LD A 06 Dimanche du Carême · Dimanche!desRameaux!et!dela!Passion!–!Année!A!! as...
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Dimanche des Rameaux et de la Passion – Année A as
À l’écoute de la Parole
La Semaine Sainte s’ouvre par une double célébration : la procession, qui commémore l’entrée messianique du Seigneur à Jérusalem ; puis la messe, qui célèbre sa Passion et sa Résurrection. Sur le Mont des oliviers, nous évoquons l’entrée glorieuse de Jésus, annonciatrice de son futur triomphe ; puis nous descendons avec Lui dans la vallée du Cédron, vers les mystères de son humiliation, dans l’attente de sa Résurrection dimanche prochain.
Humiliation, exaltation : c’est le grand mouvement qu’illustrent les autres lectures, le « chant du Serviteur » (Is 50), l’hymne de la Lettre aux Philippiens (Ph 2) et l’extraordinaire psaume 22 (Mon Dieu, pourquoi m’as-‐tu abandonné ?).
Voir l’explication détaillée s
Méditation : les prêtres et les saintes femmes pendant la Passion
Les deux chapitres de Matthieu (26 et 27) qui décrivent la Passion, et que nous proclamons à la messe de ce dimanche, sont si profonds que nous devrions les relire chaque jour pendant la Semaine Sainte. Notre méditation ne retiendra que deux groupes de personnages qui y apparaissent : (1) Pierre et Judas, désorientés, eux que Jésus avaient choisis comme disciples et comme prêtres et dont le comportement nous avertit des dangers qui guettent en particulier les prêtres qui ne sont pas persévérants dans la vie spirituelle. (2) Les saintes femmes qui, au contraire, ont accompagné Jésus jusqu’à la tombe. Elles nous offrent un bel exemple d’âmes fidèles et attentives, qui vivent la « logique de l’amour ».
Voir la méditation complète
Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu, LC
Pour aller plus loin
Il est difficile, face à la Passion, d’articuler correctement les données des
Évangiles, la réflexion théologique et la méditation spirituelle. Pour la Semaine
Sainte, nous cherchons peut-‐être un guide : nous pouvons reprendre le début
de l’encyclique Ecclesia de Eucharistia de Jean-‐Paul II, qui nous offre un texte
simple, méditatif et extrêmement profond. On y lit par exemple :
« L'agonie à Gethsémani a été l'introduction de l'agonie sur la croix le Vendredi
Saint. L'heure sainte, l'heure de la rédemption du monde. Quand on célèbre
l'Eucharistie près de la tombe de Jésus, à Jérusalem, on revient d'une manière
quasi tangible à son ‘’heure’’, l'heure de la croix et de la glorification. Tout
prêtre qui célèbre la messe revient en esprit, en même temps que la
communauté chrétienne qui y participe, à ce lieu et à cette heure ».
https://w2.vatican.va/content/john-‐paul-‐ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-‐ii_enc_20030417_eccl-‐de-‐euch.html
À l’écoute de la Parole
Le livre d’Isaïe regorge de richesses littéraires et spirituelles, parmi lesquelles la
liturgie a choisi, pour ce dimanche, la mystérieuse figure du Serviteur souffrant,
dont nous lisons le « troisième chant » (Is 50, 4-‐7). La description dramatique
de cet homme qui souffre avec patience évoque fortement Jérémie : un
prophète formé et éprouvé par la Parole, envoyé pour réconforter le peuple (Jr
30-‐31), et qui fut sujet à la persécution physique (Jr 38). Jeté en prison ou au
fond d’une citerne, il ne mettait son espoir que dans le Seigneur. Mais au-‐delà
de Jérémie, ce mystérieux « Serviteur souffrant » constitue une figure
prophétique qui s’applique parfaitement à l’humiliation et à l’obéissance de
Jésus. Durant son procès religieux, il présente la même attitude : « Je ne me
suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. Je n’ai pas caché ma face devant les
outrages et les crachats » (Is 50, 6). Le texte d’Isaïe nous aide même à percevoir
les sentiments intérieurs du Christ, surtout l’abandon à son Père : « Le Seigneur
Dieu vient à mon secours » (v.7).
Le contraste est grand entre l’humiliation de la Passion et les acclamations
enthousiastes de l’entrée à Jérusalem, que nous avons répétées pendant la
procession. De même, les récits évangéliques des derniers dimanches, qui
montraient la puissance du Christ, contrastent avec le récit de la Passion. Jésus
accueille en sa personne ces deux réalités, comme l’explique le pape Benoît
XVI :
« Selon la tradition biblique, le Fils de l’homme est celui qui reçoit le pouvoir et
la souveraineté de Dieu (cf. Dn 7, 13s). Jésus interprète sa mission sur la terre en
superposant à la figure du Fils de l’homme celle du Serviteur souffrant, décrit
par Isaïe (cf. Is 53, 1-‐12). Il reçoit le pouvoir et la gloire uniquement en tant que
« serviteur » ; mais il est serviteur dans la mesure où il prend sur lui le destin de
souffrance et de péché de toute l’humanité. Son service s’accomplit dans la
totale fidélité et dans la pleine responsabilité envers les hommes. C’est pourquoi
la libre acceptation de sa mort violente devient le prix de la libération pour la
multitude, devient le commencement et le fondement de la rédemption de
chaque homme et du genre humain tout entier.1
Depuis les tout premiers temps de l’Église, le psaume 22 (21) a été lu comme
une description étonnamment précise de la Passion de Jésus : le psalmiste
semble décrire à la lettre ce que Jésus vivra au Calvaire. Au-‐delà des détails
concrets, saint Matthieu, dont l’Évangile est proclamé ce dimanche, met sur les
lèvres de Jésus ce cri que nous répétons en refrain : « Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m’as-‐tu abandonné ? » (Ps 22, 2 = Mt 27, 46).
Cette ultime prière de Jésus montre qu’il partage notre condition humaine
jusqu’à ce sentiment d’abandon total que peut ressentir l’homme dans
l’épreuve et face à la mort. Cette prière ne nie pas pour autant l’espérance,
mais la manifeste au contraire, puisque dans la traduction juive, citer le
premier verset d’un psaume revient à le citer intégralement.
En effet, le psaume 22, après la description des souffrances et la supplication,
opère un retournement spectaculaire et s’ouvre à l’action de grâces : « Je
proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée » (v.23).
Dans l’intervalle, quelque chose de radical s’est produit : Dieu est intervenu
pour porter secours au malheureux. La traduction liturgique choisit une
expression forte, qui dépasse l’original hébreu, pour l’exprimer : « Mais tu m’as
répondu ! » (v.22). Cela nous permet d’y voir une prophétie de la Résurrection,
1 Benoît XVI, Allocution du 18 février 2012, disponible ici : http://w2.vatican.va/content/benedict-‐xvi/fr/homilies/2012/documents/hf_ben-‐xvi_hom_20120218_concistoro.html
la réponse définitive du Père aux souffrances du Fils. C’est ainsi que le
Catéchisme considère le cri du Christ comme une prière filiale, parmi d’autres
que nous méditons comme les Sept dernières paroles :
« Quand l’heure est venue où il accomplit le dessein d’amour du Père, Jésus
laisse entrevoir la profondeur insondable de sa prière filiale, non seulement
avant de se livrer librement ("Abba... non pas ma volonté, mais la tienne" : Lc
22, 42), mais jusque dans ses dernières paroles sur la croix, là où prier et se
donner ne font qu’un : "Mon Père, pardonne-‐leur, ils ne savent pas ce qu’ils
font" (Lc 23, 34) ; "En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui tu seras avec moi dans
le Paradis" (Lc 24, 43) ; "Femme, voici ton fils" – "Voici ta mère" (Jn 19, 26-‐27) ;
"J’ai soif !" (Jn 19, 28) ; "Mon Dieu, pourquoi m’as-‐tu abandonné ?" (Mc 15, 34 ;
cf. Ps 22, 2) ; "Tout est achevé" (Jn 19, 30) ; "Père, je remets mon esprit entre
tes mains" (Lc 23, 46), jusqu’à ce "grand cri" où il expire en livrant l’esprit (cf.
Mc 15, 37 ; Jn 19, 30b) ».2
Cette année, nous lisons la Passion selon Matthieu, depuis la trahison de Judas
(26, 14) jusqu’aux précautions prises par les Pharisiens pour garder le tombeau
(27, 66). Jésus est naturellement au centre de toute la narration, mais son
attitude évolue au fil du texte selon trois phases : diriger, offrir, subir :
- Il dirige d’abord souverainement les événements puisqu’il annonce la
trahison de Judas, institue l’Eucharistie et exhorte ses disciples (Mt 26,
14-‐35).
- Il plonge ensuite dans l’angoisse à Gethsémani (v.36-‐46), où il réalise
l’offrande volontaire de sa vie ; même dans sa capture, il ne perd pas la
2 Catéchisme de l’Eglise catholique, nº2605, disponible ici : http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P8Y.HTM
maîtrise de la situation puisqu’il réprimande la violence de Pierre (v.47-‐
56).
- Il est alors « abandonné par tous » et se laisse juger par Caïphe, puis par
Pilate. Pendant les deux procès, il ne sort de son silence que pour
répondre au grand prêtre : « Dorénavant, vous verrez le Fils de
l’homme… » (v.64), et n’offre que deux mots à Pilate (27, 11). On a ainsi
l’impression qu’il se laisse mener comme un agneau innocent.
- Il devient totalement passif, dans son comportement extérieur, sous les
moqueries des soldats et des passants (Mt 27, 27-‐45). Puis il meurt en
croix, dans une grande souffrance physique et morale, en poussant un
dernier cri, avant d’être enseveli (v.46-‐66). Tout reste en suspens autour
de son tombeau.
Quelle trajectoire, en quelques versets, depuis le Maître qui institue
l’Eucharistie jusqu’à la sépulture hâtive d’un cadavre défiguré ! Notons
l’importance théologique, dans tout ce récit, du titre de « Fils de Dieu » : c’est
l’argument critique de son procès devant le grand prêtre (26, 63) ; les passants
puis les prêtres s’en moquaient au pied de la croix (27, 40.43). Mais sa mort
provoque des signes cosmiques puissants et mystérieux (vv.51-‐53), devant
lesquels le centurion, éberlué, lui attribue finalement ce titre que tous lui
refusaient : « Vraiment celui-‐ci était fils de Dieu ! » (27, 54). Le païen a perçu la
profondeur du mystère, à la différence des prêtres qui se sont éloignés ; et les
femmes recueillent son Corps sacré avec l’aide de Joseph d’Arimathie. Tout est
en place pour la Résurrection.
Au moment d’entrer dans la Semaine sainte, nous contemplons d’un seul
regard tout le mystère du Christ grâce à une hymne liturgique de la première
communauté chrétienne, que saint Paul inclut dans sa Lettre aux Philippiens
(Ph 2, 6-‐11). Elle décrit d’abord un mouvement de descente à deux étapes :
l’Incarnation, où Jésus « passe » de la « condition divine à la condition de
serviteur », suivie par la Passion : « mourir sur une croix ». Cette descente
manifeste l’extrême obéissance de Jésus. Puis vient un mouvement ascendant
qui est la réponse de Dieu le Père à l’offrande précédente, par la Résurrection
et l’Ascension de Jésus : « Il l’a élevé au-‐dessus de tout ». Il est maintenant le
centre de l’adoration de toutes les créatures, qu’elles soient angéliques (au
ciel), humaines (sur terre) ou dans le Shéol (aux enfers). Toutes sont unies par
une même proclamation liturgique : « Jésus-‐Christ est Seigneur ! »
C’est ce grand mouvement de l’hymne aux Philippiens que nous suivons avec la
procession des Rameaux, la proclamation de la Passion et l’attente de la
Résurrection. Nous accompagnons le Christ dans son mystère de Pâques, à
l’invitation de la liturgie :
« Aujourd’hui, le Christ entre à Jérusalem, la Ville sainte, où il va mourir et
ressusciter. Mettons toute notre foi à rappeler maintenant le souvenir de cette
entrée triomphale de notre Sauveur ; suivons-‐le dans sa Passion jusqu’à la croix
pour avoir part à sa Résurrection et à sa vie ».3
3 Suggestion du missel pour l’allocution aux fidèles (procession des rameaux).
Arrivée du Christ à Jérusalem, Pietro Lorenzetti (1320)
Méditation : les prêtres et les saintes femmes pendant la Passion
Au cours de la messe des Rameaux nous proclamons deux chapitres presque
complets de Matthieu, pour méditer la Passion en entier. Face à cet
extraordinaire monument théologique, nous choisissons, pour cette
méditation, de ne retenir que deux classes de personnages : des disciples
désorientés, Pierre et Judas ; et les saintes femmes qui accompagnent le Christ.
Ils rejoignent un aspect ou l’autre de notre vie chrétienne.
1. Gethsémani : Jésus entre Pierre et Judas, ses prêtres
Le récit de la Passion, jusqu’au procès devant Pilate, insiste sur le parcours de
deux apôtres : Judas, qui trahit son Maître, organise son arrestation, se repent
et finalement, méprisé par les autorités, se suicide. Il a voulu appliquer au
Christ une logique trop humaine en vue d’un impossible triomphe humain. Il y a
aussi Pierre, qui jure sa fidélité, s’endort à Gethsémani, suit discrètement Jésus
avant de le renier et termine dans les larmes. Deux histoires tragiques de deux
intimes de Jésus, choisis pour être ses disciples mais plus encore ses prêtres.
Deux personnages confrontés aux tentations qui menacent la vie spirituelle de
tout prêtre.
Le parcours de Judas n’est pas si éloigné du nôtre : se laisser fasciner par le
monde et ses illusions ; aimer l’argent jusqu’à en être esclave ; douter du
Maître dont la logique nous heurte, et perdre petit à petit la foi… On en arrive à
trahir Jésus, les petites compromissions et trahisons de la vie quotidienne que
l’on croit sans conséquence, qui grandissent sans que nous nous en rendions
compte, jusqu’à la chute éclatante où un Autre propose la tentation suprême
du désespoir. François Mauriac a bien décrit ce moment de la Passion où Judas,
qui à l’origine n’avait pas prévu la condamnation à mort de Jésus, malgré le
poids de sa faute, aurait pu se repentir :
« Tandis qu’on l’arrachait [Jésus] aux valets pour le traîner vers le prétoire, un
homme atterré contemplait son œuvre. Il n’y a pas de monstres : Judas n’avait
pas cru que cela irait très loin : un emprisonnement, quelques coups de fouet
peut-‐être, et le charpentier eût été renvoyé à son établi. Il s’en est fallu de très
peu que les larmes de Judas ne fussent confondues, dans le souvenir des
hommes, avec celles de Pierre. Il aurait pu devenir un saint, le patron de nous
tous qui ne cessons de trahir. […] ‘Alors ayant jeté l’argent dans le Temple, il
alla se pendre.’ Le Démon n’a rien gagné contre le dernier des criminels qui
espère encore. Tant qu’il subsiste dans l’âme la plus chargée une lueur
d’espérance, elle n’est séparée de l’amour infini que par un soupir. Et c’est le
mystère des mystères que ce soupir, le Fils de la perdition ne l’ait pas exhalé ».4
Quant à saint Pierre, nous lui ressemblons encore plus : être généreux et
sincèrement attaché au Christ, certes, mais avoir la présomption de s’appuyer
sur ses propres forces pour être fidèle (« Si tous viennent à tomber à cause de
toi, moi, je ne tomberai jamais ») ; s’engourdir dans la vie spirituelle et ne pas
persévérer dans la prière comme à Gethsémani ; et finalement s’enfuir
lâchement lorsque l’épreuve arrive… Ces deux personnages de Pierre et Judas
doivent nous faire réfléchir, comme les décrivait le pape Benoît XVI :
« [Saint Pierre Canisius disait] : ‘Voyez, Pierre dort, Judas veille…’ C’est une
phrase qui nous fait réfléchir : la somnolence des bons. Le pape Pie XI a dit : ‘Le
grand problème de notre temps, ce ne sont pas les puissances néfastes, mais la
somnolence des bons’. ‘Soyez attentifs’ : méditons cela, et pensons que le
Seigneur, dans le jardin des Oliviers, répète par deux fois à ses disciples : ‘Soyez
attentifs’, alors qu’eux dorment. ‘Soyez attentifs’, nous dit-‐il ; efforçons-‐nous de
ne pas dormir en ce moment, mais d’être réellement prêts pour la volonté de
Dieu et pour la présence de sa Parole, de son Royaume.5
Tous les prêtres, et avec eux tous les chrétiens, sont appelés à accompagner
Jésus à Gethsémani ; il compte sur notre présence, il veut s’appuyer sur elle.
C’est à ce moment qu’il affronte lucidement le grand combat, c’est là que nous
unissons nos petites passions à la sienne. Notre vie de prière comporte souvent
des moments difficiles, des sécheresses et un manque de motivation. La prière
4 François Mauriac, Vie de Jésus, Flammarion 1936, p. 229-‐230. 5 Pape Benoît XVI, Rencontre avec le clergé de Rome, 10 mars 2011, http://w2.vatican.va/content/benedict-‐xvi/fr/speeches/2011/march/documents/hf_ben-‐xvi_spe_20110310_parroci-‐roma.html
est toujours un combat, nécessaire puisque c’est le lieu où Dieu nous
transforme en profondeur et nous unit à lui. C’est pourtant un combat qu’il
faut gagner coûte que coûte, faute de quoi tout l’édifice est menacé. Or, nous
pouvons nous endormir dans la routine, renoncer à la prière par paresse, ou
fuir la vie de prière dans l’activisme. Quel est le sens de toutes nos activités
pendant la journée ? La construction du Règne de Dieu, en commençant par le
combat spirituel, ou bien vivons-‐nous dans une agitation stérile, dans l’illusion
que ce sont nos actions qui sauvent le monde ou dans le but inconscient «
d’être quelqu’un qui compte » ? Or c’est notre union au Christ et ses fruits
intimes qui contribuent à ce salut ; mais la source en est bien dans la prière et
les sacrements. Plus grave encore, la poursuite égoïste de nos propres intérêts
ne nous conduit-‐elle pas, peu à peu, à abandonner le Maître et son Évangile,
nous poussant subrepticement vers la trahison ? Les scandales et les abandons
qui ne manquent pas nous avertissent : la persévérance est le couronnement
d’une vie spirituelle et pastorale réussie et authentique.
Pour cela, il est nécessaire de tenir bon dans la prière, malgré les sécheresses,
distractions et déconvenues qu’elle comporte, en écoutant ce conseil du
Christ : « Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent,
mais la chair est faible. » (Mt 26, 41) ; un conseil à prendre comme un ordre,
étant donné l’enjeu. Dans la vie de prière, sainte Thérèse d’Avila recommandait
ainsi la persévérance pour surmonter la sécheresse, comme nous l’explique le
père Marie-‐Eugène de l’Enfant Jésus :
« La sainte ne se lasse pas de le répéter. N’avait-‐elle pas écrit sur un signet :
‘’Tout passe. La patience obtient tout !’’ Ceci est vrai de l’oraison surtout. C’est
par la persévérance qu’elle a elle-‐même obtenu ses richesses surnaturelles : ‘’En
réalité peu de jours se sont passés, écrit-‐elle, sans que j’aie consacré beaucoup
de temps à l’oraison, à moins que je fusse très souffrante ou très occupée’’. La
plus grande tentation de sa vie fut de rester une année et même davantage
sans faire oraison, parce que cela lui paraissait plus humble. Cette persévérance
se portera non seulement sur l’exercice de l’oraison elle-‐même, mais aussi sur
l’ascèse de recueillement qui doit l’accompagner. Il faut garder ses sens
pendant la journée, se garder des frivolités qui dissipent et revenir aussi
fréquemment que possible vers le Maître par des oraisons jaculatoires ou des
actes des vertus théologales ».6
Peut-‐être, en regardant, notre vie spirituelle, nous sentons-‐nous désemparés,
parce que nous sommes bien loin de cet idéal de persévérance ? Les
circonstances concrètes de notre vie, avec leurs exigences multiples, au service
d’une famille ou d’une paroisse, par exemple, nous demandent toujours un
effort pour créer et préserver ce temps de rencontre quotidien… Les
encouragements d’un grand maître de la vie intérieure, saint Jean Cassien,
viendront nous aider :
« Nous ne sommes pas exacts comme nous le voudrions au silence de la
retraite, ni à la stricte observance de nos jeûnes, ni à la lecture assidue, dans le
temps même où nous le pourrions ; mais certains cas se présentent, qui nous
retirent, malgré nous, de nos salutaires pratiques : si bien qu'il faut implorer du
Seigneur les temps et les lieux favorables pour nous y livrer. […] Bien plus, c'est
pour notre bien que nous nous sentons parfois détournés de nos exercices
spirituels. Tandis que l'élan de notre course se trouve, malgré nous, entravé, et
que nous donnons quelque relâche à la faiblesse de la chair, nous assurons, sans
le vouloir, notre persévérance future. Le bienheureux Apôtre a quelque chose de
semblable au sujet de cette conduite divine : ‘Par trois fois, dit-‐il, je priai le
6 Père Marie-‐Eugène de l’Enfant Jésus, ocd, Je veux voir Dieu, éditions du Carmel, p. 224.
Seigneur que cet ange de Satan s'éloignât de moi ; et il me répondit : Ma grâce
te suffit, car c'est dans la faiblesse que ma force se montre tout entière !’ (2 Co
12,8-‐9) »7
Le plus important, ici comme toujours, est d’avoir confiance dans le Christ :
c’est lui qui est le rocher, le fondement de notre persévérance, dans la prière
comme dans la vocation. Après avoir évoqué le drame de Judas et Pierre
pendant la Passion, le pape Benoît XVI l’expliquait à des prêtres au cours d’une
rencontre amicale :
« Il me semble que nous devons avoir confiance dans ce don de la persévérance,
mais que nous devons également, avec ténacité, humilité et patience, prier le
Seigneur pour qu'il nous aide et nous soutienne par le don de ce qui est
véritablement définitif ; qu'il nous accompagne jour après jour jusqu'à la fin,
même si notre chemin doit passer à travers des vallées obscures. Le don de la
persévérance nous donne la joie, il nous donne la certitude que nous sommes
7 Saint Jean Cassien, Les Conférences, chapitre VI. Voir tout le passage : « Les leçons d'une expérience que nous avons pu nous-‐mêmes vérifier, sans parler d'indices et de preuves certaines, nous rendront cette vérité plus manifeste. Maintes fois, il arrive que nous souhaitons d'exécuter quelque utile dessein ; rien ne manque à l'ardeur de nos désirs, et la bonne volonté non plus ne nous fait pas défaut. N'est-‐il pas vrai pourtant que la moindre défaillance, venant à la traverse, rend inutiles les vœux que nous avons formés et empêche le bon effet de nos résolutions, si le Seigneur, en sa miséricorde, ne nous donne la force de les accomplir ? La multitude est innombrable de ceux qui désirent loyalement se consacrer à la poursuite de la vertu ; mais, si vous comptez ceux qui réussissent à réaliser leur rêve et à persévérer dans leurs efforts, que vous en trouverez peu ! Et je n'ai pas tout dit. Alors même que nulle défaillance ne vient nous faire obstacle, nous n'avons pas la franche liberté de faire tout ce que nous voulons. Nous ne sommes pas exacts comme nous le voudrions au silence de la retraite, ni à la stricte observance de nos jeûnes, ni à la lecture assidue, dans le temps même où nous le pourrions ; mais certains cas se présentent, qui nous retirent, malgré nous, de nos salutaires pratiques : si bien qu'il faut implorer du Seigneur les temps et les lieux favorables pour nous y livrer. Il est sûr que pouvoir ne suffit pas, s'il ne nous accorde l'occasion propice, pour accomplir les choses qui nous sont manifestement possibles. ‘’Nous voulions aller vers vous, dit l'Apôtre, une première et une seconde fois ; mais Satan nous a empêchés’’ (1 Thess 2,18). Bien plus, c'est pour notre bien que nous nous sentons parfois détournés de nos exercices spirituels. Tandis que l'élan de notre course se trouve, malgré nous, entravé, et que nous donnons quelque relâche à la faiblesse de la chair, nous assurons, sans le vouloir, notre persévérance future. Le bienheureux Apôtre a quelque chose de semblable au sujet de cette conduite divine : ‘’Par trois fois, dit-‐il, je priai le Seigneur que cet ange de Satan s'éloignât de moi ; et il me répondit : Ma grâce te suffit, car c'est dans la faiblesse que ma force se montre tout entière !’’ (2 Co 12,8-‐9) et de nouveau : ‘’Nous ne savons pas ce qu'il faut demander !’’ » (Rm 8, 26)
aimés du Seigneur et cet amour nous soutient, nous aide et ne nous abandonne
pas à nos faiblesses ».8
Nous pouvons alors faire monter notre prière vers le Christ, pour obtenir notre
propre persévérance, mais aussi celle de tous les prêtres. Ce ne peut être qu’un
don de la miséricorde, et pour grandir dans la confiance, écoutons les paroles
du Christ à sœur Faustine :
« Sache, ma fille, qu’entre moi et toi, il y a l’abîme infini qui sépare le Créateur
de la créature, mais ma miséricorde comble cet abîme. Je t’élève jusqu’à moi,
non par besoin de toi, mais je te fais don de la grâce de l’union avec moi
uniquement par miséricorde. Dis aux âmes qu’elles ne fassent pas obstacle en
leur propre cœur à ma miséricorde, qui désire tant agir en elles. Ma
miséricorde est à l’œuvre dans tous les cœurs qui lui ouvrent la porte ; le
pécheur comme le juste ont besoin de ma miséricorde. La conversion comme
la persévérance est une grâce de ma miséricorde ».9
2. Les femmes au tombeau
Lorsque tout est accompli et que Jésus a remis l’esprit, saint Matthieu note la
présence discrète de quelques femmes qui ont accompagné le Christ pendant
toute sa Passion, et même pendant toute sa vie publique : « elles avaient suivi
Jésus depuis la Galilée pour le servir » (Mt 27, 55). Matthieu rend hommage à
leur mémoire en les nommant : Marie-‐Madeleine, Marie mère de Jacques et
Joseph, la mère des fils de Zébédée. On peut imaginer que la présence de
Marie, sa Mère, a beaucoup aidé Jésus à supporter l’épreuve, qu’il s’est appuyé
humainement sur cette « colonne inébranlable » que Dieu le Père a voulu
8 Pape Benoît XVI, Rencontre avec le clergé de Rome, 10 mars 2011, http://w2.vatican.va/content/benedict-‐xvi/fr/speeches/2011/march/documents/hf_ben-‐xvi_spe_20110310_parroci-‐roma.html 9 Sainte Faustine (Héléna Kolwaska), Petit Journal, disponible ici, nos 1575-‐76.
placer à ses côtés pour les moments les plus difficiles. Un homme se joint enfin
à ce groupe des disciples fidèles : Joseph d’Arimathie. En quoi leur attitude est-‐
elle différente de celle des disciples qui ont fui ?
Les femmes suivaient Jésus, nous dit-‐on. Elles ne le précédaient pas, ne
marchaient pas à ses côtés, ne prenaient pas d’initiative téméraire, elles
suivaient humblement. À l’heure de la croix, puis à l’heure du tombeau, elles
regardent et pénètrent ainsi le mystère. Joseph, lui, était disciple de Jésus : il
écoutait attentivement ses enseignements… Le moment venu, il recueille le
corps du maître avec respect, comme un autre Joseph avec recueilli le corps du
nouveau-‐né dans la crèche.
Suivre, contempler, écouter pour aimer concrètement le Christ, voilà ce que
nous enseigne ce groupe d’amis fidèles jusqu’à la dernière heure.
Dans l’épreuve, et sans besoin de déclarations grandiloquentes comme les
disciples, qui d’ailleurs ont fini par fuir, les femmes révèlent leur amour sincère
envers le Maître. Leur compassion est un baume précieux sur le visage
défiguré et humilié de Jésus, comme saint Jean-‐Paul II le relevait :
« N'est-‐il pas incontestable que ce sont les femmes qui furent les plus proches
du Christ sur le chemin de la croix et à l'heure de la mort ? Un homme, Simon de
Cyrène, est contraint à porter la croix (cf. Mt 27, 32), mais c'est spontanément
que de nombreuses femmes de Jérusalem lui témoignent de la compassion au
long de la via crucis (cf. Lc 23, 27). La figure de Véronique, sans être biblique,
exprime bien les sentiments des femmes de Jérusalem sur la via dolorosa ».10
10 Saint Jean-‐Paul II, Lettre aux prêtres (1995), disponible ici : https://w2.vatican.va/content/john-‐paul-‐ii/fr/letters/1995/documents/hf_jp-‐ii_let_25031995_priests.html
Nous les retrouvons ensuite « assises face au tombeau », lorsque la pierre est
roulée puis scellée par les gardes. Tout est fini de l’aventure de ce Rabbin si
extraordinaire, qui avait changé leurs vies. Sans même se demander pourquoi,
elles restent là, et elles trouvent l’attitude juste du cœur qui aime. Elles ont
probablement l’intuition que les apparences, si tristes, cachent un mystère
profond. Saint Jean Chrysostome leur dédie une très belle page :
« Elles sont témoins de ces prodiges, les femmes qui compatissent le plus aux
douleurs de la victime et qui poussent les plus profonds soupirs. Et remarquez,
je vous prie, leur zèle et leur persévérance : elles le suivent pour le servir, et la
vue du danger ne les fait pas revenir en arrière. Aussi voient-‐elles toutes Jésus
poussant un grand cri et rendant le dernier soupir, les rochers qui se brisent,
toutes les autres circonstances de cette mort. […] Elles se tenaient là, tandis que
les disciples avaient pris la fuite. […] ‘Or, Marie-‐Madeleine et une autre Marie se
tenaient assises non loin du sépulcre.’ Pourquoi se tiennent-‐elles là ? Elles
n’avaient pas encore de lui les idées grandes et sublimes qui conviennent à sa
nature ; c’est pour cela qu’elles avaient apporté des parfums et qu’elles
s’étaient rapprochées du lieu de la sépulture, dans le but d’embaumer le corps,
si la fureur des Juifs avait un instant de relâche. Voyez-‐vous la mâle vertu de ces
femmes ? Voyez-‐vous la force de leur amour ? Voyez-‐vous leur grandeur
d’âme, qui ne recule ni devant la dépense ni devant la mort ? Hommes, sachons
imiter ces femmes, et ne délaissons pas Jésus dans les épreuves ».11
Ces femmes sont ainsi un exemple de prière vivante, attachée au Maître,
suppliant le Père pour obtenir la miséricorde : elles sont une figure de l’Église
qui veille, s’unit à son Sauveur et intercède inlassablement. Unissons-‐nous à
elles avec la liturgie :
11 Saint Jean Chrysostome, Homélies sur Saint Matthieu, LXXXVIII, 2, Éditions Vivès, tome 7, p. 102.
« Souviens-‐toi, Seigneur, de la Passion de ton Fils, ne tarde pas à nous
réconcilier avec toi : il est vrai que nous n’avons pas mérité ton pardon, mais
nous comptons sur ta miséricorde et sur la grâce du sacrifice de Jésus. Lui qui
vit et règne avec toi dans l’unité du Saint Esprit pour les siècles des siècles ».12
Avec Joseph d’Arimathie, disciple secret de Jésus, homme intérieur, juste et
fidèle, avec les saintes femmes qui tiennent fermes dans la foi et l’amour, les
yeux fixés sur Jésus seul, nous pouvons ainsi nous placer spirituellement face
au tombeau du Christ et reprendre cette grande supplication que saint Claude
La Colombière faisait monter devant Dieu à la fin de son homélie Pour le jour de
la Passion :
« Père éternel, je m’adresserai à vous, je vous présenterai votre fils dans l’état
où son amour l’a réduit, et j’espère que vous serez sensible à ce spectacle : tout
m’apprend à ne pas craindre de trouver en vous cette même dureté que vous ne
pouvez pardonner aux hommes. Que pouvez-‐vous me refuser, ô Dieu de toute
bonté, père de miséricorde, à la vue de cet agneau qui s’est laissé égorger pour
vous témoigner son obéissance ? C’est par cette innocente victime, c’est par ses
plaies et par sa mort que je vous prie aujourd’hui. Et qu’est-‐ce que je vous
demande, ô mon Dieu ? Rien autre chose, si ce n’est que vous ne méprisiez pas
les douleurs de votre fils unique, que vous ayez quelque égard à ce qu’il souffre,
et que vous ne laissiez pas de si grands mérites sans récompense. Oui,
certainement, il est digne, ce divin agneau, d’être aimé, respecté, béni, glorifié
de toute la terre ; il mérite d’être le Roi et le Dieu même de tous ceux qu’il a
rachetés. Faites donc, ô Dieu de justice, qu’il règne en effet sur tous les cœurs ;
que tous les impies changent leurs blasphèmes en bénédictions, tous les
pécheurs leur endurcissement obstiné en amour le plus tendre, toutes les âmes
12 Prière sur les offrandes de la messe des Rameaux.
faibles et lâches leur tiédeur en ferveur, et leurs désirs en effets : faites, je vous
en conjure, que tous ceux sur qui, durant ces fêtes, ce précieux sang sera versé
par le sacrement de la pénitence, soient véritablement purifiés ; que par une
amère douleur de leurs fautes, par le désir efficace d’un prompt changement, ils
soient tous disposés à profiter d’un si grand bienfait. Surtout, ô mon Dieu, ne
permettez pas que ce sang serve à la condamnation d’aucune âme, puisqu’il
n’est rien de si contraire à l’intention de celui qui l’a répandu, qu’un effet si
terrible… »13
13 Saint Claude La Colombière, Œuvres complètes (édition Seguin, 1832), tome I, p. 236-‐237.