéréelamontéede lapauvreté, ladestructiondesrelationssocialesetcellede lanature.Lerenoncementàladémocratieaubénéficedesrègles,enfaitdesloisd’airaindumarché, vadepair avec l’obéissance aux injonctionsde la communauté financière.Les défaillances du marché sont attribuées à un manque de volonté politique d’enrespecter lesrègles,à ladéfiancedans les institutionsetàunerégulationporteusedecorruption. Le développement est devenu une affaire d’experts. Les transformationssocialessontignorées.Préserverlacohésionsocialen’estpasàl’ordredujour.Pasplusquedesepréoccuperdelastabilitéfinancière.Les réformes structurelles relatives au fonctionnement des marchés de biens et dutravail brisent les coalitions politiques que constituent les entreprises, remettent àl’ordredujourmobilitédutravailetflexibilitédessalaires.Ladisciplineimposéeparlesmarchés financiers singe les mécanismes de l’étalon or. Les relations internationalesimposentauplusfaible(laGrèce)d’appliquerlesrèglescommelesgrandespuissancesont imposé, au XIXe siècle, auxpays colonisésde seplier à leurs exigences. L’austéritéimposée par le Fonds Monétaire International oublieux de sa fonction stabilisatriceremplace la diplomatie de la canonnière. L’étalon-or a disparu, des institutionsmonétaires internationalesontétémisesenplace,mais la libertédesmouvementsdecapitaux vaut acceptation de la discipline imposée par les marchés financiers auxentreprisesetauxÉtats.Aveclerefusdelarépudiationdesdettesils’agitd’écartertouteviolationdescontratsprivés,maisenacceptantlaviolationducontratsocial.«Lafailliteest unedimension centraledu capitalismemoderne.Mais le FMIne le reconnaît pas:cette faillite serait une violation du caractère sacré des contrats. Mais il n’a aucunscrupuleàvioleruncontratencoreplus important, le contrat social. Ilpréfère fournirdesfondsauxgouvernementspourrenflouerlescréanciersétrangers,quin'avaientpasfaitpreuved’unediligenceraisonnabledansl'octroideprêts.Danslemêmetemps,ilaimposé des politiques faisant peser des coûts élevés sur d’innocents spectateurs, lestravailleurset lespetitesentreprises,quin’ont jouéaucunrôledansl’avènementdelacrise.»(Stiglitz2001p.xii).Lesréformesenquestionseheurtentàl’incompréhensiondesindividusetdesgroupessociaux(quecertainsattribuentaudéfautdeperceptiondeleurjustesse),d’autantplus

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marquée que ces réformes ont un coût social élevé quoique présumé temporaire parleursthuriféraires.Danscesconditions,l’injonctiondes’adapter,decomblertoutcequis’apparente à un retard, est au cœur de ce paradoxe apparent de la démarche néo-libéralequiimpliquederecouriràlaparoledesexpertsdûmentmandatésparl’Étatparl’intermédiaired’autoritésprésuméesindépendantespourétabliretimposerlesrèglesrépondantauxexigencesd’adaptabilitéetdeflexibilité,quisontainsisoustraitesàtoutdébatdémocratique.CeparadoxeétaitdéjàprésentaucœurdelapenséedeLippmann.«RefusantàlafoislaProvidencedelanatureetlecontrôledel’avenirparl’intelligencecollectivedespublics,lenouveaulibéralismethéoriséparLippmanndéciderades’enremettre,d’unepart,auxartificesdudroitet,d’autrepart,àlaréadaptationdespopulationsauxexigencesdelamondialisation, passant par une politique publique invasive, chargée de transformeractivement les dispositions et comportements de l’espècehumaine» (Stiegler 2019p.187). A ceci près, cependant, que Lippmann entendait confier aux experts le soin depiloter la mise en œuvre d’importantes dépenses sociales alors que les néo-libérauxactuelsattendentd’euxqu’ilsconvainquent lespolitiquesdesbienfaitsde laneutralitéde l’actionpubliqueetde ladérégulation.Lesunset lesautresont, toutefois, lemêmeobjectifquiestderéformer l’ordresocialetderendreeffectiveuneadaptationrapidedesindividusàuneéconomiedemarchémondialisée.

Les conséquencesde lamiseenpratiquede l’utopieainsi réhabilitée, sous couvertderèglesénoncéesparlesexpertsetimposéesparlesmarchés,ontétéuncreusementdesinégalités et la montée du dualisme, une demande de protection des oubliés de lamondialisation, le développement des tensions protectionnistes et, finalement, desréactionspopulistes.Defaitl’onassisteàunmorcellementdescommunautésexistantes,àunerupturedesappartenancesetàdespertesd’identitéquel’onconsidèrelesnationsconfrontéesàlafragmentationdeleursterritoiresrespectifs,lesentreprisesramenéesàdes collection d’actifs négociables et fragmentées internationalement, ou encore lesindividusquidesalariésprotégésdeviennentdesauto-entrepreneurs.

5.LesracinesdulibéralismesocialLa difficulté sur le terrain des idées vient de ce que le libéralisme social, décrié ouignoré,n’estpasclairementdéfininotammentparcequ’ilestsouventréduitparceuxquien sont les partisans, à une redistribution des revenus pour corriger les abus ducapitalismenéo-libéral.Faceàlacrise,lelibéralismesocialdemeure,pourcertains,lesuspectusuel.C’estainsiquePhelps(2013)dénonceunnouveaucorporatismequ’ilaccused’êtreà l’originedudéclindelacréativitéetdel’innovationdepuislemilieuduXXesiècle:uncorporatismequ’ildéfinitprécisémentparsesobjectifsquesont«l’interventiondel’Étatplutôtqueledésordre,lasolidaritéplutôtquel’individualisme,laresponsabilitésocialeplutôtquelescomportements antisociaux (…), la codétermination plutôt que le contrôle exclusif desactionnaires» (Phelps 2013/2017 p. 203). On ne saurait mieux mettre en cause lelibéralismesociald’inspirationkeynésienne.Aghion,Algan,CahucetSheifer(2010),demanièretoutaussiclaire,mettentencauselelibéralismesocialendénonçantcequileurapparaîtcommeuncercleinfernalentrerégulationetdéfiance:larégulationmineraitlaconfiance des individus, au détriment de l’innovation et de la croissance, lesquels, enretour,exigeraientencoredavantagederégulation.

Face à la crise, l’économie comportementale ignore les faits sociaux et, par suite,l’existence même d’un libéralisme social. Elle met en avant, pour expliquer les

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défaillances de marché, non les interactions sociales, mais le jeu de comportements«irrationnels» dont il importe de corriger les biais aumoyen de «coups de pouce»décidés par les entreprises ou les pouvoirs publics. Ce qui est désigné comme un«parrainagelibertaire»(ThaleretSunstein2003)n’ad’autreambitionqued’assurerunfonctionnement jugé idéal des marchés. «Cette vision est en phase avec le modèlestandard de l’analyse économique, n’admettant comme seul bémol à l’omniscience dusujet que les découvertes ‘scientifiques’ éventuelles des neurosciences sur le cerveauhumain»(Fabre-Magnan2018p.208).Ces raccourcis idéologiques font bon marché du succès rencontré, un temps, par lelibéralismesocialenréponseàl’échecdulaissez-faire.Ilsépargnentdetoutefauteunedoctrine pourtant devenue le guide dominant de la politique économique et de lapratiquedesaffaires. Ilsrendentd’autantplusnécessairederevenirsurlesracinesdulibéralismesocial.Dans son histoire de l’idée demarché, Pierre Rosanvallon (1979) développe la thèseselon laquelle la naissance du libéralisme économique «doit d’abord être comprisecommeuneréponseauxproblèmesnonrésolusparlesthéoriciensducontratsocial»etcomme «l’aspiration à l’avènement d’une société civile immédiate à elle-même,autorégulée»(Rosanvallon,1979,p.ii).Suivantcetteacception,lasociétédemarchéseprésente comme l’archétype d’une nouvelle représentation du social, dans laquelle lemarchévient remplacer le contrat social comme régulateurde la société.RosanvalloncroîttrouverchezAdamSmithlaformelaplusépanouiedecetteidéed’unrefusglobaldu politique conduisant à voir dans le marché une sorte modèle politique alternatif.«Aux figures formellesethiérarchiquesde l’autoritéetducommandement, lemarchéopposelapossibilitéd’untyped’organisationetdeprisededécisionlargementdissociéde toute forme d’autorité: il réalise des ajustements automatiques, procède à destransferts et àdes redistributions sansque la volontédes individus en général et des“élites”enparticulierjoueaucunrôle»(ibid.,p.iv).

Ils’agit làd’unedéfinitiondu libéralismequePhelpsnerenieraitsansdoutepas,maisqui a le défaut d’occulter le nécessaire débat sur la nature du libéralisme et sesdifférentesacceptions:undébatquinousinviteàrevenirbrièvementsurlaphilosophieet l’économie politique d’Adam Smith. Trop souvent est invoquée, à son propos, lanotion demain invisible censée incarner un libéralisme classique assimilé au laissez-faire,mentionnéeuneseule foisdans ‘L’enquêtesurlanatureetlescausesdelarichessedesnations’(1776)etfaussementconfondueaveclanotiondesecrétairedumarchéquiappartientàlathéoriedel’équilibregénéralénoncéeparWalras.OrSmithn’estpasledéfenseur du laissez-faire. Dans la Théorie des sentiments moraux (1759), il fait duprincipedesympathie leguideducomportement individuel,principequ’ilneconfond,ni avec la bienveillanceou l’altruisme, ni avec l’égoïsme, et qui signifie que chacun secomportecommeils’attendàcequelesautressecomportentàsonégard.Cefaisant,ilsouligne que le rapport de l’homme à soi-même est toujours médiatisé par autrui. Iln’attribuepas lesbénéficesdes efforts individuels à l’exerciced’une ‘liberténaturelle’qui irait de pair avec la ‘bonté naturelle de l’homme’ et ‘l’harmonie naturelle desintérêts’,maisàdesinstitutionssocialesbienconstituéesetforcémentévolutives.PourSmith,l’individuvitensociétéetcettesociéténesedissoutpasdanslechacunpoursoiet le laissez-faire. Il développeempathieet jugementqueSmith«considère comme lefondementdelamoralitécréantunécartentrecequenousvoulonsfaireetcequenousestimonsdevoir faire.» (Collier2019p.17).Cette subtilité, pourtant essentielle, de lapenséedeSmithaétéetdemeureleplussouventignoréeet,avecellel’importancedela

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réciprocitéet,plusgénéralement,du faitsocial.Une importancequidoit,aucontraire,attirer notre attention si l’on veut comprendre l’échec du laissez-faire et relever lapertinenced’unlibéralismesocial.

Defait,«leslimitationsimposéesaumarchédontAdamSmithétaitl’adversairerésolupourraientêtrequalifiéesdeprécapitalistes.Sescritiquesnevisaientpasl’interventionpublique telle qu’elle apparaîtra plus tard dans les programmes de protection socialeimpulsés par l’État Providence» (Sen 1999 p. 128). Elles visaient le caractèreimproductif et inutile de certaines dépenses gouvernementales et, plus encore, lesobstaclesdressésfaceaudéveloppementducommerceaumoyendesdroitsdedouane.Enrevanche,iln’ignorepaslesdéfaillancesd’unesociétécapitalistenaissantequandladivisiondutravailentraîneunedéqualificationdesemplois.Pasplusqu’iln’ignorequelesconditionsdefinancementhéritéesdel’ancienrégimeéconomiquedonnentpriseàl’usure et au gaspillage des capitaux. Il en conclut qu’une intervention publique estnécessaireaussibienpourpromouvoirl’éducationquepourcontrôlerlecrédit.N’est-ilpassignificatifdeconstaterquelaseulefoisoùilfaitétatdelafameusemaininvisible,c’est pour expliquer que l’individu, soucieux de sa sécurité, «conduit par une maininvisible», préfère soutenir l’industrie domestique quoiqu’il poursuive «une fin quin’entraitnullementdanssesintentions»(Smith1776IV,2,p.456).Ilest,dans lemêmeordred’idées, significatifdevoirSmithpréconiser legradualismedanslalevéedecesdroitsdedouanepouréviterquel’entrepreneurtouchénesubissedesdommagestropimportantsquiauraientinévitablementdesrépercussionsglobales.«L’entrepreneur d’une grande manufacture, qui se verrait obligé d’abandonner sestravauxparcequelesmarchésdupayssetrouveraienttoutd’uncoupouvertsàlalibreconcurrence des étrangers, souffrirait sans contredit un dommage considérable. Cettepartiedesoncapitalquis’employaithabituellementenachatsdematièrespremièresetensalairesd’ouvrierstrouveraitpeut-êtresansbeaucoupdedifficulté,unautreemploi.Mais ilnepourraitpasdisposer, sansuneperte considérable,de cette autrepartiedeson capital, qui était fixée dans ses ateliers et dans les divers instruments de soncommerce.Unejusteconsidérationpourlesintérêtsdecetentrepreneurexigedoncquedetelschangementsnesoientjamaisfaitsbrusquement,maisqu’ilssoientamenésàpaslentsetsuccessifs,etaprèsavoirétéannoncésdeloin.»(Smith1776IV,2p.471).Ilrestequel’ÉtatProvidencenes’estpasimposécommeunesortedecontinuité.Dewey(1935/2014) constatant l’incapacité du premier libéralisme «à affronter le problèmenouveau que son succèsmême avait engendré» (p. 127), appelle, non à renoncer aulibéralisme, mais à le transformer. «L’idée que le libéralisme ne saurait à la foismaintenirsesobjectifsetinversersaconceptiondesmoyensàmettreenœuvrepouryparvenir n’a pas de sens. Le libéralisme ne peut parvenir à ses fins qu’à la conditionunique qu’il y emploie desmoyens opposés à ceux qu’il préconisait sous sa premièreforme» (p. 128). Ce qui s’est effectivement produit dans les décennies qui suivent laDeuxièmeGuerremondialeavec l’instaurationeffectived’un libéralismesocialoud’unsocialismelibéral.L’idée de celui-ci ne naît pas avec Keynes. John Stuart Mill (1859) amorce cettetransformationdelapenséelibéraleenfaisantdel’individuunêtreendeveniretunêtresocial qui n’existe que dans sa relation aux autres. «PourMill, rien demécanique, de‘naturel‘dansledéveloppementdesoiquin’estpasunemarcheirréversibleversunbutunique,maislerésultatcomplexededécisionshumainesetd’interactionaveclemilieu»(Audard2019p.99).Ilestamenéàcritiquerlalibertéexcessivedesmarchésetàprôner

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l’encadrement des droits de propriété ainsi que le développement du mouvementcoopératifimpliquantquelapropriétéducapitalrevienneauxtravailleurs.«Ilanticipeainsisurlanécessitéd’unlibéralismeplussocial,plusconscientdubesoindesolidarité,dejusticeetd’égalité,dansunmondeentransformationoùlesinégalitéssecreusent,oùla coopération sociale devient impossible et où la pauvreté du plus grand nombres’aggrave»(ibid.p.101).Àsasuite,Green(1881),ainsiquelerapporteAudard(2019)vaplusloin.«S’appuyantsurl’idéemilliennedudéveloppementdesoi,Greenthéoriseundroitde l’individuvis-à-visde lasociétéqui luidoitlesmoyensde laréalisationdesonpotentiel,réalisationessentiellepourlebien-êtreetleprogrèsdetous(…)Àlasuited’Aristote et de Hegel, Green appelle ‘bien commun’ cette interaction entre intérêtindividuel et intérêt commun, et en fait le fondement de la morale et de l’obligationpolitiques»(Audard2019pp.101-102).Keynes(1919)quis’inspiredeMilletdeGreen(Dostaler2009)met,luiaussi,enavant,la nécessité d’une certaine justice sociale. En introduction de son analyse desconséquenceséconomiquesdelapaix,ilexpliquequelacréationderichessesobservéeauXIXeetaudébutduXXesiècle,résultaitdeceque«lesrichespréféraientlepouvoirque l’investissement leur donne au plaisir de la consommation immédiate» alors que«si les riches avaient dépensé leurs nouvelles richesses pour leur propre plaisir, lemondeauraittrouvédepuislongtempsuntelsystèmeintolérable»(Keynes1919p.x).Non sans considérer que le système reposait sur un double bluff ou une doublesupercherie.«D’uncôté, lesclasses laborieuses(…)setrouvaientenjôlées,obligéesoucontraintespar lacoutume, lesconventions, lesautoritéset l’ordreétablide lasociétéd’accepterunesituationdanslaquelleellespouvaientobtenirleurproprepetitmorceaude gâteau qu’elles-mêmes, la nature et les capitalistes contribuaient à produire. Et del’autre côté, il était permis aux capitalistesd’obtenir lameilleurepartdugâteauet ilsétaient théoriquement libres de la consommer à la condition tacite et implicite qu’ilsn’enconsommentenréalitéqu’unepetitepartie».(Keynes1919p.x).

Par la suite, Keynes (1926) constate ce qu’il appelle lui-même une socialisation del’économie évoquant à ce propos des tendances naturelles. Elles ne sont pas propres,selon lui, à remettre en cause l’économiedemarchédès lors que l’onne confondpaslibéralismeetlaissez-faire,nisocialisationavecétatisme.«Lesocialismed’ÉtatdécouledeBentham,delalibreconcurrenceetc.;ilestuneversion,plusclaireàcertainségards,plus confuse à d’autres, de la même philosophie qui sous-tendait l’individualisme duXIXesiècleLesdeuxdoctriness’attachentavanttoutàlaliberté,l’unedefaçonnégativeafind’évitertouteatteinteàlalibertéexistante,l’autredefaçonpositiveafindedétruirelesmonopolesnaturelsouconstitués.Cesontdeuxréactionsàunemêmeatmosphèreintellectuelle»(ibid.p.291).Encontrepoint, il fixeunagendapourl’Étatquiconcerne«nonpaslesactivitésquelesindividusprivésaccomplissentdéjà,maislesfonctionsquine relèvent pas de la sphère individuelle, et les décisions qui ne seront prises parpersonnesil’Étatnelesprendpaslui-même»(ibid.).Ilfaitdel’entreprise,confrontéeàuneincertituderadicale, l’acteurprincipaldel’économiedemarchéenlieuetplaceduconsommateur. Il va jusqu’à faire de l’entreprise moderne une unité de contrôle etd’organisation se socialisant d’elle-même (ibid. pp. 288-9). Il reconnait ainsi àl’entreprise et à l’État leurs fonctions et leurs responsabilités respectives dans uneéconomiedemarché.Non sans attribueruneplace essentielle aux choix effectuésparcetteautrecommunautéqu’estlesystèmefinancier.LaquestionposéeparKeynesest «de savoir sinous sommesprêts àquitter l’étatdelaissez-faire duXIXe siècle pour entrer dansune époquede socialisme libéral, c’est-à-

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diredansunsystèmenouspermettantd’agiren tantquecommunautéorganiséeavecdesbuts communs, et disposés àpromouvoir la justice sociale et économique tout enrespectantetprotégeantl’individu»(Keynes1939).Ils’agit,selonlui,defairefaceaux«deuxvicesmarquantsdumondeéconomiqueoùnousvivons(qui)sontlepremierquelepleinemploin’yestpasassuré,lesecondquelarépartitiondelafortuneetdurevenuyestarbitraireetmanqued’équité»(Keynes1936p.372).

La tradition libérale à laquelle se rattache Rawls répond à ce double défi.6La sociétélibéraledontilsefaitledéfenseurestun«systèmeéquitabledecoopérationàtraversletemps» (Rawls 1993/1996 pp 42-3). Dans cette société, «les différences socio-économiquesliéesàdesfonctionsouàdespositionsdoiventêtreajustéesdefaçonàcequ’ellessoientauplusgrandbénéficedesmembreslesplusdésavantagésdelasociété»(ibid.pp30-1).Cettesociétéestclairementfaited’identitéetdeconflitd’intérêts.«Ilyaidentitéd’intérêtspuisque lacoopérationsocialeprocureà tousuneviemeilleurequecellequechacunauraitencherchantàvivreseulementgrâceàsespropresefforts.Ilyaconflit d’intérêts puisque les hommes ne sont pas indifférents à la façon dont sontrépartis les fruits de leur collaboration, car, dans la poursuite de leurs objectifs, ilspréfèrent tous une part plus grande de ces avantages à une plus petite» (Rawls1971/1987p.30).Lesarbitragesquisontrendusneconduisentpasnécessairementàdesgainsmutuelsimmédiats,maisilsneconduisentpersonneàvouloirabandonnerlesrègles constitutives de la coopération en société. Certes, une telle conception de lajustice peut conduire à juger plus juste une société très inégalitaire pourvu que lespauvresysoientmoinspauvresquedansunesociétépluségalitaire.Maiscettecritiquetombe d’elle-même si l’on veut bien reconnaître que les sociétés dans lesquelles lespauvres sont moins pauvres sont aussi celles où se constitue une importante classemoyennesignifiantunerelativeégalisationdesrevenusetdesrichesses.Le voile d’ignorance introduit par Rawls, qui rend crédible les comportements desolidarité,estdéchiréquandlasociétésemorcelleencatégoriesquiprennentchacuneconsciencedeleurspécificitéetlarevendiquent,quandl’Étatprovidenceestdélégitiméetquel’assuranceprivéeoulacharitéprennentlepassurl’assurancesociale,quandleconsentementà l’impôts’estémousséet l’aidesocialeestdénigrée (Rosanvallon2011pp 287-98). La disparition d’une classe moyenne nombreuse qui résulte dudémantèlementpartielde l’État-social,notammentdesesdispositions fiscales,produitcemorcellement, explique le refusde la solidarité et rend l’économieplus instable aurisquedecasserlacroissance6.L’actualitédulibéralismesocialLa solidarité, l’égalité des chances et une certaine redistribution des richessesapparaissentcommelestraitsdistinctifsdulibéralismesocialconçuenvuedeconcilierefficacité et équité, en vue aussi de concourir à une coordination de l’activité quiéchappeauseuljeudumarché.Dèslors,iln’estplusquestiond’opposerl’individuetlasociété.L’individuestunêtresocialquis’inscritdansdemultiplescommunautés:l’État,l’entreprise,lafamille(Collier2019).Lefaitsocialestpremier.SuivantlaconceptiondunouveaulibéralismedéveloppéeparDeweyquenousrapporteStiegler,«silesindividusneparviennentplusàémerger,cen’estpaslefaitsociallui-mêmequiestencause,maisla domination d’un seul mode d’association» (Stiegler 2019 p. 139). En outre, si les

6Phelps(2013)seréfèreàRawlsdontilditpartagerlaphilosophie,cequinoussemblequelquepeuencontradiction avec son opposition au libéralisme social dont nous avons vu qu’il l’assimilait aucorporatisme.

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communautésd’appartenancesontmultiples,lasociétélibéraleestunecommunautédecommunautés.«Cescommunautésn’ontpasdetailledéfinie;ellesvontdelafamilleetducercled’amisàdesgroupesbeaucoupplus larges. Iln’yapasnonplusdelimitedetemps ou d’espace. Celles qui sont séparées par l’histoire et le contexte peuventnéanmoinscollaborerdanslaréalisationdeleurnaturecommune(…)L’idéeprincipaleestsimplementqu’unesociétébienordonnée(correspondantàlajusticecommeéquité)estelle-mêmeuneformedecommunauté»(Rawls1971/1987pp.569-70).Ce libéralisme ne fixe pas un sens ou une fin à l’évolution. Il ne propose pas de récittéléologique des processus historiques signifiant qu’il y aurait une voie unique dedéveloppement.Ilest,decepointdevue,enaccordavecle libéralismeclassique,maisen nette opposition avec le néo-libéralisme actuel comme d’ailleurs avec le nouveaulibéralisme de Lippmann (1937). Il répond à une exigence de stabilité sanscompromettre la nécessité du changement, le but étant, certes, de prendre enconsidérationlescoûtssociauxduchangement,maisaussideconserverlesmoyensdecechangement.Ce libéralisme rompt avec le libéralisme classique. «Si les premiers libéraux avaientinscrit leur interprétation particulière de la liberté dans un contexte de relativitéhistorique, ilsne l’auraientpas figéeenunedoctrineapplicableen tout tempsetdanstoutes circonstances. Ils auraient notamment perçu que la liberté réelle dépend desconditionssocialesprévalantàtelleoutellepériode.Ilsauraientenoutrecomprisqueles relations économiques imprimant désormais leur modèle dominant à toutes lesrelations humaines, il faut que la nécessaire liberté qu’ils réclament pour tous lesindividus s’accompagne d’un contrôle social des forces économiques dans l’intérêt duplusgrandnombred’entreeux»(Dewey1935/2014pp.103-104).Deweyappelleainsiàdes changements institutionnelsprofonds.L’originalitéde sadémarche tientau rôlequ’il attribue aux différentes communautés et à l’accent mis sur la nécessité d’unestabilité acquise grâce à un ensemble d’habitudes et d’attitudes des individus partiesprenantes de ces communautés. «Ces habitudes, ce sont celles qui favorisentl’intensificationetladiversificationdesinteractionssociales,permettantàlafoislamiseau jour des conflits et leur résolution par l’intelligence collective, c’est à dire parl’expérimentation» (Stiegler 2019 p. 243). Ainsi « le libéralisme doit assumer laresponsabilité d’énoncer clairement que l’intelligence est un bien social revêtu d’unefonctionaussipubliquequel’est lacoopérationsocialedontelleesttrèsconcrètementissue»(Dewey1935/2014pp.142-3).Cette approche invite à approfondir l’analyse du rôle imparti aux différentescommunautésdontlebutcommunestdeconcouriràcedoubleobjectifdechangementet de stabilité dans leurs sphères d’influence respectives. Il revient à l’État sociald’introduiredesmécanismesautomatiquesdestabilisationvialessystèmesd’assurancechômage, santé et retraite. Il revient au système financier et à l’organisation desentreprises de garantir la possibilité d’engagements longs des différents acteurs. Si lemarchéest,commel’entendHayek,unprocesseurdeconnaissances,iln’estréellementefficacequ’àlaconditionqu’ilexistedescontraintesetdespouvoirs(desimperfectionsou des connexions de marché), éventuellement générateurs d’abus, mais qui, ensituation d’incertitude, garantissent la fiabilité des anticipations relatives auxinvestissements. C’est le point de vue développé par Richardson (1960), pour qui lesrestrictions ou contraintes, naturelles ou artificielles, sont le moyen nécessaire de lacoordinationentreentreprisesconcurrentesoucomplémentaires.C’estunpointdevuequi n’est pas étranger à Keynes (1926) qui en appelait, non seulement à un contrôle

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délibéré de lamonnaie et du crédit,mais aussi à lamise enœuvre demesures qui «entraineraient la société à exercer, par l’intermédiaire d'un organisme approprié, uneactivitéd’informationrelativeànombredecomplexitéscaractéristiquesdelaconduitedesaffaires,sanstoutefoisentraverl'initiativeprivéeetl’activitéentrepreneuriale»(p.292):desorganismesdontonpeutimaginerqu’ilssontlàpourfavoriserdesconsensuspropresàrendrelesanticipationsàlongtermedesentreprisesfiables.

Ils’agitdefaireplaceàcequeDewey(1935)dénommedesintelligencescollectivesquisemanifestentauniveaude l’Étatcommeàceluidesautrescommunautésaupremierrang desquelles les entreprises et les réseaux constitués autour d’elles. «Demanièrecruciale, les gens prennent des engagements réciproques, l’essence même de lacommunauté. La bataille entre l'égoïsme et la réciprocité des obligations – entrel'individualismeet lacommunauté–sedérouledanstroisdomainesquidominentnosvies:lesÉtats,lesentreprisesetlafamille»(Collier2019p.19).Mettre ainsi en avant le rôle des intelligences collectives c’est, en même temps,s’interroger sur l’existence de multiples pouvoirs et sur leurs conditions d’exercice.Cette existence tient à la nécessité de se coordonner pour faire face à l’incertitude(Arrow1974,Dockès1999).S’agissantdesentreprises,lepouvoirpeutprendrelaformed’unehiérarchiequistructurel’organisationinterneoudel’instaurationd’unepositiondemonopole.Maisilpeutaussiprendrelaformed’unecoopérationcontractuelleentreles différentes parties prenantes (managers, salariés, détenteurs de capitaux,fournisseurs et clients), autrement dit de cette codétermination que Phelps dénoncecommedenaturecorporatisteetqui,enréalité,relèvedulibéralismesocial,dontl’unedes dimensions est précisément de substituer en partie la coopération, d’un côté à lahiérarchie,del’autreaumarché.L’objectifestque,«lasociétédoitrendredescomptesàuneinstancemotivéeparlaperformanceàlongtermedelasociétéetêtresuffisammentinforméepourdétecterleserreursdegestion»(Collier2019p.76).L’enjeun’est pasde freiner l’évolutionmais de la rendre viable.Au lieud’imposerunrythme unique, le but implicite est d’assurer la cohérence des rythmes temporelspropres aux différents acteurs, celui de l’État et celui du secteur privé, celui desdétenteurs de capitaux et celui des entrepreneurs, celui des managers et celui destravailleurs, celui de l’économie et celui de la nature. Le libéralisme social déborde lecadre convenude l’État social réduit à sa fonctionde régulationmacroéconomique. Ilconcerne cette structuration de l’espace social faite de multiples engagementscontractuels longs entre les différents acteurs qui, loin d’être un fait de nature, est leproduit de règles de droit initiés par le gouvernement ou par les entreprises elles-mêmes. Ainsi, «loin d’obéir à de pures motivations économiques, des relationséconomiques continues finissent souvent par être subordonnées à un environnementsocialquiporteàêtrefortementconfiantdanslefuturetàs’abstenirdecomportementsopportunistes».(Granovetter,1985p.490).Est-il alors envisageable de voir resurgir un libéralisme social du type de celui qui astructuré le monde occidental dans les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerremondiale?Toutdépenddesréponsesapportéesauxquestionsrelativesàlamonnaie,autravail,àl’Étatetàlanationautrementqu’enlesnoyantdansl’utopiedumarchétotal.

7.LaquestionmonétaireMonnaie et financepeuvent avoirun rôlepervers à raisonde cequePolanyi appelaitleur marchandisation, mais sont, pourtant indispensables à la bonne conduite del’économie dite réelle. Aussi la question est-elle de savoir qui les contrôle. Est-ce,

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aujourd’hui, une banque centrale indépendante en charge de contrôler au moyen dutaux d’intérêt le taux d’inflation ou ce contrôle dépend-il de la relation forcémentcomplexe entre la sphèremonétaire et la sphère réelle de l’économie? Faire le choix,hier, de l’étalon-or ou, aujourd’hui, de la totale liberté des mouvements de capitauxsoumetl’économieexclusivementaujeudesmarchésdontlesinstitutionsdeviennentlejouet.

L’inclination la plus fréquente chez les économistes a été de séparer l’économie dited’échange réelde l’économiemonétaire, soit en faisantde lamonnaieun simplevoiledont l’existence ne change rien aux quantités produites (et consommées) et aux prixrelatifs,soitenfaisantdelamonnaieunecause,sinonlacauseunique,desperturbationsauxquellesestsoumisel’économieréelleimpliquantd’enimposerlaneutralité.

Keynes remet en cause cette dichotomie et considère qu’il n’existe pas de variablesréellesmaisseulementdesvariables‘monétisées’dontleprofilestintrinsèquementliéaux conditions monétaires et financières du développement. Dans cette perspective,monnaieetfinancerelèventdelameilleurecommedelapiredesinstitutions.D’uncôté,ellessontnécessairesaubonfonctionnementdel’économieenaidantàlacoordinationinter-temporellesur lesmarchésdebiensetdutravail,de l’autreellespeuventêtre lasource de fortes perturbations et mettre en péril la viabilité de cette économie, enrendant possible la spéculation sur les marchés d’actifs ou, tout simplement, enimposantauxentreprisesunraccourcissementdeleurhorizonprévisionnel.Aussi la question n’est-elle pas de glorifier une économie réelle enfin débarrassée detoutemarchandisationdelamonnaie,etdedénoncerlafinanciarisationdel’économie.Elleestdedéterminerlecontexteinstitutionnelquipermetàlamonnaieetàlafinancederemplirleurfonctionprincipalequiestderendrepossiblesetefficacesleséchangesinter-temporels.Polanyi(1944)n’expliquait-ilpasquelamonnaieéchappaitaumarchédèsquel’onprenaitenconsidérationcecontexte.Le fonctionnement de l’économie dépend, en effet, du rapport entretenu entre lesdétenteursdecapitaux,banquesetactionnaires,etlesentreprises(Mayer2013).Soitlesdétenteursdecapitauxrecherchentdesgainsimmédiats,imposentlesrestructurationsqui les rendent possibles, en faisant en sorte que la valeur des actions en boursedépendedesperformancescourantes.Soitilss’engagentsurdesvolumesimportantsdecapitaux pendant des durées suffisamment longues de telle sorte que les entreprisespeuventseprojeteràlongterme.L’arbitragedontilestquestionestaffaired’institutions.Cellesquisontconstitutivesdulibéralismesocialsontcenséespromouvoirunmodedegouvernancedesentreprisesetuneorganisationfinancièreàmêmedefavoriserledeuxièmetermedel’alternative.Orc’estcetyped’institutionsquifaitaujourd’huidéfautdanslecadredelamondialisationactuelle.Labanquecommercialereculedevant labanquedemarché, l’actionnariateststructuré par des fonds de placement activistes au détriment des investissementsproductifs.

8.LaquestiondutravailLa relation de travail s’est transformée en même temps que le travail acquérait unnouveau statut, celui d’un fonds de ressources assimilable au capital physique dans

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l’usagequi en est fait et que sedéveloppait l’entreprisemoderne.7Est ainsi apparu lecontratdetravaildontlacaractéristique,souventoubliéedanslalittératuredethéorieéconomique,estqu’iln’estpasunestricterelationdemarchécommel’estlecontratdelouage.Ilconstitueunerelationd’autoritéavantd’êtreunerelationmarchande(Simon1951). En fait, il suppose une certaine continuité de la relation entre employeur etemployé. Cette continuité explique qu’il existe un coût à la rupture de cette relation,pourl’employébiensûrmaisaussipourl’employeurdèslorsqu’ilya,audétrimentdel’un comme de l’autre, perte du capital humain accumulé et de la capacitéd’apprentissagequecedernierrecèle.End’autrestermes,lecontratdetravails’inscritdans la perspective d’un enrichissement progressif des compétences répondant à lanécessité, pour l’entreprise, de renouveler en permanence ses métiers (Segrestin etHatchuel2012).Des emplois stables et des salaires équitables correspondent à une conception del’entreprise,noncommelapropriétédesactionnairescensésêtrelesmieuxplacéspouren établir les choix stratégiques, mais comme une coalition politique associant lesdifférentes parties prenantes que sont les managers, les salariés, les détenteurs decapitaux,lesclientsetlesfournisseurs(March1962).Dans cetteperspective, «la grande singularité, et lamodernité inentaméeduDroitdutravail, consiste justement à reconnaître que la capacité des individus s’ancrenécessairementdanscelledesgroupesauxquelsilsappartiennent,etquelasociétén’estpas et ne peut être cette poussière de particules contractantes à quoi voudraient laréduirelesintégristesdumarché»(Supiot2010pp139-140).Les réformes structurelles aujourd’hui promues rompent avec cette orientation etvéhiculentuneapprocheinstitutionnelleavanttoutmarquéeparlarecherchedefluiditéoudeflexibilitédel’emploi.Laressourcehumaineredevientdansl’espritdesdécideursuneressourceindividuelleplutôtquecollective.Lesmesuresdetransitionversl’emploicenséesassurerunesécuritéprofessionnelle individuelle l’emportentsur lesgarantiesdemaintiendansl’emploi.Lafréquencedeschangementsd’emploietdoncdespassagespar le marché externe augmente en même temps que baisse la durée moyenne desemplois. Tout cela n’aurait évidemment de sens que si la capacité d’innovation desentreprisess’entrouvaitaccrue.Orilestvraisemblablequel’inverseseproduiseLe principal résultat de la flexibilité des marchés de travail pourrait être unepolarisationdurableentreemploistrèsqualifiés, fortementrémunérés,etemploisnonqualifiés, faiblement rémunérés, avec à la clé une baisse du salaire médian. Lesressources libérées, loin d’être dirigées vers les activités de haute technologiemieuxrémunérées, risquent fort d’être contraintes d’aller vers des activités où les emploisofferts sont peu ou faiblement qualifiés, parfois à temps partiel et le plus souventprécaires.Neserait-cequeparceque les travailleurs livrésàeux-mêmesnedisposentpasdesmoyensfinancierssuffisants,nidelaconnaissancedesemploisleurpermettantd’accéder aux qualifications supérieures demandées. La multiplicité des emploisoccupésaucoursdelavieprofessionnellepourraitbienreleverdecetteprécaritéplutôtque de refléter une multiplicité des métiers exercés et des qualificationscorrespondantesaucoursd’unevieprofessionnelle.Auquelcaslesfortstauxd’entréeetdesortieseraientrévélateursdelaprécaritédesemploisplusquedel’intensitéetdela

7C’estàGeorgescu-Roegen(1971)quel’ondoitd’avoiranalyserletravailcommeunfondsderessourcesspécifiques dont la particularité est d’être utilisé dans plusieurs processus de production élémentairessuccessifsetdontl’efficacitédépenddel’organisationdecesprocessus.

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rapidité des innovations, la diminution du taux de chômage irait de pair avecl’augmentationdutauxd’emploiprécaireetdutauxdepauvreté.Lepropredulibéralismesocialest(oudevraitêtre)dereposersuruneorganisationdutravailquifavoriselarelationàlongtermeentremanagersetsalariés,uneorganisationindissociable d’une organisation financière qui en garantit la pérennité. Lamondialisation actuelle la met en péril en imposant un contrôle des détenteurs decapitaux tournésvers lesperformancesà court terme,enconduisant lesentreprisesàfragmenter leursprocessusdeproductionetà jouerde laconcurrenceentresystèmesjuridiques,entraînantledéveloppementdesemploisprécaires.

9.Laquestiondel’ÉtatIlyauratoujoursdeuxfaçonsdeconsidérerl’actionpublique:ladéfinirauregardd’unoptimum qu’elle pourrait ou non satisfaire ou lui fixer pour objectif de gérerd’inévitables conflits. La première façon de voir nie la contradiction, la seconde enreconnaît le caractère incontournable. Le débat de politique économique en est uneparfaite illustration. Il y a bien une sorte de connivence entre ceux qui imaginentpouvoirdéfinirunepolitiqueéconomiqueremplissantparfaitementdesobjectifsdéfinispar la puissance publique et ceux qui nient toute efficacité à cette même politiqueéconomiquepours’enremettreau jeudes intérêtséconomiquesprivésquandcen’estpas, parallèlement, au contrôle d’experts réputés indépendants ou impartiaux ou àl’interventiond’agencesdenotationchargéesde jugerde laqualitédesprestations. Ilscroient,lesunsetlesautres,dansl’existenced’unmondeidéal.Laseuledifférenceentreeux réside dans la configuration de cemonde et dans la désignation de celui qui estomniscientet impartial: le fonctionnaire ou le consommateur, actionnaire et salarié.Pourtantni l’un,ni l’autrene lesont.A l’opposédecesvisionsréductrices, lesdéfautsd’information et les conflits d’intérêts, inhérents à la vie en société, appellent desarbitragesquisontduressortdespouvoirspublics.Larecherchedubiencommunpasseparlaconstructiond’institutionsvisantàconcilierl’intérêt individuel et l’intérêt général et requiert donc de reconnaître à l’État et aumarchédesrôlescomplémentairesetnonexclusifs.Lafiguredel’individulibredetouteattache,enfaitdetoutliendesubordinationàpluspuissantnepeutsedévelopperquesousl’égidedel’Étatdedroitdontc’estlàlacontributionessentielleaubiencommun.8Cette formule, sur laquelle l’accord devrait se faire aisément, prend une connotationdifférente avec l’affirmation que le marché a besoin de régulation et l’État deconcurrenceetd’incitations.Cequisignifiequel’Étatdoitrépondreauxdéfaillancesdesmarchés,maisenétantorganisédemanièreàenmimerlefonctionnement.Dequelquemanière c’est à un effacement de l’État dans sa spécificité propre que l’on est ainsiconvié. On attend de lui d’être un parangon de vertu, la vertu que permettraitd’atteindreunmarché libre s’ilpouvait exister.L’objectif est, certes,de contrarierdesintérêtscorporatistesmaisaussietsurtoutdes’émanciperdesinjonctionsdel’électeurmal informédesdonnéesde lascienceéconomiquesinonmalintentionné.Latâcheestconfiée à des autorités administratives indépendantes de manière à faire pièce auxdéfaillancesdel’Étatprésuméprisonnierd’intérêtsparticuliers,dontl’indépendanceest

8«Làoùl’Étatdisparaîtousecorrompt,l’illusiondelasouverainetéindividuellesedissipe:ilfautfaireallégeanceàpluspuissantquesoipouraccéderàunminimumdesécuritéetdeliberté»(Supiot2010p.107).

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censée résulter de leur expertise, soit une façon d’appliquer le précepte énoncé parLippmann(1935).9Le consommateur conserve l’avantage sur l’électeur d’être doté d’anticipationsrationnelles. Le bien commun n’est autre ici que le reflet d’un équilibre général desmarchésetdel’optimumsocialquiluicorrespond,c’est-à-dired’unmondeimaginaire.Cette notion particulière du bien commun est étrangère à Keynes pour une raisonsimple:celui-cinecroîtpasenl’existenceetsurtoutenlastabilitéd’unrégimedepleineconcurrenceouassimilé.Aussi l’Étata-t-ilpour luiune fonctionspécifiquequiestunefonction de régulation clairement distincte de la fonction d’allocation des ressources.Biensûr, ilnecroîtpasen lapossibilitéd’établirune frontièreétancheentrecesdeuxfonctions, mais il entend reconnaître cette exigence de régulation qui implique pourl’État de savoir jouer de l’action publique pour contrarier les effets délétères dedistorsions dans le secteur privé, par exemple en acceptant une hausse de la dettepubliquepourpallier leseffetsd’undésendettementdesacteursprivésquandcelui-ciestdevenuinévitable.Ainsiconçu, l’Étatest l’artisandubiencommunqueconstituelastabilitéenmêmetempsqu’ilestunespacedesolidaritéconditiondecettestabilité.

L’indépendance des autorités administratives est un leurre. Ces autorités sontl’expressionmoderned’unÉtatadministratifentantqu’ils’opposeàunÉtatdejustice.La volonté générale n’est, certes, ni infaillible, ni toujours décelable. Elle peut êtreaccaparée par des groupes de pression. Pour autant, elle ne saurait s’exprimer par lecanal de ces entités technocratiques aussi appelées autorités administratives quifinissent par devenir elles-mêmes les porte-parole d’intérêts privés et de groupes depression y compris de ceux de nature idéologique (Rodrik 2018). Avec de tellesautorités appliquantdes règles imaginéespardes économistes et censées traduireunsavoirincontestéetincontestable,lepouvoiréconomiquetentedeprendrelepassurlepouvoirpolitique,delecirconvenir.Lereculdel’Étatprovidenceestl’expressiondeceretouraupassé.Sansdoutedesagencesgouvernementalessont-ellesnécessaires.Ellesnedevraientpaséchapperàuneformedetutelledel’État,qu’ils’agissedel’exécutifoudu législatifdès lorsqu’elles sont là,nonpourassénerunevéritépseudoscientifique,maispoureffectuerdesarbitragesentreobjectifsouintérêtsdivergents.Quandl’Étatousesdémembrementsobéissentàdesrèglesparticulièressupposéesêtrecellesdumarchéefficient,ilsdeviennentlefourrierd’intérêtsprivés.Lastabilitéglobalen’estplusvraimentà l’ordredujour.Lepouvoirpolitiqueest,denouveau,assujettiaupouvoir économique, alors que le principe même de l’État de droit réside dans laséparationdesdeux.Quand, au contraire, l’État fixe des règles générales et abstraites ce doit être avecl’objectifdecréerlesconditionsd’unarbitragepolitiqueéquitabledesconflitsd’intérêtinhérents à la vie en société. Il exerce alors une fonction demédiation essentielle àl’accomplissement du bien commun dont la régulationmacroéconomique n’est qu’un

9Lapositionconsistantàdéfendreceprinciped’autoritésadministrativesindépendanteschargésdefaireappliquer des règles rendant efficace le fonctionnement des marchés s’inscrit dans une vision del’économieetdelasociétélibéraleprochedecelledeWalrasévoquéeplushaut.Ilesttoujoursquestiondel’existenced’unesociétédemarché idéaleetde lapossibilitédes’enapprocher.Ladifférencetientàcequelabienveillancedel’Étatetsacapacitéàrépondreauxdéfaillancesdumarchésontremisesencause,d’où lanécessitéderecouriràcesautoritésadministratives indépendantesquiconcernentaussibien lamonnaie (dont labanquecentraleassure lagestion)quecertainesactivités industriellescontrôléespardesagencesderégulation(voirTirole2016).

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aspect. De manière générale, il n’y a pas de marché qui puisse fonctionner sansmédiateurs. L’entreprise, le financier, les pouvoirs publics sont cesmédiateurs. L’Étatdétientlepouvoirpolitiqued’établirlesconditionsdemiseenœuvredecesmédiationsnotamment en étant l’architecte du droit de l’entreprise, du droit financier, du droitsocial,dudroitfiscaletbudgétaire.1010.Laquestionnationale

Lerôledévoluà l’Étatdans lecadredu libéralismesocialconduitàs’interrogersursacapacitéderégulationdansunmondeouvert.LesÉtats-nationsconstitutifsdumondecapitalisteindustrielnéautournantduXVIIIeetdu XIXe siècle ont oscillé entre libre-échange et protectionnisme. La croyance dans lesbienfaits du libre-échange s’est systématiquement heurtée aux difficultés issues de latransition que l’ouverture impliquait au point de susciter, à certains moments, unrevirementenfaveurduprotectionnisme.Lesthéoriciensdulibre-échangen’enontpasmoins dominé le débat intellectuel jusqu’à aujourd’hui jetant systématiquement lediscréditsurdesthèsesoublieusesseloneuxdesavantagesdeladivisiondutravailetdel’extensionconcomitantedesmarchés.

Keynes développait une position non seulement plus nuancée, mais surtoutradicalement différente d’un point de vue analytique. Dans la Théorie Générale del’emploi,de l’intérêtetde lamonnaie (1936), il prend la défense du mercantilisme ensoulignantqu’unsoldecréditeurdelabalancecommercialeestdoublementavantageuxpuisqu’ilpermetdedévelopperl’investissementextérieurgrâceauxprêtsàl’étrangeretl’investissement intérieur grâce à la baisse du taux d’intérêt. Il met certes en gardecontrelesrestrictionscommercialeslesquellespourraientàlalongueêtreunobstacleàunebalancecommercialefavorable.Maisc’estpourajoutercequisuit.

«Lefaitquel'avantagequenotrepaystired'unebalancefavorablerisqued'entraînerundésavantage égal pour un autre pays (un point dont les mercantilistes étaientpleinementconscient)signifienonseulementqu'unegrandemodérationestnécessaireafin qu’aucun pays ne dispose d’un stock de métaux précieux supérieur à sa partlégitimeetraisonnable,maisaussiqu’unepolitiqueagressivepourobtenirunebalancefavorablepeutdéclencheruneconcurrenceinternationaleinsenséepréjudiciableàtous(note:leremèdeconsistantenuneunitédesalaireélastiquedestinéeàluttercontreladépressionparunebaissedesalaires, risque,pour lamêmeraison,den’avantagerunpaysqu’auxdépensdesesvoisins)»(Keynes1936pp.338-9).Il en tirait la conclusionque lapolitiqueéconomique intérieure, toutenévitantd’êtreinutilementetdangereusementagressive,doitbénéficierd’unecertaineautonomie,end’autres termes que l’insertion internationale nécessaire devait être subordonnée auxobjectifsintérieursderevenuetd’emploi.

«C’est une politique autonome de taux d’intérêt, dégagé des préoccupationsinternationales,etunprogrammenationald’investissementvisantàatteindreunniveauoptimald’emploiintérieurquiestdoublementsatisfaisantdanslesensquecelaprofiteaupaysquil’appliquecommeauxpaysvoisins.Etc’estlamiseenœuvresimultanéedeces politiques par tous les pays qui est capable de restaurer la santé et la vigueur de

10Laquestiongénérale implicitementposée iciest cellede l’articulationentre l’Étatet la sociétécivile,laquelleneseréduitpasàdesindividusdontonsupposeraitlapleineautonomie,maisinclutdifférentesorganisationsquisontdeslieuxdecoopérationpasnécessairementintentionnelle.

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l’économie sur le plan international, qu’onmesure celles-ci par le niveau de l’emploiintérieurouparlevolumeducommerceinternational»(Keynes1936p.349).De fait,Keynesentendaitétablirdes limitesnormativesà lamondialisation (Skidelsky2009 pp 185 et sq.): l’investissement interne devait primer sur l’investissement àl’étranger; les États créanciers devaient être tenus à réduire leurs excédents;l’ouverture devait être subordonnée aux objectifs internes, le plein emploi est mieuxassurépar l’investissementet laconsommationdomestiquesquepar lesexportations.C’estlasituationvoulueetinstalléeparlesaccordsdeBrettonWoods.Si le libre-échangeestporteur, potentiellement, d’un tauxde croissanceplus élevé, samiseenœuvreetsonapprofondissementinduisentdesdistorsionsetdesdéséquilibresqui requièrent une transition qui prend du temps et dont l’issue est d’autant moinsassuréequel’équilibreenquestionn’existepasvraimentoun’estqu’unmomentfugitifd’unemutation permanente. Des conflits surgissent inévitablement entre gagnants etperdants,auseindechaqueÉtatcommeentrelesÉtats.Descompensationspeuventêtrenécessaires et, plus encore, du temps est requis pour que les adaptations requisesprennentplaceetque la transitionréussisse:untempsqui justifiedemettreenplacedesformesdeprotection.C’est dans ce contexte qu’un arbitrage est effectué entre l’objectif d’ouvertureinternationale et les objectifs intérieurs de revenu et d’emploi, plus exactement entreleurscalendriersrespectifsderéalisation.Lesmouvementsdecapitauxinterfèrentdanscetarbitragedèslorsqueleurlibéralisationopèresansqu’ilspuissentêtrecontrôlésetencadrésetqu’ils imposentauxgouvernementsnationauxdescontraintesquivisentàl’austérité.L’orientationet lavolatilitédesmouvementsdecapitaux,enprivilégiant lecourt terme, vont à l’encontre d’une ouverture à l’échange qui soit, sur la moyennepériode,bénéfiqueàtous.«Nous avons chacun notre propre inclination.Ne croyant pas que nous sommes déjàsauvés,nousaimerionschacunessayerdetrouverlavoiedenotrepropresalut.Nousnesouhaitonsdoncpasêtreàlamercidesforcesmondialesentraind’établiroud’essayerd’établir un équilibre uniforme selon les principes idéaux, s’ils peuvent être appelésainsi, du capitalisme du laissez-faire. Il y a encore ceux qui s'accrochent aux vieillesidées,maisdans aucunpays aumonde aujourd'hui, onnepeut les considérer commeuneforceréfléchie.Noussouhaitons–pouruntemps,etaussilongtempsquedureralaphaseexpérimentaledetransitionactuelle-êtrenospropresmaîtresetêtreaussilibresquepossible,faceauxingérencesdumondeextérieur»(Keynes1933p.763).Est en cause la nature des relations internationales qu’évoquait déjà Polanyi (1944).«Cependant, avec la disparition du mécanisme automatique de l’étalon-or, lesgouvernements seront capables de se débarrasser du défaut le plus gênant de lasouveraineté absolue, le refus de collaborer à l’économie internationale. En mêmetemps, il deviendra possible de tolérer de bon gré que d’autres pays donnent à leursinstitutions internes une forme convenant à leurs inclinations, transcendant ainsi ledogme pernicieux du dix-neuvième siècle de la nécessaire uniformité des régimesintérieursdansl’orbitedel’économiemondiale»(pp.325-6).Le paradoxe est que la libéralisation des échanges sans contrainte, notamment sanscontraintequantaurythmed’ouverture,ouplutôtsouslaseulecontrainteàcourttermedes marchés internationaux de capitaux, débouche, au contraire des attentes de ladoctrine dominante, sur un pouvoir accru de l’État, non pas un État régulateur et

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protecteur,mais un État puissance à la recherche d’une compétitivité qui s’exerce audétrimentdesautres.Le propre du libéralisme social est (ou devrait être) de restaurer les conditions decoopération internationale fondée sur le respects des objectifs internes de revenu etd’emploi,dontl’unedesdimensionsestleretouràdesbasesfiscalesetsocialesstables.11.Conclusion

Lelibéralismesocialaétélegarantdelastabilitééconomique,delacohésionsocialeetde la croissance pendant les trente glorieuses dans le cadre restreint du mondeoccidentaldequelquemanièreisolédumondecommunisteetdecequis’appelaitalorsle tiersmonde.Ladonnegéopolitiques’est, toutefois,profondément transforméeavecl’irruptiondespaysémergentsdans le champde l’économiedemarché. Est-ceàdireque ce libéralismeestdevenuhorsdeportéeenmême tempsque l’utopiedumarchéautorégulateurs’effondrait?Rechercher stabilité économique et cohésion sociale aujourd’hui c’est refuser desréformesquivisentlacompétitivitéd’unpaysaudétrimentdesautresetsetraduisentpar une précarité accrue au sein des classes populaires, porteuse de dualisme, decreusementdes inégalitésetd’affaiblissementdescapacités individuellesaurisquedemenacer l’innovation et la croissance. C’est reconnaître la nécessité de régulationspubliquesàmêmedeconcilieréquitéetefficacité.

Rechercherstabilitééconomiqueetcohésionsociale,s’agissantdesentreprises,c’est,aulieu de relativiser leur objectif légitime de profit, reconnaître qu’elles constituent unecoalition d’intérêts communs à long terme impliquant de faire une place significativeaux salariésdans lesmodesde gouvernance au lieude s’en rapporter aupouvoirdesseuls actionnaires, avec comme objectif de pouvoir se reposer sur des anticipationsfiablesetderéaliserdesprofitsàlongtermeRechercherstabilitééconomiqueetcohésionsociale,aujourd’hui,c’estreconnaîtrequ’ilestnécessairepourcesmêmesentreprisesdedisposerd’uncapitalpatientetconcevoiren conséquence les réformes nécessaires de l’organisation bancaire et du pouvoiractionnarialauniveaunationalcommeauniveauinternational.Rechercher stabilité économique et cohésion sociale, c’est reconnaître qu’il estnécessaire pour les États, singulièrement en Europe, de retrouver le chemin decoopérations mutuellement avantageuses. C’est, à cette fin, concevoir les clauses desauvegarde à même de donner le temps aux acteurs de s’adapter aux évolutionsnécessairesliéesàl’ouverturesansavoiràsupporteruncoûtsocialrédhibitoire,refusertoute forme de dumping fiscal ou social en même temps qu’un protectionnismedestructeur, s’engager dans la voie du maintien et de l’extension géographique desdispositifsconstitutifsd’undroitdessociétés,d’undroitsocial,d’undroitfiscaletd’undroitdel’environnementrépondantauxobjectifsdesolidaritéetd’efficacité.Cette recherche de stabilité et de cohésion sociale va l’encontre de l’injonctiond’adaptationrapideetbrutalevéhiculéeparl’idéologienéo-libéraleousil’onpréfèredetoute thérapie de choc implicitement ou explicitement recommandée par les experts.Elle n’est autre qu’un plaidoyer en faveur d’ajustements lents et graduels renduspossiblespardesmécanismesinstitutionnelsfavorisantdesengagementsàlongterme,seulsàmêmed’éviterinstabilitéetchaos,unplaidoyerquinevisepaslaconservationdel’existantmaislaviabilitédeschoixinnovateurs.

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Cesexigences,ildevraitêtrepossibledelesporterenruptureclaireavecunlibéralismevulgaireignorantlesacquisdecequiesttropvitequalifiéd’ancienmonde.L’enjeun’estrienmoinsquederéconcilierladémocratieetlacohésionsocialeaveclamondialisationgrâceàdesrégulationsportéesencommunetenfaisantensortequelesarrangementsglobauxpermettentauxÉtats-nationsdemieuxremplirleurfonctionrégulatriceaulieudelesaffaiblir,commecefûtlecasgrâceauxaccordsdeBrettonWoods(Rodrik2011).

Untellibéralismeestsansdouteradicalsuivantl’expressiondeDewey(1935).«Ausensoùilnepeutplussecontenter,commel’alongtempscrulasocial-démocratieetcommelecroientencorelespartisansdu‘social-libéralisme’,desimplementrégulerlesabusducapitalisme,maisoùildoitbienplutôtreconstruirecollectivementetàlaracinelecadreinstitutionnelservantdebaseàl’organisationéconomiqueetcognitive»(Stiegler2019p.146).Lasociétédont ilestquestionn’estnicelledespetitescommunautésautonomesdontrêvaient les socialistes utopiques, ni celle de la planification centralisée expérimentéepar les socialistes étatistes, ni celle dumarché total que les néo-libéraux ont imaginépouvoir installer.Elleest cette constructionhybrideconçuepourmettreenvaleur lesintelligencescollectivespropresauxdifférentescommunautésquilastructurent.Leprincipalobstaclequisedressedevantelleaujourd’huitientàlaruptureintroduiteparlamondialisationdanslescommunautésconstituées,qu’ilestillusoireetdangereuxdevouloirrésoudreenimposantunecommunautéunique(mondiale)incarnéedanslemarchétotal.LesÉtatsvoientleurspolitiquesdel’emploietdurevenusubordonnéesàl’objectif de libéralisation des échanges et sont contraints par les mouvements decapitaux.Lesgrandesentreprisess’affranchissentdesrégulationsnationales,procèdentàlafragmentationinternationaledeleursprocessusdeproduction,neconsidèrentpluslessalairesversésdansleurspaysd’originecommeunecomposanteessentielledeleurmarché et n’envisagent plus d’associer leurs salariés à leurs choix stratégiques. Lafractiondelapopulationbénéficiairedelamondialisationn’accepteplusdefinancerlestransfertsenfaveurdurestedelapopulation,créantunefractureterritorialeauseindedifférents pays. La coopération entre égaux cède devant la lutte de tous contre tous.L’alternative aux espoirs déçus du néo-libéralisme pourrait alors être l’irruption d’unnationalisme dominateur de plus en plus affiché par des gouvernements de paysémergentsoudéveloppés,enfaitdecapitalismesautoritairespotentiellementenconflitlesunsaveclesautres.Rodrik (2011) faisait état de l’impossibilité de concilier mondialisation, souveraineténationale et démocratie politique et considérait que l’on ne pouvait en concilier quedeux au détriment du troisième. L’idée d’une gouvernance globale associantmondialisation et démocratie politique est utopique. Associer mondialisation etsouveraineténationaleestàdoubledétente:soitlaconduitedel’Étatestconfiéeàdesexperts qui imposent des règles communes censées produire une situation optimale,soituncapitalismeautoritaires’installe.Danslesdeuxcas,c’estbienaudétrimentdeladémocratiequ’agissentlesexpertsoudesdictateurs.Maisc’estaussiaudétrimentdelastabilité.L’optiondesubordonnerlamondialisationàl’exercicedeladémocratieetdelasouveraineté nationale, de concevoir ainsi des souverainetés partagées reste la seuleréellement acceptable du point de vue du bien-être. Cela ne suffit pas à la rendrecrédible.

Références

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DOCUMENTS DE TRAVAIL GREDEG PARUS EN 2019GREDEG Working Papers Released in 2019

2019-01 Muriel Dal Pont Legrand & Harald Hagemann Impulses and Propagation Mechanisms in Equilibrium Business Cycles Theories: From Interwar Debates to DSGE “Consensus”2019-02 Claire Baldin & Ludovic Ragni Note sur quelques limites de la méthodologie de Pareto et ses interprétations2019-03 Claire Baldin & Ludovic Ragni La conception de l’homme dans la théorie de l’Echange Composite de François Perroux : entre homo economicus et homo religiosus2019-04 Charlie Joyez Shared Ownership in the International Make or Buy Dilemma2019-05 Charlie Joyez Alignment of Multinational Firms along Global Value Chains: A Network-based Perspective2019-06 Richard Arena & Ludovic Ragni Nature humaine et choix rationnel : Pareto contre Walras ?2019-07 Alain Raybaut A First French Episode in the Renewal of Nonlinear Theory of Economic Cycles (1978-1985)2019-08 Alain Raybaut Bertrand Nogaro et l’économie de guerre : le Service de la main d’œuvre étrangère2019-09 Nicolas Brisset & Dorian Jullien Models as Speech Acts: A Restatement and a new Case Study2019-10 Kozo Kiyota, Toshiyuki Matsuura & Lionel Nesta On Export Premia2019-11 Nicolas Brisset & Raphaël Fèvre Peregrinations of an Economist: Perroux’s Grand Tour of Fascist Europe2019-12 Marco Baudino Urbanization and Development: A Spatial Framework of Rural-to-urban Migration2019-13 Giuseppe Attanasi, Kene Boun My, Nikolaos Georgantzís & Miguel Ginés Strategic Ethics: Altruism without the Other-regarding Confound2019-14 Thierry Kirat & Frédéric Marty How Law and Economics Was Marketed in a Hostile World: L’institutionnalisation du champ aux États-Unis de l’immédiat après-guerre aux années Reagan2019-15 Agnès Festré, Ankinée Kirakozian & Mira Toumi La menace est plus forte que l’exécution, mais pas pour tous : sanction versus recommandation par un tiers dans une expérience de bien public2019-16 Nicolas Brisset, Raphaël Fèvre & Tom Juille Les années noires de la “Science de l’Homme”: François Perroux, la Fondation Carrel et l’appropriation de la sociologie2019-17 Romain Plassard From Disequilibrium to Equilibrium Macroeconomics: Barro and Grossman’s Trade-off between Rigor and Realism2019-18 Christophe Charlier, Gilles Guerassimoff, Ankinée Kirakozian & Sandrine Selosse Under Pressure! Nudging Electricity Consumption within Firms: Feedback from a Field Experiment

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2019-19 Nicolas Brisset & Raphaël Fèvre Prendre la parole sous l’État français: le cas de François Perroux2019-20 Giuseppe Attanasi, Ylenia Curci, Patrick Llerena & Giulia Urso Intrinsic vs. Extrinsic Motivators on Creative Collaboration: The Effect of Sharing Rewards2019-21 Giuseppe Attanasi, Ylenia Curci, Patrick Llerena, Adriana Carolina Pinate & Giulia Urso Looking at Creativity from East to West: Risk Taking and Intrinsic Motivation in Socially and Culturally Diverse Countries2019-22 Nobuyuki Hanaki Cognitive Ability and Observed Behavior in Laboratory Experiments: Implications for Macroeconomic Theory2019-23 Dongshuang Hou, Aymeric Lardon, Panfei Sun & Genjiu Xu Sharing a Polluted River under Waste Flow Control2019-24 Sothearath Seang & Dominique Torre Proof of Work and Proof of Stake Consensus Protocols: A Blockchain Application for Local Complementary Currencies2019-25 Paige Clayton, Maryann Feldman & Benjamin Montmartin Funding Emerging Ecosystems2019-26 Frédéric Marty Quels impacts des règles relatives à la protection des données sur la concurrence entre plateformes infonuagiques, industrielles et immobilières?2019-27 Giuseppe Attanasi, Roberta Dessi, Frédéric Moisan & Donald Robertson Public Goods and Future Audiences: Acting as Role Models?2019-28 Ludovic Ragni Note sur la conception de la science chez Cournot et Walras : critique et filiation au regard de la philosophie d’Etienne Vacherot2019-29 Thomas Le Texier & Ludovic Ragni Concurrence ‘hybride’, innovation et régulation : un modèle de duopole2019-30 Mattia Guerini, Duc Thi Luu & Mauro Napoletano Synchronization Patterns in the European Union2019-31 Richard Arena La théorie économique est-elle encore utile ?2019-32 Richard Arena Is still to-day the Study of the “Surplus Product” the True Object of Economics?2019-33 Richard Arena & Katia Caldari Léon Walras and Alfred Marshall: Microeconomic Rational Choice or Human and Social Nature?2019-34 Maya El Hourani & Gérard Mondello The Impact of Bank Capital and Institutional Quality on Lending: Empirical Evidence from the MENA Region2019-35 Jean-Luc Gaffard Le devenir du libéralisme