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LE COMMANDEMENT MILITAIRE % E suis venu ici aujourd'hui pour vous parler du Comman- dement militaire. En temps normal, pareil sujet doit parai- tre quelque peu étranger à cette paisible cité maritime entourée de vieux murs (1) ; mais je crois me souvenir qu'un grand chef, Montrose lui-même, fut jadis au nombre de vos érudits à la robe écarlate et, en son temps, gagna la médaille d'or du tir à l'arc à Butts Wynd. L u i encore résida dans la maison de Marie Stuart, reine d'Ecosse, et passait tous les jours devant l'épine qu'elle avait fait planter dans la cour de Saint- Mary's College. Qui sait si quelque chose de son autorité spiri- tuelle ne dut pas sa foi et sa ferveur à vos anciennes tradition» ? Mais aujourd'hui, je.veux tenter de dégager la définition du ' commandement militaire, comme je le conçois, des leçons du- passe et de l'expérience du présent. Je me propose de me limi-' ter dans cette causerie à l'examen du commandement supérieur celui qui s'exerce sur des armées ou un groupe d'armées : et de ne pas considérer la qualité du commandement à des échelons inférieurs; Ce que je dirai du commandement supérieur pourra bien s'appliquer, dans une certaine mesure, au commandement d'une brigade, d'une compagnie ou d'un peloton ; i l y a néan- moins des différences dans le commandement à des échelons inférieurs et je n'ai pas l'intention de vous prendre votre temps en examinant celui-ci aujourd'hui. Le commandement militaire est un sujet qui m'a toujours intéressé et, pendant cette guerre, j'ai eu l'occasion de mettre mes idées à l'épreuve. J'ai découvert que, si l'on aspire à com- mander des soldats, i l faut étudier de près la nature humaine, car c'est la matière première dont un chef dispose pour arriver à ses fins. Quiconque néglige le facteur humain échouera dans. ,(1) Texte lu par l'auteur à « University of St-Andrews ».

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LE COMMANDEMENT MILITAIRE

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E suis venu ici aujourd'hui pour vous parler du Comman­dement militaire. En temps normal, pareil sujet doit parai-tre quelque peu étranger à cette paisible cité maritime

entourée de vieux murs (1) ; mais je crois me souvenir qu'un grand chef, Montrose lui-même, fut jadis au nombre de vos érudits à la robe écarlate et, en son temps, gagna la médaille d'or du tir à l'arc à Butts Wynd. Lui encore résida dans la maison de Marie Stuart, reine d'Ecosse, et passait tous les jours devant l'épine qu'elle avait fait planter dans la cour de Saint-Mary's College. Qui sait si quelque chose de son autorité spiri­tuelle ne dut pas sa foi et sa ferveur à vos anciennes tradition» ?

Mais aujourd'hui, je.veux tenter de dégager la définition du ' commandement militaire, comme je le conçois, des leçons du­passe et de l'expérience du présent. Je me propose de me limi-' ter dans cette causerie à l'examen du commandement supérieur

celui qui s'exerce sur des armées ou un groupe d'armées :— et de ne pas considérer la qualité du commandement à des échelons inférieurs; Ce que je dirai du commandement supérieur pourra bien s'appliquer, dans une certaine mesure, au commandement d'une brigade, d'une compagnie ou d'un peloton ; i l y a néan­moins des différences dans le commandement à des échelons inférieurs et je n'ai pas l'intention de vous prendre votre temps en examinant celui-ci aujourd'hui.

Le commandement militaire est un sujet qui m'a toujours intéressé et, pendant cette guerre, j 'a i eu l'occasion de mettre mes idées à l'épreuve. J'ai découvert que, si l'on aspire à com­mander des soldats, i l faut étudier de près la nature humaine, car c'est la matière première dont un chef dispose pour arriver à ses fins. Quiconque néglige le facteur humain échouera dans.

,(1) Texte lu par l'auteur à « University of St-Andrews ».

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'ses fonctions de commandement. Les rapports personnels entre un chef et ses soldats sont et ont toujours été un des facteurs les plus importants du succès dans la guerre. Si un capitaine possède la confiante absolue de ses hommes, i l n'est rien qu'ij| n | puisse entreprendre, rien. Si un capitaine perd la confiances de ses hommes, i l est voué à l'échec.

Examinons à présent ce qui fait la base de la faculté de com­mander d'un individu. Il faut tout d'abord définir ce que l'on entend par commandement. '

Je vous suggère, comme définition des qualités requises d'rçn chef : la volonté de dominer, alliée à la force de caractère qp inspire confiance. La mesure de la capacité d'un homme à com­mander est, à mon sens, double.

En premier lieu, elle réside dans sa volonté de dominer les hommes et les événements qui l'entourent, la volonté de s'entraî­ner lui-même et d'entraîner ses hommes jusq^à la limite de leurs possibilités à une fin donnée, et dans le refus de sè laisser détourner par quoi que ce soit de son but.

En second lieu, elle réside dans la force de son caractère, orienté vers le bien ou le mal, à inspirer aux autres une confiance absolue en lui et dans ses capacités de les conduire à la victoire, et à susciter l'enthousiasme de ses hommes pour la tâche à accomplir. Cette faculté d'un individu d'attirer la confiance des autres et d'éveiller l'enthousiasme est une qualité spirituelle, mais i l est bon de se rappeler que cette qualité n'est pas néces­sairement orientée vers le bien ; le chef malfaisant est égale­ment susceptible d'inspirer confiance aux antres et a souvent prévalu dans l'histoire, au moins temporairement.

Nombre dé chefs militaires, aux personnalités fort diverses, ont entraîné des hommes à les suivre. Je me propose de choisir trois grands capitaine^ du passé et d'examiner sommairement pourquoi ils furent des chefs, comment ils menèrent leurs hommes, et comment ils réussirent ou échouèrent dans leurs fonctions de chef s.

Je commencerai par considérer Moïse. Il était déjà vieux quand i l fat appelé à conduire les enfants d'Israël hors de la terre d'Egypte. Une tâche immense l'attendait. H lui fallait d'abord convaincre son peuple de secouer le joug des. Egyptiehs. Ce

, n'était pas chose facile : les Israélites avaient vécu pendant près

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de quatre cents ans comme esclaves des Egyptiens'; ils avaient vécu dans le delta du Ni l , climat énervant et malsain, propre à saper l'énergie et l'initiative. En revanche, ils vivaient dans une contrée où la nourriture était abondante, alors qu'alentour i l n'y avait que déserts où la vie était à peine possible. Mofee eût cer­tainement à triompher d'une terrible inertie initiale pour persua­der les Israélites de s'aventurer dans ces déserts avec tous les risques de famine et de maladie et la nécessité de combattre. Son pouvoir d'animer et de dominer ses semblables doit avoir été d'une qualité très haute.

Sans aucun doute, Moïse comprit, lorsqu'il emmena les Israé­lites hors de la terre d'Egypte, qu'ils étaient inaptes à la bataille: pendant quelque quatre cents ans, ils avaient été des esclaves. Aussi s'appliqua-Ml à les entraîner à la tâche, pour forger l'arme qui pourrait conquérir la terre de Chanaan. J'ai la conviction que Moïse garda à dessein les Israélites pendant quarante ans dans le désert — l'espace de deux générations — afin d'instruire et de façonner une race capable d'entreprendre la tâche de con­quête prévue. Et au cours de ces quarante années, i l leur apprit graduellement le métier des armes et de la conquête. H mit un soin méticuleux à les instruire ; et i l est fort intéressant de noter son refus de risquer le moindre échec dans son action guerrière. Nous lisons que, peu après lé départ d'Egypte, i l demanda à pouvoir faire traverser aux Israélites le pays d'un autre peuple ; la permission ne lui ayant pas été accordée, i l prit une voie différente. Mais plus tard, quand la même situation se présenta, et que les Israélites furent mieux entraînés au combat, i l conduisit ses hommes droit au cœur de ce pays et anéantit complètement ses ennemis. Il était bon juge des capacités et des déficiences des Israélites, et cette circonstance lui permit de rem­porter une série ininterrompue de succès militaires. Avec sa sagesse et sa connaissance profonde de la nature humaine, i l comprit que le meilleur moyen pour un chef militaire de gagner la confiance dé ses soldats était de leur donner des victoires. Si un capitaine donne des victoires à ses hommes, ceux-ci le sui­vront n'importe où.

Mais i l n'appartint pas à Moïse de voir les fruits de son œu­vre. Il pécha : en revendiquant, comme lui étant dus; des^pou-voirs qui n'étaient pas à lui ; et à cause de ce péché de présomp­tion, i l fut contraint d'abandonner à Josué l'œuvré dé conquête

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définitive du pays de Chanaan, à laquelle i l avait si bien préparé les enfants d'Israël.

Je me propose ensuite de considérer Cromwell, un autre chef qui apprit à faire la guerre quand i l avait déjà dépassé l'âge mûr. Il avait plus de quarante ans à l'explosion de la guerre civile. Il commença* cette guerre à la tête d'une troupe de soixante hommes, et c'est avec cette troupe qu'il combattit à EdgéhilL Là, en dépit de la supériorité des Parlementaires en hommes et en canons et d'une cause ardemment défendue, i l vit l'incapacité de son parti à s'emparer de la1 victoire et i l vit le'même parti échapper à la défaite uniquement grâce à la folie de ses adversaires. Ce fait lui donna beaucoup à réfléchir ; la supériorité en hommes et en équipement était nettement sans valeur s'il ne s'y ajoutait autre chose ; ce qu'il fallait aussi, c'était le chef qui forgerait une arme avec le matériel d'enthou­siasme disponible, et en disposerait alors avec vigueur et déter­mination pour atteindre son but militaire. '

Il vit aussi la nature de l'arme requise et comment elle pour­rait être forgée. Et i l se mit lui-même à l'œuvre pour construire une armée selon ses propres principes, fondés sur un esprit très belliqueux,* une bonne discipline et une solide connaissance de la tactique ; ce devait être une armée qui aurait pleine confiance en lui comme chef. Il s'appliqua à sa tâche, animé, nous dit-on, d'un zèle impétueux; d'un « diable au corps » qui força les autres à le suivre. Il avait une foi complète en ses possibilités de succès militaires. Il distinguait la façon dont i l devait entraî­ner ses hommes au combat, et les quelques conditions essen­tielles du succès, pourvu que ses hommes eussent l'esprit com­batif nécessaire. La bataille d'Edgehill fut livrée en octobre

• 1642 avec Cromwell comme capitaine d'une troupe à cheval, forte de soixante hommes. En janvier 1644, i l était lieutenant-général, commandant en second l'armée de Manchester des comtés orien­taux, commandant en chef de cavalerie du côté des Parlemen­taires et le seul capitaine marquant dans l'armée des Parle­mentaires.

Cromwell n'était pas un homme aimable. Il était prompt à s'emporter, i l avait foi en une discipline rigide et en un entraî­nement constant ; et i l traitait durement ses hommes. Mais i l croyait, avec une certitude aveugle, en la légitimité de sa propre cause, i l insufflait cette idée à ses soldats et i l était convaincu de

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ses propres capacités de succès dans la bataille. Et i l remporta le succès : i l n'essuya pas d'échecs. Si un commandant défend une cause juste et donne la victoire à ses soldats, i l gagnera la confiance absolue de ses hommes : dès lors, rien ne lui sera impossible.

Mais le pouvoir que lui avaient valu ses prouesses guerrières poussa Cromwell à prendre lui-même les rênes du gouvernement. Il devint impatient des méthodes inefficaces et dilatoires du gouvernement parlementaire de ce temps ; et i l le compara, au détriment de celui-ci, avec sa propre capacité militaire de pren­dre une décision immédiate et de la traduire sur-le-champ en actes. Mais, alors que dans la bataille i l avait été sûr du cours précis de l'action, dans le domaine politique, i l fut en maintes occasions incertain et perplexe.

Pendant la période où i l gouverna l'Angleterre» i l essaya cinq systèmes différents de gouvernement et tous échouèrent» A la fin, i l gouverna seul et de façon beaucoup plus absolue que Charles avait jamais tenté de le faire. A l'intérieur, i l imposa des taxes plus lourdes, témoigna à l'égard du Parlement un dédain plus impudent que Charles ne l'avait jamais fait, et porta plus tyranniqùement atteinte à la liberté personnelle. En Irlande aussi, sa politique dure et cruelle laissa une haine durable que les siècles n'ont pas apaisée. Mais son gouvernement ne fut pas complètement improductif ; â créa des services armées les meil-

, leurs du monde et i l obtint pour l'Angleterre une voix dans les affaires d'Europe comme elle n'en avait jamais eu auparavant. Nombre de ses triomphes à l'étranger furent éphémères et sans substance et beaucoup de ses réalisations dans le pays disparu­rent avec lui. Mais son œuvre pour la marine, et ses premières tentatives de création d'un empire jetèrent les bases d'un grand édifice.

Le troisième grand capitaine que je me propose de considérer est Napoléon, un chef mû par l'ambition et non pas, comme les deux autres, par un grand idéal. A la différence des deux autres, c'était un soldat de carrière, exercé depuis sa .jeu­nesse au métier des armes ; déjà tout jeune, à l'Ecole militaire,, i l se révélait nettement un chef ; i l désirait domi­ner et il.dominait ses camarades. A la différence des deux

.autres encore, i l obtint à un âge très précoce un poste de haut commandement indépendant. A vingt-six ans, i l prit le comman-

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dament de* l'armée ^Italie, armée inférieure en nombre et en éqpiitement à celle de l'adversaire, et à demi-matinée à cause du manqua de solde. Pourtant, en l'espace d'une année, avec cette arme inférieure qu'il reforgea à sa convenance, i l réussit une campagne brillante en Italie du Nord et imposa la paix a ses ennemis. Dès le moment de son arrivée avec son armée,' i l domina ses troupes» généraux comme soldats, et leur inspira confiance en se» capacités de leur donner des victoires ; de ces capacités, lui-môme ne douta jamais et dans cette confiance en soi résida beaucoup de son pouvoir d'inspirer confiance aux autres.

•' Néanmoins cette confiance en soi impérieuse reposait sur la faculté qu'avait Napoléon de voir dans tout'problème militaire lès1 quelques éléments essentiels dont dépendrait le succès. Il avait le grand pouvoir de simplifier tous les problèmes et de dis­cerner les détails importanta de ceux qui ne l'étaient pas. Ayant saisi les éléments essentiels du problème et Inspiré confiance à ses soldats auxquels i l avait* inéulqué Un' excellent moral, i l savait qu'il né pouvait échouer. •', toutefoisNapoléon fut toujours un homme politique autant

qu'ujQ.soldai H avait Je,goût,de j'ini^rigije et des marchandages diplomatiques, et^on, hjépris pour ses semblables joint à sa pas­sion de dçminerles^ommes et les événements, le poussa à aspi­rer à de. pins, grandes choses. Dès le moment où i l devint Pre­mier Consul, des facteurs politiques plutôt que militaires influ- . encèreçt ses décisions^ et l'échec de sa tentative de concilier ses aspirationSipolitiaues avec ce qui était possible militairement le conduisit finalementi3a^x désastres de Moscou et de la Péninsule qui furent irréparables.

. • Qu'avaient donc en commun -ces trois hommes, Moïse, Crom-well et Napoléon, d'indispensable à leur réussite ? v Leur point le plus frappant de ressemblance fut l'empire

qa'Us exercèrent sur leurs semblables. Ils avaient tous trois la certitude qu'ils pouvaient faire et qu'ils feraient ce qu'ils avaient décidé de faire. Pour eux, c'était une chose simple et facile, et le sueoee était tâtohmmt certain. Cette assurance leur donna à chacun le pouvoir d'entraîner les autres à les suivre aveuglé­ment et jusqu'à la limite de leurs forces, et ce pouvoir d'enthou­siasmer les autres accrut considérablement celui de leurs troupes d'accomplir ce qu'on, demandait d'elles.

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' Où ces hommes puisaient-ils leur suprême foi en leur capa^ cité d'atteindre leur but dans la bataille ? A mon sens, ils la tenaient de leur faculté de voir, sous sa forme la plus simple, le problème qui les intéressait ; de voir les conditions essen­tielles d'une solution heureuse de ce problème, et la façon dont c»s conditions pouvaient être réunies. Une fois qu'ils avaient saisi ces pointé essentiels, ils ne les perdaient jamais de vue, et jarfïattils ne1 laissaient une masse de détails submerger ce, oui importait pour la réussite. Car tous -les problêmes militaires sont simples en leur essence ; mais la faculté de simplifier et de dégager de la masse des détails les éléments importants, et ceux-là seuls, ne s'exerce pas toujours aussi aisément.

Chacun de ces hommes avait le pouvoir de dominer l'esprit des autres, de leur inspirer de l'enthousiasme et de les convain­cre de leurs propres moyens d'accomplir ce qu'pn demandait d'eux. Cet ascendant sur l'esprit des autres, cette faculté d'éveil­ler l'enthousiasme ne pouvait s'exercer — et ne s'exerça nnjque-ment — que par le contact personnel de ces chef s avec fcurs hommes. Tous trois furent en contact étroit et fréqùept a vec leurs ;i!r6upès. Ils 'étaient bien connus, familièrement connus <$e leurs'soldais et saisissaient'souvent l'occasion dé leur parler. Nkpôléim et Crbmwell certainement, et très probablement #foïse aus«,étàieh^ cbimus de leurs hommes sous des surnoms, ei'tire-r&itfpà&i dé cette popularité pour servir leurs fins. En xn&ne ttonpf, c&actÉ Ûe ces chefs savait bien ce que le soldat pensait e^cé'qu'u.désirait lé plus, et i l étudiait toujours soigneusement le facteur humain. Si un chef néglige le facteur hnmaln, fl échbiiëi'a. Aucun homme ne peut mener les autres s'il 1 ignore leurs posées et leurs sentiments.

Aucun chef, sî grand soit-iî, ne peut se maintenir longtemps s'il ne remporte des victoires. Sans victoires au combat, tout le reste est vain. Et à quoi donc est dû le succès dans la batailfe ? Dans sa grande étude sur Marlborough, Mr Winston Churchill dit'fatt'ju&cîëlsement i

À ' L e * succès d'un chef militaire ne résulte pas de l appUc*-tfo*à suivre des règles ou des modèles. Il consiste en tteecom-prthehàidn absolument neuve des faits dominants de la situation 6 1 mémént et dWa mise en œuvre dé toutes les forcée;. Chaque grande opération de guerre est unique. Ce qui est requis «Et U T » appréciation profonde de l'événement actuel. Il n'est pas de plu*

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sûr moyen d'aller au-devant du désastre que d'imiter les plans de héros du passé et de les adapter à des situations nouvelles. »

Cette observation est juste. Car, dans la guerre, i l n'y a jamais deux situations identiques, et chaque situation,40$ être envisagée comme un problème entièrement nouveau dont la solu­tion sera entièrement nouvelle. Il suffit de songer au début de cette guerre et à la confiance accordée à la ligne Maginot. : ici, i l y eut, en effet, un défaut d'appréciation des nouveautés et des transformations de la technique qui rendaient pareilles for­tifications parfaitement inutiles. ,

Pour remporter des victoires, certaines qualités sont néces­saires, et j'en mentionnerai quatre que possédèrent à divers degrés tous les grands capitaines de l'histoire. , ,

Ce sont : a) La connaissance de la technique de la guerre ; ,

*&) La faculté de voir clairement les quelques éléments, essen­tiels dù succès ;

c) Le courage et la vigueur mentale ; . d) Un jugement bien équilibré. La façon de conduire la guerre varie d'une époque à l'autre

et avec l'avènement de chaque arme nouvelle. C'est une chose qui évolue et se modifie sans cesse. Celui qui aspire à un poste de haut commandement dans la guerre doit comprendre à fond les principes importants qui lui dicteront la manière de livrer, la bataille de son temps; i l doit aussi se tenir consomment a

v l'affût des idées ou des armes nouvelles qui pourraient affecter ces principes. Le rythme du changement dans la science mili­taire durant les périodes de paix est souvent lent : aussi, nombre de gens se laissent-ils abuser par une fausse impression de sécu­rité, durement ébranlée à l'explosion d'une guerre,

; La connaissance de la technique de la guerre implique, égale­ment la capacité d'instruire des troupes. Tout grand chef inili-taire doit forger lui-même l'arme adaptée à la tâche qui l'attend, Pendapt quarante ans, Moïse commanda le peuple d'Israël dans le désert en lui apprenant la façon de se battre et i l forgea l'arme pour conquérir le pays de Chanaan. Cromwell et Napo­léon procédèrent de même : ils forgèrent leur arme propre pour la tâche spécifique projetée, improvisant et inventant au fur et à mesure, afin de développer une tactique nouvelle pour faire face, aux nouveaux problèmes du moment.

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L E COMMANDEMENT MILITAIRE é Aucun homme ne peut être un grand chef militaire s'il n'a

la faculté de trancher les difficultés accumulées, et de voir clai­rement les quelques points essentiels de tout problème qui se présente à lui. Dans tout problème, i l n'y a jamais que quelques points essentiels d'une importance vitale pour ce problème-là. Ces pomts doivent être dégagés de la masse des détails et ne jamais être perdus de vue. Si, dans une bataille, un chef perd de vue lés quelques points essentiels qui comptent, i l essuiera une défaite.

Mais pour bien discerner ces points, i l ne doit pas se laisser trop submerger lui-même par les détails. Tous les grands capi­taines ont eu un état-major dont la tâche principale était de maîtriser les détails, laissant ainsi son chef libre d'envisager tout ensemble les points essentiels du problème etles détails, et ces détails seulement qui étaient d'une importance vitale dans ce problème. Car, s'il est de nombreux détails dont un chef mili­taire ne peut et ne doit pas s'encombrer, i l est intéressant de noter que tous les grands capitaines se sont toujours préoccupés de certains détails de leurs problèmes. Napoléon et Wellington offrent deuip bons exemples à ce propos. ,

Aucun homme ne peut s'élever à un poste de haut comman­dement s'il ne possède la qualité de courage. La forme supréine du courage personnel est plutôt requise du chef militaire à l'échelon inférieur : de celui qui doit plonger dans îa tourmente du champ de bataille. Le chef militaire à l'échelon supérieur sait élever son courage jusqu'à une vigueur mentale capable* de résister à l'effort et à la tension auxquels i l sera soumis. A tout moment, i l doit être en mesure de supputer sans passion la bonne et la mauvaise fortune qui pourraient lui échoir. Il ne peut pas se laisser distraire par les événements ni se laisser dévier dé son but principal par quelques lauriers brillants niais éphémères.. Il doit, en tout temps, garder une vue impartiale de là situation et, dans la bataille, être capable de juger de la valeur réelle du flot de bonnes et de mauvaises nouvelles dont i l sera inondé. Chaque bataille se résout en une lutte entre la volonté de deux chefs adversaires. A moins dé posséder de là vigueur mentale, un chef ne sera jamais à même de forcer la volonté de son adversaire. Il est bon pour un chef militaire de se rappeler qu'aucune bataille ne fut jamais perdue avant que telle n'eût été la conviction du chef militaire.

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,. . Un capitaine doit avoir un jugement bien équilibré; à la fois par rapport à la situation militaire et dans ses relations avec ses subordonnés. Il doit considérer la situation militaire comme un jeu toujours mouvant de forces, et savoir d'instinct quand i l lui faut se montrer téméraire ou circonspect. Si doit peser la situation, à la fois au moment même, et telle qu'elle pourrait se développer dans l'avenir, et livrer sa bataille de façon que les réactions de ses ennemis ne puissent déranger son plan. Et tout en essayant d'imposer sa volonté à son adversaire, un chef militaire doit savoir quand la prudence est lameilleure^ part de la vaillance; son désir de dominer son adversaire ne doit pas l'emporter sur son jugement des possibilités, actuelles de la situation. Son jugement doit toujours être bien.équ^bré et, le cas échéant, s'il possède une bonne information pour.l'éta­blir, i l pourra alors forcer à sa guise le cour» de la bataiMe et contraindre l'ennemi à s'y conformer ; i l aura, en fait^arraché l'initiative à l'ennemi.

.Dana ses relations avec ses subordonnés, i l lui faudra aussi un.hpn jugement et une saine connaissance de la (nature humaine. Il lui appartiendra de bien choisir see<subordonnés; quant \ avec lesquels i l sera en contact fréquent - r ses officiers supérieurs — i l les connaîtra personnellement et bien. Il toi .incombera de juger s'il faut agir parla force ou par la persuasion, être sévère ou prodiguer les éloges. Car tous: les hommes sont différents et chacun d'eux requiert un traitement difiér*nt. ... ( lias trois chefs militaires que j ' a i considérés réussirent aussi longtemps qu'ils gardèrent présent à l'esprit leur but purement militaire et qu'ils ne furent pas égarés par d'autres considéra* tions.Mais il faut toujours craindre que d'autres considérations, et spécialement d'ordre politique, ne forcent la main ai) soldat et ne l'entraînent à quelque action malencontreuse du point de vue militaire. Maintes batailles ont été livrées pqurdesi saisons politiques et non point militaires, et elles ont été, >le tombeau de plus d'une réputation de soldat. Le soldat est le .serviteur de l'homme d'Etat et se trouve donc,exposé àsubir une pression politique. Il doit être .assez ferme pour résister à pareille pression chaque fois qu'elle est en conflit avec son but pure­ment militaire. 'Peu d'hommes d'Etat forceront la main an-sol­dat, si le soldat déclare carrément :

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« Si je me bats comme vous souhaitez que je;me batte, je perdrai la bataille, si je me bats à ma façon et au moment de mot choix, je la gagnerai. » Mais le soldat doit être prêt à-se montrer très carré et à jouer toute sa réputation sur le;succè8 s'il dispose des ressources adéquates et qu'il a les mains libres. Et i l doit être, prêt aussi à se montrer très catégorique, et à refuser.de se laisser imposer une action qu'il estime imprati­cable. . •. • . .

Dans l'histoire, le chef militaire a souvent été. tenté, et a souvent succombé à la tentation d'aspirer à l'autorité politique.

- Toute la discipline et toute l'expérience du soldat lui enlèvent plutôt qu'elles ne lui donnent des aptitudes au rôle poUtique* Le soldai est exercé à entreprendre une action directe selonr cer­taines lignes bien définies et a entre les mains une machine mili­taire qui répond immédiatement et avec précision à son mouve­ment L'homme politique est exercé à la subtilité dans la discus­sion, dans l'appréciation des intérêts contradictoires de ses pat** tisane, «t généralement obligé de recourir à des compromis; la machine gouvernementale est beaucoup moins eocacte et .précise que la militaire, et son action n'est pas rapide même quand «lie est manœavrée par des mains politiques très expertes, fin re­vanche, dans la guerre, si un chef transige sur des points essen­tiels, i l échoue. Au surplus, le facteur temps obligele chef mili­taire à adopter 1* meilleur expédient pour l'espace de temps dis­ponible, lequel espace est généralement court» D'autre part, l'homme politique est rarement forcé de prendre une. décision immédiate,.; i l la diffère plutôt afin de trouver la solution juste et correcte et a. évite tout expédient instantané. Le îpremiar saisit l'occasion aux cheveux et adopte le meilleur expédient; l'autre temporise pour assurer le succès de son action. ,

Par. conséquent, un chef qui est primitivement)un soldat perd de vue son but militaire simple et clairement défini, quand i l se mâle de politique j i l cesse de discerner les points essentiels ; dans le monde politique, i l est un homme à la mer. Noua lisons que c Gromwell, en politique, était confus et embrouillé,travail-lant lentement et d'une façon détournée à un : système qu'il ne voyait pas clairement »; et encore, qu'il était « désordonné et distrait » causai, bien qu'il eût gardé le pouvoir politique entre les mains sa vie durant, beaucoup de ce qu'il avait édifié s'écroula à sa mort. Il en alla de même pour Napoléon s aussi

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longtemps que son but militaire demeura sa principale préoc­cupation, i l réussit; mais lorsque des considérations politiques dominèrent ses* plans, le désir d'imposer sa volonté à l'Europe le poussa à entreprendre desi opérations militaires qu'il n'était pas en son pouvoir d'accomplir.

Les qualités requises du soldat et de l'homme politique se trouvent, en fait, à des pôles opposés, et l'histoire ne mentionne que quelques hommes qui aient possédé les deux espèces de qua­lités; peu de soldats ont fait de bons hommes politiques et peu d'hommes politiques ont fait de grands soldats.

Avant de quitter le passé, i l est intéressant, je crois, d'ob­server que lès grands chefs militaires ont été, dans l'ensemble, rares. Il y a eu nombre de généraux d'une bonne capacité moyenne, mais peu de réellement grands. Si l'on étudie ceux qui furent grands, i l convient de noter deux points ::

Primo : qu'il faut une guerre pour produire ces grands chefs militaires;

Secundo : que pas mal d'entre eux révèlent leur grandeur après un apprentissage très court

Gela suggère que l'art de la guerre, au moins dans le passé, si la remarqué ne s'applique pas aussi bien à l'époque actuelle, est un art relativement simple, et que les qualités qui font un grand : capitaine sont -innées plutôt qu'acquises. Le caractère dominateur, et plus spécialement la volonté de dominer et de conduire ses semblables sont donnés à peu d'hommes; mais ce pouvoir de conduire étant donné, la capacité de remporter'des succès dans la guerre peut être acquise. Un homme peut cultiver les qualités d'un grand chef à condition de posséder, à un degré suffisant, les qualités innées du caractère dominateur et de la volonté de dominer, faute de quoi i l ne deviendra jamais un grand chef même s'il étudie longtemps l'art ou le métier de la guerre.

C'est un des phénomènes de l'histoire militaire que les évé­nements produisent invariablement l'homme. L'âge ne fait rien ou pas grand'chose à l'affaire; l'occasion peut se présenter plus tôt pour les uns, plus tard pour les autres. Napoléon avait vingt-sept ans quand i l conquit l'Italie du Nord, Wolfe en avait trente-quatre quand i l prit Québec; à l'autre extrémité de l'échelle, Marlborough en avait cinquante-deux quand i l obtint pour la pre­mière fois un poste de haut commandement indépendant, et

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Abercromby mena une campagne brève mais brillante en Egypte à l'âge de soixante-huit ans, à la fin d'une longue vie. Les car­rières des grands généraux ont toujours présenté cet aspect de la chance : l'occasion vient à des âges différents et en diffé­rentes circonstances; certains ont été plus favorisés que d'au­tres; certains peut-être n'eurent jamais l'occasion de prouver leurs capacités. Voilà pour les leçons de l'histoire. Aujourd'hui les problèmes de l'autorité militaire sont fort semblables à ce qu'ils ont toujours été. Je me propose de vous exposer mainte­nant certains principes qui m'ont guidé dans la conduite des armées confiées à mon commandement.

, Je dirai d'abord qu'un chef doit savoir très clairement ce qu'il veut; i l doit voir clairement son Objectif et mettre tout en œuvre pour l'atteindre; i l doit faire connaître à quiconque est sous ses ordres ce qu'il veut et les bases de son plan. I l doit en fait diriger fermement et commander de façon claire, i l sera nécessaire pour lui de créer ce que j'appellerai c l'atmosphère » et dans cette atmosphère, ses subordonnés, officiers et soldats, vivront et travailleront. Pour ce faire, i l aura à tenir sa machine militaire d'une poigne ferme du sommet de l'échelle; de cette manière seulement, son armée pourra acquérir équilibre et cohé­sion, et donner ainsi son plein potentiel de combat. L'histoire offre de nombreux exemples d'un manque de poigne de la part d'un capitaine : dans ce cas celui-ci ne réussit pas à développer la puissance dont son armée était capable, et alla au devant du désastre.

Après avoir établi }es bases de son plan, un chef militaire doit placer son entière confiance en ses subordonnés et leur donner la liberté d'exécuter ce plan dans le cadre qu'il à établi. Il doit être prêt à décentraliser et à laisser ses subordonnés user de leur initiative dans toutes les questions de détail. Le chef lui-même doit se tenir en dehors des questions de détail pour pouvoir discerner clairement les points essentiels de son pro­blème, et s'assurer que les mesures adéquates sont prises relati­vement à ces points essentiels. Si jamais un capitaine se laisse submerger par les détails sans importance d'un problème quelconque, i l perd alors de vue les points essentiels. Il est évi­dent qu'il doit pouvoir bien juger les hommes, et bien choisir ses subordonnés; i l faut aussi qu'il ait 1'« allant » nécessaire pour obtenir que les choses se fassent

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-, 'Aucun <shef militaire ne restera longtemps au premier rang s'il ne remporte le succès. Dans la guerre, le plus grand facteur individuel de succès est un bon moral. Un bon moral est fondé sur ^discipline, le respect,de soi et la confiance du soldat en seachefs et en'ses'armes; c'est une perle de grand prix et sans laquelle aucune victoire ne sera remportée. Un bon moral "est en fait une mesure dellà confiance des troupes en leur chef.

Il n'existe pas de manuel de règles qui puisse aider un chef militaire à gagner l'entière confiance de ses hommes. Chaque capitaine adoptera ses méthodes propres et qui conviennent le mieux à Sa personnalité propre. Qu'il suffise de dire qu'il devra être connu 'personnellement de ses soldats et que le succès dans la bataille produira des résultats rapides : tous les soldats sui­vront un général victorieux. Aucun chef, toutefois, ne gagnera la confiance de ses troupes s'il n'est connu, et bien connu d'elles ; i l faut qu'elles le voient et, si possible* qu'elles l'entendent parler souvent? un chef militaire'devrait saisir toutes les occasions de parler à ses officiers et à ses hommes; i l en sera récompensé selon sa valeur, f v < *. «: iiyautres facteurs exercent une grande influence sur le

moral. Le front de l'intérieur et celui du champ de bataille sont aujourd'hui, plus que jamais, très étroitement liés. Si le soldat pense que la situation est mauvaise au pays, i l devient soucieux et son moral baisse. Dans la guerre moderne, la nation entière est une grande équipe qui attend d'être inspirée et dirigée par un individu. Churchill, Roosevelt, Staline et Hitler ont, chacun à sa manière, donné cette inspiration et cette autorité natio­nale». •' ,^

• < Tout comme la victoire est un grand stimulant pour le moral, rie» n'entame le moral aussi rapidement qu'une défaite; aussi ne doit-il pas y avoir de défaite. Le moral peut subir une atteinte grave] et durable au cours d'opérations pour lesquelles les troupes "intéressées ne sont ni prêtes ni entraînées, et dont l'échec est l'aboutissement vraisemblable. Aussi me suis-je donné pour règle de limiter l'objet de toute opération à ce qui pouvait s'effectuer avec succès.

Une-autre, chose qui, aujourd'hui, exerce une grande influence sur le moral, est la qualité des soins médicaux que Tes soldats peuvent'attendre. Dans la campagne d'Europe qui vient de se terminer, la qualité des soins médicaux s'éleva à un degré

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jamais'atteint auparavant dans l'Armée britannique ni dans aucune autre, et ce fait eut naturellement un grand effet sur le moral. •.. .. •

» Un chef militaire doit se livrer à une étude très poussée de la nature humaine. La matière première dont i l dispose est cons­tituée par des hommes, et i l importe de se souvenir que tous les hommes sont différents. Ce qu'un chef militaire fait du ma­tériel humain mis à sa disposition dépendra entièrement de lui. J'at découvert que chaque division qui a combattu sous mon commandement avait des caractéristiques distinctes; chaque division était bonne pour un type différent de bataille, et i l est vital pour un capitaine de pouvoir juger des qualités respectives de'chaque division et "de pouvoir s'assurer que chaque division soit à sa place au moment voulu.

La différence entre les divisions provient en partie de la personnalité du commandant de la division, et en partie du type d'hommes dont la division se compose. J'ai constaté; par exemple, que certaines divisions étaient particulièrement bonnes dans les attaques brusquées mais l'étaient moins quand i l s'agis­sait d'une attaque soigneusement préparée ; certaines divisions travaillaient mieux la nuit, d'autres, le jour; pour un massacre massif, certains types d'hommes étaient meilleurs ue d'autres et'ainsi de suite. Chaque division développe une personnalité'qui lui* est propre, et qu'à mon avis, un généralissime se doit d'étu­dier. • • : • • . ' • <

De même, tous les généraux diffèrent et doivent être choisis pour une tâche donnée. Jamais deux tâches ni deux problèmes ne sont identiques, et le caractère de la tâche doit s'adaptera celui du chef choisi pour l'entreprendre. Une des fonctions les pins importantes d'un chef militaire est de s'assurer que chacun se trouve à sa place pour s'attaquer à une tâche donnée.

Si un chef militaire croit que tous les hommes sont les mêmes, et qu'il traite la grande masse de son matériel humain coTiformément à ce principe, i l échouera.

Les soldats d'aujourd'hui ont un niveau différent de-estai des soldats des temps révolus et demandent à être traités avec plue: de discernement. Ils n'iront plus aveuglément ni sans expli­cations vers uh but inconnu. Aujourd'hui, par conséquent, un chef militaire doit veiller à ce que ses troupes sachent toujours «e qu'on exige d'elles, et la façon dont leur travail s'incorpore

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dans une opération plus vaste. J'ai toujours tenu, avant une. bataille, que les points essentiels du plan fussent portés à la connaissance de tous les éléments de la troupe, en passant par •tous les échelons hiérarchiques. Les troupes doivent savoir com­ment un chef entend livrer la bataille et quel rôle elles auront à yt jouer ; cela doit leur être expliqué verbalement, car la parole compte beaucoup plus que le mot écrit.

Ensuite, quand la bataille sera gagnée, et que les troupes verront qu'elle s'est déroulée suivant les prévisions de leur chef, leur confiance dans le haut commandement sera très grande. Cette confiance est inappréciable.

Un chef militaire doit veiller avec soin à son propre moral. Une bataille est une lutte entre les volontés de deux chefs adver­saires; celui dont le cœur faiblit quand l'issue est suspendue dans la balance perdra la bataille. Un chef militaire doit d'ail­leurs faire rayonner la confiance dans son plan et ses opéra­tions, même si, au fond de lui-même, i l n'est pas tout à fait sûr du résultat.

Afin de ne pas s'embarrasser des détails sans importance, et d'avoir ainsi le temps de réfléchir et de méditer calmement, un généralissime doit travailler avec un état-major, évitant par là de traiter- séparément avec les têtes de chaque section. A ma connaissance, l'Armée britannique est la seule armée à ne pas adopter le système de l'état-major; ma propre expérience m'a montré qu'il était absolument impossible d'exercer heureusement le haut commandement sans cela. Moi-même, j 'a i adopté le sys­tème de l'état-major dans cette guerre et je n'aurais pu réussir autrement

i Aucun officier dont la vie quotidienne est consacrée à l'exa­men de détails, ou qui n'a pas le temps de réfléchir et de mé­diter calmement, ne peut établir un bon plan de bataille ni mener des opérations d'envergure.

Le chef militaire avisé est celui qui se sert d'un état-major, qui voit lui-même très peu de lettres ou de documents, et qui veille à ce que la majorité des rapports qui lui sont fassoient verbaux et succincts. De cette manière seulement eh s'accordant tout le temps nécessaire pour réfléchir et méditer calmement, i l gardera son esprit frais et capable d'élaborer le plan des opé­rations qui auront raison de l'ennemi. Car le plan des opérations doit toujours être fait par le chef suprême et non point lui être

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imposé par son état-major, par les circonstances ou par l'en­nemi.

Un chef militaire doit décider de la façon dont i l livrera la bataille avant qu'elle commence. Il doit décider comment i l uti­lisera l'effort militaire qui se trouve à sa disposition pour forcer le cours de la bataille à son gré. Pour être capable d'agir de la sorte, ses dispositions doivent être si bien arrêtées qu'il pourra ignorer les réactions de l'ennemi et poursuivre son propre plan jusqu'à ce qu'il soit sûr du succès. Il doit s'efforcer de lire dans l'esprit de son adversaire, de prévoir les réactions de l'ennemi, et de prendre des mesures rapides pour prévenir toute entrave de l'ennemi à l'exécution de son propre plan. Il doit avoir la pensée très claire et viser à avoir toujours l'avance d'un mou­vement sur son adversaire. Pour cela, i l faut qu'il simplifie le problème. Chaque fois qu'un problème se présente, i l en déga­gera les quelques points qui formeront la charpente de la solu­tion — les quelques points réellement importants. Aussi long­temps que la solution du problème sera fondée sur les quelques points réellement importants, la solution sera en bonne voie.

A tout moment, un chef militaire doit exercertson autorité personnelle; c'est-à-dire qu'il veillera à donner des instructions ou des ordres complètement verbaux aux généraux, ses subor­donnés, sur la façon de livrer le combat. Aucun ordre écrit ne sera jamais l'équivalent d'un ordre yerbal direct.

Aussi un chef militaire doit-il réfléchir à la manière de donner des ordres verbaux à ses subordonnés. Il n'y a pas deux généraux pareils ; chacun d'eux demande à être traité différem­ment; chacun d'eux aura une réaction différente. En exerçant son autorité personnelle, un chef militaire peut influencer da­vantage et avec plus d'exactitude le cours de la bataille, et la confiance qui se développera entre le chef suprême et ses,géné­raux sera d'une grande valeur. Ainsi, et ainsi seulement, toute la chaîne du commandement s'élaborera pour former une équipe unie, dont la force sera fondée sur la confiance et la compréhen­sion mutuelles. Quand toute l'armée ne forme qu'une grande équipe, unie pour « tout faire » vers une fin commune, le résul­tat est terrible.

La victoire dans la guerre est due à un bon travail d'équipe effectué par tous les membres de l'armée combattante, et à l'emploi adéquat de tous les membres de l'équipe par le chef mili-

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taire et son état-major. Mais la défaite dans la guerre est tou­jours due à une de ces deux causes : à un commandement défec­tueux ou à un mauvais travail d'état-major et parfois à toutes deux. Je ne vois pas d'exemple où la défaite ait été due à une défaillance du soldat. Le soldat britannique fait toujours ce qu'on démande de lu i ; mais i l faut s'assurer qu'il comprenne ce qu'on demande de lui et qu'il comprenne aussi qu'il est en son pouvoir'de le faire.

Et,' pour terminer, je ne crois pas qu'aujourd'hui un chef militaire puisse inspirer de grandes armées, de simples unités, voire'des hommes pris individuellement, et les entraîner à rem­porter de grandes victoires, s'il ne possède un sentiment authen­tique "de la vérité religieuse ; et i l doit être prêt à la re­connaître, et à conduire ses troupes à la lumière de cette vérité. Il doit1 toujours garder le doigt sur le pouls spirituel de ses armées, et être très sûr que le but spirituel qui les inspire est vrai et juste, et apparaît clairement dans l'esprit dé tout tnv chacun. Faute de quoi, i l ne peut espérer de succès durable.

Car toute autorité, à mon sens, est fondée sur la qualité spi­rituelle, le pouvoir d'entraîner les autres à suivre ; et cette qua- " lité Spirituelle peut être orientée vers le bien ou vers le ma l : E n de nombreux cas, cette qualité fut consacrée à servir des : intérêts personnels, et partiellement ou complètement malfai­sante; et chaque fois qu'il en fut ainsi, l'aventure aboutit'à un échec. Car l'autorité malfaisante, si elle peut réussir temporaire-ment, porte toujours en elle les germes de sa propre destruction.

Maréchal MoNTGOMEBYw

Texte traduit par Cécile Seresia. Editions de l'Office de Publicité, Bruxelles • -, -,