LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

25
______________________________ Droit 21 - http://www.droit21.com Date de mise en ligne : 15 février 2001 Nom du document : er20010215 Référence : Dr. 21, 2001, ER 012 Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernier alinéa du code de commerce », Dr. 21, 2001, ER 012 Copyright Transactive 2000-2001 LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D’ASSOCIÉ(S) FONDÉE SUR L’ARTICLE L. 227-9, DERNIER ALINÉA, DU CODE DE COMMERCE Paul LE CANNU Professeur à l'Université de Paris I, Directeur de l’UFR de droit des affaires 1. L’état de grâce de la SAS . - Le thème du contentieux de la SAS peut paraître hardi, alors que ce type de société n’a provoqué jusqu’ici qu’un très faible nombre de litiges. A s’en tenir aux revues juridiques, seules sont d’ores et déjà apparues des questions relatives à l’application du droit de la société anonyme lors de la transformation en SAS (1). Il existe pourtant potentiellement bien d’autres domaines dans lesquels la SAS peut donner lieu à contentieux. 2. Des sociétés plus ou moins conflictuelles. - Les raisons de telles difficultés ne manquent pas, mais il est indispensable de marquer d’entrée qu’elles se produiront plus facilement dans certaines situations. On peut en effet subodorer qu’une SAS unipersonnelle ne présente guère de danger contentieux, tant qu’elle est in bonis (2), qu’elle reste unipersonnelle, et qu’elle n’est pas vendue ou absorbée (3). L’unité d’intérêt qui caractérise son actionnariat paraît la préserver des sources les plus courantes de litigation, encore que, par exemple, l’on puisse probablement poursuivre son président (4) pour abus de biens sociaux, comme le gérant d’une EURL (5). 3. De la liberté de stipuler au risque d’exécution . - Ce sont essentiellement les situations de diversité d’intérêts qui risquent de produire du contentieux dans et autour de la SAS. Mais ce terreau n’a rien de spécifique à la SAS. Les éléments caractéristiques relèvent ici d’autres phénomènes : d’une part, les statuts de la SAS peuvent et doivent contenir nombre de clauses particulières (6), ce qui peut rendre nécessaire de les interpréter et de combler leurs lacunes ; (1) Pour des arrêts écartant l’exigence ‘un commissaire à la transformation (art. 72-1, loi de 1966, devenu art. L. 224-4, n. c. com.) : CA Paris, 3 e ch. C, 26 mai 2000 : Bull. Joly, oct. 2000, p. 971, § 247, note A. Couret ; D. 2000, AJ, 333, obs. A. Lienhard ; 29 sept. 2000 : D. 2000, AJ, 416, obs. A. Lienhard ; Bull. Joly, janv. 2001, p. 59, § 18, note A. Couret. (2) Naturellement, gare à la liquidation judiciaire et à l’application de l’article 1844-5 du code civil, et attention à la confusion des patrimoines… (3) Son ou ses nouveaux associés et dirigeants peuvent en effet « remonter » dans le temps pour dénicher des irrégularités qui permettent d’obtenir des sanctions à l’égard du ou des anciens dirigeants, voire de l’ancien associé. (4) C’est à dire le président personne physique, ou les dirigeants de la personne morale présidente (art. L. 227-7). La personne morale présidente n’est pas elle-même responsable pénalement (J. Paillusseau, SAS, la non- responsabilité pénale des dirigeants personnes morales : D. 2001, CDA, p. 221. (5) Cass. crim. 14 juin 1993 : Bull. crim. n°208, p. 526 ; Bull. Joly 1993, 1139, § 337, note B. Saintourens ; Rev. sociétés 1994, 90, note B. Bouloc. (6) Souvent complétées par des pactes ; v. not. Ph. Brunswick, SAS et capital investissement : vers la fin des pactes d’actionnaires extra-statutaires ? D. 2000, 595.

Transcript of LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Page 1: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DESDÉCISIONS D’ASSOCIÉ(S) FONDÉE SUR L’ARTICLE

L. 227-9, DERNIER ALINÉA, DU CODE DE COMMERCE

Paul LE CANNUProfesseur à l'Université de Paris I,

Directeur de l’UFR de droit des affaires

1. L’état de grâce de la SAS. - Le thème du contentieux de la SAS peut paraître hardi, alorsque ce type de société n’a provoqué jusqu’ici qu’un très faible nombre de litiges. A s’en teniraux revues juridiques, seules sont d’ores et déjà apparues des questions relatives àl’application du droit de la société anonyme lors de la transformation en SAS (1). Il existepourtant potentiellement bien d’autres domaines dans lesquels la SAS peut donner lieu àcontentieux.

2. Des sociétés plus ou moins conflictuelles. - Les raisons de telles difficultés ne manquentpas, mais il est indispensable de marquer d’entrée qu’elles se produiront plus facilement danscertaines situations. On peut en effet subodorer qu’une SAS unipersonnelle ne présente guèrede danger contentieux, tant qu’elle est in bonis (2), qu’elle reste unipersonnelle, et qu’ellen’est pas vendue ou absorbée (3). L’unité d’intérêt qui caractérise son actionnariat paraît lapréserver des sources les plus courantes de litigation, encore que, par exemple, l’on puisseprobablement poursuivre son président (4) pour abus de biens sociaux, comme le gérant d’uneEURL (5).

3. De la liberté de stipuler au risque d’exécution. - Ce sont essentiellement les situations dediversité d’intérêts qui risquent de produire du contentieux dans et autour de la SAS. Mais ceterreau n’a rien de spécifique à la SAS. Les éléments caractéristiques relèvent ici d’autresphénomènes : d’une part, les statuts de la SAS peuvent et doivent contenir nombre de clausesparticulières (6), ce qui peut rendre nécessaire de les interpréter et de combler leurs lacunes ; (1) Pour des arrêts écartant l’exigence ‘un commissaire à la transformation (art. 72-1, loi de 1966, devenu art. L.224-4, n. c. com.) : CA Paris, 3e ch. C, 26 mai 2000 : Bull. Joly, oct. 2000, p. 971, § 247, note A. Couret ; D.2000, AJ, 333, obs. A. Lienhard ; 29 sept. 2000 : D. 2000, AJ, 416, obs. A. Lienhard ; Bull. Joly, janv. 2001, p.59, § 18, note A. Couret.(2) Naturellement, gare à la liquidation judiciaire et à l’application de l’article 1844-5 du code civil, et attention àla confusion des patrimoines…(3) Son ou ses nouveaux associés et dirigeants peuvent en effet « remonter » dans le temps pour dénicher desirrégularités qui permettent d’obtenir des sanctions à l’égard du ou des anciens dirigeants, voire de l’ancienassocié.(4) C’est à dire le président personne physique, ou les dirigeants de la personne morale présidente (art. L. 227-7).La personne morale présidente n’est pas elle-même responsable pénalement (J. Paillusseau, SAS, la non-responsabilité pénale des dirigeants personnes morales : D. 2001, CDA, p. 221.(5) Cass. crim. 14 juin 1993 : Bull. crim. n°208, p. 526 ; Bull. Joly 1993, 1139, § 337, note B. Saintourens ; Rev.sociétés 1994, 90, note B. Bouloc.(6) Souvent complétées par des pactes ; v. not. Ph. Brunswick, SAS et capital investissement : vers la fin despactes d’actionnaires extra-statutaires ? D. 2000, 595.

Page 2: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

2

d’autre part, les règles de fonctionnement de la SAS peuvent, si les associés y ont consenti,revêtir une nature inégalitaire bien plus forte que dans les autres sociétés ; et la protection quela loi accorde aux associés d’une telle société revêt un caractère minimaliste, potentiellementpréjudiciable à ceux qui n’ont pas pu ou su négocier des droits « politiques ».

4. Une direction potentiellement très autonome . - A ces facteurs de risque s’ajoutent lesparticularités de la direction des SAS. Les pouvoirs, l’organisation, le statut des dirigeantslaissent place à de nombreuses possibilités (7), et donc à des contentieux par nature plusvariés que ceux qui affectent les dirigeants de société anonyme ou les gérants de SARL. Parexemple, le décalage possible entre le pouvoir de gestion et la détention du capital peut fairenaître des pulsions contentieuses devant le mur statutaire et contractuel qui s’oppose auxrectifications voulues par les associés ou certains d’entre eux. A l’inverse, le président ou lesdirigeants qui seraient très encadrés pourraient eux aussi se rebeller contre un dispositif peuconforme aux nécessités de la gestion.

5. L’article L. 227-9, dernier alinéa. - Dans ce contexte, seront évoquées diverses situationscontentieuses, mais sans exhaustivité, car présomptueux serait celui qui prétendrait dired’avance où peut prendre le feu.

Lors de cette première étude, une nouveauté législative de 1999 (8) va être examinée. C’est eneffet la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 qui a ajouté à ce qui était à l’époque l’article 262-10de la loi de 1966, et qui est devenu depuis l’article L. 227-9 du n. c. com., un alinéa ainsirédigé : « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent êtreannulées à la demande de tout intéressé. »

6. Deux ensembles différents. - On ne peut manquer de relever la différence de philosophiequi sépare la SAS d’une part, et le système de nullité applicable en matière de société, d’autrepart. Alors que la première jouit d’une grande liberté, le second est marqué par son caractèreimpératif. Il s’agit d’ailleurs de déterminer la réaction du droit objectif en présence decomportements individuels ou collectifs jugés inacceptables. Toutefois, cette opposition nedoit pas être exagérée. D’abord, la liberté contractuelle peut intervenir à différents stades duprocessus qui mène à l’annulation d’un acte. La théorie des nullités, même en matière d’actesd’organes sociaux, n’est pas un bunker impénétrable. Ensuite, la SAS n’est pas seulementconstruite sur la liberté contractuelle. Pour tenir debout, elle a besoin, elle aussi, de principesfermes, dont l’ordre juridique doit assurer le respect. L’article L. 227-9, dernier alinéa, tentedonc une synthèse subtile entre l’impératif et le supplétif, entre l’ordre et la liberté, parce quechacun a besoin de l’autre.

7. Les normes sanctionnées. - Pour saisir le sens de cette disposition, il faut naturellementregarder quels commandements porte l’article en cause. Deux sortes de questions biendistinctes sont évoquées dans le texte.

(7)M. Germain, Les clauses relatives au fonctionnement de la société : Cah. dr. entr. 1994/2, p. 11 ; P. LeCannu, Un nouveau lieu de savoir-faire contractuel : la Société par Actions Simplifiée (SAS) : Defrénois nov.1994, p. 1345.(8) V. M. Storck, Les associés de la SAS : Petites Affiches, 15 sept. 2000, n° 185, p. 42 ; P. Le Cannu, SAS :Indications et contre-indications, même revue, p. 7.

Page 3: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

3

Les deux premiers alinéas visent les décisions collectives ; ils énoncent :- « Les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises

collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ilsprévoient. »

- « Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées généralesextraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matièred'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, descission, de dissolution, de nomination de commissaires aux comptes, decomptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par lesstatuts, exercées collectivement par les associés. »

Quant à l'alinéa 3, il traite des décisions d’associé unique : « Dans les sociétés ne comprenantqu'un seul associé, le rapport de gestion, les comptes annuels et le cas échéant les comptesconsolidés sont arrêtés par le président. L'associé unique approuve les comptes, après rapportdu commissaire aux comptes, dans le délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice.L'associé unique ne peut déléguer ses pouvoirs. Ses décisions sont répertoriées dans unregistre. »

Il semble donc opportun, si ce n’est parfaitement pertinent, de reprendre l’architecture légaleet de distinguer la nullité des décisions collectives d’une part, et celle des décisions d’associéunique, d’autre part. Comme on l’a dit, la source et l’ambiance contentieuse serontgénéralement bien différentes dans les sociétés qui comptent au moins deux associés, et danscelles qui n’en ont qu’un seul. Cependant, le tronc commun aux deux situations porte surl’essentiel : la répartition des pouvoirs et le régime de la nullité. Il emprunte largement audroit commun des nullités d’actes et délibérations d’organe social, avec lequel il se combinede manière variée, par exception ou par illustration.

Les SAS étant souvent des sociétés qui ne comptent que peu d’associés, et la situation de bi-personnalité y étant relativement fréquente (9), la nullité d’une décision peut apparaîtrecomme un mal nécessaire pour sortir de certains blocages. Mais il n’échappe pas non plusqu’elle peut elle-même entretenir les blocages, ce qui, aussi, laisse augurer d’unejurisprudence complexe.

I. La nullité des décisions collectivesII. La nullité des décisions d’associé unique

I. La nullité des décisions collectives

8. Notion de décision collective. - La notion de « décision collective » n’est explicitementprésente dans le code de commerce qu’à l’article L. 227-1, qui, dans le contexte de la SAS,l’oppose aux « décisions d’associé unique ». Encore n’est-elle apparue qu’avec la loi du 12

(9) V. L. Le Floc’h-Dessertine, La société bi-personnelle, thèse Bordeaux, dactyl., déc. 2000.

Page 4: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

4

juillet 1999. Pourtant, elle préexistait à la SAS, car elle convient dans tous les cas où lesassociés d’une société participent à une décision sociale, sans participer à une assemblée (10).Elle se caractérise essentiellement par des procédés d’élaboration et de rencontre des volontésqui ne nécessitent pas forcément la présence ou la représentation des associés en un mêmelieu et en un temps donné. Toutefois, même en l’absence d’assemblée, la décision, collectivedans sa formation puisque les associés doivent être mis en mesure d’y prendre part, reste unedécision de la société, c'est à dire un acte guidé par le seul intérêt de la société. L’ensembledes associés forment donc dans ce cas l’organe social compétent pour prendre certainesdécisions au nom de la société, sans que cet organe prenne nécessairement la forme d’uneassemblée.

9. Questions traitées. - L’introduction d’une disposition explicite en 1999, brandissant lasanction de l’annulation à l’égard des décisions collectives de SAS, suscite une premièrequestion. En effet, on pouvait penser dès 1994 que, s’agissant des décisions collectives,l’article 360 de la loi de 1966 (devenu depuis art. L. 235-1 n. c. com.) pouvait sanctionner lestermes apparemment impératifs de la répartition des matières (11). L’innovation était-elledonc nécessaire (A) ? Dans l’affirmative, la compréhension de la disposition appelle unedétermination des causes d’annulation (B), et du régime de la nullité (C).

A. L’innovation due à la loi du 12 juillet 1999 était-elle nécessaire ?

10. Nature impérative des règles de fond de l’ancien article 262-10. - La nature impérativede l’ancien article 262-10 pouvait certes être discutée, faute d’indication précise dans le textede cet article. Toutefois, la substance de la disposition ne laissait guère de doute (12). Eneffet, ce texte avait pour but de définir le minimum incompressible de la compétencereconnue collectivement aux associés de SAS, et donc du droit individuel de participer à lagestion de la société. Dans un environnement de grande liberté, la loi du 3 janvier 1994 avaitcréé là un îlot de résistance qui, par nature, ne pouvait être facultatif ; une autre lecture auraitabouti à la possibilité de supprimer tout droit pour un associé de participer aux décisionssociales. Or cette interprétation distinguerait la SAS de toutes les autres sociétés, alors qu’elleest elle aussi soumise au principe posé par l’article 1844, alinéa 1er, du code civil (« toutassocié a le droit de participer aux décisions collectives »), et que ce droit résulte de l’affectio

(10) La section III du chapitre consacré par le code civil à la société civile est intitulée « décisions collectives » ;les art. 1853 et 1854 de ce code envisagent deux modes de décision collective autres que l’assemblée : laconsultation écrite et l’acte unanime. Ces techniques sont également présentes dans les sociétés commerciales,parfois depuis peu de temps, ce qui montre un certain déclin des assemblées ; V., dans le code de commerce, art.L. 221-6 (consultation écrite des associés en nom), L. 222-5 (décisions d’associés dans les société encommandite simple, selon les « conditions fixées par les statuts », la réunion d’une assemblée de tous lesassociés étant de droit si elle demandée par un commandité ou par le quart en nombre et en capital descommanditaires), L. 223-27 (consultation écrite et acte unanime dans les SARL). La société anonyme seratouchée à son tour si les conseils et les assemblées peuvent se tenir par visio-conférence.(11) V. cependant P.-L. Périn, La société par actions simplifiée. L’organisation des pouvoirs, Joly éd., 2000, n°117 et s. ; mais l’opinion de l’auteur est nuancée : v. n° 125.(12) En ce sens : M. Jeantin, Les associés de la SAS : Rev. sociétés 1994, p. 223, spé. n° 43 ; M. Germain, LaSociété par Actions Simplifiée (SAS) : JCP éd. E, 1994, I, 341.

Page 5: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

5

societatis, élément caractéristique de la société encore reconnu par la majorité de la doctrineet par la jurisprudence.

La référence à ces textes n’est pas sans valeur en matière de sanction, puisque la violation del’article 1832 est susceptible d’entraîner l’annulation de la société elle-même, alors que cellede l’article 1844, alinéa 1er, norme explicitement impérative (13), suscite l’application del’article 1844-10, alinéa 2 (« Toute clause statutaire contraire à une disposition impérative duprésent titre, dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée nonécrite. »), qui permet l’annulation des décisions sociales contraires.

11. Décisions collectives par la volonté des associés. - Certes, les concepteurs de la loi de1994 avaient subtilement agencé le dispositif de l’article 262-10, puisqu’il permet auxassociés de définir eux-mêmes la liste des décisions collectives. La notion de décisioncollective n’a donc pas en principe un contenu objectif, elle dépend des choix des rédacteursdes statuts. L'alinéa 2 du texte prend tout son sens en opposition à ce principe de liberté : la loiintervient pour situer la compétence obligatoire des associés, ce qui dispense de s’interrogertrop souvent sur la portée des articles 1832 et 1844 du code civil en matière de SAS.

12. Au delà de l’article L. 235-1 ? - Dans ces conditions, qu’apporte le nouvel alinéa final dutexte examiné, en présence de l’article L. 235-1 (14) ? On sait que ce texte distingue deuxdomaines de nullité : celui de la société elle-même, auquel il assimile les modification destatuts (1°), et celui des actes et délibérations des organes sociaux (2°).

1°. Nullité des modifications de statuts.

13. Disposition « expresse » du Livre II. - S’agissant des modifications de statuts, l’articleL. 235-1 n’admet d’annulation que si une disposition « expresse » du livre II du code de (13) L'alinéa 4 de l’article 1844 dispose : « Les statuts peuvent déroger aux dispositions des deux alinéas quiprécèdent. » Il en résulte que l’on ne peut déroger à l'alinéa 1er. La Cour de cassation a adopté ce point de vuedans des arrêts célèbres (Cass. com. 4 janv. 1994, Quot. jur. 1994, n°10, p. 4, note P.M. ; Dr. sociétés mars 1994,n°45, note Th. Bonneau ; Bull. Joly, 1994. 249. § 62, chron. J.-J. Daigre ; Defrénois 1994. 556, obs. P. Le Cannu; JCP éd. E 1994. I. 363, obs. Viandier et Caussain, n°4 ; 1994. panor. 131, obs. A. Guengant ; Rev. sociétés1994, 278, note M. Lecène-Marénaud ; RTD civ. 1994, 644, obs. F. Zénati ; Cass. civ. 3e, 21 oct. 1998, Angeli c.SCI Domaine de Grignon : Bull. Joly, 1999, p. 107, § 24, note L. Grosclaude ; Defrénois 1999, 1192, obs. J.Honorat ; JCP éd. E, 1999, 86, note Y. Guyon ; Dr. sociétés 1999, n° 10, obs. Th. Bonneau ; Lamy sociétéscommerciales, maj fév. 1999, note L. Merland ; Petites Affiches, 11 mars 1999, n°50 ; v. rapp. C. Daum, RJDA12/1998, p. 993 ; P. Le Cannu, Nullités et participation des associés aux décisions collectives : RJDA 12/1998, p.967 ; Cass. com. 9 févr. 1999 : JCP éd. N, 1999, p. 417 ; Rev. sociétés 1999, 79, note P. Le Cannu ; JCP éd. E,1999, 724, note Y. Guyon ; JCP éd. G , 1999, II, 10168, note Blanc ; RJ com. mai 1999, note J.-Ph. Dom ; Bull.Joly, mai 1999, p. 566, § 122, note J.-J. Daigre ; D. aff. 1999, n° 155, p. 563, obs. M.B. ; Defrénois 1999, 625,obs. H. Hovasse ; RTD com. 1999, 902, obs. Y. Reinhard.(14) « La nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse duprésent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilitélimitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d'un vice de consentement ni del'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs. La nullité de la société ne peut non plusrésulter des clauses prohibées par l'article 1844-1 du code civil. » « La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent [c’est à dire ne modifiant pas lesstatuts] ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissentles contrats ».

Page 6: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

6

commerce, ou des lois qui régissent la validité des contrats, a été violée. Cette exigence setrouve d’ailleurs, pour les nullités de société, en deçà de celles qu’arrête la première directivede droit des sociétés du 9 mars 1968 . Mais cette directive ne concerne pas elle-même lesmodifications de statuts – sans doute parce que la plupart d’entre elles n’ont pas d’effet surl’existence de la personnalité juridique de la société (art. 1844-3, in fine, du code civil).

L’article L. 227-9 constitue-t-il l’un des textes qui permettent de justifier l’annulation d’unedécision modificative des statuts ? On peut le penser. En effet, les modifications de statutsrelèvent, selon les principes du droit commun des sociétés, de la compétence des associés.L’article 1836 du code civil énonce que « les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut declause contraire, que par l'accord unanime des associés. » De plus, l'alinéa 2 de l’article L.277-9 du code de commerce vise un certain nombre de décisions qui ont la nature d’unemodification de statuts. Et, puisque ce texte ne les vise pas toutes, les statuts peuvent placerles autres modifications de statuts dans la liste des décisions collectives ; ils ont d’ailleurs toutintérêt à stipuler sur cette question, parce que, sinon, l’unanimité sera exigée, en raison destermes de l’article 1836 qui viennent d’être cités.

Autrement dit, l’article L. 227-9 ne déroge pas à l’article L. 235-1, alinéa 1er, mais il constitueune application du principe contenu dans ce texte. Les modifications de statuts décidéescontrairement aux règles de l’article L. 227-9 peuvent donc être annulées.

14. Validité des clauses statutaires. - Le dernier alinéa de l’article L. 227-9 ne vise que les« décisions ». Il en résulte qu’il ne traite pas directement de la validité des clauses statutaires– qui sont à distinguer de la décision qui les crée. Sont donc renvoyés à une autre étude lesproblèmes que posent l’absence, la rédaction lacunaire ou les contradictions des clauses destatuts de SAS. D’ailleurs, ce phénomène ne se limite pas aux clauses qui doivent déterminerquelles sont les décisions collectives ou les décisions d’associé unique, et dans quelles formeset conditions elles doivent être prises. Il concerne plus généralement les cas où les statuts deSAS doivent, en vertu de la loi, comporter telle ou telle clause, et où ces clauses sontinexistantes ou mal conçues. Cela va conduire à ne pas évoquer, dans les développements quivont suivre, la sanction du non-respect des dispositions de l'alinéa premier de l’article L. 227-9 par les statuts eux-mêmes, et à concentrer l’attention sur les décisions d’associé(s).

2°. Nullité des autres décisions collectives.

15. Changement de système ? - L'alinéa 2 de l’article L. 235-1 limite les nullités des actes nemodifiant pas les statuts aux violations des dispositions impératives du livre II du code decommerce, ou des lois qui régissent les contrats . Une première question se pose désormais :la nullité spécifiée à l’article L. 227-9 est-elle susceptible de sanctionner des conséquences dela règle qui n’ont pas une nature impérative (a) ? Deuxième question : l’autre condition poséepar l’article L. 235-1 (violation d’une disposition « du présent livre ») disparaît-elle, ou est-elle tout simplement satisfaite par l’article L. 227-9 lui-même (b) ?

a. La violation des règles n’ayant pas une nature impérative.

16. Règles à facettes. - Le raisonnement peut paraître curieux dans une société marquée par laliberté contractuelle… Il ne relève pourtant pas de l’invraisemblable. En effet, la norme

Page 7: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

7

exprimée par l'alinéa 2 de l’article L. 227-9 renvoie à d’autres textes du code de commercequi envisagent des facultés. Et l’on connaît la difficulté de déterminer le caractère impératifdes textes du droit des sociétés (15).

En se fixant sur « les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires etordinaires des sociétés anonymes », l'alinéa 2 de l’article L. 227-9 fait intervenir des règlesassurément impératives, et d’autres qui le sont moins. Prenons l’exemple de l’article L. 225-129 (ex-art. 180 de la loi de 1966) ; le I de ce texte réserve de façon nettement impérative (16)à l’assemblée générale extraordinaire le pouvoir de décider une augmentation de capital ; maisil contient aussi des règles d’apparence facultative. Or cette dernière catégorie rassemble desespèces bien différentes, comme celle qui permet à l’assemblée générale extraordinaire dedéterminer elle-même les modalités de réalisation des augmentations de capital, ou celle quilui permet décider que les droits formant rompus ne sont pas négociables.

Dans le premier cas, en effet, l’assemblée générale extraordinaire peut retenir sa compétenceau lieu de la déléguer au conseil d’administration ou au directoire, ce qui appliqué à la SAS,se traduit par une décision collective de délégation à l’organe déterminé dans les statuts, ou, àdéfaut, au président (art. L. 227-1, dernier alinéa). La règle n’est impérative que d’un seulcôté : seule l’assemblée générale extraordinaire peut déléguer à l’organe de gestion le pouvoirde déterminer les modalités de l’augmentation de capital dont le principe a été arrêté. Mais lapossibilité même de délégation n’apparaît pas comme impérative.

En revanche, dans le second cas, c’est une compétence exclusive qui est reconnue àl’assemblée générale extraordinaire ; simplement, celle-ci n’est pas obligée d’en user. On peuten déduire que seule, une décision collective peut ôter leur caractère négociable aux droitsformant rompus lors d’une augmentation de capital. La nullité entache donc une décision dece genre si elle est prise par un autre organe ou une autre personne.

17. L’octroi d’une faculté et l’exercice de la faculté. - On voit que, dans ces exemples, l’onreste dans la problématique habituelle de la détermination des pouvoirs : s’il existe unefaculté, son exercice ne peut par construction être sanctionné. Cependant, il se peut que lafaculté ouverte soit limitée ; par exemple, la délégation ne peut être donnée qu’à tel organe.L’exercice du pouvoir en question par un autre organe pourra donc paraître contraire à unedisposition impérative… En outre, la négation d’une faculté peut elle aussi constituer uneviolation d’une règle impérative.

b. L’intégration de la norme de référence exigée par l’article L. 235-1

(15) V. récemment sur cette question, L. Grosclaude, Le renouvellement des sanctions en droit des sociétés,thèse Paris I, 1997 ; L. Bornhauser-Mitrani, La violation d'une clause statutaire : Petites Affiches, 8 avr. 1998, n°42, p. 11 ; S. Grouchko-Schiller, Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés. Les « connexionsradicales », thèse Paris II, 1999 ; d ir. F. Terré ; et également : D. Grillet-Ponton, La méconnaissance d'une règleimpérative de la loi, cause de nullité des actes et délibérations des organes de la société, Rev. sociétés 1984, 55 ;J.-P. Legros, La nullité des décisions de société, Rev. sociétés 1991, 275.(16) Si l’on avait un doute, l’article L. 225-129, VII, dispose : « Les décisions prises en violation des dispositionsdu présent article sont nulles ».

Page 8: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

8

18. D’où viennent les causes de nullité ? - L’utilité du dernier alinéa de l’article L. 227-9paraîtra d’autant plus claire si l’on peut affirmer que « la violation des dispositions du présentarticle » peut comprendre la violation de normes résultant des statuts ou des décisionsprécédentes des organes sociaux, voire des dispositions des textes extérieurs au livre II ducode de commerce, au delà de celles qui régissent la validité des contrats.

On sait que la jurisprudence applique avec une certaine sévérité la règle selon laquelle seulesles dispositions du code civil ou du code de commerce sont seules sanctionnées par la nullité,à la différence des règles posées par les statuts (17), voire par les décisions d’organe social.Cette rigueur est-elle modifiée par les termes de l’article L. 227-9 ?

19. Interprétation stricte. - Dans une vision étroite, seules les règles légales figurant dansl’article L. 227-9 seraient susceptibles d’être sanctionnées par la nullité. Dans la mesure oùces dispositions renvoient aux statuts de la société, on peut soutenir que la disposition légalen’est sanctionnable qu’en ce qu’elle affirme la compétence statutaire. Cette interprétationpourrait être appuyée par le désir d’affirmer que la SAS est avant tout la chose des associés, etqu’il faut donc éviter le recours au juge, et donc limiter les causes de nullité.

20. Interprétation plus large. - On sent toutefois que cette argumentation n’est passatisfaisante (18). D’abord, il semble que ce soit la totalité du dispositif de l’article L. 227-9qui soit embrassée par le risque d’annulation – même si cela ne vise que les « décisions ». Dèslors, la répartition des attributions entre organes sociaux n’est pas seule en cause : la forme etla substance des règles édictées pour la prise des décisions collectives ou des décisionsd’associé unique sont régies par le texte. Or ce dernier fait bien partie du Livre II du code decommerce…

L’article L. 227-9 manifeste donc une sorte d’intégration volontaire, par la loi, de la normestatutaire ; dans la mesure où celle-ci peut être regardée comme impérative, elle peut remplirles conditions posées par l’article L. 227-9.

Enfin, plus généralement, on peut penser que la « contractualisation » manifestée par le droitde la SAS n’exclut pas, bien au contraire, l’intervention judiciaire. En effet, nul ne dira que lecontrat est par nature un instrument dont les troubles d’exécution doivent être hors de portéedu juge. Au contraire, les litiges relatifs à l’interprétation, l’exécution et la terminaison descontrats viennent par nature à la connaissance du juge ou de l’arbitre. L’idée selon laquellel’appréciation de l’opportunité de la gestion doit être réservée aux organes sociaux semblemême devoir céder du terrain en matière de SAS, en raison du caractère « plus contractuel »de celle-ci. D’ailleurs, l’étendue considérable de la compétence statutaire ferait de la SAS unlieu de non-droit si les stipulations de ces statuts ne pouvaient être efficacement sanctionnées.Or la responsabilité des dirigeants se heurte dans le droit positif à de tels obstacles qu’elle ne

(17) Cf. dernièrement : Cass. civ. 3e, 19 juillet 2000 : Bull. Joly, janv. 2001, p. 70, § 21, note L. Grosclaude ;comp. J.-P. Legros, La violation des statuts est-elle une cause de nullité ? Dr. sociétés avr. 1991, p. 1 ; v. aussiles analyses plus nuancées de Mme Bornhauser-Mitrani, art. précité.(18) Déjà, dans la version initiale de la SAS, les meilleurs auteurs s’interrogeaient sur l’absence de sanction desstipulations statutaires : M. Germain, Les clauses relatives au fonctionnement de la société : Cah. dr. entr.1994/2, p. 11.

Page 9: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

9

peut être vue comme une garantie de justice vraiment satisfaisante pour les victimes d’actesirréguliers, de nature à remplacer la nullité des décisions irrégulières.

21. Utilité réelle de l’article L. 227-9, dernier alinéa. - L’article L. 227-9, dernier alinéa,peut donc être vu comme revêtant une réelle utilité s’il permet de lever les obstacles mis auxnullités par l’article L. 235-1, alinéa 2, qu’il s’attache à mettre en œuvre à propos de lamajorité des règles de prise de décision. Or il faut toujours veiller à interpréter une dispositionde façon à ce qu’elle produise un effet (19). On ne peut se cacher cependant qu’il en résultedavantage de risques contentieux, ce que l’évocation des causes de nullité rend aisémentperceptible.

B. Les causes d’annulation des actes contraires à l’article L. 227-9, alinéa 1 et2.

22. Pouvoirs et processus . - Le message essentiel de l’article L. 227-9 consiste à déterminerla compétence collective des associés (1°). Il doit être complété, dans la conception extensivequi vient d’être présentée, par des règles statutaires relatives à la forme et aux conditions desdécisions collectives (2°).

1°. La violation des règles relatives à la compétence collective des associés.

23. Décisions légalement collectives. - L'alinéa 2 de l’article L. 227-9 détermine desdomaines dans lesquels des décisions collectives doivent nécessairement intervenir (20). Laliste paraît limitative, même si sa composition ne semble pas parfaitement rationnelle. Eneffet, n’y figurent pas les modifications de statuts en général, et, parmi les modifications destatuts importantes, la transformation est absente de la liste (21). Pourtant, d’autres décisions,qui n’ont pas le même impact juridique qu’une modification des statuts (décisions rendues enmatière de nomination des commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices)font partie du minimum imposé. On peut entendre qu’il est question de protéger les associésdans leurs prérogatives essentielles, mais cet objectif aurait pu amener d’autres réponses.

a. Les décisions nécessairement collectives d’après l’article L. 227-9.

24. Risques des renvois de texte : mouvements du capital . - La liste pose en elle-mêmequelques problèmes d’interprétation. Les premiers tiennent au fait que les assemblées (19) Cette directive est affirmée, on le sait, par l’article 1157 du code civil en matière d’interprétation descontrats : « Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel ellepeut avoir quelque effet que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun. »(20) V. notamment A. Charvériat et A. Couret, Société par actions simplifiée, éd. Francis Lefebvre, 1999, n°1300 et s. ; P.-L. Périn, ouvr. précité, n° 417 et s. ; J.-J. Daigre, Les décisions collectives, in Société par actionssimplifiée, ouvr. collectif sous la direction d’A. Couret et P. Le Cannu, GLN-Joly éd., 1994, p. 37, n° 57 et s.(21) J.-J. Daigre, art. précité ; une transformation qui comporte une augmentation des engagements, ou unemodification d’une des clauses visées par l’article L. 227-19, nécessite une décision unanime. De plus, latransformation en tel ou tel type de société pour lequel la loi exige une majorité qualifiée peut être vue commeune décision nécessairement collective, car l’entrée dans le nouveau type de société répond déjà aux règlespropres à ce type.

Page 10: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

10

d'actionnaires se voient reconnaître le pouvoir de prendre diverses décisions dans lesdomaines visés. Par exemple, en matière d’augmentation de capital, l’assemblée généraleextraordinaire est rendue compétente à diverses reprises par les articles L. 225-129 etsuivants. Ce n’est donc pas seulement sur le principe de l’augmentation de capital qu’unedécision collective est requise dans les SAS, mais aussi, notamment, sur les décisions dedélégation au président de la SAS ou à l’organe désigné par les statuts, à l’effet de réaliserune augmentation de capital, sur l’attribution des actions non souscrites à titre irréductible(art. L. 225-133), sur la suppression du droit préférentiel de souscription pour la totalité del'augmentation de capital ou pour une ou plusieurs tranches de cette augmentation (art. L.225-135), etc. Un raisonnement semblable doit être tenu en matière de réduction de capital.

25. Fusion et scission. - L’inclusion de la fusion et de scission dans la liste ne heurteévidemment pas la raison, à cause de l’importance de ce type d’opérations sur les droits tantdes associés que des tiers ; mais elle pose un problème technique, puisqu’elle crée un risquemal maîtrisé de voir contester des opérations dont le législateur, non sans de solides motifs,souhaite limiter les risques d’annulation. On pourra penser que le risque n’est par nature guèredifférent de celui qu’entraîne l’exigence, dans la société anonyme, d’une décision régulièred’assemblée générale extraordinaire. Mais les modalités de celle-ci sont très bien connues, cequi n’est pas le cas des « décisions collectives » de SAS.

La mention de la fusion et de la scission pose un problème d’interprétation redoutable (22) :faut-il décider que l’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions doit lui aussi êtredécidé par voie de décision collective ? Contre, en plus de l’absence de mention explicite, onpeut relever que cette opération ne peut mettre fin à la personnalité morale de la société, ni encréer une autre. Pour, la ratio legis consiste, dans les sociétés anonymes, à adopter le mêmemode de décision chez l’apporteuse que pour une fusion ou une scission (23) ; or c’estprécisément la question du mode de décision que tranche l’article L. 227-9.

26. Dissolution. – Il est impossible d’affirmer que toute dissolution doit résulter d’unedécision collective. En effet, la compétence des associés n’intervient qu’en matière dedissolution anticipée (art. 1844-7, 4°). Les autres causes opèrent soit de plein droit (termestatutaire, réalisation ou extinction de l’objet, clauses statutaires de dissolution), soit en raisond’une décision de justice (justes motifs, liquidation judiciaire ou cession totale des actifs).L’exigence d’une décision collective fait en tout cas planer le doute sur la validité d’uneclause statutaire qui aurait pour effet de donner à un seul associé, voire à un tiers, le pouvoirde décider la dissolution. La liberté laissée par l’article 1844-7, 8°, doit-elle l’emporter sur lagarantie donnée aux associés par l’article L. 227-9 ? Nous penchons pour la négative, dans lamesure où la cause de dissolution définie dans les statuts ne serait pas une cause objective.

27. Nomination de commissaire aux comptes. - D’autres problèmes d’interprétation del’article L. 227-9, alinéa 2, viennent de ce que le terme employé peut se prêter à uneinterprétation plus ou moins large. Ainsi, la nomination du commissaire aux comptesconcerne-t-elle seulement la première nomination, ou aussi le renouvellement ? La secondeinterprétation doit l’emporter, car, notamment, dans les autres sociétés par actions, l’article L. (22) J.-M. Chataing, L'apport partiel d'actif soumis au régime des fusions-scissions ou l'ambiguïté du renvoicontenu dans l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966 , th. Paris II, 1994.(23) En ce sens, J.-J. Daigre, art. précité, n° 65.

Page 11: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

11

225-234 (ex-art. 227-1, loi de 1966) dispose que « lorsque, à l'expiration des fonctions d'uncommissaire aux comptes, il est proposé à l'assemblée de ne pas le renouveler, le commissaireaux comptes doit être, s'il le demande, entendu par l'assemblée générale ».

28. Comptes sociaux. - Les décisions rendues en matière de comptes sociaux forment unecatégorie un peu imprécise. On peut suggérer de dire qu’elles comprennent toutes celles quisont confiées, dans la société anonyme, aux assemblées d'actionnaires, par le Chapitre IIintitulé : « Des comptes sociaux » et comprenant les articles L. 232-1 à L. 232-23. Mais cen’est un procédé limitatif, puisque d’autres textes, y compris extérieurs au livre II du code decommerce, peuvent accorder aux assemblées d'actionnaires une compétence dans le domainedes comptes sociaux. De plus, la question des bénéfices est incluse dans une section qui faitpartie du chapitre relatif aux comptes sociaux, et peut donner lieu elle aussi à des textesextérieurs. Elle implique une décision collective pour distribuer un acompte sur dividende, ouun dividende en actions (24).

b. Extension aux décisions collectives d’après d’autres textes ?

29. Textes du code de commerce. – L’article L. 227-9 n’a pas de monopole : d’autres articlesde code consacrés à la SAS impliquent des décisions collectives, même si le qualificatif estsusceptible de sens divers. Ainsi, l’article L. 227-10, alinéa 2, commande que « les associésstatuent » sur le rapport que dresser le commissaire aux comptes doit leur présenter sur lesconventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et sonprésident ou ses dirigeants. La décision est donc collective dans son élaboration et dans lamanière dont elle est prise – même si aucune règle relative au vote, au quorum, ou à lamajorité, n’est formulée par la loi.

De même, il résulte de l’article L. 227-19 que « les clauses statutaires visées aux articles L.227-13, L. 227-14, L. 227-16 et L. 227-17 ne peuvent être adoptées ou modifiées qu'àl'unanimité des associés ». L’expression diffère (les associés ne « statuent » pas, ce quisemble impliquer une délibération commune), mais elle signifie certainement que tousdoivent participer à la décision, qui ne sera prise qu’en cas d’approbation de tous ensemble oude chacun séparément (25). L’article L. 237-18, 6°, impose l’unanimité pour la nomination duliquidateur de la SAS ; mais les statuts peuvent adopter une clause « contraire » ; il en va demême pour certaines décisions collectives prises durant la liquidation (26). L’unanimitéenvisagée par l’article L. 237-6 est moins évidente, le président et les directeurs de la SAS nefaisant pas formellement partie de la liste des personnes qui ne peuvent acquérir, sansconsentement unanime des associés, l’actif d’une société en liquidation ; mais la ratio legismilite en faveur d’une extension de la règle à ces personnes.

(24) En ce sens, P.-L. Périn, ouvr. précité, n° 433.(25) Sinon, on aurait écrit : « … que par une décision collective unanime ».(26) Selon la lettre de l’article L. 237-25, il s’agit de « l'assemblée des associés qui statue sur les comptesannuels, donne les autorisations nécessaires et éventuellement renouvelle le mandat des contrôleurs,commissaires aux comptes ou membres du conseil de surveillance » ; selon l’article L. 237-27, ces décisions sontprises « 3° Sauf clause contraire, à l'unanimité des associés, dans les sociétés par actions simplifiée ».

Page 12: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

12

Par ailleurs, en dehors des dispositions spécifiquement consacrées à la SAS, il existe d’autrescas d’unanimité qui postulent un caractère collectif ; on peut citer l’article L. 236-5, qui exigeune décision unanime en cas de fusion entraînant pour les associés une augmentation desengagements.

30. Textes extérieurs au code de commerce. – Des principes du droit des sociétés, affirmésdans le code civil depuis 1978, ont pour conséquence l’exigence d’une décision collective. Ilen va certainement ainsi de la règle posée par l’article 1836, et déjà évoquée : en droitcommun, les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que par l'accordunanime des associés.

Cette règle n’est pas facile à interpréter. Dans son aspect supplétif, il est certain qu’elle exigeune décision collective, parce qu’unanime. Mais quelles stipulations les statuts peuvent-ilsadopter dans ce domaine ? Peuvent-ils écarter le caractère collectif, ou peuvent-ils seulementretenir une condition de majorité ? Cette discussion ne manque pas d’incidence au regard del’application de l’article L. 227-9, puisque, dans les cas où la modification de statuts ne relèvepas des cas énoncés par l'alinéa 2 de ce texte, la décision de modification pourrait être vuecomme une décision collective en vertu des statuts.

La nécessité de protéger les associés l’emportera-t-elle sur la liberté de stipulation ? Il estdifficile de le dire, même si les quelques applications de l’article 1836, alinéa 1er, sontmarquées plutôt par la première que par la seconde (27).

Le second alinéa de l’article 1836 n’emporte pas, à la lettre, de décision collective : « Enaucun cas, les engagements d'un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement decelui-ci. » L’idée est plutôt inverse : l’accord individuel de chaque associé est alorsnécessaire. Un auteur en déduit que l’augmentation des engagements des associés est valable,même si elle n’est pas décidée à l’unanimité, mais qu’elle reste inopposable à celui ou à ceuxqui n’y ont pas personnellement consenti (28). Cette interprétation ne semble pas encoreconsacrée par la jurisprudence (29). Sachant que l’augmentation des engagements visée parl’article 1836 ne peut, selon la jurisprudence, que résulter d’une décision modifiant les statuts(30), on peut considérer que l’on reste ici dans le domaine des décisions collectives. On peuten déduire le caractère nécessairement collectif d’une décision de transfert du siège social àl’étranger (31) (dans l’attente de la 14e directive).

Un autre problème affecte le caractère collectif de la décision prorogation de la société. Celle-ci doit en effet, en vertu de l’article 1844-6 du code civil, être décidée à l’unanimité desassociés, « ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la modification de ceux-ci ». Le doute n’est pas permis si les statuts d’une SAS font de leur propre modification une (27) Cass. civ. 1e, 13 janv. 1998 : D. Aff. 1998, 1409, obs. M.B. ; Defrénois, 1998, 1286, obs. J. Honorat ; Bull.Joly, 1998, 457, note J.-J. Daigre ; Cass. civ. 3e, 15 nov. 1995 : Bull. Joly, 1996, 140, note P. Le Cannu ; Dr.sociétés 1996, n° 3, obs. Th. Bonneau ; Rev. sociétés 1996, 306, note Y. Chartier.(28) F. Rizzo, Le principe d'intangibilité des engagements des associés, RTD com.. 2000, p. 27.(29) V. par exemple Cass. civ. 1e, 5 nov. 1996 : Bull. Joly, 1997, 131, note P. Le Cannu ; Dr. sociétés 1997, n° 4,obs. Th. Bonneau ; RTD com. 1997, 467, obs. Cl. Champaud et D. Danet.(30) Cass. civ. 1e, 8 nov. 1988 : Rev. sociétés 1989, 473, note Y. Chartier ; RTD com. 1989, 86, obs. E. Alfandariet M. Jeantin ; Defrénois 1989, 553, obs. J. Honorat.(31) Rappr. J.-J. Daigre, art. précité, n° 68.

Page 13: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

13

décision nécessairement collective. Mais si une clause permet de faire modifier autrement lesstatuts dès lors que le type de modification n’est pas de ceux pour lesquels la loi impose unedécision collective, le renvoi se fait en boucle et suscite donc la perplexité. Etant donné larigueur possible de l’engagement d’associé dans la SAS, on peut préférer opter pour lecaractère collectif de la décision de prorogation (32).

On ne peut enfin exclure que des textes qui ne sont pas propres à la SAS, mais qui peuventconcerner une telle société, exigent dans tel ou tel domaine une décision d’assemblée, ce quidoit en principe se traduire dans la SAS par une décision collective.

31. Rapport avec l’article L. 227-9. - Par construction, le caractère collectif de ces dernièresdécisions ne résulte pas de l’article L. 227-9 lui-même. On est porté à penser que la nullitéprévue par ce texte n’est pas applicable, puisque son dernier alinéa ne vise que « lesdispositions du présent article ». Cela ne signifie évidemment pas que la violation de cesautres textes ne peut donner lieu à nullité. Simplement, elle supposera que soit établi leurcaractère impératif, et que la disposition violée est, par sa nature, susceptible d’entraîner uneannulation.

Or, il ne fait guère de doute, par exemple, que les exigences de l’article L. 227-19 sontimpératives, puisqu’il s’agit de déterminer dans quelles conditions des modifications destatuts peuvent être décidées. Des expressions comme « sauf clause contraire », ou « à moinsqu’une majorité différente n’ait été prévue » auraient été indispensables pour fonder uneinterprétation différente. En revanche, le cas de l’article L. 227-10, alinéa 2 est moins évident.En effet, il ne paraîtrait pas absurde, pour le moins, que les statuts de la SAS excluent du votele ou les dirigeants intéressés par la convention sur laquelle les associés doivent se prononcer.Encore que le caractère collectif de la décision puisse alors disparaître si un seul associé n’estpas intéressé à la convention…

32. Textes extérieurs . - Quant aux textes extérieurs au livre II du code de commerce, unedistinction est nécessaire :

- soit on peut faire application du système de sanction du code civil (art.1844-10, alinéa 2 et 3) ;

- soit on se réfère à la jurisprudence « Nice-Matin », selon laquelle lestextes impératifs extérieurs à la loi de 1996 et applicables aux formesspéciales de société peuvent justifier l’annulation des décisions desorganes sociaux qui ne les respectent pas (33). Mais les conditionsd’application de cette nullité semblent incertaines (34). Toutefois, l’arrêtSoredic (35) semble fournir une clé en admettant l’annulation sur lefondement de l’article 6 du code civil, texte applicable aux contrats, ouplus généralement aux actes juridiques, et sanctionnant les règles d’ordrepublic quel que soit le texte qui les crée.

(32) Rappr. P.-L. Périn, ouvr. précité, n° 419.(33) Cass. com. 19 avr. 1988 : Bull. Joly, 1988, p. 485, § 161, note P. Le Cannu.(34) Cass. soc. 26 mai 1998 : Bull. Joly, 1999, p. 264, § 46, note P. Le Cannu ; RJDA 11/1998, p. 931.(35) Cass. com., 27 janvier 1998 : Bull. Joly, 1998, p. 367, § 130, note J.-M. Calendini ; Dr. sociétés, mai 1998,n° 74, obs. Th. Bonneau ; Petites Affiches 8 juillet 1998, n° 81, p. 27, note L. Grosclaude.

Page 14: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

14

On perçoit malgré tout l’intérêt qui s’attache à une bonne détermination par les statuts de laSAS des décisions qui doivent être collectives, si l’on veut se placer dans le domaine del’article L. 227-9.

2°. La violation des règles relatives à la forme et aux conditions des décisionscollectives.

33. Limites de la liberté. - Si les associés de SAS jouissent d’une grande liberté pour définirles formes et conditions des décisions collectives, ils se trouvent quand même contraints àdeux points de vue. D’abord, ils doivent indiquer leur choix dans les statuts ; ensuite, ilsdoivent respecter les principes généraux de la matière.

34. Exigence de clauses statutaires. - En matière de sanction, il en résulte en premier lieuque les violations des règles relatives aux décisions collectives qui seraient inscrites dans unautre acte que les statuts (règlement intérieur, décision d’organe social, pacte d’associés…) nepeuvent justifier une nullité fondée sur l’article L. 227-9. Le système des nullités du code decommerce permet même d’affirmer qu’hors le cas de fraude, aucune autre nullité n’est alorsenvisageable.

35. Principes généraux. - En second lieu, les formes adoptées et les conditions poséesdoivent respecter l’idée que se fait la Cour de cassation de la participation de chaque associé àune décision collective. L’arrêt Château d’Yquem (36) laisse penser que, dans le cadre del’application de l’article 1844, alinéa 1er, du code civil, participer, c’est nécessairement voter.L’observation est d’importance : elle signifie, d’une part, que les statuts ne peuvent retirer sondroit de vote à aucun associé, et, d’autre part, que s’ils le font, la décision qui les met enapplication est annulable.

De plus, le caractère collectif de la décision pourrait bien rendre applicables certains desprincipes de la collégialité. Notamment, n’est-il nécessaire que chaque associé ait été mis enmesure de participer en pleine connaissance de cause à la décision collective ? Bien quel’article L. 225-108 (ex-art. 162 de la loi du 24 juillet 1966) (37) ne fasse pas partie des textesapplicables à la SAS, ce principe est de la même nature que celui dont la Cour de cassation areconnu l’existence dans l’un des plus fameux arrêts Cointreau (38). Or, aucun texte nedétaille les documents qui doivent être remis aux administrateurs : tout dépend des décisions àprendre. L’insuffisance d’information porte atteinte au caractère collectif de la décision ; ellerejoint d’ailleurs les thèmes de l’erreur et du dol. Elle complète heureusement ce dernier,puisque le code civil exige qu’il émane de l’autre contractant, ce qui n’a guère de sens enmatière de décision collective d’associés, qui constitue un acte unilatéral de la société.

(36) Cass. com. 9 févr. 1999, précité.(37) « Le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, doit adresser ou mettre à la disposition desactionnaires les documents nécessaires pour permettre à ceux-ci de se prononcer en connaissance de cause et deporter un jugement informé sur la gestion et la marche des affaires de la société. »(38) Cass. com. 2 juill. 1985 : Bull. civ. IV. n°203. p. 169 ; D. 1986. 351, note Y. Loussouarn ; D. 1987. 1Somm. 32, obs. J.-C. Bousquet ; Rev. sociétés 1986. 231, note Le Cannu ; JCP 1985. II. 20518, note A. Viandier.

Page 15: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

15

36. Vices de forme . - Concrètement, le non-respect des formes choisies par les statuts doitpouvoir justifier une nullité de la décision collective ainsi prise. Par exemple, peuventprovoquer une annulation le fait qu’un associé ait été saisie tardivement d’une question àtrancher (par rapport aux délais fixés dans les statuts), ou le fait qu’il n’ait pas reçul’information que les statuts peuvent imposer, ou que son vote ait été négligé ou maldécompté (sachant que des droits inégaux peuvent être stipulés)… Les modalités desdécisions prises sans assemblée suscitent des difficultés particulières, pour lesquelles lecontentieux ne s’est guère développé jusqu’à maintenant ; l’émission successive dans le tempsd’opinions qui ne coïncident pas nécessairement peut rendre les choses délicates. Lesproblèmes de preuve semblent devoir souvent jouer un rôle décisif : il est donc opportun derédiger avec soin les statuts sur ce point.

37. Stipulations sur la technique de la nullité. - La marge laissée aux statuts peut-elleinclure des prévisions relatives à la nullité elle-même ? Cela paraît logique, dans la mesure oùl’on admet que les statuts puissent déterminer eux-mêmes les normes dont la violationentraîne une nullité. Afin de respecter l’esprit restrictif de la législation à l’égard des nullités,on peut exiger de ces stipulations qu’elles tendent à diminuer le risque de nullité, par exempleen écartant ce risque pour certaines exigences de forme, ou en imposant la démonstration d’ungrief, ou une violation grave eu égard aux circonstances.

38. Conditions des décisions . - Des conditions de fond pour la participation à une décisioncollective peuvent être ajoutées à la condition légale que constitue la qualité d’actionnaire aumoment de la décision collective. Des modalités peuvent être imposées, comme celle d’avoircette qualité suffisamment tôt avant la décision collective pour que l’organe social quiprovoque l’assemblée puisse faire les vérifications nécessaires (toutes les SAS ne comportentpas nécessairement de clauses restreignant la libre négociabilité des actions). Mais cesconditions ne doivent pas avoir pour effet de priver un ou plusieurs associés de leurparticipation à la décision collective, ni de donner à un tiers un pouvoir prépondérant (39),sauf en cas de départition (40). Et l’on peut penser que le caractère collectif postule auminimum la loi de la majorité, même si l’attribution des droits de vote relativise cette opinion.Plus facilement admises seront les clauses imposant un quorum, fixant un majorité (41), voireaccordant un droit de veto et/ou ayant pour effet d’attribuer la majorité à un associéminoritaire en capital (42).

C. Le régime de la nullité des décisions collectives.

1°. L’exercice de l’action en nullité.

(39) En revanche, il ne paraît pas directement interdit de permettre, dans les statuts, la participation de tiers à des« décisions collectives » : l’article L. 227-9 soutient la participation de chaque associé, mais il n’affirme pas lemonopole de ceux-ci.(40) En ce sens, v. J.-J. Daigre, art. précité, n° 81.(41) M. Jeantin, Les associés de la SAS : Rev. sociétés 1994, p. 223, spé. n° 44.(42) La discussion sur cette question reste plus ouverte qu’il n’y paraît si l’on en reste à l’exclusion du principede proportionnalité du droit de vote ; v. notamment Cons. constit., 7 janvier 1988 : JO, 10 janvier 1988, p. 482 ;Rev. sociétés 1988, 229, note Y. Guyon ; RTD com. , 1988, 450, obs. Y. Reinhard.

Page 16: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

16

39. Qui peut agir ? – Le dernier alinéa de l’article L. 227-9 peut sembler très ouvert : lanullité peut en effet être demandée « par tout intéressé ». Pourtant, il suffit au juge d’adopterune conception restrictive de l’intérêt à agir pour contingenter les nullités (43). Dans ledomaine des sociétés, la jurisprudence s’est donné certains moyens pour écarter des demandesqui faisaient pourtant poindre un réel intérêt. Notamment, elle a transposé la distinction entreles nullité absolues et les nullités relatives (44). On peut donc penser que derrière l’intérêt àagir, il faut voir principalement la qualité d’associé, voire de président ou de dirigeant (45)agissant au nom de la personne morale elle-même (46).

Mais est-ce que l’action en nullité est réservée à la victime directe du vice frappant la décisioncollective ? Certains arrêts laissent supposer qu’il faut aller plus loin, et accorder le droitd’agir aux autres associés, même leur participation à la décision critiquée a normalement étéassurée (47). Une telle jurisprudence fait sans doute une application trop poussée desprincipes de la collégialité. Si elle n’était pas abandonnée, il conviendrait de la cantonner auxcas où le vice atteignant l’un des associés a eu des conséquences démontrées sur les prises deposition de celui ou ceux qui invoquent ce vice. Un laxisme comparable se perçoit dans lesdécisions qui admettent qu’une personne devenue associée après la décision irrégulière puisseagir en nullité (48) ; on peut cependant se consoler en observant que ceux qui ont perdu cettequalité ne peuvent plus agir (49).

En revanche, on ne peut exclure que des personnes qui n’ont ni la qualité d’associé, ni celle dedirigeant de la SAS en cause puissent être recevables à agir en nullité. L’une des pistes lesplus « prometteuses » est celle du groupe de sociétés (50) ; par exemple, un associé d’unesociété elle-même associée dans une SAS pourrait être « intéressé » à une nullité de décisioncollective. Mais on peut en découvrir bien d’autres, jusque peut-être l’action d’une autorité de

(43) Sur cette question v. notamment Ch. Hannoun, L'action en nullité et le droit des sociétés (Réflexion sur lessources procédurales du droit de critique et leurs fonctions) RTD com. 1993, 227.(44) V. notamment le rejet de l'action en nullité d'une fusion présentée par un commissaire aux comptes, qui nefait pas partie des personnes protégées par la règle violée, Cass. com. 17 janv. 1989 : Bull. civ. IV, n° 29, p. 18;D. 1989. IR. 39 ; Bull. Joly 1989, p. 247, § 79, note Le Cannu ; Defrénois 1989, p. 1268, obs. J. Honorat. Voiraussi CA Versailles, 12e ch., 2e sect., 29 juin 2000 : JCP éd. E, 2000, p. 1359 ; CA Paris, 3e ch., sect. C, 10décembre 1999 : Bull. Joly, mars 2000, § 60, note P. Le Cannu.(45) Sauf s’ils sont frappés d’une interdiction de diriger : Cass. com., 27 janvier 1998 : Petites Affiches 1998, n°81, note L. Grosclaude ; Bull. Joly, 1998, p. 367, § 130, note J.-M. Calendini ; Dr. sociétés, mai 1998, n° 74,obs. Th. Bonneau.(46) En ce sens : M. Germain, De quelques limites à la nullité des décisions sociales prévue par l'article 360 de laloi de 1966 : Bull. Joly, 1992, p. 491, § 159 ; la jurisprudence a confirmé la conclusion de cet auteur, enaccueillant l’action en nullité d’une gérant de SARL pour abus de majorité (Cass. com. 21 janv. 1997 : Bull. civ.IV, n° 26, p. 24 ; JCP éd. E, 1997, II, 965, note J.-J. Daigre ; Bull. Joly, 1997, p. 312, § 125, note P. Le Cannu ;Dr. et patrim. avr. 1997, p. 76, n° 1636, obs. crit. J.-P. Bertrel ; RTD civ. 1997, 929, obs. J. Mestre ; Rev. sociétés1997, 527, note B. Saintourens ; RJ com. 1998, 23, note E. Putman ; D. 1998, 64, note I. Krimmer).(47) Cass. civ. 3e, 21 oct. 1998, précité : « tout associé peut se prévaloir de l'absence de convocation d'un associéà l'assemblée générale » .(48) Cass. com. 4 juill. 1995, Quot. jur. 27 juill. 1995. n°60. p.4, note P.M. ; Rev. sociétés 1995, p. 504, note LeCannu ; Bull. Joly, nov. 1995, p.968. § 350, note J.F. Barbiéri ; JCP éd. E 1995. II. 750, note Y. Guyon ; JCP éd.G. II. 22560 ; D. 1996, 186, note J.-CL. Hallouin ; Rev. fr. compt. févr. 1996, 39, note Ph. Reigné ; sur leproblème, v. notamment M. Germain, art. précité ; Ch. Hannoun, RTD com. 1993, p. 235, n° 12.(49) V. par ex. CA Paris, 3e ch., sect. C, 10 décembre 1999 : Bull. Joly, mars 2000, § 60, et la note.(50) Cf. Ch. Hannoun, art. précité, RTD com. 1993, 239, n° 15 ; M. Germain, art. Précité, Bull. Joly, 1992, § 159.

Page 17: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

17

régulation contre une décision collective ayant un effet d’appel public à l’épargne… Là aussi,la question est très ouverte.

Par ailleurs, il ne semble pas que les statuts de la SAS puissent eux-mêmes limiter le droitd’agir en nullité des décisions collectives, qui constitue l’une des rares garanties accordées parla loi aux associés de SAS.

40. Prescription. – A cet égard, la nullité d’une décision collective d’une SAS se place sousl’empire du droit commun, c'est à dire de l’article L. 235-9, alinéa 1er, du code de commerce.On sait que ce texte ne précise pas au mieux le point de départ de la prescription (« le jour oùla nullité est encourue », ce qui suppose le problème résolu) (51). Il ne serait pas admissiblede décompter le délai à partir du jour de la décision, dans tous les cas où une atteinte à soncaractère collectif a été cachée aux yeux des personnes mises à l’écart.

Par exception, si la décision collective irrégulière concerne une fusion ou une scission, estapplicable la prescription de six mois à compter de la dernière inscription au registre ducommerce et des sociétés rendue nécessaire par l’opération, quoique le texte violé soit propreà la SAS. Il est logique d’étendre cette solution au cas de l’apport partiel d’actif soumis aurégime des scissions (52).

41. Régularisation. – Le contexte propre de la SAS suggère que la régularisation volontaireparticipe encore mieux de l’esprit qui anime ce type de société. Pour autant, la loi de 1994,pas plus que celle de 1999 ou le code de commerce, ne singularisent la SAS dans de domaine,où règnent les articles L. 235-3 à L. 235-7 du code de commerce. Il ne reste qu’à espérer quedes rédacteurs de statuts plus méticuleux que les autres anticipent de telles questions ; maiselles ne sont probablement pas prioritaires à leurs yeux ; de plus, le champ des dispositionsimpératives rend incertaine une partie des régularisations que l’on peut concevoir. Enrevanche, le rôle conféré au juge devrait favoriser des régularisations ponctuelles.

2°. Les pouvoirs de la juridiction compétente.

42. Liberté du juge. - Rien d’original ne caractérise la compétence de la juridiction appelée àse prononcer sur la demande en nullité : ce sera soit le tribunal de commerce dans le ressortduquel se trouve le siège de la SAS, soit le tribunal auquel les statuts attribuent compétence,dans le respect des conditions posées par l’article 48 NCPC, soit la juridiction arbitrale définiepar les statuts ou par les parties au litige. En revanche, l’article L. 227-9, dernier alinéa,fournit une précieuse indication en énonçant que les décisions prises en violation desdispositions du présent article « peuvent être annulées » à la demande de tout intéressé. Onsait que l’expression se rencontre dans feue la loi de 1966, notamment dans son article 173(devenu art. L. 225-121), dont les deux alinéas se distinguent précisément sur ce point : lesecond accorde un pouvoir d’appréciation au juge, à la différence du premier.

(51) V. Ch. Hannoun, Remarques sur prescription de l'action en nullité en droit des sociétés, Rev. sociétés 1991,45.(52) En ce sens : CA Paris, 25e ch., sect. B, 2 juillet 1999 : Bull. Joly, 1999, § 257, et la note; comp. CA Paris, 5ech., sect. A, 14 avr. 1999 : Bull. Joly, 1999, § 205, et la note.

Page 18: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

18

Rapporté au cas qui nous occupe, le pouvoir laissé au juge procure à celui-ci le moyen de trierles demandes en nullité ; il répond au souci d’éviter qu’un moyen trop violent, aboutissant àl’anéantissement d’un acte et de ceux qui en sont la suite, ne soit employé pour guérir un vicequi n’apparaît pas comme suffisamment important. Autrement dit, la formule retenue permetau juge d’opérer un contrôle de proportionnalité de la mesure. Il peut le faire au regard desintérêts personnels du demandeur et de ceux qui ont le cas échéant, fomenté le vice ; il peutaussi le faire en vérifiant si l’atteinte à l'intérêt social est plus forte du fait de la nullité que dufait de son refus (53).

Naturellement, il est nécessaire que la juridiction saisie motive son appréciation, et ne secontente pas d’une formule passe-partout, qui serait de nature à produire le même effet qu’undéni de justice.

43. Implications . – La liberté du juge peut induire bien d’autres effets. D’abord, elle semblelui donner la possibilité de tenir compte de l’utilité de la participation de tel associé à unedécision collective : la solution adoptée par exemple pour le conseil d’administration (54)n’est donc probablement pas transposable à la décision collective de SAS ; toutefois le jugeest tenu de se justifier sur un terrain un peu différent (l’effet de la mesure, et non le droit departiciper).

Ensuite, le pouvoir accordé au juge crée un terrain favorable à la régularisation et à laconfirmation des nullités fondées sur l’article L. 227-9, dernier alinéa. Certes, les troisquestions sont seulement voisines. On peut concevoir que la violation d’une règle impérativesoit facultativement sanctionnée par le juge. Mais il devient nécessaire de proposer dessolutions alternatives, pour le cas où le juge écarterait la nullité ; par conséquent, lorsque lescirconstances de fait le permettent, il est opportun que le juge enjoigne à ou aux auteurs duvice de le réparer en régularisant la situation.

Par ailleurs, dès lors que la nullité n’a pas de caractère automatique, il paraît moins difficiled’admettre que les demandeurs renoncent à leur action, même à l’avance, ou que les victimesconfirment la nullité. Cependant, on en conviendra, il reste une différence irréductible entre lalatitude laissée au juge et celle qui est laissée aux parties ; le système invite à une casuistiqueen fonction de la nature de la règle violée.

3°. Les effets de l’annulation.

44. Rétroactivité, tiers de bonne foi, restitutions . – Faute d’exception analogue à celle quecrée l’article L. 235-10, qui se limite à l’annulation d’une société, la rétroactivité trouve às’appliquer lorsqu’une décision collective de SAS est annulée. Les actes et décisions causéspar la décision annulée sont eux aussi frappés de nullité, par voie de conséquence. Ce principeest plus aisé à affirmer qu’à mettre en œuvre, notamment lorsque la décision annuléeimpliquait de faire disparaître ou de créer une ou plusieurs personnes morales. Mais leproblème n’est pas propre à la SAS, ni à l’article L. 227-9. Il en va de même pour (53) Rappr. Ch. Hannoun, RTD com. 1993, p. 253, n° 42.(54) Cass. com. 24 avr. 1990 : Bull. civ. IV, n°125, p. 82 ; Rev. sociétés 1991, 347, note P. Didier ; JCP éd. E.1991, II, 122, note M. Jeantin ; Defrénois 1991, 617, obs. J. Honorat ; v. notre étude, La protection desadministrateurs minoritaires, Bull. Joly 1990, p. 511.

Page 19: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

19

l’inopposabilité de la nullité aux tiers de bonne foi (art. L. 235-12, ex-art. 369 de la loi du 24juillet 1966), et pour les restitutions consécutives à l’annulation.

45. C’est donc à une combinaison des principes généraux, des règles spéciales et des règlesstatutaires qu’appelle la détermination des causes de nullités dans la SAS bi-personnelle ouplurale. Des ingrédients de même nature, mais au contenu partiellement différent, sontnécessaires pour apprécier la nullité des décisions d’associé unique.

II. La nullité des décisions d’associé unique

46. Fonctionnement solitaire . - La SAS qui ne comprend qu’un seul associé n’a évidemmentpas besoin de la notion de « décision collective ». Cependant, comme pour attester que cettenotion ne se fonde pas seulement sur l’idée de collectivité, mais aussi sur celle de décisionparticulièrement importante, revenant pour cela aux associés, le législateur a dû créer un autreconcept : en 1999, en ouvrant la possibilité de créer des SAS unipersonnelles, il a conçu unecatégorie que l’on peut appeler « décision de l’associé unique » (art. L. 227-1 et L. 227-9).

Cette catégorie est de nature à englober de nombreuses décisions, et notamment toutes lesmodifications de statuts de la SAS qui n’a qu’un associé. Mais ce ne sont pas ces décisions làqui sont visées par l’article L. 227-9, alinéa 3. Celui-ci ne régit expressément qu’une seulesorte de décision, l’approbation des comptes, en l’assortissant de diverses conditions. Ilimporte donc d’envisager cette compétence de l’associé unique, et de réfléchir, au moins parcomparaison, aux autres décisions que peut ou doit prendre cet associé. Enfin, quelques pistesde réflexions peuvent être esquissées sur le régime de l’action en nullité dans ce cas assezparticulier.

A. La décision de l’associé unique statuant sur les comptes.

47. Répartition des pouvoirs . – L’une des intentions de l’article L. 227-9, alinéa 3, estassurément de répartir les attributions entre le président de la société d’une part et l’associéunique, d’autre part. Certes, il se peut que les deux ne soient qu’une seule personne, maiscette situation n’est la cause d’aucune dispense.

Au président d’une société par actions simplifiée unipersonnelle, il revient d’arrêter « lerapport de gestion, les comptes annuels et le cas échéant les comptes consolidés ». Cettecompétence revêt sans doute la nature d’une obligation, assortie d’une responsabilité ; lestermes de l'alinéa 4 de l’article L. 227-9 laissent entendre que l’arrêté des comptes ne peutémaner d’une autre personne que le président, à peine de nullité.

L’associé unique, pour sa part, semble confiné par le texte dans un rôle d’approbation ; mais ilest probable qu’il peut aussi désapprouver, et amender. En tout cas, il ne lui revient pas

Page 20: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

20

« d’arrêter » les comptes, sans passer par le président. De plus, il lui est interdit, à peine denullité, de déléguer son pouvoir (55).

Les comptes visés ne sont pas seulement les comptes sociaux, mais aussi, le cas échéant, lescomptes consolidés. On sait que les comptes consolidés ne font pas partie de ceux que lesassociés d’une SAS plurale doivent voter (art. L. 227-9, alinéa 2). Il est donc frappant de noterque, dans une SASU, il peut être soutenu le contraire, puisqu’il est écrit que « l'associé uniqueapprouve les comptes ». Cette différenciation ne se justifie guère, et l’on peut penser que les« comptes », sans autre précision, ne sont que les comptes de la SAS elle-même, comme enatteste d’ailleurs la compétence du commissaire aux comptes de la société. L’arrêté descomptes consolidés n’est donc évoqué dans l’alinéa 3 que pour fixer la compétence duprésident de la SAS.

48. Conditions spécifiques. – En dehors de la condition préalable que constitue l’interventiondu président – qui fait que l’associé unique ne paraît pas pouvoir s’autosaisir -, troisconditions sont posées par l’article L. 227-9, alinéa 3 :

- le rapport du ou des commissaires aux comptes ;- le délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice ;- l’inscription de la décision dans un registre.

Au vrai, seules les deux premières sont propres à la décision statuant sur les comptes. On peuten effet considérer que l’expression « ses décisions sont répertoriées sur un registre »embrasse toutes les décisions d’associé unique.

49. Rapport du ou des commissaires aux comptes. - Le rapport du ou des (56)commissaires aux comptes ne crée guère d’incertitudes propres à la SAS. Il a en effet la mêmenature que dans les autres sociétés dotées d’un commissaire, et se fonde sur les dispositions del’article L. 225-235 (ex-art. 228 de la loi du 24 juillet 1966). Il est certainement imposé àpeine de nullité de la décision de l’associé unique.

50. Délai de six mois. - Il est en revanche moins évident d’appliquer la nullité du dernieralinéa de l’article L. 227-9 au respect du délai de 6 mois. D’une part, l’absence de décision del’associé unique ne permet pas d’annuler quoi que ce soit ; d’autre part, il peut être contraire àl'intérêt social de refuser de donner effet à une décision tardive qui peut apparaître comme unerégularisation. Cependant, faute d’application des textes relatifs aux assemblées générales desociété anonyme, il est douteux que l’article L. 225-100 et l’article 121 du décret du 23 mars1967 puissent bénéficier à la SAS unipersonnelle : un report judiciaire de la dated’approbation des comptes paraît exclu – sauf peut-être cas de force majeure, le pouvoir du (55) Cette interdiction n’empêche pas, si l’associé unique est lui-même une personne morale, que l’unquelconque des représentants de cette personne morale puisse se prononcer sur les comptes de la SAS ; on peuten revanche hésiter sur le point de savoir si l’un de ces représentants peut déléguer ses pouvoirs ou sa signature ;faute de distinction dans le texte, il paraît prudent de refuser la délégation à une personne qui n’a pas la qualitéde représentant légal.(56) Selon l’article L. 225-228, alinéa 3, « les sociétés astreintes à publier des comptes consolidés en applicationdes dispositions du présent livre sont tenues de désigner au moins deux commissaires aux comptes ». (ex-art.223, al. 3 de la loi du 24 juillet 1966) ; sur la nullité de la décision prise par une assemblée d'actionnaires au vudu rapport d’un seul des deux commissaires aux comptes, v. rép. Min Just. n° 18778, JOAN Q, 7 juin 1975, p.3881.

Page 21: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

21

juge étant fondé sur les articles 808 et 873 du nouveau code de procédure civile. Sur le planpénal, l’article L. 242-10 (ex-art. 441 de la loi du 24 juillet 1966), qui punit les dirigeants quin’ont pas réuni une assemblée dans le délai imposé par la loi ou le juge, ne fait pas partie destextes auxquels renvoie l’article L. 244-1 (ex-art. 464-1 de la loi du 24 juillet 1966), quidétermine les infractions pour lesquelles le président et les dirigeants de SAS peuvent êtrepunis. On peut y voir l’indice d’une moins grande sévérité à l’égard de la date des décisionsstatuant sur les comptes sociaux dans les SAS, qui devrait pouvoir être invoquée au soutiend’une régularisation.

51. Comparaison avec la décision collective statuant sur les comptes sociaux. - Par uneffet miroir, ces observations retentissent sur le régime des décisions collectives statuant surles comptes annuels d’une SAS. En effet, si l’absence d’incrimination produit effet aussi àleur égard, il n’en va peut-être pas de même quant aux règles civiles assurant le respect dudélai ; en effet, l'alinéa 2 de l’article L. 227-9 prend pour appui « les attributions dévolues auxassemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes ». On pourrait alorssoutenir que, pour des motifs de fond, liant la procédure au pouvoir, le délai de six mois estprorogeable selon la même procédure que dans la société anonyme.

B. Les autres décisions d’associé unique.

52. Problèmes. – Ces autres décisions sucitent principalement deux sortes d’interrogations ;les premières sont dues à la variété ces décisions : la compétence de l’associé unique prendelle aussi ses sources à des normes diverses. Il faut donc se demander dans quels cas l'alinéasanctionnateur de l’article L. 227-9 peut être utilisé. D’autres questions relèvent del’enregistrement de ces décisions, et, dans certains cas, des exclusions de vote.

1°. Les sources de la compétence de l’associé unique.

53. Typologie. - Force est de constater que l’article L. 227-9 alinéa 3 ne vise expressémentque la décision par laquelle l’associé unique se prononce sur les comptes sociaux. Est-ce àdire que seule cette catégorie peut être touchée par la nullité du dernier alinéa de l’article L.227-9 ? Il serait sans doute imprudent de l’affirmer. Mais il faut alors distinguer quatre typesde décisions d’associé unique :

- celles qui font partie de la liste définie par l’article L. 227-9, alinéa 2 ;- celles qui résultent d’un autre texte (code de commerce, code civil ou loi

spéciale) ;- celles qui sont fondées sur une clause de statuts ;- celles qui sont prévues par un autre acte, par exemple un règlement

intérieur.

54. Le bloc de l’article L. 227-9, alinéa 2. – Une règle d’exégèse pourrait conduire àrepousser l’application de cet alinéa au cas où la SAS ne comporte qu’une seul associé. Eneffet, l’une des décisions visées, l’approbation des comptes, est régie spécialement par l'alinéa3, qui apparaît donc comme une exception à l'alinéa 2. En outre, il est bien évident que le

Page 22: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

22

caractère collectif de la décision, essentiel dans l'alinéa 2, est absent dans l'alinéa 3. Malgrétout, la pointe du texte consiste bien à dire que certaines questions sont trop essentielles pourpouvoir échapper à la compétence des associés. Or cette idée conserve sa pleine valeur dans lecas où il n’en existe qu’un. Comment accepter, d’ailleurs, qu’une fusion ou une scission, uneaugmentation ou une réduction du capital, une dissolution, soient décidées par un autre quecelui à l’égard de qui elles vont produire les effets les plus forts ? La compétence de l’associéunique doit donc à notre avis être sanctionnée par la nullité. Naturellement, il restera, danschaque cas, à se prononcer sur la signification du renvoi opéré par l'alinéa 2 aux « attributionsdévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes »…

55. Les décisions réservées à l’associé unique par un autre texte. – L’idée majeure peutêtre ici présentée de manière simple : elle consiste à ne pas appliquer le dispositif propre del’article L. 227-9 dernier alinéa à ces décisions (57). En effet, les autres textes sont placéssous un régime de sanction particulier (art. L 235-1 et suivants du code de commerce, art.1844-10 du code civil, éventuellement extensibles aux autres lois impératives) : ni ladéfinition du demandeur, ni les pouvoirs particuliers du juge ne sont nécessairement lesmêmes.

56. Les décisions d’associé unique fondées sur une clause de statuts, ou un règlementintérieur. – Même si l’article L. 227-9, alinéa 1er, ne vise que les décisions collectivesdéfinies comme telles par les statuts, il semble qu’il y ait là aussi identité de raisons pouraccepter que les statuts « déterminent les décisions qui doivent être prises » par l’associéunique « dans les formes et conditions qu'ils prévoient ». Dans ce cas, en effet, ces prévisionssont rattachables aux « dispositions du présent article » mentionnées par le dernier alinéa dul’article L. 227-9. Ce sont donc autant les formes et conditions de prise de décision parl’associé unique, que la détermination de sa compétence propre, qui peuvent être sanctionnéespar la nullité.

57. Les décisions d’associé unique fondées sur un autre acte. – Nous touchons là la limitede ce qui peut être inclus dans le domaine de la nullité. D’une part, seuls la loi et les statutssont pris en considération par l’article L. 227-9. D’autre part, aucun procédé de renvoi àd’autres actes n’est explicitement admis. Or, le dispositif applicable à la SAS accordevisiblement une fonction prééminente aux statuts, ce qui se comprend puisque ces dernierssont publiés. On peut donc en déduire que, ni par règlement intérieur, ni par acte d’organesocial, ni par pacte, il n’est possible d’étendre le domaine de la nullité ici étudiée.

2°. L’enregistrement des décisions d’associé unique.

58. Un registre libre . – D’une manière assez insolite, la loi du 12 juillet 1999 a créé unformalisme dont aucun décret d’application n’a précisé le contenu. Il revient donc à la SASunipersonnelle de veiller elle même à la création et à la définition des caractéristiques du« registre » imposé par l’article L. 227-9, alinéa 3. On peut remarquer que, dans ce cas, (57) Quelques exemples : à coup sûr, toute décision entraînant une augmentation des engagements de l’associéunique suppose son consentement ; la nomination du liquidateur de la SAS ; plus discutable, la décisiond’émettre un emprunt obligataire (confiée à l'assemblée générale ordinaire de la société anonyme, pourrait-elleêtre attribuée à un organe statutaire dans la SAS ? Qui d de l’approbation des avantages particuliers (par ailleurssource de perplexité ; v. notamment P.-L. Périn, ouvr. précité, n° 409 et s.) ?

Page 23: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

23

aucune compétence n’est réservée aux statuts de la SAS, ou à l’un quelconque de ses organes.La réglementation interne du registre peut donc être librement déterminée, par exemple par unrèglement intérieur émanant du président ou d’un organe défini dans les statuts.

59. Des restrictions à l’annulation. - Ce libéralisme n’est sans doute pas sans conséquencesur la validité d’une décision d’associé unique, et qui ne serait pas correctement répertoriée.Selon la lettre du texte, cette décision « peut » être annulée. Pourtant, la formalité sembleimposée ad probationem. Une interprétation restrictive de ce cas d’annulation s’impose, tantil jure avec l’esprit général de la SAS (58). Il serait donc préférable de respecter deux sortesde conditions, pour prononcer la nullité:

- l’absence d’enregistrement, ou un enregistrement tel qu’il ne permette desituer ni le contenu, ni la date de la décision d’associé unique ;

- le grief causé par cette défaillance, ce qui peut se fonder sur le pouvoird’appréciation du juge évoqué plus haut (v. n° 42).

3°. Le cas particulier des exclusions de vote.

60. Limites de l’exclusivité. – Lorqu’une société ne compte qu’un seul associé, le problèmedes exclusions de vote devient pas construction insoluble. Certes, une difficulté du même typepeut se présenter dans les sociétés plurales lorsque tous les associés sont intéressés (59). Maisle cas est forcément plus rare (60). Nous nous limiterons ici à deux hypothèses courantes.

61. Conventions réglementées. - En matière de SAS, l’une des exclusions de vote trèscourante a été éliminée, dès 1994 : le dirigeant intéressé par une convention conclue avec laSAS peut participer au vote des associés sur cette convention, s’il est lui-même associé (61).En outre, s’il n’existe qu’un seul associé, il ne lui est pas demandé de statuer sur le rapport ducommissaire aux comptes (62) – et l’on peut même se demander si le commissaire auxcomptes doit faire un rapport -, mais seulement de faire « mention au registre des décisionsdes conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et sondirigeant » (art. L. 227-10, dernier alinéa) (63). La formulation est critiquable (64). On nerelèvera qu’un seul point ici : ce n’est pas à proprement parler une décision d’associé uniquequi est ici mentionnée – à moins que l’exigence de forme ne serve à justifier une compétence (58) En ce sens : D. Vidal, Le deuxième souffle législatif de la société par actions simplifiée ; Commentaire del'article 3 de la loi numéro 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche : Dr. sociétés août 1999, p.4, spé. n° 14.(59) Cf. en matière de conventions réglementées dans une société anonyme : CA Paris , 3e ch. A, 18 déc. 1990 :Bull. Joly 1991, p. 604, § 212, note Le Cannu ; D. 1991. IR. 27.(60) V. cependant l’hypothèse où la même personne représente les associés personnes morales de la SAS :Commission du Conseil national des commissaires aux comptes, Bulletin des Commissaires aux Comptes, déc.1999, n° 116, p. 693.(61) Ch. Goyet, Les conventions entre le dirigeant et la SAS : Petites Affiches, n° 185, p. 55.(62) D. Velardocchio, Une innovation inattendue : la réforme de la SAS : Revue Lamy Droit des affaires, oct.1999, p. 9.(63) Ch. Goyet, Toujours plus simple : Remarques sur la réglementation des conventions dans la Société parActions Simplifiée (SAS) unipersonnelle ; Loi 99-587 du 12 juillet 1999, sur l'innovation et la recherche, article3, 3° : D. 1999, n° 37, p. 3.(64) V. Ch. Goyet, art. précité ; P.-L. Périn, Société par Actions Simplifiée (SAS) : nouvelles remarques sur lecontrôle des conventions entre la société et ses dirigeants : Bull. Joly, déc. 1999, p. 1143.

Page 24: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Paul LE CANNU

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

24

de fond de l’associé unique, qui ne se comprendrait que s’il n’est pas lui-même partie directeou interposée à la convention, et s’il n’a pas par ailleurs la qualité de représentant de lasociété.

62. Apport en nature et avantages particuliers . – On sait que l’article L. 225-147 (ex-art.193 de la loi du 24 juillet 1966) renvoyant à l’article L. 225-10 (ex-art. 82 de la loi du 24juillet 1966), les actions de l'apporteur d’un bien en nature ou celles du bénéficiaire d’unavantage particulier « ne sont pas prises en compte pour le calcul de la majorité ».« L'apporteur ou le bénéficiaire n'a voix délibérative ni pour lui-même ni commemandataire ». Ces textes sont applicables à la SAS, et semblent donc empêcher l’associéunique de décider une augmentation de capital par apport en nature, ou de s’attribuer unavantage particulier en cours de vie sociale (65).

On peut malgré tout soutenir que l’exclusion de vote ne s’explique que par la pluralitéd’associés ; la raison d’être de la règle réside autant dans le respect de l’équilibre des droitsdes différents associés que dans la protection de l'intérêt social. En outre, une nullité pourcette raison risque d’être rarement demandée.

Assurément, tant que la jurisprudence n’aura pas tranché la difficulté, le silence de la loi créeune insécurité. Il serait donc souhaitable de lever l’exclusion de vote de l’associé unique danscette hypothèse.

C. Le régime de la nullité des décisions d’associé unique.

63. Particularités. – Au plan des principes, la nullité d’une décision d’associé unique ne sedistingue pas de celle d’une décision collective (66). Toutefois, il est bien évident que lerisque de nullité n’est pas du même calibre, faute d’opposition interne entre des intérêtsd’associés différents. On peut envisager des irrégularités provenant de l’associé unique lui-même, ou provenant d’un président ou de dirigeants différents de l’associé unique. Ce dernierne pourra invoquer, s’agissant des décisions qu’il a prises, que la violation d’une règle d’ordrepublic – notion qui ne peut s’assimiler à celle de disposition impérative, comme le démontrela jurisprudence qui reconnaît un caractère relatif à certaines nullités issues de textes qui, parconstruction, se sont vu reconnaître un caractère impératif (67).

Quant au président ou aux dirigeants, ce n’est pas dans leur propre intérêt qu’ils peuvent agir,car ils ne font qu’exercer une fonction sociale. En revanche, si l’on admet (v. n° 39), qu’unesociété peut agir en nullité des actes accomplis en son nom, la question n’appelle plus uneréponse négative.

De même, les nullités de décision d’associé unique semblent pouvoir être invoquées par le oules associés cessionnaires des actions, et l’extension possible dans le cadre d’un groupe –l’un des lieux privilégiés des SAS unipersonnelles – devrait trouver quelques applications. En (65) V. P. Le Cannu, Société par actions simplifiée, Rép. Dalloz Sociétés, n° 156.(66) On peut dire aussi que le fait que la société cesse d’être unipersonnelle ne vaut pas par lui-mêmesuppression des vices frappant les décisions d’associé unique antérieures au phénomène qui a provoqué la« pluralisation » de la société.(67) Cass. com. 17 janv. 1989, précité.

Page 25: LE CONTENTIEUX DE LA SAS - I : LA NULLITÉ DES DÉCISIONS D ...

Le contentieux de la SAS – I

______________________________Droit 21 - http://www.droit21.comDate de mise en ligne : 15 février 2001Nom du document : er20010215Référence : Dr.21, 2001, ER 012Citation : P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L 222-7 dernieralinéa du code de commerce », Dr.21, 2001, ER 012Copyright Transactive 2000-2001

25

revanche, le droit d’agir d’autres personnes comme le commissaire aux comptes ou le comitéd’entreprise ne semble pas devoir, malgré l’unicité d’associé, être appréciée différemment dudroit commun.

Ajoutons que la régularisation semble dans certaines hypothèses plus facile : une décisiond’associé unique suffit. Enfin, il est certain que la liberté d’appréciation accordée au juge de lanullité paraît indispensable pour éviter une sanction qui a plus de chance, dans ce contexte,d’être ressentie comme artificielle.

64. Conclusion. – Naturellement, sur un tel thème, aucune conclusion définitive ne peut êtretirée en 2001. La recherche ici menée n’a eu qu’un objectif modeste : défricher un domainedont les composantes sont trop nombreuses pour édifier des certitudes sans que lajurisprudence y passe. Une fois de plus cependant (68), il est vérifié que le prisme de lasanction peut révéler des traits particuliers des normes substantielles, ou aussi que lalégislation par renvoi crée autant de mystère qu’elle n’apporte de réponse. En outre,l’originalité des stipulations statutaires dans les SAS est de nature à renouveler les questionsposées aux juridictions – lesquelles auront sans doute besoin de principes d’appréciation plusapprofondis pour faire un bon usage de leurs pouvoirs propres.

(68) V. notamment la thèse de M. Laurent Grosclaude, précitée.